Des fondations historiques de Rennes à ses projets futurs, vous avez l’occasion de découvrir l’anatomie du corps urbain rennais, et de voir le visage architectural de la ville se dessiner au fil des pages. Portraits, reportages, gros plans... 128 pages au cours desquelles vous pourrez suivre le fil rouge du schiste pourpre et de la brique rouge, rencontrer des Castors rennais très solidaires, ou encore visiter une auberge de genèse pas comme les autres nommée Hôtel Pasteur.
3. L’année 2020 est une date symbolique pour le pa-
trimoine et l’architecture à Rennes. C’est à la fois le
300e
anniversaire du grand incendie de 1720, dont
notre centre ancien est encore aujourd’hui le témoin,
et le 50e
anniversaire de la construction des Hori-
zons, premier immeuble de grande hauteur à usage
d’habitation en France.
Des immeubles du Blosne à la tour Normandie-Sau-
murois en passant par l’Éperon, les maisons à pans de
bois du Champ-Jacquet, la piscine Saint-Georges ou
les Champs-Libres, le patrimoine rennais est riche
d'une architecture variée. La diversité des matériaux,
descouleurs,deshauteursdessineencreuxl’évolution
de notre ville et de notre société au cours des siècles.
Au-delàdesbâtimentsemblématiquesdeJean-Bap-
tiste Martenot, d’Emmanuel Le Ray ou de Georges
Maillols, Rennes s’est construite au fil du temps sur
desformesurbainesplurielles,enconstanteévolution.
Elles forgent, aujourd’hui comme hier, une part de
l’identité rennaise.
Ce patrimoine n’a pas seulement pour but d’être pré-
servé pour être exposé. Son rôle est aussi d’évoluer,
d’intégrer de nouveaux usages, de vivre. Les chantiers
de l’Hôtel Pasteur, de l’Hôtel Dieu, de la gare, du Jeu
de Paume sont la démonstration qu’il est possible
de faire cohabiter l’histoire et le présent, de faire
vivre ensemble des formes nouvelles, audacieuses,
innovantes, et des structures anciennes, connues,
identifiables, auxquelles les Rennaises et les Rennais
sonttrèsattachés.Auxcôtésdecesbâtimentsquiont
traversél’histoirerennaise,denouvellesconstructions
sortent de terre, pour accueillir toutes celles et tous
ceux qui veulent vivre à Rennes, habitants mais aussi
entreprises, à Baud-Chardonnet, à La Courrouze ou
à Beauregard. Ces nouveaux quartiers symbolisent
une ville qui se transforme, qui se renouvelle sur
elle-même, sur ses friches, qui préserve la richesse
de son patrimoine architectural tout en laissant de
la place à des formes urbaines nouvelles.
Cette « transformation dans la continuité » doit se
faire en intelligence avec les Rennaises et les Rennais.
Nousavonslavolontéd'impliquerleshabitantsdansles
projetsd'aménagementenconcilianttoujoursl'accueil
des futurs habitants, quel que soient leurs revenus,
et la préservation, l'amélioration du cadre de vie de
celles et ceux qui vivent déjà dans un quartier. C'est
pourquoinouscréonsencontinudenouveauxespaces
de dialogue, nous élaborons des règles communes et
nous allons réunir des jurys citoyens pour que chaque
Rennaise et chaque Rennais puisse s'approprier les
enjeux d'accueil et d'aménagement de notre ville.
Nathalie Appéré,
Maire de Rennes
Présidente de Rennes Métropole
édito
FAIRE COHABITER L’HISTOIRE ET LE PRÉSENT
8. CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...8 FOCUS
— Venus du fonds des temps, certains édifices font dialoguer hier et demain, et imaginent
même parfois des formes architecturales nouvelles. Voici trois exemples de constructions
historiques comptant pour Rennes. —
focus
L’ARCHITECTURE
RENNAISE : TOUT UN
ROMAN, PARFOIS
GOTHIQUE
Par Jean-Baptiste Gandon
12. CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...12 RÉCIT
« Ça y est, le grand incendie / Y’a l’feu partout, emer-
gency… » S'il évoque New York, le cinglant single de
Noir Désir sorti le 11 septembre 2001 pourrait aussi
bien parler de Rennes, un jour de décembre 1720.
L’histoire nous dit que Jacques V Gabriel, l’architecte
chargé de reconstruire la capitale de Bretagne en
1724, fut le pionnier d’un nouveau monde, urbain et
rationnel.Et,enfaisantpreuved’unpeud’imagination,
untraitd’unionconfédérateurentrelacitéarmoricaine
et son homologue américaine.
Deux options se présentent en effet à lui au moment
de redessiner la ville : reconstruire la cité à l’identique,
en conservant le tracé des rues. Ou alors, profiter de
cette occasion rêvée pour faire table rase du passé
et bâtir une cité nouvelle, aussi facile à pratiquer
qu’agréable à vivre.
L’archi Gabriel est visionnaire et opte pour la seconde
solution. Avec son découpage géométrique dit
« hippodamien », son plan d’urbanisme est des plus
modernes : Rennes sera quadrillée, par de grandes
avenues rectilignes du nord au sud, coupées en angle
droit par des rues d’ouest en est.« Cette organisation
n’est pas révolutionnaire, tempère Cécile Vignes,
responsable de la mission qualité architecturale de
Rennes Métropole. Certaines bastides du sud-ouest
suiventunplanendamierdèsleXIIIe
siècle,etlesvilles
sud-américaines ont été fondées selon ce principe au
XVIe
siècle… Ce qui n’empêche pas le plan de Gabriel
d’êtreintelligentetmodernedanssamanièred’insérer
une grille dans un contexte existant. » New-York
attendra quant à elle 1811 pour imaginer ses fameux
blocks. Comme quoi il faut parfois savoir couper la
pomme en deux…
récit
RENNES
EN MODE
DAMIER
Par Jean-Baptiste Gandon
— C’est l’architecte Jacques V.Gabriel qui
eut la responsabilité de redessiner la ville au
lendemain de l’incendie de 1720. L’occasion
d’innover et d’imaginer, pourquoi pas, un
découpage géométrique en damier adopté
plus tard par la ville de New York. —
15. CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...REPORTAGE 15
Elles révèlent tout un pan de l’histoire architecturale
rennaise, de la fin du Moyen Âge à la grande Révolu-
tion tricolore. Et offrent un panorama unique, pitto-
resque et coloré, dans cette Rennes contemporaine
en pleine métamorphose. Elles, les maisons à pans de
bois, puissant symbole d’une architecture typique de
Rennes, pour ne pas dire vernaculaire.
Quand le paon fait la roue, ces bicoques colorées
d’une autre époque font donc la rue de la capitale
de Bretagne. Avec 286 spécimens recensés, la cité
tient un record régional.
À l’orée de Rennes, des forêts
Raconter les maisons à pans de bois de Rennes, c’est
planter le décor au Moyen Âge, dans une Europe
du Nord en plein essor urbain. Matériau abondant
et peu onéreux, le bois restera la matière première
de prédilection jusqu’au XVIIIe
siècle, et les forêts
rennaises une source d’approvisionnement privilégiée
pourlesbâtisseursdelacitéarmoricaine.Letransport
de fret est très onéreux, et la pierre ne pourra rouler
jusqu’à Rennes qu’avec le développement des canaux
de navigation et du chemin de fer.
D’autant plus que le sous-sol rennais est pauvre en
pierres à bâtir, réservées pour les fondations : au
schiste trop friable, on préfère la terre pour les murs,
tandis que l’argile est mélangé à de la paille pour fabri-
quer du torchis. Dur et sec, réputé éternel, le chêne
massif a donc pignon sur rue. Et quand, à l’image
des immeubles entourant la place du Parlement, les
façades sont de pierre, le reste des murs demeure
en bois. Un trompe-l’œil parfait, mais un problème
récurrent pour la rénovation du centre ancien, mis
en lumière par le conservateur du patrimoine Jean-
Jacques Rioult dans son récent ouvrage référence,
" Architectures en pan de bois dans le pays rennais ".
Dis-moi de quelle couleur est ta maison,
je te dirai qui tu es…
DuMoyenÂgeàlaRenaissance,lesfaçadesrennaises
vont refléter l’évolution des modes et des tendances
architecturales pendant 500 ans. Une constante
pour les maisons à pans de bois : l’utilisation de la
couleur, véritable fil rouge, vert ou jaune à travers
les siècles, et marqueur social pour les propriétaires.
Les pigments sont naturels et la palette logiquement
restreinte. Obtenu avec du lapis lazuli, le bleu est
roi, et son utilisation rare, le plus souvent limitée au
détail décoratif.
« À Rennes, les maisons les plus anciennes se
reconnaissent à leur décor », note Gilles Brohan,
responsable du service d’animation de l’architecture
et du patrimoine de Rennes métropole (voir p.40).
Sculptées sur ces grandes poutres horizontales nom-
mées sablières, des figurines rappellent l’inspiration
gothique de l’époque médiévale.
Typique du XVe
siècle, l’encorbellement des maisons,
cette manie de prendre ses aises et de déborder sur la
rue s’atténue au fil des siècles : « plus on avance dans
le temps, plus les façades ont tendance à s’aplatir,
constate Gilles Brohan. La plupart des maisons qui
subsistent aujourd’hui, datent du XVIIe
siècle, même
si on se croirait dans la ruelle étroite d’un quartier
médiéval. »
Changement de décor
Et les représentations humaines sur les façades ? Ces
statues incarnent la Renaissance, deuxième point
d’orgue pour les maisons à pans de bois.
Progressivement, les motifs géométriques chassent
le figuratif. « Le décor sculpté est moins riche »,
confirme Gilles Brohan.
Signe extérieur de richesse, la pierre s’impose petit à
petit. En installant durablement la peur du feu dans
les esprits rennais, l’incendie de 1720 sonne le glas
des maisons à pan de bois (voir p.18). Plusieurs édits
royaux prohibent désormais les constructions dans
ce matériau. De plus en plus nombreux à Rennes, les
parlementaires craquent quant à eux pour la pierre du
ParlementdeBretagneetrêventd’unhôtelparticulier
taillé dans le roc.
16. REPORTAGECHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...16
Domo Disco Ty-Coz
Impossible de passer à côté de ses murs rouges
comme une pomme d’amour. De ne pas remarquer
ces personnages sculptés sur la façade. Ces derniers
évoquent le martyr de Saint-Sébastien, dont le culte
censé repousser les épidémies de peste, donna lieu
à une véritable contagion.
Noussommesen1505,la«vieillemaison»deschiste,
pour reprendre l’étymologie du mot, est alors habitée
parleschanoinesdelacathédralevoisine.Typiquesde
la sculpture médiévale, les statues semblent posées
sur un socle. Les fenêtres à vitraux révèlent le rang de
ses occupants. Après avoir été une auberge étoilée
fréquentée par les présidents de la République, puis
unecrêperieàlasuited’unincendieen1994,lamaison
rouge est devenue El Teatro.
Rue du chapitre : sur les pavés, une page d’histoire
Envie d’un voyage dans l’histoire et dans les styles
architecturaux ? La rue du Chapitre est pour vous !
Là, sur les pavés, la ville déroule un palimpseste ka-
léidoscopique et coloré, pour le plaisir de nos yeux
grands ouverts.
Le premier chapitre de la promenade s’ouvre au n° 5
delaruedumêmenom.Danssatuniqued’Arlequin,la
maison restaurée en 1988 rappelle que les explosions
de couleurs étaient à la mode au XVIIe
siècle. Rouge
ou jaune, l’ocre colore les murs, en même temps que
les yeux des touristes.
Quelques pas de porte plus loin, au n°22, une an-
cienne maison de parlementaire fait l’angle avec la
rue de la Psalette. Construite au XVIe
siècle, elle fut
rehaussée au XVIIIe
. L’occasion d’admirer les motifs
décoratifs intacts nous replongeant au siècle de la
Renaissance.Vousvousdemandezsûrementpourquoi
ce pan d’angle est en granit ? Pour prévenir les virages
un peu serrés des charriots dont les roues pouvaient
endommager le bois.
Pour boucler la boucle, la très belle maison à pans de
bois du n°3 a été transformée en chambre d’hôtes.
Idéal pour se remettre de ses émotions.
Et aussi...
L’Hôtel particulier de la Noue et l’Hôtel Racapée de
la Feuillée, place des Lices
Des immeubles siamois, en pans de bois caractéris-
tiques du XVIIe
siècle à Rennes, reliés par un escalier
central.
La place du Champ-Jacquet
Sesfaçadestypiquessemblentinstablesetirrégulières,
mais c’était tout le contraire à l’époque. Adossées à
un rempart du XVe
siècle, elles dégageaient une im-
pression de stabilité. Ces logements étaient destinés
à héberger les hommes de loi travaillant en nombre
danslacapitaleparlementaire.Lepercementdelarue
Leperdit a créé un vide qui a fait pencher la façade.
Petite précision de taille : aucune cloison de pierre
ne sépare les immeubles entre eux.
Hôtel Hay de Tizé : un cocktail maison
Place du Champ-Jacquet, en terrasse. Les rayons
solairesirradient,etlerévolutionnaireLeperditdéchi-
rant une liste de condamnés à mort semble radieux.
Au n°5 de cette place se dresse l’Hôtel Hay de Tizé.
Construit en 1665, l’édifice est un bel exemple de
mélange des genres. Dans ce cocktail maison typi-
quement breton : une devanture en pans de bois, un
premier étage en tuffeau et des fondations en granit.
Des façades
à révéler
LE BONUS : retrouvez notre récit long
« Pans de bois, 500 ans d'histoire »
sur www.rennes.fr (rubrique « nos dossiers »)
à la loupe
20. CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...20 RÉCIT
— Derrière l’austère façade de l’Hôtel de Blossac se joua longtemps le faste de la vie de
château menée par la noblesse rennaise. Comme en ce jour caniculaire de l’été 1760, avec
la réception des États Généraux de Bretagne. Employé pour la grande occasion, un jeune
grouillot se souvient. —
récit
HÔTEL DE BLOSSAC :
LE PALAIS DES GRÂCES
Par Jean-Baptiste Gandon
VoilàenfinlespavésdelarueduChapitre.Intimidépar
sa porte monumentale, je me présente sans attendre
à l’Hôtel de Blossac, pavoisé pour l’occasion aux
couleurs des grands jours. C’est que le représentant
du roi reçoit. Plusieurs centaines de députés débat-
tront bientôt lors des États Généraux de Bretagne.
Mais auparavant, ils se presseront autour de la table,
réputée être l’une des meilleures de Rennes.
S'il n'avait pas été en pierre...
Pour moi, c’est une grande première. Les lieux res-
semblent à une ruche où les abeilles vont et viennent
dans une ronde hypnotique. Appelé à droite, hélé à
gauche, je ne cesserai bientôt de rouler de grands
yeux devant tant de splendeur. Ma mère, bien sûr,
m’a fait la leçon : « Tu devras surveiller tes manières,
et savoir répondre si on t’interroge. Pour ta gouverne,
sache que l’Hôtel de Blossac a été construit en deux
séquences : d’abord pour la famille Loysel de Brie, dès
1624 ; puis en 1728, par l’architecte du roi Jacques
Gabriel, afin de loger le Président du parlement de
Bretagne, Louis de la Bourdonnaye. » Mes oreilles
bourdonnent de tant d’informations. J’espère que
je m’en souviendrai. L’incendie de 1720, lui, brûle
encore dans la mémoire familiale. Je vois encore
grand-père s’écrier : « si l’Hôtel de Brie n’avait pas
été en pierre, c’est toute la ville qui aurait brûlé ! Ses
murs ont protégé la partie ouest de la cité. »
Le bâtiment épouse, dit-on, une architecture clas-
sique. Sa façade est même un peu austère, mais le
« monastère » recèle nombre de cachettes. Dans la
cour, au détour d’un hangar, je vois briller le velours
des chaises à porteur, et les blasons des carrosses.
Dans l’écurie, les étalons semblent eux aussi avoir mis
leur plus belle robe. Mes narines frémissent et ma
bouche salive en traversant la pièce dite « du café »,
cette étrange épice à l’arôme amer. Le long du jardin,
une grande salle est réservée pour les réjouissances
artistiques. J’espère que je pourrai assister à la pièce
de théâtre et au concert donnés ce soir !
Le confort moderne avant l’heure
Un air de royauté embaume les lieux. J’ai compté au
moins soixante-dix personnes au service du com-
mandant : officiers, gardes, pages, valets, cuisiniers,
palefreniers et cochers… J’ai même aperçu une pa-
neterie pour le service du pain, et une échansonnerie
pour celui des boissons. L’eau me monte à la bouche,
tandis que les ors de Blossac étourdissent mes sens.
Les plateaux sur les tréteaux, l’argenterie en batterie,
21. 21CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...RÉCIT
le saviez-vous ?
L’ÉCRIVAIN PAUL FÉVAL
A VU LE JOUR LE 29
SEPTEMBRE 1816, À L’HÔTEL
DE BLOSSAC,RECONVERTI EN
IMMEUBLE APRÈS L A
RÉVOLUTION FRANÇAISE.
lesgrandsdécorsdetable…Ici,onnetransigepasavec
la bonne chère, manifestation essentielle du paraître
aristocratique. Qui dit ripailles dit oripeaux : couleur
officielle des « grands », le rouge cramoisi des rideaux
et des sièges accentue encore cette ambiance royale.
Ensous-sol,dansunegrandepiècevoûtée,unepetite
armée s’active à cuisiner. Les grands fourneaux en fer
me font penser à la gueule d’un dragon. Que dire des
deuxchaudièrespourlaverlavaisselle,etdesarmoires
à sécher… Le confort moderne avant l’heure !
Jevaisetviensentrelesétages.Desdéputésdiscutent
en profitant de la vue, sur le balcon du « salon doré ».
Dans la grande salle, de somptueuses tapisseries
illustrent l’histoire de Josué et un autel avec dais
rappelle l’Hôtel à ses devoirs religieux. Ses hôtes
ne risquent pas de les oublier, songe-je : depuis le
jardin, j’aperçois en effet la face sud de la basilique
Saint-Sauveur, sans compter les étages donnant sur
la cathédrale toute proche.
L’Hôtel est une étuve, et je sors prendre l’air dans
le jardin à la française, à l’ombre des arbres fruitiers
qui longent la rue Saint-Sauveur. J’en profite pour
observer ses quatre statues en coin, immobiles. Sa
curieuse tour en laurier, aussi.
Ilfaitvraimenttrèschaud,etjesongequecesréjouis-
sances auraient pu avoir lieu au château de Blossac,
la luxueuse annexe de Goven. Fort heureusement,
avec la glacière construite en 1745, la grâce n’est pas
près de fondre.
ARCHI...DUCHESSE
D’unearchitecturediteclassique,l’HôteldeBlossacest
unique en son genre en Bretagne. Notamment pour sa
superficie,latailledesonbâti,l’assemblagearchitectural
de plusieurs bâtiments et son escalier d’honneur. Clas-
sé au titre des monuments historiques en 1947, l’écrin
accueilledepuis1982lesbureauxdelaDirectionRégio-
nale des Affaires Culturelles.
Le « monastère » recèle
nombre de cachettes.
L’Hôtel de Blossac a notamment accueilli les États généraux de Bretagne en 1760.
23. CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE... 23PORTRAIT
LE BONUS : retrouvez notre long format
« L’odyssée Odorico » sur www.rennes.fr
(rubrique « nos dossiers »)
À FAIRE : la visite guidée proposée par l’office de Tourisme.
Plus d’info sur : www.tourisme-rennes.com/fr/a-voir-a-faire/
odorico-mosaiques
Le décor pixellisé de la piscine Saint-Georges, ça
vous parle ? Évidemment ! Et la splendide façade
de l’immeuble Valton (magasin Crazy Republic),
rue d’Antrain ? Bien sûr ! L’histoire de la famille
Odorico, en revanche, vous est peut-être moins
familière. C’est celle, somme toute classique, d’une
famille d’immigrés italiens venus chercher fortune
en France : à Paris, puis à Tours, et enfin à Rennes
où Isidore père, son frère Vincent et son fils Isidore
s’imposeront comme les Mozart de la mosaïque.
C’est aussi celle d’un artisanat luxueux, rentré dans
les mœurs et les usages quotidiens en devenant
industriel, et dont Rennes sera la chambre d’écho.
Les Mozart de la mosaïque
Originaires du Frioul, les Odorico ont assisté à la
renaissance de la mosaïque à la fin du XIXe
siècle,
accompagnélavagueArtdécoentrelesdeuxguerres
(voir p.24), avant la grande vogue du modernisme.
Les deux frères Isidore et Vincent posent leurs va-
lises à Rennes, où ils créent leur entreprise en 1882.
Mentionnée sur leur carte de visite, leur spécialité
déclarée est la « pose de mosaïque vénitienne et
romaine, la mosaïque de marbre pour dallage, et la
mosaïque en émaux et or. »
Lesmursrennaisserontbientôtpavésdeleursbonnes
intentions artistico-artisanales. Entre 1885 et 1914,
ils reçoivent une quarantaine de commandes, laissant
ainsi leur signature dans les églises, sur les devantures
d’immeuble, et même sur les paillassons des maisons.
En 1918, Isidore fils fonde la société Odorico frères.
L’ancien étudiant des beaux-arts de Rennes propulse
alors la mosaïque dans l’ère industrielle.
Les architectes se spécialisent
Àl’imagedespetitscarreauxdecouleur,lesmosaïstes
sont le reflet de leur milieu culturel. Au début de la
IIIe
République, sous l’action combinée des sociétés
savantes et d’une bourgeoisie ambitieuse, les archi-
tectessontdeplusenplusnombreuxàvenirs’installer
à Rennes. La famille Odorico bénéficie d’autant
plus de leurs commandes que le XIXe
est un siècle
bâtisseur. On n’a jamais autant bâti et reconstruit
qu’à cette époque : églises, halles, mairies, écoles…
Un monde nouveau sort de terre et les affaires des
constructeurs sont fructueuses. Les architectes ren-
nais se spécialisent : Arthur Regnault règnera sur les
églises ; Jean-Marie Laloy fera la loi dans les écoles
et les gendarmeries ; Emmanuel Le Ray rayonnera
dans le domaine des crèches, des bains publics et des
équipements sportifs…
Entrepreneur dans le bâtiment et maire de Rennes
entre 1908 et 1923, Jean Janvier mettra lui aussi sa
pierre à l’édifice architectural rennais.
Esthétiques et durables, les œuvres d’art d’Odori-
co, ont fait des ricochets jusqu’à nous et décorent
encore aujourd’hui les rues de Rennes. En avant la
mosaïque !
ODORICO À DOMICILE
Impossible de boucler la boucle sans se rendre au n°7
de la rue Saint-Sauveur, où l’architecte Yves Lemoine
réalisa le domicile familial d’Odorico, en 1939. Une
maison kaléidoscopique, entre Caverne d’Ali Baba et
musée de la mosaïque, à l’emplacement des premiers
locaux de l’entreprise.
27. REPORTAGE CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE... 27
Bien connue des étudiants rennais sous le nom de
« rue de la soif », la « rue Saint-Mich’ » est également
idéale pour satisfaire sa faim de connaissances his-
toriques sur la capitale de Bretagne.
Avec ces bicoques de guingois et ces titubantes
façades à pans de bois, les lieux nous transportent
en un clin d’œil de l’autre côté du miroir, au cœur du
Rennes médiéval.
C’est d’ailleurs à cet endroit que commence la très
populaire visite de l’Office de tourisme « Trésors
cachés : cours intérieures ». Nous
découvrironsbientôtl’enversdudécor
urbain rennais. « Dans ces immeubles,
les étudiants ont jusqu'à récemment
dormi avec une corde sous leur lit, par
peur des incendies », pose Dominique
Legros. La remarque de notre guide
fait froid dans le dos… « Le centre-ville fut longtemps
miteux et dangereux. Une grande opération de ré-
novation urbaine du centre ancien (voir encadré),
confiée à la SPLA Territoires publics*, est d’ailleurs
en cours depuis 2011. Il ne s’agit pas d’une simple
restauration des façades, en surface ; les parties
communes et les cages d’escalier sont également
concernées. La rénovation peut même concerner
un secteur entier. »
«Lespansdeboisontétéutilisésjusqu’àlafinduXVIIe
siècle. Aujourd’hui, on restaure à l’identique, mais ça
n’a pas toujours été le cas », continue l’historienne
arpenteuse.
La pierre contre attaque
Au niveau de la place Rallier-du-Baty, les restes d’un
ancien mur de pierre envahi par la glycine arrêtent
nos pas : « c’est un vestige du rempart
de la porte Saint-Michel. Au-delà, la
ville se transforme. »
À partir de la rue de la monnaie, le tor-
chisfaitplaceàlapierre.«L’incendiede
1720 a détruit 20 % de la ville. Le plan
de reconstruction aurait pu être plus
ambitieux,maisonachoisiderebâtiràl’économie.Les
cages d’escalier, par exemple, sont restées en bois…
On estime qu’aujourd’hui encore, 600 immeubles
demeurent dégradés, voir très dégradés. »
Munie de son précieux sésame (un trousseau de clé),
notre guide nous invite à traverser les murs de la ville.
Nous voilà transportés dans une cour intérieure, au
n°5 de la rue de Clisson.
— Que se cache-t-il derrière les augustes façades du centre-ville ? Une autre face de Rennes,
méconnue et justement pleine de cachet. Nous avons suivi une guide touristique et poussé
les portes du temps, pour participer à une surprenante chasse aux trésors d’architecture. —
reportage
DES TRÉSORS CACHÉS
DERRIÈRE LES
PORTES COCHÈRES
Par Jean-Baptiste Gandon
Les étudiants ont
longtemps dormi avec
une corde sous leur lit,
par peur des incendies.
29. 29RÉSEAUX SOCIAUX CHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...
Quoi de 9
sur Instagram ?
@rennesvilleetmetropole Partageons nos regards sur la ville et le territoire de #Rennes.
36. 36 REPORTAGECHAPITRE 1 - PIERRE QUI ROULE...
— Faute de pierres de taille, le schiste du pays de Rennes - bien secondé par la brique - a
largement contribué à bâtir la ville. Une association originale et singulière, lui conférant sa
couleur lie-de-vin si caractéristique. —
reportage
LA BRIQUE ET LE SCHISTE :
DES FILS ROUGES DANS LA VILLE
Par Olivier Brovelli
Noir comme le granit, rouge comme le schiste
pourpré. Et si les couleurs du Stade Rennais étaient
celles de notre terroir géologique ? À observer les
maisons ouvrières de la gare, les hauts murs de la
prison Jacques-Cartier ou le clocher de l’église
Jeanne-d’Arc, le choix fait sens.
Ce terroir a une histoire, très longue. Formé par
l’affaissement du Massif armoricain au début du cé-
nozoïque, le bassin de Rennes a été investi par la mer
aumiocène.D’oùlaprésencederochessédimentaires
comme le schiste, accessible depuis que la mer s’est
retirée… il y a 250 millions d’années. Mais rouge, le
schiste ne le fut pas toujours.
Oxyde de fer
Longtemps, même à l’époque gallo-romaine, on
utilisa les schistes verts briovériens qui affleuraient
du sous-sol. L’argile issue de leur décomposition
servait à fabriquer des briques. Sauf que « cette pierre
ardoisine était une mauvaise pierre à bâtir de nature
gélive, s’altérant très rapidement, et prenant mal le
mortier à cause de ses cassures planes et lisses »*.
Après le grand incendie et la mise à l’index du bois,
le granit et le tuffeau s’imposèrent en même temps
que le schiste rouge de Pont-Réan, réputé de qua-
lité supérieure et de couleur pourpre car formé de
sédiments argileux riches en oxyde de fer. Jusqu’à
devenir « la pierre de construction la plus courante
dans les faubourgs durant tout le XIXe
siècle » dont
l’un des points d’extraction les plus connus était situé
à Cahot (Bruz).
Utilisé du XVe
siècle (les remparts de Rennes)
jusqu’au XXIe
siècle (la station de métro Courrouze
de la future ligne b) le schiste rouge reflète « le
poids des contraintes régionales dans le patrimoine
architectural rennais »**.
Argile colorée
Associéeauschiste,plutôtréservéeauxencadrements
desouvertures,labriqueeutaussisonheuredegloire.
Celle d’un matériau peu onéreux, facile à produire et
abondant localement. Au XXe
siècle, Rennes comp-
tait plusieurs briqueteries, notamment aux Landes
d’Apigné et à la Prévalaye. Cette industrie contribua
à reconstruire la ville après les bombardements de la
Seconde Guerre mondiale.
*« Promenade géologique dans Rennes », Yvonne Babin, 1960.
**« Dictionnaire du patrimoine rennais », Louis Chauris, 2004.
40. — Animateur de l’architecture et du patrimoine à l’office de tourisme de Rennes Métropole
depuis 2004, Gilles Brohan connait Rennes sur le bout des doigts. Mais cela n’empêche pas
ses pieds et son regard d’arpenter chaque jour la ville avec un plaisir intact. —
interview
« LE PATRIMOINE SEMBLE
IMMUABLE, MAIS IL N’EST
PAS FIGÉ »
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gandon
Ses moustaches dessinent un sourire contagieux sur
son visage. Des bacchantes délicieusement rétro,
dignes des Brigades du tigre, au siècle de Clemen-
ceau. Gilles Brohan est comme ça, hors du temps
et indémodable. À l’image de Rennes, cette ville aux
cent visages. Tout un symbole, c’est depuis le 8e
étage
d’Urban Quartz, nouvelle pépite architecturale de la
ville, qu’il nous parle des trésors immémoriaux de la
capitale de Bretagne.
— Peut-on associer Rennes à une couleur architec-
turale dominante ?
Au contraire, j’ai l’habitude de dire que Rennes est
une ville multicolore, diversifiée. Tous les styles ar-
chitecturaux sont représentés, liés entre eux par des
transitionsdouces.Cettequestionavaitétéposéeaux
visiteurs dans le cadre des Journées du patrimoine :
« Quelle est la couleur dominante de Rennes ? » Le
beige bleuté avait remporté la majorité des suffrages !
Le beige, sans doute pour le calcaire et le tuffeau, très
présents dans le centre-ville ; le bleu, certainement
pour les toits d’ardoises. Mais nous pourrions aussi
évoquer«Renneslarouge»,enréférenceauxbriques
utilisées à l’époque gallo-romaine, puis au XIXe
siècle.
Au final, notre regard sur la ville est souvent subjectif,
pour ne pas dire affectif.
— La ville est souvent identifiée à ses pans de bois…
Rennes est en effet la ville qui compte le plus de mai-
sons à pans de bois en Bretagne. Celles-ci éclairent
une certaine histoire de notre cité, déjà concernée à
l’époque par les questions de densité urbaine. Après
l’incendie de 1720, la cité perd en pittoresque ce
qu’elle gagne en cohérence. Surtout, la ville s’ouvre.
Un premier projet de reconstruction, signé Isaac
Robelin, envisage notamment de conquérir le sud
de la ville, de l’autre côté de la Vilaine. Il sera refusé.
Comme quoi on n’a jamais raison trop tôt.
— Vous évoquez la Vilaine comme un axe structurant
Elle va jouer ce rôle jusqu’à la fin du XIXe
siècle. Les
voies fluviales assurent l’essentiel du transport de
fret, mais avec l’arrivée du chemin de fer, la colonne
vertébralesedéplace,etlecorpsurbainseréorganise.
Les regards se détournent alors de la Vilaine, réputée
sale et dangereuse. Au point de vouloir la masquer.
Aujourd’hui, on refait le chemin inverse. On pourrait
parlerdeparadoxe,maiscelasignifiesurtoutpourmoi
que si le patrimoine semble immuable, il n’est pas figé.
CHAPITRE 2 - RENNES À L’HEURE DE LA MODERNITÉ40 INTERVIEW