Au pied du château de Saumur, de l'accident vers l'aménagement
1. Rendez-vous du Val de Loire - 4 décembre 2010
Au pied du château de Saumur,
de l'accident vers l'aménagement
L’effondrement du 22 avril 2001 et les travaux de reconstruction du bastion
Dans la nuit du dimanche 22 avril 2001, une partie de l’enceinte bastionnée du
château de Saumur, sur son front nord dominant la Loire de plus de 35 m. de
hauteur, s’effondrait avec le coteau de tuffeau qui les supportait sur près de 50 m. de
longueur. Ce bastion fait partie du système défensif initié par Philippe Duplessis-
Mornay, gouverneur de la place de sûreté protestante, dès les années 1590.
L’ensemble de ce dispositif était destiné à faire du château de Saumur une citadelle
surveillant et défendant un site capital de franchissement de la Loire.
2. Aussitôt après l’effondrement, qui fort heureusement ne fit aucune victime, était mise
en place une cellule de crise associant sous l’autorité du préfet de Maine-et-Loire, la
Ville de Saumur, les services de l’Etat, le Bureau de recherche et de géologie
minière, le bureau d’études de structures et de géotechniques ARCADIS et
l’architecte en chef de Monuments Historiques, M. Gabor Mester de Parajd
(j’emprunte d’ailleurs l’essentiel des données techniques qui vont suivre à la
contribution de M. Mester de Parajd à l’ouvrage consacré au château récemment
édité par la Société Française d’Archéologie).
Le site fut immédiatement sécurisé par purges et démontages ponctuels, par blocage
du talus par cloutages et par mise en place d’un « buton » de 10000 m3 de remblai
pour caler le coteau. Parallèlement le château et les remparts contigus étaient placés
sous une instrumentation complète permettant la surveillance continue de tout
mouvement et risque d’évolution des désordres.
L’état de catastrophe naturelle était déclaré par arrêté interministériel du 6 juillet
2001.
Les investigations et études pouvaient alors être lancées pour comprendre les
mécanismes de l’effondrement et préparer les travaux de sauvegarde et de
restauration des ouvrages. Le principe de reconstruction du bastion avait en effet été
annoncé aussitôt après l’effondrement par le ministère de la Culture, en concertation
avec la Ville de Saumur, propriétaire du château, et confirmé par la Commission
supérieure des Monuments Historiques le 5 mai 2003. Les crédits nécessaires ont
été mis en place en conséquence d’un chantier qui s’annonçait comme le plus grand
chantier MH de ce début de XXIe siècle (24 000 000 d’euros).
Les observations faites sur site, les reconnaissances structurelles et géotechniques,
associées aux analyses documentaires et historiques menées dans le cadre des
études de diagnostic ont permis de confirmer que l’effondrement n’était pas dû à la
vétusté du bastion, dont seul le parement superficiel en tuffeau était altéré, ni aux
remblais qu’il maintenait mais à une dégradation en profondeur, occasionnée par
une humidité excessive due à une pluviométrie exceptionnelle et continue, de la
crête de tuffeau portant le bastion, dont le matériau, gorgé d’eau, avait perdu sa
résistance mécanique.
3. Parallèlement à l’achèvement des études et à l’élaboration des dossiers d’appel
d’offres, le dispositif d’instrumentation de surveillance allait révéler une situation de
crise en décembre 2003 qui devait aboutir, pour des impératifs d’urgence absolue,
au déclenchement de la procédure exceptionnelle de réquisition préfectorale du 31
mars 2004 pour la réalisation des travaux liés à la stabilisation du coteau et des
ouvrages qu’il supporte (notamment le château !) Les travaux de restauration et de
restitution ont été réalisés d’avril 2004 à décembre 2007, sous la maîtrise d’ouvrage
de l’Etat (DRAC Pays de la Loire) pour le compte de la Ville de Saumur, propriétaire.
4. Ces travaux portaient sur :
- la reconstitution du niveau de sol préexistant sur la crête du coteau pour
établir la structure de fondation du bastion, constitué d’une longrine en béton
armé de 3,50x1,50 m. de haut, fondée sur 40 micropieux de 30 m. de
profondeur ;
- la reconstruction du bastion effondré, à partir d’une structure contemporaine
en béton armé avec un parement extérieur en maçonnerie traditionnelle de
tuffeau, selon le calepin d’origine avec la restitution des couronnements
défensifs de la fin du XVIe siècle et des échauguettes d’angle représentées
par les documents graphiques des XVIIe et XVIIIe siècles.
- La consolidation et la reprise des remparts contigus déstabilisés de la terrasse
nord, au droit du château, par brochages croisés et régénération par coulis
gravitaire des maçonneries de 4m. d’épaisseur formant mur-poids ;
- Le blocage définitif et la reconstitution des sols du coteau constituant l’assise
de l’enceinte bastionnée par béton teinté projeté sur une résille métallique
ancrée en profondeur, pour le coteau de tuffeau sous le bastion nord-ouest, et
par stabilisation des terres par maillage clouté avant revégétalisation, sous la
terrasse nord ;
- Le drainage et la maîtrise hydrogéologique du bassin versant de la plate-
forme bastionnée ;
- La stabilisation et la consolidation de l’aile nord-est et de la tour nord du
château par reprise en sous-œuvre selon la technique des colonnes de jet-
grouting, par injection des sols pour le comblement des vides importants au
contact de l’assise sous la tour, par frettage intérieur de cette tour et par
consolidation structurelle de l’escalier d’honneur.
La stabilisation de la tour nord a nécessité le vidage de ses niveaux inférieurs,
remblayés depuis les travaux de Louis-Marie Normand au début du XIXe siècle, et à
5. nouveau rendus visibles aujourd’hui. De même, la reprise en sous-œuvre de
l’escalier d’honneur a été l’occasion d’une importante découverte archéologique avec
la mise en évidence de la poursuite de cette vis monumentale jusqu’au niveau de la
salle basse du donjon primitif, en sous-sol par rapport au niveau actuel de la cour.
Les travaux de reconstruction du bastion ont aussi permis de remettre au jour et de
mettre en valeur des vestiges de l’enceinte urbaine, notamment d’une partie de la
courtine orientale de l’enceinte, entre l’ancienne porte de Fenêt et le coteau.
De la restauration à la valorisation
Il est clair que l’effondrement du bastion et les conséquences qu’il a entrainées ont
retardé l’ensemble des projets de restauration de l’édifice entrepris depuis 1997 (en
particulier sur l’aile sud), ainsi que les projets de mise en valeur des riches
collections municipales qui y sont présentées. Pour des raisons de sécurité, les
salles du château sont fermées au public depuis 2003. Cependant, le site reste
ouvert aux visiteurs. Une petite partie des collections (une sélection des collections
de harnachements) a trouvé refuge dans une salle d’exposition aménagée dans un
bâtiment situé dans la basse-cour. De 140 000 visiteurs en 1991, la fréquentation du
site est passée à 66500 visiteurs en 2010. Cette fréquentation relève cependant de
la gageure, car le site n’est ouvert désormais que du mois d’avril au mois de
novembre. Elle est même en forte augmentation par rapport aux années
précédentes.
La Ville de Saumur se trouve donc confrontée au problème de la nécessaire mise en
valeur d’un site capital pour son économie touristique, site dont la restauration se
poursuit, sans qu’on connaisse clairement le terme des travaux.
Au moment même de la reconstruction du bastion, la question de la reconstruction à
l’identique s’est posée. En effet, un « contre-projet » proposait de profiter de ces
travaux pour aménager, à l’arrière de la façade du bastion, un auditorium.
Cependant, ces aménagements impliquaient quelques distorsions par rapport à l’état
initial du monument, notamment pour l’éclairage naturel de la salle.
Finalement, étant donnée l’importance historique et patrimoniale du site, c’est la
solution de la reconstruction à l’identique qui a été retenue, au moins pour ce qui
concerne la façade tournée vers la Loire. Cette solution du « trompe-l’œil » a généré,
à l’arrière du parement de façade, un vaste espace aveugle, pour le moment sans
affectation, qui pourrait éventuellement être un jour utilisé à des fins techniques,
touristiques ou culturelles.
6. Au pied du bastion et du coteau, s’étendait aussi une partie du quartier historique
du Fenêt, dont plusieurs maisons ont été anéanties par l’effondrement sans qu’il
soit prévu de les reconstruire. L’une d’elles avait été acquise par la Ville, qui, dans
le cadre d’un projet global de mise en valeur du quartier, prévoyait d’en faire une
maison de l’artisanat. Cependant, a été reconstitué le départ de la Montée du
Petit-Genève. Il s’agissait, avant l’effondrement, d’un chemin d’aspect rural qui
grimpait le long du coteau et permettait aux piétons d’atteindre le château. Sa
reconstruction lui a fait perdre toute apparence bucolique mais a renforcé son rôle
de liaison piétonne entre la ville et le château. Cette fonction a encore été
récemment corroborée par l’aménagement à proximité immédiate d’une halte de
cyclo-tourisme liée au circuit « La Loire à vélo ».
Ces aménagements, qui sont finalement les heureuses conséquences de la
catastrophe d’avril 2001, contribuent progressivement à faire de la petite place St-
Michel une porte d’entrée touristique de la ville. La proximité de la tour
Papegault, surmontée d’une terrasse aménagée d’où l’on peut jouir d’un beau
panorama sur la ville et la Loire, devrait renforcer ce rôle, surtout dans la
perspective d’une refonte complète de l’aménagement du centre-ville et des cales
de Loire dans les années à venir. La place est en effet située à un carrefour
stratégique entre l’ancienne ville close et le faubourg de Fenêt, et peut devenir un
point d’articulation de la diffusion des flux touristiques entre le château et les
principaux quartiers historiques de la ville.
Fabrice MASSON
Animateur de l’architecture et du patrimoine
Responsable du service Patrimoine de la Ville de Saumur