La situation des avocats en Chine (update 18/06/2017)
2011 05 20 discours de skouris au ccbe
1. Session plénière du Conseil des barreaux européens (CCBE)
Discours d'ouverture
M. Vassilios Skouris
20 mai 2011, 14 heures
Madame la Vice-présidente Reding, Monsieur le Président Dal, Messieurs les
Vice-Présidents et Secrétaire général du CCBE, Mesdames et Messieurs, chers
Collègues,
Pour ne rien vous cacher, c'est avec quelque surprise que nous avons pris
connaissance de la proposition du Conseil des barreaux européens (CCBE) de
tenir sa session plénière dans les locaux de la Cour. En dépit de toute la
modernité qu'offre notre nouveau bâtiment, il n'a en effet été conçu que pour des
activités principalement judiciaires et notre grande salle d'audience ne dispose
pas de tous les attributs d'une salle de conférences plus classique. Notre surprise
a toutefois vite cédé la place au plaisir de vous accueillir. Cette salle est après
tout un lieu de travail que nous partageons, et qui de toute évidence n'est pas
empreint pour vous de trop mauvais souvenirs puisque vous renoncez même à
un certain confort pour vous y réunir! C'est donc honorés par la dimension
symbolique que vous accordez à cette enceinte en y tenant l'une de vos réunions
annuelles les plus importantes que nous vous souhaitons la plus cordiale
bienvenue à Luxembourg. Le nombre de mes collègues ayant répondu
positivement à votre aimable invitation à assister à votre séance plénière le
démontre.
Votre association regroupe et représente le chiffre impressionnant d'environ un
million d'avocats répartis entre les barreaux de 31 pays membres, parmi lesquels
1
2. les 27 Etats membres de l'Union européenne, les 3 Etats membres de l'Espace
économique européen et la Suisse. A ces pays membres s'ajoutent 11 pays
associés et observateurs. L'une des missions de votre association consiste à
représenter vos membres auprès des institutions européennes. Il est évident que
cette mission revêt une dimension particulière lorsqu'il s'agit de la Cour de
justice de l'Union européenne, l'instance judiciaire parmi ces institutions, car à la
dimension institutionnelle s'ajoute alors la dimension fonctionnelle des relations.
Il ne se passe en effet pas une journée sans que les juridictions qui composent
notre institution, par l'intermédiaire de leur greffe, ne soient en contact avec les
professionnels que vous représentez. Pour nos juridictions, vous êtes à la fois
usagers, partenaires et même, à l'occasion, objet du litige.
Notre statut prévoit en effet clairement que toute partie autre que les Etats
membres et les institutions a l'obligation d'être représentée devant nos
juridictions par un avocat. Ceci n'exclut d'ailleurs pas que l'agent d'un Etat
membre ou d'une institution soit ponctuellement assisté d'un avocat, possibilité
qui n'est pas restée qu'une hypothèse d'école. Pour être tout-à-fait exact, il existe
des exceptions qui se présentent néanmoins rarement: ainsi, peuvent également
représenter une partie devant la Cour de justice les professeurs ressortissants des
États membres dont la législation leur reconnaît un droit de plaider. De même,
dans le cas particulier des renvois préjudiciels, la Cour tient compte des règles
de procédure applicables devant les juridictions qui l'ont saisie: si un justiciable
n'a pas l'obligation d'y être représenté par un avocat, la Cour admet qu'il puisse
se représenter lui-même devant elle.
La règle générale reste cependant que le ministère d'avocat est obligatoire
devant la Cour de justice. Mais seuls sont admis à représenter ou assister une
partie les avocats habilités à exercer devant une juridiction d'un Etat membre ou
d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Le
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3. recoupement géographique avec les Etats membres de votre association est
parfait.
La Cour de justice applique cette exigence de représentation par un avocat avec
constance et intransigeance. Sa jurisprudence l'a établie en règle de forme
substantielle dont l'inobservation entraîne l'irrecevabilité du recours, et qui n'est
pas susceptible d'être régularisée après l'expiration du délai de recours. Est par
exemple irrecevable la requête signée par un agent en brevets et marques qui,
bien que ce dernier soit en droit de représenter des parties dans certains recours
devant les juridictions d'un Etat membre, n'est pas avocat.
La Cour de justice voit dans cette exigence des garanties pour le justiciable
comme pour elle-même; la garantie que le justiciable sera assisté au mieux de
ses intérêts et guidé avec professionnalisme par des personnes soumises aux
règles juridiques et déontologiques en vigueur dans leur Etat d'exercice, la
garantie qu'elle disposera d'un interlocuteur praticien du droit collaborant
efficacement à chaque stade de la procédure. Ainsi qu'elle l'a exprimé dans sa
jurisprudence, «l'exigence d'avoir recours à un tiers correspond à la conception
du rôle de l'avocat selon laquelle celui-ci est considéré comme collaborateur de
la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur
de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin. Cette conception répond
aux traditions juridiques communes aux États membres et se retrouve également
dans l'ordre juridique communautaire».
Hormis les litiges interinstitutionnels, il n'y a donc pratiquement pas d'affaires
pendantes devant nos juridictions où les parties ne s'expriment pas par
l'intermédiaire d'un avocat. Cet avocat, bien sûr, présente un profil aussi divers
que le nombre de ceux que vous représentez peut le laisser supposer. Pour
schématiser à outrance, on pourrait évoquer les grands cabinets d'affaires
3
4. rompus aux affaires de concurrence d'un côté et l'avocat du petit barreau de
province de l'autre côté. La réalité est sans doute bien plus différenciée et
complexe, ainsi des cabinets de taille plus modeste se sont-ils spécialisés dans
une branche particulière du droit de l'Union, lequel couvre aujourd'hui, on le
sait, une multitude de domaines. Tous sont néanmoins potentiellement appelés à
pouvoir plaider devant notre Cour et leurs compétences, qu'elles soient pointues
et routinières dans un domaine précis du droit de l'Union ou plus généralistes,
sont utiles à nos juridictions. C'est évident pour la première catégorie que je
viens de décrire. Mais c'est tout aussi vrai pour la deuxième catégorie.
En effet, si la Cour rappelle volontiers le lien particulier qui l'unit aux juges
nationaux, sans la coopération desquels cet instrument unique de diffusion du
droit de l'Union qu'est le renvoi préjudiciel ne fonctionnerait pas, elle est
également consciente du rôle que peut jouer dans ce contexte un avocat
déterminé qui aura vu dans le droit de l'Union une possibilité pour son client,
partie à un litige pendant devant une juridiction nationale, d'obtenir gain de
cause. Son rôle dans le processus qui amène un juge national à procéder à un
renvoi préjudiciel peut être déterminant et aller jusqu'à proposer la formulation
de ce renvoi. La Cour encourage à son niveau cette démarche: je mentionnerai à
cet égard la possibilité de l'octroi d'une aide judiciaire lorsque les conditions
sont réunies et que l'aide prévue par le droit national ne couvre pas la procédure
devant la Cour. Je mentionnerai aussi notre application stricte des règles
relatives à la langue de procédure: dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, la
langue de procédure est celle de la juridiction nationale qui saisit la Cour, ce qui
favorise la représentation des parties par les avocats qui les représentaient déjà
devant la juridiction de renvoi. En outre, ce respect de la langue de procédure
permet une participation équilibrée des avocats en fonction de la langue qu'ils
maîtrisent et d'établir un contrepoids à l'incitation à recourir à des locuteurs de
langues plus répandues.
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5. Usagers et partenaires de nos juridictions par destination et par excellence, votre
profession est également, sans que cela ne surprenne puisque vous êtes en
première ligne dans l'application du droit de l'Union, à l'origine de nombreux
arrêts qui ont fait marque dans la jurisprudence de la Cour, en particulier dans le
domaine de la liberté d'établissement et de la reconnaissance des qualifications
professionnelles. La jurisprudence s'est aussi penchée sur d'autres aspects de
l'exercice de votre profession, tels que la compatibilité de la limitation de vos
honoraires avec les règles de la concurrence ou encore tels que la confidentialité
des communications entre avocats et clients dans le cas particulier des avocats
internes à l'entreprise. Vous aurez reconnu dans cette dernière évocation les
affaires AM&S et Akzo Nobel, dans lesquelles le CCBE a d'ailleurs été admis à
intervenir – l'intervention dans une affaire constituant un dernier axe
d'interaction possible entre votre association et notre institution.
Alors que nous sommes en contact étroit au niveau opérationnel, nous ne
pouvons qu'être liés également par le souci du bon fonctionnement du système
juridictionnel de l'Union, par le renforcement de son efficacité et de son autorité.
Vous suivez attentivement ses activités et son développement, et votre
expérience en tant qu'acteur de ce système vous permet d'avoir un point de vue
éclairé sur son fonctionnement, même si ce point de vue part évidemment d'un
autre angle que le nôtre, puisqu'il est situé de l'autre côté de la barre.
Comme vous le savez, le système juridictionnel de l'Union vient de connaître
quelques évolutions avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Pour n'en
citer que trois: les compétences de la Cour de justice, qui souffraient jusqu'alors
d'un nombre substantiel de restrictions, ont été étendues pour le plus grand
bénéfice de la protection juridictionnelle dans l'Union européenne. Ainsi, la
Cour de justice a acquis une compétence préjudicielle générale dans le domaine
5
6. de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. En outre, les conditions de
recevabilité des recours en annulation contre les actes réglementaires ont été
assouplies. De plus, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
bénéficie désormais de la même valeur juridique que les traités.
Les professionnels que vous êtes ont déjà reconnu dans ces trois réformes des
pistes à explorer pour de nouveaux recours. Et nous ne pouvons que nous en
réjouir, puisque la saisine de la Cour de justice est également le thermomètre de
la diffusion de droit de l'Union et de la confiance accordée à nos juridictions
pour veiller à sa bonne application. La Cour, depuis les adhésions de 2004 et
2007, combinées à l'extension des compétences du législateur européen à de
nouveaux domaines et à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, voit
augmenter le nombre des affaires introduites non pas de manière dramatique
mais néanmoins constante. Si, pour l'heure, la situation reste satisfaisante en
termes d'affaires clôturées, et que, suite à l'adoption de mesures ayant pour
objectif d'accélérer le traitement des affaires, la durée de procédure s'est même
notablement réduite, la Cour a toutefois souhaité prendre les devants sur les
évolutions à venir. Elle a donc tout récemment élaboré des propositions de
réformes qui incluent des modifications formelles du statut, lesquelles ont déjà
été transmises au législateur de l'Union, et est sur le point de communiquer au
Conseil une proposition de refonte complète de son règlement de procédure.
J'aimerais vous exposer quelques-unes des modifications proposées.
L'objectif de la refonte du règlement de procédure de la Cour est de simplifier la
procédure, de la réduire là où cela semble possible, de l'adapter à la
jurisprudence et aux pratiques en usage, tout en améliorant la structure et la
lisibilité du règlement. Parmi les propositions qui auront des répercussions
directes sur votre pratique, figure l'introduction d'un système électronique de
transmission des documents, dénommé e-curia. Les représentants des parties
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7. pourront opter pour ce système bien entendu sécurisé et être ainsi dispensés de
l'introduction d'originaux sur papier. De la même manière, toutes les pièces de
procédure leur seront communiquées par cette voie. Ce système permettra
d'épargner beaucoup de manutention de part et d'autre et de gagner du temps sur
les délais. Dans ce contexte, la Cour propose également d'abandonner les délais
de distance qui n'auraient plus de raison d'être.
En ce qui concerne les audiences, un sujet qui vous tient légitimement
particulièrement à cœur, la Cour propose d'abandonner l'obligation de fournir un
rapport d'audience et de se réserver la possibilité de ne pas tenir d'audience de
plaidoiries si elle estime que les parties ont pu présenter leur point de vue de
manière satisfaisante. La Cour est consciente de l'impact de cette proposition sur
votre pratique, et compte sur votre confiance et compréhension en soulignant
qu'il convient d'avoir présent à l'esprit le gain d'efficacité obtenu par ces mesures
sur l'ensemble des procédures.
Les modifications proposées pour le statut ne sont quant à elles, en ce qui
concerne la Cour, pas de grande envergure. Elles prévoient l'introduction de la
fonction de vice-président au regard de l'alourdissement important des tâches de
représentation et d'administration qui incombent au président. Elles prévoient
également une réforme de la composition de la Grande chambre, augmentée à
quinze et sans la présence systématique des présidents de chambre à cinq juges,
afin de mieux répartir entre les membres la participation aux travaux de la
Grande chambre.
Pour ce qui concerne le Tribunal, les propositions de modification du statut sont
plus essentielles. En effet, le Tribunal est confronté à des difficultés croissantes:
les requêtes augmentent et malgré le transfert de compétence au Tribunal de la
fonction publique, son volume d'affaires pendantes dépasse aujourd'hui
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8. largement ses capacités de traitement. La durée de procédure, particulièrement
dans les affaires complexes de concurrence, en souffre considérablement. La
situation n'est malheureusement plus à l'anticipation et la Cour de justice, à
l'issue d'une réflexion très approfondie, a proposé une augmentation, s'élevant à
douze, du nombre de juges composant le Tribunal. Une autre option pour
augmenter la capacité d'absorption des affaires qui lui sont soumises, option déjà
ouverte par le traité, consisterait en la création d'une juridiction spécialisée en
contentieux des marques ou plus généralement, de la propriété intellectuelle.
Mais la Cour a acquis la conviction que, outre qu'elle serait plus lourde et donc
plus lente à mettre en place, alors même que la situation actuelle appelle une
réponse urgente, cette option ne permettrait pas de résoudre les difficultés
auxquelles le Tribunal est confronté puisque le véritable problème réside en le
traitement des affaires relevant du droit de la concurrence.
Je crois avoir compris que le CCBE faisait la même analyse de la situation et
nous en en voyons confortés dans notre proposition. Bien sûr, l'augmentation du
nombre de juges du Tribunal n'est pas à elle seule le sésame qui permettra de
résoudre tous les problèmes; elle doit être accompagnée d'une réflexion sur la
manière de tirer au mieux profit de l'ensemble des ressources du Tribunal, alors
que ce dernier a déjà initié des efforts pour améliorer sa productivité.
Mesdames, Messieurs, je ne tiens pas à monopoliser davantage la parole et vous
propose de passer immédiatement à la séance de questions et réponses prévue au
programme. Je vous présente d'ores et déjà tous mes vœux de succès pour votre
séance plénière et vous souhaite d'agréables et fructueux travaux.
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