Au-delà du parcours de Paul DUAN, l'initiative transportée par son lab' (sa start-up) Bayes Impact est un projet, un prototype d'éveil, de réflexion pour restructurer positivement l'avenir de l'emploi et du chômage.
Alliant un structure légère, à but non lucratif, basant son core model sur du big data (ie vouloir devenir "l'ONU des nouvelles technologies") mixé à un modèle mathématique (IA) poussé, à une offre finale gratuite et en libre-service, l'ambition de ce "personnage" émet une tonalité cristalline.
Ce type d'initiative, de "promesse folle", existe en France.
La start-up Monkey Tie (https://www.monkey-tie.com/a-propos) a su apporter une réelle valeur ajoutée au portail de Pôle Emploi en apportant "dans le bon sens", par l'affinitaire, des outils d'aide au demandeur d'emploi (http://www.emploi-store.fr/portail/services/testerVotreProfilProfessionnel).
Par rebond, le Lab RH (http://www.lab-rh.com/a-propos) est une zone d'incubation et d'innovation, permettant d'imaginer un futur social, équitable, durable !
2. Society 41
Paul Duan est le genre de personne qui peut envoyer, sans vraiment
avoir l’air d’en faire trop, un message qui dit: “Sinon, j’ai une idée
pour la lutte contre Daech.” En l’espèce, il s’agirait de casser les
sites de propagande de l’État islamique et de les remplacer par des
messages d’aide à la réinsertion. Facile à dire? Facile à faire aussi,
visiblement. Car Paul Duan est également ce genre de personne qui a
les moyens de ses ambitions. À 23 ans à peine, il est à la tête de Bayes
Impact, une start-up basée dans la Silicon Valley dont la particularité,
par rapport aux autres structures de son genre, est d’être à but non
lucratif et de travailler sur des projets de bien commun. Et c’est peu
dire qu’il y a du pain sur la planche. Début décembre, Paul Duan était
invité par le gouvernement serbe, afin d’aider les autorités locales à
fluidifier la gestion informatique de l’afflux des réfugiés dans la région.
Un peu plus tôt, en septembre, c’était François Hollande qui l’avait
reçu, en marge du forum Convergences, au palais Brongniart, où les
deux hommes avaient pris la parole. Quelques minutes d’entrevue,
arrangées à l’avance et engagées de cette manière par le jeune homme:
“Monsieur le président, j’ai les compétences pour réduire le chômage.”
Puis, ont suivi des rencontres avec Axelle Lemaire, Myriam El Khomri,
Emmanuel Macron. En à peine une semaine. À chaque fois, Duan a
parlé de Bayes Impact en ces termes: “Nous voulons devenir l’ONU des
nouvelles technologies.” Dans sa manche, le jeune entrepreneur compte
un atout people que les puissants aiment bien: Jamel Debbouze. Après
avoir entendu parler de Paul Duan dans la presse et appris qu’il venait,
comme lui, de Trappes, dans les Yvelines, l’humoriste s’est fendu d’un
mail avec pour objet “Un encouragement de la part d’un Trappiste”.
Les deux hommes se sont ensuite vus à Los Angeles en août 2015.
Depuis, l’acteur fait de la retape pour Duan, notamment auprès de
plusieurs grands patrons français. Une tournée du genre lucratif: lors
de son vol retour vers les États-Unis, il y a quelques semaines, Paul
Duan a pu repartir en Californie avec 450 000 euros de dons en poche.
Le “plan d’attaque”
La somme devrait servir à financer le développement de la dernière
idée de Bayes Impact: un projet au nom de code énigmatique
–“My Game Plan”, pour “mon plan d’attaque”– dont un premier
prototype devrait voir le jour d’ici le mois d’avril, avec un lancement
en dur prévu pour le deuxième semestre 2016. Concrètement,
Il a 23 ans, l’allure de Monsieur Tout-
le-Monde et pourtant, les politiques se
l’arrachent. Encore inconnu du grand
public, Paul Duan, fils d’immigrés grandi
à Trappes, navigue entre ministères
et salons dorés avec une promesse
folle: celle d’être capable, grâce aux
mathématiques, d’inverser la courbe du
chômage. Avant de s’attaquer aux autres
problèmes du monde?
PAR VINCENT BERTHE ET ANTHONY MANSUY PHOTOS: VINCENT BERTHE
POUR SOCIETY
ANALYSE PAR ERIC LEGER
il s’agirait d’une plateforme web capable, selon une autre formule
grandiloquente, “de réduire le taux de chômage de 10% et faire
économiser à l’État plusieurs milliards d’euros par an”. Paul Duan
s’appuie, pour cela, sur le nombre d’emplois non pourvus en France:
un chiffre qui pourrait tourner autour de 300 000 postes selon la
ministre du Travail, 450 000 selon une source à Pôle emploi. “L’idée
est d’avoir une vision à 360° du marché du travail, avec un seul site où
officierait un assistant intelligent, capable de proposer, à tout moment,
la meilleure action à entreprendre. Le tout gratuitement et en libre-
service.” La future interface se veut aussi intuitive qu’une recherche
Google ou une navigation sur Facebook: l’utilisateur répond à une
suite de questions qui permettent à l’intelligence artificielle de
My Game Plan d’analyser son profil. Puis de lui proposer le fameux
plan d’attaque, parce que, en parallèle, l’outil capte, liste et enregistre
toutes sortes de données sur le marché du travail: les emplois
vacants, les chiffres sur les métiers d’avenir ou en tension, les
compétences requises, les CV des demandeurs d’emploi, leur situation
géographique, la typologie des métiers et leur perméabilité, ainsi que
les exemples réussis de reconversion professionnelle et les formations
disponibles. Ce qui permet à l’utilisateur de connaître la probabilité
de trouver un emploi dans sa branche dans les six prochains mois,
ainsi que les étapes à entreprendre ou les formations disponibles
pour se reconvertir si besoin. De quoi rendre obsolète Pôle emploi?
“Pas du tout, se défend Duan. Ça viendra en complément du travail
des conseillers. L’idée, c’est de créer d’un côté, des superconseillers, et
de l’autre, des superdemandeurs. Cela laisserait à Pôle emploi d’autant
plus de temps pour se consacrer à l’aspect humain. Qui va s’en plaindre?”
Grand prince, Paul Duan précise que My Game Plan est un projet en
open source, ce qui signifie que d’autres États pourront gratuitement
l’utiliser et “même le faire évoluer s’ils le souhaitent”. Et surtout
que Bayes Impact veut en faire cadeau à l’État français. “On est une
structure à but non lucratif, financée par des dons et des fondations,
donc au mieux on pourrait facturer des coûts de maintenance et de
développement au gouvernement ; mais le projet, on leur donne.”
Paul Duan prévient: hors de question pour lui de jouer la carte du
misérabilisme ou du storytelling: “Je ne suis pas un martyr des banlieues
et je n’ai jamais connu de problèmes de racisme ou d’ostracisme
social.” Néanmoins, difficile de ne pas relier son envie de réduire les
problèmes d’emploi en France avec ceux de sa ville d’origine, Trappes,
où le taux de chômage dépasse les 17%. D’autant que l’histoire de
sa famille s’y prête par plusieurs aspects. Les parents Duan sont
originaires de Chine. Tous les deux titulaires d’un doctorat ou en passe
de l’être, ils prennent la direction d’une vie modèle au pays de Mao,
jusqu’à cette nuit du 3 au 4 juin 1989 sur la place Tian’anmen, lors de
laquelle Hui Duan et son mari Qi Chao observent, désespérés, l’armée
tirer sur les manifestants et mettre brutalement fin aux espoirs du
mouvement étudiant. La rupture est totale. Le couple parvient à fuir
vers la France, où Qi Chao achèvera sa dernière année de doctorat
en thermodynamique. Mais il faut tout recommencer: apprendre la
langue, trouver un logement, vivoter de petits boulots. Le père prend
rapidement un job de mécanicien, la mère développe des pellicules
chez Fujifilm la nuit. Désormais installés dans une HLM à Trappes,
ils vivent mal ce déclassement social. “Dans un tel contexte, je n’avais
aucune excuse pour planter mes études”, dit Paul Duan. L’entrepreneur
avoue pourtant qu’il appréciait peu l’école, lui qui apprit à lire tout
seul et résolvait, dès la maternelle, les exercices niveau CP de son frère
aîné. “Le cadre scolaire ne me convenait pas, ce n’est pas comme ça que
je voulais apprendre.” Il ressort le mot d’un de ses anciens profs de
mathématiques: “Paul sera peut-être ingénieur en aéronautique mais
pour cela, il faut apprendre les maths.” Loin de s’en féliciter, Hui, sa
mère, s’inquiète à l’époque de voir son fils cadet sortir du moule. “Il est
vite devenu l’attraction de la cour de récré. Les plus grands venaient
le tester, lui poser des colles, des questions de calcul. Mais j’ai refusé
de le mettre dans une école spécialisée pour surdoués. L’important,
c’était l’équilibre, pas l’intelligence.” Dès 13 ans, Paul Duan crée des
sites web, ce qui peut lui rapporter parfois des rentrées d’argent
3. Couverture42
de 800 et quelques euros. Puis, il profite d’une bourse pour filer au
collège-lycée privé Buc, l’une des meilleures institutions scolaires de
France. Où ce n’est pas la réussite qui l’attend, au contraire: le jeune
Paul Duan fait une dépression. “L’adolescence, c’est déjà difficile, alors
quand tu es le seul Asiat’ au milieu de tous ces bourgeois, que t’es plus
petit que les autres et le geek de service, autant dire que tu ne colles pas
aux stéréotypes positifs”, se souvient-il. Aujourd’hui, Paul Duan est en
analyse, ses tourments sont apaisés après l’avoir longtemps “étouffé”.
“J’ai fini par comprendre que la voie royale, c’était vraiment pas pour
moi.” Après le lycée, là où beaucoup de ses camarades se dirigent
vers des carrières de polytechniciens ou de centraliens, lui file à
Sciences Po Paris “pour faire de la politique, changer le monde”.
“Bercy, c’est glauque”
En un sens, Bayes Impact, sa créature, s’attelle aujourd’hui à déplacer
la culture du solutionnisme, selon laquelle les nouvelles technologies
pourraient résoudre tous les grands problèmes de l’humanité, sur
un terrain associatif. Depuis plusieurs mois, quatre ingénieurs de la
start-up-ONG travaillent à l’élaboration d’un algorithme, soit “une
suite d’instructions, avec
du code et des formules
mathématiques, bref de la
plomberie informatique”,
comme le résume
rapidement Duan.
La même technologie
qui permet à Google de
proposer ses résultats
lors d’une recherche, ou
à Uber de dispatcher la
voiture libre la plus proche
vers ses utilisateurs.
Sur My Game Plan, le
travail de l’algorithme
consiste à traduire un
grand nombre de données
éparses en temps réel et
surtout en langage naturel
afin de ne pas “perdre”
l’utilisateur. D’où cet enjeu
principal pour Bayes:
parvenir à agréger le plus
d’informations possible
sur le marché du travail.
Elles existent déjà, mais
sont éclatées façon puzzle
sur plusieurs dizaines
de services différents.
Dans un premier temps,
Duan a donc sollicité
Viadéo, le Centre national
d’enseignement à distance
(CNED) et même Le Bon Coin. Tous seraient partants. C’est grâce à ce
statut d’ONG à but non lucratif que Bayes peut récupérer les données
de telles entreprises commerciales. “Et puis, surtout, on leur ramènera
pas mal de trafic si ça marche”, justifie le jeune entrepreneur. De l’autre
côté, l’intéressé a multiplié les discussions avec les dirigeants de Pôle
emploi et les cadres du ministère du Travail, afin d’avoir accès aux
données du service public. Jusqu’à un rendez-vous début décembre,
donc, avec Myriam El Khomri au ministère, pour une heure de
présentation de My Game Plan. C’est une discussion avec Jamel
Debbouze qui aurait convaincu la ministre du Travail de trouver un
créneau dans son agenda. Pas vraiment impressionné par le bureau
tout en dorures, le jeune patron est venu habillé d’un t-shirt sur lequel
Abraham Lincoln joue les DJ. Peut-être pour conjurer le trac, il a
comparé l’Emploi Store du gouvernement à un service où il y a “autant
d’applications que de Pokémon”, affirmé que “Bercy, c’est glauque
comme endroit” et que “vendre des données publiques à des entreprises,
c’est du caca”. Le style a plu à El Khomri. La ministre a ponctué le
rendez-vous d’un premier gage de soutien, en prévoyant un test du
projet sur un échantillon de demandeurs d’emploi. Avant de conclure:
“Bon, et Jamel, il est prêt à nous aider sur la com’?” Aïe.
Avant Jamel Debbouze, avant Myriam El Khomri et avant même l’idée
de changer le monde à coups d’algorithmes, il y avait surtout une
bonne dose d’idéalisme. C’est à San Francisco, au cours d’un dîner
organisé au printemps 2014 entre Paul Duan, Eric Liu –aujourd’hui
colocataire et associé de Duan– et un troisième ami, que l’envie
d’utiliser la science des données pour le bien commun a vu le jour.
Ce soir-là, installé dans un restaurant vietnamien, le Français interroge
ses convives: “Est-ce qu’on pourrait aider les centres d’accueil pour
SDF juste en traitant bien les données?” L’ami en question n’y croit pas.
“Mais comment tu vas obtenir les données des centres d’accueil? Et tu
feras quoi une fois que tu les auras?” Eric Liu, lui, hésite. La discussion
dure près de trois heures. “À un moment, Paul a tranché, se souvient
Liu. Il a dit: ‘Non mais en fait, il faut qu’on le fasse.’ Et c’était parti.”
Trois mois plus tard, Bayes Impact était déjà au turbin sur son premier
projet: un algorithme de détection des fraudes pour le service de
microcrédit Zidisha. La rencontre déterminante entre Eric Liu et Paul
Duan avait eu lieu deux ans plus tôt. Les deux hommes fréquentaient
alors la prestigieuse université de Berkeley, située au nord-est de San
Francisco. Paul Duan y était arrivé en 2011, dans le cadre d’une année
d’études à l’étranger. “J’ai gagné un concours au sein de Sciences Po, et
le premier prix était de passer la troisième année là-bas pour y faire de
la recherche dans le domaine de l’économie”, raconte celui qui alterne
alors excellentes notes et gros plantages. Eric Liu, lui, vient de monter
une organisation étudiante pour aspirants entrepreneurs. Lors du
premier événement organisé par ladite organisation, Paul se pointe,
attiré par “une fille [qu’il aimait] bien et qui voulait y participer”. Eric se
rappelle un jeune homme “à l’accent hésitant, mais très européen dans
le style” et qui “dénotait complètement dans cet environnement rempli
de geeks”. Comprendre: s’il a passé son adolescence à être vu comme
le nerd de service, Duan voit en Amérique l’occasion de se réinventer.
“La distance m’a permis de me reconstruire car personne ne connaissait
mon passé, personne n’était là pour m’appeler ‘le dérangé du bus’ comme
c’était le cas dans le 7-8, se souvient-il. C’est la première fois que j’ai eu
de vrais potes, que je pouvais m’en faire facilement et j’ai compris qu’il
me suffisait de trouver des gens aux valeurs similaires aux miennes,
plutôt que de me conformer à celles des autres.”
C’est donc lors de cette année à Berkeley que la graine de
l’entrepreneuriat est plantée. “Jusque-là, j’avais toujours été le mec
qui faisait un peu des petites combines, qui traçait sa route dans son
coin.” Après avoir décroché son deuxième bachelor à Berkeley, Duan
postule pour intégrer un master de “trader quantitatif”, nom barbare
utilisé pour décrire le boulot des employés en charge des algorithmes
boursiers. Soit l’opposé des missions d’intérêt général embrassées
plus tard par Bayes Impact. Paul s’explique: “J’étais malgré tout le
produit de mon éducation, je me disais que le succès se mesurait à
l’argent engrangé. Un sens de l’élitisme hérité du lycée de Buc. Il a fallu
que je m’en défasse. C’est arrivé en fin d’année, je me suis dit: ‘Merde,
c’est pas ça que j’ai envie de faire.’” Le lancement de Bayes Impact, à
l’été 2014, oblige Paul à quitter un boulot confortable chez Eventbrite,
sorte de concurrent américain de Digitick, et un salaire mensuel à cinq
chiffres. Il y était arrivé après un recrutement chez PayPal, où il ne
mettra pourtant jamais les pieds. “Le mec qui m’a pris pour ce boulot
s’est finalement tiré chez EventBrite, donc je l’ai suivi”, remet Duan.
L’annonce du job chez PayPal s’accompagnait des prérequis suivants:
un doctorat et au moins quatre années d’expérience. Duan n’avait ni
l’un ni l’autre. Pourquoi a-t-il décroché le job, alors? “La créativité et la
capacité à apprendre vite sont parfois plus importants que l’expérience,
explique Gilad Horev, le recruteur en question. Et ça, Paul n’en
manquait pas.” Chez Eventbrite, en charge de booster la sécurité du
service, Duan crée un algorithme qui permet de réduire de 99,8% les
“Lasciencedesdonnées,
c’estlegrosbusinessde
demain!Touslesplusgros
cabinetsdeconseilsont
dessus.Etlà,aumilieu
desMcKinsey,Capgemini,
Ernst&Youngquise
tirentlabourre,ilyaPaul
Duanquijoueauchevalier
blanc”un cadre du ministère
COLLECTIONPERSONNELLEPAULDUAN–RAPHAËLDEBENGY/HANSLUCAS–VINCENTBERTHEPOURSOCIETY
4. Couverture44
pertes liées aux fraudes. Avant, donc, de tout plaquer. “J’ai très vite
senti son intérêt pour les questions sociales et économiques, je n’ai donc
pas été surpris”, reconnaît Horev. Aujourd’hui, Paul affirme ne rien
regretter. Même si Eric Liu ironise: “Il est heureux oui, mais fauché.”
Comme ses collègues, semble-t-il. La dizaine d’employés de Bayes
provient pour une bonne part d’autres géants de la Silicon Valley,
comme Uber ou Facebook. Parmi eux, Everett Wetchler, un ancien
de Google. Il résume le sentiment général d’une équipe dont les
émoluments sont bien inférieurs aux standards de la Silicon Valley:
“Tout l’argent du monde ne pouvait pas racheter les 40 heures par
semaine que je perdais sur un projet qui n’avait pas de sens. Je suis un
homme blanc, issu d’une famille éduquée dans un pays riche, c’est donc
un peu comme si j’avais gagné à la loterie de la vie. Et je me dis que j’ai
peut-être mieux à faire dans mon existence qu’aider Google à engranger
encore plus de revenus publicitaires.”
“Pas si farfelue que ça”
À 8 000 kilomètres de Paris, dans les bureaux californiens de Bayes
Impact, l’initiative “Pôle emploi” a exigé “un peu de lobbying interne”
histoire de convaincre l’équipe du bien-fondé du projet. Dans une
ONG où l’on compte aussi bien des Américains que des Français mais
aussi un Allemand et un Iranien, l’ambiance n’est en effet pas vraiment
à la “préférence nationale”. Duan, qui se revendique aussi bien de
la “culture start-up” que de celle du service public, rejette, lui aussi,
toute justification patriotico-sentimentale: “On y va juste parce que
les conditions sont particulièrement favorables, point barre.” Everett
Wetchler enfonce le clou: “Même si nous sommes basés aux États-
Unis, nous ne cherchons pas particulièrement à aider les Américains,
ni aucune autre nationalité d’ailleurs. Ce qui compte, c’est d’aller là où
on peut faire vraiment la différence. Et en ce moment, c’est chez vous.”
Dans son malheur, la France offre, il est vrai, de réelles perspectives
pour Bayes Impact: le chômage est l’un des problèmes majeurs du
pays et Pôle emploi centralise presque toutes les données concernant
le marché du travail. “Un cas assez unique dans le paysage mondial”,
confirme-t-on au sein de l’organisme public. La question qui se pose
est la suivante: l’algorithme de Paul Duan peut-il réellement faire
baisser le chômage? “L’histoire des milliards d’économie comme des 10%
de baisse du chômage, c’est de la pure com’. Des chiffres à la louche, sans
aucune étude réalisée”, admet le jeune homme, pas dupe de ses effets
de manche. Tout en qualifiant sa projection de “pas si farfelue que
ça”. Du côté du service public, un proche du dossier confirme: “Pôle
emploi, en gros, c’est 33 milliards de prestations sociales par an. Donc,
la moindre baisse un tant soit peu significative de demandeurs d’emploi
et ça chiffre direct.” À ce titre, l’exemple allemand aurait, à ses yeux,
de quoi rendre optimiste: “Il y a dix ans, l’agence Emploi en Allemagne
a mené une expérience similaire. Elle était bien moins ambitieuse, car
l’usage des algorithmes ne concernait que les formations propices à
un retour rapide à l’emploi.
Finalement, le gouvernement
a économisé pas moins de
10 milliards d’euros.”
Le projet de Bayes Impact
se voulant bien plus large,
une aussi belle promesse ne
pouvait tomber dans l’oreille
d’un sourd. “En France comme
aux États-Unis, si pour les élus,
les algorithmes et la science des
données demeurent encore des
sujets assez mystiques, leur a
priori est assez positif. Cela fait
moderne d’en parler. Ils sentent
bien que c’est l’avenir.” Chez
ceux en charge de moderniser
l’action publique et donc de
mettre de l’huile algorithmique
dans la machine administrative
(à Pôle emploi comme au
ministère), on semble enfin
prendre conscience, comme
ce fut le cas dix ans auparavant outre-Rhin, de l’intérêt des data-
sciences. L’un d’entre eux, qui souhaite rester anonyme, explique:
“La science des données, c’est le gros business de demain! Tous les plus
gros cabinets de conseil sont dessus, l’ensemble des boîtes de services
numériques et d’ingénierie informatique aussi. Et là, au milieu des
McKinsey, Capgemini, Ernst & Young qui se tirent la bourre, il y a
Paul Duan qui joue au chevalier blanc avec pour seule exigence que ses
ingénieurs soient payés correctement.” Après un an et demi d’activité,
l’ONG d’un nouveau genre dispose d’un budget d’un million et demi
de dollars. “Assez pour faire des choses jusqu’à l’année prochaine”,
sourit Paul. Car, dans ce bas monde, les projets ne manquent jamais.
En attendant le lancement du portail pour l’emploi qui devrait à la
fois placer le jeune Trappiste sur le devant de la scène médiatique et
lancer Bayes Impact dans le grand bain, le jeune entrepreneur travaille
sur quelques idées parallèles. Qui ressemblent à du pur Paul Duan:
la transparence sur les violences policières aux États-Unis, ou la
prévention des réadmissions en secteur hospitalier. Conscient que son
image de Don Quichotte pourrait le tourner en ridicule en cas d’échec,
le jeune homme refuse de douter. Il a une histoire en tête qui l’en
empêche: “À chaque fois, je me souviens de cette soirée, en 2014, durant
laquelle je me suis retrouvé dans un bar un peu classe à Londres, avec
des copains qui commençaient à bosser pour des boîtes prestigieuses
comme Goldman Sachs. C’était un peu le club des 1%. Mais ils avaient
l’air si malheureux. Je me suis dit: ‘Quelle chance pour moi d’avoir pris
un chemin différent.’” •TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR VB ET AM
“Jemedisquej’ai
peut-êtremieuxàfaire
demaviequ’aider
Googleàengranger
encoreplusderevenus
publicitaires”
Everett Wetchler, un ancien
de Google, associé de Paul Duan
COLLECTIONPERSONNELLEPAULDUAN
Paul, hors-champ, tente de calculer
la distance exacte qui sépare la
caméra de la main de sa maman.
Paul tente d’estimer la
surface de ce triangle
pas tout à fait isocèle
qui lui sert de tente.
Paul tente une
approximation du
nombre de grains de
sable recouvrant cette
plage paradisiaque.