Alternatives économiques : revues, mouvements, économie sociale et solidaire,...
Mémoire de recherche economie sociale julie rogeon_juin 2011_vf
1. MEMOIRE DE RECHERCHES APPLIQUEES
Présenté et soutenu par Julie Rogeon
L’économie sociale en France
Année 2010/2011
Pilote de mémoire : Audrey ALCIM DUONG
1
3. REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier particulièrement les personnes suivantes :
Mon pilote de mémoire Audrey Alcim Duong
Toutes les personnes qui m’ont aimablement accordé de leur temps pour la réalisation de
mon étude empirique
Mes correcteurs Catherine Rogeon et Adrien Van Eynde
3
5. SOMMAIRE
Introduction _______________________________________________________________ 7
Partie 1 - Revue de littérature : L’économie sociale et solidaire, fondements et pratiques _ 9
I. Des coopératives ouvrières à l’économie sociale et solidaire _______________________ 9
II. Comprendre et appréhender l’économie sociale ________________________________ 21
III. L’économie sociale aujourd’hui _____________________________________________ 36
Partie 2 : Etude empirique ___________________________________________________ 52
I. Formulation des hypothèses de recherche _____________________________________ 52
II. Démarche de la recherche et choix méthodologiques ____________________________ 53
III. Analyse thématique _______________________________________________________ 56
Conclusion _______________________________________________________________ 85
BIBLIOGRAPHIE ____________________________________________________________ 87
Table des matières _____________________________________________________________ 90
ANNEXES ___________________________________________________________________ 92
RESUME ___________________________________________________________________ 153
ABSTRACT _________________________________________________________________ 153
5
7. INTRODUCTION
Qu’est ce que l’économie sociale en France ? L’économie sociale est un phénomène
qui a émergé il y a plus de 150 ans, mais le terme et ce qu’il recouvre demeurent aujourd’hui,
d’après Eric Bidet, peu connus du grand public et des économistes. Selon Jean-François
Draperi, « l’économie sociale définit l’ensembles des entreprises coopératives, mutualistes et
associatives. Ces entreprises partagent des traits communs qui les distinguent à la fois des
entreprises individuelles, des entreprises publiques et des sociétés de capitaux : elles émanent
de personnes, physiques ou morales, et ont pour finalité de répondre aux besoins et aux
attentes collectives de ces personnes. Ces membres établissent entre eux des formes de
solidarité : mutualisation des risques, mise en commun des produits de l’activité, constitution
d’une épargne commune, échanges réciproques, etc. Groupements de personnes, les
entreprises de l’économie sociale fonctionnent selon les principes d’engagement volontaire,
d’égalité des personnes, de solidarité entre membres et d’indépendance économique ».
Depuis les années 1970, l’économie sociale est revenue sur le devant de la scène
économique française. Cette appellation renvoie aujourd’hui à ce qui est communément
appelé « le secteur de l’économie sociale ». Si tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un
secteur à part dans notre économie, chacun lui donne un périmètre et un sens différents. Cette
confusion est probablement due au fait que depuis son émergence, l’économie sociale n’a
cessé de subir des mutations en s’adaptant à la société française et à ses évolutions.
Bien que la France soit un des pays les plus développés du monde 1, les inégalités
s’accroissent davantage de jour en jour2, touchant une population de plus en plus vaste3. Ces
inégalités s’étendent notamment aux domaines de l’emploi, de la santé, du logement et de
l’alimentation. L’État français semble démuni face à ce phénomène qui se répercute à
l’échelle locale, et qui vise certains groupes sociaux.
1
Selon Le Figaro.fr, la France se trouve depuis 2008 au 5ème rang des puissances mondiales
2
D’après l’Observatoire des inégalités, les inégalités de revenus se sont accrues au cours des dix dernières années. Le revenu annuel moyen des 10 % les plus modestes s’est
élevé de 970 euros entre 1998 et 2008, celui des 10 % les plus riches de 11 530 euros. D’après l’Insee, les inégalités face au prix du logement se sont creusées entre 1996 et
2006.
3
D’après Le Monde.fr, le chômage de longue durée s’est accru de près de 20 % en 2010 par rapport à 2009. Selon le rapport 2011 sur l’état du mal logement en France
réalisé par la fondation Abbé Pierre, 10 millions de personnes sont touchées par la crise du logement.
7
8. Face au développement des inégalités, au désengagement de l’Etat, et à
l’affaiblissement des valeurs démocratiques au sein de la puissance publique, de plus en plus
d’individus s’investissent pour construire une économie différente alliant des valeurs telles
que le volontariat, l’égalité, ou encore la solidarité. Ces aspirations traduisent les valeurs
républicaines qui sont celles de l’économie sociale.
L’économie sociale entend aujourd’hui mettre en place un modèle plus juste, moins
sujet aux soubresauts des marchés, en opposition à une praxis économique principalement
fondée sur le capitalisme financier. Elle constitue un vecteur de changement pour la société,
ouvre une voie nouvelle à la citoyenneté et au développement économique et social.
L’économie sociale revêt tout son sens dans une société plurielle où différentes
logiques économiques peuvent se déployer. À une période où les sociétés de capitaux sont de
moins en moins bien perçues par l’opinion publique, l’économie sociale met l’accent sur la
constitution d’un patrimoine collectif, au détriment du retour sur l’investissement privilégié
par l’économie capitaliste.
Ce mémoire a pour objectif d’appréhender les moteurs du développement de
l’économie sociale en France.
Quels sont aujourd’hui les enjeux de l’économie sociale, ses limites et ses possibilités
d’évolutions ? Dans un contexte économique où domine le capitalisme financier, quels
facteurs peuvent impulser l’essor de l’économie sociale en France?
Pour appréhender l’économie sociale, il est nécessaire de retracer son évolution à
travers le temps, de connaître ses acteurs et leurs pratiques, et d’en évaluer la place dans
l’économie française.
Après avoir identifié les facteurs déterminants du développement de l’économie
sociale en France, il s’agira de les comprendre en profondeur. Ces éléments seront testés
grâce à une étude qualitative composée d’entretiens semi-directifs.
8
9. PARTIE 1 - REVUE DE LITTERATURE : L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE, FONDEMENTS
ET PRATIQUES
I. Des coopératives ouvrières à l’économie sociale et solidaire
a. 1791-1848 : Les sociétés de secours mutuel, une alternative face à la montée du
modèle capitaliste
Au lendemain de la Révolution française, l’économie de marché 4 et le capitalisme5 ont
détrôné l’organisation économique de l’Ancien Régime. La proclamation des grandes libertés
économiques - liberté d’entreprise, liberté de commerce et liberté du travail – a bouleversé le
paysage économique cédant la place à un nouveau modèle. Pour respecter le principe
d’égalité des citoyens, tout intermédiaire entre l’individu et l’Etat est supprimé. Les coalitions
et corporations6 sont interdites - décret Allarde puis la loi Le Chapelier de 1791. Les ouvriers
ne peuvent plus se regrouper sous forme de confréries7 et compagnonnages8, et n’ont plus le
droit de résister grâce aux manifestations et aux grèves.
Dans ce contexte d’ouverture à la concurrence, la classe ouvrière s’appauvrit et ses
conditions de vie s’amoindrissent. De nouvelles formes de résistance s’organisent à
l’initiative des ouvriers qualifiés qui se regroupent selon leurs métiers. Ils créent alors des
sociétés de secours mutuels. Ces organisations sont à la fois des sociétés de prévoyance, de
4
Système économique dans lequel les mécanismes naturels tendent à assurer seuls, à l'exclusion de toute intervention des monopoles ou de l'État, l'équilibre de l'offre et de
la demande.
5
Systèmeéconomiqueetpolitiquecaractériséparlalibertéd'échangeetlaprédominancedescapitauxprivés.
6
Association d'artisans exerçant une même activité professionnelle ou artistique.
7
Ensemble de personnes unies par un lien professionnel, corporatif ou autre.
8
Association entre ouvriers d'un même corps d'état à des fins d'instruction professionnelle, d'assurance mutuelle et de moralisation.
9
10. bienfaisance et de résistance, remplissant des fonctions de protection sociale, et de défense
syndicale.
Dès 1830, certains ouvriers organisent leurs activités économiques à travers deux
types d’associations :
- L’association de consommation, qui est un groupement d’achats de
produits de première nécessité,
- L’association de production, qui est une sorte d’entreprise possédée et
gérée par les adhérents.
Ces organisations sont nombreuses dans les quartiers populaires des grandes villes où
se développent des magasins ou des sociétés de secours mutuels, des bibliothèques ou des
clubs ouvriers.
Ces modèles d’associations se diffusent grandement dès 1840 grâce à la presse et au
journal L’atelier9 (1840-1850). Ce journal prêche pour l’association ouvrière sous toutes ses
formes. D’après Henri Desroche, dans les associations de production « le capital
appartiendrait à l’association qui deviendrait insoluble, non point parce que les individus ne
pourraient point s’en détacher, mais parce que cette société serait rendue perpétuelle par
l’admission continuelle de nouveaux membres. Ainsi, ce capital n’appartiendrait à personne
[en particulier] et ne serait point sujet aux lois sur l’héritage ».
Michel Derrion10, négociant lyonnais très marqué par les révoltes et les grèves des
canuts, cherche également à inciter à la création d’associations ouvrières. D’après ses propres
mots, il cherche « à établir un ordre social nouveau qui garantisse au producteur de toute
richesse une part plus équitable dans le bénéfice social » (Henri Desroche). En 1834, il publie
un manifeste qui plaide en faveur d’une « vente sociale d’épicerie » pour créer un
« commerce véridique et social » (Henri Desroche).
9
Le journal L'Atelier est fondé en septembre 1840 par le socialiste utopique et socialiste chrétien Philippe Buchez (1796-1865).
10
Michel-Marie Derrion est entre 1835 et 1838 l’initiateur de la première coopérative de consommation ou première « vente sociale d’épicerie ».
10
11. La Révolution de 1848 marque un réel tournant pour ce mouvement de création
d’associations ouvrières. Le gouvernement provisoire11 en place reconnaît le droit
d’association, supprime le marchandage et diminue la durée du travail. Cependant, seuls les
ateliers nationaux12 seront développés, délaissant les ateliers sociaux. Leurs fermetures
rapides déclencheront en juin 1848 une nouvelle révolte populaire qui sera bridée par le
pouvoir. L’espoir de remplacer le modèle de manufactures capitalistes par un modèle collectif
de production et de distribution s’évanouit.
De 1791 à 1848
Révolution française Large ouverture à la concurrence (liberté
d’entreprise, liberté de commerce et liberté du
travail). Les coalitions et les corporations sont
interdites.
Création d’un nouveau modèle En réaction, un nouveau modèle est mis en place
et développé ; les sociétés de secours mutuels.
Organisation des ouvriers Les ouvriers s’organisent grâce à des associations
de consommation et de production.
Révolution de 1848 Les associations sont reconnues. Seuls les ateliers
nationaux sont développés au détriment des
ateliers sociaux.
b. 1850-1900 : Le temps des coopératives et des mutuelles
Sous le second Empire, Napoléon III autorise la formation de sociétés de secours
mutuels13, à condition que celles-ci soient présidées par des notables. Dans la seconde phase
de l’Empire, il va même chercher à s’appuyer sur les ouvriers urbains, reconnaissant ainsi le
droit de grève. Tout au long de cette période, qui est marquée par une industrialisation
11Gouvernement constitué à l'issue de la révolution de février 1848 (24 février- 10 mai 1848) et présidé par Dupont de l'Eure et composé de républicains modérés
(Lamartine, Arago, Garnier-Pagès, Crémieux, Marie) et de socialistes (Louis Blanc, Albert).
12
Institution créée en 1848 par le gouvernement provisoire pour occuper les ouvriers sans travail. Les ouvriers étaient employés à des travaux de terrassement ou de voirie.
13
Associations de prévoyance qui, en l’échange d’une modeste cotisation, assurent à leurs membres des prestations en cas de maladie (indemnités journalières,
remboursements médicaux et pharmaceutiques).
11
12. importante, le mouvement associationniste ouvrier se divise en organisations plus spécialisées
que sont les syndicats, les mutuelles et les coopératives.
L’avènement de la IIIème République permet la renaissance du mouvement ouvrier.
Celui-ci est cependant rapidement déchiré entre deux courants de pensées formant deux clans,
celui des proudhoniens et celui des marxistes. Ce sont les marxistes qui, derrière Jules
Guesde, finissent par s’imposer. D’après Henri Desroche, ils prônent « la prise du pouvoir
politique par le prolétariat pour supprimer l’antagonisme entre les classes sociales ».
Le terme d’association, qui fait référence à une certaine soumission de l’individu au
groupe, s’efface peu à peu pour laisser place à celui de coopération qui valorise le libre choix
et le contrat. Au cours des années 1860, les coopératives de production sont nombreuses ; les
coopératives associant ouvriers et patrons, les coopératives socialistes, les coopératives
chrétiennes, les coopératives patronales… Le nombre de coopératives passe de 70 en 1885 à
174 en 1895. La coopération de production se développe particulièrement dans les secteurs à
forte intensité de main d’œuvre et à main d’œuvre qualifiée comme la mécanique, le bâtiment,
ou encore l’imprimerie. La coopérative de consommation se développe également, mais avec
plus de mal. En 1888, on compte près de 800 coopératives. Cependant, elles restent dispersées
et subissent la concurrence des grands magasins comme Le Bon Marché. Des conflits
idéologiques opposent les deux grandes formes de coopératives que sont les coopératives de
production et les coopératives de consommation. Des divergences d’opinions se font ressentir
quant à l’émancipation des travailleurs. De son côté, la coopération de crédit ne parvient pas à
s’imposer. La plupart disparaissent dans les premières années.
Autre fait marquant, la promulgation d’une loi en 1884 crée un fossé et une coupure
entre les mouvements ouvriers et coopératifs. Celle-ci reconnaît la liberté syndicale mais
cantonne les syndicats dans une action de défense professionnelle en leur interdisant de gérer
directement les activités économiques. Plus tard, le législateur reconnaît les autres formes
d’organisations collectives en leur assignant des spécificités fonctionnelles :
- Les mutuelles de santé avec la charte de mutualité datant de 1898. Elle distingue les
sociétés « libres », les sociétés « approuvées » et les sociétés « reconnues d’utilité
publique ».
12
13. - Les coopératives de consommation, de production ou de crédit, intégrées dans la loi
sur les sociétés commerciales de 186714.
- Les organisations non professionnelles avec la loi de 190115.
L’insertion de l’agriculture dans le marché s’opère à la fin du XIXème siècle par
l’économie sociale agricole. L’ouverture à la concurrence, ainsi que les grandes crises
agricoles, poussent les agriculteurs à entrer dans l’économie de marché. L’agriculture est alors
majoritairement structurée par les organisations de l’économie sociale.
Les Expositions universelles jouent un rôle important dans l’expression d’une identité
commune des coopérations :
- Après l’Exposition de 1867, le rapport de Frédéric Le Play16 présente l’économie
sociale comme la « science de la vie heureuse ».
- A la suite de l’Exposition de 1889, les institutions créées pour améliorer la condition
matérielle, intellectuelle et morale des classes ouvrières sont mises en exergue.
- A partir de l’Exposition de 1900, Charles Gide17 décrit les institutions de progrès
social comme améliorant la prévoyance, l’indépendance, le confort, et les conditions
de travail.
Le terme d’ « économie sociale » tend cependant à disparaître à cause de l’intervention
économique croissante de l’Etat qui masque le rôle des organismes de l’économie sociale.
De 1850 à 1900
Second Empire Les sociétés de secours mutuels sont autorisées et
le mouvement associationniste se développe
grandement.
Troisième République Renaissance du mouvement ouvrier et expansion
des associations ouvrières.
Actions du Législateur Reconnaissance des organisations collectives
(mutuelles de santé, coopératives de
consommation, organisations non
professionnelles).
Expositions Universelles Rôle marquant pour l’identité commune des
coopérations.
14
La loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales est considérée comme la base juridique du capitalisme en France, en permettant la réunion des moyens financiers
nécessaires aux entreprises de grande envergure sous forme du capital social des sociétés anonymes.
15
La loi du 1er juillet 1901 et le décret du 16 août de la même année constituent les deux textes fondamentaux sur lesquels repose le fonctionnement des associations.
16
Sociologue et économiste aux fortes convictions chrétiennes, Frédéric Le Play (1806-1882) est le premier à s’être penché sur la condition ouvrière.
17
Charles Gide fut l’un des principaux théoriciens de l’économie sociale (1847-1932).
13
14. c. 1901-1945 : La naissance des associations et l’envolée des coopératives et
mutuelles
Le XXème siècle débute avec la promulgation de la loi de 1901 sur les associations non
professionnelles. Celle-ci autorise « la création de tout groupement (hors cadre professionnel)
conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs, mais réglemente plus strictement la création
de congrégations » (extrait de la loi de 1901). Cette loi, dite « de la liberté », permet une
accélération des créations d’associations. Leur nombre passe ainsi de 5 000 en 1908 à 10 000
en 1938. Le mouvement ouvrier se mobilise alors autour de thématiques telles que l’insécurité
et le prix de la vie. Les travailleurs indépendants se regroupent quant à eux pour structurer
leurs activités et organiser les marchés.
Cette période de pleine expansion se termine dans les années 1930 avec la Grande
crise. L’Etat, qui détient un pouvoir d’intervention économique important, transforme la place
de la coopération, de la mutualité et des associations dans l’économie.
La IIIème République, très influencée par la doctrine socialiste, cherche une voie entre
le libéralisme18 et le socialisme19. Elle affirme ainsi clairement son soutien aux mutualités. En
1902, la Fédération Nationale de la Mutualité Française est créée. Cette organisation connaît
un franc succès avec 10 millions de membres en 1938. La mutualité se mobilise ensuite en
faveur des lois instituant les assurances sociales en 1928.
Le mouvement coopératif connaît quant à lui un développement significatif, et jouit
rapidement d’une importante reconnaissance. Les coopératives de consommations sont
estimées à 4 500. De 1913 à 1920, leur nombre de sociétaires et leur chiffre d’affaire
18
Doctrine économique qui privilégie l'individu et sa liberté ainsi que le libre jeu des actions individuelles conduisant à l'intérêt général.
19
Doctrine politique et économique qui vise, à l'inverse du modèle libéral, à réformer le système de propriété privée des moyens de production et d'échange et à
l'appropriation de ceux-ci par la collectivité.
14
15. progressent rapidement, puis se consolident jusqu’en 1939. Les coopératives ouvrières de
production connaissent, elles, un développement limité, contrairement aux coopératives
agricoles qui sont 7 420 en 1939. A noter que les transformations majeures des modes de vie
durant l’entre-deux-guerres ont induit le développement de ces coopératives, et donc de
l’économie sociale.
De 1901 à 1945
Loi de 1901 Accélération des créations d’associations
(thèmes : insécurité et coût de la vie)
Troisième République Affirme son soutien aux mutualités + voit se
développer grandement le mouvement associatif
qui se fait également reconnaître.
d. 1945-1975 : L’impulsion d’un nouveau modèle au lendemain de la Seconde
Guerre Mondiale
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le Conseil national de la Résistance20
aspire à la démocratie économique et sociale. De grandes réformes sont ainsi mises en place
dont les plus marquantes sont :
- Des nationalisations21 avec une gestion tripartite des entreprises publiques par les
salariés, les usagers et l’Etat.
- Un programme ambitieux de Sécurité Sociale22 géré par les syndicats et les
associations familiales.
20
Organisme formé de représentants de huit mouvements de résistance, créé en 1943, dont l'action aboutit en particulier à l'établissement d'un programme de réformes à
effectuer après la Libération sous la présidence de Jean-Moulin.
21
Ensemble d'opérations par lesquelles une ou plusieurs entreprises privées sont soustraites par voie d'autorité au régime capitaliste, déclarées propriétés de la nation et
dotées d'une structure et d'une organisation nouvelles.
22
Ensemble de mesures qui permettent de garantir les individus et les familles contre certains risques, appelés risques sociaux.
15
16. C’est dans ce contexte de changement qu’est voté en 1947 une loi sur la coopération 23 qui
rassemble l’ensemble des règles communes aux coopératives ; double qualité des sociétaires,
droits égaux dans la gestion, statut de société civile ou commerciale, capital fixe ou variable,
parts nominatives et cessibles sous condition, appropriation collective des bénéfices,
dévolution désintéressée à l’actif net.
La seconde décision politique et culturelle marquante pour l’économie sociale est le
développement des politiques publiques de l’Etat. Celui-ci ouvre une large voie aux mutuelles
et aux associations. Les pouvoirs publics réglementent leurs activités et financent une partie
de leurs activités économiques.
Contrairement à l’époque précédente, les entreprises collectives d’après-guerre ne
s’inscrivent pas dans un mouvement contestataire du capitalisme, mais davantage dans une
perspective de partage des fruits de la croissance.
Avec l’institution de la Sécurité Sociale en 1945, on aurait pu croire que les mutuelles
disparaîtraient. Mais bien au contraire, la mutualité voit son nombre d’adhérents passer de 11
millions en 1945 à 25 millions fin 1970. C’est dans cet élan que se forment également des
mutuelles d’assurance à vocation nationale pour couvrir les risques liés notamment au
logement et à l’automobile.
Les coopératives agricoles subissent des bouleversements liés à la fin de la guerre et à la
modernisation de l’agriculture. L’Etat joue également un rôle dans ces changements en
réduisant progressivement les avantages financiers consentis aux coopératives. A partir des
années soixante dix, les coopératives se transforment en agents du productivisme24. Les règles
ont changé, la défense de leur chiffre d’affaires les pousse à vendre toujours plus. La question
de solidarité entre agriculteurs est alors posée.
Les banques coopératives subissent le même sort. Après avoir été soutenues par le Trésor
public, celui-ci les met en concurrence les unes avec les autres. La coopération semble alors
s’aligner sur un modèle industriel de grande entreprise.
23
La loi du 10 septembre 1947 sert de cadre législatif de référence à l’ensemble des coopératives.
24
Tendance à rechercher systématiquement l'amélioration ou l'accroissement de la productivité.
16
17. Les coopératives de consommations sont elles, de plus en plus fortement concurrencées
par les chaînes de magasins populaires et les sociétés de supermarchés dès les années
soixante. Elles rencontrent des difficultés d’adaptation face aux modes de gestion et de
financement de la concurrence capitaliste.
En total contraste avec l’évolution des coopératives, le secteur associatif est lui en plein
essor. Naissent alors des associations très militantes, des associations d’entraide, des
associations gestionnaires d’équipements socioculturels,… Ces initiatives sont à la fois
locales ou instrumentalisées par les politiques publiques.
Les entreprises collectives n’ont pas disparu pendant ce qui est appelé la « croissance
fordiste », fondée sur la production et la consommation de masse. Cependant, leur rôle a été
largement occulté, et ce pour deux raisons :
- Leur organisation divisée en une multitude d’activités, a induit une technicité qui a
affaibli le processus démocratique.
- Leur dépendance vis-à-vis des politiques publiques en termes de financement et de
réglementation a masqué leur rôle novateur.
De 1945 à 1975
Conseil national de la Résistance 1947 : loi sur la coopération et développement
des politiques publiques de l’Etat (grande voie
pour les mutuelles et les associations).
Evolution des mutuelles Grand élan et fort développement. Les mutuelles
d’assurance apparaissent.
Evolution des coopérations agricoles Changement des objectifs de production, la
question de la solidarité est posée.
Evolution des banques coopératives Mise en rude concurrence les unes avec les
autres.
Evolution des coopératives de consommation Forte concurrence des chaînes de magasins et des
sociétés de supermarchés.
Evolution du secteur associatif Plein essor et grand développement dans divers
domaines.
Evolution des entreprises collectives Pas de disparition, mais un rôle quasiment
occulté.
17
18. e. 1975-1990 : Entre élan institutionnel et crise économique
Dans les années soixante dix, les mouvements associatifs, les coopératives et les mutuelles
qui s’étaient développés de façon autonome, se réunissent pour affirmer une identité
commune. S’ouvre alors un débat sur l’identité de l’économie sociale, solidaire ou non, et sur
le sens de ses initiatives.
En 1970, le Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et
associatives voit le jour (CNLAMCA) devenu aujourd’hui le Conseil des Entreprises et
Groupements de l’Economie Sociale (CEGES). En 1977, ses responsables estiment leurs
organisations comme des organisations à but non lucratif, et adoptent la référence à
l’économie sociale. Le terme d’entreprise d’économie sociale devient un terme couramment
utilisé. Il devient également une référence dans la charte de l’économie sociale publiée en
1980 qui affirme sa nature démocratique et humaniste, allant jusqu’à affirmer que
« l’économie sociale est au service de l’homme ».
A l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981, Michel Rocard, alors ministre du Plan et de
l’Aménagement du territoire, crée une délégation interministérielle à l’économie sociale. Le
décret définit institutionnellement pour la première fois l’économie sociale : « ensemble des
coopératives, mutuelles et associations dont les activités de production les assimilent à des
organismes ». Cette initiative répond à un besoin bien précis de l’économie sociale qui est
d’avoir un interlocuteur administratif unique pour faciliter son développement. Est également
créé un comité consultatif mixte pour étudier les questions transversales liées au statut, au
financement, ou encore à la formation. Une des premières réalisations de ces deux nouvelles
institutions est la création de l’Institut de développement de l’économie sociale.
18
19. Face à la montée en puissance de la concurrence mettant en péril leur survie, les
entreprises de l’économie sociale ont besoin de s’affirmer et d’être reconnues.
L’augmentation du chômage, de la pauvreté et des inégalités, les demandes d’action sociale se
multiplient. Ce phénomène engage des actions nouvelles dans l’action caritative avec les
Restaurants du cœur et les Banques alimentaires, et dans l’insertion professionnelle avec des
associations qui innovent contre le chômage de longue durée.
De 1975 à 1990
1970 Naissance d’une identité collective entre les
différentes organisations avec un comité.
1977 La Référence à l’économie sociale est adoptée.
1981, arrivée du pouvoir socialiste L’économie sociale est définie
institutionnellement + un comité consultatif
mixte est créé + mise en place de l’Institut de
développement de l’économie sociale.
Accroissement de la concurrence Naissance d’actions nouvelles avec un grand élan
caritatif.
f. De 1991 à aujourd’hui : Un ensemble de pratiques sociales, alternatives et
solidaires très variées
L’histoire de l’économie sociale est en perpétuel mouvement. En deux siècles, les
entreprises associatives sont passées de l’associationnisme ouvrier à un ensemble
d’organisations très diversifiées. La profusion actuelle de l’économie sociale dont les limites
sont parfois difficiles à cerner, peut paraître confus. Ce phénomène est dû au fait que cette
économie cherche sans cesse de nouvelles formes d’organisation pour répondre au mieux aux
problématiques contemporaines. L’économie sociale est fermement implantée au niveau local
car les organisations sont capables de relier différentes dimensions ; économiques, sociales et
environnementales. Cette capacité permet d’élaborer une vision globale et donc d’améliorer le
19
20. développement et l’application de politiques et de programmes efficaces pour le
développement local. Cela permet également de promouvoir l’insertion sociale25.
Il existe aujourd’hui une infinité de pratiques se revendiquant de l’économie sociale. Ces
pratiques sont de nature marchande et non marchande, et se déclinent grâce à des formes
organisationnelles diversifiées. Elles constituent de réelles alternatives au modèle capitaliste
dominant.
L’économie sociale actuelle est très largement ancrée dans le secteur associatif,
contrairement à l’économie sociale historique qui était représentée par les entreprises
coopératives et mutualistes. Ces associations sont essentiellement concentrées dans les
services sociaux, culturels et sportifs. Les mouvements coopératifs et les mutuelles
interviennent quant à eux dans des secteurs d’activités diversifiés tels que l’agriculture, le
crédit, la consommation de biens et services, l’habitat… Le mouvement associatif a pris son
essor dans un « creux » juridique avec des règles très souples.
L’économie sociale s’inscrit aujourd’hui comme un troisième secteur en France aux côtés
du secteur privé capitaliste et du secteur public étatique.
De 1991 à aujourd’hui
Problématiques contemporaines L’Economie sociale est en perpétuelle mutation
cherchant à s’adapter. Elle recherche sans cesse
de nouvelles formes d’organisation.
Principe commun/fédérateur L’économie sociale a la même finalité : une
finalité sociale
Economie sociale actuelle Ancrée dans le secteur associatif et considérée
comme le troisième secteur.
25
Action ayant pour objectif de faire évoluer une personne isolée ou marginale vers un état où les échanges avec son environnement social sont considérés comme
satisfaisants.
20
21. II. Comprendre et appréhender l’économie sociale
a. Recueil des origines théoriques de référence
Les racines de l’économie sociale se trouvent dans des pratiques très anciennes datant
du Moyen-âge (guildes, confréries, compagnonnages, associations ouvrières, patronages).
Plus récemment, elle puise ses racines dans des écoles de pensées appartenant à une
tradition socialisante et à un socialisme utopique. Les auteurs de cette école ont tous pour
préoccupation d’améliorer les conditions de vie des travailleurs. Parmi ces auteurs, on
retrouve Claude-Henri de Saint-Simon, Charles Fourier, Jean-Baptiste Godin ou encore
Philippe Buchez (source Encyclopaedia Universalis).
Aristocrate et inspirateur des socialistes, il est le premier
socialiste français de l’ère industrielle. Il prône une théorie des
classes sociales en mettant l’accent sur l’exploitation d’une
immense majorité de travailleurs par une minorité. Ainsi d’après
lui, « en accord avec la masse, une élite des Lumières, à la fois
Claude-Henri intellectuelle et professionnelle, issue pour la plus grande part du
de Saint- monde des chefs d'entreprise, délivrera de cette exploitation la
Simon société tout entière et organisera progressivement le règne de
(1760-1825) l'abondance et du travail. ». Il met en avant la vertu de l’Homme
au travail et présente l’association comme un moyen de
socialisation des citoyens. Au-delà de l’industrialisme
progressiste de Saint-Simon ouvrant une voie à un socialisme
moderne, les saint-simoniens apportent à l’œuvre de leur maître
un contenu collectiviste et planificateur.
21
22. Il est l’inspirateur du solidarisme. Il analyse à travers ses
nombreuses publications écrites entre 1830 et 1850, les
contradictions du système capitaliste, et des conceptions de
l’organisation du travail. Il y affirme également sa volonté de
résoudre le conflit entre l’individu et la société, ce qui fait de lui
Charles
un précurseur du socialisme français. Il défend l’idée que
Fourier
l’Homme naturellement bon, est corrompu par la civilisation. Il
(1772-1837)
revendique une société qui s’auto organise grâce au
développement d’associations, de mutuelles et de phalanstères
(regroupement des producteurs au sein de communautés de vie
où la répartition des biens se fait selon le travail, le capital, et le
talent).
Convaincu par l’idée de la redistribution des richesses aux
ouvriers, crée à Guise un familistère après avoir découvert les
Jean-Baptiste théories de Charles Fourier. Ce familistère est considéré
Godin aujourd‘hui comme précurseur des coopératives de production.
(1817-1888) L’objectif premier de Jean-Baptiste Godin était de fournir aux
ouvriers des conditions de vie décentes dans un environnement
communautaire.
Après s’être déclaré comme Saint-simonien, édifie une synthèse
entre le Christianisme, le Socialisme, et des idéaux de la
Révolution française. Dès 1840, il développe un plan de réforme
de la société française basé sur l’association des ouvriers. Selon
lui, « Ces associations, qui sont des coopératives ouvrières de
Philippe production formées sur la base d'un capital inaliénable et
Buchez indissoluble, doivent en se propageant, permettre de rassembler
(1796-1865) un « capital ouvrier » global sur lequel la classe laborieuse pourra
s'appuyer ; leur généralisation poserait les fondements d'une
rénovation de la société par l'associationnisme ». Philippe
Buchez est aujourd’hui connu comme un défendeur de
l’association ouvrière, et un opposant de la concurrence et des
entrepreneurs qu’il qualifie de « parasites ».
22
23. L’économie sociale puise également ses origines au sein d’une tradition sociale chrétienne
fondée sur la doctrine de l’Eglise qui prône les corps intermédiaires et le principe de
subsidiarité. Cette tradition est portée par les valeurs de la charité chrétienne qui constituent
pour les chrétiens le plus grand commandement social, impliquant le respect d’autrui et de ses
droits. Elle repose également sur la solidarité des fortunés envers les plus défavorisés. Les
figures les plus marquantes de cette tradition sont Frédéric Le Play et Friedrich Wilhelm
Raiffeisen.
Frédéric Le Play est perçu comme le penseur catholique de l’économie
sociale. Il examine la religion, la propriété, la famille, le travail,
l'association, les rapports privés et le gouvernement. Pour chacun de
ces éléments, il propose des mesures pouvant conduire à la prospérité
sociale. Il va notamment prôner « l'institution du régime dit du
Frédéric Le Play
patronage volontaire où patrons et ouvriers sont liés par des intérêts et
(1806-1882)
des devoirs réciproques ». Frédéric Le Play va ainsi défendre le
patronage contre le libéralisme qui génère selon lui de nombreuses
inégalités sociales. Mais il va surtout en 1867 à l’Exposition
Universelle introduire le principe d’économie sociale après avoir créé
une société d’économie sociale en 1856.
Friedrich Wilhelm Raiffeisen est le fondateur de la mutualité de crédit.
Réagissant à la disette de 1846-1847, ce fils de pasteur crée une
Friedrich Wilhelm
association charitable et un fournil coopératif communal en Prusse. Ces
Raiffeisen
caisses s’étendent jusqu’en Alsace-Lorraine en 1882. A sa mort,
(1818-1888)
Friedrich Wilhelm Raiffeisen aura jeté les bases et les principes de
fonctionnement des caisses locales.
L’économie sociale est aussi portée par une idéologie libérale inspirée par des auteurs
notables tels que John Stuart Mill, Frédéric Bastiat, et Léon Walras.
23
24. Il représente la pensée libérale et l’attirance vers le socialisme utopique.
John Stuart Mill Il voit dans l'association de production « un moyen de rationaliser le
(1806-1873) système économique, d'augmenter la productivité et, en matière sociale,
d'associer tous les travailleurs aux résultats de l'entreprise ».
Economiste reconnu comme l’un des plus talentueux du courant libéral
Frédéric Bastiat
français, introduit le concept « d'association progressive et volontaire »
(1801-1850)
dans la pensée libérale.
L’un des fondateurs de l’économie néo-classique, il écrit en en 1896
ses Études d'économie sociale. Cet œuvre présente une nouvelle façon
Léon Walras de faire de l’économie politique en prenant en compte les problèmes
(1834-1910) sociaux. Des économistes appartenant au courant libéral, c’est lui qui
apporte la contribution la plus intéressante à l’économie sociale.
L’économie sociale est également inspirée d’un quatrième courant qui est celui du
solidarisme, doctrine selon laquelle il faudrait « remplacer la charité du christianisme par la
solidarité humaine » (Encyclopaedia Universalis). Cette école est construite autour de l’œuvre
de Charles Gide (1847-1932).
Il se place dans la continuité du socialisme français associationniste de
Charles Fourier. Cette école puise ses origines dans ce qui est appelé
« l’école de Nîmes » qui débouche en 1885 à la création de la première
Charles Gide
Fédération française des coopératives de consommation. Celle-ci
(1847-1932)
intègre des principes qui seront ceux de l’économie tels que l'égalité et
le contrôle démocratique, la liberté d'adhésion, la justice économique,
l'équité, la neutralité religieuse et politique, et l'éducation des membres.
Dans les années 1930, la formalisation théorique d’un secteur coopératif sera opérée par
Georges Fauquet avec son ouvrage Le secteur coopératif publié en 1935.
24
25. Dans on ouvrage Le secteur coopératif publié en 1935, il définit « les
rapports sociaux entre les sociétaires dans l’association » et « les
Georges Fauquet
rapports économiques entre chacun d’entre eux et l’entreprise ». La
(1873-1953)
démocratie coopérative est d’après lui le trait essentiel de l’institution
coopérative (Jean-François Draperi).
Les dernières influences contemporaines pour l’économie sociale sont celles d’Henri
Desroche et Claude Vienney qui ont chacun mené des réflexions différentes sur les
organisations de cette économie (source Jean-François Draperi).
Il démontre que les coopératives constituent une forme spécifique
d’organisation car elles comportent des caractéristiques communes.
Cette forme est d’après lui « la combinaison d’un groupement de
personnes et d’une entreprise réciproquement liés par un rapport
d’activité et un rapport sociétariat ». Claude Vienney va élargir la
Claude Vienney théorie de Georges Fauquet à toutes les entreprises coopératives,
(1929-2001) mutualistes et associatives définissant ainsi un secteur de l’économie
sociale. D’après lui, les organisations de l’économie sociale sont celles
qui réalisent une aide mutuelle entre les personnes dans le cadre de
l’activité d’une entreprise. L’économie sociale se distingue ainsi de
l’économie pure au sens orthodoxe car elle donne la priorité à l’utilité
sur la rentabilité.
Il s’intéresse aux créativités coopératives (ou projet coopératif). Pour
lui, il existe une constante dans le processus de la création coopérative :
il y aurait une rupture entre le projet des fondateurs et sa réalisation.
Henri Desroche
Pour Henri Desroche, l’économie sociale est un objet de pensée avant
(1914-1994)
d’être une organisation. Concernant les coopératives, elles constituent
pour lui un outil de développement d’une société locale et se
définissent par l’animation des groupes sociaux.
25
26. Tous ces penseurs ont contribué à dessiner les contours de l’économie sociale. Malgré
leurs divergences, ces doctrines ont en commun la recherche du bonheur, l’épanouissement
individuel et collectif, et la maîtrise de l’économie au bénéfice de l’Homme. Ce sont
cependant les diverses tentatives et expériences menées sur le terrain qui permettront la
formalisation de ces concepts en règles et principes de fonctionnement.
Théories de référence
Socialisme et socialisme utopique : améliorer Claude-Henri de Saint-Simon, Charles Fourier,
les conditions de vie des travailleurs Jean-Baptiste Godin, Philippe Buchez
Tradition sociale chrétienne : valeurs de Frédéric Le Play et Friedrich Wilhelm Raiffeisen
charité chrétienne
Idéologie libérale associée à l’idée de Stuart Mill, Frédéric Bastiat, et Léon Walras
socialisme
Courant du solidarisme : la solidarité humaine Charles Gide et Georges Fauquet
Influences contemporaines : réflexions sur les Henri Desroche et Claude Vienney
organisations
b. Valeurs fondatrices, utilité sociale et dimension éthique
Les valeurs fondatrices de l’économie sociale se sont construites et pérennisées à travers
plus de 150 ans d’histoire coopérative et mutualiste. Ces valeurs cardinales sont d’après Jean-
François Draperi, Nicolas Bàrdos-Féltoronyi, Danièle ou encore Philippe Chanial et Jean-
Louis Laville:
- L’initiative ou le volontariat : Les coopératives, les associations, et les mutuelles sont
fondées par des ouvriers, des agriculteurs, des consommateurs, des employeurs, ou
parfois tout simplement par des citoyens. Ces individus font le choix, librement
consenti, de s’associer. Les organisations de l’économie sociale sont ainsi le fruit de
d’initiatives diverses et variées telles que celles des agriculteurs (coopératives et
mutuelles agricoles), des instituteurs (mutuelle d’assurance MAIF), ou encore des
syndicalistes (SCOP Chèque Déjeuner).
- L’égalité : L’initiative collective est développée assez naturellement sur un pied
d’égalité. Au sein des personnes morales de l’économie sociale, la notion de pouvoir
est déconnectée de la propriété d’un capital. Cette valeur est un des éléments
26
27. fondateurs de l’économie sociale. Cette règle peut ainsi être retranscrite par
l’expression « association de personnes » ou encore « groupement de personnes ».
- La solidarité : Plus qu’un principe, c’est un des fondements de l’économie sociale. La
solidarité explique aussi bien les actions des premières confréries que des fonds de
solidarité mutualistes ou des associations d’insertion actuelles. Le terme de solidarité a
été utilisé par de nombreux mouvements où la solidarité est aussi bien interne entre les
membres, qu’externe, soit par destination, soit par l’ouverture à de nouveaux
membres, par l’inter coopération, ou encore la création de dispositifs et d’outils
juridiques permettant de dépasser le cercle des membres.
- L’autonomie : L’indépendance vis-à-vis de l’Etat ou de toute collectivité publique est
un principe qui a une importance considérable. Il ne suffit pas de créer une personne
morale, il faut également garantir que celle-ci n’est pas une sorte «d’excroissance » de
l’Etat. En France, ce principe a été rappelé lors du centenaire de la loi de 101 dans le
but de mettre fin à la création d’associations accusées d’être des prolongations des
administrations étatiques.
Ces quatre valeurs de l’économie sociale constituent des références incontournables. Elles
consacrent la primauté de l’Homme sur l’économie et confèrent à l’économie sociale une
sorte de dimension sociétale. Les entreprises de l’économie sociale doivent être en
permanence vigilantes à poursuivre leurs activités et leur développement sans perdre leurs
valeurs.
L’initiative
ou le
volontariat
La solidarité Valeurs L’autonomie
L’égalité
27
28. La référence à la création du lien social apparaît souvent dans le discours des acteurs.
L’économie sociale se donne comme objectif de contribuer à la création ou au renforcement
du lien social. Cette valeur est connexe avec les références humanistes26 qui sont la
prééminence de l’Homme par rapport à des considérations purement économiques, la qualité
des prestations qui ne sont pas évaluées par des critères d’efficacité et de rentabilité, et la
soumission à des principes éthiques du respect et de la dignité des personnes. En plaçant
l’Homme au centre de ses préoccupations, l’économie sociale prend clairement une position
économique divergente de l’économie classique.
La question du lien social comporte une dimension éthique27 qui porte sur la manière de
traiter certaines activités au regard du modèle de société. La façon dont est pratiquée l’activité
doit être en corrélation avec sa nature. Les rapports entre les dimensions éthiques,
économiques et politiques constituent un réel enjeu. Des questions se posent ainsi, telles que
faut-il marchander la relation à la mort et aux mourants ? Ou encore existe-t-il des natures
d’activités qui ne peuvent pas se réclamer de l’économie sociale ?
Valeurs fondatrices, utilité sociale et dimension éthique
Valeurs fondatrices L’initiative ou le volontariat, l’égalité, la
solidarité, l’autonomie
Utilité sociale Création d’un lien social
Dimension éthique Prééminence de l’Homme par rapport à des
considérations économiques
c. Principes communs
D’après la charte de l’économie sociale datant de 1981 (réactualisée par la suite en
1995), l’économie sociale est basée sur le respect de sept articles (Alternatives Economiques):
Article 1 : Les entreprises de l'économie sociale fonctionnent de manière démocratique, elles
sont constituées de sociétaires solidaires et égaux en devoirs et en droits.
26
Relatif à l'humanisme philosophique ; qui met l'homme au centre de ses préoccupations.
27
Qui concerne la morale.
28
29. Article 2 : Les sociétaires, consommateurs ou producteurs, membres des entreprises de
l'économie sociale, s'engagent librement, suivant les formes d'action choisies (coopératives,
mutualistes ou associatives), à prendre les responsabilités qui leur incombent en tant que
membres à part entière des dites entreprises.
Article 3 : Tous les sociétaires étant au même titre propriétaires des moyens de production, les
entreprises de l'économie sociale s'efforcent de créer, dans les relations sociales internes, des
liens nouveaux par une action permanente de formation et d'information dans la confiance
réciproque et la considération.
Article 4 : Les entreprises de l'économie sociale revendiquent l'égalité des chances pour
chacune d'elles et affirment leur droit au développement dans le respect de leur totale liberté
d'action.
Article 5: Les entreprises de l'économie sociale se situent dans le cadre d'un régime particulier
d'appropriation, de distribution ou de répartition des gains. Les excédents d'exercice ne
peuvent être utilisés que pour leur croissance et pour rendre un meilleur service aux
sociétaires qui en assurent seuls le contrôle.
Article 6 : Les entreprises de l'économie sociale s'efforcent par la promotion de la recherche et
l'expérimentation permanente dans tous les domaines de l'activité humaine, de participer au
développement harmonieux de la société dans une perspective de promotion individuelle et
collective.
Article 7 : Les entreprises de l'économie sociale proclament que leur finalité est le service de
l'homme.
Outre ces sept articles, l’économie sociale est basée sur cinq grands principes que doivent
respecter les organisations sociales :
- La non-lucrativité28 individuelle - La finalité des services doit profiter aux membres
ou à la collectivité. Le dégagement d’excédents29 constitue un moyen de réaliser un
28
Correspond à l’impartageabilité des bénéfices et des réserves.
29
Valeur ajoutée, diminuée des frais de personnel et des impôts liés à la production (sauf T.V.A.).
29
30. service, et non l’objectif majeur de l’activité. La recherche du profit30 nécessaire pour
que l’entreprise puisse survivre, mais elle n’est pas l’objectif principal de la structure.
D’après le CNCRES, « les entreprises de l’économie sociale et solidaire ont pour
principe fondateur de s’associer, de coopérer et de mutualiser au service de l’homme
et de la société, et non celui de faire fructifier des capitaux ». Les entreprises sociales
peuvent constituer des excédents financiers, mais il est formellement interdit aux
individus se les approprier. Cette règle est absolue dans les associations où aucun
dividende ne peut être versé aux adhérents. Elle est plus souple dans les coopératives
où les salariés peuvent se voir attribuer une part du bénéfice réalisé (participations ou
dividendes). De manière plus globale, les personnes et l’objet social priment sur le
capital dans la répartition des excédents (rémunération limitée du capital, répartition
des excédents entre travailleurs et membres usagers sous forme de ristournes, mise en
réserve de bénéfices pour le développement de l’activité ou affectation immédiate à
des fins sociales...)
- La liberté d’adhésion et l’autonomie de gestion- sont le ressort essentiel dans la
dynamique associative. D’après ce principe, personne ne peut être contraint et forcé à
adhérer à une structure de l’économie sociale. Chaque individu est libre de rester au
sein de cette structure, ou de la quitter. Ce principe est un des piliers pour la gestion
des associations. Il a également une grande importance pour les coopératives dont les
salariés doivent pouvoir vendre leurs parts dans le cas où ils voudraient la quitter. Cela
fait des coopératives des sociétés à capital variable31.
- Le contrôle démocratique par les membres – La gestion par les membres est
théoriquement renvoyée à la règle « une personne-une voix », ou du moins à une
limitation du nombre de voix par membre dans les organes souverains. Chaque
association coopérative est une démocratie. Chaque membre a une voix, quelque soit
son apport en capital. Tous les membres sont égaux. Les décisions relevant de la
stratégie de la structure se prennent en assemblée générale avec la consultation de
l’ensemble des membres.
30
Gain réalisé sur une opération ou dans l'exercice d'une activité.
31
Une société à capital variable a pour caractéristique de disposer d’un capital susceptible d'augmenter ou de diminuer constamment par l'effet soit de nouveaux versements
effectués par les associés anciens ou nouveaux, soit de reprises d'apport consécutives à des retraits d'associés.
30
31. - La double qualité qui apparaît comme le principe central des entreprises de
l’économie sociale. Les acteurs sociaux sont les sociétaires de l’entreprise. Ainsi, dans
une coopérative de production, les salariés sont des sociétaires, dans une mutuelle, les
mutualistes sont à la fois des assurés et des assureurs, dans une association, les
bénéficiaires peuvent être également des membres. A noter qu’une entreprise de
l’économie sociale est nécessairement au service d’un projet collectif et non d’un
projet individuel.
- La mixité des ressources – Les ressources de l’économie sociale sont privées
(coopératives, mutuelles, et fondations), ou mixtes (associations). Les entreprises
sociales sont des structures indépendantes des pouvoirs publics. Elles peuvent
cependant être reconnues comme des interlocuteurs privilégiés dans la mise en place
de politiques d’intérêt général et obtenir ainsi des subventions, des aides, ou des
avantages fiscaux.
contrôle
démocratique
par les
membres
non-
, la mixité des
lucrativité
ressources
individuelle
Principes
liberté
d’adhésion et double
l’autonomie qualité
de gestion
Les entreprises de l’économie sociale n’ont pas pour objectif l’enrichissement individuel.
Ces entreprises sont collectives et leurs valeurs sont communes à celles de la République
« liberté, égalité, fraternité ». L’adhésion est libre et volontaire et sa gestion est démocratique,
elles appliquent un principe de non-lucrativité ou de lucrativité réduite. Elles guident leurs
actions sur des principes de solidarité et de responsabilités sociales et environnementales.
31
32. Principes communs
Institutionnels = charte de l’économie sociale 7 articles ; fonctionnement démocratique, libre
adhésion, égalité des membres, liberté d’action,
juste redistribution des bénéfices, participation au
développement, finalité au service de l’Homme.
5 grands principes informels La non-lucrativité individuelle, la liberté
d’adhésion et l’autonomie de gestion, le contrôle
démocratique par les membres, la double qualité,
la mixité des ressources.
d. Divers types de structures juridiques
Les organisations d’économie sociale sont de plus en plus nombreuses. Ces structures
prennent des formes organisationnelles différentes. Les environnements culturels,
sociopolitiques, les circonstances économiques et le degré de développement, déterminent en
partie les formes d’organisation des entreprises à but non lucratif. Les entreprises sociales
regroupent des individus exclus du marché du travail, ou des individus motivés par leurs
convictions. Ces derniers sont à la recherche d’alternatives collectives. Ces organisations
développent leurs activités dans des secteurs de la production ou de la prestation de services,
de la commercialisation et du crédit. Les entreprises de l’économie sociale se définissent
comme des regroupements de personnes et non de capitaux.
Les principales formes légales des organisations à but non lucratif ne constituent que des
outils indispensables de réalisation d’un projet. Ces outils se comptent au nombre de quatre :
- Les associations 78.2%; les structures associatives sont créées à l’initiative de groupes
de personnes qui décident de se regrouper pour œuvrer autour d’un but commun. Leur
cadre légal est régi par la loi du 1er juillet 1901. Les associations peuvent être d’intérêt
général si les bénéficiaires sont différents des fondateurs. Elles peuvent également
être des organisations d’intérêt commun quand la solidarité entre les parties prenantes
est décisive. Ces associations se sont, ces dernières années, transformées en
fournisseur d’assistance sociale, par exemple dans la fourniture de services sociaux et
services de soins. Les associations sont régies par la loi de 1901, qui propose le statut
juridique le plus flexible et le plus libéral de toute la législation française.
- Les fondations et trusts 2.8%; ces types de structures existent grâce à des dotations
provenant d’un individu ou d’un groupe d’individus. Ces organisations sont également
32
33. souvent financées par des organisations publiques ou des entreprises privées. Les
fondations et trusts se doivent d’atteindre des objectifs fixés par les donateurs visant
un profil de groupe d’individus, ou une communauté. Elles sont particulièrement
investies dans le parrainage d’activités sociales, religieuses, éducatives, et d’intérêt
général. Les fondations se scindent en deux groupes : les fondations opérationnelles
qui poursuivent leurs objectifs en s’impliquant directement dans des activités, et les
fondations de soutien qui se consacrent au soutien des activités d’autres organisations.
Les fondations ont pour cadre légal des lois très récentes : la loi du 23 juillet 1987 sur
le développement du mécénat qui a institué le régime même de la fondation, et la loi
du 4 juillet 1990 sur les fondations d’entreprises qui visent à entraîner la construction
de fondations privées à l’image des grandes fondations américaines et allemandes
(Fondations Ford, Rockefeller, IBM, Mercedes, ou BMW).
- Les coopératives 13.7%; les coopératives sont des entreprises qui appartiennent à une
catégorie d’agents qui ne sont pas des investisseurs, à des groupements de personnes.
Celles-ci s’associent sur une base égalitaire pour réaliser une activité économique et
partagent les bénéfices éventuels en fonction de l’activité de chaque membre. Ce sont
des consommateurs, des travailleurs, ou des producteurs. Les coopératives se déclinent
sous la forme de coopérative agricoles, d’épargne et de crédit, de consommation,
d’assurance, de distribution, de travailleurs, d’habitation…
- Les sociétés de secours mutuel 5.3%; La mutualité a pour objectif de contribuer au
développement de la protection sociale, notamment dans le domaine de la santé et des
retraites sur la base de principes démocratiques. Sa vocation est de réunir des
personnes dans une structure qui va gérer des risques auxquelles elles sont exposées.
Les mutuelles de santé et de prévoyance ont un rôle important, tout comme les
mutuelles d’assurance.
Les fondations et
Les associations 78.2%
trusts 2.8%
Types de structures
juridiques
Les Les sociétés de secours
coopératives 13.7% mutuel 5.3%
33
34. Divers types de structures juridiques
Les associations 78.2% Elles sont créées à l’initiative de groupes de
personnes qui décident de se regrouper pour œuvrer
autour d’un but commun.
Les fondations et trusts 2.8% Elles existent grâce à des dotations provenant d’un
individu ou d’un groupe d’individus dans le but
d’atteindre des objectifs fixés par les donateurs.
Les coopératives 13.7% Groupement de personnes qui s’associent pour
réaliser des activités économiques et qui s’en
partagent les bénéfices en fonction de leur
implication.
Les sociétés de secours mutuel 5.3% Groupement d’individus au sein d’une structure qui
va gérer des risques auxquelles ils sont exposés.
e. Une économie ancrée dans le territoire
L’économie sociale est par essence une économie profondément ancrée dans le territoire.
Elle privilégie les relations directes dans les échanges, délaissant parfois leur contenu. Elle
impose une proximité entre les acteurs. L’économie sociale produit une cohésion sociale et
territoriale. Elle renforce les rapports sociaux de solidarité, contribue à la construction ou à la
pérennisation d’identités collectives, renforçant ainsi le lien social. Elle prend ainsi le contre-
pied de l’individualisme32 contemporain en créant du lien social33 entre les acteurs et les
individus.
Les organisations de l’économie sociale et le développement local sont deux éléments qui
sont étroitement liés depuis une quarantaine d’années. Depuis les années 1970, le
développement local allant de la délocalisation à la participation, est nettement valorisé. Ce
phénomène pousse les organisations à se renouveler et à se créer. Cette évolution correspond
à l’émergence des services à la personne qui nécessitent une dimension relationnelle.
L’ancrage de l’économie sociale dans les territoires est donc dû à la nature et à l’émergence
de nouveaux services, ainsi qu’à une volonté de privilégier la participation d’organisations
privées collectives non lucratives au développement du territoire. Les organisations
deviennent des acteurs du territoire à part entière.
32
Attitude favorisant l'initiative individuelle, l'indépendance et l'autonomie de la personne au regard de la société.
33
Ensemble des relations qui unissent des individus faisant partie d'un même groupe social et/ou qui établissent des règles sociales entre individus ou groupes sociaux
différents.
34
35. Cette implantation locale s’explique notamment par le fait que les projets qui font naître
les organisations se formalisent grâce à des relations interpersonnelles. Il s’agit de relations
affinitaires et identitaires. C’est entre autre grâce à la relation avec le futur usager que le
projet peut être pensé. L’organisation entre alors dans l’espace public et participe à
l’amélioration de la vie sociale en créant du lien social.
Les apports de l’économie sociale au territoire sont multiples d’après Danièle Demoustier,
Nadine Richez-Battesti:
- Mobilisation d’acteurs sociaux autour d’un entrepreneuriat collectif qui conduit à
accroître le capital social du territoire,
- Construction collective de besoins,
- Valorisation du patrimoine local qui permet de conserver la mémoire locale,
- Drainage de l’épargne locale qui conduit à redéfinir les rôles des banques coopératives
et mutualistes,
- Création de nouveaux services à la personne ou à la collectivité,
- Création de nouveaux emplois et dynamisation du marché du travail local.
Une économie ancrée dans le territoire
Notions clés - Proximité avec les individus
- Lien social – amélioration de la vie
sociale
- Développement local
- Apports significatifs dans la vie locale
35
36. III. L’économie sociale aujourd’hui
a. Place de l’économie sociale dans l’économie actuelle : chiffres et constats
En décembre 2008, l’Observatoire national de l’économie sociale et solidaire a été
créé par le CNCRES (Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale et
solidaire). Cet institut a publié le premier Panorama de l’économie sociale et solidaire en
France et en régions. Cette initiative permet aujourd’hui de mesurer la place ainsi que le
poids de l’économie sociale et solidaire. Ce panorama permet d’appréhender certaines
données et caractéristiques liées à l’emploi et aux rémunérations en croisant les activités
économiques des établissements et les catégories juridiques des entreprises sociales. Cet
observatoire permet également de répondre aux questions suivantes ; Qui sont ces
entreprises ? Combien sont-elles ? Combien d’emplois créent-elles ? Quel est leur chiffre
d’affaires ?
D’après de le CNCRES, « il est [en effet] indispensable d’avoir des données fiables,
pertinentes et régulières pour rendre compte de l’activité de ces entreprises, pour mesurer leur
dynamisme, et pour orienter les choix stratégiques des entrepreneurs et de l’action publique ».
Le bilan de l’Observatoire national de l’économie sociale et solidaire, également publié par
l’INSEE en octobre 2010, indique que l’économie sociale et solidaire représente une part non
négligeable de l’emploi en France. Voici les chiffres clés :
- 9.9% de l’emploi français ;
- 2.3 millions de salariés ;
- Plus de 100 000 emplois créés chaque année ;
- 215 000 établissements employeurs ;
- 53.1 milliards d’euros de rémunérations brutes.
Chaque année, près d’un emploi sur cinq est créé par l’économie sociale et solidaire.
D’après l’Observatoire national de l’économie sociale et solidaire, la croissance moyenne de
l’emploi dans l’économie sociale et solidaire suit une progression sensiblement supérieure à
celle des autres entreprises privées et des organisations publiques.
Les entreprises de l’économie sociale et solidaire ont un encadrement majoritairement
féminin et 66% des salariés sont des femmes contre 40% dans les entreprises privées hors
36
37. économie sociale et solidaire. Ces taux résultent de la forte implication de l’économie sociale
et solidaire dans les domaines d’activité où les emplois féminins sont traditionnellement
importants (éducation, santé, social, finance). Un cadre sur deux est une femme (56% des
cadres), alors que dans l’économie privée hors économie sociale et solidaire, seul 30% des
cadres sont des femmes.
Autres faits marquants, les salariés de l’économie sociale et solidaire sont en moyenne
nettement plus âgés que les salariés du secteur privé hors économie sociale et solidaire avec
335 000 salariés de plus de 55 ans. C’est donc près d’un salarié sur sept qui devrait partir à la
retraite d’ici 2018. Ce phénomène touche davantage les cadres qui sont 20% à avoir plus de
55 ans. Quand l’Observatoire national de l’économie sociale et solidaire prend en compte
dans ses prévisions les salariés de 50 à 54 ans, ce sont 658 00 individus, dont 97 000 cadres,
qui devraient partir à la retraite d’ici 2018.
En France, les employeurs de l’économie sociale et solidaire sont pour 77.1% des
micro-entreprises. Toutefois, la part des entreprises ayant plus de 50 salariés est deux fois plus
importante que dans l’économie privée hors économie sociale et solidaire. Le nombre de
salariés dans l’économie sociale et solidaire est de 11 en moyenne par entreprise, contre 8
dans le reste de l’économie privée.
A noter que l’économie sociale est essentiellement une économie de services. D’après
l’Observatoire national de l’économie sociale et solidaire, l’économie sociale et solidaire est
massivement présente dans les secteurs de l’action sociale (6 salariés sur10, majoritairement
dans les associations) ainsi que dans celui des activités financières et d’assurance (1salarié sur
10 dont 2/3 sous forme coopérative et 1/3 mutualiste). Si le secteur tertiaire regroupe une
majorité des effectifs salariés de l’économie sociale et solidaire, les coopératives exercent
essentiellement dans des activités de production : industrie, construction, agriculture.
37
38. Place de l’économie sociale
Bilan de l’Observatoire - 9.9% de l’emploi français ;
- 2.3 millions de salariés ;
national de l’ESS
- Plus de 100 000 emplois créés chaque année ;
- 215 000 établissements employeurs ;
- 53.1 milliards d’euros de rémunérations brutes.
Faits marquants - Un emploi sur cinq en France a été créé par l’ESS
- L’encadrement est majoritairement féminin avec 66% de
femmes salariées.
- Les salariés sont nettement plus âgés que dans le reste du
secteur privé avec 335 000 personnes de plus de 55 ans.
- Le nombre de salariés moyen dans une entreprise de l’ESS
est de 11, contre 8 pour les autres entreprises ;
- L’économie est essentiellement une économie de services.
b. L’économie sociale face à la crise économique
La crise que nous vivons depuis septembre 2008 est une crise très complexe. Cette
crise puise ses origines dans le secteur de la finance, elle s’est ensuite étendue à d’autres
domaines pour créer d’autres crises connexes. Parmi celles-ci, la crise des subprimes et
produits structurés, celle des assureurs de crédit, celle qui a fait chuter les grandes banques
comme Lehman Brothers et engendrée des pertes considérables sur les marchés financiers et
les places boursières. Ce sont les excès du capitalisme financier et de l’ultralibéralisme qui ont
provoqué cette crise, doctrines qui se trouvent aux antipodes de la doctrine de l’économie
sociale. D’après les plus grands économistes contemporains, la crise actuelle est en quelque
sorte une mise à nu des limites de l’économie libérale et capitaliste, et une valorisation des
principes de l’économie sociale.
D’après Jean-François Draperi cette crise favorise les attentes que les individus ont de
l’économie sociale. Cette tendance est liée aux excès de la mondialisation, aux inquiétudes
grandissantes face aux menaces écologiques, à la perte de sens de l’économie, et aux excès de
la concurrence qui touchent la plupart des individus dans leur quotidien. Parmi les éléments
concrets qui témoignent de cette demande à se diriger davantage vers un modèle d’économie
sociale : le doublement du nombre de création de SCOP34, la création de filières universitaires
dédiées à l’économie sociale, l’engouement des jeunes diplômés pour se faire embaucher dans
le secteur, l’intérêt fleurissant des épargnants pour la finance solidaire, l’engagement des
34
La Société Coopératives Ouvrière de Production est une société commerciale de type SARL ou SA, dont les associés majoritaires sont les salariés de l’entreprise.
38
39. collectivités locales pour l’économie sociale, l’intérêt grandissant des medias pour ce secteur
et ses activités…
Cependant, même si cette attente et cette demande d’économie sociale est forte, elle ne
peut pas se développer à la hauteur des espérances car l’offre n’est pas suffisante dans tous les
domaines d’activités. En effet, nous nous trouvons actuellement dans un système économique
lié à l’offre et non à la demande. Ainsi, il y a des secteurs et des activités sur lesquels
l’économie sociale pourrait en théorie se positionner, mais s’en voit privée en pratique. Cela
vaut pour l’éducation où ce sont des groupes côtés en bourse qui conquiert le marché scolaire,
ou encore celui de la santé où les cliniques privées se voient racheter par des fonds de
pension.
La problématique actuelle de l’économie sociale face à la crise est de réussir à saisir sa
chance, se faire reconnaitre et obtenir une place importante dans le paysage économique. La
difficulté de ce secteur est également de se trouver une place à côté de l’interventionnisme de
l’Etat, même si il se désengagement de plus en plus des questions sociales. L’ensemble de ses
difficultés semblent résulter de trois causes :
- Les banques coopératives ont été touchées par la crise financière, créant le trouble au
sein même de l’économie sociale. La crise remet ainsi en cause la non-application des
principes coopératifs.
- Les clivages internes se sont accrus entre les entreprises sociales de marché et celles
davantage tournées vers l’intérêt général. Ils se traduisent entre autre par de fortes
tensions au sein des organisations représentatives de l’économie sociale.
- L’absence de politique publique et de portage politique de l’économie sociale n’aide
pas le secteur à réaliser des propositions concrètes pour sortir de la crise et à affirmer
un projet politique de sortie de crise.
L’économie sociale doit se positionner, d’après des auteurs comme Jean-François Draperi,
comme une alternative crédible en mettant en œuvre son projet politique et sociétal. Pour cela,
elle doit respecter et appliquer les principes qui lui sont propres pour éviter qu’ils se voient
réduits au rôle d’oriflammes. Elle est plus que jamais appelée à être un modèle d’innovation
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40. et de créativité en se rapprochant des milieux universitaires, des chercheurs, des créateurs et
de politiques.
La crise actuelle mondiale remet littéralement en cause le système capitaliste prédominant
et fait naître de nouvelles inspirations civiques, sociales et environnementales auxquelles
répond l’économie sociale. Sans vouloir se positionner comme un nouveau modèle unique,
l’économie sociale est aujourd’hui une alternative potentielle au capitalisme ambiant.
L’économie sociale face à la crise économique
Les effets de la crise Les attentes d’économie sociale augmentent
fortement, mais l’économie sociale a du mal à y
faire face car le marché ne le permet pas.
Les difficultés de l’économie sociale face à la - Les banques coopératives ont été
crise touchées de plein fouet par la crise.
- L’augmentation des clivages internes des
entreprises de l’économie sociale.
- L’absence de politiques publiques.
c. Enjeux contemporains et défis de l’économie sociale
Selon Jean-François Draperi et Thierry Jeantet, l’économie sociale est actuellement
tiraillée par différents enjeux essentiels en termes de transformation sociale :
- Renforcer l’organisation nationale représentative de l’économie sociale pour que
cette dernière puisse s’exprimer d’une seule voix. Cela nécessite la rédaction d’un
texte de référence à l’échelle nationale, et l’affectation de moyens essentiels pour
mener des actions de représentation et de lobbying. L’économie sociale doit, selon ses
acteurs, s’affirmer et se faire connaître et reconnaître.
- Rassembler et fédérer les acteurs de l’économie sociale en s’appuyant sur des
dynamiques territoriales et entrepreneuriales, ce qui permettrait de donner au secteur
davantage de cohérence et de visibilité. L’économie sociale doit avoir une image à la
hauteur de son poids dans l’économie française.
40
41. - Ouvrir les discussions concernant la gouvernance et les pratiques de l’économie
sociale. La notion de démocratie économique spécifique à l’économie sociale doit être
approfondie en mettant à jour les statuts et les pratiques en vigueur.
- Se pourvoir d’outils communs de développement et de financement. Il serait ainsi
probable de voir émerger des banques d’affaires du secteur, des outils communs entre
les fondations des entreprises de l’économie sociale…
- Réaliser des évolutions quant aux formes juridiques qui ne forment pas actuellement
un bloc immuable. L’économie sociale doit poursuivre ses recherches et ses efforts
pour, avec l’aide du législateur, améliorer constamment ses modes de fonctionnement
en fonction des évolutions et tendances sociétales. L’un des principaux chantiers
juridiques à venir est celui de l’élaboration d’un droit des groupes d’économie sociale
au niveau national permettant de dresser des passerelles entre les familles de
l’économie sociale. Aujourd’hui seules les mutuelles peuvent se regrouper sous
l’impulsion du Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurance. Il apparaît
nécessaire d’élaborer dès à présent un véritable droit des groupes de personnes
morales d’économie sociale.
- Influencer l’ensemble des acteurs économiques pour les rapprocher de l’économie
sociale. Cette approche pourrait donner par exemple naissance à des sortes d’alliances
avec des acteurs qui ont des points communs comme la gouvernance participative, le
développement social, ou encore le réinvestissement des excédents.
La crise économique et financière qui touche actuellement la France remet en partie en
cause le système économique dominant. Dans cette période de forte tension, l’économie
sociale se doit de réfléchir sur son rôle à venir, ainsi que sur les défis qu’elle doit relever. Pour
cela, elle doit selon Jean-François Draperi:
- Tendre à modifier la donne économique et financière, notamment en rendant des
produits et des services émanant du commerce équitable plus accessibles, ou encore en
développant un financement davantage coopératif.
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42. - Contribuer à remodeler la mondialisation en développant une économie sociale
transnationale, en faisant un nouveau trait d’union entre le Nord et le Sud. L’économie
sociale française pourrait être le moteur d’une économie mondiale plus juste en
transplantant son modèle au-delà des frontières.
- Oser l’innovation en s’ouvrant aux jeunes, ou en formant de nouvelles alliances. Pour
se développer et trouver sa place dans l’économie française, l’économie sociale doit
être audacieuse et dynamique.
- Confirmer son ancrage sociétal en se modernisant, en réalisant de nouveaux pactes
sociaux pour consolider ses liens, en développant une nouvelle approche du temps de
vie ou encore en démocratisant la communication avec des modes de communication
virtuels.
Enjeux et défis de l’économie sociale
Enjeux - Renforcer l’organisation nationale représentative de l’économie sociale
- Rassembler les acteurs de l’économie sociale
- Réaliser des évolutions quant aux formes juridiques
- Se pourvoir d’outils communs de développement et de financement
- Ouvrir les discussions concernant la gouvernance et les pratiques
- Influencer l’ensemble des acteurs économiques pour les rapprocher de
l’économie sociale
Défis - Tendre à modifier la donne économique et financière
- Contribuer à remodeler la mondialisation
- Oser l’innovation
- Confirmer son ancrage sociétal
d. Limites « externes » et « internes » de l’économie sociale
L’économie sociale se retrouve, d’après Jean-François Draperi et Danièle Demoustier,
aujourd’hui confrontée à deux types de limites, limites internes et limites externes.
Les limites dites externes concernent les entreprises qui adoptent seulement une partie
des principes de l’économie sociale. A titre d’exemple, les syndicats, les sociétés d’économie
mixtes, les associations caritatives, ou encore les comités d’entreprises, peuvent être incluses
dans l’économie sociale au sens large alors que ces organisations ne font pas partie de
42
43. l’économie sociale instituée. Cette tendance correspond à un isomorphisme de l’économie
sociale qui tend à s’accroitre, et à une banalisation du terme et du concept.
Les limites dites internes concernent quant à elles les entreprises ayant des statuts
d’économie sociale. Parfois, ces organisations prennent des décisions qui s’éloignent des
principes et des valeurs fondatrices de l’économie sociale. Le principe le plus concerné par
ces limites est l’a-capitalisme qui est menacé par la rémunération limitée au capital, la
filialisation des sociétés anonymes par croissance externe et la cotation en bourse.
Ces deux types de limites amènent à se poser une question identitaire. Si la tendance
veut que les entreprises d’économie sociale et les entreprises d’économie capitaliste évoluent
vers un modèle commun, quand peut-on affirmer qu’une entreprise sociale quitte le
mouvement. Le statut juridique qui est actuellement le seul critère pour caractériser
l’entreprise d’économie sociale, ne semble plus être suffisant. Il faudrait également prendre en
compte les principes qui guident l’appropriation des valeurs. Pour définir si une organisation
appartient au mouvement d’économie sociale, il faudrait prendre en compte les valeurs de
référence, les principes, les règles juridiques, le projet et les pratiques réellement mises en
place.
Limites de l’économie sociale
Limites externes Certaines entreprises n’adoptent qu’une partie des principes de l’économie
sociale.
Limites internes Certaines organisations prennent des décisions qui s’éloignent des principes
et des valeurs fondatrices de l’économie sociale.
Réflexion La question identitaire se pose, des changements doivent-ils être opérés pour
affirmer qu’une organisation appartient au mouvement de l’économie
sociale ?
e. L’entrepreneuriat social
L’entrepreneuriat social fait de plus en plus parler de lui en se développant dans
l’Hexagone, comme le témoigne la montée du Mouvement des entrepreneurs sociaux.
L’entrepreneuriat social serait défini suivant les critères économiques suivants (Jean-François
Draperi, 2009) :
- Une activité continue de productions de biens et/ou de services
- Un degré élevé d’autonomie par rapport aux pouvoirs publics
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