2. INTRODUCTION (1)
• De prime abord, on ne peut pas juger objectivement la
valeur d’une culture : tout jugement est subjectif, car
influencé par la culture de celui qui l’énonce.
Idéalement, pour être objectif, il faudrait ne pas avoir de
culture : comme nous sommes des êtres culturels, nous
sommes condamnés, semble-t-il, à la subjectivité.
• En fait, nous pouvons aborder objectivement les autres
cultures, mais à une condition : il faut renoncer à juger.
C’est ce que fait l’ethnologue.
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3. INTRODUCTION (2)
→ Au lieu de juger, il décrit les comportements qu’il
observe, et cherche à les comprendre, c’est-à-dire à
dégager leur sens. Ainsi il bannit tout jugement de
valeur. Il ne considère que les faits.
• Le dilemme que nous rencontrons est alors le suivant.
Soit on juge et on est subjectif. Soit on cherche à être
objectif, mais, du coup, on ne peut plus juger.
Comment échapper à ce dilemme ?
Un jugement objectif est-il seulement possible ?
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4. 1. Le problème de l’ethnocentrisme (1)
a) Barbares et sauvages
Cf. Lévi-Strauss, Race et histoire (1952), chapitre III.
Ethnocentrisme : attitude qui consiste à considérer
sa propre culture comme la culture de référence.
On tend alors à dénigrer et rejeter les cultures
différentes.
« Barbare » > mot d’origine grecque : onomatopée qui
sert à désigner l’homme qui ne parle pas grec.
« Sauvage » > du latin silva : la forêt.
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5. 1. Le problème de l’ethnocentrisme (2)
• L’ethnocentrisme est d’autant plus fréquent qu’il a « des
fondements psychologiques solides » : la différence
culturelle génère une peur, laquelle conduit au rejet.
• Le jugement ethnocentrique est non seulement
irrationnel, mais aussi subjectif : on considère la culture
des autres à travers le prisme de sa propre culture.
L’objet du jugement, c’est toujours l’autre ; le critère du
jugement, c’est toujours nous.
→ Cf. Montaigne : « chacun appelle barbarie ce qui n’est
pas de son usage ».
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6. 1. Le problème de l’ethnocentrisme (3)
• L’attitude ethnocentrique est aussi contradictoire. En
rejetant la culture des autres, nous croyons affirmer
notre différence. En fait, comme ils nous rejettent
autant que nous les rejetons, nous nous montrons
semblables à eux.
• L’ethnocentrisme est à la fois une erreur et une faute : 1)
on croit que les autres n’ont pas de culture, mais c’est
faux : tout peuple a une culture ; 2) l’ethnocentrisme
conduit les peuples à se faire la guerre.
→ Cf. Lévi-Strauss : « Le barbare, c’est celui qui croit à la
barbarie ».
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7. 1. Le problème de l’ethnocentrisme (4)
b) Une autre forme d’ethnocentrisme :
l’évolutionnisme
Exemple : Edward B. Tylor (anthropologue britannique,
1832-1917).
• Tylor refuse de considérer les cultures primitives comme
« barbares » ou « sauvages » : il reconnaît que tout
homme a une culture. En ce sens, il affirme l’unité du
genre humain.
• Mais il explique la diversité culturelle par l’évolution.
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8. 1. Le problème de l’ethnocentrisme (5)
→ Entre les cultures dites « primitives » et les autres, il
y a une différence, non pas de nature, mais de degré :
elles correspondent à différents stades dans l’évolution.
• L’évolutionnisme est donc une forme insidieuse
d’ethnocentrisme : la culture « moderne » reste la
culture de référence – celle qui constitue le point
d’aboutissement dans le processus de l’évolution, et que
les cultures « primitives » doivent rejoindre. Comme le
remarque Lévi-Strauss, « il s’agit d’une tentative pour
supprimer la diversité des cultures tout en feignant de la
reconnaître pleinement ».
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9. 2. Le relativisme culturel et ses limites (1)
a) La neutralité axiologique
Cf. Lévi-Strauss, Race et histoire, chapitre VI.
• Pour juger la valeur d’une culture, il faudrait un critère.
Or, le choix du critère est toujours relatif à la culture
d’origine.
• Exemple : le développement technique. Selon ce critère,
la culture occidentale est supérieure aux autres cultures.
Mais : 1) ce critère est relatif ; 2) si on change de critère,
on obtient des classements différents.
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10. 2. Le relativisme culturel et ses limites (2)
• Pour être objectif, à défaut de juger, l’ethnologue doit
chercher à comprendre.
→ Cf. Spinoza : « ni rire, ni pleurer, mais comprendre ».
• Il doit, autant que possible, aborder la culture des
autres, en faisant abstraction de sa propre culture.
• Il doit redonner son sens à des pratiques culturelles
qui sont si différentes des nôtres qu’elles semblent,
à première vue, absurdes.
→ Exemple : l’analyse du cannibalisme par Montaigne
dans les Essais.
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11. 2. Le relativisme culturel et ses limites (3)
• Selon le relativisme culturel, on ne peut donc pas dire
qu’une culture est supérieure à une autre. Il faut
reconnaître la diversité culturelle, et l’étudier, sans aller
plus loin.
Cette attitude se justifie doublement :
1) D’un point d’une vue scientifique : l’ethnologie ne
peut prétendre accéder au statut de science que si
elle rompt avec les préjugés ethnocentriques.
2) D’un point de vue moral et politique : on affirme
que toute culture est digne de respect.
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12. 2. Le relativisme culturel et ses limites (4)
b) Les limites
Le dilemme de l’ethnologue
Cf. Lévi-Strauss, Tristes tropiques (1955).
• Au nom de l’objectivité scientifique, l’ethnologue doit sortir
de l’ethnocentrisme et admettre que les cultures se valent. S’il
juge et défend certaines valeurs, son travail n’est plus
scientifique.
• Mais, d’un autre côté, au nom de la morale, il doit juger. La
neutralité, qui est bonne du point de vue de la science, est
mauvaise, dans la pratique, car elle revient à tout accepter.
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13. 2. Le relativisme culturel et ses limites (5)
Du relativisme au nihilisme
Certes, toute culture est différente et a des valeurs qui lui sont
propres. Mais, au nom de la diversité culturelle, peut-on tout
tolérer ?
Dans certaines cultures, certains comportements, contraires à
nos convictions morales, sont admis. Ex : la lapidation,
l’excision, l’infanticide, etc.
Que faut-il faire ? Soit on juge, mais on prend le risque de
tomber dans l’ethnocentrisme. Soit on ne juge pas, au nom
du relativisme culturel, mais on risque de basculer dans le
nihilisme : si tout se vaut, rien ne vaut, et alors tout est
permis.
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14. 2. Le relativisme culturel et ses limites (6)
Les limites de la tolérance
• Trop de tolérance « tue » la tolérance : à tout tolérer, on
tolère même ceux qui ne tolèrent rien. Cf. Jacques Bouveresse
: « Il y a des gens qui croient que le relativisme est le bon
moyen de défendre le respect des autres cultures, c'est
totalement faux » (« La philosophie et son histoire »).
Paradoxalement, le relativisme alimente le racisme au lieu de
le combattre.
• Pour éviter le nihilisme, il faut distinguer les normes
culturelles et les valeurs morales : « à chacun sa culture » ne
peut pas signifier « à chacun ses valeurs ». Il faut postuler
l’existence de valeurs universelles.
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15. 2. Le relativisme culturel et ses limites (7)
• Une nouvelle difficulté apparaît : d’où viennent ces valeurs
universelles ? L’universalisme qui cherche à échapper au
nihilisme n’est-il pas une forme déguisée d’ethnocentrisme ?
→ Objection contre l’universalisme : on juge la culture des autres
à partir de valeurs supposées universelles, mais qui sont d’abord
les valeurs de celui qui juge. Loin d’être absolue, toute valeur
serait relative à une société, à une époque. Exemple : les droits de
l’homme.
→ Contre-objection : d’un point de vue moral, il n’en reste pas
moins que toutes les cultures ne se valent pas. On peut accepter le
relativisme culturel, mais non le relativisme moral.
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17. 3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie
médiane (1)
a) La présomption d’égale valeur
Cf. Charles Taylor, Multiculturalisme, (1997).
• Il faut aborder les cultures différentes de la nôtre avec
une présomption d’égale valeur : à première vue, toute
culture est digne de respect.
1) C’est un « acte de foi », une sorte de pari : il est très
vraisemblable que ces cultures, parce qu’elles sont
humaines, aient quelque chose à nous apprendre.
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18. 3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie
médiane (2)
2) C’est une « hypothèse de départ » d’autant plus
nécessaire que la valeur de ces cultures n’est pas
toujours évidente : les préjugés ethnocentriques
peuvent nous aveugler.
• La présomption d’égale valeur est un principe qu’il faut
appliquer, en attendant une étude complète et
approfondie de la culture qu’on rencontre. Elle permet
ainsi d’éviter l’ethnocentrisme spontané. Mais elle ne
signifie pas que toutes les cultures se valent : au terme
de l’étude, la présomption sera soit confirmée, soit
infirmée.
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19. 3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie
médiane (3)
• Selon Taylor, un jugement objectif est donc possible.
Tout jugement n’est pas ethnocentrique.
• Le jugement ethnocentrique est spontané et hâtif :
on condamne une pratique qu’on ne connaît pas et
qu’on ne comprend pas, pour la simple raison qu’elle
n’est pas la nôtre.
• Le jugement, pour être objectif, doit remplir
certaines conditions. Il faut : 1) aborder la culture
avec une « présomption d’égale valeur » ; 2)
chercher à comprendre autrui. Dès lors, on peut
juger.
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20. 3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie
médiane (4)
b) Les vertus de l’acculturation
• L’acculturation désigne « l’ensemble des phénomènes qui
résultent d’un contact continu et direct entre des groupes
d’individus de cultures différentes et qui entraînent des
changements dans les modèles culturels initiaux de l’un
ou des deux groupes » (M. Herskovits, R. Linton, R.
Redfield, 1936).
L’acculturation étant un phénomène universel, il n’y a
pas de culture « pure ». Toute culture se construit, se
développe en interaction avec les autres.
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21. 3. Le multiculturalisme : à la recherche d’une voie
médiane (5)
→ L’homme ethnocentrique qui croit que sa culture est
la culture oublie que toute culture est le résultat d’une
synthèse entre des éléments empruntés à différentes
cultures.
• La diversité culturelle est un fait qu’il faut reconnaître.
Elle soulève des problèmes. Mais c’est aussi une chance :
en s’ouvrant aux autres cultures, une culture peut ainsi
évoluer et s’enrichir.
Une culture fermée sur elle-même est une culture qui
stagne et qui finit par dégénérer. Une culture, au
contraire, qui échange avec les autres, reste vivante.
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22. R. Goscinny et A. Uderzo, Astérix et Cléopâtre, 1965.
« ILS SONT FOUS CES ÉGYPTIENS ! »
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23. Suggestions de lecture (pour aller plus loin)
Lévi-Strauss, Race et histoire, Gallimard, « Folio
essais », 1952.
Todorov, Nous et les autres. La réflexion française
sur la diversité humaine, Seuil, « Points », 1992.
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