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©	Armand	Colin,	Paris,	2011
ISBN	:	978-2-200-27633-1
Du	même	auteur
Lévi-Strauss,	Paris,	Figures	du	savoir,	Les	Belles	Lettres,	2010.
Philosophie	de	l’actualité,	Paris,	Ellipses,	2008.
Derrida,	Paris,	Ellipses,	2008.
La	philosophie	sur	grand	écran.	Manuel	de	cinéphilosophie,	Paris,	Ellipses,	2007.
La	philosophie	française	contemporaine.	1960-2005,	Ellipses,	2006.
Eléments	de	morale,	Paris,	Ellipses,	2005.
Théorie	et	expérience,	Paris,	Ellipses,	2005.
Le	devoir	de	justice.	Pour	une	inscription	politique	de	la	philosophie,	Paris,	Armand	Colin,	2004.
Foucault.	Qu’est-ce	que	les	Lumières,	Paris,	Bréal,	2004.
Lexique	des	repères	philosophiques,	Paris,	Ellipses,	2004.
Comprendre	Kant,	Paris,	Cursus,	Armand	Colin,	2003.
Politique	de	l’autre	homme.	Lévinas	et	la	fonction	politique	de	la	philosophie,	Paris,	Ellipses,	2003.
Herder,	Paris,	Figures	du	savoir,	Les	Belles	Lettres,	2003.
Kant.	Vers	la	paix	perpétuelle,	Paris,	Bréal,	2002.
Lexique	de	philosophie,	Paris,	Ellipses,	2001.
Kant.	Fondements	de	la	métaphysique	des	mœurs,	Paris,	Bréal,	2001.
Droit,	morale	et	politique,	Paris,	Ellipses,	2001.
Descartes.	Les	Méditations	métaphysiques,	Paris,	Bréal,	2000.
L’épaisseur	humaine.	Foucault	et	l’archéologie	de	l’homme	moderne,	Paris,	Kimé,	2000.
Lyotard	et	la	philosophie	(du)	politique,	Paris,	Kimé,	2000.
Table	des	matières
Couverture
Page	de	titre
Page	de	Copyright
Table	des	matières
Préambule	:	Aporétique	–	De	l’auteur
Foucault	par	lui-même
L’abolition	du	nom	propre
Questions	de	méthode
Prologue	:	L’imagination	au	pouvoir	(Introduction	au	Rêve	et	l’existence	de	Binswanger,	1954)
Ontologie	–	De	la	philosophie
Foucault	philosophe	?
L’actualité
La	philosophie	comme	journalisme	radical
Archéologie	et	analytique	du	présent
Archéologie	et	politique
Histoire	–	De	la	raison
Foucault	historien	?
Contre	l’historicisme
Contre	l’idéologie
Chronologies	foucaldiennes
L’épaisseur	de	la	raison
Du	pouvoir	au	savoir
Partages
Le	normal	et	le	pathologique
Vie	et	folie
Raison	et	déraison
Internement	et	asile
Figure	1	:	Le	fou
Portrait	1	:	Derrida
Archéologie	–	De	la	vérité
Une	histoire	de	la	vérité
Contre	la	phénoménologie
Foucault	structuraliste	(?)
L’inconscient	du	savoir
L’épaisseur	du	discours
L’espace	clinique
Cosmologies
Le	pouvoir	de	la	représentation
La	fin	d’un	règne
Les	sciences	humaines
La	littérature
Figure	2	:	L’homme
Portrait	2	:	Kant
Intermède	professoral	:	L’Ordre	du	discours	(1970)
Généalogie	–	Du	pouvoir
Analytique	du	pouvoir
Pouvoir-savoir	et	savoir-pouvoir
Le	principe	d’immanence
Le	pouvoir	psychiatrique
L’éclat	des	supplices
Minuties	disciplinaires
L’hypothèse	répressive
La	prolifération	du	discours
Vers	la	biopolitique
De	la	guerre
Figure	3	:	Le	délinquant
Portrait	3	:	Nietzsche
Éthique	–	Du	sujet
Critique	du	sujet
Le	sujet	du	sexe
L’herméneutique	de	soi
Souci	de	soi	et	volonté	de	vérité
Politique	–	De	la	justice
Le	discours	comme	politique	de	la	vérité
Philosophie	et	géologie
Libération	et	liberté
Épilogue	:	L’impatience	de	la	liberté	(Qu’est-ce	que	les	Lumières	?,	1984)
Bibliographie
Index	des	notions
Préambule
Aporétique	–	De	l’auteur
Foucault	par	lui-même
Certains	philosophes	ont	eu	le	souci,	bien	commode	pour	leur	futur	lecteur,	de	construire	un
système	:	dans	certains	cas,	cette	articulation	sévère	des	œuvres	répond	aux	exigences	mêmes	de	la
doctrine,	qui	ne	peut	que	se	déployer	rationnellement	;	dans	d’autres,	la	structure	générale	de	la
pensée	apparaît	peu	à	peu,	voire	après	coup,	l’auteur	ayant	pris	soin,	avant	de	mourir,	de	proposer
une	synthèse	rétrospective	de	son	propre	travail.	Michel	Foucault	ne	nous	a	pas	facilité	la	tâche.	En
premier	lieu	–	et	nous	reviendrons	sur	ce	point	fondamental	–	en	ce	qu’il	refuse	de	se	considérer	lui-
même	comme	un	auteur,	dont	le	seul	nom	propre	pourrait	unifier,	comme	par	magie,	la	diversité	des
ouvrages	;	en	second	lieu	en	ce	que	l’œuvre	publiée	–	quelques	livres,	guère	plus	–,	ne	contient	pas
tout	ce	que	Foucault	a	voulu	dire,	sa	philosophie,	et	il	en	est	une,	se	disséminant	d’elle-même	dans	des
dits	autant	que	dans	des	écrits,	dans	des	cours	autant	que	dans	des	publications	en	bonne	et	due	forme.
Plus	essentiellement	encore	:	la	nature	même	du	propos	foucaldien	exclut	la	cohérence	systématique.
Encore	faut-il	préciser	ici	la	raison	de	cette	exclusion	:	Foucault	ne	refuse	pas	par	principe	le
système,	comme	le	fait	par	exemple	Nietzsche.	Et	ses	écrits	ne	prendront	donc	pas,	comme	chez	ce
dernier,	la	forme	de	l’aphorisme.	Mais	il	conçoit	l’exercice	même	de	la	philosophie	comme	la	façon
la	plus	rigoureuse,	pour	un	individu,	de	changer	sa	propre	pensée,	et	partant	son	existence	même.	Au
fur	et	à	mesure	qu’avance	son	œuvre,	l’homme	Foucault	et	l’écrivain	Foucault	se	trouvent	modifiés
en	profondeur,	d’où	la	nécessité	permanente	de	revenir	sur	ce	qui	a	été	dit,	d’annoncer	aussi	des
projets	qui	jamais	ne	se	réaliseront,	de	tenter	d’évaluer	a	posteriori	la	valeur	de	son	travail.
Un	indice	de	ce	que	nous	venons	de	dire	:	quand,	en	1984,	paraît	le	Dictionnaire	des	philosophes	de
Denis	Huisman,	la	notice	consacrée	à	Foucault	a	été	rédigée	par	un	certain	Maurice	Florence,	qui
n’est	autre	que	Foucault	lui-même.	Rompant	avec	tous	les	usages	de	l’édition,	Foucault	semble
considérer	que	personne	d’autre	que	lui	ne	peut	présenter	son	œuvre.	Il	y	a	sans	doute	un	peu	de
coquetterie	dans	le	procédé.	Mais	aussi	la	conviction	que	lui	seul	aura	la	lucidité	suffisante	pour
percevoir	les	lacunes	de	son	travail,	et	la	capacité	de	les	dissimuler	en	partie	dans	la	reconstruction
d’une	cohérence	momentanée.	Lisons	donc	ce	texte,	qui	n’est	pas	la	moins	bonne	des	entrées	dans	le
corpus.
Foucault	appelle	ce	qu’il	a	essayé	de	faire	une	histoire	critique	de	la	pensée,	se	situant	d’emblée
dans	le	prolongement	de	la	philosophie	de	Kant.	Mais	alors	que	le	criticisme	vise	a	établir	les
conditions	de	possibilité	a	priori	de	la	connaissance,	en	les	pensant	comme	universelles	et
intemporelles,	le	projet	foucaldien	se	conçoit	comme	«	une	analyse	des	conditions	dans	lesquelles
sont	formées	ou	modifiées	certaines	relations	de	sujet	à	objet,	dans	la	mesure	où	celles-ci	sont
constitutives	d’un	savoir	possible	» .	Non	plus	la	transparence	du	sujet	transcendantal,	mais
l’épaisseur	historique	et	institutionnelle	de	ce	qui	a	permis	l’émergence,	à	un	moment	donné,	d’un
objet,	d’un	savoir,	et	corrélativement	d’une	forme	de	pouvoir	sur	les	choses	sues.	L’intérêt	de	ce	texte
est	qu’il	modifie	l’impression	qu’un	lecteur	consciencieux	pourrait	avoir	de	l’œuvre	de	Foucault.
Alors	qu’elle	semble	tout	entière	consacrée	aux	mécanismes	d’objectivation	–	de	la	folie,	de	la
maladie,	de	l’homme,	du	délinquant	–,	elle	serait,	si	on	prend	Foucault	aux	mots,	aussi	bien	une
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analytique	de	la	subjectivation,	de	cette	façon	dont	un	sujet	se	constitue,	dans	son	rapport	à	soi-même
comme	dans	son	rapport	au	monde.	On	voit	bien	ce	que	veut	faire	Foucault	:	relire	son	travail	à	la
lumière	de	ce	qu’il	fait	depuis	finalement	peu	d’années,	une	étude	du	souci	de	soi	et	de	la	naissance	du
sujet	éthique.	Il	n’y	a	pas	de	malhonnêteté	ici,	seulement	l’envie	d’offrir	un	visage	à	peu	près
cohérent,	en	assumant	une	forme	de	révision	de	soi.
Une	histoire	des	jeux	de	la	vérité,	voilà	ce	qu’il	a	voulu	faire.	Cette	histoire	s’est	conçue	d’abord
comme	une	étude	de	«	la	constitution	du	sujet	tel	qu’il	peut	apparaître	de	l’autre	côté	d’un	partage
normatif	et	devenir	objet	de	connaissance	» 	:	Histoire	de	la	folie,	Naissance	de	la	clinique,	Surveiller
et	punir.	Elle	a	aussi	pris	la	forme	d’une	histoire	du	sujet	parlant,	travaillant,	vivant,	dans	le
mouvement	qui	le	fait	devenir	l’objet	des	sciences	humaines	:	Les	Mots	et	les	Choses.	Elle	a	enfin
choisi	d’être	histoire	de	la	constitution	du	sujet	comme	objet	pour	lui-même	:	L’Histoire	de	la
sexualité,	le	sexe	n’étant	qu’un	des	motifs,	ou	qu’un	des	lieux,	où	la	construction	d’une	éthique	de	soi
peut	se	lire.	Troisième	volet	de	l’œuvre	dit	Foucault,	qui	confirme	en	passant	le	statut	exceptionnel
des	Mots	et	les	Choses,	ouvrage	isolé	et	unique	dans	l’ensemble	de	son	travail.	Tous	ces	textes	ont	en
commun	de	manifester	«	un	scepticisme	systématique	à	l’égard	de	tous	les	universaux
anthropologiques	» 	;	de	refuser	l’idée	d’un	sujet	constituant	vers	lequel	il	faudrait	remonter	;
d’aborder	enfin	les	domaines	de	connaissance	par	les	pratiques	qui	s’y	donnent.	Un	premier	principe
qui	modifie	totalement	le	sens	même	de	la	vérité,	de	la	raison	ou	de	l’homme	qui	sont	des
constructions	historiques,	contingentes	mais	d’une	efficacité	totale	dans	la	fonction	qu’on	leur	octroie
dans	l’organisation	d’un	champ	de	savoir	ou	dans	la	légitimation	d’un	champ	de	pouvoir.	Un
deuxième	principe	qui	rejette	les	facilités	du	sujet	transcendantal,	mais	qui	écarte	aussi	la	fausse	idée
de	la	disparition	complète	de	tout	rapport	sujet-objet.	Un	troisième	principe	qui	annule	la	neutralité
des	processus	cognitifs	en	les	rattachant	à	des	procédures	politiques,	qui	en	sont	tout	à	la	fois	la	cause
et	l’effet.	Foucault	conclut	en	soulignant	l’importance	de	la	notion	de	gouvernement,	de	soi	et	des
autres,	dans	l’ensemble	de	son	travail	;	façon	de	réinterpréter	l’œuvre	de	jeunesse	à	partir	d’une
notion	très	récente	ou,	ce	qui	revient	au	même,	d’interpréter	les	recherches	ultimes	dans	la	continuité
de	la	pensée	antérieure.
Ainsi	présentée,	l’œuvre	de	Foucault	manifeste	une	belle	cohérence	et	semble	même	dérouler
élégamment	un	programme	parfaitement	stabilisé.	Cette	impression	est	le	produit	d’un	ensemble	de
petits	déplacements,	qui	relèvent	parfois	de	l’autoportrait,	souvent	de	l’autocritique,	quelquefois	aussi
de	la	dénégation,	notamment	quand	un	changement	de	programme	est	peint	comme	un
approfondissement	ou	une	suite	de	ce	qui	a	déjà	été	dit.
Les	Dits	et	Écrits,	plus	que	les	livres	publiés,	offrent	de	nombreuses	occurrences	de	ces	tentatives
de	reconstruction	de	soi.	L’Archéologie	du	savoir	fait	exception,	puisque	cet	ouvrage	n’a	pas	d’objet
propre	si	ce	n’est	de	systématiser	les	principes	utilisés	dans	les	textes	précédents,	c’est-à-dire	Histoire
de	la	folie,	Naissance	de	la	clinique	et	Les	Mots	et	les	Choses.	Dès	l’introduction ,	Foucault	admet	que
l’Histoire	de	la	folie,	en	utilisant	de	manière	peu	critique	le	concept	d’expérience,	laissait	supposer
l’existence	d’un	sujet	anonyme	de	l’histoire,	dont	il	montrera	ensuite	l’inanité	;	de	même	la	Naissance
de	la	clinique,	dans	son	vocabulaire,	penchait	nettement	vers	l’analyse	structurale	qu’il	rejettera	plus
tard	;	de	même	enfin	Les	Mots	et	les	Choses	ont	pu	faire	croire	à	la	position	de	totalités	culturelles,
alors	qu’il	voulait	justement	montrer	la	fragilité	de	cette	idée.	Foucault	reconnaît	donc,	dès	1969,	que
son	travail	mérite	d’être	révisé.
Cette	même	année	précisément,	Foucault	est	candidat	au	Collège	de	France,	et	il	est	donc	tenu	de
présenter	ses	propres	travaux,	en	tentant	bien	sûr	de	les	montrer	sous	un	aspect	avenant	et	si	possible
intellectuellement	harmonieux.	Il	entreprend	alors	d’identifier	l’objet	de	sa	pensée	:	«	le	savoir	investi
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dans	(des)	systèmes	complexes	d’institutions	» 	et	une	méthode	qui	lui	soit	propre	:	«	Au	lieu	de
parcourir,	comme	on	le	faisait	volontiers,	la	seule	bibliothèque	des	livres	scientifiques,	il	fallait	visiter
un	ensemble	d’archives	comprenant	des	décrets,	des	règlements,	des	registres	d’hôpitaux	ou	de
prisons,	des	actes	de	jurisprudence.	» 	Le	goût	du	petit,	de	l’obscur,	plutôt	que	la	litanie	des	grands
textes.	Foucault	précise	que	son	projet	a	subi	une	inflexion	notable	après	Naissance	de	la	clinique	:
alors	qu’il	s’attachait	à	l’articulation	entre	le	pouvoir	des	institutions	et	la	constitution	d’un	objet	de
savoir	dans	ses	deux	premiers	livres,	le	troisième,	soit	Les	Mots	et	les	Choses,	neutralise	«	tout	le
côté	pratique	et	institutionnel	» .	Il	ne	l’a	pas	dit	au	moment	où	il	a	écrit	ce	dernier	texte.	Il	le	dit	ici,
explicitant	ainsi	le	changement	d’optique	que	le	lecteur	avait	confusément	perçu.	En	indiquant	l’utilité
et	la	fonction	de	L’Archéologie	du	savoir,	Foucault	esquisse	le	troisième	axe	de	sa	recherche,	celle	qui
a	plus	intimement	lié	l’analyse	du	pouvoir	et	celle	du	savoir,	et	que	Surveiller	et	punir	va	mettre	en
œuvre.	Le	projet	d’enseignement	qui	suit	immédiatement	ce	portrait	rétrospectif	est	lui	aussi	bien
intéressant,	précisément	en	ce	que	presque	rien	de	ce	qui	est	annoncé	ne	va	être	réalisé.	Foucault
prévoit	une	histoire	de	l’hérédité	dont	il	parlera	certes	parfois	dans	ses	cours	mais	à	laquelle	il	ne
consacrera	aucun	livre.	Il	promet	aussi	une	étude	plus	théorique	portant	sur	les	instruments
constitutifs	de	ce	savoir	de	l’hérédité,	sur	sa	genèse	et	sur	les	rapports	de	causalité	qui	s’y	expriment,
ce	qu’il	fera	en	un	sens,	mais	pas	dans	le	cadre	prévu	ici.	Foucault	est	en	revanche	parfaitement
limpide	sur	la	visée	de	son	travail,	en	accord	même	avec	ce	qu’il	dit	dans	le	texte	de	1984	cité	plus
haut	:
«	Il	ne	s’agit	aucunement	de	déterminer	le	système	de	pensée	d’une	époque	définie,	ou	quelque
chose	comme	sa	“vision	du	monde”.	Il	s’agit	tout	au	contraire	de	repérer	les	différents	ensembles	qui
sont	porteurs	chacun	d’un	type	de	savoir	bien	particulier	;	qui	lient	des	comportements,	des	règles
de	conduite,	des	lois,	des	habitudes	ou	des	prescriptions	;	qui	forment	ainsi	des	configurations	à	la
fois	stables	et	susceptibles	de	transformation	;	il	s’agit	aussi	de	définir	entre	ces	différents	domaines
des	relations	de	conflit,	de	voisinage	ou	d’échange.	»
L’œuvre	se	dessine	ainsi,	dans	la	manière	même	par	laquelle	Foucault	la	corrige,	la	reprend,	la
critique,	en	explicite	même	l’objet,	demeuré	à	lui	parfois	invisible.	Aussi	reconnaît-il	dans	un
entretien	de	1971	qu’il	était	jusqu’à	L’Archéologie	du	savoir	aveugle	à	ce	qu’il	faisait .	Il	admet	par
exemple	que	l’Histoire	de	la	folie	était	encore	expressionniste,	qu’il	y	avait	un	peu	vite	cédé	à	la
croyance	en	une	répulsion	sociale	spontanée	à	l’égard	de	la	folie,	qu’il	avait	cru	aussi	en	une
continuité	entre	le	pouvoir	des	institutions	et	la	construction	d’un	savoir.	Il	fallait	–	réajustement	qui
aboutit	à	Surveiller	et	punir	–	revoir	la	façon	dont	s’articulent	«	des	pratiques	discursives	et	des
pratiques	extra-discursives	» .	Cette	autocorrection	permanente	dénote	une	relation	assez	lâche	avec
son	propre	travail	:	Foucault	ne	se	sent	pas	tenu	à	une	totale	fidélité	à	l’égard	de	ses	écrits	antérieurs.
Cette	liberté	lui	donne	de	se	reprendre	lui-même	si	nécessaire,	de	se	renier	quand	il	constate	qu’il
s’est	trompé.	Il	va	jusqu’à	dire,	peut-être	sur	le	ton	de	la	boutade	:
«	Je	pense	pour	oublier.	Tout	ce	que	j’ai	dit	dans	le	passé	est	absolument	sans	importance.	On
écrit	quelque	chose	quand	on	l’a	déjà	fortement	usé	dans	sa	tête	;	la	pensée	exsangue,	on	l’écrit,
voilà.	Ce	que	j’ai	écrit	ne	m’intéresse	pas.	»
Si	on	s’attache	à	désigner	la	principale	modification	que	Foucault	va	apporter	à	son	travail,	les
choses	se	clarifient	peu	à	peu.	Son	itinéraire	peut	alors	être	lu	comme	la	découverte	progressive	des
effets	de	pouvoir	propres	au	jeu	énonciatif	des	formations	discursives .	Il	aurait	fallu,	dit	Foucault,
réécrire	l’Histoire	de	la	folie	et	Naissance	de	la	clinique	en	insistant	sur	le	rapport	de	causalité	entre
savoir	et	pouvoir,	alors	que	ces	textes	s’appuient	plutôt	sur	le	rapport	inverse,	en	constituant	ainsi	un
système	de	causalité	réciproque	;	il	aurait	fallu	aussi	réécrire	Les	Mots	et	les	Choses	en	renonçant	à	la
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neutralisation	du	pouvoir	qui	s’y	trouve	affirmée.
Dès	le	début	des	années	1970,	Foucault	admet	donc,	non	qu’il	s’est	trompé,	mais	qu’il	ne	savait	pas
lui-même	ce	qu’il	faisait.	Dit	autrement	:	il	se	serait	depuis	toujours	principalement	intéressé	au
pouvoir,	alors	même	que	ses	livres	parlaient	du	savoir.	Et	on	peut	corriger	un	peu	ce	que	nous	venons
d’écrire	:	il	ne	faut	pas	réécrire	les	premiers	livres,	il	faut	les	relire	à	la	lumière	de	ce	que	l’œuvre
ultérieure	va	dire,	un	peu	comme	Foucault	le	faisait	en	réinterprétant	tout	son	travail	à	la	lumière	des
concepts	de	subjectivation	et	de	gouvernementalité	dans	son	autoportrait	de	1984.	Les	Mots	et	les
Choses	résiste	à	cette	réinterprétation,	puisqu’il	est	plus	difficile	d’y	voir	à	l’œuvre	des	procédures	de
pouvoir.	De	manière	générale,	le	livre,	peut-être	le	plus	lu	et	le	plus	célèbre	de	Foucault,	est	le	moins
représentatif	du	projet	foucaldien	et	son	goût	pour	les	expériences	limites.	Il	le	dit	d’ailleurs	sans
ambages	:	«	Les	Mots	et	les	Choses	n’est	pas	mon	vrai	livre	:	c’est	un	livre	marginal	par	rapport	à
l’espèce	de	passion	qui	est	à	l’œuvre,	qui	sous-tend	les	autres.	»
Les	années	1980,	avant	même	le	texte	dont	nous	étions	parti,	tentent	d’expliciter	l’articulation
générale	du	propos,	d’autant	que	l’Histoire	de	la	sexualité	semble	présenter	une	rupture	assez	nette
avec	l’œuvre	antérieure.	Foucault	paraît	hésiter,	dans	ces	années-là,	entre	deux	modèles.	Selon	le
premier,	son	travail	peut	se	diviser	en	trois	parties,	«	d’abord	les	différents	modes	d’investigation	qui
cherchent	à	accéder	au	statut	de	science	» 	;	ensuite	«	l’objectivation	du	sujet	dans	ce	que
j’appellerai	les	“pratiques	divisantes”	» 	;	enfin	«	la	manière	dont	un	être	humain	se	transforme	en
sujet	» .	Dans	cette	partition,	Les	Mots	et	les	Choses	constitue	le	premier	volet,	l’Histoire	de	la	folie,
la	Naissance	de	la	clinique	et	Surveiller	et	punir	en	sont	le	second,	et	l’Histoire	de	la	sexualité	en
incarne	le	troisième.	Partition	pas	exactement	chronologique,	et	qui	ne	marque	pas	l’inflexion	vers
une	analyse	du	pouvoir	que	Foucault	souligne	partout	ailleurs.	Le	second	modèle	est	peut-être	à	cet
égard	plus	satisfaisant,	et	plus	fidèle	à	la	singularité	de	l’Histoire	de	la	folie,	tout	en	marginalisant	à
nouveau	Les	Mots	et	les	Choses,	ouvrage	qui	n’est	même	pas	mentionné,	même	si	on	peut	le
rapprocher	du	second	axe	ici	décrit	:
«	Il	y	a	trois	domaines	de	généalogies	possibles.	D’abord,	une	ontologie	historique	de	nous-mêmes
dans	nos	rapports	à	la	vérité	qui	nous	permet	de	nous	constituer	en	sujets	de	connaissance	;	ensuite,
une	ontologie	historique	de	nous-mêmes	dans	nos	rapports	à	un	champ	du	pouvoir	où	nous	nous
constituons	en	sujets	en	train	d’agir	sur	les	autres	;	enfin,	une	ontologie	historique	de	nos	rapports	à
la	morale	qui	nous	permet	de	nous	constituer	en	agents	éthiques.	Donc	trois	axes	sont	possibles	pour
une	généalogie.	Tous	les	trois	étaient	présents,	même	d’une	manière	un	peu	confuse,	dans	l’Histoire
de	la	folie.	J’ai	étudié	l’axe	de	la	vérité	dans	Naissance	de	la	clinique	et	dans	L’Archéologie	du
savoir.	J’ai	développé	l’axe	du	pouvoir	dans	Surveiller	et	punir	et	l’axe	moral	dans	l’Histoire	de	la
sexualité.	»
Présentation	honnête	:	l’Histoire	de	la	folie	est	en	effet	un	livre	hybride	qui	mêle	sans	méthode	la
genèse	du	concept	de	folie,	l’histoire	de	son	traitement	institutionnel	et	même	–	ce	que	Foucault	dit
rarement	–	une	étude	de	la	subjectivité	;	seul	Surveiller	et	punir	est	vraiment	une	ontologie	du
pouvoir	;	enfin	l’Histoire	de	la	sexualité	est	bien	une	nouvelle	direction	prise	par	l’ontologie,	même
si,	nous	le	verrons,	La	Volonté	de	savoir	peut	aussi	bien	s’entendre	comme	un	prolongement	de	la
démarche	de	Surveiller	et	punir.
Restons-en	là	pour	ce	qui	est	de	l’autoportrait,	nous	en	préciserons	au	cas	par	cas	les	éventuelles
incohérences	et	peut-être	même	les	mensonges.	Ajoutons	simplement	ici	cet	élément	qui	vient	encore
compliquer	les	choses	:	Foucault	n’a	cessé	d’annoncer	des	projets	de	recherche	rapidement
abandonnés,	comme	si	au	fond	il	n’accordait	que	peu	de	poids	à	l’engagement	de	sa	propre	parole.
En	1964,	Foucault	affirme,	comme	s’il	allait	le	faire	lui-même,	qu’il	faudrait	étudier	le	domaine
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des	interdits	de	langage 	–	ce	qu’approche	certes,	mais	de	loin,	La	Volonté	de	savoir	;	en	1966,	il	dit
travailler	sur	les	formes	d’existence	du	langage,	sans	qu’on	sache	exactement	ce	dont	il	s’agit .	Plus
important,	et	nous	en	reparlerons	:	le	projet	initial	d’une	Histoire	de	la	sexualité	va	se	trouver
totalement	bouleversé	par	l’ampleur	donnée	à	son	volet	antique,	qui	ne	devait	en	constituer	que	le
préliminaire.	On	peut	même	considérer	que	l’attention	à	la	sexualité,	centrale	dans	La	Volonté	de
savoir,	va	laisser	la	place	à	une	analyse	beaucoup	plus	large	des	modes	de	la	subjectivation	éthique.
Foucault,	toujours	aussi	lucide	sur	ce	point,	admet	qu’il	a	un	problème	avec	les	titres	et	les	annonces,
et	qu’il	y	a	un	jeu,	un	flottement,	entre	ce	que	promet	le	titre	et	ce	qu’il	va	effectivement	faire	:
«	Il	est	vraisemblable	que	les	ouvrages	que	j’écris	ne	correspondent	pas	exactement	aux	titres	que
j’ai	donnés.	C’est	une	maladresse	de	ma	part,	mais	lorsque	je	choisis	un	titre,	je	le	garde.	J’écris	un
livre,	je	le	refais,	je	trouve	de	nouvelles	problématiques,	mais	le	livre	reste	avec	son	titre.	»
Boitement	des	textes,	hésitation	des	structures,	équilibre	fragile	d’une	œuvre	qui	a	tendance	à	se
déconstruire	d’elle-même .	«	Je	suis	pluraliste	» ,	dit	Foucault,	et	il	faut	le	prendre	au	mot.	Plus
d’une	voix	s’exprime	dans	son	travail,	et	il	n’est	pas	dit	qu’il	faille	rechercher	l’unisson	ni	même
l’harmonie	dans	le	faisceau	des	recherches	qu’il	a	essayé	de	mener.	Seul	importe	peut-être	ce	que	font
les	livres,	ce	qu’ils	changent	dans	la	pensée	et	dans	l’action.
L’abolition	du	nom	propre
Foucault	écrit	des	livres,	il	ne	fait	pas	une	œuvre.	Plus	précisément	:	il	n’est	pas	l’auteur	de	textes,
mais	le	destinateur	–	le	mot	est	de	Lyotard	–	d’un	discours,	ainsi	défini	dans	la	courte	préface	de	la
deuxième	édition	de	l’Histoire	de	la	folie	:
«	(…)	à	la	fois	bataille	et	arme,	stratégie	et	choc,	lutte	et	trophée	ou	blessure,	conjonctures	et
vestiges,	rencontre	irrégulière	et	scène	répétable.	»
La	pensée	de	Foucault	récupère	pour	elle-même	tout	ce	qu’elle	dit	des	formations	discursives,	qui
ne	sont	jamais	de	pures	idéologies	ni	de	pures	abstractions	conceptuelles,	mais	toujours	l’unité
théorico-active	d’un	dispositif	de	savoir	et	d’une	mécanique	de	pouvoir.	Foucault	veut	bien	être
qualifié	d’écrivain,	et	il	répète	souvent	qu’il	écrit	pour	le	plaisir	d’écrire 	;	il	veut	bien	aussi
revendiquer	la	responsabilité	de	l’effet	de	ses	livres,	et	ce	n’est	pas	sans	orgueil	qu’il	constatera	que
certains	de	ses	ouvrages,	notamment	Surveiller	et	punir,	ont	eu	un	impact	politique	réel .	Mais	il	ne
conçoit	pas	d’être	assigné	à	la	fonction	d’auteur.
On	peut	entendre	en	un	double	sens	ce	refus.	Tout	d’abord,	il	dénote	une	grande	réticence	à	l’égard
de	l’identité,	de	tout	enfermement	policier	dans	la	forme	du	nom	propre,	qui	exigerait,	au	nom	du
système,	de	ne	jamais	se	contredire,	évoluer,	renoncer	à	des	projets	ou	à	des	programmes.	Le	nom	de
l’auteur	serait	une	façon	d’objectiver	et	de	maîtriser	son	travail,	empêchant	ce	qui	est	pour	Foucault
l’essence	même	de	l’effort	intellectuel	:	écrire	pour	se	changer	soi-même .
À	la	fin	de	l’introduction	de	L’Archéologie	du	savoir,	Foucault	oppose	ainsi	à	ses	éventuels
détracteurs,	qui	se	plaindraient	de	ses	incessants	changements	de	pied,	de	ses	déplacements	et	de	ses
repentirs,	qu’ils	n’ont	pas	à	lui	demander	d’être	auteur.	Le	propos	est	resté	fameux,	pour	sa	virulence
et	l’acuité	de	son	style	:
«	Eh	quoi,	vous	imaginez-vous	que	je	prendrais	à	écrire	tant	de	peine	et	tant	de	plaisir,	croyez-
vous	que	je	m’y	serais	obstiné,	tête	baissée,	si	je	ne	préparais	–	d’une	main	un	peu	fébrile	–	le
labyrinthe	où	m’aventurer,	déplacer	mon	propos,	lui	ouvrir	des	souterrains,	l’enfoncer	loin	de	lui-
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même,	lui	trouver	des	surplombs	qui	résument	et	déforment	son	parcours,	où	me	perdre	et	apparaître
finalement	à	des	yeux	que	je	n’aurais	jamais	plus	à	rencontrer.	Plus	d’un,	comme	moi	sans	doute,
écrivent	pour	n’avoir	plus	de	visage.	Ne	me	demandez	pas	qui	je	suis	et	ne	me	dites	pas	de	rester	le
même	:	c’est	une	morale	d’état-civil	;	elle	régit	nos	papiers.	Qu’elle	nous	laisse	libres	quand	il
s’agit	d’écrire.	»
Foucault	va	pousser	ce	refus	de	l’auteur	jusqu’à	exiger	du	Monde,	tout	en	acceptant	le	principe	d’un
entretien,	que	son	nom	ne	soit	pas	mentionné.	Le	quotidien	publie	donc,	en	février	1980,	l’entretien	en
question,	sous	le	titre	«	Le	philosophe	masqué	».	Foucault	y	répond	aux	questions	de	Christian
Delacampagne,	en	s’efforçant	d’effacer	réellement	toute	trace	d’identité.	Peu	de	lecteurs	purent
l’identifier,	ce	qui,	aux	yeux	de	Foucault,	garantissait	que	son	propos	ne	soit	pas	pollué	par	sa
célébrité,	et	son	statut,	à	l’époque	acquis,	de	grand	intellectuel	français.	Peu	importe	pour	le	moment
le	contenu	de	ce	texte	:	Foucault	y	tente	de	se	glisser	dans	l’anonymat	d’une	pensée	qui	fonctionnerait
en	lui,	par	sa	bouche	certes,	mais	indépendamment	de	son	identité	sociale	et	professionnelle.	Il	n’est
pas	dupe	du	caractère	un	peu	vain	de	l’exercice,	mais	il	semble	toutefois	y	tenir,	reprenant	ici	en
mode	mineur	la	belle	affirmation	qui	ouvre	sa	leçon	inaugurale	au	Collège	de	France	–	nous	y
reviendrons	:
«	Plutôt	que	de	prendre	la	parole,	j’aurais	voulu	être	enveloppé	par	elle,	et	porté	bien	au-delà	de
tout	commencement	possible.	J’aurais	aimé	m’apercevoir	qu’au	moment	de	parler	une	voix	sans	nom
me	précédait	depuis	longtemps	:	il	m’aurait	suffi	alors	d’enchaîner,	de	poursuivre	la	phrase,	de	me
loger,	sans	qu’on	y	prenne	bien	garde,	dans	ses	interstices,	comme	si	elle	m’avait	fait	signe	en	se
tenant,	un	instant,	en	suspens.	»
Foucault,	en	ne	se	voulant	pas	auteur,	ne	se	contente	pas	d’être	modeste.	Il	tire	toutes	les
conséquences	de	la	disparition	de	certains	modes	d’assignation	qui	ont	eu	leur	temps,	voire	leur
légitimité,	mais	qui	n’ont	plus	lieu	d’être.	La	fonction-auteur	ne	fonctionne	plus,	comme	la	fonction-
homme	tend	à	disparaître,	la	fonction-fou	à	ne	plus	servir,	ou	la	fonction-délinquant	à	ne	plus
garantir	la	justice	d’un	système.	Le	philosophe,	à	chaque	fois	qu’il	écrit,	est	pris	dans	une	formation
discursive,	y	compris	quand	celle-ci	a	pour	objet	de	souligner	la	contingence	de	cette	formation
discursive.	On	retrouve	ici	l’une	des	constantes	les	plus	tenaces	de	la	philosophie	française	dans	ce
qu’elle	a	de	meilleur	:	une	attention	à	ne	pas	exempter	le	discours	de	la	philosophie	de	la	dureté	de	la
critique.	C’est	Derrida	faisant	porter	ses	coups	les	plus	durs	à	la	métaphysique	dont	il	dit	être
amoureux,	et	redoubler	encore	de	cruauté	face	à	la	critique	de	la	métaphysique .	C’est	Lévi-Strauss,
en	un	tout	autre	registre,	qui	conclut	L’Homme	nu	en	prenant	acte	de	la	mort	du	sujet,	en	même	que
celle	de	l’auteur	qui	croit	résister	encore	:
«	S’il	est,	en	effet,	une	expérience	intime	dont	vingt	années	vouées	à	l’étude	des	mythes	ont
pénétré	celui	qui	écrit	ces	lignes,	elle	réside	en	ceci	que	la	consistance	du	moi,	souci	majeur	de	toute
la	philosophie	occidentale,	ne	résiste	pas	à	son	application	continue	au	même	objet	qui	l’envahit
tout	entier	et	l’imprègne	du	sentiment	vécu	de	son	irréalité.	»
Si	le	Moi	de	l’auteur	peut	intervenir,	ce	n’est	qu’au	terme	d’une	entreprise	scientifique	dont	il	aura
été	délibérément	et	absolument	exclu,	son	intervention	se	limitant	à	commenter	le	travail	effectué .
Contre	la	philosophie,	dit	Lévi-Strauss,	le	structuralisme	préférera	toujours	une	rationalité	sans	sujet
à	un	sujet	sans	rationalité,	refuge	d’une	identité	personnelle	dont	tout	nous	dit	qu’elle	n’est	qu’un
mirage .	On	pourra	donc	sans	regret	laisser	le	sujet	à	ceux	qui	ne	font	pas	honneur	à	l’exigence
scientifique,	et	lui	préférer	une	tout	autre	logique	dont	la	puissance	explicative	justifie	largement
qu’on	lui	sacrifie	le	confort	d’une	subjectivité	artificiellement	préservée,	un	empire	dans	un	empire.
Certes	Foucault,	en	refusant	obstinément	qu’on	le	dise	structuraliste,	ne	souscrirait	pas	sans	réserve	à
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un	tel	propos,	notamment	dans	sa	dimension	ouvertement	positiviste.	Mais	il	accepterait	bien
volontiers	de	voir	la	subjectivité	de	l’auteur	reconduite	à	sa	juste	place,	conséquence	naturelle	de	la
ferme	position	de	la	dépendance	d’une	pensée	individuelle	à	l’égard	de	ce	qui	la	sous-tend.
Questions	de	méthode
La	méthode	que	nous	avons	choisie,	dans	un	ouvrage	qui	se	veut	une	présentation	aussi
pédagogique	et	fidèle	que	possible	de	l’œuvre	de	Foucault,	doit	s’adapter	à	sa	singularité,	à	son
éclatement	spécifique,	à	la	pluralité	des	langues	qui	s’y	donnent.	Une	approche	purement	thématique
ne	rendrait	pas	compte	des	évolutions	d’une	pensée	qui,	on	l’a	vu,	refuse	de	se	concevoir	elle-même
comme	définitive.	Un	récit	chronologique	reconstituerait	artificiellement	la	cohérence	du	corpus	en
présentant	le	travail	de	Foucault	comme	une	succession	finalisée	de	moments	bien	ordonnés.	À	cette
double	impasse,	il	convient	d’échapper	en	adoptant	nous-même	une	démarche	éclatée,	qui	obéira	à
quatre	angles	d’attaque,	d’inégale	importance.
En	premier	lieu	–	les	textes.	Ou	plutôt	des	textes,	choisis	et	commentés	intégralement,	comme	des
formes	autonomes	relativement	indépendantes	à	l’égard	de	l’ensemble	de	la	pensée	foucaldienne,	et
répartis	au	long	de	la	vie	d’écrivain	de	Michel	Foucault.	L’introduction	au	Rêve	et	l’existence	de
Binswanger,	écrit	mineur,	datant	de	1954,	mais	aussi	inaugural,	et	qui	ouvre	les	Dits	et	Écrits	;
L’Ordre	du	discours,	comme	un	intermède	professoral,	dressant	bilan	et	perspective	au	mitan	de
l’œuvre,	en	1971	;	enfin	Qu’est-ce	que	les	Lumières	?,	en	1984,	quelques	semaines	avant	la	mort	de
Foucault,	un	texte	qui	tente	de	légitimer	a	posteriori	l’entreprise	d’une	existence.
En	deuxième	lieu	–	les	hommes.	Ou	plutôt	les	philosophes,	avec	lesquels	Foucault	a	dialogué,	qu’il
a	admirés	ou	combattus.	Choix	arbitraire	peut-être,	mais	dont	nous	tâcherons	de	montrer	la
signification	:	Derrida	d’abord,	le	contemporain,	le	proche	et	le	lointain,	avec	qui	la	controverse	fut	à
la	fois	dure	et	utile	;	Kant	ensuite,	figure	respectée	et	source	partielle	d’inspiration,	objet	constant
d’une	attention	fidèle	et	amoureuse	;	Nietzsche	enfin,	le	maître,	celui	dont	la	pensée	aura	le	plus
constamment	nourri	la	réflexion	de	Foucault.
En	troisième	lieu	–	les	personnages.	Des	hommes	certes,	mais	aussi	des	moments	historiques,	des
fonctions,	des	rôles	prêtés,	des	classes	instituées.	C’est	le	fou	apparaissant	à	la	fin	du	XVIII 	comme
visage	obscur	de	l’humanité	;	c’est	l’homme	qui,	au	même	moment,	émerge	comme	point	focal	de
nouvelles	positivités	qu’il	faut	articuler	;	c’est	le	délinquant,	création	de	la	pénalité,	ou	de	la	forme-
prison,	qui	justifie	par	lui	son	hégémonisme	et	la	résistance	qu’elle	offre	au	temps,	malgré	son
inefficacité	évidente.
En	quatrième	lieu	–	les	dispositifs.	Des	systèmes	complexes	de	concepts,	de	choix
méthodologiques,	d’inventions	et	de	créations,	qui	permettent	à	l’œuvre	de	fonctionner	en	adéquation
avec	les	domaines	historiques	qu’elle	se	donne	pour	objets.	Le	dispositif	ontologique	qui,	appliqué	à
l’actualité,	constitue	le	contenu	de	la	philosophie	pour	Foucault	;	le	dispositif	historique	qui	institue
une	façon	neuve	de	comprendre	la	rationalité	;	le	dispositif	archéologique	qui	révèle	les	modes	les
plus	épais	et	les	plus	denses	de	la	vérité	en	son	historicité	;	le	dispositif	généalogique	qui	structure
l’analytique	des	pouvoirs	;	le	dispositif	éthique	qui	apparaît	progressivement	dans	l’étude	du	rapport
à	soi	;	le	dispositif	politique	finalement,	qui	permet	l’effet	libérateur	de	l’ensemble	des	autres
dispositifs.
Puisqu’il	fallait	tout	de	même	un	principe	d’ordre,	nous	avons	choisi	de	donner	plus	d’ampleur	à
l’analyse	des	dispositifs,	et	de	les	faire	correspondre,	à	l’exception	du	premier	et	du	dernier	d’entre
eux,	aux	plus	grands	livres	de	Foucault	:	l’Histoire	de	la	folie,	Les	Mots	et	les	Choses,	Surveiller	et
e
punir	et	les	trois	volumes	de	l’Histoire	de	la	sexualité.
1-	Michel	Foucault,	Dits	et	Écrits	II,	Paris,	Quarto-Gallimard,	2001,	p.	1451.	Toutes	les	références	aux	Dits	et	Écrits	seront	ci-après
indiquées	par	un	DE	I	ou	un	DE	II,	suivant	le	volume	concerné.
2-	Ibid.,	p.	1452.
3-	Ibid.,	p.	1453.
4-	Cf.	Michel	Foucault,	L’Archéologie	du	savoir,	Paris,	Gallimard,	1969,	pp.	26-27.
5-	DE	I,	p.	870.
6-	Id.
7-	Ibid.,	p.	871.
8-	Ibid.,	p.	874
9-	Cf.	Ibid.,	p.	1026	:	«	Disons	que,	dans	l’Histoire	de	la	folie	et	dans	la	Naissance	de	la	clinique,	j’étais	encore	aveugle	à	ce	que	je
faisais.	Dans	Les	Mots	et	les	Choses,	un	œil	était	ouvert	et	l’autre	fermé	;	d’où	le	caractère	boiteux	du	livre	:	en	un	certain	sens	trop
théorique,	et	en	un	autre	sens	insuffisamment	théorique.	»
10-	Ibid.,	p.	1031.
11-	Ibid.,	p.	1173.
12-	Michel	Foucault,	DE	II,	p.	144	:	«	Mais	ce	qui	manquait	à	mon	travail,	c’était	ce	problème	du	régime	discursif,	des	effets	de
pouvoir	propre	au	jeu	énonciatif.	Je	les	confondais	beaucoup	trop	avec	la	systématicité,	la	forme	théorique	ou	quelque	chose	comme	le
paradigme.	»
13-	Ibid.,	p.	886.
14-	Ibid.,	p.	1042.
15-	Id.
16-	Id.
17-	Ibid.,	p.	1212.
18-	Cf.	DE	I,	p.	444.
19-	Cf.	ibid.,	p.	612.
20-	DE	II,	p.	1523.
21-	Le	choix	de	ce	terme	n’est	pas	anodin.	La	diversité	des	axes	de	l’œuvre	de	Foucault	n’est	pas	sans	rappeler	le	«	plus	d’une
langue	»	par	lequel	Derrida	définit	la	déconstruction.	La	dissémination	des	langages,	l’absence	du	monolinguisme	empêchent	toute
assignation,	et	Foucault,	malgré	tout	ce	qu’il	a	à	opposer	à	Derrida,	est	bien,	dans	son	refus	du	statut	de	l’auteur,	proche	de	cette	idée.	Cf.
Jacques	Derrida,	Mémoires	–	Pour	Paul	De	Man,	Paris,	1988,	p.	38	et	aussi,	dans	son	Prière	d’insérer,	Le	monolinguisme	de	l’autre,
Paris,	Galilée,	1996.
22-	DE	I,	p.	702.
23-	Michel	Foucault,	Histoire	de	la	folie	à	l’âge	classique,	Paris,	Tel-Gallimard,	1972,	p.	10.
24-	Cf.	DE	I,	p.	1513	:	«	Il	faut	souligner	que	je	ne	souscris	pas	sans	restrictions	à	ce	que	j’ai	dit	dans	mes	livres…	Au	fond,	j’écris
pour	le	plaisir	d’écrire.	»
25-	Cf.	ibid.,	p.	1588	:	«	Tous	mes	livres,	que	ce	soit	l’Histoire	de	la	folie	ou	celui-là	(Surveiller	et	punir),	sont,	si	vous	voulez,	de
petites	boîtes	à	outils.	Si	les	gens	veulent	bien	les	ouvrir,	se	servir	de	telle	phrase,	telle	idée,	telle	analyse	comme	d’un	tournevis	ou	d’un
desserre-boulon	pour	court-circuiter,	disqualifier,	casser	les	systèmes	de	pouvoir,	y	compris	éventuellement	ceux-là	mêmes	dont	mes
livres	sont	issus…	eh	bien,	c’est	tant	mieux	!	»
26-	Cf.	DE	II,	p.	861	:	«	Je	suis	un	expérimentateur	et	non	pas	un	théoricien.	J’appelle	théoricien	celui	qui	bâtit	un	système	général	soit
de	déduction,	soit	d’analyse,	et	l’applique	de	façon	uniforme	à	des	champs	différents.	Ce	n’est	pas	mon	cas.	Je	suis	un	expérimentateur	en
ce	sens	que	j’écris	pour	me	changer	moi-même	et	ne	plus	penser	la	même	chose	qu’auparavant.	»
27-	L’Archéologie	du	savoir,	op.	cit.,	p.	28.
28-	Michel	Foucault,	L’Ordre	du	discours,	Paris,	Gallimard,	1971,	p.	7.
29-	On	remarquera	par	ailleurs	que	Derrida	critique	lui	aussi	l’idée	du	nom	propre	et	de	la	signature,	en	indiquant	en	quoi	son	identité
est	toujours	déjà	marquée	par	des	processus	d’éclatement	et	de	dissémination.	Cf.	Jacques	Derrida,	Marges	de	la	philosophie,	Paris,
Minuit,	1972,	p.	392.
30-	Claude	Lévi-Strauss,	L’Homme	nu,	Paris,	Plon,	1971,	p.	559.
31-	Cf.	ibid.,	p.	562.
32-	Cf.	ibid.,	p.	614.
Prologue
L’imagination	au	pouvoir
	(Introduction	au	Rêve
	et	l’existence
	de	Binswanger,	1954)
1954.	FOUCAULT	EST	ASSISTANT	de	psychologie	à	Lille	et	répétiteur	en	philosophie	à	l’École	normale
supérieure	de	la	rue	d’Ulm.	Conformément	à	cette	double	orientation	de	son	travail,	il	se	consacre,
depuis	déjà	plusieurs	années,	à	la	psychologie	expérimentale,	tout	en	lisant,	semble-t-il	avec	passion,
Nietzsche,	Heidegger,	Marx,	Hegel	et	Freud.	En	1953,	Lacan	a	prononcé	son	célèbre	discours	de
Rome,	«	Fonction	et	champ	de	la	parole	et	du	langage	en	psychologie	»,	et	Deleuze	a	publié
Empirisme	et	subjectivité,	dédié	à	Jean	Hyppolite,	à	qui	Foucault	rend	lui	aussi	un	hommage	appuyé,
bien	plus	tard,	à	la	fin	de	sa	leçon	inaugurale	au	Collège	de	France.	Dans	le	domaine	de	la
psychologie,	un	auteur	occupe	une	place	singulière.	Il	s’agit	de	Binswanger	(1881-1966)	qui	a	tenté
d’introduire	l’analytique	du	Dasein,	élaborée	par	Heidegger,	dans	l’exercice	de	la	psychanalyse.
Foucault	le	lit,	traduit	certains	de	ses	articles,	sans	les	publier	cependant,	puis	se	lance	dès	juin	1953
dans	la	traduction	intégrale	de	Traum	und	Existenz,	le	texte	fondateur	de	ce	qu’on	appellera	désormais
la	psychiatrie	existentielle.	En	1954	donc,	en	même	temps	que	Maladie	mentale	et	personnalité,	paraît
le	résultat	de	ce	travail,	précédé	d’une	longue	introduction,	reprise	aujourd’hui	en	ouverture	du
premier	volume	des	Dits	et	Écrits.
Il	serait	très	exagéré	et	même	absurde	de	considérer	ce	texte	de	jeunesse	comme	la	matrice	des
futurs	ouvrages	ou	l’esquisse	de	thèses	encore	implicites.	Mais	au	détour	de	ce	qui	se	veut
commentaire	fidèle	s’élabore	déjà	une	compréhension	du	jeu	entre	contingence	et	nécessité,	si
prégnant	dans	l’analyse	archéologique	des	formations	discursives,	un	jeu	ici	pensé	à	l’intérieur	d’une
forme	assez	étrange	de	phénoménologie	de	l’imagination.
Avant	de	lire	en	leur	détail	ces	pages	lumineuses	où	s’annonce	une	anthropologie	de	l’expression	–
	définie	comme	le	mouvement	de	l’existence	s’accomplissant	dans	une	histoire	objective	–,	arrêtons-
nous	quelque	peu	sur	certaines	des	affirmations	de	Foucault,	disséminées	dans	l’ensemble	de
l’Introduction,	qui	pourraient	être	lues	à	la	lumière	de	l’œuvre	à	venir.
Foucault	prend	acte	de	la	validité	de	la	démarche	de	Binswanger	:	faire	une	anthropologie	qui	ne
serait	ni	une	philosophie	ni	une	psychologie.	L’analyse	du	rêve	de	Binswanger	s’appuie	bien	entendu
largement	sur	les	acquis	de	l’ontologie	heideggerienne,	celle	d’Être	et	Temps	principalement	:	mais
elle	est	aussi	bien	tributaire	du	geste	freudien	qui	a	donné	aux	phénomènes	empiriques	d’être
signifiants,	manifestations	des	structures	plus	générales	de	l’inconscient.	Le	rêve,	et	en	lui	les	images,
acquièrent	une	épaisseur	–	terme	dont	Foucault	fera	grand	usage	par	la	suite	–,	fournissant	à	la
psychanalyse	son	objet	privilégié.	Commentant	la	synthèse	que	Binswanger	accomplit	dans	Le	Rêve	et
l’Existence,	Foucault	fait	se	succéder	une	brève	histoire	des	traitements	psychanalytiques	de	l’image
et	une	lecture	des	Recherches	logiques	de	Husserl.	La	psychanalyse	a	compris	que	l’image	était	lieu	de
sens	mais	sans	dire	pourquoi	un	sens	devait	précisément	se	dire	en	images	;	la	phénoménologie,
quant	à	elle,	«	est	parvenue	à	faire	parler	les	images	;	mais	elle	n’a	donné	à	personne	la	possibilité
d’en	comprendre	le	langage	».
Voilà	le	problème	de	Binswanger.	Ou	plutôt,	comme	Foucault	le	reconnaît	:	voilà	la	reconstruction
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du	moment	Binswanger,	à	la	croisée	de	certaines	découvertes	et	d’échecs	avérés.	Spatialisation	de
l’histoire	des	idées,	dramaturgie	fictive	destinée	à	marquer	les	ruptures,	à	souligner	aussi	tout	à	la
fois	la	nécessité	d’un	problème	et	la	contingence	de	la	solution	proposée.	On	peut	reprocher	à
Foucault	son	peu	de	respect	pour	la	genèse	d’une	thèse	ou	d’une	idée.	Il	répond	ici,	comme	il	le	fera	à
chaque	fois	qu’on	attaquera	les	artifices	de	sa	méthode	:
«	Ce	grief	nous	est	de	peu	de	poids	;	parce	que	nous	avons	la	faiblesse	de	croire	à	l’histoire,	même
quand	il	s’agit	de	l’existence.	Nous	ne	sommes	pas	soucieux	de	présenter	une	exégèse	mais	de
dégager	un	sens	objectif.	»
L’intérêt	de	Binswanger	est	de	renouer,	mais	en	y	intégrant	la	psychanalyse	et	la	phénoménologie,
avec	une	compréhension	du	rêve	en	termes	de	théorie	de	la	connaissance,	née	en	même	temps	que
l’onirocritique	antique,	et	qui	trouve	l’une	de	ses	plus	belles	figures	dans	l’analyse	spinoziste	des
images	prophétiques.	Le	rêve,	c’est	là	son	péril,	c’est	là	sa	gloire,	est	ce	qui	est	l’homme,	désigne	son
«	être	transcendé	» ,	marque	d’une	vérité	qui	le	dépasse	et	qui	demeure	pour	lui	définitivement
insaisissable.	Mais	il	est	aussi,	autre	forme	de	dépassement,	une	façon	d’expérimenter	l’existence	en
ses	possibilités,	avant	qu’elle	ne	se	détermine	dans	l’univers	de	l’objectivité.	Ce	faisant,	Binswanger
rend	possible	une	anthropologie	de	l’expression,	dont	nous	croyons	pouvoir	dire	qu’elle	va	se
réaliser	partiellement	chez	Foucault.	Non	pas	ramener	l’existence	à	ses	déterminations	inconscientes
ou	économiques,	ni	même	à	une	structure	figée	qui	en	dessinerait	a	priori	le	visage,	mais	comprendre
comment	d’un	éventail	de	possibilités	émane	un	type	particulier	de	vie,	marqué	alors	du	sceau	de	la
nécessité.
Dans	le	langage	encore	lyrique	de	1954	:
«	Il	ne	peut	en	effet	s’agir	de	ramener	les	structures	d’expression	au	déterminisme	des	motivations
inconscientes,	mais	de	pouvoir	les	restituer	tout	au	long	de	cette	ligne	selon	laquelle	se	meut	la
liberté	humaine.	»
Ou	dans	les	mots	de	1984	:	l’exigence	d’un	travail	intellectuel	portant	sur	nos	limites,	c’est-à-dire
«	un	labeur	patient	qui	donne	forme	à	l’impatience	de	la	liberté	».
L’articulation	entre	le	possible	et	le	réel,	entre	ce	qui	demeure	dans	l’indétermination	d’une
manifestation	éventuelle	et	ce	qui	va	prendre	le	caractère	destinal	d’une	réalisation	effective,	apparaît
dans	les	dernières	pages	de	l’Introduction,	quand	Foucault,	polémiquant	avec	le	Sartre	de
L’Imaginaire,	va	proposer,	chose	rare	chez	lui,	une	analyse	strictement	phénoménologique	de
l’imagination.	Rien	d’archéologique	ici.	Mais	de	manière	très	significative,	Foucault	croit	dépasser
déjà	l’anthropologie,	et	s’orienter	vers	une	ontologie	fondamentale	d’inspiration	heideggerienne
certes,	et	qui	ferait	l’économie	du	concept	d’homme	en	même	temps	qu’elle	réfuterait	le
psychologisme.
«	Il	faut	renverser	les	perspectives	familières.	» 	En	l’occurrence,	il	faut	cesser	de	penser	le	rêve	à
partir	du	réel,	l’imagination	à	partir	de	la	perception,	ou	plus	largement	le	possible	à	partir	de
l’effectif.	L’acte	de	l’imagination	ne	consiste	plus	alors	à	penser	l’objet	réel	comme	absent,	mais	à
s’absenter	soi-même	d’un	monde	où	cet	objet	ne	peut	plus	être	présent.	Néantisation	non	de	ce	qui	est
visé	intentionnellement	–	Sartre	–,	mais	néantisation	du	sujet	lui-même,	dépossédé	de	toute	primauté,
jeté	en	un	monde	où	s’effacent	les	lignes	de	force	qui	font	qu’il	y	a	pour	nous	un	monde	de	la
nécessité.	Penser	à	Pierre,	ce	n’est	plus	poser	l’image	de	Pierre	absent,	mais	m’exclure	d’un	monde
où	Pierre	ne	peut	plus	être	là	dans	le	champ	de	la	perception.
Imaginer,	c’est	«	se	viser	soi-même	comme	sens	absolu	de	son	monde,	se	viser	comme	mouvement
d’une	liberté	qui	se	fait	monde	et	finalement	s’ancre	dans	ce	monde	comme	dans	son	destin	».
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L’imagination	pose	l’écart	entre	le	possible	et	le	destin,	elle	suit	le	mouvement	originaire	qui	fige	en
structure	la	contingence	d’un	monde	rêvé.	Fin	du	sujet,	position	justement	de	la	nécessité	du	monde	et
en	même	temps	révélation	de	la	contingence	de	cette	nécessité	même	par	la	vision	d’une	autre	réalité
–	ici	celle	du	rêve	–,	d’une	autre	pensée,	d’une	autre	action.
Est-ce	forcer	le	texte	que	de	tenter	de	le	faire	résonner	avec	l’œuvre	ultérieure	?	Qu’a	donc	voulu
Foucault,	au	long	de	ses	écrits,	si	ce	n’est,	à	l’instar	de	ce	que	fait	l’imagination,	«	prendre	en
diagonale	la	présence	pour	en	faire	surgir	les	dimensions	primitives	» ,	si	ce	n’est	jeter	un	regard
oblique	sur	les	formations	discursives	pour	dégager	ce	qui	les	a	fait	s’imposer	parmi	d’autres
possibilités	théoriques	?
Réapprenons	à	rêver,	non	pour	fuir	le	réel,	mais	pour	revenir	au	geste	qui	l’a	fait	advenir	comme
tel	;	réapprenons	à	nous	abolir	comme	sujet	pour	percevoir	à	nouveau	en	sa	densité	l’espace	dont
nous	avons	fini	par	émerger.
Fin	du	prologue.	Quelques	années	plus	tard,	rompant	définitivement	avec	cette	juvénile	curiosité
pour	la	Daseinanalyse,	Foucault	inaugurera	avec	l’Histoire	de	la	folie	une	entreprise	d’une	tout	autre
ampleur.
1-	DE	I.,	p.	107.
2-	Ibid.,	p.	108.
3-	Ibid.,	p.	111.
4-	Ibid.,	p.	133.
5-	DE	II,	p.	1397.
6-	DE	I,	p.	138.
7-	Ibid.,	p.	140.
8-	Ibid.,	p.	142.
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Ontologie	–
	De	la	philosophie
Foucault	philosophe	?
Habituellement	considéré	comme	l’un	des	plus	éminents	philosophes	de	sa	génération,	Foucault	ne
s’attribue	que	rarement	ce	titre,	et	il	considère	de	manière	générale	avec	beaucoup	de	circonspection
la	discipline	philosophique,	ses	usages	et	ses	prétentions.	La	méfiance	à	l’égard	de	la	philosophie	est
certes	un	lieu	commun	dans	la	pensée	française	des	années	1960	et	1970.	Elle	s’explique	tout	à	la	fois
par	une	reprise	de	la	critique	que	Heidegger	fait	de	la	tradition	métaphysique	occidentale,	par	l’effet
des	sciences	humaines	sur	une	philosophie	qui	voudrait	s’exempter	de	toute	scientificité	et,	plus
généralement,	encore,	par	le	rejet	massif	de	l’esprit	de	système	qui	caractériserait	la	philosophie.
Certains,	comme	Derrida,	vont	tenter	de	penser	les	limites	de	la	philosophie	sans	se	permettre	la
facilité	de	s’en	échapper. 	Il	n’est	pas	question	de	sortir	de	la	philosophie	au	sens	où	il	s’agirait	de
faire	tout	autre	chose,	en	abandonnant	la	conceptualité	philosophique	et	les	extraordinaires	outils
qu’elle	a	forgés	au	cours	de	son	histoire.	Ensuite	il	faut	esquisser	un	pas	de	côté,	à	la	marge	incluse
de	la	philosophie,	pour	la	faire	trembler	sans	doute,	mais	non	pour	la	détruire.	La	déconstruction	sera
une	manière	totalement	philosophique	de	fragiliser	la	philosophie,	sans	pourtant	–	et	ce	point	est
essentiel	–	se	confondre	avec	la	dimension	critique	ou	dialectique	que	la	philosophie	a	toujours	voulu
avoir.	La	remise	en	question	de	la	philosophie	est	la	principale	alliée	de	la	philosophie,	sa	plus
ancienne	compagne.	On	peut	même	dire	que	la	philosophie	est	cette	remise	en	question.	Si	Derrida
n’avait	fait	que	reconduire	cet	antique	geste	par	des	moyens	nouveaux,	sa	pensée	ne	vaudrait	pas	la
peine	qu’on	s’y	arrête.
D’autres,	comme	Lévi-Strauss,	vont	affronter	plus	directement	la	philosophie,	et	nier	la	dimension
philosophique	de	leur	travail.	Pour	Lévi-Strauss,	la	philosophie,	telle	qu’elle	a	toujours	été	pratiquée,
et	en	dépit	de	l’immense	admiration	qu’il	manifeste	pour	certains	penseurs	–	Rousseau,	Kant	ou
Marx	–,	n’est	qu’une	rhétorique,	voire	une	gymnastique,	fondée	sur	l’art	du	calembour,	du
retournement	théâtral	et	des	analogies	approximatives.	Autrement	dit,	et	la	sentence	est	juste	:	«	La
philosophie	n’était	pas	ancilla	scientarium,	la	servante	et	l’auxiliaire	de	l’exploration	scientifique,
mais	une	sorte	de	contemplation	esthétique	de	la	conscience	par	elle-même.	» 	L’histoire	de	la
philosophie	comme	succession	de	signifiants	de	plus	en	plus	signifiants,	sans	que	jamais	nul	référent
n’apparaisse.	Exercice	vain	d’une	pensée	qui	n’a	jamais	affaire	au	souci	de	vérité	et	qui	renonce	à
dire	l’être	des	choses,	contrairement	à	l’anthropologie	où	Lévi-Strauss	trouvera	non	seulement	le
réalisme	fondamental	qui	caractérise	sa	façon	de	concevoir	l’exercice	intellectuel,	mais	aussi	des
procédés	moins	soumis	à	une	logique	de	l’accumulation	et	de	l’efficacité.	Quelque	chose	qui	relève
de	ce	qu’il	appelle	«	l’intelligence	néolithique	»	et	qu’il	applique	tout	à	la	fois	à	son	mode	de
fonctionnement	personnel	et	à	la	structure	propre	des	logiques	qu’il	étude,	celle	du	mythe	par
exemple.
Foucault	n’adopte	aucune	de	ces	deux	positions.	Il	ne	se	situe	pas	du	tout	dans	un	exercice	de
déconstruction	interne	de	la	philosophie,	et	il	ne	manifeste	jamais,	contrairement	à	Derrida,	mais
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aussi	à	Deleuze	ou	à	Lyotard,	un	véritable	amour	à	l’égard	de	la	philosophie,	et	même	de	la
métaphysique.	Toutefois,	il	n’a	pas	l’intention	de	se	débarrasser	simplement	de	la	philosophie,	en	la
remplaçant	par	une	nouvelle	discipline,	plus	scientifique,	qu’il	appellerait	par	exemple	archéologie.	Il
s’agit	plutôt	de	construire	une	nouvelle	façon	de	faire	de	la	philosophie	en	l’insérant	dans	un	tissu
relationnel	complexe	où	on	trouvera	d’autres	modes	conceptuels,	tous	ceux	que	Foucault	analyse
dans	ses	œuvres	et	qu’il	qualifie	de	formations	discursives. 	D’où	un	positionnement	curieux	qui,
selon	les	contextes,	conduit	Foucault	à	manifester	un	authentique	déni	de	la	philosophie,	une	critique
féconde	de	ses	excès	ou	encore	la	revendication	de	sa	nécessité.	«	Je	ne	suis	pas	philosophe	»	;	«	Il
faut	faire	de	la	philosophie,	mais	autrement	»	;	«	Ce	que	je	fais	est	de	la	philosophie,	sous	la	forme
qu’elle	doit	prendre	aujourd’hui.	»
Commençons	en	instruisant	le	dossier	du	déni.	Il	semble	que	celui-ci	soit	réel	et	sincère,	au
contraire	d’un	autre	déni	sur	lequel	nous	reviendrons,	celui	que	Foucault	exprime	à	chaque	fois	qu’il
est	question	du	structuralisme.
Les	textes	sont	ici	très	nombreux.	Ils	se	trouvent	principalement	dans	les	Dits	et	Écrits,	les	livres
publiés	se	désintéressant	à	juste	titre	de	la	nature	particulière	de	ce	qu’ils	entreprennent,	à	l’exception
bien	sûr	de	L’Archéologie	du	savoir.	Ainsi,	en	1970,	Foucault	dit-il	qu’il	ne	se	considère	pas	comme
philosophe,	en	arguant	du	fait	que	«	la	philosophie,	en	tant	qu’activité	autonome,	a	disparu	». 	On
enseigne	encore	la	philosophie,	mais	on	n’en	fait	plus	vraiment,	Hegel	étant	le	dernier	professeur	de
philosophie	à	avoir	proposé	une	doctrine,	c’est-à-dire	l’élaboration	de	ce	que	Foucault	appelle	ici	un
choix	originel.	Qu’on	ne	s’y	trompe	pas	:	Foucault	ne	regrette	pas	le	temps	béni	de	la	philosophie
autonome,	ni	ne	se	réjouit	qu’il	ait	pris	fin.	Il	constate	simplement	que	la	philosophie	comme
discipline	est	morte,	et	que	la	philosophie	comme	pratique	s’est	disséminée	dans	des	options
intellectuelles	tout	à	fait	déterminantes	mais	qui	ne	sont	pas	toujours	le	fait	de	philosophes
professionnels.	Les	positions	de	Marx	ne	sont	pas	ouvertement	philosophiques,	dit	Foucault,	mais	les
choix	qui	s’y	manifestent	le	sont	–	distinction	au	plus	haut	point	contestable,	d’ailleurs.	Ou	encore	:	il
y	a	plus	de	philosophie,	en	termes	d’effets	sur	le	réel,	dans	les	thèses	de	Freud	qui	ont	bouleversé	la
culture,	que	dans	celles	plus	explicitement	philosophiques	de	Husserl	ou	de	Bergson.	Cette	analyse
permet	à	Foucault	de	déterminer	sa	position	un	peu	marginale	dans	le	champ	philosophique,	et
d’affirmer	qu’il	n’est	pas	philosophe	tout	en	proposant	peut-être,	l’avenir	jugera,	des	idées	à	portée
philosophique.	Il	justifie	aussi	le	choix	de	textes	qu’il	adopte	dans	ses	livres	publiés	:	non	pas	les
grands	systèmes	philosophiques,	mais	d’autres	écrits,	de	moindre	gloire	mais	de	plus	d’importance.
«	Je	ne	suis	pas	un	philosophe	ni	un	écrivain.	» 	Dans	la	bouche	de	Foucault,	ce	rapprochement,
dans	une	même	dénégation,	de	ces	deux	termes	est	significatif	:	Foucault	ne	veut	pas	faire	d’œuvre,
son	métier	ne	consiste	pas	à	proposer	une	théorie,	ou	des	théories	qui	s’uniraient	comme	par	miracle
autour	de	la	figure	tutélaire	de	l’auteur.	Foucault	n’est	rien,	il	n’a	pas	de	métier,	mais	il	fait	un	certain
nombre	de	choses,	que	lui-même	qualifie	de	recherches	«	historiques	et	politiques	à	la	fois	». 	Peu
importe	le	statut	de	ses	livres,	seul	compte	leur	effet	politique,	obtenu	précisément	par	le	moyen	d’un
contenu	historique,	selon	une	mécanique	que	nous	analyserons	plus	loin.
Plus	concrètement	encore,	Foucault	reconnaît	qu’il	n’a	«	jamais	eu	le	projet	de	devenir
philosophe	» ,	et	que	si	sa	formation	est	des	plus	classiques,	il	a	rapidement	abandonné	la	philosophie
pour	s’intéresser	à	la	psychiatrie.	Il	dit	avoir	étudié	le	marxisme,	l’hégélianisme	et	la
phénoménologie	;	mais	il	affirme	aussitôt	qu’il	ne	s’est	jamais	senti	tenu	de	choisir	entre	ces
orientations,	et	qu’il	doit	à	Nietzsche	l’envie	de	mener	un	travail	vraiment	personnel.	Non	pas	une
haine	de	la	philosophie,	mais	le	désir	de	faire	autre	chose,	de	s’intéresser	à	d’autres	objets	–	la	folie,
par	exemple	–	dont	la	philosophie	ne	parle	jamais,	laissant	finalement	aux	commentateurs	le	soin,
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bien	inutile	par	ailleurs,	de	décider	si	ce	qu’il	fait	est	philosophique	ou	non.	On	ne	retrouve	donc	pas
chez	Foucault	le	dégoût	pour	une	certaine	tradition	philosophique	qui	se	manifeste	avec	tant	d’éclat
chez	Lévi-Strauss,	ni	la	prétention	à	remplacer	la	philosophie	par	des	disciplines	plus	scientifiques,
comme	la	linguistique	ou	la	psychanalyse.	Plutôt	une	certaine	désinvolture	devant	ce	qui	peut	être	dit
de	sa	pensée.
Foucault	prend	tout	de	même	la	peine	d’esquisser	une	critique	plus	constructive	de	la	philosophie,
comme	s’il	s’agissait	pour	lui	de	la	penser	de	telle	sorte	que	son	propre	travail	puisse	encore	prendre
place	en	elle.	Il	s’efforce	par	exemple	de	distinguer	une	contestation	légitime	de	la	manière	dont	la
philosophie	est	enseignée	en	France	d’un	refus	de	la	philosophie	elle-même.	Le	texte	le	plus	éclairant
sur	ce	point	est	l’entretien	que	Foucault	a	donné	au	Nouvel	Observateur	en	février	1970.	Il	prend
position	dans	la	polémique	qui	a	suivi	la	décision	du	ministre	de	l’Éducation	nationale,	Olivier
Guichard,	de	ne	pas	accorder	de	licence	d’enseignement	aux	diplômés	du	département	de	la
philosophie	de	l’Université	de	Vincennes,	que	Foucault	dirige.	L’argument	officiel	est	que	le
programme	de	ce	département	est	trop	précis,	et	qu’il	s’écarte	de	la	vocation	généraliste	de	la
philosophie.	La	position	de	Foucault	est	délicate.	Il	doit	défendre	un	type	d’enseignement	de	la
philosophie,	et	donc	la	discipline	elle-même,	contre	son	enseignement	traditionnel,	celui	de	la	classe
de	terminale,	et	aussi	contre	la	conception	de	la	philosophie	qui	s’exprime	dans	ce	dernier
enseignement.	Tout	en	ironie,	Foucault	dissèque	le	discours	officiel	:	la	philosophie	serait
l’enseignement	de	la	liberté	de	penser,	qui	permettrait	de	reprendre	de	façon	critique	le	savoir	acquis.
Elle	n’a	pas	d’objet,	elle	n’a	pas	à	en	avoir,	elle	surplombe	l’ensemble	des	autres	disciplines.	Foucault
se	moque	de	ce	«	bon	sens	légèrement	rehaussé	» ,	mais	il	est	bien	conscient	que	ce	discours
d’autolégitimation,	bien	que	comique,	risque	de	condamner	la	philosophie	à	succomber	sous	les
coups	de	tous	ceux	qui	la	considèrent,	non	sans	raison	parfois,	comme	totalement	inutile.	Il	faut	donc
–	comme	le	souhaitait	le	projet	de	Vincennes	–	faire	de	la	philosophie	autrement	et	l’écarter	de	ce
qu’elle	est	devenue,	une	sorte	de	«	luthéranisme	d’un	pays	catholique	» 	réservé	à	l’usage	interne	de
la	bourgeoisie.	Inflexion	qui	invite	à	rompre	avec	la	classe	de	philosophie,	ou	à	la	sauver	en	ouvrant
la	philosophie	même	à	d’autres	objets.	Il	n’y	a	pas	de	philosophie.	Il	y	a	des	philosophes	qui
travaillent,	qui	tentent	de	comprendre	comment	et	pourquoi	un	savoir	s’impose,	et	comment	une
institution	comme	l’université	s’inscrit	dans	ces	mécanismes	de	légitimation.	Le	fond	de	l’argument
est	clair	:	le	ministre	de	l’Éducation	nationale	«	feint	de	défendre	la	philosophie	contre	une	intrusion
d’étudiants	qui	n’auraient	pas	été	formés	à	l’enseigner.	En	fait,	il	protège	le	vieux	fonctionnement	de
la	classe	de	philosophie	contre	une	manière	de	poser	les	problèmes	qui	la	rend	impossible	».
La	philosophie	comme	travail	conceptuel	élaborant	les	conditions	d’impossibilité	de	la	classe	de
philosophie	sous	sa	forme	traditionnelle.	L’effet	stratégique	contre	la	posture	professorale.	Ou
encore,	comme	Foucault	le	dit	dans	un	entretien	de	1974	:	«	Je	suis	radicalement	du	côté	des
sophistes	» ,	du	côté	de	la	vraisemblance	plutôt	que	du	côté	de	la	vérité,	du	côté	d’un	logos	dont	on
accepte	qu’il	soit	pouvoir	contre	le	logos	socratique	qui	n’est	qu’un	exercice	de	la	mémoire.	L’Ordre
du	discours	développera	complètement	cette	thèse	:	la	philosophie	doit	cesser	d’être	cette	occultation
des	effets	du	discours,	elle	doit	en	être	la	conscience,	ce	qui	renverse	définitivement	ses	prétentions	à
un	magistère	universaliste.
Foucault	reprend	cette	définition	critique	de	la	philosophie	dans	l’entretien	anonyme	dont	nous
avons	parlé	plus	haut,	neutralisant	ainsi	partiellement	l’accusation	qui	pourrait	lui	être	faite	de	définir
la	philosophie	en	fonction	de	son	propre	travail.	Après	avoir	indiqué	en	quoi	la	philosophie	était	une
façon	de	réfléchir	sur	notre	rapport,	historiquement	déterminé	et	changeant,	avec	la	vérité,	il	en
précise	les	fins	:
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«	C’est	de	la	philosophie	que	le	mouvement	par	lequel,	non	sans	efforts	et	tâtonnements	et	rêves	et
illusions,	on	se	détache	de	ce	qui	est	acquis	pour	vrai	et	qu’on	cherche	d’autres	règles	du	jeu.	C’est
de	la	philosophie	que	le	déplacement	et	la	transformation	des	cadres	de	pensée,	la	modification	des
valeurs	reçues	et	tout	le	travail	qui	se	fait	pour	penser	autrement,	pour	faire	autre	chose,	pour
devenir	autre	que	ce	qu’on	est.	»
Devenir	autre,	voilà	la	philosophie,	très	loin	de	ses	formes	habituelles.	Il	n’est	plus	question	alors
de	s’écarter	de	la	philosophie,	mais	bien	de	la	revendiquer,	non	comme	fonction,	comme	profession
ou	comme	vocation,	mais	bien	comme	existence,	êthos .	Cavaillès	était	historien	des	mathématiques
et	il	est	mort	pour	la	Résistance.	Sartre	était	philosophe	de	l’engagement	mais,	dit	Foucault,	il	n’a
absolument	rien	fait.
Foucault	n’est	pas	tant	un	philosophe	masqué	qu’un	philosophe	n’arborant	pas	son	titre	comme	un
trophée,	refusant	de	fonder	la	légitimité	de	son	travail	sur	celle	d’une	discipline.	Il	faut	donc	bien
faire	de	la	philosophie,	mais	tout	autrement.	Cela	veut	dire	d’abord	qu’il	faut	libérer	la	philosophie	de
cet	anthropologie	implicite	qui	l’a	endormie	comme	elle	a	endormie	les	sciences	de	l’homme	;
contre	la	thèse	kantienne,	qui	voit	dans	la	question	de	l’homme	le	principal	objet	de	la	philosophie,	il
faut	montrer	que	cette	question	n’est	plus	celle	de	notre	temps. 	La	philosophie	ne	pourra	produire
une	autre	pensée,	et	une	autre	action,	qu’en	indiquant	la	contingence	de	ce	qui	structure	actuellement
notre	pensée	et	notre	action.	Et	ce	n’est	possible	qu’en	faisant	parler	les	signes	et	les	discours	qui
nous	entourent,	ou	dans	lesquels	nous	sommes	pris.	Nietzsche	l’avait	compris	avant	tout	le	monde	:
«	Là	où	on	fait	parler	les	signes,	il	faut	bien	que	l’homme	se	taise	» ,	il	faut	bien	que	se	délient	les
savoirs	qu’enserre	le	concept	d’homme	depuis	la	fin	du	XVIII 	siècle.
La	définition	la	plus	précise	que	Foucault	propose	de	la	philosophie	n’apparaît	pas	dans	la
dimension	essentiellement	critique	que	nous	avons	suivie	jusqu’ici.	Elle	ne	s’élabore	vraiment	qu’au
moment	où	Foucault,	renonçant	à	son	déni	de	jeunesse,	accepte	d’être	qualifié	de	philosophe,	et	tente
de	réinterpréter	son	travail	comme	de	la	philosophie.	Il	va	alors	formuler	sa	thèse	essentielle	:	la
philosophie	est	une	ontologie	de	l’actualité,	autrement	dit	une	analytique	de	nous-même.
L’actualité
La	lecture	que	Michel	Foucault	propose	du	texte	que	Kant	publie,	en	1784,	à	la	question	«	Was	ist
Aufklärung	?	»,	est	le	lieu	privilégié	où	s’élabore	sa	définition	de	la	philosophie	comme	ontologie	du
temps	présent.	À	partir	de	Kant	et	grâce	à	lui,	la	philosophie	se	trouverait	attachée	à	un	nouvel	objet	–
	et	Foucault	considère	qu’il	n’y	en	a	pas	d’autres	:	l’actualité.	Philosopher	consiste	donc	à	se	penser
soi-même	en	son	actualité,	au	nom	d’une	forme	radicalisée	de	journalisme.	Une	lecture	approfondie
de	ce	texte	sera	au	cœur	de	notre	épilogue,	sa	véritable	compréhension	n’étant	possible	qu’après
avoir	saisi	dans	leur	mouvement	les	différents	dispositifs	qu’étudie	Foucault	dans	ses	livres.
Avant	d’entrer	dans	le	détail	de	cette	définition	célèbre,	il	convient	d’une	part	de	la	situer	dans	le
cadre	plus	général	de	son	œuvre,	d’autre	part	d’en	lire	l’apparition,	notamment	dans	les	Dits	et
Écrits,	au	cours	des	décennies	qui	précèdent	le	texte	de	1984.
L’œuvre	de	Foucault	a	toutes	les	apparences	de	la	science	historique.	L’information	y	est
abondante,	les	archives	les	plus	diverses	y	sont	systématiquement	exploitées,	alors	qu’on	n’y	trouve
que	peu	d’analyses	conceptuelles	abstraites,	détachée	de	l’analyse	de	la	période	historique	étudiée.
Pourtant,	dit	Foucault,	il	y	a	bien	dans	ce	travail	d’histoire	un	exercice	proprement	philosophique,	en
ce	que	l’histoire	des	conditions	formelles	qui	ont	présidé	à	la	construction	de	notre	propre	pensée
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e
aboutit	à	une	ethnologie	de	notre	propre	culture,	prélude	elle-même	à	une	ontologie	du	temps	présent.
La	philosophie	relève	alors	du	diagnostic	;	mais	celui-ci	n’est	possible	que	par	la	patiente	analyse	des
modalités	d’apparition	de	ce	qui	structure	notre	aujourd’hui.
À	l’exception	notable	de	L’Archéologie	du	savoir,	tous	les	ouvrages	de	Foucault	présentent	donc
une	approche	clairement	historique,	même	si	la	finalité	d’une	telle	approche	est	ontologique,	c’est-à-
dire	pour	Foucault	philosophique	:	dire	ce	que	nous	sommes.	Comprendre	l’articulation	de	l’histoire
et	de	la	philosophie	sera	l’objet	du	prochain	chapitre.	Retenons	simplement	ici	qu’il	n’y	a	pas	lieu
d’opposer	une	définition	de	la	philosophie	que	Foucault	proposera	uniquement	dans	les	Dits	et	Écrits
et	les	textes	publiés	en	livres,	comme	si	Foucault	avait	voulu	–	hypothèse	absurde	–	définir	la
philosophie	tout	en	s’excluant	de	cette	définition.
Les	Dits	et	Écrits	nous	donnent	quantité	d’informations	utiles	à	cet	égard.	Foucault	semble	y	dire
plus	librement	qu’ailleurs	les	raisons	et	les	motivations	de	son	travail.	Il	est	donc	naturel	qu’on	y
trouve	les	pages	les	plus	explicites	quant	à	une	définition	de	la	philosophie	comme	ontologie	du
temps	présent.
On	l’a	dit	:	le	texte	clé	pour	notre	propos	date	de	1984,	deux	siècles	après	l’ouverture	kantienne	de
la	question	de	l’actualité.	Mais	dès	ses	premiers	écrits,	Foucault	exprime	le	souci	de	donner	à	la
philosophie	un	visage	nouveau,	de	la	rapprocher	d’une	analytique	du	présent,	voire	même	de	la
mettre	en	œuvre	dans	une	pratique	quasi	journalistique.	La	naissance	d’une	définition	de	la
philosophie	comme	ontologie	de	nous-mêmes	est	contemporaine	des	Mots	et	les	Choses.	Dès	1966
donc,	Foucault	affirme	que	la	philosophie	a	pour	objet	la	compréhension	d’une	sorte	de	pensée
anonyme	et	contraignante,	celle	de	notre	époque.	Philosopher	revient	à	désigner	l’armature
historique	de	notre	propre	pensée,	qui	n’est	libre	que	le	temps	d’un	instant,	ou	qui	n’est	libre	que	dans
les	marges	de	la	structure	qui	la	rend	possible.	Le	propos	de	Foucault	est	très	clair	sur	ce	point	:
«	On	pense	à	l’intérieur	d’une	pensée	anonyme	et	contraignante	qui	est	celle	d’une	époque	et	d’un
langage.	Cette	pensée	et	ce	langage	ont	leurs	lois	de	transformation.	La	tâche	de	la	philosophie
actuelle	et	de	toutes	ces	disciplines	théoriques	que	je	vous	ai	nommées,	c’est	de	mettre	au	jour	cette
pensée	d’avant	la	pensée,	ce	système	d’avant	tout	système…	Il	est	le	fond	sur	lequel	notre	pensée
“libre”	émerge	et	scintille	pendant	un	instant.	»
Les	Mots	et	les	Choses	est	un	texte	philosophique	en	ce	qu’il	contribue	à	une	meilleure
compréhension	de	notre	actualité.	On	le	voit	déjà	:	la	philosophie	de	l’actualité	peut	ne	jamais	parler
de	l’actualité,	mais	bien	de	ce	qui	en	organise	le	dévoilement	–	condition	formelle	et	universelle	de
l’émergence	historique	d’un	fait	spécifique	ou	d’une	pensée	singulière.
Foucault	hésite	à	qualifier	de	philosophique	une	telle	entreprise.	Aussi	va-t-il	parfois	considérer
qu’elle	peut	prendre	place	à	l’intérieur	des	sciences	humaines,	triomphantes	à	son	époque,	ou	la
désigner	comme	une	analyse	culturelle	parente	de	l’ethnologie.	Si	finalement	Foucault	se	décide	à
penser	son	travail	comme	philosophie,	le	mérite	en	revient	à	son	inscription	dans	un	héritage
nietzschéen	et	dans	une	tradition	de	la	philosophie	comme	diagnostic.
«	Que	ce	que	je	fais	ait	quelque	chose	à	voir	avec	la	philosophie	est	très	possible,	surtout	dans	la
mesure	où,	au	moins	depuis	Nietzsche,	la	philosophie	a	pour	tâche	de	diagnostiquer	et	ne	cherche
plus	à	dire	une	vérité	qui	puisse	valoir	pour	tous	et	pour	tous	les	temps.	Je	cherche	à	diagnostiquer,	à
réaliser	un	diagnostic	du	présent	:	à	dire	ce	que	nous	sommes	aujourd’hui	et	ce	qui	signifie,
aujourd’hui,	dire	ce	que	nous	disons.	Ce	travail	d’excavation	sous	nos	pieds	caractérise	depuis
Nietzsche	la	pensée	contemporaine,	et	en	ce	sens	je	puis	me	déclarer	philosophe.	»
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La	philosophie	comme	journalisme	radical
Nietzsche	est	ainsi	l’acteur	principal	d’une	inflexion	de	la	philosophie,	qui	lui	ferait	abandonner
partiellement	la	compréhension	de	l’éternité	pour	la	tourner	vers	ce	qui	arrive	dans	le	monde.	En	ce
sens,	écrit	Foucault,	Nietzsche	est	le	premier	philosophe-journaliste,	en	ce	qu’il	a	l’obsession	de
l’actualité. 	La	philosophie,	par	ce	renversement,	se	donne	les	moyens	d’influer	sur	l’histoire	et	sur
le	futur,	en	tant	qu’une	philosophie	de	l’actualité,	en	marquant	l’arbitraire	et	la	contingence	de	ce	qui
conditionne	notre	pensée	et	notre	action,	ouvre	un	monde	de	possibilités	inédites.	Dire	l’actualité	–	le
journalisme	–	est	inséparable	d’une	démarche	d’histoire	et	d’une	réflexion	sur	l’action	politique.
Conjonction	d’exigences	qui	fait	écrire	à	Foucault	:	«	Pour	moi,	la	philosophie	est	une	espèce	de
journalisme	radical.	»
Qu’entend	Foucault	par	là	?	Qu’entend-il	précisément	quand	il	répète	encore,	devant	des	étudiants
américains	:	«	Je	suis	un	journaliste.	» 	Si	on	s’en	tient	aux	explications	de	Foucault	lui-même,	on
retiendra	ici	qu’il	s’agit	pour	lui	d’écarter	à	la	fois	la	figure	du	prophète	et	celle	du	maître	à	penser.
La	tâche	de	la	philosophie	est	modeste	par	nature	et	elle	se	limite	à	la	construction	d’outils
conceptuels,	accompagnée	toutefois	d’un	souci	particulier	pour	leur	possible	usage	politique.	Un
livre	est	une	bombe,	utile	au	moment	où	on	le	lit,	efficace	parce	qu’ancré	dans	un	temps	singulier.
La	dimension	journalistique	de	la	philosophie	est	plus	dans	cet	ancrage	que	dans	le	contenu	même	des
textes.	Le	journalisme	n’est	radical	que	parce	qu’il	comprend	non	l’actualité,	mais	ce	qui	fait	que
l’actualité	est	un	marqueur	d’époque,	est	révélatrice	de	ce	qu’est	notre	présent.	Il	n’est	pas	nécessaire
de	parler	des	événements	pour	être	journaliste	en	ce	sens	radical.
Il	se	trouve	toutefois	que	parallèlement	à	sa	définition	de	la	philosophie	comme	journalisme
radical,	Foucault	a	tenté	d’élaborer	et	de	formaliser	comme	un	genre	nouveau	ce	qu’il	a	appelé	le
reportage	d’idées.	Il	s’agit	de	faire	œuvre	de	journalisme,	au	sens	le	plus	courant	du	terme	cette	fois,
tout	en	faisant	œuvre	philosophique,	en	tant	que	ce	reportage	doit	permettre	une	compréhension	des
conditions	d’apparition	des	idées	contemporaines	des	événements	considérés.	Foucault	s’est	lui-
même	plié	à	l’exercice	en	proposant	au	Corriere	della	sera	une	série	de	reportages	sur	la	révolution
iranienne,	en	se	rendant	sur	place,	à	deux	reprises,	en	septembre	et	en	novembre	1978.
Quel	est	l’objectif	d’une	telle	entreprise,	à	vrai	dire	curieuse	?
Foucault	s’en	explique	dans	le	Corriere	della	sera	du	12	novembre	1978.	Il	y	justifie	l’appellation
de	«	reportages	d’idées	»	en	séparant	nettement	le	concept	d’idée	ici	utilisé	de	ses	connotations	par
trop	intellectuelles.	Une	idée	n’est	pas	l’objet	d’une	enquête	érudite	réservée	aux	spécialistes	;	une
idée	est	active,	on	ne	la	comprend	qu’en	analysant	les	faits	auxquels	elle	a	pu	donner	lieu.
«	Il	faut	assister	à	la	naissance	des	idées	et	à	l’explosion	de	leur	force	:	et	cela	non	pas	dans	les
livres	qui	les	énoncent,	mais	dans	les	événements	dans	lesquels	elles	manifestent	leur	force,	dans	les
luttes	que	l’on	mène	pour	les	idées,	contre	ou	pour	elles.	»
Le	monde	a	des	idées,	et	quand	ces	idées	se	transforment	en	événements,	le	philosophe	doit	se	faire
journaliste,	ou	du	moins	travailler	avec	les	journalistes.	Mais	il	ne	sera	philosophe	que	si	l’idée	active
est	pensée	en	son	rapport	à	la	structure	universelle	de	son	surgissement.
Il	n’est	pas	certain	qu’un	tel	projet	soit	réalisable.	Et	on	ne	peut	se	cacher	d’une	certaine	déception	à
la	lecture	des	reportages	de	Foucault	sur	l’Iran.	Bien	informés	et	bien	écrits,	ces	textes	sont	d’un
grand	intérêt	journalistique.	Mais	il	est	tout	de	même	assez	difficile	d’y	lire	de	la	philosophie,	tant
l’analyse	des	idées	est	assujettie	à	celle	des	faits.
Quelques	années	enfin	avant	le	texte	de	1984,	Foucault	propose	une	première	lecture,	très	rapide,
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de	l’opuscule	kantien	de	1784,	«	Qu’est-ce	que	les	Lumières	?	»	Il	y	dit	déjà	son	caractère	novateur,
en	laissant	toutefois	en	suspens	la	question	de	son	statut	:	«	Cette	singulière	enquête,	faut-il	l’inscrire
dans	l’histoire	du	journalisme	ou	de	la	philosophie	?	»
Cette	hésitation	n’est	pas	feinte	–	ni	étrangère	au	relatif	échec	du	reportage	d’idées	–,	tant	il	est
délicat	de	séparer,	à	l’intérieur	du	travail	de	la	philosophie,	ce	qui	relève	du	journalisme	de	ce	qui
relève	de	la	philosophie	proprement	dite.	Nous	allons	donc	tenter	de	comprendre	comment	et
pourquoi	Foucault	va	trancher	la	question,	en	clarifiant	sa	définition	de	la	philosophie	comme
ontologie	du	temps	présent,	laissant	de	côté	le	terme	finalement	bien	encombrant	de	«	journalisme	».
En	quoi	ce	très	bref	texte	de	Kant	est-il	si	remarquable	?	Son	ouverture	est	justement	célèbre	:	«	Les
Lumières	se	définissent	comme	la	sortie	de	l’homme	hors	de	l’état	de	minorité,	où	il	se	maintient	par
sa	propre	faute	» ,	et	Foucault	va	consacrer	l’essentiel	de	son	propos	à	dégager	de	ces	premières
lignes	une	nouvelle	façon	de	concevoir	la	finalité	de	la	philosophie.
Le	geste	kantien	consiste	à	réduire	un	immense	mouvement	culturel,	politique	et	intellectuel	à	l’état
d’esprit	qui	en	est	le	principe	d’animation.	Parlant	ici	de	son	temps	et	donc	de	lui-même,	Kant	décrit
l’attitude	de	l’homme	des	Lumières	comme	une	disposition	critique,	en	sa	double	dimension	:	d’une
part	la	reconnaissance	d’une	responsabilité	dans	la	situation	de	minorité	intellectuelle	;	d’autre	part	la
volonté	de	se	sortir	de	cette	situation.	Il	n’est	pas	question	de	se	débarrasser	d’un	joug	étranger,	mais
bien	de	se	libérer	de	soi-même.
Cette	libération	et	cette	audace	conduisent	naturellement	à	la	destruction	de	toutes	les	tutelles	qui
pourraient	nous	faire	renoncer,	par	confort,	à	l’autonomie	de	la	pensée.	Mais	elles	ne	peuvent	aboutir
que	dans	un	acte	collectif,	celui	d’un	public	éclairé.	Kant	poursuit	en	distinguant	deux	usages
possibles	de	la	liberté	de	penser	requise	des	Lumières	:	l’usage	public	de	la	raison	que	chacun	exerce
comme	homme	et	comme	citoyen,	et	qui	est	légitime	et	illimité	;	l’usage	privé	de	la	raison,	qui
dépend	de	la	fonction	sociale	et	professionnelle,	et	qui	doit	être	naturellement	borné	par	les	exigences
propres	à	cette	fonction.	Sans	entrer	dans	le	détail	de	ce	passage	difficile	–	ce	que	nous	ferons	avec
Foucault	dans	notre	épilogue	–,	nous	retiendrons	ici	que	l’exigence	de	libération	est	selon	Kant	un
droit	sacré	de	l’humanité	et	en	tant	que	tel	un	impératif	pour	tout	souverain,	celui-ci	devant	donc
laisser	pleine	latitude	à	l’usage	public	de	la	raison.
Kant	conclut	sur	une	note	plus	nettement	diagnostique,	au	sens	que	Nietzsche	donnera	plus	tard	à	ce
terme	:	«	Vivons-nous	actuellement	dans	une	époque	éclairée	?	» 	La	réponse	de	Kant	est	nuancée.
Nous	sommes	à	une	époque	de	Lumières,	c’est-à-dire	dans	un	moment	d’éclaircissement	(le	terme
allemand	d’Aufklärung	dit	plus	clairement	que	sa	traduction	française	cette	dimension	dynamique).
L’interprétation	des	indices,	dans	l’actualité,	d’un	tel	mouvement,	peut	nous	laisser	espérer	son
accomplissement	effectif,	d’autant	plus	qu’un	prince	puissant,	Frédéric,	lui	est	favorable.
Une	philosophie	de	l’actualité	s’annonce	peut-être	ici,	au	sens	où	Kant	tente	de	dire	l’essence	de
son	temps	dans	la	définition	de	l’attitude	de	l’homme	des	Lumières,	inaugurant	ainsi	un	ensemble	de
tentatives	similaires	pour	faire	de	l’actualité	un	concept	philosophique.	L’actualité	de	l’actualité,	ce
qui	fait	que	l’actualité	est	actuelle,	ce	serait	au	fond	le	dispositif	intellectuel	spécifique	qu’on
retrouverait	sous	ou	dans	toutes	les	figures	–	culturelles,	politiques	ou	événementielles	–	de	ce	qui	se
passe	au	moment	considéré.	Mais	on	doit	aussitôt	remarquer	que	Kant	ne	rompt	nullement	avec	une
philosophie	de	l’histoire	largement	téléologique,	et	qu’il	ne	fait	pas	de	l’analyse	de	l’actualité	une
activité	proprement	philosophique,	ou	le	propre	de	l’activité	philosophique.	Revenons	à	présent	à
Foucault	et	à	la	lecture	qu’il	propose	du	texte	kantien,	et	plus	largement	de	la	pensée	critique.
Dès	1963,	Kant	est	pensé	comme	le	responsable	d’une	ouverture	capitale	dans	la	philosophie
occidentale.	Mais	il	ne	s’agit	alors	pour	Foucault	que	de	souligner,	de	manière	somme	toute	assez
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classique,	que	Kant	est	le	premier	à	articuler	«	sur	un	mode	encore	bien	énigmatique,	le	discours
métaphysique	et	la	réflexion	sur	les	limites	de	la	raison	». 	Rien	ne	semble	indiquer	ici	que	Foucault
pense	déjà	à	la	seconde	ouverture	kantienne,	celle	de	1784,	si	ce	n’est	la	mention	significative,	juste
après	les	mots	que	nous	venons	de	citer,	de	la	pensée	de	Nietzsche,	conçue	comme	accomplissement
de	la	rupture	kantienne.	Kant,	Nietzsche,	les	deux	précurseurs	d’une	philosophie	de	l’actualité,
Foucault	oscillant	sans	cesse	entre	ces	deux	noms	propres,	attribuant	même	parfois	à	l’un	des	thèses
qu’il	dit	ailleurs	être	celles	de	l’autre.
Le	renversement	kantien	coïncide	–	c’est	l’une	des	affirmations	majeures	des	Mots	et	les	Choses	–
avec	la	naissance	de	l’anthropologie,	c’est-à-dire	avec	l’apparition	d’une	pensée	de	l’homme	qui	ne
se	fait	plus	sur	fond	d’infini.	Kant	est	à	ce	égard	l’analogue	d’un	pharmakon,	remède	et	poison	à	la
fois.	En	libérant	la	philosophie	de	l’emprise	de	l’infini,	il	aura	ouvert	la	voie	à	une	analytique	de	la
finitude	en	laquelle	Foucault	se	reconnaît	;	mais	en	assignant	la	philosophie	à	la	question	de	l’homme,
il	l’enferme	dans	un	nouveau	sommeil	dogmatique, 	dont	la	philosophie	de	l’actualité	devra	sortir,
comme	analytique	de	la	finitude	historique.
Il	faut	attendre	1978	pour	que	Qu’est-ce	que	les	Lumières	?	apparaisse	comme	le	texte	inaugural
d’une	nouvelle	définition	de	la	philosophie.	Dans	la	préface	à	l’édition	américaine	du	grand	livre	de
Georges	Canguilhem,	Le	Normal	et	le	Pathologique,	Foucault	introduit	l’idée	qu’un	phénomène
inédit	a	eu	lieu	à	la	fin	du	XVIII 	siècle.	Pour	la	première	fois	dans	l’histoire	des	idées,	«	on	posait	à	la
pensée	rationnelle	la	question	non	plus	seulement	de	sa	nature,	de	son	fondement,	de	ses	pouvoirs	et
de	ses	droits,	mais	celle	de	son	histoire	et	de	sa	géographie	;	celle	de	son	passé	immédiat	et	de	son
actualité	;	celle	de	son	moment	et	de	son	lieu	». 	La	preuve	de	l’émergence	de	ce	dispositif	nouveau
–	ou	peut-être	de	cette	disposition	de	la	philosophie	à	se	laisser	inquiéter	par	son	actualité	–	est,	dit
Foucault,	la	publication	par	Kant	et	par	Mendelssohn	de	leur	réponse	respective	à	la	question	de	la
Berlinische	Monatschrift.
Kant	aurait	ainsi	rendu	pensables	deux	types	d’activités	:	d’une	part	le	journalisme	philosophique
dont	nous	avons	dit	les	enjeux,	d’autre	part	l’histoire	critique	du	travail	de	la	pensée.	Une	telle
histoire	serait	à	son	tour	tenue	de	réaliser	deux	objectifs	:	déterminer	le	moment	clé,	dans	l’histoire
de	l’Occident,	de	la	revendication	d’autonomie	de	la	raison	;	analyser	le	moment	présent	en
établissant	son	statut	:	«	Redécouverte,	reprise	d’un	sens	oublié,	achèvement,	ou	rupture,	retour	à	un
moment	antérieur,	etc.	»
Foucault	souligne	à	juste	titre	que	cette	interrogation	historico-critique	a	eu	un	destin	beaucoup
plus	fécond	en	Allemagne	qu’en	France.	Ou	plus	exactement	:	cette	interrogation	y	a	irrigué	la	totalité
du	champ	philosophico-politique,	alors	qu’il	n’a	eu	en	France	qu’un	succès	d’estime,	dans	le	seul
champ	de	l’histoire	des	sciences.	Deux	histoires	parallèles	donc	:	d’un	côté	Hegel,	Marx,	Nietzsche,
Weber	et	l’école	de	Francfort	;	de	l’autre	Koyré,	Bachelard	et	Canguilhem.	La	jonction	ne	se	fait	que
deux	siècles	après	le	texte	kantien,	quand,	dit	Foucault,	l’Aufklärung	fait	retour	en	tant	que	critique	des
pouvoirs	dont	la	raison	semble	avoir	abusé.
La	philosophie	de	l’actualité	naissante	se	prolongerait	dans	une	philosophie	interrogeant	l’héritage
des	Lumières.	Au	point	que	Foucault	propose	–	sérieusement	?	–	à	Maurice	Agulhon	d’entreprendre
une	«	grande	enquête	historique	sur	la	manière	dont	l’Aufklärung	a	été	perçue,	pensée,	vécue,
imaginée,	conjurée,	anathèmisée,	réactivée,	dans	l’Europe	du	XIX 	et	du	XX 	siècle	» .	Foucault	lui-
même	n’entreprendra	pas	un	tel	travail,	on	ne	peut	que	le	regretter.
Quelques	mois	avant	le	texte	de	1984,	Foucault	mentionne	à	nouveau	l’opuscule	kantien	dans	un
entretien	avec	Gérard	Raulet.	Il	y	pose	pour	la	première	fois	sa	thèse	essentielle,	ou	plutôt	son
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hypothèse	d’interprétation	majeure	:	la	philosophie	moderne	est	la	répétition	de	la	question	kantienne,
à	la	fois	comme	question	de	l’actualité	–	qu’est-ce	que	le	moment	historique	dans	lequel	je	suis
pris	?	–	et	comme	question	des	Lumières	–	qu’ont-elles	été,	qu’en	reste-t-il	?	Il	reprend	ensuite
l’analyse	de	la	différence,	à	cet	égard,	entre	la	France	et	l’Allemagne.	Il	remarque	enfin	avec	une
étonnante	humilité	que	si	les	Français	avaient	eu	accès	à	l’investigation	historico-critique	de
Horkheimer	ou	Adorno,	cela	leur	aurait	été	bénéfique.
«	Il	est	certain	que	si	j’avais	pu	connaître	l’école	de	Francfort,	si	je	l’avais	connue	à	temps,	bien
du	travail	m’aurait	été	épargné,	il	y	a	bien	des	bêtises	que	je	n’aurais	pas	dites	et	beaucoup	de
détours	que	je	n’aurais	pas	faits	en	essayant	de	suivre	mon	petit	bonhomme	de	chemin	alors	que	des
voies	avaient	été	ouvertes	par	l’école	de	Francfort.	»
Dans	le	même	entretien,	Foucault	apporte	une	précision,	importante	pour	notre	propos,	au	sens
qu’il	faut	donner	au	texte	kantien.	La	tâche	de	la	philosophie	est	définie	comme	compréhension	de	ce
que	veut	dire	«	aujourd’hui	».	Mais	il	ne	s’agit	pas	d’une	tâche	limitée	aux	grands	événements	ou	aux
périodes	de	rupture.	L’objet	de	la	philosophie	n’est	pas	l’exceptionnel,	mais	l’actuel	–	définition
précieuse	pour	nous	–	ce	qui	fait	qu’un	jour	comme	les	autres,	du	fait	d’être	aujourd’hui,	n’est
«	jamais	tout	à	fait	comme	les	autres	».
Foucault	va	enfin	utiliser	le	texte	kantien	dans	son	cours	du	Collège	de	France	du	5	janvier	1983,
publié	ensuite	dans	le	Magazine	littéraire	de	mai	1984.	Il	insiste	ici,	plus	qu’il	ne	le	fait	dans	le	texte
en	anglais	de	1984,	What	is	Enlightment	?,	sur	le	caractère	inouï	de	ce	questionnement	de	la
philosophie	problématisant	sa	propre	actualité	discursive.
Autrement	dit	encore	:	il	y	a	là	quelque	chose	qui	«	pourrait	bien	caractériser	la	philosophie	comme
discours	de	la	modernité,	et	sur	la	modernité	».
Archéologie	et	analytique	du	présent
Si	Foucault	est	philosophe	–	on	nous	autorisera	ici	à	ne	pas	le	prendre	au	mot	quand	il	prétend	ne
pas	l’être	–,	et	si	la	philosophie	est	une	analytique	du	présent,	on	peut	légitimement	se	demander
pourquoi	les	textes	consacrés	à	l’actualité	sont	si	rares.	Comment	peut-on	d’un	même	geste	affirmer
que	la	philosophie	doit	se	constituer	en	ontologie	de	l’aujourd’hui	et	ne	rien	dire,	ou	presque,	des
événements	contemporains	?	Où	est	le	discours	de	Foucault	sur	mai	1968,	sur	les	évolutions	du
capitalisme,	sur	les	conflits	mondiaux,	sur	la	guerre	froide	?	Certes	Foucault	en	parle,	mais	en	quoi
ce	qu’il	en	dit	relèverait-il	de	la	philosophie	?	Notre	hypothèse	consiste	à	dire	que	les	propos	de
Foucault	sur	son	actualité	ne	sont	justement	pas	de	la	philosophie,	et	qu’ils	ne	s’intègrent	donc	pas	à
sa	définition	du	travail	philosophique.	Il	convient	donc	de	montrer	que	la	réalisation	effective	du
programme	–	faire	une	ontologie	du	temps	présent	–	se	situe	dans	les	œuvres	publiées,	et	donc	dans
un	projet	archéologique.
Analyser	le	présent	ne	peut	pas	se	faire	en	analysant	le	présent,	mais	en	construisant,	par	une	série
d’études	rétrospectives,	le	système	rationnel	des	conditions	historiques	d’émergence	de	ce	qui
structure	notre	pensée	et	notre	action.	Foucault	pose	donc	comme	fondement	de	sa	pensée	l’idée
d’une	continuité	entre	le	passé	et	le	présent,	qui	justifie	que	la	compréhension	de	celui-ci	se	donne	par
l’étude	de	celle-là.
«	Pour	moi,	l’archéologie,	c’est	cela	:	une	tentative	historico-politique	qui	ne	se	fonde	pas	sur	des
relations	de	ressemblance	entre	le	passé	et	le	présent,	mais	plutôt	sur	des	relations	de	continuité	et
sur	la	possibilité	de	définir	actuellement	des	objectifs	tactiques	de	stratégie	de	lutte,	précisément	en
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fonction	de	cela.	»
La	double	inspiration	kantienne	et	nietzschéenne	que	nous	avons	signalée	dessine	un	visage	inédit
de	la	philosophie	:	travail	d’excavation,	de	diagnostic,	travail	critique	et	généalogique,	l’ensemble	de
ces	éléments	trouvant	leur	unité	dans	le	concept	d’archéologie	que	Foucault	élabore	longuement	dans
L’Archéologie	du	savoir.	Sans	entrer	pour	le	moment	dans	ce	texte,	relevons	plus	modestement,	dans
les	Dits	et	Écrits,	les	raisons	de	penser	que	l’archéologie	est	une	philosophie,	ou	que	la	philosophie
est	une	archéologie,	ou	encore	que	l’analyse	du	présent	est	une	démarche	essentiellement	historique.
Revenant,	en	1971,	sur	ses	écrits	les	plus	importants,	Foucault	tente	de	décrire	en	quoi	consiste	sa
recherche,	avec	des	mots	apparemment	simples,	mais	qu’il	nous	faut	tout	de	même	prendre	avec
prudence	:
«	J’essaie	de	mettre	en	évidence,	en	me	fondant	sur	leur	constitution	et	leur	formation	historique,
des	systèmes	qui	sont	encore	les	nôtres	aujourd’hui,	et	à	l’intérieur	desquels	nous	nous	trouvons
piégés.	Il	s’agit,	au	fond,	de	présenter	une	critique	de	notre	temps,	fondée	sur	des	analyses
rétrospectives.	»
Le	point	de	départ	est	bien	une	analytique	du	présent.	L’histoire	n’est	qu’un	moyen	pour	mieux
comprendre	un	système,	à	la	condition	que	ce	système	soit	encore	le	nôtre	aujourd’hui.	La
temporalité	historique	est	donc	renversée,	elle	ne	va	pas	du	passé	au	présent	mais	bien	du	présent	au
passé,	la	perception	de	l’actualité	étant	une	condition	de	la	nécessité	de	l’étude	historique.	En	même
temps,	l’application	de	la	démarche	archéologique	–	creuser	sous	notre	présent	–	suppose	la
conscience	d’un	piège,	c’est-à-dire	d’une	détermination	du	présent	par	le	passé,	ou	plus	exactement	la
conscience	de	la	domination	du	sujet	par	la	structure	dans	laquelle	son	action	et	son	discours	sont
pris.	Enfin,	l’archéologie,	comme	analyse	rétrospective,	a	une	fonction	critique,	au	sens	où	l’histoire
de	ce	que	nous	sommes	devenus	est	une	mise	en	évidence	de	la	contingence	des	contraintes.
Foucault	se	tient	donc	à	égale	distance	de	l’histoire	scientifique,	de	la	critique	philosophique	et	de
l’action	politique.	Ou	plutôt	il	se	tient	à	leur	étrange	conjonction,	la	philosophie	se	réalisant	par
l’histoire,	la	lutte	politique	par	la	philosophie	pensée	comme	archéologie,	et	les	trois	termes	s’entre-
déterminant	en	une	singulière	circularité.
Cette	circularité	est	solidaire	d’une	conception	propre	de	la	vérité,	conçue	non	comme	l’ensemble
des	choses	vraies	qu’il	y	a	à	découvrir	ou	à	faire	accepter,	mais	bien	comme	«	l’ensemble	des	règles
selon	lesquelles	on	partage	le	vrai	du	faux	et	on	attache	au	vrai	des	effets	spécifiques	de	pouvoir	».
La	philosophie	prend	la	forme	de	l’enquête	historique	comme	analyse	du	partage	entre	le	vrai	et	le
faux	tel	qu’il	s’est	donné	matériellement,	dans	des	théories	mais	aussi	dans	les	institutions	qui	le
consolident	;	elle	prendra	également	le	visage,	nous	le	verrons,	d’une	analytique	du	pouvoir,	Foucault
ne	concevant	plus,	à	partir	de	Surveiller	et	punir,	la	définition	de	la	vérité	hors	d’un	processus	de
contrôle,	de	sanction	ou	de	normalisation.
Cette	inflexion	de	la	pensée	de	Foucault	vaut	confirmation	de	notre	hypothèse	de	lecture.	Il	est	en
effet	de	plus	en	plus	clair	que	l’étude	des	formes	du	savoir-pouvoir	est	d’abord	un	moyen	pour
rendre	pensable,	et	même	pour	hâter,	des	actes	politiques	concrets,	s’appuyant	du	coup	sur	une
compréhension	philosophique	du	présent.	Le	paradigme	d’un	pouvoir	purement	juridique,
accompagnant	une	démarche	cognitive,	qui	domine	encore	l’Histoire	de	la	folie,	s’affine	et	se
précise	:	le	vrai	pouvoir	n’est	pas	à	côté	de	la	détermination	d’un	objet	pour	le	savoir,	il	est	dans	cette
objectivation.	Et	c’est	en	tant	que	savoir	et	pouvoir	sont	indissociables	qu’une	histoire	politique	des
figures	de	la	pénalité	peut	faire	œuvre	de	philosophie,	en	donnant	lieu	nécessairement	à	une
archéologie	des	formations	discursives	qui	structurent	notre	pensée.	Nul	relativisme	là-dedans,	voire
même	un	certain	positivisme.
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«	Ce	que	j’essaie	de	faire,	c’est	l’histoire	des	rapports	que	la	pensée	entretient	avec	la	vérité	;
l’histoire	de	la	pensée	en	tant	qu’elle	est	pensée	de	la	vérité.	Tous	ceux	qui	disent	que	pour	moi	la
vérité	n’existe	pas	sont	des	esprits	simplistes.	»
Si	le	lien	entre	l’archéologie,	conçue	comme	mode	particulier	du	travail	historique,	et	la
philosophie	peut	être	établi,	il	faut	aussitôt	nous	demander	si	à	la	philosophie	ainsi	historicisée	peut
convenir	la	fonction	diagnostique	que	Foucault	lui	assigne,	après	Nietzsche.
Nous	avons	vu	comment,	par	sa	lecture	de	Kant,	Foucault	parvenait	à	identifier	philosophie	et
ontologie	du	temps	présent.	Mais	si	l’on	veut	pouvoir	considérer	son	œuvre	comme	œuvre
philosophique,	il	faut	aussi	tenter	de	comprendre	comment	Foucault	s’inscrit	explicitement	dans
l’héritage	kantien,	sur	ce	point	précis	de	la	définition	de	la	philosophie.
Un	premier	indice	en	ce	sens	peut	être	retenu,	dès	1966.	Refusant	de	donner	une	fonction
métaphysique	ou	existentielle	à	la	philosophie,	Foucault	réduit	ses	prétentions	pour	les	ramener	dans
les	bornes	de	l’enquête	archéologique.
«	Il	est	moins	séduisant	de	parler	du	savoir	et	des	isomorphismes	que	de	l’existence	et	de	son
destin,	moins	consolant	de	parler	des	rapports	entre	savoir	et	non-savoir	que	de	parler	de	la
réconciliation	de	l’homme	avec	lui-même	dans	une	illumination	totale.	Mais	après	tout,	le	rôle	de	la
philosophie	n’est	pas	forcément	d’adoucir	l’existence	des	hommes	et	de	leur	promettre	quelque	chose
comme	un	bonheur.	»
Cette	modestie	et	cette	positivité	de	la	philosophie	la	préservent	de	toute	tentation	de	dire	l’éternité.
En	revanche,	l’ethnologie	de	l’actualité	est	à	sa	portée	et	à	sa	mesure.	Foucault	confirme	dès	1967
cette	détermination	de	l’objet	propre	de	la	philosophie,	dans	un	texte	où	il	se	dit	lui-même	–	chose
rare	–	structuraliste.	Dans	une	formule	qui	a	le	mérite	d’exister,	Foucault	affirme	ainsi	que	la
philosophie	structuraliste	pourrait	se	concevoir	comme	«	l’activité	qui	permet	de	diagnostiquer	ce
qu’est	aujourd’hui	». 	Si	l’on	met	de	côté	cette	qualification	un	peu	curieuse	de	«	structuraliste	»,	on
ne	peut	que	constater	que	Foucault	attribue	à	son	propre	travail	ce	qu’il	dit	naître	avec	Kant,	et	plus
encore	sans	doute	avec	Nietzsche.
Foucault	va	même	un	peu	plus	loin	dans	cette	direction.	Il	tend	en	effet	à	faire	de	l’actualité	non	un
objet	possible	pour	la	philosophie,	mais	le	seul	qui	lui	resterait.	On	devrait	alors	distinguer	une	fin	de
la	philosophie,	si	l’on	entend	par	là	une	forme	plus	ou	moins	métaphysique	de	réflexion	sur
l’immuable,	et	la	subsistance	des	philosophes,	c’est-à-dire	des	diagnosticiens	du	présent.	Et	Foucault
hésite	même	sur	l’appellation	de	philosophes,	l’évitant	d’une	formulation	ironique	:	«	Diagnostiquer
le	présent	d’une	culture	:	c’est	la	véritable	fonction	que	peuvent	avoir	aujourd’hui	les	individus	que
nous	appelons	philosophes.	»
La	philosophie	doit	nous	faire	voir	ce	que	nous	voyons,	et	non	nous	faire	connaître	ce	que	nous	ne
voyons	pas,	ce	qui	est	l’apanage	de	la	science. 	En	cette	sévère	restriction	de	son	champ
d’application,	la	philosophie	doit	en	France	subir	un	traitement	similaire	à	celui	que	les	pays	anglo-
saxons	lui	ont	fait	subir	par	la	philosophie	analytique.	«	Il	faudrait	imaginer	quelque	chose	comme
une	philosophie	analytico-politique	» 	qui	porterait	sur	toutes	les	relations,	du	pouvoir	et	du	savoir,
qui	traversent	et	scandent	le	corps	social.	Des	relations	que	nous	ne	comprenons	pas	mais	que	nous
voyons	à	l’œuvre,	et	qui	déterminent	la	forme	même	du	discours	philosophique,	y	compris	quand	il
prend	pour	objet	les	modes	de	cette	détermination.
«	Philosophie	du	présent,	philosophie	de	l’événement,	philosophie	de	ce	qui	se	passe	» 	:	une
approche	conceptuelle	de	ce	que	le	théâtre	met	en	scène	–	cousinage	de	la	philosophie	et	du	théâtre
qu’incarne,	ô	combien	!,	la	dramaturgie	propre	des	livres	de	Foucault.
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Archéologie	et	politique
Concluons	rapidement	ce	premier	chapitre,	en	revenant	une	fois	encore	au	complexe	rapport	de
conditionnalité	réciproque	que	Foucault	établit	entre	l’archéologie,	l’ontologie	du	présent	et
l’intervention	politique,	ces	trois	éléments	fusionnant	dans	la	philosophie	même.	Il	nous	reste	à
comprendre	pourquoi	il	faudrait	qualifier	de	philosophie	ce	que	l’ontologie	du	présent	permet	de
faire,	comme	activité	politique,	au	terme	de	la	démarche	archéologique.
L’effet	recherché,	par	Foucault	lui-même,	quand	il	écrit,	n’est	ni	prophétique	ni	prescriptif.	Non	pas
dire	ce	qui	va	se	passer	ni	dire	ce	qu’il	faudrait	faire.	Foucault	écrit	l’histoire	avec	pour	critère	la
révélation	des	failles	invisibles	du	présent.	Il	ne	prétend	donc	pas	faire	œuvre	objective,	puis	donner	à
chacun	le	choix	de	l’action	;	l’action,	bien	qu’in	fine	laissée	à	l’initiative	du	lecteur,	est	préfigurée	par
l’archéologie	de	ses	lieux	possibles	d’intervention,	et	par	la	fragilisation	des	contraintes	qu’elle
provoque	en	eux.
Optimisme	absolu,	dit	Foucault.
«	Je	n’effectue	pas	mes	analyses	pour	dire	:	voilà	comment	sont	les	choses,	vous	êtes	piégés.	Je	ne
dis	ces	choses	que	dans	la	mesure	où	je	considère	que	cela	permet	de	les	transformer.	Tout	ce	que	je
fais,	je	le	fais	pour	que	cela	serve.	»
La	philosophie,	comme	philosophie	de	l’actualité,	devra	s’accompagner	d’une	réflexion	éthico-
politique	sur	le	lien	à	établir	librement	entre	le	rapport	que	nous	avons	au	pouvoir	et	à	la	vérité	et	la
conduite	que	nous	avons	à	tenir.	C’est	la	vie	même	de	la	philosophie	que	d’accepter	ce	complexe
tissage	entre	la	recherche	historique	et	le	mouvement	social.
Ce	tissage	n’a	rien	d’automatique,	ni	de	prévisible.	Foucault	n’écrit	pas	ses	livres	historiques	pour
qu’ils	servent	immédiatement	de	grille	d’interprétation	du	présent	ou	de	programme	d’intervention
politique.	Il	constate	plutôt	que	le	tissage	peut	se	faire	parfois.	Ainsi,	en	1970,	soit	dix	ans	après	sa
parution,	il	dit	espérer	que	son	Histoire	de	la	folie	a	été	utile,	tout	en	affirmant	–	on	le	verra	à	tort	–
que	le	livre	sur	lequel	il	travaille	alors,	Surveiller	et	punir,	risque	de	ne	pas	servir	à	grand	chose.
En	1974,	il	affine	encore	son	analyse,	en	reconnaissant	que	l’Histoire	de	la	folie	est	un	texte	politique
en	1974,	et	non	au	moment	de	sa	publication. 	L’archéologie	n’est	pas	directement	politique.	Elle
l’est	quand	l’histoire	permet	d’identifier	les	failles	du	présent	et	les	lieux	d’action	possibles,	en	un
processus	de	maturation	de	la	lecture	des	textes	qui	peut	prendre	plus	de	dix	ans.	Un	ouvrage	devient
politique	après	coup,	quand	le	débat	politique	le	constitue	en	outil,	ou	quand	l’actualité	du	sujet	traité
historiquement	par	ce	livre	trouve	dans	l’archéologie	une	motivation	à	l’action	supplémentaire.	Ainsi
Foucault	mentionne-t-il	explicitement	ses	analyses	de	Surveiller	et	punir	quand	il	s’agit	de
comprendre	le	comportement	de	l’armée	française	pendant	la	guerre	d’Algérie,	réfutant	au	passage
l’idée	un	peu	naïve	d’un	progrès	de	l’humanité	dans	le	traitement	infligé	aux	corps	:
«	La	police,	elle,	pour	savoir	la	vérité,	vous	savez	parfaitement	qu’elle	utilise,	et	de	plus	en	plus,
des	moyens	qui	sont	des	moyens	violents.	La	police	supplicie.	L’armée,	quand	elle	fait	des	tâches	de
police	–	comme	ç’a	été	le	cas	en	Algérie	sous	le	commandement	de	Massu,	ou	de	l’actuel	ministre
Bigeard	–,	l’armée	a	effectivement	supplicié.	Donc,	vous	avez	eu	un	déplacement	fonctionnel	du
supplice.	Vous	n’avez	pas	eu	de	disparition	du	supplice	dans	notre	société.	»
Foucault	articule	donc	en	sa	pensée	l’optimisme	signalé	plus	haut,	cette	conviction	que
l’archéologie	peut	servir	à	l’action,	et	ce	qu’il	appelle	lui-même	un	hyper	militantisme	pessimiste.
Dire	que	les	contraintes	qui	pèsent	sur	nous	sont	contingentes	nous	donne	de	les	concevoir	comme
modifiables	;	mais	elles	ne	nous	apparaissent	comme	devant	être	modifiées	qu’en	vertu	d’un	soupçon
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généralisé	à	l’égard	de	la	normativité.	Tout	n’est	pas	mauvais,	mais	tout	est	dangereux.	Et	«	si	tout	est
dangereux,	alors	nous	avons	toujours	quelque	chose	à	faire	».
La	philosophie	est	une	activité	analytique	et	en	tant	que	telle	théorique.	Mais	elle	est	par	là	même
pratique,	un	livre	de	philosophie	pouvant	fonctionner	tantôt	comme	une	bombe ,	tantôt	plus
modestement	comme	un	«	multiplicateur	des	formes	et	des	domaines	d’intervention	de	l’action
politique	». 	Non	pas	une	théorie	qui	s’applique	ensuite,	mais	un	complexe	théorico-actif,	où	la
causalité	peut	agir	dans	les	deux	sens	:	l’archéologie	comme	catalyseur	de	l’action,	mais	aussi	«	la
pratique	politique	comme	un	intensificateur	de	la	pensée	».
1-	Cf.	Jacques	Derrida,	L’Écriture	et	la	Différence,	Paris,	Seuil,	1967,	p.	416	:	«	La	sortie	“hors	de	la	philosophie”	est	beaucoup	plus
difficile	à	penser	que	ne	l’imaginent	généralement	ceux	qui	croient	l’avoir	opérée	depuis	longtemps	avec	une	aisance	cavalière,	et	qui	en
général	sont	enfoncés	dans	la	métaphysique	par	tout	le	corps	du	discours	qu’ils	prétendent	en	avoir	dégagé.	»
2-	Claude	Lévi-Strauss,	Tristes	Tropiques,	dans	Œuvres,	Paris,	Gallimard,	Bibliothèque	de	la	Pléiade,	2008,	p.	40.
3-	Nous	renvoyons	sur	ce	point	au	bel	ouvrage	de	Guillaume	Le	Blanc,	La	Pensée	Foucault,	Paris,	Ellipses,	2006,	notamment,	p.	4	:
«	Il	ne	s’agit	pas	d’annuler	la	philosophie	pour	laisser	place	à	l’expérience	de	la	pensée	(ce	qui	achèverait	de	rassurer	les	philosophes
professionnels)	mais	de	compliquer	la	philosophie	en	la	considérant	comme	un	mode	de	pensée	particulier	qui	peut	être,	le	cas	échéant,
contesté	par	d’autres	modes	de	pensée	ou	qui	peut	se	trouver	réorienté	par	les	autres	formes	de	la	pensée.	»
4-	DE	I,	p.	973.
5-	DE	II,	p.	376.
6-	Id.
7-	Ibid.,	p.	1348.
8-	DE	I,	p.	936.
9-	Ibid.,	p.	937.
10-	Ibid.,	p.	939.
11-	Ibid.,	p.	1500.
12-	DE	II,	p.	929.
13-	Cf.	ibid.,	p.	1404	:	«	Si	j’ai	tenu	à	toute	cette	“pratique”,	ce	n’est	pas	pour	“appliquer”	des	idées	;	mais	pour	les	éprouver	et	les
modifier.	La	clef	de	l’attitude	politique	personnelle	d’un	philosophe,	ce	n’est	pas	à	ses	idées	qu’il	faut	la	demander,	comme	si	elle
pouvait	s’en	déduire,	c’est	à	sa	philosophie	comme	vie,	c’est	à	sa	vie	philosophique,	c’est	à	son	êthos.	»
14-	Cf.	DE	I,	p.	476	:	«	Je	dirai	simplement	qu’il	y	a	eu	une	sorte	de	sommeil	anthropologique	dans	lequel	la	philosophie	et	les
sciences	de	l’homme	se	sont,	en	quelque	sorte,	fascinées	et	endormies	les	unes	par	les	autres,	et	qu’il	faut	se	réveiller	de	ce	sommeil
anthropologique,	comme	jadis	on	se	réveillait	du	sommeil	dogmatique	».	Foucault	fait	bien	évidemment	référence	au	mot	de	Kant,
attribuant	à	Hume	cette	fonction	de	réveil.
15-	Ibid.,	p.	531.
16-	DE	I,	p.	543.
17-	Cf.	sur	ce	terme	ibid.,	p.	1237	:	«	Par	connaissance	diagnostique,	j’entends,	en	général,	une	forme	de	connaissance	qui	définit	et
détermine	les	différences.	»
18-	Ibid.,	p.	654	;	même	idée	p.	693	:	«	Diagnostiquer	le	présent,	dire	ce	que	c’est	que	le	présent,	dire	en	quoi	notre	présent	est
différent	et	absolument	différent	de	tout	ce	qui	n’est	pas	lui,	c’est-à-dire	de	notre	passé.	C’est	peut-être	à	cela,	à	cette	tâche-là	qu’est
assigné	maintenant	le	philosophe.	»
19-	Cf.	ibid.,	p.	1302.
20-	Ibid.
21-	DE	II,	p.	475.
22-	Ibid.,	p.	476.
23-	Ibid.,	p.	707.
24-	Ibid.,	p.	783.
25-	Emmanuel	Kant,	Qu’est-ce	que	les	Lumières	?,	in	Œuvres	philosophiques,	Paris,	Gallimard,	Bibliothèque	de	la	Pléiade,	1985,
t.	II,	p.	209.
26-	Ibid.,	p.	215.
27-	DE	I,	p.	267.
28-	Cf.	ibid.,	p.	476.
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