1. Le naturalisme
Le naturalisme est la suite logique du réalisme : ce dernier entendait décrire ou depeindre la
réalité de la manière la plus précise possible, y compris dans ses aspects immoraux ou
vulgaires. Le naturalisme poursuit dans cette voie, mais en ajoutant un contexte
physiologique et en montrant que le milieu où vit le protagoniste est l'une des raisons de son
comportement. Se donnant pour un reflet de la réalité, le naturalisme s'intéresse
particulièrement aux classes sociales défavorisées —paysans, ouvriers ou prostituées.
Le terme est d'abord utilisé par la critique positiviste des phénomènes littéraires où excellent
Charles-Augustin Sainte-Beuve et Hippolyte Taine. Cherchant à découvrir les lois qui
régissent la littérature, Taine soutient que la race, le milieu naturel, social et politique et le
moment au cours duquel est créée une œuvre littéraire définissent ses traits spécifiques et
son évolution1. Dans une importante étude sur Balzac, publiée d'abord sous forme d'article
en 1858n 1, Taine qualifie ce romancier de « naturaliste » en se basant sur le fait que dans
son Avant-propos à La Comédie humaine, Balzac annonce vouloir écrire « l'histoire
naturelle » de l'homme2. Taine décrit le naturaliste comme intéressé par la description de
toute force naturelle, indépendamment du beau ou de l'idéal :
« Il dissèque aussi volontiers le poulpe que l'éléphant; il décomposera aussi
volontiers le portier que le ministre. Pour lui, il n'y a pas d'ordures (...) à ses yeux
un crapaud vaut un papillon. (...) Les métiers sont l'objet propre du naturaliste. Ils
sont les espèces de la société, pareilles aux espèces de la nature3. »
Par la suite, le naturalisme est revendiqué par Émile Zola, qui lui donne son véritable sens
littéraire et en fait une école romanesque visant à rassembler les écrivains de son époque.
Comme il l'explique dans la préface de Thérèse Raquin (1867) et surtout dans Le Roman
expérimental, il est du devoir de la littérature de se faire scientifique :
« J'en suis donc parvenu à ce point : le roman expérimental est une conséquence
de l'évolution scientifique du siècle ; il continue et complète la physiologie, qui
elle-même s'appuie sur la chimie et la physique ; il substitue à l'étude de l'homme
abstrait, de l'homme métaphysique, l'étude de l'homme naturel, soumis aux lois
physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu ; il est en un mot la
littérature de notre âge scientifique, comme la littérature classique et romantique
a correspondu à un âge de scolastique et de théologie4. »
Pour cela, il faut que la littérature applique la méthode mise en œuvre dans les sciences
naturelles. S'inspirant de la Médecine expérimentale (1869) de Claude Bernard, Zola
considère que « le romancier est fait d'un observateur et d'un expérimentateur » :
« l'observateur et l'expérimentateur sont les seuls qui travaillent à la puissance et
au bonheur de l'homme, en le rendant peu à peu le maître de la nature. Il n'y a ni
noblesse, ni dignité, ni beauté, ni moralité, à ne pas savoir, à mentir, à prétendre
qu'on est d'autant plus grand qu'on se hausse davantage dans l'erreur et dans la
confusion. Les seules œuvres grandes et morales sont les œuvres de vérité4. »
2. L’observateur choisit son sujet (l’alcoolisme, par exemple) et émet une hypothèse
(l’alcoolisme est héréditaire ou est dû à l'influence de l’environnement). La méthode
expérimentale repose sur le fait que le romancier « intervient d’une façon directe pour
placer son personnage dans des conditions » qui révéleront le mécanisme de sa passion et
vérifieront l’hypothèse initiale. « Au bout, il y a la connaissance de l’homme, la
connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale4.»
Pour illustrer sa théorie naturaliste, Zola écrira les vingt romans du cycle des Rougon-
Macquart ou Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. Chaque
roman met en scène un personnage de cette famille, montrant l'expression de ses caractères,
héréditaires ou issus du milieu où il vit. Diverses conditions sociales sont décrites au fil des
romans : celle des mineurs dans Germinal, des militaires dans La débâcle, des paysans dans
La Terre, etc. Le volume le plus représentatif du courant naturaliste est probablement
L'Assommoir.
Parmi les écrivains représentatifs du naturalisme français, on cite notamment Guy de
Maupassant avec ses romans Une vie, Pierre et Jean, Gustave Flaubert avec L'Éducation
sentimentale,