1. Les larmes de Naderev Saño
Michel De Muelenaere
Arrivé à la fin de son discours, il est en larmes, Naderev Saño. Jusque là, le
négociateur philippin est parvenu sans peine à dérouler la moitié de son adresse à la
plénière du sommet de Doha. Mais sa voix se brise. Il tente de décrire les effets,
pour son pays, du typhon Bopha qui a laissé des centaines de morts et des milliers
de sans abri dans une région qui, très au sud, n’est pas familière de ce genre de
catastrophe. Comme l’ouragan Sandy dans les Caraïbes et aux Etats-Unis, insiste
Saño, il s’agit d’un signe clair du changement climatique. Certains membres de sa
délégation son originaires de la région frappée par les éléments. « Je fais ici un
appel urgent. Pas comme négociateur, ni comme chef de délégation, mais en tant
que Philippin. J’en appelle au monde entier, j’en appelle aux leaders du monde
entier. Ouvrez vos yeux à la terrible réalité. J’en appelle aux ministres. L’issue de
nos travaux ne relève pas d’une demande de nos responsables politiques. C’est ce
qu’exigent 7 milliards de personnes. J’en appelle à tous. S’il vous plait, plus de
retards, plus d’excuses. S’il vous plait, qu’on se souvienne de Doha comme de
l’endroit où nous avons trouvé la volonté politique de surmonter les obstacles. Qu’on
se souvienne de 2012 comme de l’année où le monde a trouvé le courage de
prendre la responsabilité de dessiner le futur que nous voulons. Je vous le demande
à tous ici présents : si ce n’est pas nous, alors qui ? Si ce n’est pas maintenant, alors
quand ? Si ce n’est pas ici, alors où ? » Les derniers mots du Philippin sont couverts
par les applaudissements.
Retour au réel
C’est cela aussi un sommet de négociations sur le climat. Une froide bureaucratie.
Des alignements de chiffres, des arguties juridiques et politiques. Des intérêts, des
égoïsmes, de l’indifférence. De la mauvaise foi crasse parfois… Et puis des éclats
d’une humanité désespérée et flamboyante. Qui subitement sortent négociateurs,
experts et observateurs de leur pinaillage sur des formules alambiquées et
absconses. Ce sont les représentants des petites îles du Pacifique qui, en séance,
rappellent que leur pays disparaît. Que la population manque d’eau potable en raison
2. de la pénétration du sel dans les nappes phréatiques. Que progressivement, il faut
acheter des terres à l’étranger, songer à déménager ; devenir des réfugiés
climatiques. Ce sont les ambassadeurs des pays les plus pauvres, les Africains, des
Asiatiques, des Latinos, qui témoignent des sécheresses inhabituelles et du désert
qui progresse. En termes très crus, ils évoquent les rendements agricoles qui
chutent, la difficulté croissante pour nourrir leur peuple.
Le climat retrouve alors ses couleurs. Celles de personnes qui souffrent ; d’un
environnement bouleversé dans lequel les communautés humaines perdent leurs
repères. Régulièrement, les diplomates et les ministres doivent être ramenés aux
réalités. C’est le rôle des organisations non gouvernementales et des pays
concernés par les impacts concrets de leur redire qu’il est parfois honteux de
« négocier » le bien-être et la vie des populations. De redire que la science a parlé.
Que ses conclusions sont concordantes à propos de l’avenir. A vrai dire, ces rappels
au réel ne sont pas toujours couronnés de succès…
Aux Philippines, Les destructions causées par chaque saison cyclonique coûtent 2%
du PIB et la reconstruction 2% supplémentaires. L’économie perd ainsi de 4 à 5% de
sa richesse chaque année. Or, les scientifiques prédisent une aggravation de la
puissance des cyclones. Pas encore de quoi faire pencher la balance des
négociations internationales, mais certainement de quoi s’attendre à d’autres
vibrants discours.