1. Extrait de la biographie Rouge Horizon
(Avec l’aimable autorisation de son propriétaire)
Propos recueillis et rédigés par Vincent Orville.
Mon père était quelqu’un de très autoritaire, fier,
excessivement fier. A l’âge de 25 ans, il dirigeait déjà sa propre
usine de textile. A 28 ans, poussé par ses ambitions, il fit
construire deux autres locaux, puis deux autres encore. A 32
ans, la consécration !
Lui, ce fils de simple garçon de ferme possédait sept
usines éparpillées dans différents coins de France. Je crois
qu’il employait plus de 300 personnes. Avec une telle réussite
sociale, il n’avait logiquement plus rien à prouver ! Il aurait pu
rester tranquillement au logis et donner un peu de son temps
à sa famille. Sa présence à la maison se faisait si rare ! Un peu
d’attention, un peu d’amour m’auraient fait le plus grand bien.
Hélas ! Ce n’était pas dans son programme puisque, après
avoir mis ses sociétés en gérance, il s’est laissé happer par les
rouages de la politique. Des réunions, des congrès, des
discussions au sommet ultime de la bêtise, des repas d’affaires
et tout le saint-frusquin…
C’est sûr, matériellement, nous ne manquions de rien.
Ma mère avait les pleins pouvoirs sur la gestion financière de
mon père et n’a jamais rechigné à nous acheter ce dont nous
avions besoin. Du nécessaire au superflu, mon frère, ma sœur
et moi, nous avions tout. Si je lui avais demandé la lune, ma
mère me l’aurait certainement payée ! Mais grandir sans
amour vous pousse parfois à vous poser quelques questions,
2. surtout à l’adolescence, quand vous vous apercevez que les
parents de vos amis vous estiment plus que vos propres
parents. En disant cela, je pense notamment aux parents de
Norbert, cet ami d’enfance aujourd’hui décédé,
malheureusement. C’étaient des gens adorables. Ils faisaient
partie de la classe ouvrière et logeaient dans le quartier du
bas, le quartier où les enfants de « bonne famille » ne
descendaient jamais. Personnellement, cela ne me posait
aucun problème, bien au contraire. J’avais beaucoup d’amis
dans ce quartier pauvre. Je m’y rendais presque
quotidiennement, après l’école. Une école privée, bien
entendu. Enseignement catholique, de quoi former de bons
petits Français, bien sous tous rapports. Ici, on essayait de me
faire admettre que Dieu était forcément d’extrême-droite et
avait une préférence pour les plus fortunés. Préceptes
indigestes qui me coupaient le souffle.
Chez les B... il n’y avait peut-être pas d’argent mais au
moins on respirait ! Dieu leur permettait simplement de vivre,
ils pensaient que c’était déjà pas mal.
Mon frère et ma sœur n’ont jamais partagé mon point de
vue, mes parents non plus d’ailleurs, et pour cause ! Mes
pensées profondes sur la classe ouvrière ôtaient toute
crédibilité à leurs grands discours.
De leurs trois enfants, j’étais le seul qui n’avait pas
l’amour de l’argent. Une chose incompréhensible pour eux.
J’aurais voulu être aimé, pas adoré, juste être aimé un peu,
mais ça, ils en étaient bien incapables ; j’étais bien trop
différent des deux autres.
3. A dix-huit ans, quand j’ai eu l’âge de prendre seul mes
décisions, j’avais devant moi deux choix possibles : poursuivre
une carrière de journaliste, puisque je travaillais déjà au sein
du plus grand quotidien régional, ou bien donner vie à l’un de
mes plus grands rêves. Le second choix l’emporta.
En 1963, je me suis donc engagé dans la Marine
Nationale…