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Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècle :
Comprendre les nuances d’un concept pour
« Éduquer à la Paix »
Avant toute chose, il convient de s’interroger sur ce qu’est la géopolitique
La géopolitique étudie les enjeux et les rivalités de pouvoir, de puissance qui existent autour des
territoires, et ce à toutes les échelles, avec de surcroît la possibilité de se situer dans un passé très
récent voire dans un champs contemporain.
Mais la réflexion menée n’est pas (et ne doit pas être) centrée sur des hypothèses, des solutions, ou
de la prospective, c’est-à-dire qu’il ne sera pas question dans ce propos d'étudier ou de prévoir
l'évolution et l’avenir des sociétés.
Mener une réflexion géopolitique, c’est avoir une démarche qui est très proche de l’histoire
(travailler sur des documents et des sources avérées et contradictoires) et de la géographie (avec la
carte, le territoire, l’échelle).
Le deuxième préalable est de savoir dans quel espace se situer lorsque l’on mène une réflexion sur
l’islamisme.
L’espace naturel de l’islamisme c’est ce que l’on appelle le Proche ou encore le Moyen Orient (avec
d’ailleurs beaucoup d’approximations dans les termes), un espace auquel on associe fréquemment le
Maghreb. C’est-à-dire un espace que désormais l’ONU appelle les pays du MENA (Moyen Orient +
Afrique du Nord), un espace que l’on arrête à l’Est en Iran mais dont on a souvent une vision plus
élargie, celle des États-Unis puisqu’ils englobent l’Afghanistan et le Pakistan.
Mais le plus important en guise d’introduction est incontestablement de poser quelques définitions
pour ne pas confondre, pour ne plus jamais confondre des termes dont la confusion est
entretenue avec plus ou moins d’innocence.
L’islam : C’est le nom de la religion qui se définit par référence au Coran (c'est-à-dire d’une religion
du livre), un des trois grands monothéismes.
Attention à Islam avec un grand I, il s’agit alors de la civilisation, c’est une acception culturelle et
non plus religieuse (le 22 septembre à Paris lors de l’inauguration au Louvre du « Département des
Arts de l’Islam », Sophie Makariou, directrice de ce département a déclaré « pour le Louvre, il s'agit de
montrer l'Islam, avec un grand I. En langue française, cela désigne la civilisation. Le propos n'est pas de
se centrer exclusivement sur l'islam avec un petit i, qui désigne la sphère religieuse ».
Musulman : C’est un adepte de l’islam. L’islam est aujourd’hui la 2e religion du monde par le
nombre de croyants, de ces croyants regroupés en communauté que l’on appelle alors l’Oumma, et
que l’on peut chiffrer selon une fourchette qui va de 1 200 000 000 à 1 500 000 000 de musulmans.
Ce sentiment d’appartenance à l’Oumma abolit la frontière des États au profit d’un espace
géopolitique appartenant au peuple de Dieu.
Arabe : surtout ne pas confondre arabe et musulman !
Etre arabe c’est appartenir à une ethnie, c’est-à-dire un groupe de population ayant en commun une
origine géographique, une histoire, un passé, des coutumes et une langue…
L’islam est apparu dans la péninsule arabique d’où sans doute l’origine de la confusion. Ce sont les
Arabes qui les premiers ont adopté l’islam ; de plus le Coran est rédigé en langue arabe.
Il est donc vrai qu’une grande majorité des Arabes est de confession musulmane, en revanche tous
les musulmans ne sont pas arabes, aujourd’hui la majorité des musulmans ne le parlent pas et de
surcroit le plus grand pays musulman du monde, l’Indonésie, ne l’est pas.
On en arrive enfin à islamisme :
1
« L’islamisme est une idéologie, pas une religion, pas une théologie mais une idéologie politique à
base de religieux», ainsi s’exprime Séverine Labat, chercheuse au CNRS et spécialiste reconnue de
l’islamisme en général et du terrorisme islamiste algérien des années 1990.
Le terme est synonyme d’intégrisme musulman qu’il s’agisse d’un groupe, d’un individu ou d’un pays
L’islamisme est un projet politique, juridique et social, qui repose sur une certaine interprétation du
Coran. C’est donc un concept qui désigne une utilisation politique de l’islam : imposer à la société et à
l’État d’un pays l’islam originel, celui des origines d’une part, et avoir comme seule norme juridique
et politique la Charia (= la loi islamique) d’autre part.
Une autre « difficulté » intervient alors à propos d’une définition simple de la Charia ; on dit que c’est
la loi islamique et pourtant elle n’a jamais été codifiée dans un livre de lois, ce sont plutôt des
obligations (religieuses, morales, sociales, juridiques) qui composent la tradition, ainsi son
interprétation est nécessaire ce qui explique la multiplicité et la diversité des interprétations entre
les plus modernistes et les plus rigoristes.
L’islamisme est donc une forme d’intégrisme. La langue française offre une autre richesse, ou une
autre complexité, elle distingue islamisme de fondamentalisme. Une distinction qui n’est pas faite
aux États-Unis où le terme d’islamisme n’existe pas car seul le mot « fondamentalisme » est utilisé.
Certains auteurs, comme Olivier Roy, parlent de néo-fondamentalisme plutôt que d’islamisme. Par
fondamentalisme on entend la volonté du retour aux textes fondamentaux de l’islam avec une
lecture littérale du Coran, mais sans projet politique. La définition d’islamisme s’affine peu à peu, les
islamistes sont des fondamentalistes mais avec une politisation du fondamentalisme.
L’islamisme moderne apparait en 1979 avec la révolution en Iran et peu à peu le terme s’impose.
Un dernier terme, très ambigu dans l’utilisation qui en est faite, est le mot islamique.
Islamique est souvent (le plus souvent ?) utilisé comme synonyme de musulman, en réalité il l’est de
islamiste. Quelques exemples permettent de clarifier cette affirmation.
Quand on parle d’un régime islamique ou d’une république islamique, des termes employés
essentiellement à propos de l’Iran ou de l’Afghanistan, il s’agit en réalité d’un régime ou d’une
république islamiste.
Au lendemain de la révolution arabe qui a touché la Tunisie, les partis politiques se sont multipliés et
aujourd’hui le parti qui s’appelle « Parti de la Libération Islamique » est celui qui incarne l’islamisme
dans sa forme la plus dure, la plus radicale. Une autre précision, et qui ne peut que faire réfléchir, en
arabe il n’y a pas de différence entre islamique et islamiste, c’est un même mot. La différence se fait
seulement avec musulman. L’ambiguïté est telle que aujourd’hui, les historiens d’art, lorsqu’ils
veulent parler de formes artistiques qui ne s’appliquent pas à une religion en particulier, utilisent de
plus en plus systématiquement l’expression « arts de l’Islam » au lieu d’art islamique, sinon ils
parlent « d’art musulman ».
Donc dès le début, il convient de prendre de nombreuses précautions dans le vocabulaire employé, la
vigilance, la précision et la connaissance rigoureuse du sens des mots sont indispensables pour
apporter un peu de clarté là où certains alimentent le flou et la confusion.
1) QU’EST-CE QUE L’ISLAMISME ?
Répondre à la question qu’est-ce que l’islamisme est la première approche à satisfaire pour mieux
cerner la nature de ce phénomène. L’islamisme se distinguant avant tout par un projet politique, la
première entrée mérite d’être politique.
L’islamisme peut d’abord être appréhendé comme une réponse à la faillite des idéologies
antérieures, une alternative à des idéologies qui n’ont jamais vraiment fonctionné dans les pays
musulmans.
Réponse et/ou alternative au nationalisme qui a certes apporté les indépendances mais à ce jour n’a
pas su assurer le développement de ces pays ; une alternative au panarabisme (préfixe « pan » qui
rassemble) qui était un mouvement politique, culturel, idéologique visant à réunir et à unifier les
peuples arabes, à la fois socialiste et nationaliste, né au XIXe siècle avec un courant de renaissance
arabe, ce panarabisme était la grande ambition de Nasser pour l’Égypte mais il disparaît avec lui. Les
ponts entre islamisme et panarabisme sont tellement nombreux que l’islamisme est parfois qualifié
de néo-panarabisme. Une alternative au capitalisme également avec à la fois le rejet de la modernité,
2
du matérialisme et de l’Occident symbolisé par des élites urbaines (qui ont tout), un Occident le plus
souvent synonyme de colonisation et de domination depuis le XIXe siècle, une image qu’il ne
parvient pas à effacer. Une réponse ou une alternative au communisme enfin et pour cela il suffit de
penser aux pays qui ont pris pour modèle de développement le modèle économique de l’URSS et au
désastre économique qu’ils ont connu, par exemple l’Algérie.
Il est intéressant de constater que l’islamisme, et les « révolutions islamiques/islamistes », refusent
avec la même violence les deux modèles idéologiques dominants qui se sont partagés le monde
durant la Guerre Froide.
Dans le rhétorique iranienne qui prévaut depuis la Révolution de 1979 les États-Unis sont « le Grand
Satan » et on ne compte plus les drapeaux américains qui ont été brulés en Iran. Moins connu sans
doute mais tout aussi révélateurs les autres surnoms attribués aux pays occidentaux : la mère de
Satan pour Israël, le père de Satan l’Angleterre, le Petit Satan la France, les amis de Satan enfin pour
le Canada, l’Espagne et l’Australie. Le rejet du modèle occidental est donc affirmé et pas seulement
par un défi à l’égard des Etats-Unis.
L’URSS et son modèle ne sont pas mieux considérés par les islamistes. L’Afghanistan doit devenir,
selon les islamistes afghans « le Viêt-Nam de l’URSS ». On parle alors volontiers de « bourbier
afghan » comme on parlait de bourbier vietnamien. Les islamistes considèrent avoir joué un rôle
capital dans l’effondrement de l’URSS et du communisme et ce grâce à l’Afghanistan ; une courte
chronologie en deux dates, le départ de l’Armée Rouge en mars 1989 et la chute du Mur de Berlin en
novembre 1989, permet d’étayer ce postulat.
Dans ce rejet affiché et sans doute intrinsèque des deux modèles existants ou ayant existé,
l’islamisme se pose en projet politique et se présente comme une alternative voire comme la seule
alternative.
Répondre un peu plus finement à la question qu’est-ce que l’islamisme c’est faire l’effort de mieux
cerner la nature de l’islamisme, c’est présenter quelques aspects de cette forme politique de
fondamentalisme qui est en fait un extrémisme religieux et politique.
Quelques grandes caractéristiques peuvent être retenues dans une première approche de cet
extrémisme.
Sans doute la 1ère
de toutes est de respecter scrupuleusement l’intégrité de la tradition, lui rendre
toute sa force par une interprétation littérale du Coran et s’en tenir là. C’est là que la Charia, la loi
islamique déjà définie, intervient. Elle doit être la source de tout. Ainsi le Coran devient la référence
exclusive qui régit le comportement religieux mais aussi social, juridique et politique.
L’islamisme se caractérise également par le fanatisme et l’intolérance indissociables du prosélytisme
de ses adeptes. Les ennemis de l’islam, appelés hérétiques ou infidèles, doivent être éliminés par la
Guerre Sainte (le Djihad/le Jihad) avec pour seule alternative, se convertir ou mourir. Ceux qui se
sacrifient pour cette cause et qui en deviennent les martyrs reçoivent la promesse par les imams du
Paradis et donc la vie éternelle. Intolérance, Guerre Sainte, fanatisme, on voit dès lors non seulement
se profiler le terrorisme, mais aussi sa justification.
Une 3eme
caractéristique de l’islamisme est qu’il est largement réactionnaire, au sens littéral de
réactionnaire selon la définition du Robert «qui va contre le progrès social et l’évolution des
mœurs ». Ces pratiques réactionnaires trouvent leur origine, et de fait leur justification, dans la
référence unique et constante à la société des premiers temps de l’islam puisque les islamistes se
veulent les défenseurs des valeurs originelles de l’islam, globalement le VIIème
siècle de notre ère.
Quelques unes de ces pratiques réactionnaires peuvent être citées en exemple et ce parmi les plus
connues : un rejet total de la pensée scientifique, un même rejet de certaines valeurs souvent
qualifiées d’occidentales, mais avant tout considérées comme des inventions humaines et donc
contraires au Coran, telles la démocratie et la liberté pour ne citer qu’elles. Rejet enfin de toutes les
formes de modernité : l’alcool, le tabac, la musique, les jeux de hasard, le cinéma, la mixité… et la liste
n’est pas exhaustive.
Une autre caractéristique et non des moindres est la question de la sujétion totale des femmes qui
est bien une des composantes de l’islamisme, une composante qui revient sous différentes formes
3
mais de façon récurrente, omniprésente mais diverse, de sa forme la plus violente, la lapidation des
femmes à sa forme la plus banale la question du port du voile.
Dernière manifestation de cet islamisme dans l’extrémisme politique et religieux qu’il incarne est la
référence à l’antisémitisme, un antisémitisme érigé en valeur fondamentale, véritable valeur de
référence qui anime les islamistes, un antisémitisme porteur d’instabilité au Proche Orient avant
tout mais dans le monde en général.
Cet extrémisme religieux mais aussi politique qu’affirme l’islamisme est animé d’un fort
prosélytisme qui se caractérise notamment par une volonté d’expansionnisme.
La stratégie expansionniste de l’islamisme est double mais avec une recherche de but final identique.
Le 1er
temps de la stratégie est simple à appréhender. Il s’agit de conquérir toutes les régions
musulmanes et d’y imposer l’islamisme donc de fait l’intégrisme ; cette première étape doit
permettre de se débarrasser de régimes corrompus, autoritaires, dictatoriaux ; de régimes qui sont
considérés par les islamistes eux-mêmes comme des ennemis de l’islam. Ce premier temps de la
stratégie expansionniste islamiste est qualifié de « Lutte contre l’ennemi proche » ce que l’on appelle
parfois des Jihad locaux.
Déstabiliser l’Occident est le second temps de la stratégie et cela peut se faire de deux façons, soit en
prenant le contrôle des communautés musulmanes qui y vivent par le financement de mosquées, par
la formation d’imam ou encore par la multiplication d’associations caritatives soit, et c’est la
deuxième solution envisagée par les islamistes, par le terrorisme international. Il s’agit alors de
mener « la lutte contre l’ennemi lointain ».
Le but final recherché dans cette déstabilisation de l’Occident étant la conversion du monde entier
dans un califat mondial ! Le calife est le nom donné au souverain musulman, successeur de Mahomet
qui a un pouvoir spirituel et temporel et ainsi « la boucle est bouclée » par ce retour au projet
religieux et politique de l’islamisme.
L’islamisme revêt peu à peu une certaine réalité ; présenté comme une alternative à tout ce qui a pu
exister dans le monde musulman, idéologie aux composantes extrémistes tant religieuses que
politiques, une nouvelle approche par les courants et les stratégies est également nécessaire.
Le monde musulman, musulman pas islamiste, est fait de diversité avec une répartition des
musulmans en deux grands courants, Chiites et Sunnites, courants dont les origines se rattachent à
des faits historiques. Ceux qui, au lendemain du renversement d’Ali (4eme
Calife, 656-661), cousin et
gendre du Prophète, par le gouverneur de Syrie, considèrent que le calife doit être choisi pour ses
qualités morales, religieuses, politiques, sont devenus les sunnites, un nom qui vient de sunna
signifiant la pratique, la ligne de conduite de Mahomet sont majoritaires dans le monde musulman à
près de 90%. Mais d’autres estiment que la communauté musulmane doit être dirigée uniquement
par un descendant du prophète, ce sont les partisans d’Ali, (« shia ali » en arabe, ce qui va donner le
mot chiite). Ils ont toujours été minoritaires parmi les musulmans (9%). Les 1% restant
correspondent à quelques minorités (alaouites, soufis, etc.).
Les islamistes se composent également de deux grands courants, des courants aux origines
communes.
Avant tout le wahhabisme dont on pourrait dire qu’il constitue les racines de l’islamisme. Il s’agit
d’une conception conservatrice, très dogmatique et puritaine, où s’imposent une pureté morale
scrupuleuse et un respect rigoureux des principes de l’islam. C’est la doctrine en vigueur en Arabie
Saoudite qui en est d’ailleurs le berceau, le seul autre État wahhabite au monde est le Qatar. La
doctrine a été fondée au XVIIIème
par Abd Al Wahhab (1720-1792) par des Sunnites et les Wahhabites
vont jusqu’à prôner la contrainte pour imposer l’islam. Mais, et cela les différencie-t-il sans doute
beaucoup de l’évolution suivie par l’islamisme au cours du XXème
siècle, sans projets politiques. En
effet, il n’y a ni contestation ni volonté de renverser les régimes en place. Le wahhabisme est donc
seulement, ou plus exactement surtout une doctrine religieuse, un fondamentalisme.
Le salafisme, al-salaf signifie affiliation aux anciens, incarne quant à lui aujourd’hui la réalité de
l’islamisme. Cette doctrine née au XIXème
siècle, prône également le retour au chemin des ancêtres et
aux valeurs authentiques de l’islam. On y retrouve une même lecture figée des textes sacrés, la même
interprétation du Coran ou plutôt la même absence d’interprétation puisque il s’agit d’une lecture
littérale. Ainsi le salafisme prend bien ses racines dans le wahhabisme et se développe dans un
4
monde sunnite.
Ce qui les différencie c’est la question de l’État islamique, essentiel pour les salafistes dans la
perspective d’établir un califat mondial, alors que les wahhabites se satisfont de dirigeants locaux du
moment, du moment qu’ils font respecter la Charia. La différence fondamentale est bien qu’ils
contestent les politiques en place dans les pays musulmans. Nous sommes donc cette fois face à une
doctrine politico-religieuse.
Mais pour autant le salafisme n’est pas à l’origine ce qu’il est aujourd’hui devenu, deux temps forts
marquent l’évolution de cette idéologie.
La première réalité prise par l’islamisme est marquée par la naissance d’un mouvement dans les
années 1920, les Frères musulmans. Cette association née en Égypte en 1928, s’organise comme une
confrérie et met en place des structures sociales et associatives, dans le but d’éduquer les jeunes
générations. Les Frères musulmans se situent dans une mouvance de panarabisme et introduisent la
première politisation de l’islam. Dès lors la confrérie nourrit l’ensemble de la mouvance islamiste.
Son fondateur est Hasan al-Banna, grand-père de Tarik Ramadan, une personnalité à la fois connue
et controversée dans le monde musulman et dans le monde islamiste.
Jusqu’aux années 1970, la géopolitique de l’islamisme est balbutiante, l’islamisme arme le bras d’un
certain nombre de terroristes, mais n’a pas encore de légitimité populaire : on admire alors plutôt
Nasser ou Arafat.
Une évolution déterminante de l’islamisme vient encore d’Égypte et en constitue le second temps
fort. La théorie glisse vers la violence mystique sous l’impulsion de quelques penseurs, en
particuliers l’égyptien Saïd Qotb. Les cerveaux des attentats du 11 septembre et en particulier Al-
Zawahiri, alors numéro 2 d’Al Qaida se réclament tous de lui. Il fut, pour ne pas dire qu’il est encore,
l'inspirateur de tous les mouvements extrémistes sunnites. Égyptien et faisant partie des Frères
musulmans, il joua un rôle important dans l'Égypte nassérienne. Puis à la suite d’une répression qui
empêche les « Frères » d'accéder au pouvoir il radicalise son discours. Il prône l'usage de la violence
même contre un gouvernant musulman, en l’occurrence celui de Nasser sur l’ordre duquel il est
exécuté en 1966. Il met la violence au cœur de son projet politique et transforme la notion de Jihad,
littéralement « l'effort sur le chemin de Dieu ». De nombreux savants musulmans considérèrent
longtemps cet effort, cette lutte pour le chemin d’Allah, comme une lutte au sens spirituel. Désormais
cet effort est conçu comme une guerre pour l'islam.
La rupture par le biais du Jihad est bien le cœur du discours de Saïd Qotb (Sayyid Qutb) : plus que la
Charia ce qui importe c'est l'État islamique (islamiste) et l'ordre politique. Le projet global est
révolutionnaire. Il s’accompagne d’un recours assumé voire systématique à la violence, les
références à Lénine et au marxisme qu’il a étudié pendant son séjour aux Etats-Unis sont fréquentes.
Le djihad qui était d’abord un effort sur soi-même, est ainsi réinterprété dans le sens de la violence
révolutionnaire, avec une exaltation des martyrs et devient un quasi 6ème
pilier de l’islam, pour
certains le plus important. Dans ce second temps le salafisme a connu une mutation déterminante, il
est devenu djihadiste.
Au delà de la nature de l’islamisme désormais un peu mieux cernée, il convient maintenant de faire
le pont avec la géopolitique par une « longue transition » qui devrait permettre de conduire
aux liens, voire aux mutations entre islamisme et révolutions arabes.
Le nouvel axe de réflexion doit permettre de voir l’entrée de l’islamisme sur la scène internationale,
c’est-à-dire d’aborder la réalité de la géopolitique de l’islamisme.
Le tournant véritable c’est l’année 1979 avec une accumulation de faits : une insurrection wahhabite
à la Mecque, la paix entre Israël et l’Égypte ressentie comme une trahison par les Salafistes, et
surtout la révolution en Iran et l’occupation de l’Afghanistan par l’URSS. Plus qu’un tournant ce
moment géopolitique est une rupture.
Lors de cette rupture de 1979 la réalité de l’islamisme est à visée nationale avec une double
implantation déterminante. Dans l’Iran de Khomeiny d’abord, c’est un islamisme chiite qui impulse
la révolution et fait de l’Iran une république islamique ce qu’elle est toujours plus de 30 ans après.
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Dans la résistance afghane à l’invasion soviétique ensuite, où une nébuleuse de mouvements
islamistes radicaux se développe. Une nébuleuse d’où émerge un mouvement extrémiste
« d’étudiants en religion » (en afghan « taliban ») de véritables fous de dieu qui prennent le pouvoir à
Kaboul en septembre 1996 après plusieurs années de guerres internationales, religieuses et tribales.
Ces talibans sont sunnites et sans lien avec les chiites iraniens.
Au delà de cette double implantation de 1979, de plus en plus d’États deviennent islamiques c’est-à-
dire appliquent strictement la Charia : dans le monde arabe le Yémen et la Libye, en Afrique Noire le
Soudan et la Mauritanie mais aussi dans le Sahel et dans le Golfe de Guinée, en Asie Méridionale le
Pakistan.
Toute cette extension de l’islamisme opère toujours selon une logique nationale, s’étendre dans le
cadre d’un État seulement. Tout bascule avec Al Qaida et l’essor de la mondialisation, on passe alors
d’une logique nationale à une logique internationale. La grille d’analyse du phénomène s’inscrit de
plus en plus dans le champs de la géopolitique.
On observe paradoxalement des islamistes qui utilisent de façon systématique et avec beaucoup de
dextérité la modernité telle la vente d’armes, le terrorisme ou encore des moyens de communication
sophistiqués : Internet où le nombre de sites islamistes se multiplie, utilisation d’une chaine TV avec
Al Jazeera, choix de moyens ou de lieux qui frappent les médias. Ainsi les islamistes entrent dans une
pratique récurrente de la terreur de masse avec des attentats en pleine rue comme celui de Paris
devant le magasin populaire Tati en 1986 ou dans les métros, à la station St Michel en 1995, sans
parler des attentats perpétrés dans des boites de nuit comme à Bali en 2002 ou encore dans des
lieux du tourisme international comme à Louxor en 1997.
Des islamistes organisés en réseaux incarnent ainsi la mondialisation. Ces réseaux sont cloisonnés,
facilement clandestins et surtout transnationaux. Très vite un de ces mouvements émerge, il s’agit de
Al Qaida créé en 1988 en Afghanistan. Al Qaida signifie la base en arabe donc on pourrait dire qu’Al
Qaida se présente comme la base, le relai de l’ensemble des réseaux terroristes islamistes. Il a été
créé et surtout financé par le milliardaire d’origine saoudienne Ben Laden, avec, et ce dès 1996, un
appel à « tuer les Américains et les Juifs partout où ils se trouvent ».
L’espace occupé par les islamistes, celui des attentats, est désormais planétaire. C’est sous les yeux
d’une opinion publique internationale abasourdie que se met en place un terrorisme planétaire qui
multiplie les attentats-suicides, attentats-suicides qui expriment le renforcement du terrorisme anti-
américain, l’ennemi lointain, dès les années 1990. Quelques exemples illustrent avec force cette
assertion : le premier attentat contre le World Trade Center de New York en 1993, l’attentat contre
des bâtiments où se trouvent de nombreux Américains, la Tour Kobar et l’immeuble de l’US Air Force
en 1996 en Arabie Saoudite, des attentats en Afrique en 1998 contre les ambassades américaines de
Nairobi au Kenya (plus de 200 morts ; 4 à 5000 blessés) et de Tanzanie à Dar-Es-Salam, 11 morts et
une centaine de blessés, avec déjà dans ces deux attentats la simultanéité de l’agression au matin du
7 août, puis au Yémen en octobre 2000 (17 morts, 50 blessés).
On en arrive enfin à ce qui constitue à la fois un sommet d’efficacité et de médiatisation en terme
d’attentat et un véritable tournant dans l’islamisme : les attentats du 11 septembre 2001. Des
attentats auxquels le monde a assisté avec une sorte de fascination morbide et qui très vite ont mis
en évidence les cibles triplement symboliques des islamistes puisqu’étaient visés le pouvoir militaire
(le Pentagone), le pouvoir politique (Washington) et le pouvoir économique (le World Trade
Center) des États-Unis.
Depuis 2001 et jusqu’à aujourd’hui aucune année sans attentat attribué à ou revendiqué par Al Qaida
et on peut se contenter d’un bref rappel des trois derniers pour mémoire : l’attentat manqué du vol
Amsterdam-Détroit fin décembre 2009 par un jeune nigérian, l’attentat de Marrakech, sur la place
Jemaa el-Fna sans doute le plus haut lieu du tourisme marocain le 28 avril 2011 fait 17 morts dont
1/3 de Français, les attentats en Irak par ISI, État Islamique en Irak, le 29 octobre 2012 lors de l’Aïd
(44 morts et plus de 150 blessés).
Sans oublier que la lutte contre l’ennemi proche n’a pas cessé durant toutes ces années, sous la
forme d’attentats ponctuels et spectaculaires comme ceux perpétrés en Égypte, à Louxor temple Deir
El Bahari ou encore au Caire, ou sous la forme d’une lutte armée menée par les islamistes. Comment
ne pas se souvenir de l’Algérie qui bascule dans une véritable guerre civile de 10 ans dans les années
6
1990.
Malgré cet activisme qui leur donne une réelle visibilité, faire un premier bilan de l’islamisme
inciterait à conclure à un échec des jihad locaux, dans des pays qui par ailleurs sont des dictatures et
où les mouvements islamistes sont violemment réprimés. Au tournant des années 1999-2000
plusieurs ouvrages annoncent la fin de l’islamisme notamment en France. Cette thèse est défendue
par sans doute les deux plus grands spécialistes de l’islam politique, donc de l’islamisme, que sont
Gilles Kepel (Jihad, expansion et déclin de l’islamisme) et Olivier Roy (L’échec de l’islam politique). L’un
comme l’autre ne manquent pas de souligner un échec dans cette lutte contre l’ennemi proche
puisque l’objectif premier du terrorisme c’est bien la conquête du pouvoir dans les pays musulmans
par la mobilisation des masses. Or nulle mobilisation de l’Oumma n’a été observée et à ce jour il n’y a
aucun exemple réussi de pays musulman devenu islamiste.
Globalement on serait tenté de conclure à un échec, mais un échec en demi-teinte malgré tout parce
que l’expansion de l’islamisme, dans sa stratégie contre l’ennemi proche, ne cesse de se poursuivre :
en Afrique subsaharienne il suffit de penser à la poussée des islamistes au Mali mais aussi à partir
des quartiers de banlieues dans les pays occidentaux, demi-teinte également à cause de la poursuite
des attentats.
2) L’ISLAMISME AU DÉFI DES RÉVOLUTIONS ARABES
Les débuts du XXIème
siècle ont marqué, avec les attentats du 11 septembre, l’explosion de
l’islamisme à la face du monde entier. La 2ème
décennie du XXIème
siècle, au moins dans ses débuts,
interroge car elle est porteuse de toute une série d’indicateurs qui marquent à la fois le déclin et en
même temps le renouveau de l’islamisme.
La géopolitique fonctionne souvent par ruptures et 2010-2011 en est une pour l’islamisme. 2011 est
véritablement devenue une année charnière pour le monde arabe, comme 1979 et 2001 avaient pu
l’être pour l’islamisme. Parties de Tunisie en décembre 2010 des révolutions font tache d’huile au
Proche et au Moyen-Orient.
Mais 2011, c’est aussi 10 ans après les attentats du 11 septembre 2001. Des attentats qui avaient vu
une partie du monde arabe s’enflammer dans un soutien très symbolique à Ben Laden, un soutien
qui était autant sinon plus un moyen d’exprimer une certaine hostilité à l’Occident. Et très
curieusement la célébration de ce 10ème
anniversaire n’intéresse personne : d’abord parce que Ben
Laden est mort le 2 mai 2011 mais surtout parce qu’il était déjà liquidé politiquement et c’est ce fait
qui est sans doute le plus intéressant à analyser. La liquidation politique de Ben Laden est visible à
partir du milieu des années 2000 avec l’échec du djihadisme irakien au lendemain de la guerre
étatsunienne de 2003 en Irak, un échec des salafistes sunnites qui permet aux chiites et à l’Iran de
reprendre de l’influence en Irak. Il s’agit incontestablement là du plus grand échec d’Al Qaida dont
son chef mythique porte la responsabilité.
Mais par ailleurs s’impose l’idée que ce que l’on appelle souvent « la décennie Al Qaida », ce fut dix
ans de répit pour les « tyrans arabes ». En Tunisie on disait facilement « Mieux vaut Ben Ali que Ben
Laden ». De surcroît sa lutte contre l’islamisme a permis à celui-ci tous les excès avec les yeux fermés
de l’Occident, la France notamment, quand il ne s’est pas agi d’un soutien avéré. Il devient logique de
penser que la disparition de la menace d’Al Qaida dégage le terrain et rend la situation de révolution
possible, tout au moins rend l’émergence de cette situation possible.
Enfin, cette mort politique en Irak, devient une véritable liquidation avec les révolutions
« démocratiques » arabes dont les slogans étaient aux antipodes d’une idéologie islamiste radicale.
Et pourtant la nébuleuse Al Qaida reste présente tout comme la menace qu’elle fait toujours peser
sur le monde : Al-Zawahiri, nouveau numéro un, comme Oussama ben Laden en son temps, est le
terroriste le plus recherché au monde par les Etats-Unis et sa traque a un prix, le même que Ben
Laden, 25 millions de dollars.
Pour toutes ces raisons, on considère 2011 comme un tournant dans la géopolitique de l’islamisme
7
et même comme une mise en échec voire un affaiblissement. La surprise n’en est que plus grande
face aux succès électoraux des islamistes.
Car incontestablement la vague islamiste lors des élections aux lendemains des révolutions arabes a
surpris… au moins les Occidentaux. Et pourtant, une simple analyse de toute une série de « facteurs
et de critères objectifs » permet sans doute de mieux saisir ce que les géopoliticiens spécialisés dans
l’observation du monde arabe (Kepel, Roy, Burgat) avaient pressenti.
Il convient maintenant d’aborder ces différents critères tout en se déplaçant un peu afin de quitter
un point de vue exclusivement occidental.
La première question à éclaircir est celle des partis politiques. Du temps des dictatures les seuls
mouvements ou partis organisés et structurés étaient ceux des islamistes. Ils sont donc connus de
tous et tout de suite opérationnels même si dans la majorité des révolutions ils ont été très peu
présents. L’exemple de l’Egypte est à cet égard révélateur, avec Mohamed Morsi, issu des Frères
Musulmans et premier président élu après la chute d'Hosni Moubarak. Il est le premier islamiste à
parvenir au pouvoir dans un pays où les Frères musulmans ont été écartés des instances dirigeantes
depuis leur création.
La prime aux perdants, aux victimes est un critère qui a sans doute joué un rôle dans ces élections.
Le rejet du dictateur voire du tyran est considérable dans tous les pays qui ont fait ces révolutions
arabes. Or pour ces populations qui goûtent la liberté, souvent pour la première fois de leur vie pour
toute une partie des manifestants, vers qui se tourner ? Incontestablement vers ceux qui incarnaient
la résistance, ceux qui n’ont jamais cédé face aux dictateurs, ceux qui ont été les opposants les plus
impitoyablement arrêtés, torturés, emprisonnés, exécutés. Les Frères musulmans en Égypte en sont
sans doute un des meilleurs exemples mais sûrement pas le seul, les islamistes en Tunisie aussi
avaient osé s’opposer à Ben Ali. Ainsi ceux qui avaient été les victimes persécutées par les dictateurs
fraichement renversés devenaient les héros ou au moins les recours vers lesquels on pouvait sans
crainte se tourner.
Et dans le même temps, l’Occident en général qui avait soutenu tous les dictateurs (« plutôt Ben Ali
que Ben Laden » ou encore « Ben Ali rempart contre Ben Laden ») devenait éminemment suspect.
Cet Occident qui au nom d’une « real politik » parlait de « dictature éclairée » et soutenait ce concept
« d’autocratie modernisatrice » qui disparaît avec les révolutions. Une raison de plus de se méfier de
l’un et d’être rassuré par l’autre.
La question ou le jeu géopolitique de la démocratie se pose pour tous les pays qui en font la
découverte ou l’apprentissage. La démocratie n'est ni innée, ni acquise, ni sans doute une évidence :
c'est une construction qui suppose une acculturation et du temps. La France a mis près d’un siècle
avant de pratiquer la démocratie après la Révolution de 1789… et encore cela suppose que l’on
considère comme démocratique un suffrage dit universel mais qui laisse en marge la moitié de la
population puisque les femmes votent pour la première fois en France le 29 avril 1945. Le processus
de transition démocratique est par définition un processus lent, graduel et heurté. Pour tous les pays
qui n’ont pas de tradition démocratique il faut laisser le temps de la construction démocratique.
Ainsi il y avait pour l’ensemble de ces révolutions arabes qui venait d’avoir lieu un premier défi, celui
de la démocratie tant le spectre de la non participation pesait comme une menace. Défi globalement
surmonté comme l’attestent des taux de participation que la majorité des démocraties occidentales
aimerait connaître lors des dernières consultations électorales : 62% de participation aux
législatives en Egypte (45% puis 51% seulement aux présidentielles qui ont suivi), 60% au Yémen
(une participation d’autant plus remarquable qu’il n’y avait pas de réel enjeu, puisque seul un
candidat se présentait mais une volonté réelle de montrer l’hostilité au président Saleh), 60% en
Libye avec contre toute attente une victoire de la coalition libérale et un arrêt assez net de la poussée
islamiste partout observée dans un pays pourtant dévasté par le précédent régime et par une
révolution souvent sanglante, plus de 70% en Tunisie… Seules les élections législatives du Maroc
peuvent être considérées comme un échec avec seulement 45% de participation. Non seulement le
8
premier défi de la démocratie est surmonté mais ces pourcentages à la fois légitiment ces scrutins et
en même temps indiquent les attentes des populations.
Dans ce climat révolutionnaire, puisque incontestablement il y a eu des révolutions, assez vite ces
mouvements islamistes deviennent la seule alternative crédible. Et pourtant ils n’ont pas joué de rôle
(visible ?) dans les révolutions. Rached Ghannouchi, dirigeant historique d’Ennahda en Tunisie
rentre de Londres en Tunisie pendant la révolution et est accueilli par un petit groupe de fidèles.
Ces partis islamistes partout où ils deviennent visibles se retrouvent avant tout en concurrence avec
les classes moyennes libérales et là, ils ont un avantage naturel, un atout intrinsèque. Sur le plan des
valeurs ils peuvent s’exprimer avec un double registre de langage celui de la foi et celui de la
démocratie (ce que l’on a actuellement tendance à appeler « l’islamisme modéré » mais nous y
reviendrons plus tard). De cette façon, ils s’adressent voire galvanisent à la fois le peuple et les
classes moyennes pieuses. Leur discours est le seul qui s’adresse au plus grand nombre et là est sans
doute une explication qui a lourdement pesé dans les succès électoraux des islamistes.
Ne pas lire le monde arabe ni même le monde musulman avec des paradigmes occidentaux est sans
doute dans l’analyse des succès électoraux islamistes un des critères déterminants et pourtant le
plus souvent passé sous silence. Aussi il convient de s’y pencher pour mieux en évaluer l’impact. Les
révolutions européennes des XVIIIème
et XIXème
siècles avaient majoritairement eu comme priorité de
chasser le religieux de l’espace public d’où la surprise des Occidentaux lors des succès islamistes aux
récentes révolutions arabes. De notre côté de la Méditerranée on ne rêvait pour eux que de
démocratie et de droits de l’homme. Mais la génération chassée, les gouvernements rejetés lors des
révolutions, au moins en Tunisie et en Egypte est celle des « nationalistes laïques », « des dictateurs
éclairés » ou… soutenus par l’Occident. Ainsi, pour ces populations arabes, la menace ne vient donc
pas des religieux mais bien des laïcs et les résultats de la plupart des élections illustrent
parfaitement le proverbe populaire « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Dans les pays qui
ont fait les révolutions arabes, la référence musulmane est endogène, sacrée car religieuse et
indissociable de la seule résistance aux dictateurs alors que la présence occidentale est souvent
perçue comme une menace et le souvenir de l’hégémonie coloniale n’est pas bien loin quand il n’est
pas ravivé par certaines prises de position !
Les attentes des électeurs sont un autre paramètre dont on a bien peu tenu compte. On ne peut pas
raisonner seulement en termes d’idéologie, encore plus quand il s’agit de mouvements de révoltes
spontanés et populaires. Dans ces pays c’est avant tout le quotidien qui est la priorité. Il suffit de
penser à l’immolation du jeune Bouazizi qui, chômeur, survivait en vendant des fruits et légumes
mais sans autorisation légale. Les autorités s’emparent de sa charrette et de sa balance d’où son acte
désespéré, suicide, immolation qui a tout déclenché en Tunisie puis dans le monde arabe.
Clairement, la première attente des populations c’est la réduction des inégalités. Or, qui mieux que
les islamistes étaient auprès des plus défavorisés et pouvaient se prévaloir de réseaux sociaux et
éducatifs dans ces milieux là. Au moment du scrutin on vote pour ceux que l’on connaît et pour ceux
qui font entrevoir ce que l’on attend le plus.
C’est ainsi que les Frères musulmans, qui ont le réseau le plus dense de relais sociaux, d'associations
caritatives, et qui contrôlent des ordres professionnels - médecins, ingénieurs, journalistes, etc. ont
pu voir que la masse des manifestants s'est considérablement accrue dès qu'ils ont appelé à
descendre dans la rue au Caire, fin janvier 2011 et ainsi apprécier leur influence dans le pays, quitte
à la surévaluer une fois au pouvoir.
Tous les éléments évoqués partis politiques, prime aux perdants, débuts de la démocratie, crédibilité
évidente des islamistes, grille de lecture spécifique du Moyen-Orient ou encore attentes des
électeurs, ces éléments sont largement suffisants pour expliquer les succès électoraux des islamistes.
Encore faudrait-il savoir de quels islamistes il s’agit ou encore quel est l’islamisme attendu par ces
lendemains révolutionnaires.
Arrivé à ce stade de la réflexion, il convient de s’arrêter sur l’émergence d’un « islamisme modéré »
que d’aucuns appellent post-islamisme.
9
Le « printemps arabe » a été contagieux et les succès électoraux des islamistes également mais en
même temps on formule de plus en plus un nouveau concept, celui d’islamisme modéré.
La Tunisie, le pays où tout a commencé, est observée comme une sorte de laboratoire et Ennahda, le
parti islamiste au pouvoir se déclare lui-même modéré, prêt à tenir compte de l’évolution des
mœurs, de la libération des femmes et de la liberté de conscience. Même s’il y a eu depuis son arrivée
au pouvoir plusieurs vrais dérapages (l’évocation d’un 7ème
califat, les attaques contre des débits de
boisson, la censure sur le film Persépolis), on ne peut ignorer ces déclarations ni reconnaître qu’ils
sont capables de faire machine arrière. L’abandon du projet d’article constitutionnel mentionnant la
complémentarité des femmes avec les hommes au lieu de l’égalité homme-femme qui a suscité un
véritable tollé de la part des mouvements féministes tunisiens en atteste.
On ne peut ignorer non plus des déclarations comme celle de Moncef Marzouki, élu à la présidence
de la République tunisienne, sur l’avenir dans les pays arabes : « La Tunisie et le monde arabe sont
capables d’être gouvernés au centre par des laïcs modérés et des islamistes modérés. Ces gens-là
existent, ce sont eux qui vont faire l’histoire de ces pays. » Ni celle de Ghannouchi, le leader historique
d’Ennahda proclamant : « Je n’interdirai pas l’alcool ni les maillots de bain sur les plages… ».
Le chef de file du parti Justice et Liberté dont est issu Mohamed Morsi et une émergence des Frères
musulmans appelle en décembre 2012 à la formation d’un gouvernement de coalition.
Donc une vraie question se pose sur la réalité de ce concept, sur sa diffusion et de fait son adoption
dans les médias occidentaux et sur le pourquoi maintenant et pas avant les révolutions arabes. La
géopolitique de l’islamisme permet de nuancer un concept que les révolutions arabes sont en train
de bouleverser.
Le temps de l’oxymore s’impose d’abord tant islamisme et islamisme modéré semblent
contradictoires. Véritable oxymore que ces deux mots qui ont longtemps, pour ne pas dire toujours
occupé les esprits occidentaux d’images douloureuses et souvent incompréhensibles : de la
révolution iranienne des années 1970 aux mouvements insurrectionnels des années 1980 en
Indonésie, des multiples attentats en Egypte en passant par les Talibans en Afghanistan, sans parler
des pendaisons et des lapidations publiques. Oxymore qui semble encore plus insupportable quand
on pense à la décennie al Qaida, aux attentats perpétrés, au nombre des victimes.
Puis le temps des révolutions survient. Depuis 2010 il y a eu les révolutions arabes, parfois appelées,
mais jamais par les protagonistes de ces événements, « le printemps arabe ». Et ces révolutions sont
nombreuses, en Tunisie et en Egypte certes, mais aussi en Libye avec le CNT, Conseil National de
Transition, au Maroc avec les modifications constitutionnelles puis les élections, au Yémen aussi sans
parler d’autres inachevées comme en Syrie ou échouées parfois comme à Bahreïn.
Partout des élections, confisquées par le pouvoir précédent se déroulent, partout des succès
islamistes, sauf peut-être contre toute attente en Libye, et partout l’apparition ou au moins la
revendication d’un islamisme modéré. Un islamisme des Lumières, sans aspérité, compatible surtout
avec ce qui est attendu de la part des (décideurs) occidentaux. C’est ainsi que l’on voit s’imposer le
nouveau premier ministre marocain Benkirane, secrétaire général du PJD, le Parti Justice et
Développement, parti islamiste modéré qui vient de remporter les élections législatives. Dès la fin
des années 1980, avec un groupe de militants, Benkirane avait rompu avec l’idéologie islamiste
révolutionnaire condamnant tout recours à la violence mais s’était alors heurté à une interdiction de
former un parti. Son choix précoce de coopérer avec la monarchie lui permet aujourd’hui d’accéder
au pouvoir.
Mais si les exemples ne manquent pas pour rappeler la réalité de ce concept, par ailleurs on ne peut
ignorer, la violence de certaines réactions à sa seule évocation. Jeannette Bougrab, universitaire en
droit public à Paris1 Panthéon-Sorbonne, UMP, secrétaire d’État à la jeunesse et à la vie associative
dans le dernier gouvernement Fillon prend des positions assez péremptoires au lendemain des
succès électoraux en Égypte « je ne connais pas d’islamisme modéré, …il n’y a pas de charia light…je
réagis en tant que citoyenne, en tant que femme française d’origine arabe », la violence de cette
réaction n’étonne pas si on reste à une lecture univoque de l’islamisme. Il faut sans doute nuancer et
aller plus loin, plus fin. Prendre conscience que aujourd’hui deux formes d’islamisme coexistent.
L’islamisme d’Al Qaida, celui que Bruno Etienne préférait appeler islamisme radical est aujourd’hui
10
clairement incarné par ceux que l’on appelle Salafistes ou Salafistes djihadistes. Ces mouvements
n’ont pas été à l’initiative des révoltes ayant abouti à la chute des dictateurs. Absents des révoltes
arabes, quasiment invisibles sous les dictatures, ils continuent de mettre au banc de la communauté
musulmane les Chiites, les Soufis, tous ceux qui pratiquent un islam populaire et ne conçoivent qu’un
islam pur ou purifié.
La liste de leurs dernières exactions, bien loin d’être exhaustive, ne peut manquer d’inquiéter : en
Libye, ils ont détruit en aout 2012 un mausolée soufi, en Tunisie ils ont peu de poids électoral mais la
TV privée Nessma a été condamnée pour avoir diffusé le film franco-iranien Persépolis, un peu
partout ils ont, semble-t-il joué un rôle clé dans l’organisation des manifestations contre le film
islamophobe L’innocence des musulmans. En Egypte plusieurs partis salafistes existent ; opposés à la
démocratie ils ne peuvent renoncer à la lisibilité qu’elle leur offre aussi se présentent-ils aux
élections. Mais la loi électorale égyptienne oblige chaque parti à avoir une présence féminine sur ses
listes, les Salafistes ne renonçant à rien de ce qui est leur radicalité, les femmes y sont représentées
par une rose ou une photo de leur mari !
Toute la force du concept est sans doute dans l’existence d’un clivage, cette persistance d’un
islamisme radical qui désormais n’en est plus la seule forme. C’est la raison pour laquelle Olivier Roy
en février 2011, face au constat de l’absence de ces Salafistes a qualifié ces révolutions de « post-
islamistes ». Ces « post-islamistes » ou « islamistes modérés » sont ceux qui sont en train ou qui
seront obligés de montrer leur capacité à participer à une dynamique de libéralisation politique, leur
volonté de réaliser dans leur pays une modernisation sociale.
Quelle que soit la qualification qu’on leur attribue, islamistes modérés ou post-islamistes, ils
correspondent bien mieux à la réalité sociologique de ces pays. Ils font preuve d’un modernisme
qu’ils revendiquent ! Même les Frères musulmans en Egypte sont demandeurs de multipartisme,
d’une constitution, d’élections et ils se sont inclinés lorsque le Haut comité pour les élections a
rappelé qu’il n’était pas possible d’utiliser des slogans religieux dans la campagne. Leur avenir
politique en dépend.
La grande question aujourd’hui est bien la manière dont les liens se tissent entre État, gouvernement
et religion. De plus en plus, il y a d’une part les pratiques religieuses et de l’autre la manière dont les
systèmes politiques se développent.
L’exercice du pouvoir est aujourd’hui un des défis, le plus grand sans doute, auxquels doivent
répondre ces partis islamistes modérés : un pouvoir qui les confronte aux défis de la pauvreté et de
la corruption, un pouvoir qui tend les pièges du radicalisme et du populisme (pièges jusqu’à
aujourd’hui évités), un pouvoir qui les met aux prises avec des difficultés économiques, eux qui n’ont
pas de doctrine économique précise mais qui sont souvent très libéraux… ce qui leur vaut plutôt la
sympathie des Occidentaux.
Conclure rapidement sur la géopolitique de l’islamisme c’est peut-être conclure justement sur cette
idée d’exercice du pouvoir. Avec le retour au politique, nous retrouvons notre définition de départ de
l’islamisme. Le Monde Diplomatique de novembre 2012 titrait « les islamistes à l’épreuve du
pouvoir » et des événements récents le confirment : violentes manifestations au Caire contre
Mohamed Morsi, assassinat de Chokri Belaïd célèbre opposant à Ennahdha le 6 février 2013 ou
encore démission du premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, après l’échec de sa tentative pour
former un gouvernement apolitique. Les événements se bousculent et pour reprendre ce que Gilles
Kepel disait aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois en octobre 2011 : ces islamistes et ces
révolutions ce n’est « ni les barbus, ni la démocratie »…
Une dernière fois rappeler que « radical » ou « modéré » l’islamisme n’est pas l’islam et que toute
confusion entre les deux ne peut que stigmatiser les musulmans. L’islamisme radical ou modéré est
bien une idéologie, et non une théologie, une interprétation de l’islam qui mêle religion et politique,
et qui semble exister désormais sous plusieurs formes ! D’où l’enjeu à connaître et à comprendre les
nuances de ce concept.
On ne peut éduquer à la paix en continuant à fondre dans un improbable melting-pot arabe,
11
musulman et islamiste… il en va de notre responsabilité de citoyen et d’éducateur !
12

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Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècle

  • 1. Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècle : Comprendre les nuances d’un concept pour « Éduquer à la Paix » Avant toute chose, il convient de s’interroger sur ce qu’est la géopolitique La géopolitique étudie les enjeux et les rivalités de pouvoir, de puissance qui existent autour des territoires, et ce à toutes les échelles, avec de surcroît la possibilité de se situer dans un passé très récent voire dans un champs contemporain. Mais la réflexion menée n’est pas (et ne doit pas être) centrée sur des hypothèses, des solutions, ou de la prospective, c’est-à-dire qu’il ne sera pas question dans ce propos d'étudier ou de prévoir l'évolution et l’avenir des sociétés. Mener une réflexion géopolitique, c’est avoir une démarche qui est très proche de l’histoire (travailler sur des documents et des sources avérées et contradictoires) et de la géographie (avec la carte, le territoire, l’échelle). Le deuxième préalable est de savoir dans quel espace se situer lorsque l’on mène une réflexion sur l’islamisme. L’espace naturel de l’islamisme c’est ce que l’on appelle le Proche ou encore le Moyen Orient (avec d’ailleurs beaucoup d’approximations dans les termes), un espace auquel on associe fréquemment le Maghreb. C’est-à-dire un espace que désormais l’ONU appelle les pays du MENA (Moyen Orient + Afrique du Nord), un espace que l’on arrête à l’Est en Iran mais dont on a souvent une vision plus élargie, celle des États-Unis puisqu’ils englobent l’Afghanistan et le Pakistan. Mais le plus important en guise d’introduction est incontestablement de poser quelques définitions pour ne pas confondre, pour ne plus jamais confondre des termes dont la confusion est entretenue avec plus ou moins d’innocence. L’islam : C’est le nom de la religion qui se définit par référence au Coran (c'est-à-dire d’une religion du livre), un des trois grands monothéismes. Attention à Islam avec un grand I, il s’agit alors de la civilisation, c’est une acception culturelle et non plus religieuse (le 22 septembre à Paris lors de l’inauguration au Louvre du « Département des Arts de l’Islam », Sophie Makariou, directrice de ce département a déclaré « pour le Louvre, il s'agit de montrer l'Islam, avec un grand I. En langue française, cela désigne la civilisation. Le propos n'est pas de se centrer exclusivement sur l'islam avec un petit i, qui désigne la sphère religieuse ». Musulman : C’est un adepte de l’islam. L’islam est aujourd’hui la 2e religion du monde par le nombre de croyants, de ces croyants regroupés en communauté que l’on appelle alors l’Oumma, et que l’on peut chiffrer selon une fourchette qui va de 1 200 000 000 à 1 500 000 000 de musulmans. Ce sentiment d’appartenance à l’Oumma abolit la frontière des États au profit d’un espace géopolitique appartenant au peuple de Dieu. Arabe : surtout ne pas confondre arabe et musulman ! Etre arabe c’est appartenir à une ethnie, c’est-à-dire un groupe de population ayant en commun une origine géographique, une histoire, un passé, des coutumes et une langue… L’islam est apparu dans la péninsule arabique d’où sans doute l’origine de la confusion. Ce sont les Arabes qui les premiers ont adopté l’islam ; de plus le Coran est rédigé en langue arabe. Il est donc vrai qu’une grande majorité des Arabes est de confession musulmane, en revanche tous les musulmans ne sont pas arabes, aujourd’hui la majorité des musulmans ne le parlent pas et de surcroit le plus grand pays musulman du monde, l’Indonésie, ne l’est pas. On en arrive enfin à islamisme : 1
  • 2. « L’islamisme est une idéologie, pas une religion, pas une théologie mais une idéologie politique à base de religieux», ainsi s’exprime Séverine Labat, chercheuse au CNRS et spécialiste reconnue de l’islamisme en général et du terrorisme islamiste algérien des années 1990. Le terme est synonyme d’intégrisme musulman qu’il s’agisse d’un groupe, d’un individu ou d’un pays L’islamisme est un projet politique, juridique et social, qui repose sur une certaine interprétation du Coran. C’est donc un concept qui désigne une utilisation politique de l’islam : imposer à la société et à l’État d’un pays l’islam originel, celui des origines d’une part, et avoir comme seule norme juridique et politique la Charia (= la loi islamique) d’autre part. Une autre « difficulté » intervient alors à propos d’une définition simple de la Charia ; on dit que c’est la loi islamique et pourtant elle n’a jamais été codifiée dans un livre de lois, ce sont plutôt des obligations (religieuses, morales, sociales, juridiques) qui composent la tradition, ainsi son interprétation est nécessaire ce qui explique la multiplicité et la diversité des interprétations entre les plus modernistes et les plus rigoristes. L’islamisme est donc une forme d’intégrisme. La langue française offre une autre richesse, ou une autre complexité, elle distingue islamisme de fondamentalisme. Une distinction qui n’est pas faite aux États-Unis où le terme d’islamisme n’existe pas car seul le mot « fondamentalisme » est utilisé. Certains auteurs, comme Olivier Roy, parlent de néo-fondamentalisme plutôt que d’islamisme. Par fondamentalisme on entend la volonté du retour aux textes fondamentaux de l’islam avec une lecture littérale du Coran, mais sans projet politique. La définition d’islamisme s’affine peu à peu, les islamistes sont des fondamentalistes mais avec une politisation du fondamentalisme. L’islamisme moderne apparait en 1979 avec la révolution en Iran et peu à peu le terme s’impose. Un dernier terme, très ambigu dans l’utilisation qui en est faite, est le mot islamique. Islamique est souvent (le plus souvent ?) utilisé comme synonyme de musulman, en réalité il l’est de islamiste. Quelques exemples permettent de clarifier cette affirmation. Quand on parle d’un régime islamique ou d’une république islamique, des termes employés essentiellement à propos de l’Iran ou de l’Afghanistan, il s’agit en réalité d’un régime ou d’une république islamiste. Au lendemain de la révolution arabe qui a touché la Tunisie, les partis politiques se sont multipliés et aujourd’hui le parti qui s’appelle « Parti de la Libération Islamique » est celui qui incarne l’islamisme dans sa forme la plus dure, la plus radicale. Une autre précision, et qui ne peut que faire réfléchir, en arabe il n’y a pas de différence entre islamique et islamiste, c’est un même mot. La différence se fait seulement avec musulman. L’ambiguïté est telle que aujourd’hui, les historiens d’art, lorsqu’ils veulent parler de formes artistiques qui ne s’appliquent pas à une religion en particulier, utilisent de plus en plus systématiquement l’expression « arts de l’Islam » au lieu d’art islamique, sinon ils parlent « d’art musulman ». Donc dès le début, il convient de prendre de nombreuses précautions dans le vocabulaire employé, la vigilance, la précision et la connaissance rigoureuse du sens des mots sont indispensables pour apporter un peu de clarté là où certains alimentent le flou et la confusion. 1) QU’EST-CE QUE L’ISLAMISME ? Répondre à la question qu’est-ce que l’islamisme est la première approche à satisfaire pour mieux cerner la nature de ce phénomène. L’islamisme se distinguant avant tout par un projet politique, la première entrée mérite d’être politique. L’islamisme peut d’abord être appréhendé comme une réponse à la faillite des idéologies antérieures, une alternative à des idéologies qui n’ont jamais vraiment fonctionné dans les pays musulmans. Réponse et/ou alternative au nationalisme qui a certes apporté les indépendances mais à ce jour n’a pas su assurer le développement de ces pays ; une alternative au panarabisme (préfixe « pan » qui rassemble) qui était un mouvement politique, culturel, idéologique visant à réunir et à unifier les peuples arabes, à la fois socialiste et nationaliste, né au XIXe siècle avec un courant de renaissance arabe, ce panarabisme était la grande ambition de Nasser pour l’Égypte mais il disparaît avec lui. Les ponts entre islamisme et panarabisme sont tellement nombreux que l’islamisme est parfois qualifié de néo-panarabisme. Une alternative au capitalisme également avec à la fois le rejet de la modernité, 2
  • 3. du matérialisme et de l’Occident symbolisé par des élites urbaines (qui ont tout), un Occident le plus souvent synonyme de colonisation et de domination depuis le XIXe siècle, une image qu’il ne parvient pas à effacer. Une réponse ou une alternative au communisme enfin et pour cela il suffit de penser aux pays qui ont pris pour modèle de développement le modèle économique de l’URSS et au désastre économique qu’ils ont connu, par exemple l’Algérie. Il est intéressant de constater que l’islamisme, et les « révolutions islamiques/islamistes », refusent avec la même violence les deux modèles idéologiques dominants qui se sont partagés le monde durant la Guerre Froide. Dans le rhétorique iranienne qui prévaut depuis la Révolution de 1979 les États-Unis sont « le Grand Satan » et on ne compte plus les drapeaux américains qui ont été brulés en Iran. Moins connu sans doute mais tout aussi révélateurs les autres surnoms attribués aux pays occidentaux : la mère de Satan pour Israël, le père de Satan l’Angleterre, le Petit Satan la France, les amis de Satan enfin pour le Canada, l’Espagne et l’Australie. Le rejet du modèle occidental est donc affirmé et pas seulement par un défi à l’égard des Etats-Unis. L’URSS et son modèle ne sont pas mieux considérés par les islamistes. L’Afghanistan doit devenir, selon les islamistes afghans « le Viêt-Nam de l’URSS ». On parle alors volontiers de « bourbier afghan » comme on parlait de bourbier vietnamien. Les islamistes considèrent avoir joué un rôle capital dans l’effondrement de l’URSS et du communisme et ce grâce à l’Afghanistan ; une courte chronologie en deux dates, le départ de l’Armée Rouge en mars 1989 et la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, permet d’étayer ce postulat. Dans ce rejet affiché et sans doute intrinsèque des deux modèles existants ou ayant existé, l’islamisme se pose en projet politique et se présente comme une alternative voire comme la seule alternative. Répondre un peu plus finement à la question qu’est-ce que l’islamisme c’est faire l’effort de mieux cerner la nature de l’islamisme, c’est présenter quelques aspects de cette forme politique de fondamentalisme qui est en fait un extrémisme religieux et politique. Quelques grandes caractéristiques peuvent être retenues dans une première approche de cet extrémisme. Sans doute la 1ère de toutes est de respecter scrupuleusement l’intégrité de la tradition, lui rendre toute sa force par une interprétation littérale du Coran et s’en tenir là. C’est là que la Charia, la loi islamique déjà définie, intervient. Elle doit être la source de tout. Ainsi le Coran devient la référence exclusive qui régit le comportement religieux mais aussi social, juridique et politique. L’islamisme se caractérise également par le fanatisme et l’intolérance indissociables du prosélytisme de ses adeptes. Les ennemis de l’islam, appelés hérétiques ou infidèles, doivent être éliminés par la Guerre Sainte (le Djihad/le Jihad) avec pour seule alternative, se convertir ou mourir. Ceux qui se sacrifient pour cette cause et qui en deviennent les martyrs reçoivent la promesse par les imams du Paradis et donc la vie éternelle. Intolérance, Guerre Sainte, fanatisme, on voit dès lors non seulement se profiler le terrorisme, mais aussi sa justification. Une 3eme caractéristique de l’islamisme est qu’il est largement réactionnaire, au sens littéral de réactionnaire selon la définition du Robert «qui va contre le progrès social et l’évolution des mœurs ». Ces pratiques réactionnaires trouvent leur origine, et de fait leur justification, dans la référence unique et constante à la société des premiers temps de l’islam puisque les islamistes se veulent les défenseurs des valeurs originelles de l’islam, globalement le VIIème siècle de notre ère. Quelques unes de ces pratiques réactionnaires peuvent être citées en exemple et ce parmi les plus connues : un rejet total de la pensée scientifique, un même rejet de certaines valeurs souvent qualifiées d’occidentales, mais avant tout considérées comme des inventions humaines et donc contraires au Coran, telles la démocratie et la liberté pour ne citer qu’elles. Rejet enfin de toutes les formes de modernité : l’alcool, le tabac, la musique, les jeux de hasard, le cinéma, la mixité… et la liste n’est pas exhaustive. Une autre caractéristique et non des moindres est la question de la sujétion totale des femmes qui est bien une des composantes de l’islamisme, une composante qui revient sous différentes formes 3
  • 4. mais de façon récurrente, omniprésente mais diverse, de sa forme la plus violente, la lapidation des femmes à sa forme la plus banale la question du port du voile. Dernière manifestation de cet islamisme dans l’extrémisme politique et religieux qu’il incarne est la référence à l’antisémitisme, un antisémitisme érigé en valeur fondamentale, véritable valeur de référence qui anime les islamistes, un antisémitisme porteur d’instabilité au Proche Orient avant tout mais dans le monde en général. Cet extrémisme religieux mais aussi politique qu’affirme l’islamisme est animé d’un fort prosélytisme qui se caractérise notamment par une volonté d’expansionnisme. La stratégie expansionniste de l’islamisme est double mais avec une recherche de but final identique. Le 1er temps de la stratégie est simple à appréhender. Il s’agit de conquérir toutes les régions musulmanes et d’y imposer l’islamisme donc de fait l’intégrisme ; cette première étape doit permettre de se débarrasser de régimes corrompus, autoritaires, dictatoriaux ; de régimes qui sont considérés par les islamistes eux-mêmes comme des ennemis de l’islam. Ce premier temps de la stratégie expansionniste islamiste est qualifié de « Lutte contre l’ennemi proche » ce que l’on appelle parfois des Jihad locaux. Déstabiliser l’Occident est le second temps de la stratégie et cela peut se faire de deux façons, soit en prenant le contrôle des communautés musulmanes qui y vivent par le financement de mosquées, par la formation d’imam ou encore par la multiplication d’associations caritatives soit, et c’est la deuxième solution envisagée par les islamistes, par le terrorisme international. Il s’agit alors de mener « la lutte contre l’ennemi lointain ». Le but final recherché dans cette déstabilisation de l’Occident étant la conversion du monde entier dans un califat mondial ! Le calife est le nom donné au souverain musulman, successeur de Mahomet qui a un pouvoir spirituel et temporel et ainsi « la boucle est bouclée » par ce retour au projet religieux et politique de l’islamisme. L’islamisme revêt peu à peu une certaine réalité ; présenté comme une alternative à tout ce qui a pu exister dans le monde musulman, idéologie aux composantes extrémistes tant religieuses que politiques, une nouvelle approche par les courants et les stratégies est également nécessaire. Le monde musulman, musulman pas islamiste, est fait de diversité avec une répartition des musulmans en deux grands courants, Chiites et Sunnites, courants dont les origines se rattachent à des faits historiques. Ceux qui, au lendemain du renversement d’Ali (4eme Calife, 656-661), cousin et gendre du Prophète, par le gouverneur de Syrie, considèrent que le calife doit être choisi pour ses qualités morales, religieuses, politiques, sont devenus les sunnites, un nom qui vient de sunna signifiant la pratique, la ligne de conduite de Mahomet sont majoritaires dans le monde musulman à près de 90%. Mais d’autres estiment que la communauté musulmane doit être dirigée uniquement par un descendant du prophète, ce sont les partisans d’Ali, (« shia ali » en arabe, ce qui va donner le mot chiite). Ils ont toujours été minoritaires parmi les musulmans (9%). Les 1% restant correspondent à quelques minorités (alaouites, soufis, etc.). Les islamistes se composent également de deux grands courants, des courants aux origines communes. Avant tout le wahhabisme dont on pourrait dire qu’il constitue les racines de l’islamisme. Il s’agit d’une conception conservatrice, très dogmatique et puritaine, où s’imposent une pureté morale scrupuleuse et un respect rigoureux des principes de l’islam. C’est la doctrine en vigueur en Arabie Saoudite qui en est d’ailleurs le berceau, le seul autre État wahhabite au monde est le Qatar. La doctrine a été fondée au XVIIIème par Abd Al Wahhab (1720-1792) par des Sunnites et les Wahhabites vont jusqu’à prôner la contrainte pour imposer l’islam. Mais, et cela les différencie-t-il sans doute beaucoup de l’évolution suivie par l’islamisme au cours du XXème siècle, sans projets politiques. En effet, il n’y a ni contestation ni volonté de renverser les régimes en place. Le wahhabisme est donc seulement, ou plus exactement surtout une doctrine religieuse, un fondamentalisme. Le salafisme, al-salaf signifie affiliation aux anciens, incarne quant à lui aujourd’hui la réalité de l’islamisme. Cette doctrine née au XIXème siècle, prône également le retour au chemin des ancêtres et aux valeurs authentiques de l’islam. On y retrouve une même lecture figée des textes sacrés, la même interprétation du Coran ou plutôt la même absence d’interprétation puisque il s’agit d’une lecture littérale. Ainsi le salafisme prend bien ses racines dans le wahhabisme et se développe dans un 4
  • 5. monde sunnite. Ce qui les différencie c’est la question de l’État islamique, essentiel pour les salafistes dans la perspective d’établir un califat mondial, alors que les wahhabites se satisfont de dirigeants locaux du moment, du moment qu’ils font respecter la Charia. La différence fondamentale est bien qu’ils contestent les politiques en place dans les pays musulmans. Nous sommes donc cette fois face à une doctrine politico-religieuse. Mais pour autant le salafisme n’est pas à l’origine ce qu’il est aujourd’hui devenu, deux temps forts marquent l’évolution de cette idéologie. La première réalité prise par l’islamisme est marquée par la naissance d’un mouvement dans les années 1920, les Frères musulmans. Cette association née en Égypte en 1928, s’organise comme une confrérie et met en place des structures sociales et associatives, dans le but d’éduquer les jeunes générations. Les Frères musulmans se situent dans une mouvance de panarabisme et introduisent la première politisation de l’islam. Dès lors la confrérie nourrit l’ensemble de la mouvance islamiste. Son fondateur est Hasan al-Banna, grand-père de Tarik Ramadan, une personnalité à la fois connue et controversée dans le monde musulman et dans le monde islamiste. Jusqu’aux années 1970, la géopolitique de l’islamisme est balbutiante, l’islamisme arme le bras d’un certain nombre de terroristes, mais n’a pas encore de légitimité populaire : on admire alors plutôt Nasser ou Arafat. Une évolution déterminante de l’islamisme vient encore d’Égypte et en constitue le second temps fort. La théorie glisse vers la violence mystique sous l’impulsion de quelques penseurs, en particuliers l’égyptien Saïd Qotb. Les cerveaux des attentats du 11 septembre et en particulier Al- Zawahiri, alors numéro 2 d’Al Qaida se réclament tous de lui. Il fut, pour ne pas dire qu’il est encore, l'inspirateur de tous les mouvements extrémistes sunnites. Égyptien et faisant partie des Frères musulmans, il joua un rôle important dans l'Égypte nassérienne. Puis à la suite d’une répression qui empêche les « Frères » d'accéder au pouvoir il radicalise son discours. Il prône l'usage de la violence même contre un gouvernant musulman, en l’occurrence celui de Nasser sur l’ordre duquel il est exécuté en 1966. Il met la violence au cœur de son projet politique et transforme la notion de Jihad, littéralement « l'effort sur le chemin de Dieu ». De nombreux savants musulmans considérèrent longtemps cet effort, cette lutte pour le chemin d’Allah, comme une lutte au sens spirituel. Désormais cet effort est conçu comme une guerre pour l'islam. La rupture par le biais du Jihad est bien le cœur du discours de Saïd Qotb (Sayyid Qutb) : plus que la Charia ce qui importe c'est l'État islamique (islamiste) et l'ordre politique. Le projet global est révolutionnaire. Il s’accompagne d’un recours assumé voire systématique à la violence, les références à Lénine et au marxisme qu’il a étudié pendant son séjour aux Etats-Unis sont fréquentes. Le djihad qui était d’abord un effort sur soi-même, est ainsi réinterprété dans le sens de la violence révolutionnaire, avec une exaltation des martyrs et devient un quasi 6ème pilier de l’islam, pour certains le plus important. Dans ce second temps le salafisme a connu une mutation déterminante, il est devenu djihadiste. Au delà de la nature de l’islamisme désormais un peu mieux cernée, il convient maintenant de faire le pont avec la géopolitique par une « longue transition » qui devrait permettre de conduire aux liens, voire aux mutations entre islamisme et révolutions arabes. Le nouvel axe de réflexion doit permettre de voir l’entrée de l’islamisme sur la scène internationale, c’est-à-dire d’aborder la réalité de la géopolitique de l’islamisme. Le tournant véritable c’est l’année 1979 avec une accumulation de faits : une insurrection wahhabite à la Mecque, la paix entre Israël et l’Égypte ressentie comme une trahison par les Salafistes, et surtout la révolution en Iran et l’occupation de l’Afghanistan par l’URSS. Plus qu’un tournant ce moment géopolitique est une rupture. Lors de cette rupture de 1979 la réalité de l’islamisme est à visée nationale avec une double implantation déterminante. Dans l’Iran de Khomeiny d’abord, c’est un islamisme chiite qui impulse la révolution et fait de l’Iran une république islamique ce qu’elle est toujours plus de 30 ans après. 5
  • 6. Dans la résistance afghane à l’invasion soviétique ensuite, où une nébuleuse de mouvements islamistes radicaux se développe. Une nébuleuse d’où émerge un mouvement extrémiste « d’étudiants en religion » (en afghan « taliban ») de véritables fous de dieu qui prennent le pouvoir à Kaboul en septembre 1996 après plusieurs années de guerres internationales, religieuses et tribales. Ces talibans sont sunnites et sans lien avec les chiites iraniens. Au delà de cette double implantation de 1979, de plus en plus d’États deviennent islamiques c’est-à- dire appliquent strictement la Charia : dans le monde arabe le Yémen et la Libye, en Afrique Noire le Soudan et la Mauritanie mais aussi dans le Sahel et dans le Golfe de Guinée, en Asie Méridionale le Pakistan. Toute cette extension de l’islamisme opère toujours selon une logique nationale, s’étendre dans le cadre d’un État seulement. Tout bascule avec Al Qaida et l’essor de la mondialisation, on passe alors d’une logique nationale à une logique internationale. La grille d’analyse du phénomène s’inscrit de plus en plus dans le champs de la géopolitique. On observe paradoxalement des islamistes qui utilisent de façon systématique et avec beaucoup de dextérité la modernité telle la vente d’armes, le terrorisme ou encore des moyens de communication sophistiqués : Internet où le nombre de sites islamistes se multiplie, utilisation d’une chaine TV avec Al Jazeera, choix de moyens ou de lieux qui frappent les médias. Ainsi les islamistes entrent dans une pratique récurrente de la terreur de masse avec des attentats en pleine rue comme celui de Paris devant le magasin populaire Tati en 1986 ou dans les métros, à la station St Michel en 1995, sans parler des attentats perpétrés dans des boites de nuit comme à Bali en 2002 ou encore dans des lieux du tourisme international comme à Louxor en 1997. Des islamistes organisés en réseaux incarnent ainsi la mondialisation. Ces réseaux sont cloisonnés, facilement clandestins et surtout transnationaux. Très vite un de ces mouvements émerge, il s’agit de Al Qaida créé en 1988 en Afghanistan. Al Qaida signifie la base en arabe donc on pourrait dire qu’Al Qaida se présente comme la base, le relai de l’ensemble des réseaux terroristes islamistes. Il a été créé et surtout financé par le milliardaire d’origine saoudienne Ben Laden, avec, et ce dès 1996, un appel à « tuer les Américains et les Juifs partout où ils se trouvent ». L’espace occupé par les islamistes, celui des attentats, est désormais planétaire. C’est sous les yeux d’une opinion publique internationale abasourdie que se met en place un terrorisme planétaire qui multiplie les attentats-suicides, attentats-suicides qui expriment le renforcement du terrorisme anti- américain, l’ennemi lointain, dès les années 1990. Quelques exemples illustrent avec force cette assertion : le premier attentat contre le World Trade Center de New York en 1993, l’attentat contre des bâtiments où se trouvent de nombreux Américains, la Tour Kobar et l’immeuble de l’US Air Force en 1996 en Arabie Saoudite, des attentats en Afrique en 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi au Kenya (plus de 200 morts ; 4 à 5000 blessés) et de Tanzanie à Dar-Es-Salam, 11 morts et une centaine de blessés, avec déjà dans ces deux attentats la simultanéité de l’agression au matin du 7 août, puis au Yémen en octobre 2000 (17 morts, 50 blessés). On en arrive enfin à ce qui constitue à la fois un sommet d’efficacité et de médiatisation en terme d’attentat et un véritable tournant dans l’islamisme : les attentats du 11 septembre 2001. Des attentats auxquels le monde a assisté avec une sorte de fascination morbide et qui très vite ont mis en évidence les cibles triplement symboliques des islamistes puisqu’étaient visés le pouvoir militaire (le Pentagone), le pouvoir politique (Washington) et le pouvoir économique (le World Trade Center) des États-Unis. Depuis 2001 et jusqu’à aujourd’hui aucune année sans attentat attribué à ou revendiqué par Al Qaida et on peut se contenter d’un bref rappel des trois derniers pour mémoire : l’attentat manqué du vol Amsterdam-Détroit fin décembre 2009 par un jeune nigérian, l’attentat de Marrakech, sur la place Jemaa el-Fna sans doute le plus haut lieu du tourisme marocain le 28 avril 2011 fait 17 morts dont 1/3 de Français, les attentats en Irak par ISI, État Islamique en Irak, le 29 octobre 2012 lors de l’Aïd (44 morts et plus de 150 blessés). Sans oublier que la lutte contre l’ennemi proche n’a pas cessé durant toutes ces années, sous la forme d’attentats ponctuels et spectaculaires comme ceux perpétrés en Égypte, à Louxor temple Deir El Bahari ou encore au Caire, ou sous la forme d’une lutte armée menée par les islamistes. Comment ne pas se souvenir de l’Algérie qui bascule dans une véritable guerre civile de 10 ans dans les années 6
  • 7. 1990. Malgré cet activisme qui leur donne une réelle visibilité, faire un premier bilan de l’islamisme inciterait à conclure à un échec des jihad locaux, dans des pays qui par ailleurs sont des dictatures et où les mouvements islamistes sont violemment réprimés. Au tournant des années 1999-2000 plusieurs ouvrages annoncent la fin de l’islamisme notamment en France. Cette thèse est défendue par sans doute les deux plus grands spécialistes de l’islam politique, donc de l’islamisme, que sont Gilles Kepel (Jihad, expansion et déclin de l’islamisme) et Olivier Roy (L’échec de l’islam politique). L’un comme l’autre ne manquent pas de souligner un échec dans cette lutte contre l’ennemi proche puisque l’objectif premier du terrorisme c’est bien la conquête du pouvoir dans les pays musulmans par la mobilisation des masses. Or nulle mobilisation de l’Oumma n’a été observée et à ce jour il n’y a aucun exemple réussi de pays musulman devenu islamiste. Globalement on serait tenté de conclure à un échec, mais un échec en demi-teinte malgré tout parce que l’expansion de l’islamisme, dans sa stratégie contre l’ennemi proche, ne cesse de se poursuivre : en Afrique subsaharienne il suffit de penser à la poussée des islamistes au Mali mais aussi à partir des quartiers de banlieues dans les pays occidentaux, demi-teinte également à cause de la poursuite des attentats. 2) L’ISLAMISME AU DÉFI DES RÉVOLUTIONS ARABES Les débuts du XXIème siècle ont marqué, avec les attentats du 11 septembre, l’explosion de l’islamisme à la face du monde entier. La 2ème décennie du XXIème siècle, au moins dans ses débuts, interroge car elle est porteuse de toute une série d’indicateurs qui marquent à la fois le déclin et en même temps le renouveau de l’islamisme. La géopolitique fonctionne souvent par ruptures et 2010-2011 en est une pour l’islamisme. 2011 est véritablement devenue une année charnière pour le monde arabe, comme 1979 et 2001 avaient pu l’être pour l’islamisme. Parties de Tunisie en décembre 2010 des révolutions font tache d’huile au Proche et au Moyen-Orient. Mais 2011, c’est aussi 10 ans après les attentats du 11 septembre 2001. Des attentats qui avaient vu une partie du monde arabe s’enflammer dans un soutien très symbolique à Ben Laden, un soutien qui était autant sinon plus un moyen d’exprimer une certaine hostilité à l’Occident. Et très curieusement la célébration de ce 10ème anniversaire n’intéresse personne : d’abord parce que Ben Laden est mort le 2 mai 2011 mais surtout parce qu’il était déjà liquidé politiquement et c’est ce fait qui est sans doute le plus intéressant à analyser. La liquidation politique de Ben Laden est visible à partir du milieu des années 2000 avec l’échec du djihadisme irakien au lendemain de la guerre étatsunienne de 2003 en Irak, un échec des salafistes sunnites qui permet aux chiites et à l’Iran de reprendre de l’influence en Irak. Il s’agit incontestablement là du plus grand échec d’Al Qaida dont son chef mythique porte la responsabilité. Mais par ailleurs s’impose l’idée que ce que l’on appelle souvent « la décennie Al Qaida », ce fut dix ans de répit pour les « tyrans arabes ». En Tunisie on disait facilement « Mieux vaut Ben Ali que Ben Laden ». De surcroît sa lutte contre l’islamisme a permis à celui-ci tous les excès avec les yeux fermés de l’Occident, la France notamment, quand il ne s’est pas agi d’un soutien avéré. Il devient logique de penser que la disparition de la menace d’Al Qaida dégage le terrain et rend la situation de révolution possible, tout au moins rend l’émergence de cette situation possible. Enfin, cette mort politique en Irak, devient une véritable liquidation avec les révolutions « démocratiques » arabes dont les slogans étaient aux antipodes d’une idéologie islamiste radicale. Et pourtant la nébuleuse Al Qaida reste présente tout comme la menace qu’elle fait toujours peser sur le monde : Al-Zawahiri, nouveau numéro un, comme Oussama ben Laden en son temps, est le terroriste le plus recherché au monde par les Etats-Unis et sa traque a un prix, le même que Ben Laden, 25 millions de dollars. Pour toutes ces raisons, on considère 2011 comme un tournant dans la géopolitique de l’islamisme 7
  • 8. et même comme une mise en échec voire un affaiblissement. La surprise n’en est que plus grande face aux succès électoraux des islamistes. Car incontestablement la vague islamiste lors des élections aux lendemains des révolutions arabes a surpris… au moins les Occidentaux. Et pourtant, une simple analyse de toute une série de « facteurs et de critères objectifs » permet sans doute de mieux saisir ce que les géopoliticiens spécialisés dans l’observation du monde arabe (Kepel, Roy, Burgat) avaient pressenti. Il convient maintenant d’aborder ces différents critères tout en se déplaçant un peu afin de quitter un point de vue exclusivement occidental. La première question à éclaircir est celle des partis politiques. Du temps des dictatures les seuls mouvements ou partis organisés et structurés étaient ceux des islamistes. Ils sont donc connus de tous et tout de suite opérationnels même si dans la majorité des révolutions ils ont été très peu présents. L’exemple de l’Egypte est à cet égard révélateur, avec Mohamed Morsi, issu des Frères Musulmans et premier président élu après la chute d'Hosni Moubarak. Il est le premier islamiste à parvenir au pouvoir dans un pays où les Frères musulmans ont été écartés des instances dirigeantes depuis leur création. La prime aux perdants, aux victimes est un critère qui a sans doute joué un rôle dans ces élections. Le rejet du dictateur voire du tyran est considérable dans tous les pays qui ont fait ces révolutions arabes. Or pour ces populations qui goûtent la liberté, souvent pour la première fois de leur vie pour toute une partie des manifestants, vers qui se tourner ? Incontestablement vers ceux qui incarnaient la résistance, ceux qui n’ont jamais cédé face aux dictateurs, ceux qui ont été les opposants les plus impitoyablement arrêtés, torturés, emprisonnés, exécutés. Les Frères musulmans en Égypte en sont sans doute un des meilleurs exemples mais sûrement pas le seul, les islamistes en Tunisie aussi avaient osé s’opposer à Ben Ali. Ainsi ceux qui avaient été les victimes persécutées par les dictateurs fraichement renversés devenaient les héros ou au moins les recours vers lesquels on pouvait sans crainte se tourner. Et dans le même temps, l’Occident en général qui avait soutenu tous les dictateurs (« plutôt Ben Ali que Ben Laden » ou encore « Ben Ali rempart contre Ben Laden ») devenait éminemment suspect. Cet Occident qui au nom d’une « real politik » parlait de « dictature éclairée » et soutenait ce concept « d’autocratie modernisatrice » qui disparaît avec les révolutions. Une raison de plus de se méfier de l’un et d’être rassuré par l’autre. La question ou le jeu géopolitique de la démocratie se pose pour tous les pays qui en font la découverte ou l’apprentissage. La démocratie n'est ni innée, ni acquise, ni sans doute une évidence : c'est une construction qui suppose une acculturation et du temps. La France a mis près d’un siècle avant de pratiquer la démocratie après la Révolution de 1789… et encore cela suppose que l’on considère comme démocratique un suffrage dit universel mais qui laisse en marge la moitié de la population puisque les femmes votent pour la première fois en France le 29 avril 1945. Le processus de transition démocratique est par définition un processus lent, graduel et heurté. Pour tous les pays qui n’ont pas de tradition démocratique il faut laisser le temps de la construction démocratique. Ainsi il y avait pour l’ensemble de ces révolutions arabes qui venait d’avoir lieu un premier défi, celui de la démocratie tant le spectre de la non participation pesait comme une menace. Défi globalement surmonté comme l’attestent des taux de participation que la majorité des démocraties occidentales aimerait connaître lors des dernières consultations électorales : 62% de participation aux législatives en Egypte (45% puis 51% seulement aux présidentielles qui ont suivi), 60% au Yémen (une participation d’autant plus remarquable qu’il n’y avait pas de réel enjeu, puisque seul un candidat se présentait mais une volonté réelle de montrer l’hostilité au président Saleh), 60% en Libye avec contre toute attente une victoire de la coalition libérale et un arrêt assez net de la poussée islamiste partout observée dans un pays pourtant dévasté par le précédent régime et par une révolution souvent sanglante, plus de 70% en Tunisie… Seules les élections législatives du Maroc peuvent être considérées comme un échec avec seulement 45% de participation. Non seulement le 8
  • 9. premier défi de la démocratie est surmonté mais ces pourcentages à la fois légitiment ces scrutins et en même temps indiquent les attentes des populations. Dans ce climat révolutionnaire, puisque incontestablement il y a eu des révolutions, assez vite ces mouvements islamistes deviennent la seule alternative crédible. Et pourtant ils n’ont pas joué de rôle (visible ?) dans les révolutions. Rached Ghannouchi, dirigeant historique d’Ennahda en Tunisie rentre de Londres en Tunisie pendant la révolution et est accueilli par un petit groupe de fidèles. Ces partis islamistes partout où ils deviennent visibles se retrouvent avant tout en concurrence avec les classes moyennes libérales et là, ils ont un avantage naturel, un atout intrinsèque. Sur le plan des valeurs ils peuvent s’exprimer avec un double registre de langage celui de la foi et celui de la démocratie (ce que l’on a actuellement tendance à appeler « l’islamisme modéré » mais nous y reviendrons plus tard). De cette façon, ils s’adressent voire galvanisent à la fois le peuple et les classes moyennes pieuses. Leur discours est le seul qui s’adresse au plus grand nombre et là est sans doute une explication qui a lourdement pesé dans les succès électoraux des islamistes. Ne pas lire le monde arabe ni même le monde musulman avec des paradigmes occidentaux est sans doute dans l’analyse des succès électoraux islamistes un des critères déterminants et pourtant le plus souvent passé sous silence. Aussi il convient de s’y pencher pour mieux en évaluer l’impact. Les révolutions européennes des XVIIIème et XIXème siècles avaient majoritairement eu comme priorité de chasser le religieux de l’espace public d’où la surprise des Occidentaux lors des succès islamistes aux récentes révolutions arabes. De notre côté de la Méditerranée on ne rêvait pour eux que de démocratie et de droits de l’homme. Mais la génération chassée, les gouvernements rejetés lors des révolutions, au moins en Tunisie et en Egypte est celle des « nationalistes laïques », « des dictateurs éclairés » ou… soutenus par l’Occident. Ainsi, pour ces populations arabes, la menace ne vient donc pas des religieux mais bien des laïcs et les résultats de la plupart des élections illustrent parfaitement le proverbe populaire « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Dans les pays qui ont fait les révolutions arabes, la référence musulmane est endogène, sacrée car religieuse et indissociable de la seule résistance aux dictateurs alors que la présence occidentale est souvent perçue comme une menace et le souvenir de l’hégémonie coloniale n’est pas bien loin quand il n’est pas ravivé par certaines prises de position ! Les attentes des électeurs sont un autre paramètre dont on a bien peu tenu compte. On ne peut pas raisonner seulement en termes d’idéologie, encore plus quand il s’agit de mouvements de révoltes spontanés et populaires. Dans ces pays c’est avant tout le quotidien qui est la priorité. Il suffit de penser à l’immolation du jeune Bouazizi qui, chômeur, survivait en vendant des fruits et légumes mais sans autorisation légale. Les autorités s’emparent de sa charrette et de sa balance d’où son acte désespéré, suicide, immolation qui a tout déclenché en Tunisie puis dans le monde arabe. Clairement, la première attente des populations c’est la réduction des inégalités. Or, qui mieux que les islamistes étaient auprès des plus défavorisés et pouvaient se prévaloir de réseaux sociaux et éducatifs dans ces milieux là. Au moment du scrutin on vote pour ceux que l’on connaît et pour ceux qui font entrevoir ce que l’on attend le plus. C’est ainsi que les Frères musulmans, qui ont le réseau le plus dense de relais sociaux, d'associations caritatives, et qui contrôlent des ordres professionnels - médecins, ingénieurs, journalistes, etc. ont pu voir que la masse des manifestants s'est considérablement accrue dès qu'ils ont appelé à descendre dans la rue au Caire, fin janvier 2011 et ainsi apprécier leur influence dans le pays, quitte à la surévaluer une fois au pouvoir. Tous les éléments évoqués partis politiques, prime aux perdants, débuts de la démocratie, crédibilité évidente des islamistes, grille de lecture spécifique du Moyen-Orient ou encore attentes des électeurs, ces éléments sont largement suffisants pour expliquer les succès électoraux des islamistes. Encore faudrait-il savoir de quels islamistes il s’agit ou encore quel est l’islamisme attendu par ces lendemains révolutionnaires. Arrivé à ce stade de la réflexion, il convient de s’arrêter sur l’émergence d’un « islamisme modéré » que d’aucuns appellent post-islamisme. 9
  • 10. Le « printemps arabe » a été contagieux et les succès électoraux des islamistes également mais en même temps on formule de plus en plus un nouveau concept, celui d’islamisme modéré. La Tunisie, le pays où tout a commencé, est observée comme une sorte de laboratoire et Ennahda, le parti islamiste au pouvoir se déclare lui-même modéré, prêt à tenir compte de l’évolution des mœurs, de la libération des femmes et de la liberté de conscience. Même s’il y a eu depuis son arrivée au pouvoir plusieurs vrais dérapages (l’évocation d’un 7ème califat, les attaques contre des débits de boisson, la censure sur le film Persépolis), on ne peut ignorer ces déclarations ni reconnaître qu’ils sont capables de faire machine arrière. L’abandon du projet d’article constitutionnel mentionnant la complémentarité des femmes avec les hommes au lieu de l’égalité homme-femme qui a suscité un véritable tollé de la part des mouvements féministes tunisiens en atteste. On ne peut ignorer non plus des déclarations comme celle de Moncef Marzouki, élu à la présidence de la République tunisienne, sur l’avenir dans les pays arabes : « La Tunisie et le monde arabe sont capables d’être gouvernés au centre par des laïcs modérés et des islamistes modérés. Ces gens-là existent, ce sont eux qui vont faire l’histoire de ces pays. » Ni celle de Ghannouchi, le leader historique d’Ennahda proclamant : « Je n’interdirai pas l’alcool ni les maillots de bain sur les plages… ». Le chef de file du parti Justice et Liberté dont est issu Mohamed Morsi et une émergence des Frères musulmans appelle en décembre 2012 à la formation d’un gouvernement de coalition. Donc une vraie question se pose sur la réalité de ce concept, sur sa diffusion et de fait son adoption dans les médias occidentaux et sur le pourquoi maintenant et pas avant les révolutions arabes. La géopolitique de l’islamisme permet de nuancer un concept que les révolutions arabes sont en train de bouleverser. Le temps de l’oxymore s’impose d’abord tant islamisme et islamisme modéré semblent contradictoires. Véritable oxymore que ces deux mots qui ont longtemps, pour ne pas dire toujours occupé les esprits occidentaux d’images douloureuses et souvent incompréhensibles : de la révolution iranienne des années 1970 aux mouvements insurrectionnels des années 1980 en Indonésie, des multiples attentats en Egypte en passant par les Talibans en Afghanistan, sans parler des pendaisons et des lapidations publiques. Oxymore qui semble encore plus insupportable quand on pense à la décennie al Qaida, aux attentats perpétrés, au nombre des victimes. Puis le temps des révolutions survient. Depuis 2010 il y a eu les révolutions arabes, parfois appelées, mais jamais par les protagonistes de ces événements, « le printemps arabe ». Et ces révolutions sont nombreuses, en Tunisie et en Egypte certes, mais aussi en Libye avec le CNT, Conseil National de Transition, au Maroc avec les modifications constitutionnelles puis les élections, au Yémen aussi sans parler d’autres inachevées comme en Syrie ou échouées parfois comme à Bahreïn. Partout des élections, confisquées par le pouvoir précédent se déroulent, partout des succès islamistes, sauf peut-être contre toute attente en Libye, et partout l’apparition ou au moins la revendication d’un islamisme modéré. Un islamisme des Lumières, sans aspérité, compatible surtout avec ce qui est attendu de la part des (décideurs) occidentaux. C’est ainsi que l’on voit s’imposer le nouveau premier ministre marocain Benkirane, secrétaire général du PJD, le Parti Justice et Développement, parti islamiste modéré qui vient de remporter les élections législatives. Dès la fin des années 1980, avec un groupe de militants, Benkirane avait rompu avec l’idéologie islamiste révolutionnaire condamnant tout recours à la violence mais s’était alors heurté à une interdiction de former un parti. Son choix précoce de coopérer avec la monarchie lui permet aujourd’hui d’accéder au pouvoir. Mais si les exemples ne manquent pas pour rappeler la réalité de ce concept, par ailleurs on ne peut ignorer, la violence de certaines réactions à sa seule évocation. Jeannette Bougrab, universitaire en droit public à Paris1 Panthéon-Sorbonne, UMP, secrétaire d’État à la jeunesse et à la vie associative dans le dernier gouvernement Fillon prend des positions assez péremptoires au lendemain des succès électoraux en Égypte « je ne connais pas d’islamisme modéré, …il n’y a pas de charia light…je réagis en tant que citoyenne, en tant que femme française d’origine arabe », la violence de cette réaction n’étonne pas si on reste à une lecture univoque de l’islamisme. Il faut sans doute nuancer et aller plus loin, plus fin. Prendre conscience que aujourd’hui deux formes d’islamisme coexistent. L’islamisme d’Al Qaida, celui que Bruno Etienne préférait appeler islamisme radical est aujourd’hui 10
  • 11. clairement incarné par ceux que l’on appelle Salafistes ou Salafistes djihadistes. Ces mouvements n’ont pas été à l’initiative des révoltes ayant abouti à la chute des dictateurs. Absents des révoltes arabes, quasiment invisibles sous les dictatures, ils continuent de mettre au banc de la communauté musulmane les Chiites, les Soufis, tous ceux qui pratiquent un islam populaire et ne conçoivent qu’un islam pur ou purifié. La liste de leurs dernières exactions, bien loin d’être exhaustive, ne peut manquer d’inquiéter : en Libye, ils ont détruit en aout 2012 un mausolée soufi, en Tunisie ils ont peu de poids électoral mais la TV privée Nessma a été condamnée pour avoir diffusé le film franco-iranien Persépolis, un peu partout ils ont, semble-t-il joué un rôle clé dans l’organisation des manifestations contre le film islamophobe L’innocence des musulmans. En Egypte plusieurs partis salafistes existent ; opposés à la démocratie ils ne peuvent renoncer à la lisibilité qu’elle leur offre aussi se présentent-ils aux élections. Mais la loi électorale égyptienne oblige chaque parti à avoir une présence féminine sur ses listes, les Salafistes ne renonçant à rien de ce qui est leur radicalité, les femmes y sont représentées par une rose ou une photo de leur mari ! Toute la force du concept est sans doute dans l’existence d’un clivage, cette persistance d’un islamisme radical qui désormais n’en est plus la seule forme. C’est la raison pour laquelle Olivier Roy en février 2011, face au constat de l’absence de ces Salafistes a qualifié ces révolutions de « post- islamistes ». Ces « post-islamistes » ou « islamistes modérés » sont ceux qui sont en train ou qui seront obligés de montrer leur capacité à participer à une dynamique de libéralisation politique, leur volonté de réaliser dans leur pays une modernisation sociale. Quelle que soit la qualification qu’on leur attribue, islamistes modérés ou post-islamistes, ils correspondent bien mieux à la réalité sociologique de ces pays. Ils font preuve d’un modernisme qu’ils revendiquent ! Même les Frères musulmans en Egypte sont demandeurs de multipartisme, d’une constitution, d’élections et ils se sont inclinés lorsque le Haut comité pour les élections a rappelé qu’il n’était pas possible d’utiliser des slogans religieux dans la campagne. Leur avenir politique en dépend. La grande question aujourd’hui est bien la manière dont les liens se tissent entre État, gouvernement et religion. De plus en plus, il y a d’une part les pratiques religieuses et de l’autre la manière dont les systèmes politiques se développent. L’exercice du pouvoir est aujourd’hui un des défis, le plus grand sans doute, auxquels doivent répondre ces partis islamistes modérés : un pouvoir qui les confronte aux défis de la pauvreté et de la corruption, un pouvoir qui tend les pièges du radicalisme et du populisme (pièges jusqu’à aujourd’hui évités), un pouvoir qui les met aux prises avec des difficultés économiques, eux qui n’ont pas de doctrine économique précise mais qui sont souvent très libéraux… ce qui leur vaut plutôt la sympathie des Occidentaux. Conclure rapidement sur la géopolitique de l’islamisme c’est peut-être conclure justement sur cette idée d’exercice du pouvoir. Avec le retour au politique, nous retrouvons notre définition de départ de l’islamisme. Le Monde Diplomatique de novembre 2012 titrait « les islamistes à l’épreuve du pouvoir » et des événements récents le confirment : violentes manifestations au Caire contre Mohamed Morsi, assassinat de Chokri Belaïd célèbre opposant à Ennahdha le 6 février 2013 ou encore démission du premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, après l’échec de sa tentative pour former un gouvernement apolitique. Les événements se bousculent et pour reprendre ce que Gilles Kepel disait aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois en octobre 2011 : ces islamistes et ces révolutions ce n’est « ni les barbus, ni la démocratie »… Une dernière fois rappeler que « radical » ou « modéré » l’islamisme n’est pas l’islam et que toute confusion entre les deux ne peut que stigmatiser les musulmans. L’islamisme radical ou modéré est bien une idéologie, et non une théologie, une interprétation de l’islam qui mêle religion et politique, et qui semble exister désormais sous plusieurs formes ! D’où l’enjeu à connaître et à comprendre les nuances de ce concept. On ne peut éduquer à la paix en continuant à fondre dans un improbable melting-pot arabe, 11
  • 12. musulman et islamiste… il en va de notre responsabilité de citoyen et d’éducateur ! 12