Ce que parler avec son corps veut dire. Les écrits corporels militants des femmes sur le web 2.0
Marie-Anne Paveau, Université de Paris 13 Sorbonne Paris Cité, Pléiade
Séminaire Anthropologie du langage, Cécile Canut, EHESS – 20 mars 2013, 17-19 h, salle 6, 105 bd Raspail 75006 Paris
1. +
Ce que parler avec son corps veut
dire. Les écrits corporels militants
des femmes sur le web 2.0
Marie-Anne Paveau, Université Paris 13
Sorbonne Paris Cité, Pléiade
http://penseedudiscours.hypotheses.org/
2. +
Présentation
cadre d’une théorie du discours ouverte aux dimensions
philosophique et cognitive (Paveau 2006)
recherches actuelles sur les technodiscursivités : discours natifs
en ligne, analyse du discours numérique
objet : le corps féminin comme site discursif sur le web 2.0
formes discursives modifiant à la fois les représentations du
langage/discours et les modèles discursifs déterminant les
cultures de genre et de sexualité
inscriptions corporelles comme contrediscours aux
stéréotypications sexistes et sexuées
avertissement sur le corpus – place & posture de la chercheuse -
intégrer émotion et subjectivité à l’enquête et à l’analyse
3. +
1. Corps féminin et technécriture
1.1. Présentation des terrains numériques
Quatre terrains, anglophone et francophone
1.1.1. Le tumblr Project Unbreakable consacré à la parole rapportée
des violeurs.
Le Project Unbreakable: projet entièrement natif du web, qui n’a pas
d’existence IRL ; nativement numérique ; oct. 2011 (Paveau 2013).
prolongé par une page Facebook & un compte Twitter.
constitué d’une série de photos prises par la créatrice du site, Grace
Brown, photographe, et envoyées par des femmes et des hommes
violé.e.s, sur le principe du discours rapporté et avec un objectif
thérapeutique.
également des envois par mail, de photos ou de feuilles avec texte,
parfois captures d’écran d’iphone ou ipad (appli notes)
4.
5.
6. + 1.1.2. Le groupe Femen
entrées dans le paysage politique international en 2008 (Paveau 2013).
groupe d’activistes féministes fondé à Kiev en 2008 par Anna Hutsol,
la présidente actuelle
300 membres répartis dans plusieurs pays, dont France et Brésil.
présence 2.0 importante : site ukrainien d’origine possède une version en
anglais et en russe, les groupes ont des pages Facebook actives (France,
Tunisie (fermée), Italie, Brésil, Égypte…) - plusieurs comptes Twitter (Ukraine,
France…), un compte Flickr, Google + – mais pas un groupe natif en ligne
très présentes sur les réseaux sociaux, diffusent leurs actions et
manifestations, ont gagné une forte visibilité dans les médias.
performances & actions politiques largement relayées : manifestation domicile
Strauss-Kahn 2011, action Vénus de Milo Louvre oct. 2012, intervention contre
le groupe Civitas lors de la “Manif pour tous” nov. 2012, manifestation au
procès des viols collectifs de Fontenay-sous-Bois oct. 2012, intervention au
forum de Davos 2013, Notre-Dame 2013, etc.
féminisme « de quatrième génération », méthodes controversées nudité
publique et ce qui est considéré comme la violence de leurs attaques.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13. + 1.1.3. Slutwalks
slut: salope ; slutwalks : marches des salopes, marchas da
vadias (Brésil)
mouvement part de Toronto et Boston 2011 – mouvements
nationaux et locaux (villes) et non groupe international comme
Femen
point de départ discursif - 24 janvier 2011, au cours d’une
réunion sur la sécurité après le viol de deux étudiantes, à
Osgoode Hall Toronto (cour d’appel Ontario), un représentant
de la police de Toronto déclare : « womenshouldavoid dressing
likesluts »
marcher contre le « slutshaming », & la « rape culture »
site France http://slutwalkfrance.tumblr.com/, sites événements
(marches), pages Facebook Canada, EU, France, Brésil, etc.
21. + 1.1.4. Le mouvement BattlingBare
« battlingbare », littéralement « combattre nu »
femmes de militaires étatsuniens ont lancé une campagne de
protestation contre les ravages psychiques de la guerre : PTSD
(Post traumatic Stress Disorder), blessures psychiques de
leurs maris/compagnons de retour d’Afghanistan
phénomène récent : avril 2012
dispositif : inscriptions corporelles sur le dos, texte d’ Ashley
Wise, fondatrice de l’association (déclaration au mari),
photographies posées (souvent prises par Ashley Wise)
diffusées sur le web, site, page Facebook (avril 2012), compte
Pinterest – extension aux enfants
France : page Facebook « Un paquet de gauloises », oct 2012,
protestation femmes de militaires (problème logiciel
« Louvois » paiement de 10.000 militaires français)
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29. +
1.2. Le corpus : deux phénomènes
(techno) discursifs
1.2.1. La dedipix, pratique technodiscursive
dedipix, dédipix, dédipict, dédipics – m. ou f.
définition d’origine (Paveau 2011) :
– "dédicace en image » (mot-valise dédicace + pictureou pixel), c'est-à-dire
l'inscription sur son corps, par une jeune fille le plus souvent, au feutre, du
pseudo du dédicataire (le plus souvent), inscription photographiée et
diffusée sur un blog, et qui recevra autant de commentaires que la zone
du corps en "vaut", selon le "cours" décidé par les adolescents
– blogs et sites dédiés, pages Facebook, tumblrs
– dedipix papier également
– le plus généralement manuscrit
33. définition élargie :
– inscription corporelle ou sur papier/carton tenu et montré près
du corps, qui fait l’objet d’une pose photographique et d’une
diffusion sur le web
– le plus généralement manuscrite et lisible, parfois
calligraphiée
– la forme « dédicace » peut être absente, mais teste toujours
adressé puisque proposé à lecture par photo en ligne
– autres contextes que séduction sexuelle des adolescents :
thérapie des victimes de viol, protestation féministe,
protestation anti-guerre et PTSD des femmes du mouvement
Battlingbare – ou autres contextes encore (PetterKverneng,
2013, 18 h)
34.
35. + sur les quatre terrains, trois contiennent des dedipix : BB, PU &
SW
Battlingbare :
– textes manuscrits à la lisibilité soignée
– zone du corps : dos, contrainte de l’origine du (techno)genre de
discours, nécessité du dispositif protestataire mais parfois autres
zones (jambes, bras, pieds)
– forme textuelle unique : adresse au mari/compagnon - déclaration
d’amour et de compassion rédigée par AW au départ et reprodiote
sur les dedipix des autres femmes – variantes apparaissent au fur
et à mesure (mais évolution difficile à observer, un an d’existence)
– texte (graphie d’AW) : Broken by battle / Wounded by war / My
love is FOREVER / To YOU this I SWORE. / I will / Quiet
yoursilentscreams / Help healyourshattered soul / Until once again
/ MY LOVE, YOU ARE WHOLE
40. projectunbreakable
– principe unique et systématique de la dedipix papier – six
formats repérés – transcription des textes sous les photos :
1. forme canonique : un sujet tenant une pancarte, regardant
l’objectif ; il peut s’agir d’un diptyque, le texte se déployant sur
deux ou trois pancartes.
2. forme moins fréquente, avec visage caché ou semi-caché
3. feuille seule (ou pancarte, carton, etc.) ou écran iphone (rare)
4. diptyque constitué de deux photos : une dedipix et une photo
du tatouage qu’on suppose être celui de la porteuse (3)
5. photo envoyée par un groupe, version dedipix de la “photo de
groupe”.
6. formes exceptionnelles : a. mise en abyme ; b. esthétisation de
la dedipix via un projet sur les modèles vivants (Spirited bodies)
; c. pose à deux ; d. langage des signes
41.
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53.
54. Slutwalks
– forme de la dedipix sous deux aspects particulier :
1. non natif en ligne : pendant les marches, poses avec pancartes et
diffusion sur le web, tumblrs surtout (mais IRL également, presse)
55.
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57.
58. 2. dipositif de dedipix natif en ligne sur le compte
Facebook des slutwalks France par exemple
59. + 1.2.2. Inscriptions (techno)corporelles
trois terrains sur quatre : BB, SW, Femen – pas PU (sauf 1
exception vue supra)
« techno » : diffusion sur le web, natif ou non-natif en ligne
spécifique pour Battlingbare, non spécifique pour Femen et
Slutwalks
les inscriptions des femmes du mouvement Battlingbaresont
intrinsèquement technodiscursive (n’existent par IRL) ; celles des
Femen et des Slutwalks le sont extrinsèquement
donc on peut dire que le dispositif du Battlingbare produit un
véritable technogenre de discours, c’est un dispositif natif en ligne
Battlingbareet Femen: style typographique assez stable (noir,
capitales grasses pour les Femen, minuscules maigres pour les
BB)
64. styles typographiques beaucoup plus variés et multicolores
pour les slutwalks, qui sont des marches locales et non
coordonnées, et ne constituent donc pas un mouvement
organisé – donc pas de typographie « de marque »
68. + 2. Un corps-discours
2.1. Cadre théorique réaliste
hypothèse fondatrice : des corps-discours, pas de dualisme discours /
matérialité corps et dispositif technique : un continuum, une vision globale
« écologique » du phénomène discursif – critique forte de la notion de support
question théorique : rapport mind/body et langage-pensée/monde
2.1.1. Externalisme
– début 20e : cognition pensée comme système non seulement interhumain mais
également environnemental (Bakhtine-Volochinov, Malinovski, Sapir, et aussi
Vygotski, Peirce, Wittgenstein)
– années 1990, la cognition emprunte un « tournant social »
– « Quant à la lignée socioculturelle, elle fait de la cognition un phénomène
discursif, situé dans des contextes historiques et sociaux. La cognition quitte,
pour ainsi dire, la « tête » de l’individu, pour devenir un phénomène social et
distribué, émergeant dans des conditions sociales et culturelles contingentes.
Ce courant repose sur la conviction que toute connaissance humaine est le
produit d’un acte interprétatif conditionné par des présupposés sociaux »
(Bischofsberger, 2002 : 167).
69. + – « Ainsi, dans le cadre de la cognition située, l'activité cognitive d'un ou
plusieurs sujets peut se comprendre par un jeu d'inscriptions dans le
milieu et d'interprétations perceptives […] de l'organisation spatiale
d'objets et de symboles. […] Les inscriptions servent de mémoire externe
et partageable […] » (Lenay, 2006 : 47).
Cadre théorique cognition distribuée : principalement élaboré par Hutchins
& collègues à San Diego (Hutchins 1994 [1991], 1995). Le but : dépasser
le niveau d'analyse traditionnel en sciences cognitives (l'individu) pour
caractériser une cognition située et incarnée (embodied) dans son
contexte d'occurrence. La cognition est distribuée entre agents et
éléments de la situation.
Étude de l'activité de pilotage dans un avion (1991), Hutchins délaisse le
niveau traditionnel d’analyse (les processus individuels de représentation
et de traitement par le pilote et le copilote) pour adopter le cockpit comme
unité d'analyse pertinente. Le chercheur analyse alors les propriétés
cognitives du cockpit et non pas celles des individus présents dans le
cockpit.
« Extended mind » : article fondateur de Clark & Chalmers 1998 :
externalité de l’esprit, objets et artefacts comme agents psychiques
externes
70. + 2.1.2. Postdualisme
grands dualismes (esprit/monde, intellect/affect, fait/valeur, homme/machine,
homme/animal, etc.) sont retravaillés et remis en cause (Schaeffer 2007) au
profit de visions plus complexes qui décrivent des catégories mixtes voire
hybrides :
– conceptions externalistes de l’esprit ;
– rôle des émotions désormais intégré aux activités de la raison (Damasio 2005
[2003], Plantin 2011) ;
– faillite du dualisme fait/valeur : imprégnation axiologique de phénomènes
perçus comme « objectifs » (Putnam 2004 [2002]) ;
– couplages homme-machine, homme-animal et même homme-animal-machine
devenus des objets de réflexion importants (Latour 2005, Chapouthier, Kaplan
2011).
– la linguistique dans l’ensemble de ses versions, et particulièrement la théorie du
discours, ne peut qu’être prise dans ces évolutions.
– Schaeffer 2007 : « la fin de l’exception humaine », ie remise en cause de l’idée
que l’être humain transcenderait sa nature biologique, en particulier par des
propriétés sociale et culturelle qui lui seraient spécifiques et désarrimées de la
nature.
71. + 2.2. Linguistique symétrique
« délogocentrage » du discours (Paveau 2009, 2012a et b)
symétrique : Latour 1991, « anthropologie symétrique » – sociologie alternative, qui prend
en compte les « matières » hétérogènes qui font assemblage dans le social, contestant
l’idée d’un social homogène
la linguistique, en particulier la théorie du discours, devrait étendre la définition du
langagier en l’enrichissant des matérialités sociales, culturelles, environnementales,
objectales, corporelles, etc.
Les analyses du discours en France sont logocentrées (les observables sont de nature
langagière) : le projet de l’intégration constitutive (Pêcheux et al. 1971) du contexte à la
théorie du discours n’a pas réellement abouti, le contexte restant encore de l’ordre de
l’arrière-plan.
Une approche symétrique postulerait que les unités dites « non linguistiques » ou
« extralinguistiques » participent pleinement à l’élaboration de la production verbale, au
sein d’un continuum entre verbal et non verbal, et non plus une opposition (Paveau 2009).
envisager l’ensemble du dispositif comme unité observable pour élaborer les corpus :
corps + inscriptions (sur corps ou carton papier) + dispositif technique du web – écarter la
notion de support, typiquement dualiste
ne pas extraire les énoncés pour les analyser à part, comme corpus logocentré, analogue
à un écrit papier hors ligne ou hors corps – procéder par captures d’écrans et/ou vidéos –
enregistrer les pages web
envisager un mode de discursivité composite, où le corps, les couleurs, les vêtements, les
sons (cris des Femen), les environnements, la circulation sur le web font langage :une
théorie écologique du discours
72. + 3. Puissance d’agir : audibilisation et
resignification comme modalités discursives
puissance d’agir linguistique (linguistic agency), Butler
« Dans le champ universitaire contemporain, notamment au sein
des cultural studies, ce terme a été conceptualisé comme une
notion alternative à celle de maîtrise, et en est venu à désigner
une action qui n’a pas pour origine un sujet souverain. L’agency,
c’est la puissance d’agir que nous pouvons tirer de notre
dépendance fondamentale à l’Autre, au langage ; c’est aussi la
résistance que produit nécessairement le pouvoir. […] Pour ce qui
est du discours, cela signifie qu’il n’est pas possible d’utiliser des
mots qui soient purifiés de tout pouvoir, qui ne soient pas
« souillés » par la domination, mais que […] cette situation ne
nous interdit en aucune façon de développer une puissance d’agir
: c’est depuis l’intérieur des mots du pouvoir que l’on peu critiquer
la domination dont ils peuvent aussi être porteurs, comme le
montrent les mouvements politiques qui revendiquent les termes
mêmes qui les excluent […] » (Nordmann, lexique de Butler 2004
[1997], 275-276)
73. +
audibilisationpar scripturalisation
– audibilisationau sens large : intégrer un discours non audible
car tabou ou hétérodoxe dans la circulation des discours
sociaux : le faire exister en même temps que le rendre
socialement acceptable – l’intégrer dans l’univers discursif
d’une société
– dans les corpus de dedipix et inscriptions corporelles :
scripturalisation de discours inouïs (au sens propre) car
indicibles ou/car non dits pour des raisons psychiques, socio-
éthiques ou juridiques
74. + resignification (resignification, recirculation, restaging)
« Si Foucault a pu déclarer qu’un signe pouvait être repris et
utilisé à des fins contraires de celles pour lesquelles on l’avait
d’abord conçu, il a forcément compris que même les termes les
plus méprisants pouvaient être réappropriés, que même les
interpellations les plus injurieuses pouvaient devenir le site
d’une ré-occupationet d’une re-significationradicales. Mais
qu’est-ce qui nous permet d’occuper le site discursif de l’injure
? Comment sommes-nous animés et mobilisés par lui, au point
que ce nous éprouvons pour lui nous permette de lui donner
une nouvelle signification ? Qualifié d’un nom injurieux,
j’accède à l’existence sociale ; parce que j’éprouve un
attachement inévitable pour mon existence, parce qu’un certain
narcissisme touche tout ce qui compose l’existence, je suis
amené à adopter les termes qui me blessent parce qu’ils me
constituent socialement » (Butler 2002 [1997] : 162-163).
75. +
« La responsabilité du locuteur consiste […] à renégocier les
usages hérités qui contraignent et autorisent son discours. […]
La question de savoir comment user au mieux du discours est
une question spécifiquement éthique. » (Butler 2004, p. 59-60).
« Détourner la force du langage injurieux pour contrer son
fonctionnement […] La resignification du discours requiert que
l’on ouvre de nouveaux contextes, que l’on parle sur des
modes qui n’ont jamais encore été légitimés, et que l’on
produise par conséquent des formes nouvelles et futures de
légitimation ». (Butler 2004, p. 78-79).
76. + 3.1. Audibilisation : quand les subalternes
peuvent parler (Spivak 2009 [1988])
3.1.1. Project unbreakable
Dispositif énonciatif du discours rapporté – discours rapporté comme site discursif
– Citation : l’énoncé rapporté seul avec éventuellement indication brève de sa source
énonciative (8.)
– Discours rapporté commenté : accompagné d’un commentaire ou récit
contextualisant et parfois explicatif de la porteuse (9. et 10.)
– Discours rapporté “complet” : deux plans d’énonciation présents, discours du locuteur
citant et discours cité (11. discours indirect, 12. discours direct).
– Dialogue. Sur certaines pancartes, on peut lire le dialogue récrit du viol. La dedipix
devient alors lieu de mise en récit, et peut-être d’une narrativisation salutaire (4. et
7.)
– Discours simple : dans de rares cas, il n’y a pas de représentation d’un discours au
tre et la porteuse de la pancarte mentionne son propre discours (13. et 14.)
77.
78. + guillemets réhabilitants
– signes particulièrement marqués sur les pancartes (2 ill.)
– réappropriation distancée de la parole violeuse et plus que cela : liberté et
autonomie acquise DE cette parole (Butler)
– matérialisation scripturale objectivisante de la parole informulée
(informulable ?)
– possibilité de la donner en lecture, permettant une prise en charge co-
énonciative par un autre que soi, une verbalisation publique
PU : ce dispositif de discours rapporté plurisémiotique en ligne constitue
un technogenre de discours : « nouvelle forme » (Butler), nouveau genre
de discours plurisémiotique, habilitant, permettant de déplacer les
pouvoirs et les légitimités discursives : prendre la parole, sortir du silence
des opprimé.e.s, permettre son propre « empowerment »
mais surtout modifier l’ordre politique du discours, ie les formes
discursives de pouvoir et d’assujettissement à partir d’elles-mêmes
79.
80.
81. + 3.1.2. Battlingbare
comme pour PU, il existe des formats : femme seule (dos, jambes ou
ventre), couple, enfants (pieds) et des déclinaisons du format (généricité)
– 3 ill.
dispositif plurisémiotique : corps, écriture, éléments d’uniforme de combat
(casquette, veste de treillis camouflé, arme, rangers)
donc corps-discours comme technogenre de discours, qui fait l’objet d’une
reformulation avec le mouvement français Un paquet de gauloises
comme pour le Project Ubreakable, il s’agit de formuler une parole non
dite et dissimulée par les combattants et l’institution militaire : discours sur
le PTSD
diffusion de la forme BB sur le web à des fins protestataires, avec
inscription dans le paradigme de la nudité protestataire (Guillon 2008)
un discours avec enjeu de pouvoir dans le milieu US Army : modification
de l’environnement discursif, des détentions de pouvoir et de légitimité
82.
83.
84.
85. + 3.2. Resignification : to becalled a name,
remettre les noms en jeu
3.2.1. La resignification avant Judith Butler
– les termes négritude (francophonie) / nigga (monde
anglophone)
– Goffman 1963 : retournement de stigmate en fierté
– 1968, Cohn-Bendit : « Nous sommes tous des Juifs
allemands » (2011 affaire DSK : « Nous sommes toutes des
femmes de chambre »)
– 1971 : « Manifeste des 343 », Nouvel Observateur – Charlie
hebdo : « 343 salopes »
86.
87.
88.
89. + 3.2.3. Étude de cas : slut / salope
Postporn: usage positif du terme dans les milieux post-porn
américains à partir des années 1980 – cause des sex-workers
– Annie SprinkleThe Sluts and GoddessesVideo Workshop – Or
How To Be A SexGoddess in 101 EasySteps(1992) – création
d’un atelier en 1991 Sluts and Goddesses
– AS : the « neosacredprostitute » - usage positif du terme whore:
« multimediawhore » & « postpornmodernist » - œuvre photo :
« Whywhore are myheroes »
– France : féminisme post-porn, pro-pute de Virginie Despentes
par exemple : Mutantes documentaire 2010
– donc constellation de termes slut, whore, salope, pute,
prostitutequi font l’objet d’un usage positif non stigmatisant
dans les milieux féministes militants
90.
91. + – The EthicalSlut: A Guide to InfiniteSexualPossibilities, 1997 &
2009, Dossie Easton et Catherine A. Liszt - slut : "a person of any
gender who has the courage to lead life according to the radical
proposition that sex isnice and pleasure is good for you." – sur le
« polyamour » et la multiplicité des partenaires sexuels vécue de
manière « éthique »
resignification chez les féministes actuelles, slutwalks et Femen,
qui dénomment des discours stigmatisant (acte de nomination) :
– slutshaming&victimblaming, discours de stigmatisation des
femmes (slogans et illustrations)
– SS : notion proposée par les féministes canadiennes et
américaines – discours consistant à culpabiliser ou inférioriser une
femme dont le comportement (vestimentaire, corporel) est jugé
ouvertement sexuel – pour les féministes : le SS stigmatise la
liberté de la sexualité des femmes – pas d’équivalent masculin
– VB : culpabilisation des victimes de harcèlement et de viol –
discours consistant à dénoncer les comportements provocateurs
des femmes agressées ou violées
92.
93.
94.
95.
96. + une double agency :
– procéder à une stigmatisation du discours stigmatisant, donc à
un renversement de l’ordre du discours et de la domination
discursive : nommer et donc faire exister et catégoriser un
discours stigmatisant
– resignifier le terme (slut, salope, whore, pute, etc.) en le
resémantisant, à partir de sa charge stigmatisante même
(Butler)
dispositifs de resémantisation/resignification :
– la déclaration en première personne « i am a slut » (pancartes
+ écriture corporelle 4 ill.)
– le port de l’étiquette-masque (2 ill)
103. +
Conclusion
sur le plan linguistique (épistémologique et méthodologique) :
le corps-discours implique inséparabilité des éléments
hétérogènes qui constituent le composite discursif – pas
d’extraction possible, le corps n’étant pas un simple « support »
– approche écologique
sur le plan discursif et politique : des discursivités
protestataires resignifiantes car elles inventent de nouvelles
formes habilitantes, elles modifient les normes de pouvoir
discursives à partir des formes d’assujettissement et de
stigmatisation – cette modification touche également au
langage : les technodiscours/corps-discours atteignent la
nature du signe linguistique, qui doit être ici considéré comme
composite (langage + techno + corps)
104. + Bischofsberger M., 2002, « Quel constructivisme pour la linguistique
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