Les influences sociales_et_leurs_effets_sur_les_relations_entre_groupes
1. Les influences sociales et leurs effets sur les relations entre groupes
Influence majoritaire et influence minoritaire
De très nombreuses expériences de psychologie sociale montrent que lorsqu'il est isolé
face à un groupe d'un autre avis que le sien, l'individu fait tôt ou tard des compromis voire
se conforme à l'avis de la majorité (Asch, 1940). Par contre, s'il peut être rassuré dans
son opinion par d'autres personnes qui pensent comme lui, l'individu aura le sentiment
d'appartenir à une minorité et résistera plus facilement à l'influence de la majorité avec
laquelle il est en désaccord. Il se peut même que cette minorité parvienne à faire entendre
son point de vue à la majorité voire à le lui faire adopter. Alors que les chercheurs nord-
américains ont plus particulièrement étudié les mécanismes par lesquels les majorité
obtiennent l'accord des minorités, les chercheurs européens, et en particulier les auteurs
français, dans le sillage de Serge Moscovici (1976 ; 1979) ont volontiers porté leur
attention sur l'impact que peut avoir une minorité sur l'avis d'une majorité et sur les
conditions nécessaires à l'exercice d'une influence minoritaire.
Comme le résume Leyens (1979), une minorité peut influencer les membres d'une
majorité dans leur opinion à condition que :
- elle parvienne à donner d'elle-même une image de crédibilité (faite de gens convaincus,
impliqués et volontaires mais pas rigides ni dogmatiques à outrance) et sache éviter de se
faire taxer par la majorité d'extravagance,
- elle soit consistante (dans le temps et au travers des situations),
- elle parvienne à influencer au moins quelques personnes de la majorité (les amenant à
faire preuve d'ouverture voire à se convertir à l'opinion de la minorité).
Paicheler (1977) ajoute qu'elle y parviendra d'autant mieux qu'elle soutient des opinions
qui sont en quelque sorte dans l'air du temps (c'est-à-dire qui vont dans le sens de
l'évolution des opinions qui se dessine dans la société globale).
Ainsi analysées, on voit bien à quelles conditions des changements d'attitudes et
d'habitudes, des innovations peuvent se mettre en place, sous la poussée de quelques uns
et contre l'avis bien souvent de la majorité, qu'elle soit silencieuse ou beaucoup plus
vociférante.
Et si la minorité devenait majoritaire ?
Pour survivre mais également pour tenter de faire entendre ses idées, tout groupe
minoritaire fait effort pour devenir majoritaire (Moscovici, 1976). Qu'adviendra-t-il alors
de lui ?
Prislin & Christensen (2002) montrent que la manière dont ce changement a été obtenu a
un effet sur l'identité même du groupe en transformation. Si le groupe est devenu
majoritaire par adjonction de nouveaux membres, l'impression de partager une idéologie
commune s'en trouve renforcée. Si par contre, le groupe devient majoritaire par ralliement
d'une partie des membres du groupe initialement majoritaire aux idées du groupe
minoritaire, le sentiment de partage devient faible et le groupe court le risque de perdre
une partie de ce qui constituait son identité.
Ceci explique bien pourquoi l'énergie des membres d'un groupe minoritaire s'émousse bien
souvent lorsque ses rangs augmentent trop rapidement et que des dissensions surgissent
inévitablement en son sein à l'arrivée de nouveaux membres perçus il y a peu encore
comme des adversaires voire des ennemis.
Prislin, R., & Christensen, P.N. (2002). Group conversion versus group expansion as
modes of change in majority and minority positions : All losses hurt but only some gains
gratify. Journal of personality and Social Psychology 83, 1095-1102.
Asch, S.E. (1940). Studies in the principles of judgments and attitudes. II.
2. Determination of judgments by group and by ego standards. Journal of Social Psychology,
12, 433-445.
Leyens, J.-P. (1979). Psychologie sociale. Bruxelles. Mardaga.
Paicheler, G. (1976). Norms and attitude change : Part I . Polarization and stuyles of
behavior. European Journal of Social Psychology, 6, 405-427.
Moscovici, S. (1976). Social influence and social change. London : Academic Press.
Moscovici, S. (1979). Psychologie des minorités actives. Paris : Presses Universitaires
de France.