Une fiche de lecture réalisée dans le cadre de ma licence en économie et gestion à l'université de Lille. Elle porte sur un article de Vincent Vergnat : «Lutte contre la pauvreté et incitations à l’emploi : quelle politique pour les jeunes ? » (Revue économique, 2019).
Fiche de lecture - Lutte contre la pauvreté et incitations à l’emploi : quelle politique pour les jeunes ?
1. DELCROIX Clara
2019 / 2020
FICHE DE LECTURE
Lutte contre la pauvreté et incitations à l’emploi :
quelle politique pour les jeunes ?
Vincent VERGNAT, 2019, Revue économique
Université de Lille - Cité scientifique
L3 économie et gestion parcours EMI
Conférences de méthode - Sandrine ROUSSEAU
2. 1.0 INTRODUCTION
Vincent Vergnat est chercheur à l'Institut de recherche socio-économique du
Luxembourg (LISER) et à l'Université du Luxembourg. Il a obtenu un doctorat en
économie à l’université de Strasbourg en 2017. Ses travaux portent sur les inégalités de
revenus, l'impact des politiques sociales et fiscales sur la pauvreté et l'offre de travail, et
les conséquences de la maternité et de la paternité sur le marché du travail et sur l'offre
de travail des jeunes adultes. Dans ses analyses, il utilise des modèles de
microsimulation et des techniques microéconométriques.
L’article que nous allons décrire et analyser s’intitule Lutte contre la pauvreté et
incitations à l’emploi : quelle politique pour les jeunes ?. Il est paru en 2019 dans la
Revue économique. Son auteur, Vincent Vergnat, part d’un constat : la jeunesse est une
période charnière entre enfance et vie adulte souvent synonyme de précarité. Seulement,
les jeunes ne peuvent pas percevoir le revenu de solidarité active (RSA), car il faut être
âgé de plus de 25 ans pour en bénéficier. Les 18-24 doivent donc se « contenter » de la
prime pour l’emploi (PEE). Le chercheur ne manque pas de préciser que de nombreuses
études ont déjà étudié les dispositifs d’aides aux personnes en situation précaire. Il se
concentre donc sur l’impact d’une extension du RSA aux 18-24 ans, qui permettrait en
effet de réduire le taux pauvreté. Toutefois, avec ce RSA jeune, les incitations à l’emploi
resteraient faibles, encourageant davantage le travail à temps partiel. Pour aboutir à ce
constat, Vincent Vergnat a utilisé un modèle de microsimulation couplé à un modèle
économétrique.
Dans cette fiche de lecture, nous résumerons brièvement l’article avant d’en
réaliser une analyse critique.
2.0 RÉSUMÉ DE L’ARTICLE
Le constat est sans appel : en France, les jeunes sont souvent en situation précaire,
avec un taux de pauvreté avoisinant les 23 % contre 12,6 % dans l’ensemble de la
population. Et pourtant, ils ne peuvent pas percevoir le revenu de solidarité active
(RSA) pour lequel il est nécessaire d’avoir 25 ans. Une extension du RSA aux 18-24 ans
permettrait-elle de lutter efficacement contre la pauvreté des jeunes ? Favoriserait-elle
l’emploi à temps plein ? Les détracteurs d’une telle réforme soulignent qu’une extension
du RSA inciterait les jeunes à préférer l’inactivité à l’activité… Est-ce réellement le
cas ?
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3. Dans l’article, sont assimilés à la population des jeunes l’ensemble des individus
qui ont entre 18 et 24 ans. Ils peuvent être divisés en trois catégories de statut
d’activité : les étudiants, ceux qui sont en emploi et les NEET (not in employment,
education or training), qui ne sont pas étudiants et n’ont ni emploi ni stage. Les jeunes
sont en outre divisés en deux catégories de conditions de vie : ceux qui cohabitent avec
leurs parents (les cohabitants) et ceux qui vivent de manière indépendante (les
décohabitants). La prise en compte de ces éléments, statut d’activité et conditions de
vie, est importante : le taux de pauvreté est beaucoup plus faibles dans la population des
travailleurs et dans celle des cohabitants. Mais il faut aussi prêter attention au fait que la
solidarité familiale est très fluctuante et les revenus du travail des jeunes faibles - d’où
l’intérêt d’une intervention de l’État. Cette aide va différer selon les mêmes critères
précédents : un jeune étudiant percevra plus facilement des aides qu’un autre. Nous
constatons aussi qu’en France, pour les non-étudiants, ce sont davantage des politiques
d’insertion vers l’emploi qui sont mises en place.
Trois scénarios sont envisagés dans l’analyse : une extension du RSA socle et du
RSA activité aux 18-24 ans (scénario 1), l’établissement d’une prime d’activité
(scénario 2), ou l’introduction d’une prime d’activité doublée d’une extension du RSA
socle (scénario 3). La prime d’activité remplace à la fois la prime pour l’emploi (PEE)
et le RSA activité. Entre autres conditions pour y accéder : avoir plus de 18 ans, exercer
une activité rémunérée (à l’exception des étudiants et des apprentis), posséder des
ressources inférieures au seuil plafond et un revenu d’activité inférieur à 1,2 SMIC.
Pour analyser ces trois scénarios, Vincent Vergnat utilise deux outils : un modèle
de microsimulation et un modèle économétrique. En premier lieu, le modèle de
microsimulation EUROMOD lui permet de mesurer l’impact de chacun des dispositifs
sur la pauvreté et les inégalités. En second lieu, le modèle économétrique lui permet
d’étudier les changements de comportements d’offre de travail, de simuler les revenus
disponibles en fonction du temps travaillé et d’en déduire l’évolution des niveaux de
vie. Il définit d’abord une fonction d’utilité d’un jeune i choisissant un temps de travail
j. Cette fonction d’utilité a pour variables le nombre d’heures travaillées, le niveau de
consommation, les caractéristiques socio-démographiques, le vecteur des préférences
individuelles et un terme d’erreur. Trois formules en sont déduites, pour calculer
respectivement les revenus d’un jeune non-étudiant vivant sans ses parents, ceux d’un
jeune non-étudiant, de 21 ans ou plus, vivant avec ses parents et ceux d’un jeune non-
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4. étudiant, de moins de 21 ans, vivant avec ses parents. Les modèles incluent les heures
travaillées, le salaire horaire, les revenus hors travail, la fonction de taxation, la
consommation du ménage, le revenu disponible des parents et des caractéristiques
socio-démographiques du foyer fiscal. Vincent Vergnat précise les cinq étapes
nécessaires à estimer le modèle, à savoir estimer et prédire les salaires, microsimuler le
revenu disponible avant réforme, estimer les paramètres de la fonction d’utilité,
microsimuler le revenu disponible après réforme, et enfin en déduire les probabilités de
choix d’offre de travail.
Afin d’obtenir un échantillon représentatif de la population française, l’auteur
procède à une pondération de données d’Eurostat portant sur 26 979 individus répartis
sur 11 360 ménages. Les outils statistiques permettent d’établir un premier constat sur la
population entière en comparaison aux jeunes : un taux de pauvreté plus élevé chez les
jeunes (17,5 % contre 10,7 %) et un niveau de vie médian plus faible (1 481 € / mois
contre 1 696 € / mois), mais un indice de Gini similaire (26,84 dans l’ensemble de la
population, 25,79 chez les jeunes). Avec une simulation de la mise en place de la prime
d’activité (scénario 2), le taux de pauvreté des jeunes diminue de 0,4 points. Mais cette
réduction est plus faible que dans les scénario 1 et 3 : dans les scénario 1, la diminution
atteint les 4,4 points de pourcentage ! De même, dans la lutte contre les inégalités, les
scénarios 1 et 3 sont les plus efficaces. En effet, le scénario 2 ne permet de fournir une
aide qu’aux jeunes ayant perçu des revenus du travail.
En simulant une augmentation des salaires individuels de 1 %, l’auteur se rend
compte que l’effet sur l’offre de travail des jeunes cohabitants est faible voire négatif,
alors qu’il est positif pour les jeunes décohabitants - bien que relativement faible. Aussi,
dans l’ensemble, à des degrés plus ou moins importants, les trois scénarios sont
efficaces dans la lutte contre la pauvreté, mais ils incitent davantage au temps partiel
qu’au temps plein. Pour l’auteur, l’idéal serait de créer un système d’incitation à
l’emploi qui n’encourage pas le temps partiel.
3.0 ANALYSE CRITIQUE DE L’ARTICLE
Pour analyser cet article de manière critique, nous nous concentrerons
premièrement sur les modèles utilisés et leurs limites, puis sur les thèmes associés qui
mériteraient d’être abordés.
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5. 3.1 Limites des modèles utilisés
L’article est paru en 2019, la même année où le gouvernement français a acté
l’établissement d’un RSA jeune actif dont peuvent bénéficier des jeunes, Français ou
étrangers, âgés de 18 à 25 ans et justifiant d'une certaine durée d'activité professionnelle.
Or dans l’article, la mise en place de ce dispositif est ignorée. Mais force est de
constater que la littérature scientifique sur le RSA jeune actif n’est pas foisonnante,
sûrement à cause de la récence du dispositif. Aussi est-il notable qu’un auteur se soit
penché sur la question de l’extension du RSA aux jeunes.
Il est intéressant de noter ce que l’auteur précise : « Chaque modèle de
microsimulation a sa propre construction et ses propres hypothèses simplificatrices. Le
modèle EUROMOD ne simule pas les impôts indirects, les impôts sur le patrimoine et
les impôts sur le logement. ». Et d’ajouter « la microsimulation est relativement sensible
aux hypothèses adoptées et aux données utilisées ». À la lumière des explications de
Florence Thibault (2008), nous pouvons en conclure que l’utilisation d’hypothèses
simplificatrices est à double tranchant : d’un côté, elles rendent le modèle plus simple -
et puis, il serait difficile d’envisager tous les facteurs possibles d’influencer un choix : il
y en a une infinité, ou presque - mais augmentent le risque d’erreur. Comment, dès lors,
être sûr de la fiabilité des résultats qu’il obtient ? Comment être sûr que les hypothèses
simplificatrices choisies sont pertinentes et que les données sont appropriées ? La non
prise en compte des impôts indirects, des impôts sur le patrimoine et des impôts sur le
logement semble quelque peu biaiser le résultat. En effet, il est envisageable, et même
probable que certains jeunes entre 18 et 24 ans possèdent déjà du patrimoine et aient à
payer des impôts dessus. Un point positif est l’échantillon utilisé : il est composé de
26 979 individus pondérés pour être représentatifs de la population française. Aussi, il
est totalement envisageable de considérer les données comme appropriées.
Cependant, comme l’auteur le soulève dans sa réflexion, le modèle économétrique
qu’il emploie possède deux limites principales : une dimension statique et la non prise
en compte de la demande de travail. La dimension statique ne permet pas d’intégrer le
fait que, en prenant leur choix, les individus anticipent des gains à long terme. Une
dimension dynamique serait plus pragmatique… De surcroît, l’auteur précise que la non
prise en compte de la demande de travail n’est pas réaliste, puisque le marché du travail
est fortement conditionné par cette dernière. Aussi, pourquoi ne l’a-t-il pas prise en
4
6. compte ? À la vue de ces différents éléments, nous pouvons remettre en question le
réalisme du modèle économétrique utilisé.
Toujours sur les modèles utilisés, Vincent Vergnat, dans une optique de
simplification, considère que le niveau de consommation est égal au revenu disponible.
Or, normalement, les revenus sont égaux à la consommation additionnée de l’épargne.
(Patrick Cotelette, 2013). Et, en effet, certains jeunes épargneront une partie de leurs
revenus ! Par exemple, un cohabitant peut recevoir des aides - à la fois monétaires et en
nature - de sa famille. Ce jeune cohabitant pourrait tout à fait avoir un travail, mais les
salaires qu’il perçoit lui serviraient uniquement à épargner pour un voyage futur ou
autre. Concevoir un modèle sans épargne semble, à nouveau, irréaliste. Trop de
simplification tue la simplification et, par là même, l’exactitude des résultats…
Dans l’étude, il est aussi considéré que le taux de recours au RSA et à la prime
d’activité est égal à 100 %, soit que l’ensemble des bénéficiaires possibles y recourront.
Mais pour augmenter la réalité du modèle, il aurait fallu établir un taux de non-recours.
En effet, certains jeunes, même s’ils sont éligibles, ne feront pas la demande pour
obtenir les aides (Denis Anne et Sylvain Chareyron, 2017) : il s’agit d’un non-recours
primaire, l’individu correspond aux critères mais ne fait pas la demande. Il faudrait
aussi prendre en compte un certain taux de non-recours secondaire, où l’aide est
demandée mais n’est pas obtenue.
3.2 Ouverture et comparaison avec l’étranger
3.2.1 La question de la demande de travail
Il conviendrait aussi de traiter la question de l’articulation du RSA avec la
demande de travail des entreprises (Mathieu Béraud, Anne Eydoux, Émilie Fériel et
Jean-Pascal Higelé, 2014), qui comme expliqué précédemment, n’est pas ici prise en
compte dans l’analyse. L’établissement d’un RSA risque-t-il d’encourager une offre de
travail pour des emplois à très bas salaire ou à temps partiel très court ? En outre, une
extension du RSA aux 18-24 ans habituerait-elle les jeunes à la perception de
prestations et en développeraient-il une sorte de dépendance ? Une analyse de Brigitte
Schels (2013) montre qu’en Allemagne les jeunes adultes courent un risque
considérable de recevoir des prestations sociales prolongées ou répétées après une
première demande. Ce phénomène est associé à un chômage de longue durée et un
5
7. faible niveau de qualification. Toutefois les résultats de son étude ne dénotent aucune
dépendance. Peut-être que d’autres analyses proposent des résultats différents.
3.2.1 Pauvreté des jeunes en Europe
En outre, à la fin de son article, Vincent Vergnat souligne qu’au Danemark, les
moins de 25 ans reçoivent un pourcentage du revenu minimum. Pour les cohabitants,
qui vivent chez leurs parents, l’aide est plus faible : elle correspond à la moitié du
pourcentage. Une étude de la situation dans d’autres pays européens permettrait de
fournir de nouvelles idées d’aides et de politiques de lutte contre la pauvreté des jeunes
et d’incitations à l’emploi de ces derniers.
En Europe, il existe une diversité de situation concernant la pauvreté des jeunes
(Sara Ayllón, 2015). La pauvreté dure par exemple plus longtemps dans les pays
méditerranéens qu’en Scandinavie. En effet, en Finlande ou au Danemark, de nombreux
jeunes sont touchés par la pauvreté, mais seulement pour une courte période. En
Espagne ou en Italie, ainsi qu’en Irlande, les jeunes adultes sont moins nombreux à
vivre en deçà du seuil de pauvreté, mais ils le sont à plusieurs reprises de leur jeunesse.
Prenons l’exemple de la Finlande et de la Lituanie.
En Finlande, les jeunes décohabitants sont davantage touchés par la pauvreté (Ilari
Ilmakunnas, 2018). Qui plus est, les changements dans l'emploi sont souvent associés
aux transitions de la pauvreté chez les jeunes adultes. Mais la pauvreté des jeunes est
aussi influencée par la démographie et dépend du sexe des individus. Ces deux points
n’ont pas été traités dans l’article de Vincent Vergnat, or nous pourrions escompter une
différence de comportement selon le sexe de l’individu.
En Lituanie, le gouvernement mise sur la création d'emplois, une éducation
adéquate et la création ou le développement des entreprises (Žiukas, Vytautas. 2015). Le
travail social joue un rôle important dans l’élimination de la pauvreté : non seulement, il
crée de l’emploi, mais il améliore le bien-être social des individus, encourage la
solidarité sociale, soutient et protège les membres vulnérables de la société et encourage
la coopération avec les bénéficiaires de services.
4.0 CONCLUSION
L’article est intéressant dans son ensemble : la question de l’extension du RSA
aux 18-24 ans n’est pas beaucoup traitée dans la littérature scientifique. Aussi, il semble
difficile d’établir une méthode d’analyse fiable à 100 %. Nous mettrons en avant les
6
8. efforts fournis par l’auteur afin de rendre compte au mieux de la réalité. L’étude est
réalisée sur un grand échantillon pondéré afin d’être représentatif de la population
française, ce qui ne peut qu’être souligné. Néanmoins, de nombreux facteurs de
simplification amènent à douter de l’exactitude des résultats. En outre, une comparaison
avec d’autres pays aurait pu être intéressante et enrichir l’argumentation. Certains pays
proposent des solutions similaires à une extension du RSA : quel y est l’état des lieux ?
De plus, alors que l’article est récent, il est déjà plus ou moins dépassé, puisqu’au début
de l'année 2020, le gouvernement a mis en place un RSA jeune actif. Il serait intéressant
de confronter les résultats de cette étude avec l’impact réel qu’aura le RSA jeune actif
dans un an ou deux ans, voire plus.
5.0 BIBLIOGRAPHIE
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