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Cahiers GUTenberg n˚22 —septembre 1995                                                                     43



Nœuds & esperluettes
A ualit´ et p´rennit´ d’un signe 
       e     e      e
G´rard Blanchard
 e

Chancellier des Rencontres de Lure




                                                      «L’ esperluette e la cl´ de sol de notre ecriture »
                                                                             e                 ´
                                                                                 Ian Tschichold [1]

        Dans le cadre du «projet Didot» s’est tenu du 20 au 22 mai 1992 un s´mi-      e
        naire sur le th`me «logotypes, ligatures et signes contextuels ». Lors de cette
                         e
        rencontre entre les typographes et les informaticiens, G´rard Blanchard a
                                                                       e
        trait´ d’un sujet insolite : l’esperluette (), car a ses yeux ce signe – ou mieux
             e                                              `
        ce «type» – est dans le syst`me typographique «la pierre de touche de la sen-
                                       e
                                              `
        sibilit´ a l’aspe calligraphique». A partir d’un texte de Ian Tschichold [2]
               e`
        (encore in´dit en fran¸ais, mais en cours de publication a l’´cole Estienne), il
                     e          c                                     ` e
        nous donne ici les pr´mices de sa r´flexion.
                               e                e
        Cette etude est d´di´e a Jean Garcia, cofondateur des «Rencontres de Lure»,
               ´         e e `
        il y a 40 ans.

L’esperluette dans l’orthographe de Vox (1959) (pr´f´r´e a celle de Grevisse: esperlu`te),
                                                  eee `                              e
est le nom de ce signe , qu’il explique ainsi.
Il a parfois et´ consid´r´ comme une lettre de l’alphabet (plac´e apr`s le z), appel´ `te : ...
              ´e       ee                                       e    e              ee
zed, `te, perlu`te, apprenait-on aux enfants dans les ecoles el´mentaires, en ajoutant une
      e         e                                     ´      ´e
rime plaisante, ce qui fait qu’on a parfois d´sign´ ce signe par perlu`te (ou perlou`te ou
                                              e    e                   e              e
esperlu`te 1 ).
        e
Cette r´flexion se situe dans le cadre d’une interrogation plus vaste sur ce que pourrait etre
       e                                                                                 ˆ
une culture typographique a l’usage des praticiens de la PAO et de quelques autres, ce que
                              `
j’appellerai : la culture des banlieues de la typo-graphie.

  Cette note a fait l’objet d’une conf´rence lors de l’Ecole Didot organis´e a l’Ecole Estienne a Paris en mai
                                           e               ´                e ` ´                 `
1992. Elle a alors et´ publi´e dans Communication et langages, num´ro 92, 1992, pages 85–101. Elle est repro-
                    ´e      e                                        e
duite ici avec l’aimable autorisation de l’auteur et de M. Mousseau, r´da eur en chef de cette revue.
                                                                       e
 1. Selon Grevisse, Le bon usage, Duculot 1986–1991, dans la partie traitant des «signes graphiques».
44                                                                                G´rard Blanchard
                                                                                   e


Des conclusions en guise de pr´ambule
                              e
Je commencerai par cinq conclusions auxquelles m’a conduit ce travail sur le texte de Tschichold :
Formen Wandlungen der Etzeichen (les variations formelles du signe ).
1re conclusion
L’esperluette est en typographie la ligature par excellence.


Document 1 : marque de Herb Lubalin
pour un magazine – 1966.


2e conclusion (symbolique)
L’esperluette doit se situer comme l’une des grandes figures du nœud dont elle «assume»,
peu ou prou, toute la symbolique. Il y a d’abord l’antique symbole de la tresse et de la tor-
sade (fil, ficelle, cheveux). Originairement, l’entrelacs est un nœud de magie, ou un nœud
de m´moire (dont le plus commun est le nœud a son mouchoir [4]). Le nœud – «poing »
      e                                            `
d’impa visuel – tel qu’il apparaˆt dans ce que Vox appelait «une phon´tique de l’œil» est
                                  ı                                        e
un appel a l’attention. Le labyrinthe est l’ultime figure du nœud. C’est un nœud plus com-
          `
plexe, au sens freudien du mot. Il rel`ve ce qui se cache dans les entrelacs du nœud. Mais a
                                      e                                                     `
l’oppos´ de ce nœud inextricable il y a le nœud simple a double boucle : le «lac d’amour»,
        e                                                 `
la cordelette embl´matique, celle par exemple, des armes de Louise de Savoie. Ce nœud
                    e
m´taphorique, c’est l’esperluette – union symbole au ne degr´ de l’union mystique apr`s
   e                                                             e                         e
l’avoir et´ de l’union physique.
        ´e




              Document 2 : Dessin de H. Matisse pour les Amours de Ronsard et Esperluette.



3e conclusion (historique)
Le xixe si`cle, finissant en apoth´ose de la r´volution industrielle, fait du nœud qui ferme
          e                      e           e
le paquet, exp´di´ par chemin de fer, le symbole mˆme du commerce et le « commer-
               e e                                   e
cial» repr´sente le lien economique des partenaires privil´gi´s (les «Dupond  Dupont»
          e              ´                                e e
des soci´t´s de produ ion). Le nœud devient alors un symbole-logotype : logotype etant
        ee                                                                             ´
entendu au sens de trade-mark (marque de commerce).
Nœuds  esperluettes                                                                                        45


4e conclusion (historique)
En 1959, Maximilien Vox, le cofondateur des « Rencontres de Lure » , tente de faire de
l’esperluette le symbole po´tique d’un combat pour la survie du Garamond 2 que Charles
                             e
Peignot est en train de supprimer de son catalogue-plomb, alors que le cara ere bˆton     ` a
Univers (sorti en 1957) fait une perc´e spe aculaire sur le march´ de l’imprimerie. Il re-
                                         e                                e
lance ainsi la valeur calligraphique, c’est-`-dire la valeur ajout´e de la main du cr´ateur-
                                              a                        e                    e
dessinateur de lettres qui n’est plus le graveur traditionnel de poin¸ons. Il pr´conise l’esprit
                                                                         c          e
particulier de la «graphie latine». Vox avait d´j` marqu´ cette «distin ion», en 1952, en in-
                                                ea         e
troduisant dans sa classification des cara eres la diff´rence entre les «manuaires» (de formes
                                             `          e
cursives mais en lettres s´par´es) et les «scriptes» (cursives a lettres li´es). C’est surtout dans
                          e e                                  `           e
ces «scriptes» que se voient bien les soubresauts calligraphiques dans la typographie. Cela
se passe au moment mˆme o` la typo-plomb s’arrˆte, supplant´e par la photocomposition.
                        e      u                      e              e
5e conclusion
Consid´rant sa situation au centre d’une tradition calli-typo-graphique, l’esperluette est
        e
la pierre de touche de l’esprit calligraphique dans la typo-graphie. Dans ma th`se sur La
                                                                                    e
s´miologie de la typo-graphie [5], j’avais fait la part belle au psychodrame permanent qui
 e
agite les formes des lettres entre Normalisation industrielle et Pulsion de l’´criture ; je dirai
                                                                              e
que, dans chacune des s´ries, l’esperluette marque le degr´ de cursivit´.
                          e                                   e          e


L’œuvre de Mayence : les notes tironiennes
L’œuvre de Venise : l’esperluette humaniste




 Document 3 : notes tironiennes, images extraites du livre de Tschichold : 49, 50 (du 1er si`cle), 51 (en 891),
                                                                                            e
                         52 (au ixe si`cle), 53 (vers 1069), 54 (Angleterre, 1087).
                                      e




Il faut, d`s l’origine de la typographie, situer l’esperluette sur un axe Nord-Sud qui dif-
          e
f´rencie radicalement ce que Fran¸is Thibaudeau [6] appelle « l’œuvre de Mayence » et
 e                                  c
l’œuvre de Venise (l’œuvre italienne et la cr´ation de Nicolas Jenson).
                                             e

  2. Le plus c´l`bre des typographes de la Renaissance fran¸aise, graveur de cara eres pour Fran¸ ois 1er ; le
               ee                                              c                      `            c
«romain », qu’il cr´e a partir des mod`les italiens, porte son nom. C’est le cara ere embl´matique de la culture
                   e `                e                                           `       e
fran¸aise.
    c
46                                                                                    G´rard Blanchard
                                                                                       e


Lorsque Gutenberg invente les «types» de la typographie, son principe s’applique a l’´cri-
                                                                                      ` e
ture gothique textura pr´dominante dans son environnement (la vall´e du Rhin), dont il
                          e                                               e
tente d’´tablir le fac-simil´. Il en reproduit donc les ligatures et les abr´viations. La go-
        e                   e                                                e
thique textura destin´e aux livres etant statique, les liaisons se font par conta .
                      e             ´
En Italie, les prototypographes form´s par Gutenberg auront d’autres mod`les a imiter :
                                     e                                          e `
la lettre «ronde» des humanistes. Dans l’´criture gothique, le «et » latin est repr´sent´ par
                                          e                                        e    e
une note tironienne. Dans son ouvrage sur la « signature », B´atrice Fraenkel [7] rel`ve
                                                               e                          e
quelques donn´es permettant de situer ce sy `me st´nographique. Cic´ ron est consid´r´ a
                 e                           e     e                    e               e e`
Rome comme l’introdu eur des «notes». On consid´ra, alors, comme un exploit de pou-
                                                     e
voir noter la harangue de Caton au S´nat. En fait c’est l’affranchi de Cic´ ron, Tullius
                                       e                                     e
Tiron, qui mit au point ces «notes» qui portent son nom ; lorsque, plus tard, les esclaves-
scribes deviendront les notaires, on pourra d´compter jusqu’` 5 000 « notes » (du temps
                                              e                a
     e e        `
de S´ n` que. A la fin du ixe si`cle les di ionnaires (commentarii) en rel`veront 13 000.
                                e                                           e
                                e       ı              ˆ
Elles disparaissent alors pour r´apparaˆtre au Moyen Age. Dans la « casse » qui permet a    `
Gutenberg de composer la Bible dite des 42 lignes (en 1454) 3, le «et » est une note tiro-
nienne, alors que dans celle de Nicolas Jenson, a Venise, c’est l’ des humanistes.
                                                 `



         ´
Pour une etude «kin´sique » d’un type agit´ par l’histoire
                   e                      e

La s´miologie (ou etude des signes), d´riv´e de la linguistique de De Saussure, s’applique
      e              ´                   e e
assez bien aux signes de l’´criture 4 , lesquels sont d´compos´s traditionnellement par les
                            e                           e       e
maˆtres d’´criture en quelques traits minimaux essentiels. Mais il est indispensable de s’in-
    ı      e
t´resser egalement au du us, c’est-`-dire a l’ordre des traits qui rend compte des mouve-
 e       ´                             a     `
ments de l’´criture. On trouve dans le recueil d’articles du pal´ographe Jean Mallon [10],
            e                                                   e
ces consid´rations (qu’illustre le document no 6). La r´f´rence aux travaux de Ray Birdwhistell [9]
           e                                             ee
(du groupe des psycho-sociolinguistes de l’´cole de Palo-Alto) permet, peut-ˆtre, de clari-
                                               e                               e
fier la situation. Pour ses propres recherches sur le mouvement il entreprend de nommer
«kin`mes » (sur le mod`le des ph´nom`nes, une trentaine de sons fondamentaux du lan-
       e                 e           e     e
gage) une cinquantaine de positions corporelles avec leurs graphies propres qui permettent
la description du mouvement. Elles marquent, dit-il, la relation entre corps et culture. Ces
unit´s gestuelles, signifiantes se combinent en «kin´morph`mes», correspondant aux mor-
      e                                               e      e
ph`mes linguistiques (proches des mots). C’est la syntaxe qui aide ces mots a s’organiser
   e                                                                            `
en propositions, puis en enonc´s, puis en discours. Umberto Eco, dans La ru ure ab-
                           ´       e
sente (1972) note que la kin´sique a du mal a identifier des moments «discrets » (au sens
                              e                  `
linguistique) dans un continum gestuel, mais que la cam´ra de cin´ma ou le cam´scope
                                                             e         e              e
vid´o peuvent aider, car «ils d´composent les kin´morphes en un grand nombre d’unit´s
    e                            e                   e                                     e

  3. Guy Bechtel [8] fait le point des etudes sur la question du g´nial inventeur.
                                       ´                          e
  4. G. Blanchard, S´miologie de la typographie [5]. Si la s´miologie n’est pas indispensable a un art de voir,
                        e                                   e                                 `
elle peut cependant y contribuer efficacement.
Nœuds  esperluettes                                                                                     47




 Document 4 : page 13 (consacr´e aux «notes tironiennes») de l’´tude de Ian Tschichold sur les «variations
                              e                                e
                                               formelles».
48                                                                    G´rard Blanchard
                                                                       e




     Document 5 : J.A. Questenberg, ecriture humaniste de chancellerie (1490).
                                    ´
Nœuds  esperluettes                                                                        49


discr`tes qui, seules, ne peuvent encore rien signifier et qui ont une valeur diff´rentielle par
     e                                                                          e
rapport a d’autres unit´s discr`tes.»
         `               e      e
L’utilisation massive des ecrans informatiques donne, me semble-t-il, une approche a ive
                          ´
du mouvement des signes qui peut nous aider a mieux appr´cier le du us, tel que Jean
                                                     `           e
Mallon l’appr´hende dans les deux films qu’il a r´alis´s (avant et apr`s la seconde guerre
                e                                      e e                e
mondiale) sur la lettre. Le fait de substituer le terme «kin`me» a celui de «trait» – connu en
                                                            e    `
pal´ographie et en calligraphie – permet d’insister sur la notion de mouvement indispen-
   e
sable a une meilleure compr´hension du trac´ de la lettre. C’est a partir de l` que je tenterai
      `                       e                 e                  `           a
de poursuivre le travail «historique» de Ian Tschichold en proposant une typologie qui
reconsid`re s´miologiquement «les variations formelles du signe .»
          e e
Je d´gagerai ainsi 5 phases ou fa¸ons de ligaturer, puisque j’ai d´fini ce signe, ce « type »
    e                            c                                e
(voir ma premi`re conclusion) essentiellement comme une ligature :
               e

   1. une ligature primaire (par conta ) ;

   2. une ligature en boucle et ganse ;

   3. une ligature en double boucle ;

   4. une ligature en boucle crois´e () et a traits modul´s ;
                                  e         `             e

   5. une ligature en boucle crois´e a traits non modul´s.
                                  e `                  e

La standardisation typographique d`s le xvie si`cle arrˆte l’´volution formelle du type,
                                        e            e     e e
dont elle utilise les diverses formes pour des usages bien d´termin´s. Ensuite la confusion
                                                            e        e
s’´tablit et le type est presque r´duit a son seul sens commercial, au xixe si`cle. La renais-
  e                               e     `                                     e
sance calligraphique le remet aujourd’hui en honneur.


Phase I : le conta comme ligature primaire
Ce conta ligature primaire n’a lieu que dans la capitale romaine cursive et dans l’onciale
des premiers si`cles. Au congr`s de l’Association typographique internationale (Atypi) en
                 e               e
1967, au si`ge de l’Unesco a Paris, Charles Peignot a pr´sent´ l’´tude S. Scorsone sur
            e                  `                            e    e e
les «possibilit´s modernes de la photocomposition dans l’accouplement des lettres». Cette
               e
recherche « moderne » remonte a des pratiques de l’Antiquit´ romaine o` la ligature des
                                   `                           e           u
capitales se faisait par un simple conta pouvant aller jusqu’` une superposition de traits.
                                                              a
Les monogrammes, servant de signatures aux rois carolingiens, montrent de semblables
pratiques. Les monogrammes ou «chiffres » du temps de nos arri`res grand-m`res super-
                                                                   e            e
posaient les lettres dans ce qui nous paraˆt une amusante confusion. La formation (japoni-
                                          ı
sante) de la signature de Henri de Toulouse-Lautrec (1892) est aussi du mˆme ordre :
                                                                              e
50                                                                                        G´rard Blanchard
                                                                                           e



                                             Document 6 : (1) un cercle fait librement au pinceau d´termine l’es-
                                                                                                       e
                                             pace du signe ; (2) le H occupe le centre, bien que la premi`re hampe
                                                                                                         e
                                             descende au conta du cercle ; (3) le T n’est plus qu’une traverse hori-
                                             zontale que soutiennent les deux hampes du HL li´, la hampe du T est
                                                                                               e
                                             confondue avec la premi`re hampe du H ; (4) la seconde hampe du H
                                                                      e
                                             est confondue avec la hampe du L dont la barre horizontale va toucher
                                             le bord du cercle.


Admirable « constru ion » qui nous aide a comprendre ce qui se passe dans la premi`re
                                                   `                                          e
forme du ET (graffiti de Pomp´i, 79) pr´sent´e par Tscichold. La deuxi`me forme (du
                                    e           e    e                           e
1er si`cle) est plus synth´tique (le E est r´duit a son seul fˆ t vertical, la barre centrale est
       e                     e                   e     `         u
confondue avec la barre horizontale du T). Jean Mallon a montr´ (document 7) que le
                                                                        e
du us du E capital commence (1) par la verticale, (2) suivie du trait du bas, (3) puis par
celui du haut et (4) par celui du centre. Lorsque l’onciale des premiers si`cles assouplit les
                                                                               e
traits de la lettre grav´e sur pierre, la calligraphie confond les mouvements 1 et 2 et la cursi-
                        e
vit´ ( la vitesse) d´soriente le trac´ g´om´trique primitif. Jean Mallon, dans une ebauche
   e                 e                e e e                                             ´
de sa «pal´ographie romaine », publi´e a Madrid, en 1945 [10], montre aussi (document
            e                              e `
7) les transformations que le mouvement fait subir a une lettre aussi simple que le T ca-
                                                           `
pital dans une cursive du milieu du ive si`cle. Ces majuscules cursives romaines sont tr`s
                                                 e                                             e
difficiles a lire pour nos yeux qui en ont perdu l’habitude et qui auraient tendance a les
           `                                                                                `
prendre pour les minuscules qu’elles ne sont pas.




Document 7 : Jean Mallon, De l’´criture [10] : etude du du us de la capitale romaine et de l’onciale compar´s
                               e               ´                                                           e
                          a celui des «ET» en cursive romaine et en onciale.
                           `




Une ecriture capitale d´riv´e de la majuscule cursive, est l’onciale dont l’emploi est g´n´-
      ´                   e e                                                           e e
ralis´ au ive si`cle et co¨ncide avec l’emploi du parchemin pour fabriquer les livres (docu-
     e          e         ı
ment 8).

Document 8 : (8) Book of Kelles, viie si`cle ; (9)
                                         e
viiie si`cle ; (10, ligature EG, vie si`cle ; (11),
        e                              e
(12) viie si`cle – Tschichold.
             e
Nœuds  esperluettes                                                                                    51


Les missionnaires du ve si`cle introduisirent en Irlande la semi-onciale, conjointement aux
                           e
formes capitales qui utilisa de nombreuses lettres minuscules. Apr`s de tr`s beaux exemples
                                                                   e       e
du ixe si`cle, un d´riv´ de cette ecriture se trouve dans ce Cantique de Lindisfarne, ecrit en
         e         e e            ´                                                   ´
Angleterre, vers 950.
Les lettres sont raccord´es entre elles par des ligatures que j’ai appel´es primaires, de type
                        e                                               e
«conta ». Le «et » conserve le du us nettement diff´renci´ des deux lettres capitales im-
                                                        e     e
briqu´es l’une dans l’autre (document 9).
      e




                          Document 9 : ecriture irlandaise, Lindisfarme vers 950.
                                       ´




Phase II : la ligature m´rovingienne en boucle. La boucle et la
                        e
ganse




 Document 10 : Gr´goire de Tours, manuscrit en ecriture m´rovingienne, viie si`cle (B.N., Pal´ographie des
                 e                             ´           e                  e              e
                                           classiques latins).
52                                                                                     G´rard Blanchard
                                                                                        e


Si Gr´ visse, dans Le bon usage, ecrit que «l’esperlu`te est une ligature m´rovingienne», Ian
      e                           ´                   e                     e
Tschichold [2] fixe une mˆme origine dans le commentaire qu’il donne d’une  datant
                              e
du viiie si`cle. «C’est ici – dit-il – le plus ancien signe «et » revˆtant cette forme antique
            e                                                         e
qui nous est famili`re... Le T a d´j` subi une totale d´formation. On pourrait y voir un
                    e                ea                    e
signe compos´ d’un E et d’un T mis a l’envers. Je ne saurais toutefois admettre cette inter-
              e                         `
pr´tation. Nous devons consid´rer le crochet recourb´ du trait terminal sup´rieur comme
   e                             e                       e                       e
la barre transversale originelle du T et le trait de fuite, a droite, comme un restant du fˆ t
                                                            `                               u
d’un T capital...»
La tˆte en forme de O – ecrit Tschichold a propos des  dans les manuscrits de Luxeuil(figure
    e                   ´                `
                                e `                    e          a                ˆ
13 du document 11) – est trac´e a part, cela reste la r`gle jusqu’` la fin du Moyen Age.




Document 11 : (13) ecriture m´rovingienne, viie si`cle ; (14), (15) Lechionnaire de Luxeuil, viie si`cle ; (16),
                   ´         e                     e                                                e
     (17) Scriptorium de Corbie, viiie si`cle ; (18) ecriture m´rovingienne, viie si`cle – Tschichold.
                                         e           ´          e                   e




Je remarque que cette «tˆte», trac´e apr`s coup et souvent tr`s rapidement, peut rester ou-
                          e        e      e                    e
verte... ce qui n’est pas sans incidence sur la suite des op´rations. Voici donc apparaˆtre,
                                                            e                             ı
pour la premi`re fois, la boucle, qui est une des constantes de l’esperluette et qui la diff´-
                e                                                                           e
rencie de la note tironienne et des lettres-conta . Cette boucle est la ligature qui m´tamor-
                                                                                      e
phose les lettres. L’´tude de J. Bourgoin sur les traits d’ornement lui fait analyser toutes
                     e
sortes de boucles. Dans ses planches (parfois semblables a celles des manuels de nœuds ma-
                                                          `
rins), la «ligature m´rovingienne » se trouve sous l’appellation de « boucle simple », alors
                       e
que le trait surajout´ au-dessus de cette boucle est «une ganse» boucl´e ou arrondie [11].
                      e                                                   e
Les deux lettres sont alors fondues en un seul «kin´morph`me».
                                                     e       e
Sur les manuscrits apparaˆt plus ou moins nettement la d´composition en traits ou « ki-
                         ı                              e
n`mes».
 e
Document 12 : (1) le trait gauche descendant ; (2) le trait droit fermant la boucle
qui se termine plus ou moins recourb´e, tantˆ t se redressant pour etre l’amorce
                                         e       o                    ˆ
d’une nouvelle ligature, tantˆ t prenant l’apparence d’une queue (comme celle du
                               o
R) ; (3) le trait s’´lan¸ant a la rencontre de la barre du T a mi-hauteur a droite
                    e c      `                               `              `
(ce kin`me n’est pas toujours dans le prolongement du kin`me 1) ; (4) la ganse
        e                                                      e
sup´rieure greff´e sur la boucle et appel´e «petite tˆte».
    e             e                        e           e
Tschichold ecrit : «La tˆte en forme de O est trac´e a part, dans les manuscrits de Luxeuil,
               ´           e                         e `
           e                      e          a                ˆ
au viiie si`cle. Cela restera la r`gle jusqu’` la fin du Moyen Age ». La ligature  est donc
primitivement compos´e de 4 traits distin s. Ce kin´morph`me va aller en se simplifiant
                         e                              e     e
jusqu’` ce que la boucle soit trac´e d’un seul mouvement. La barre terminale du T peut etre
      a                           e                                                     ˆ
Nœuds  esperluettes                                                                              53


indiqu´e soit lorsque le «kin`me» 3 recourbe en crochet vers l’int´rieur la partie sup´rieure
       e                     e                                    e                   e
du trait, soit le prolonge gracieusement a l’horizontale, allant vers la droite. Pour que le
                                          `
nœud et la ganse sup´rieure soient pris dans un mouvement en 8, en «boucle crois´e », il
                       e                                                               e
faudra attendre encore neuf si`cles. Je vais en reparler.
                               e


Phase III : le nœud carolingien et sa persistance m´di´vale
                                                   e e

                                              Document 13 : ecriture B´nevantine : (32) ixe si`cle ;
                                                                ´         e                       e
                                              (33) xe si`cle ; (34) 1082 ; (35) xie si`cle – documents
                                                        e                             e
                                              Tschichold.

Cette double boucle (boucle et ganse) se retrouve avec constance dans l’´criture des b´n´-
                                                                           e            e e
di ins du Mont Cassin en Italie, entre le viiie et le xive si`cle. On l’appelle B´n´vantine.
                                                             e                   e e
On en trouve l’usage non seulement pour rendre la conjon ion de coordination «et», mais
encore dans les mots o` se trouvent ces deux lettres a la suite. Grevisse cite le mot latin
                         u                             `
fazet, qui s’´crit Faz. On retrouvera cet usage dans la typographie :  . pour «et cetera»
             e
quelquefois. Ce que j’appelle le « nœud carolingien » n’est pas tr`s diff´rent de ce qu’il a
                                                                    e     e
et´ a l’´poque m´rovingienne et apr`s. C’est cette forme recopi´e par les humanistes a leur
´e` e              e                e                             e                   `
fa¸on qui lui donnera l’aspe que nous lui connaissons.
  c


Phase IV : la ligature (humaniste) en boucle crois´e
                                                  e
reproduite par les proto-typographes
Ma cinqui`me conclusion consid´rait l’esperluette, au centre d’une tradition calli-typographique,
          e                     e
comme l’objet d’un psychodrame formel montrant sans cesse les forces pulsives de la main
en lutte avec les tendances normalisatrices des ecritures les plus socialis´es (´critures li-
                                                ´                          e e
vresques calligraphiques ou typographiques en particulier).


                                              Document 14 : ecritures humanistes choisies par Tschi-
                                                            ´
                                              chold.



Il faut en effet consid´rer, d`s les premi`res impressions italiennes en cara eres ronds (Schweynheim
                        e      e          e                                    `
et Pannartz a Subacio en 1467, Johannes de Spire ou Nicolas Jenson a Venise vers 1470,
                `                                                           `
etc.) l’histoire parall`le de la typographie mise en regard des calligraphies qu’elle reproduit.
                       e
A la fin du xve si`cle le changement d’outil – de la plume d’oie du calligraphe au burin du
                    e
graveur de poin¸ons de typographie – am`ne le dessin a passer du trait comme trace de la
                  c                          e             `
54                                                                          G´rard Blanchard
                                                                             e


plume (avec ses modulations «naturelles») au trait taill´ en r´serve, c’est-`-dire d´gag´ par
                                                        e     e             a       e e
deux traits de contour [12]. Cependant la lettre grav´e garde le souvenir du mouvement
                                                      e
de l’´criture, sinon comment expliquer la l´g`re ondulation du «kin`me» 2 et le maintien
     e                                     e e                         e
de la «petite tˆte» («kin`me» 5) nettement inf´rieures a la dimension de la grande boucle
                e        e                     e        `
d’origine m´rovingienne.
             e

                                                Document 15 : Ginambattista Palatino, Libro Nuovo da
                                                imperare, Romes 1540.


J. B. Palatino, dans son Livre d’´criture (Rome 1545), ecrit : « l’esperluette, bien qu’on
                                     e                         ´
s’en serve peu, pour la raison que ces formes ne sont plus courantes, si cependant vous le
faites ; vous prendrez garde que le corps inf´rieur plus gros, doit etre egal aux autres lettres
                                               e                      ˆ ´
et la petite tˆte du dessus doit etre la moiti´ au moins du corps inf´rieur. On trace d’un
               e                  ˆ              e                         e
seul trait de plume... [13]». Cette remarque de calligraphe, en plein xvie si`cle, montre que
                                                                                 e
l’usage de l’esperluette se perd et qu’elle tend a etre trac´e d’un seul trait de plume virtuose.
                                                  `ˆ        e
La n´cessit´ d’imprimer et de diffuser les mod`les d’´criture fait qu’ils sont d’abord grav´s
     e       e                                     e      e                                    e
sur bois et – a partir du xviie si`cle – grav´s sur cuivre. Cette gravure pose, par rapport a
                `                  e           e                                                `
l’´criture, les mˆmes probl`mes que la gravure typographique. Il y aura une influence, une
  e               e          e
intera ion entre les techniques.
La calligraphie de Bartholomew Dodington, en 1590, en Angleterre, montre l’esperluette
faite d’un seul trait (document 16).




                   Document 16 : calligraphie de Bartholomew Dodington, 1590.



Voici la ligature humaniste en boucle crois´e qui n´glige l’assemblage des traits – kin`mes
                                           e       e                                   e
– au profit d’un seul kin´morph`me correspondant au mot « et ». L’usage de la ligature a
                          e        e                                                      `
l’int´rieur d’autres mots est g´n´ralement abandonn´e.
     e                         e e                   e
Nœuds  esperluettes                                                                      55


Au cours d’une discussion avec Ladislas Mandel, sur le rˆ le de l’esperluette dans la mise en
                                                           o
page, celui-ci eut une tr`s belle expression en d´finissant «l’esperluette dans la page comme
                         e                       e
le trou normand d’un repas de noces». Gastronomie graphique. On remarquera la distance
formelle qui s´pare la premi`re esperluette qu’on pourrait dire «de la Sorbonne» extraite du
               e             e
Gasparin de Bergame-lettres imprim´ a Paris par Freiburger,Gering et Kranz en 1470...
                                      e`
et l’esperluette du romain de Claude Garamond.




                           Document 17 : Gasparin de Bergame, 1470.



On sait que Garamond n’a pas ouvert d’atelier avant 1593 et que ses types, inspir´s avec
                                                                                     e
beaucoup de personnalit´ des mod`les italiens, ont fait le tour de la vieille Europe. En ce
                          e          e
qui concerne la tradition calligraphique, on peut mesurer l’´volution – tr`s lente – des
                                                              e               e
formes en comparant, par exemple, les trait´s des grands calligraphes italiens de la Renais-
                                           e
sance : Arrighi, Tagliente, Palatino [14] (grav´ sur bois) avec le trait´ de Paillasson
                                                   e                       e
au xviiie si`cle (grav´ sur cuivre) [15].
            e         e




                 Document 18 : alphabet romain authentique de Claude Garamond.



En ce qui concerne la tradition typographique, au xvie si`cle, va s’´tablir une sorte de
                                                             e         e
norme qui diff´rencie les formes romaines (moins cursives) des formes italiques (plus cur-
               e
sives). Ces derni`res remettront en usage la ligature issue des lointaines semi-onciales du
                 e
56                                                                             G´rard Blanchard
                                                                                e


viie si`cle ainsi que l’usage d’un E majuscule cursif issu des ecritures de chancellerie, liga-
       e                                                       ´
ture avec un T de capitales cursives anciennes (onciale et semi-onciale, voir 3.1).




          Document 19 :  dans le romain et l’italique de Geoffroy Tory, Le champfleury, 1549.




Si dans l’espace de la page, les calligraphes jouent avec une certaine libert´ les prolongations
                                                                             e
des deux brins libres de la boucle crois´e, il n’en est pas de mˆme pour les typographes
                                            e                       e
contraints aux limites du plomb. Avec l’informatique, les exceptions deviennent de plus
en plus nombreuses. Ce qui etait un jeu de pr´dile ion pour les Van Kimpen ou les Louis
                               ´                 e
Ion, nostalgiques du xvie , devient aujourd’hui une d´monstration brillante de virtuosit´,
                                                          e                                   e
par exemple dans le Messager ou le Capitol, cr´ations r´centes de Fran¸ois Boltana [16,
                                                   e        e                c
17].
Nœuds  esperluettes                                                                         57




                     Document 20 : Les hymnes de Ronsard, Paris, Wechel, 1555.




Phase V : le «et» commercial aux xix et xxe si`cles
                                              e
(voir 3e conclusion)
Dans l’´volution du romain les traces calligraphiques s’estompent. Le cara ere d’imprime-
         e                                                                       `
rie, prenant mod`le sur lui-mˆme et se recopiant, passe par une s´rie de raffinements suc-
                    e              e                                   e
cessifs jusqu’` ce que les Didot ou les Bodoni pr´sentent des d´li´s extrˆmement fins (va-
               a                                       e             e e     e
loris´s par les papiers velins) et contrastant au maximum avec les pleins. Depuis le xviiie si`cle
     e                                                                                        e
la cursivit´ s’att´nue et les italiques sont de plus en plus des romains pench´s qui ne contrastent,
           e      e                                                           e
eux, plus assez avec les romains. Les cursives mettent dans le plomb – non sans difficult´s     e
– les usuels de la calligraphie, particuli`rement l’anglaise.
                                            e




                 Document 21 : American Wood type : 1828–1900, cara eres d’affiche.
                                                                    `
58                                                                              G´rard Blanchard
                                                                                 e


Les cara eres Didot gras apparaissent pour satisfaire aux besoins de la publicit´. La litho-
           `                                                                      e
graphie apporte d’immenses facilit´s par rapport a la gamme sur cuivre. On dessine sur
                                      e              `
pierre des lettres tr`s compliqu´es, ombr´es, hachur´es, filet´es, orn´es, etc. On reproduit
                     e           e         e           e      e        e
sans les comprendre les lettrines en couleurs des manuscrits, mais on simplifie aussi : ap-
paraissent les m´canes (dites « egyptiennes ») et les cara eres bˆtons. L’esperluette ne sert
                  e             ´                           `     a
pratiquement plus que pour typographier « Cie». Tschichold les rejette avec les carac-
t`res «sauvages» des styles fin de si`cle (Vi orien anglais ou Nord-am´ricain), ce qui n’em-
 e                                  e                                   e
pˆche pas de magnifiques dessinateurs (comme F. Goudy), de reconstituer avec maestria
  e
les principaux types du «Mus´e imaginaire de la typographie ». Avec les cara eres bˆtons
                               e                                                  `    a
(ultra simplifi´ et ultra moderne) la boucle crois´e, dans les «banlieues de la typographie»,
                e                                 e
atteint sa dimension d’´pure, uniforme et fon ionnelle (?), aux antipodes des  raffin´es
                          e                                                               e
de l’histoire. Pendant ce temps, retour du refoul´, les «tags» et les «graphs» fleurissent sur
                                                  e
nos murs [18] comme un pressant rappel a une «culture» calligraphique.
                                             `




                                            Document 22 5




Bibliographie
 [1] «Ian Tschichold parle de typographie», Communication et langages, no 63.
 [2] Ian Tschichold, Formen Wandlungen der Etzeichen – a paraˆtre en fran¸ais dans une
                                                       `     ı           c
     tradu ion de Ren´ Grasset.
                     e
 [3] J´rˆ me Peignot : «Petit trait´ de la ligature» in Communication et langages, no 73.
      eo                           e
 [4] Catalogue de l’exposition «Nœuds  ligatures» FNAGP, Paris, 1983.
 [5] G. Blanchard, S´miologie de la typographie, 1982, aux editions Riguil internatio-
                    e                                      ´
     nales, Qu´bec.
              e

 5. On trouvera dans ce Cahier, et notamment dans l’article de Ren´ Ponot, d’autres esperluettes tir´es,
                                                                  e                                 e
comme celles-ci, de [2].
Nœuds  esperluettes                                                                        59


 [6] Francis Thibaudeau, La lettre d’imprimerie, tome 1, Paris, 1921.
 [7] B´atrice Fraenkel, La signature, Gallimard, 1992.
      e
 [8] Guy Bechtel, Gutenberg, Fayard, 1992.
 [9] Bateson, Birdwhistell, Goffman, Hall, Jackson, Scheflen, Sigman, Watzlawick,
     La nouvelle communication, Ed. Seuil, 1981.
[10] Jean Mallon, De l’´criture, Ed. CNRS, 1982.
                       e
[11] J. Bourgoin, Grammaire el´mentaire de l’ornement, Delagrave, 1980, reproduit dans
                              ´e
     la colle ion «Les introuvables».
[12] Nicolette Gray, Lettring as drawing : Tome 1 – The moving line. Tome 2 – Contour
     and Silhouette, Oxford paperbacks, 1970 (uniquement sur la lettre manuscrite).
[13] J.B. Palatino, Le livre d’´criture, traduit par J. Muteville dans la revue La France
                               e
     graphique, 1950.
[14] Three classics of italian calligraphy reprint, Dover, 1953.
[15] L’art de l’´criture, dans les recueils de planches de l’Encyclop´die – fac-simil´s nombreux–
                e                                                    e               e
     en France depuis celui du Club des libraires associ´s, en 1964.
                                                              e
[16] « Fran¸ois Boltana et la calligraphie informatique », in Communication et Langages
           c
     no 85, 1990.
[17] Fran¸ois Boltana, «Ligatures  calligraphie assist´e par ordinateur», Cahier GUTenberg
         c                                             e
     no 22 (ce cahier), 107–124.
[18] Voir le film de Beinex : «IP 5» (1992) et l’article qui leur est consacr´ dans : Commu-
                                                                            e
     nication et Langages no 85.

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22 Blanchard

  • 1. Cahiers GUTenberg n˚22 —septembre 1995 43 Nœuds & esperluettes A ualit´ et p´rennit´ d’un signe e e e G´rard Blanchard e Chancellier des Rencontres de Lure «L’ esperluette e la cl´ de sol de notre ecriture » e ´ Ian Tschichold [1] Dans le cadre du «projet Didot» s’est tenu du 20 au 22 mai 1992 un s´mi- e naire sur le th`me «logotypes, ligatures et signes contextuels ». Lors de cette e rencontre entre les typographes et les informaticiens, G´rard Blanchard a e trait´ d’un sujet insolite : l’esperluette (), car a ses yeux ce signe – ou mieux e ` ce «type» – est dans le syst`me typographique «la pierre de touche de la sen- e ` sibilit´ a l’aspe calligraphique». A partir d’un texte de Ian Tschichold [2] e` (encore in´dit en fran¸ais, mais en cours de publication a l’´cole Estienne), il e c ` e nous donne ici les pr´mices de sa r´flexion. e e Cette etude est d´di´e a Jean Garcia, cofondateur des «Rencontres de Lure», ´ e e ` il y a 40 ans. L’esperluette dans l’orthographe de Vox (1959) (pr´f´r´e a celle de Grevisse: esperlu`te), eee ` e est le nom de ce signe , qu’il explique ainsi. Il a parfois et´ consid´r´ comme une lettre de l’alphabet (plac´e apr`s le z), appel´ `te : ... ´e ee e e ee zed, `te, perlu`te, apprenait-on aux enfants dans les ecoles el´mentaires, en ajoutant une e e ´ ´e rime plaisante, ce qui fait qu’on a parfois d´sign´ ce signe par perlu`te (ou perlou`te ou e e e e esperlu`te 1 ). e Cette r´flexion se situe dans le cadre d’une interrogation plus vaste sur ce que pourrait etre e ˆ une culture typographique a l’usage des praticiens de la PAO et de quelques autres, ce que ` j’appellerai : la culture des banlieues de la typo-graphie. Cette note a fait l’objet d’une conf´rence lors de l’Ecole Didot organis´e a l’Ecole Estienne a Paris en mai e ´ e ` ´ ` 1992. Elle a alors et´ publi´e dans Communication et langages, num´ro 92, 1992, pages 85–101. Elle est repro- ´e e e duite ici avec l’aimable autorisation de l’auteur et de M. Mousseau, r´da eur en chef de cette revue. e 1. Selon Grevisse, Le bon usage, Duculot 1986–1991, dans la partie traitant des «signes graphiques».
  • 2. 44 G´rard Blanchard e Des conclusions en guise de pr´ambule e Je commencerai par cinq conclusions auxquelles m’a conduit ce travail sur le texte de Tschichold : Formen Wandlungen der Etzeichen (les variations formelles du signe ). 1re conclusion L’esperluette est en typographie la ligature par excellence. Document 1 : marque de Herb Lubalin pour un magazine – 1966. 2e conclusion (symbolique) L’esperluette doit se situer comme l’une des grandes figures du nœud dont elle «assume», peu ou prou, toute la symbolique. Il y a d’abord l’antique symbole de la tresse et de la tor- sade (fil, ficelle, cheveux). Originairement, l’entrelacs est un nœud de magie, ou un nœud de m´moire (dont le plus commun est le nœud a son mouchoir [4]). Le nœud – «poing » e ` d’impa visuel – tel qu’il apparaˆt dans ce que Vox appelait «une phon´tique de l’œil» est ı e un appel a l’attention. Le labyrinthe est l’ultime figure du nœud. C’est un nœud plus com- ` plexe, au sens freudien du mot. Il rel`ve ce qui se cache dans les entrelacs du nœud. Mais a e ` l’oppos´ de ce nœud inextricable il y a le nœud simple a double boucle : le «lac d’amour», e ` la cordelette embl´matique, celle par exemple, des armes de Louise de Savoie. Ce nœud e m´taphorique, c’est l’esperluette – union symbole au ne degr´ de l’union mystique apr`s e e e l’avoir et´ de l’union physique. ´e Document 2 : Dessin de H. Matisse pour les Amours de Ronsard et Esperluette. 3e conclusion (historique) Le xixe si`cle, finissant en apoth´ose de la r´volution industrielle, fait du nœud qui ferme e e e le paquet, exp´di´ par chemin de fer, le symbole mˆme du commerce et le « commer- e e e cial» repr´sente le lien economique des partenaires privil´gi´s (les «Dupond Dupont» e ´ e e des soci´t´s de produ ion). Le nœud devient alors un symbole-logotype : logotype etant ee ´ entendu au sens de trade-mark (marque de commerce).
  • 3. Nœuds esperluettes 45 4e conclusion (historique) En 1959, Maximilien Vox, le cofondateur des « Rencontres de Lure » , tente de faire de l’esperluette le symbole po´tique d’un combat pour la survie du Garamond 2 que Charles e Peignot est en train de supprimer de son catalogue-plomb, alors que le cara ere bˆton ` a Univers (sorti en 1957) fait une perc´e spe aculaire sur le march´ de l’imprimerie. Il re- e e lance ainsi la valeur calligraphique, c’est-`-dire la valeur ajout´e de la main du cr´ateur- a e e dessinateur de lettres qui n’est plus le graveur traditionnel de poin¸ons. Il pr´conise l’esprit c e particulier de la «graphie latine». Vox avait d´j` marqu´ cette «distin ion», en 1952, en in- ea e troduisant dans sa classification des cara eres la diff´rence entre les «manuaires» (de formes ` e cursives mais en lettres s´par´es) et les «scriptes» (cursives a lettres li´es). C’est surtout dans e e ` e ces «scriptes» que se voient bien les soubresauts calligraphiques dans la typographie. Cela se passe au moment mˆme o` la typo-plomb s’arrˆte, supplant´e par la photocomposition. e u e e 5e conclusion Consid´rant sa situation au centre d’une tradition calli-typo-graphique, l’esperluette est e la pierre de touche de l’esprit calligraphique dans la typo-graphie. Dans ma th`se sur La e s´miologie de la typo-graphie [5], j’avais fait la part belle au psychodrame permanent qui e agite les formes des lettres entre Normalisation industrielle et Pulsion de l’´criture ; je dirai e que, dans chacune des s´ries, l’esperluette marque le degr´ de cursivit´. e e e L’œuvre de Mayence : les notes tironiennes L’œuvre de Venise : l’esperluette humaniste Document 3 : notes tironiennes, images extraites du livre de Tschichold : 49, 50 (du 1er si`cle), 51 (en 891), e 52 (au ixe si`cle), 53 (vers 1069), 54 (Angleterre, 1087). e Il faut, d`s l’origine de la typographie, situer l’esperluette sur un axe Nord-Sud qui dif- e f´rencie radicalement ce que Fran¸is Thibaudeau [6] appelle « l’œuvre de Mayence » et e c l’œuvre de Venise (l’œuvre italienne et la cr´ation de Nicolas Jenson). e 2. Le plus c´l`bre des typographes de la Renaissance fran¸aise, graveur de cara eres pour Fran¸ ois 1er ; le ee c ` c «romain », qu’il cr´e a partir des mod`les italiens, porte son nom. C’est le cara ere embl´matique de la culture e ` e ` e fran¸aise. c
  • 4. 46 G´rard Blanchard e Lorsque Gutenberg invente les «types» de la typographie, son principe s’applique a l’´cri- ` e ture gothique textura pr´dominante dans son environnement (la vall´e du Rhin), dont il e e tente d’´tablir le fac-simil´. Il en reproduit donc les ligatures et les abr´viations. La go- e e e thique textura destin´e aux livres etant statique, les liaisons se font par conta . e ´ En Italie, les prototypographes form´s par Gutenberg auront d’autres mod`les a imiter : e e ` la lettre «ronde» des humanistes. Dans l’´criture gothique, le «et » latin est repr´sent´ par e e e une note tironienne. Dans son ouvrage sur la « signature », B´atrice Fraenkel [7] rel`ve e e quelques donn´es permettant de situer ce sy `me st´nographique. Cic´ ron est consid´r´ a e e e e e e` Rome comme l’introdu eur des «notes». On consid´ra, alors, comme un exploit de pou- e voir noter la harangue de Caton au S´nat. En fait c’est l’affranchi de Cic´ ron, Tullius e e Tiron, qui mit au point ces «notes» qui portent son nom ; lorsque, plus tard, les esclaves- scribes deviendront les notaires, on pourra d´compter jusqu’` 5 000 « notes » (du temps e a e e ` de S´ n` que. A la fin du ixe si`cle les di ionnaires (commentarii) en rel`veront 13 000. e e e ı ˆ Elles disparaissent alors pour r´apparaˆtre au Moyen Age. Dans la « casse » qui permet a ` Gutenberg de composer la Bible dite des 42 lignes (en 1454) 3, le «et » est une note tiro- nienne, alors que dans celle de Nicolas Jenson, a Venise, c’est l’ des humanistes. ` ´ Pour une etude «kin´sique » d’un type agit´ par l’histoire e e La s´miologie (ou etude des signes), d´riv´e de la linguistique de De Saussure, s’applique e ´ e e assez bien aux signes de l’´criture 4 , lesquels sont d´compos´s traditionnellement par les e e e maˆtres d’´criture en quelques traits minimaux essentiels. Mais il est indispensable de s’in- ı e t´resser egalement au du us, c’est-`-dire a l’ordre des traits qui rend compte des mouve- e ´ a ` ments de l’´criture. On trouve dans le recueil d’articles du pal´ographe Jean Mallon [10], e e ces consid´rations (qu’illustre le document no 6). La r´f´rence aux travaux de Ray Birdwhistell [9] e ee (du groupe des psycho-sociolinguistes de l’´cole de Palo-Alto) permet, peut-ˆtre, de clari- e e fier la situation. Pour ses propres recherches sur le mouvement il entreprend de nommer «kin`mes » (sur le mod`le des ph´nom`nes, une trentaine de sons fondamentaux du lan- e e e e gage) une cinquantaine de positions corporelles avec leurs graphies propres qui permettent la description du mouvement. Elles marquent, dit-il, la relation entre corps et culture. Ces unit´s gestuelles, signifiantes se combinent en «kin´morph`mes», correspondant aux mor- e e e ph`mes linguistiques (proches des mots). C’est la syntaxe qui aide ces mots a s’organiser e ` en propositions, puis en enonc´s, puis en discours. Umberto Eco, dans La ru ure ab- ´ e sente (1972) note que la kin´sique a du mal a identifier des moments «discrets » (au sens e ` linguistique) dans un continum gestuel, mais que la cam´ra de cin´ma ou le cam´scope e e e vid´o peuvent aider, car «ils d´composent les kin´morphes en un grand nombre d’unit´s e e e e 3. Guy Bechtel [8] fait le point des etudes sur la question du g´nial inventeur. ´ e 4. G. Blanchard, S´miologie de la typographie [5]. Si la s´miologie n’est pas indispensable a un art de voir, e e ` elle peut cependant y contribuer efficacement.
  • 5. Nœuds esperluettes 47 Document 4 : page 13 (consacr´e aux «notes tironiennes») de l’´tude de Ian Tschichold sur les «variations e e formelles».
  • 6. 48 G´rard Blanchard e Document 5 : J.A. Questenberg, ecriture humaniste de chancellerie (1490). ´
  • 7. Nœuds esperluettes 49 discr`tes qui, seules, ne peuvent encore rien signifier et qui ont une valeur diff´rentielle par e e rapport a d’autres unit´s discr`tes.» ` e e L’utilisation massive des ecrans informatiques donne, me semble-t-il, une approche a ive ´ du mouvement des signes qui peut nous aider a mieux appr´cier le du us, tel que Jean ` e Mallon l’appr´hende dans les deux films qu’il a r´alis´s (avant et apr`s la seconde guerre e e e e mondiale) sur la lettre. Le fait de substituer le terme «kin`me» a celui de «trait» – connu en e ` pal´ographie et en calligraphie – permet d’insister sur la notion de mouvement indispen- e sable a une meilleure compr´hension du trac´ de la lettre. C’est a partir de l` que je tenterai ` e e ` a de poursuivre le travail «historique» de Ian Tschichold en proposant une typologie qui reconsid`re s´miologiquement «les variations formelles du signe .» e e Je d´gagerai ainsi 5 phases ou fa¸ons de ligaturer, puisque j’ai d´fini ce signe, ce « type » e c e (voir ma premi`re conclusion) essentiellement comme une ligature : e 1. une ligature primaire (par conta ) ; 2. une ligature en boucle et ganse ; 3. une ligature en double boucle ; 4. une ligature en boucle crois´e () et a traits modul´s ; e ` e 5. une ligature en boucle crois´e a traits non modul´s. e ` e La standardisation typographique d`s le xvie si`cle arrˆte l’´volution formelle du type, e e e e dont elle utilise les diverses formes pour des usages bien d´termin´s. Ensuite la confusion e e s’´tablit et le type est presque r´duit a son seul sens commercial, au xixe si`cle. La renais- e e ` e sance calligraphique le remet aujourd’hui en honneur. Phase I : le conta comme ligature primaire Ce conta ligature primaire n’a lieu que dans la capitale romaine cursive et dans l’onciale des premiers si`cles. Au congr`s de l’Association typographique internationale (Atypi) en e e 1967, au si`ge de l’Unesco a Paris, Charles Peignot a pr´sent´ l’´tude S. Scorsone sur e ` e e e les «possibilit´s modernes de la photocomposition dans l’accouplement des lettres». Cette e recherche « moderne » remonte a des pratiques de l’Antiquit´ romaine o` la ligature des ` e u capitales se faisait par un simple conta pouvant aller jusqu’` une superposition de traits. a Les monogrammes, servant de signatures aux rois carolingiens, montrent de semblables pratiques. Les monogrammes ou «chiffres » du temps de nos arri`res grand-m`res super- e e posaient les lettres dans ce qui nous paraˆt une amusante confusion. La formation (japoni- ı sante) de la signature de Henri de Toulouse-Lautrec (1892) est aussi du mˆme ordre : e
  • 8. 50 G´rard Blanchard e Document 6 : (1) un cercle fait librement au pinceau d´termine l’es- e pace du signe ; (2) le H occupe le centre, bien que la premi`re hampe e descende au conta du cercle ; (3) le T n’est plus qu’une traverse hori- zontale que soutiennent les deux hampes du HL li´, la hampe du T est e confondue avec la premi`re hampe du H ; (4) la seconde hampe du H e est confondue avec la hampe du L dont la barre horizontale va toucher le bord du cercle. Admirable « constru ion » qui nous aide a comprendre ce qui se passe dans la premi`re ` e forme du ET (graffiti de Pomp´i, 79) pr´sent´e par Tscichold. La deuxi`me forme (du e e e e 1er si`cle) est plus synth´tique (le E est r´duit a son seul fˆ t vertical, la barre centrale est e e e ` u confondue avec la barre horizontale du T). Jean Mallon a montr´ (document 7) que le e du us du E capital commence (1) par la verticale, (2) suivie du trait du bas, (3) puis par celui du haut et (4) par celui du centre. Lorsque l’onciale des premiers si`cles assouplit les e traits de la lettre grav´e sur pierre, la calligraphie confond les mouvements 1 et 2 et la cursi- e vit´ ( la vitesse) d´soriente le trac´ g´om´trique primitif. Jean Mallon, dans une ebauche e e e e e ´ de sa «pal´ographie romaine », publi´e a Madrid, en 1945 [10], montre aussi (document e e ` 7) les transformations que le mouvement fait subir a une lettre aussi simple que le T ca- ` pital dans une cursive du milieu du ive si`cle. Ces majuscules cursives romaines sont tr`s e e difficiles a lire pour nos yeux qui en ont perdu l’habitude et qui auraient tendance a les ` ` prendre pour les minuscules qu’elles ne sont pas. Document 7 : Jean Mallon, De l’´criture [10] : etude du du us de la capitale romaine et de l’onciale compar´s e ´ e a celui des «ET» en cursive romaine et en onciale. ` Une ecriture capitale d´riv´e de la majuscule cursive, est l’onciale dont l’emploi est g´n´- ´ e e e e ralis´ au ive si`cle et co¨ncide avec l’emploi du parchemin pour fabriquer les livres (docu- e e ı ment 8). Document 8 : (8) Book of Kelles, viie si`cle ; (9) e viiie si`cle ; (10, ligature EG, vie si`cle ; (11), e e (12) viie si`cle – Tschichold. e
  • 9. Nœuds esperluettes 51 Les missionnaires du ve si`cle introduisirent en Irlande la semi-onciale, conjointement aux e formes capitales qui utilisa de nombreuses lettres minuscules. Apr`s de tr`s beaux exemples e e du ixe si`cle, un d´riv´ de cette ecriture se trouve dans ce Cantique de Lindisfarne, ecrit en e e e ´ ´ Angleterre, vers 950. Les lettres sont raccord´es entre elles par des ligatures que j’ai appel´es primaires, de type e e «conta ». Le «et » conserve le du us nettement diff´renci´ des deux lettres capitales im- e e briqu´es l’une dans l’autre (document 9). e Document 9 : ecriture irlandaise, Lindisfarme vers 950. ´ Phase II : la ligature m´rovingienne en boucle. La boucle et la e ganse Document 10 : Gr´goire de Tours, manuscrit en ecriture m´rovingienne, viie si`cle (B.N., Pal´ographie des e ´ e e e classiques latins).
  • 10. 52 G´rard Blanchard e Si Gr´ visse, dans Le bon usage, ecrit que «l’esperlu`te est une ligature m´rovingienne», Ian e ´ e e Tschichold [2] fixe une mˆme origine dans le commentaire qu’il donne d’une datant e du viiie si`cle. «C’est ici – dit-il – le plus ancien signe «et » revˆtant cette forme antique e e qui nous est famili`re... Le T a d´j` subi une totale d´formation. On pourrait y voir un e ea e signe compos´ d’un E et d’un T mis a l’envers. Je ne saurais toutefois admettre cette inter- e ` pr´tation. Nous devons consid´rer le crochet recourb´ du trait terminal sup´rieur comme e e e e la barre transversale originelle du T et le trait de fuite, a droite, comme un restant du fˆ t ` u d’un T capital...» La tˆte en forme de O – ecrit Tschichold a propos des dans les manuscrits de Luxeuil(figure e ´ ` e ` e a ˆ 13 du document 11) – est trac´e a part, cela reste la r`gle jusqu’` la fin du Moyen Age. Document 11 : (13) ecriture m´rovingienne, viie si`cle ; (14), (15) Lechionnaire de Luxeuil, viie si`cle ; (16), ´ e e e (17) Scriptorium de Corbie, viiie si`cle ; (18) ecriture m´rovingienne, viie si`cle – Tschichold. e ´ e e Je remarque que cette «tˆte», trac´e apr`s coup et souvent tr`s rapidement, peut rester ou- e e e e verte... ce qui n’est pas sans incidence sur la suite des op´rations. Voici donc apparaˆtre, e ı pour la premi`re fois, la boucle, qui est une des constantes de l’esperluette et qui la diff´- e e rencie de la note tironienne et des lettres-conta . Cette boucle est la ligature qui m´tamor- e phose les lettres. L’´tude de J. Bourgoin sur les traits d’ornement lui fait analyser toutes e sortes de boucles. Dans ses planches (parfois semblables a celles des manuels de nœuds ma- ` rins), la «ligature m´rovingienne » se trouve sous l’appellation de « boucle simple », alors e que le trait surajout´ au-dessus de cette boucle est «une ganse» boucl´e ou arrondie [11]. e e Les deux lettres sont alors fondues en un seul «kin´morph`me». e e Sur les manuscrits apparaˆt plus ou moins nettement la d´composition en traits ou « ki- ı e n`mes». e Document 12 : (1) le trait gauche descendant ; (2) le trait droit fermant la boucle qui se termine plus ou moins recourb´e, tantˆ t se redressant pour etre l’amorce e o ˆ d’une nouvelle ligature, tantˆ t prenant l’apparence d’une queue (comme celle du o R) ; (3) le trait s’´lan¸ant a la rencontre de la barre du T a mi-hauteur a droite e c ` ` ` (ce kin`me n’est pas toujours dans le prolongement du kin`me 1) ; (4) la ganse e e sup´rieure greff´e sur la boucle et appel´e «petite tˆte». e e e e Tschichold ecrit : «La tˆte en forme de O est trac´e a part, dans les manuscrits de Luxeuil, ´ e e ` e e a ˆ au viiie si`cle. Cela restera la r`gle jusqu’` la fin du Moyen Age ». La ligature est donc primitivement compos´e de 4 traits distin s. Ce kin´morph`me va aller en se simplifiant e e e jusqu’` ce que la boucle soit trac´e d’un seul mouvement. La barre terminale du T peut etre a e ˆ
  • 11. Nœuds esperluettes 53 indiqu´e soit lorsque le «kin`me» 3 recourbe en crochet vers l’int´rieur la partie sup´rieure e e e e du trait, soit le prolonge gracieusement a l’horizontale, allant vers la droite. Pour que le ` nœud et la ganse sup´rieure soient pris dans un mouvement en 8, en «boucle crois´e », il e e faudra attendre encore neuf si`cles. Je vais en reparler. e Phase III : le nœud carolingien et sa persistance m´di´vale e e Document 13 : ecriture B´nevantine : (32) ixe si`cle ; ´ e e (33) xe si`cle ; (34) 1082 ; (35) xie si`cle – documents e e Tschichold. Cette double boucle (boucle et ganse) se retrouve avec constance dans l’´criture des b´n´- e e e di ins du Mont Cassin en Italie, entre le viiie et le xive si`cle. On l’appelle B´n´vantine. e e e On en trouve l’usage non seulement pour rendre la conjon ion de coordination «et», mais encore dans les mots o` se trouvent ces deux lettres a la suite. Grevisse cite le mot latin u ` fazet, qui s’´crit Faz. On retrouvera cet usage dans la typographie : . pour «et cetera» e quelquefois. Ce que j’appelle le « nœud carolingien » n’est pas tr`s diff´rent de ce qu’il a e e et´ a l’´poque m´rovingienne et apr`s. C’est cette forme recopi´e par les humanistes a leur ´e` e e e e ` fa¸on qui lui donnera l’aspe que nous lui connaissons. c Phase IV : la ligature (humaniste) en boucle crois´e e reproduite par les proto-typographes Ma cinqui`me conclusion consid´rait l’esperluette, au centre d’une tradition calli-typographique, e e comme l’objet d’un psychodrame formel montrant sans cesse les forces pulsives de la main en lutte avec les tendances normalisatrices des ecritures les plus socialis´es (´critures li- ´ e e vresques calligraphiques ou typographiques en particulier). Document 14 : ecritures humanistes choisies par Tschi- ´ chold. Il faut en effet consid´rer, d`s les premi`res impressions italiennes en cara eres ronds (Schweynheim e e e ` et Pannartz a Subacio en 1467, Johannes de Spire ou Nicolas Jenson a Venise vers 1470, ` ` etc.) l’histoire parall`le de la typographie mise en regard des calligraphies qu’elle reproduit. e A la fin du xve si`cle le changement d’outil – de la plume d’oie du calligraphe au burin du e graveur de poin¸ons de typographie – am`ne le dessin a passer du trait comme trace de la c e `
  • 12. 54 G´rard Blanchard e plume (avec ses modulations «naturelles») au trait taill´ en r´serve, c’est-`-dire d´gag´ par e e a e e deux traits de contour [12]. Cependant la lettre grav´e garde le souvenir du mouvement e de l’´criture, sinon comment expliquer la l´g`re ondulation du «kin`me» 2 et le maintien e e e e de la «petite tˆte» («kin`me» 5) nettement inf´rieures a la dimension de la grande boucle e e e ` d’origine m´rovingienne. e Document 15 : Ginambattista Palatino, Libro Nuovo da imperare, Romes 1540. J. B. Palatino, dans son Livre d’´criture (Rome 1545), ecrit : « l’esperluette, bien qu’on e ´ s’en serve peu, pour la raison que ces formes ne sont plus courantes, si cependant vous le faites ; vous prendrez garde que le corps inf´rieur plus gros, doit etre egal aux autres lettres e ˆ ´ et la petite tˆte du dessus doit etre la moiti´ au moins du corps inf´rieur. On trace d’un e ˆ e e seul trait de plume... [13]». Cette remarque de calligraphe, en plein xvie si`cle, montre que e l’usage de l’esperluette se perd et qu’elle tend a etre trac´e d’un seul trait de plume virtuose. `ˆ e La n´cessit´ d’imprimer et de diffuser les mod`les d’´criture fait qu’ils sont d’abord grav´s e e e e e sur bois et – a partir du xviie si`cle – grav´s sur cuivre. Cette gravure pose, par rapport a ` e e ` l’´criture, les mˆmes probl`mes que la gravure typographique. Il y aura une influence, une e e e intera ion entre les techniques. La calligraphie de Bartholomew Dodington, en 1590, en Angleterre, montre l’esperluette faite d’un seul trait (document 16). Document 16 : calligraphie de Bartholomew Dodington, 1590. Voici la ligature humaniste en boucle crois´e qui n´glige l’assemblage des traits – kin`mes e e e – au profit d’un seul kin´morph`me correspondant au mot « et ». L’usage de la ligature a e e ` l’int´rieur d’autres mots est g´n´ralement abandonn´e. e e e e
  • 13. Nœuds esperluettes 55 Au cours d’une discussion avec Ladislas Mandel, sur le rˆ le de l’esperluette dans la mise en o page, celui-ci eut une tr`s belle expression en d´finissant «l’esperluette dans la page comme e e le trou normand d’un repas de noces». Gastronomie graphique. On remarquera la distance formelle qui s´pare la premi`re esperluette qu’on pourrait dire «de la Sorbonne» extraite du e e Gasparin de Bergame-lettres imprim´ a Paris par Freiburger,Gering et Kranz en 1470... e` et l’esperluette du romain de Claude Garamond. Document 17 : Gasparin de Bergame, 1470. On sait que Garamond n’a pas ouvert d’atelier avant 1593 et que ses types, inspir´s avec e beaucoup de personnalit´ des mod`les italiens, ont fait le tour de la vieille Europe. En ce e e qui concerne la tradition calligraphique, on peut mesurer l’´volution – tr`s lente – des e e formes en comparant, par exemple, les trait´s des grands calligraphes italiens de la Renais- e sance : Arrighi, Tagliente, Palatino [14] (grav´ sur bois) avec le trait´ de Paillasson e e au xviiie si`cle (grav´ sur cuivre) [15]. e e Document 18 : alphabet romain authentique de Claude Garamond. En ce qui concerne la tradition typographique, au xvie si`cle, va s’´tablir une sorte de e e norme qui diff´rencie les formes romaines (moins cursives) des formes italiques (plus cur- e sives). Ces derni`res remettront en usage la ligature issue des lointaines semi-onciales du e
  • 14. 56 G´rard Blanchard e viie si`cle ainsi que l’usage d’un E majuscule cursif issu des ecritures de chancellerie, liga- e ´ ture avec un T de capitales cursives anciennes (onciale et semi-onciale, voir 3.1). Document 19 : dans le romain et l’italique de Geoffroy Tory, Le champfleury, 1549. Si dans l’espace de la page, les calligraphes jouent avec une certaine libert´ les prolongations e des deux brins libres de la boucle crois´e, il n’en est pas de mˆme pour les typographes e e contraints aux limites du plomb. Avec l’informatique, les exceptions deviennent de plus en plus nombreuses. Ce qui etait un jeu de pr´dile ion pour les Van Kimpen ou les Louis ´ e Ion, nostalgiques du xvie , devient aujourd’hui une d´monstration brillante de virtuosit´, e e par exemple dans le Messager ou le Capitol, cr´ations r´centes de Fran¸ois Boltana [16, e e c 17].
  • 15. Nœuds esperluettes 57 Document 20 : Les hymnes de Ronsard, Paris, Wechel, 1555. Phase V : le «et» commercial aux xix et xxe si`cles e (voir 3e conclusion) Dans l’´volution du romain les traces calligraphiques s’estompent. Le cara ere d’imprime- e ` rie, prenant mod`le sur lui-mˆme et se recopiant, passe par une s´rie de raffinements suc- e e e cessifs jusqu’` ce que les Didot ou les Bodoni pr´sentent des d´li´s extrˆmement fins (va- a e e e e loris´s par les papiers velins) et contrastant au maximum avec les pleins. Depuis le xviiie si`cle e e la cursivit´ s’att´nue et les italiques sont de plus en plus des romains pench´s qui ne contrastent, e e e eux, plus assez avec les romains. Les cursives mettent dans le plomb – non sans difficult´s e – les usuels de la calligraphie, particuli`rement l’anglaise. e Document 21 : American Wood type : 1828–1900, cara eres d’affiche. `
  • 16. 58 G´rard Blanchard e Les cara eres Didot gras apparaissent pour satisfaire aux besoins de la publicit´. La litho- ` e graphie apporte d’immenses facilit´s par rapport a la gamme sur cuivre. On dessine sur e ` pierre des lettres tr`s compliqu´es, ombr´es, hachur´es, filet´es, orn´es, etc. On reproduit e e e e e e sans les comprendre les lettrines en couleurs des manuscrits, mais on simplifie aussi : ap- paraissent les m´canes (dites « egyptiennes ») et les cara eres bˆtons. L’esperluette ne sert e ´ ` a pratiquement plus que pour typographier « Cie». Tschichold les rejette avec les carac- t`res «sauvages» des styles fin de si`cle (Vi orien anglais ou Nord-am´ricain), ce qui n’em- e e e pˆche pas de magnifiques dessinateurs (comme F. Goudy), de reconstituer avec maestria e les principaux types du «Mus´e imaginaire de la typographie ». Avec les cara eres bˆtons e ` a (ultra simplifi´ et ultra moderne) la boucle crois´e, dans les «banlieues de la typographie», e e atteint sa dimension d’´pure, uniforme et fon ionnelle (?), aux antipodes des raffin´es e e de l’histoire. Pendant ce temps, retour du refoul´, les «tags» et les «graphs» fleurissent sur e nos murs [18] comme un pressant rappel a une «culture» calligraphique. ` Document 22 5 Bibliographie [1] «Ian Tschichold parle de typographie», Communication et langages, no 63. [2] Ian Tschichold, Formen Wandlungen der Etzeichen – a paraˆtre en fran¸ais dans une ` ı c tradu ion de Ren´ Grasset. e [3] J´rˆ me Peignot : «Petit trait´ de la ligature» in Communication et langages, no 73. eo e [4] Catalogue de l’exposition «Nœuds ligatures» FNAGP, Paris, 1983. [5] G. Blanchard, S´miologie de la typographie, 1982, aux editions Riguil internatio- e ´ nales, Qu´bec. e 5. On trouvera dans ce Cahier, et notamment dans l’article de Ren´ Ponot, d’autres esperluettes tir´es, e e comme celles-ci, de [2].
  • 17. Nœuds esperluettes 59 [6] Francis Thibaudeau, La lettre d’imprimerie, tome 1, Paris, 1921. [7] B´atrice Fraenkel, La signature, Gallimard, 1992. e [8] Guy Bechtel, Gutenberg, Fayard, 1992. [9] Bateson, Birdwhistell, Goffman, Hall, Jackson, Scheflen, Sigman, Watzlawick, La nouvelle communication, Ed. Seuil, 1981. [10] Jean Mallon, De l’´criture, Ed. CNRS, 1982. e [11] J. Bourgoin, Grammaire el´mentaire de l’ornement, Delagrave, 1980, reproduit dans ´e la colle ion «Les introuvables». [12] Nicolette Gray, Lettring as drawing : Tome 1 – The moving line. Tome 2 – Contour and Silhouette, Oxford paperbacks, 1970 (uniquement sur la lettre manuscrite). [13] J.B. Palatino, Le livre d’´criture, traduit par J. Muteville dans la revue La France e graphique, 1950. [14] Three classics of italian calligraphy reprint, Dover, 1953. [15] L’art de l’´criture, dans les recueils de planches de l’Encyclop´die – fac-simil´s nombreux– e e e en France depuis celui du Club des libraires associ´s, en 1964. e [16] « Fran¸ois Boltana et la calligraphie informatique », in Communication et Langages c no 85, 1990. [17] Fran¸ois Boltana, «Ligatures calligraphie assist´e par ordinateur», Cahier GUTenberg c e no 22 (ce cahier), 107–124. [18] Voir le film de Beinex : «IP 5» (1992) et l’article qui leur est consacr´ dans : Commu- e nication et Langages no 85.