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Pierre-Louis Gatineau
                REP4D – TC10
            pierre.gatineau@free.fr



         Mémoire de fin d’études
               Le 12 mai 2009




Musique Numérique


   Sous la direction de Dominique Viandier
2
Sommaire


Sommaire ............................................................................................ 3



Introduction ......................................................................................... 5



I. L’industrie de la création musicale face aux innovations tec hnologiques .... 7

  1.1 Les rouages de la création musicale .................................................................... 7

    1.1.1 Les principaux acteurs de l’industrie ............................................................... 7

    1.1.2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs ...................................... 9

    1.1.3 Les principales sociétés de gestion des droits ................................................10

  1.2 L’impact des mutations technologiques sur le marché musical ............................11

    1.2.1 L’âge d’or de l’industrie du disque ...............................................................11

    1.2.2 L’émergence de la technologie numérique ...................................................13

    1.2.3 La demande d’un contenu numérisé ............................................................16

  1.3 La difficile adaptation de l’économie musicale à l’ère numérique ........................20

    1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en place ..................................20

    1.3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes ...............................................21

    1.3.3 Les stratégies de communication mises en œuvre .........................................23



II. Les nœuds d’une économie musicale sous tension ............................... 26

  2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension ............................................26

    2.1.1 Un business model dominant à bout de souffle ............................................26

    2.1.2 L’intervention classique du législateur génère la division ...............................30

    2.1.3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ? ...................................................34


                                                                                                                    3
2.2 Le rôle joué par la communication dans une crise de transition...........................37

     2.2.1 Chronologie des discours de communication ...............................................37

     2.2.2 Le Web, un nouveau canal d’expression ......................................................42



III. Des propositions de communication pour une économie musicale
« plurielle » ........................................................................................ 44

  3.1 La promotion de l’offre commerciale en ligne ....................................................45

     3.1.1 Etat des lieux de l’offre commerciale ............................................................45

     3.1.2 Promouvoir l’offre commerciale par la communication .................................46

  3.2 La promotion des offres alternatives : les offres « libres » ....................................48

     3.2.1 Etat des lieux de l’offre « libre » ....................................................................48

     3.2.2 Promouvoir l’offre de musique libre par la communication ...........................51


Conclusion ......................................................................................... 53



Remerciements ................................................................................... 54



Bibliographie ..................................................................................... 56



Annexes ............................................................................................. 57

  Annexe n°1..............................................................................................................57

  Annexe n°2..............................................................................................................61

  Annexe n°3..............................................................................................................64

  Annexe n°4..............................................................................................................67

  Annexe n°5..............................................................................................................68

  Annexe n°6..............................................................................................................69

  Annexe n°7..............................................................................................................72


                                                                                                                               4
Introduction



Les   années      90    ont   vu    apparaître       un   outil   novat eur    en    matière     de
télécommunication. A l’origine créé pour mettre en relation des aires
d’expertises comme l’armée et les universités, Internet va peu à peu donner
naissance à ce qui sera appelé le Wor ld Wide Web, un accès mondialisé à la
culture et à la connaissance. Très vite intégré par les early adopters 1, ce canal
dit de transmission et d’expertise va ouvrir le chemin vers un comportement
sociétal radicalement nouveau car dédouané des frontières et des contraintes
physiques. Puis se déploiera une véritable dynamique de la dématérialisation
de la connaissance et de la culture, générant un ensemble de réactions en
chaîne dont la fulgurante propagation va profondément modifier la nature
des échanges entres les individus.                   Avec la montée en puissance des
technologies de l’information et de la télécommunication, notre économie
bascule dans l’immatériel et la rév olution de l’économie numérique –
opportunités pour les uns, menaces pour d’autres – s’accompagne de
stratégie de conquête ou de défense. La confrontati on des « infocapitalistes
traditionnels » 2 et des « pronotaires »        3
                                                    décrite par Joël de Rosnay 4, va envahir
la scène délibérative publique où le législateur est sommé de produire de
nouvelles normes face à une tendance de fond en faveur de la gratuité qui
affecte les échanges de biens culturels : « Nous ne sommes plus seulement
dans une économie de marché, mais d’une économie avec marché, doublée
d’une économie de la « gratuité » 5 ».




1
   Du français « adopteurs précoces », terme sociologique qui désigne un groupe d’individus jugés « à
l’affut » des nouveautés.
2
   Détenteurs des moyens de création, de production et de diffusion de contenus informationnels dits
“propriétaires”.
3
  Usagers des réseaux numériques .
4
  ROSNAY, Joël, « La révolte du pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons
 http://www.pronetaire.com/livre/
5
  LEVY, Maurice & Jean-Pierre Jouyet, « L’économie de l’immatériel »,
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000880/0000.pdf


                                                                                                        5
L’industrie musicale se tourne vers l’Etat pour lui demander protection et met
en place des plans médias mobilisant les ressorts d’une communication
classique fondée sur le tripode : globalisation, dramatisation, simplification.
Dans   ce    contexte,   l’actualisation   des    dispositifs   de   lutte   contre    le
téléchargement     illégal est   présentée   comme la réponse efficace à la
dynamisation de la création musicale française dans l’économie numérique.


Dès lors, entrés dans ces terres nouvelles et pleines de turbulences, les
acteurs de l’écosystème de l’immatériel musical sont face s à la problématique
suivante :
« Comment     la   communication      peut-elle    accompagner       l’évolution      des
pratiques de diffusion et de consommation des œuvres musicales à l’heure du
développement d’Internet tandis que l’industrie musicale paraît empêtré e
dans un modèle commercial en crise ? »


L’étude de cette problématique va se dérouler selon trois phases :
- Premièrement, nous procèderons à l’état des lieux de l’industrie de la
création musicale face aux innovations technologiques ;
- Deuxièmement, nous nous attacherons à l’exploration des nœuds de cette
économie musicale sous tension ;
- Enfin, nous tenterons de dégager des propositions de communication pour
une nouvelle économie musicale « plurielle ».




                                                                                            6
I- L’industrie de la création musicale face aux innovations technolog iques.


Pour saisir toute la complexité de la relation entre la création musicale et sa
consommation, il est nécessaire de                  comprendre le fonctionnement de
l’industrie créative et ses interrelations entre son public et son environnement.
Façonné par une histoire riche en événements, le business model de
l’industrie de la création musicale a connu de grands succès mais aussi de
rudes épreuves. A l’heure actuelle de profondes tensions sont manifestes dès
que le sujet de la création musicale est abordé dans le débat public. La
compréhension de ce débat nous conduit à repérer les rouages de la création
musicale, puis à mesurer l’impact des mutations technologiques sur le marché
musical et enfin à montrer la difficile adaptation de l’économie musicale à
l’ère numérique.




     1.1      Les rouages de la création musicale


           1.1.1 Les principaux acteurs de l’industrie


L’univers de l’industrie musicale s’apparente à celui de la publicité : d’un côté
les créatifs, de l’autre les commerciaux. Pour comprendre le fonctionnement
de    l’industrie      musicale,    il   faut   donc     identifier   ses   acteurs   et   leurs
interrelations. Les fonctions de ces acteurs impliqués dans la chaîne de
création musicale peuvent être tantôt assurées de façon distincte tantôt de
façon cumulée pour partie ou totalité . Elles se présentent comme suit :


L’artiste (auteur, compositeur, interprète) - L’Unesco propose une définition
ouverte et de référence de l’artiste :
« On entend par artiste tout personne qui crée ou participe par son
interprétation à la création ou à la recré ation d'œuvres d'art, qui considère sa
création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue
au développement de l'art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à


                                                                                                   7
être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit liée ou non par une relation de
travail ou d'association quelconque. »
En d’autres termes, l’artiste crée, partage et vit de son art.


Le producteur (record producer) - La gestion de l’enregistrement sonore de
l’œuvre est la mission du producteur. Il peut faire appel à plusieurs
contributeurs (ingénieur son, réalisateur artistique, etc.) qui épaulent l’artiste
lors de l’enregistrement de son œuvre. « Le travail d’orfèvre » réalisé, les
premières maquettes sont créées. L’enregistrement peut -être géré par un
prestataire indépendant mais il est généralement assuré par le label.


Le Label (executive producer) - Peu importe la taille de sa structure, qu’il soit
indépendant ou qu’il appartienne à un collectif, un Label est avant tout un
éditeur dont la vocation est de rendre ac cessible la nouvelle création. Après
avoir passé un contrat avec l’artiste (Cf. contrats d’artistes), le label prendra
en charge le pressage des albums (copies), la promotion de l’œuvre
(marketing & communication), et sa distribution. En fonction du contra t, c’est
au Label que revient la décision du nombre d’album s à enregistrer, le choix
du réalisateur artistique, les tournées à effectuer, etc. Le label peut céder,
contre rétribution, l’artiste et sa production à une major.


La major – Lorsque l’on évoque habituellement les « majors » on désigne les
quatre grandes maisons de disques qui se partagent près de 75 % du marché
mondial de l’industrie du disque : Universal Music Group, Sony-BMG, EMI
Group et Warner Music Group. Une major est un label comme les aut res. Elle
peut signer directement avec un artiste mais aussi, contrôler d’autres la bels
(devenant alors des « sous-labels »). Une major prend de plus grands risques
qu’un label classique car elle a la capacité d’injecter des sommes d’argent
plus importantes dans la promotion de l’artiste (marketing et communication)
et ses capacités de production (pressage de disques) sont plus grandes et
donc plus rentables que celles d’un label classique. Une major assure
généralement la production de l’œuvre, sa promotio n et sa distribution.


                                                                                     8
Le circuit de distribution - Les distributeurs assurent la vente en gros du
support physique et numérique des œuvres aux détaillants : grandes surfaces
alimentaires (GSA), grandes surfaces spécialisées (GSS) et circuits alternatifs
(Internet, vente à distance, etc.).




       1.1.2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs


       Nous distinguons généralement quatre types de contrats :

Le contrat d'artiste - Le contrat d'artiste lie l'artiste à son producteur. C'est généralement
ce que les maisons de disques ou les labels proposent. Ils prennent en charge la
production, la fabrication, la promotion et la distribution. L'artiste interprète est rémunéré
sous forme de royalties (entre 5 et 10%) calculées sur les ventes de disques. Le
producteur reste propriétaire des bandes.

Le contrat de licence - Le contrat de licence lie un producteur à un éditeur ou un
distributeur. Ceux-ci financent la fabrication, la promotion et la distribution sur une
période déterminée. Le producteur finance, bien sûr, la production et rémunère les
artistes. Il perçoit entre 20 et 25 % de royalties sur les ventes.

Le contrat de distribution - Le contrat de distribution lie le producteur à une société de
distribution. Celle-ci se charge de la mise en place des disques en magasin moyennant
une commission d'environ 40%. La rémunération de l'artiste et la promotion sont à la
charge du producteur.

Le contrat d'édition - Le contrat d'édition lie l'auteur/compositeur à un éditeur. Les
éditeurs ont pour fonction de faire " travailler " les œuvres : recherche d'un interprète,
d'un contrat, placement, compilations, synchro… Leurs sources de revenus sont les droits
d'auteurs que leur cèdent les auteurs/compositeurs à hauteur de 50% et qui leurs sont
reversés par la SACEM.




                                                                                                 9
Il peut exister des interactions entre ces différents types de contrats. Dans le cas d’un
contrat d'artiste signé avec un label, celui-ci aura sûrement de son côté signé un contrat
de distribution ou de licence. Les contrats étant négociables par nature, il n'existe donc
pas de réel contrat type.




       1.1.3 Les principales sociétés de gestion des droits (SPRD)


En France, les principaux organismes de collecte et de rémunération des artistes
concernés sont les suivants :

SDRM - Société pour l’Administration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs,
compositeurs et éditeurs. Créée en 1935, la SDRM a pour objet d’autoriser la
reproduction mécanique des œuvres des auteurs, compositeurs et éditeurs sur supports
phonographiques, vidéographiques ainsi que par les radios, et les télévisions..., de
percevoir et répartir les redevances correspondantes.

SACEM - Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. La Sacem a pour
vocation de protéger, représenter et servir les auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique ainsi que la création musicale. Elle compte 116 000 sociétaires dont 15 000
étrangers. Acteur innovant pour une gestion des droits efficace, elle a pour mission
essentielle de collecter les droits d’auteur et de les redistribuer. Forte d’un répertoire
majeur, elle le valorise en France et dans le monde et encourage ainsi la diversité
culturelle. En 2007 la SACEM a collecté près de 760 millions d’euros.

ADAMI - Administration des droits des artistes et musiciens interprètes. L’Adami gère les
droits de plus de 60 000 artistes-interprètes dont plus de 22 000 associés (comédiens,
chanteurs, musiciens, chefs d’orchestre, danseurs…) et consacre une partie des droits
perçus pour l’aide à la création, à la diffusion et à la formation. En 2007 l’ADAMI a
collecté près de 52 millions d’euros.




                                                                                             10
COPIE France - Crée en 1986, la société de perception de la rémunération pour la copie
privée audiovisuelle a pour mission de percevoir et de répartir entre ses associés la
rémunération pour la copie privée audiovisuelle. Cette perception est effectuée auprès
des fabricants et importateurs de supports d’enregistrement vierges (CD/DVD, et tout
autre support de données numérisables).




    1.2   L’impact des mutations technologiques sur le marché musical


Au commencement la musique était enregistrée sur un cylindre et devint
« transportable ». Puis, 10 ans plus tard, Columbia6 et Victor7 se partageaient le
marché de la musique enregistrée aux États-Unis. Mais face aux propriétés supérieures
du disque de Victor et de son lecteur, le Victrola, la société d’Edison ne survivra pas.
Dès lors, le marché va s’ouvrir et s’étendre, les coûts de production des disques et
lecteurs vont diminuer et l’industrie du phonograph8 va connaître sa première phase de
forte croissance (pour l’époque). Seulement voila, au cours de années 1920, la radio fait
son apparition aux Etats-Unis. Menacée par la diffusion gratuite de la musique sur les
ondes, l’industrie musicale va, pour la 1ère fois, exercer une pression sur les autorités
Américaines afin d’obtenir des radios qu’elles ne puissent pas diffuser de musique…
De nouveaux supports virent le jour, après le disque du phonograph vint le vinyle en 78
tours, puis en 33 tours. Des sociétés furent créées, d’autre détruites, telle que le veut la
règle du marché, jusqu’à dévoiler le monde de l’industrie musicale que nous
connaissons aujourd’hui, une industrie qui doit, à nouveau, faire face à son époque.




6
  Naissance du phonographe – cylindre – de Thomas Edison en 1877 développé par la société
Columbia Phonograph Company en 1888.
7
  Apparition du gramophone – disque – d’Emile Berliner produit par la Victor Talking Machine.
8
   Entendre ici le gramophone de Berliner, terme employé par les européens car les
Américains continuent d’utiliser le terme phonograph.


                                                                                                11
1.2.1 L’âge d’or de l’industrie du disque


Nous sommes en France, en 1970, le v inyle (78 et 33 tours) connaît une forte
ascension. Ses ventes en volumes atteignent un pic de près de 80 million s
d’unités 1980 avant d’entamer une chute vertigineuse jusqu’à la (quasi)
disparition du support dès 1992 .
Pour les experts, la chute des ventes de 1980 est liée à un contexte
économique défavorable, à l’essor d’autres loisirs concurrents (jeux vidéo), et
au système du 100% return permettant au revendeur final de renvoyer les
invendus aux éditeurs.
Mais pour l’industrie, la réponse vient d’ailleurs. La cassette audio qui connaît
une ascension plus modérée représente tout de même une révolution du
genre. Il devient possible de c opier la musique sur cassette (vinyle / radio vers
cassette) et l’écouter en mobilité grâce au walkman son lecteur. L’industrie
musicale fulmine contre la copie sur ca ssette jugée responsable de la baisse
des ventes.
Signalons que des études américaines indiqueront déjà que les utilisateurs de
cassette qui copiaient, achetaient aussi abondamment, constat que nous
retrouverons par la suite avec la copie numérique .
Mais c’est avant tout le CD qui va connaître une ascension fulgurante et,
jusque dans les années 2000, il est considéré comme le support le plus
populaire.




                                                                                     12
Il est intéressant de constater qu’entre la chute du vinyle et l’ascension du CD,
les ventes en volume d’albums ont connu une période de baisse entre 1982 et
1988. Cette chute des ventes s’explique sans difficulté par la nécessaire
réorganisation de l’industrie musicale qui prendra plusieurs années avant que
les ventes ne retrouvent leur niveau ant érieur pour ensuite, jusqu’en 2002,
connaître la plus forte ascension jamais vécue par l’industrie musicale : plus
de 160 millions d’unités vendues. Les années suivantes vont apporter au
support CD un rival de taille.




      1.2.2 L’émergence de la technologie numéri que


Révolution informatique oblige, la numérisation du contenu d’un support
physique     devient   possible   et   accessible   à   un   nombre    croissant     de
consommateurs. Couplé à une toute nouvelle technologie d’information,
d’échange, et de communication : Internet, la consommation des œuvres
musicales va prendre une autre tournure… Dans un premier temps nous
verrons l’émergence des nouvelles pratiques liées à l’apparition de la
technologie informatique puis, dans un second temps, celle s liées au
développement d’Internet.


L’ère de la numérisation


A partir des années 1990 les ménages commencent peu à peu à s’équiper. De
1996 à 2004, le taux d’équipement des ménages français en micro
ordinateurs triple passant de 15% à 45%.
Le   micro    ordinateur    devient    un   outil   professio nnel   puis   de     loisir
incontournable et en 2006, trouve sa place auprès d’un ménage sur deux.
L’engouement des jeunes pour cette nouvelle technologie est immédiat. Leur
demande, essentiellement en matière de jeux vidéo, propulse l’offre vers des
micros ordinateurs de plus en plus puissants pour un prix toujours plus
attractif. Le coût des graveurs de CD diminue jusqu’à équiper les ordinateurs


                                                                                            13
en série… Chez les jeunes, les échanges massifs de CD musicaux, copiés
depuis des originaux grâce au micro ordinateur familial, font florès dans les
collèges et lycées. Les ventes de baladeurs CD explosent. Peu de temps après,
Internet vient compléter ce qui sera à l’origine du « cauchemar » de l’industrie
du disque.




  Taux d’évolution d’équipement en informatique et accès à Internet des ménages français.
                                      Source : INSEE




L’avènement d’Internet


Jusqu’alors, l’impact de la numérisation était relativement faible sur les ventes
de disques. En parallèle, dans les an nées 1995, Internet devint accessible
pour les foyers aisés déjà équipés en informatique. Grâce à un modem
permettant de se connecter à Internet par les lignes téléphonique « le 56K »,
le 1 è r   protocole de chat apparaît : Internet Relay Chat (IRC) permis aux
internautes de créer des « cybers salons » de discussion. Grâce à ce système,
les internautes pouvaient communiquer entre eux mais aussi échanger des
fichiers. Les 1 e rs morceaux de musique numérisés puis compressés au format
de fichier MP3, commencent alors à circuler.




                                                                                            14
Par la suite apparaîtra NAPSTER, le 1 e r logiciel de partage de fichiers basé sur
le principe du pair-à-pair 9, créé en 1999 par Shawn Fanning un adolescent
américain. Rapidement poursuivi par l’industrie musicale, NAPSTER dut fermer
(par la suite NAPSTER sera racheté et offrira un service payant). Dans le
même temps, des clones de NAPSTER tels que GNUTELLA, KAZAA, EMULE,
BITTORENT, développés aux quatre coins du monde, toujours plus puissant s,
plus rapides, attirent un nombre grandissant d’adeptes. Une nouvelle
génération d’échange va naître. Chaque internaute apportant son lot de
données numériques, une bibliothèque musicale colossale mutualisée va
apparaître sur la toile. Une offre inégalable donnant accès, en quelques clics
et gratuitement, à des dizaines de millions d’album s, de remix et autres
compositions quasi introuvables dans le commerce. Un tout nouveau circuit de
distribution, le plus attractif au monde, voit le jour sur le Net. Selon
l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI) en janvier 2004,
le nombre de fichiers musicaux disponibles sur les réseaux P2P est estimé à
800 millions 10.




        Réseau type « pair-à-pair »                           Réseau type « client-serveur »


                                           Source : Wikipédia



9
  Peer to Peer en anglais (P2P) : Modèle de réseau informatique qui s’oppose strictement au modèle de
réseau type « client-serveur ». Les internautes mettent en partage des fichiers préalablement stockés sur
leurs ordinateurs. Ces fichiers deviennent accessibles à tous ceux qui disposent d’un logiciel permettant de
se connecter à un réseau P2P.
10
   Les données étant mutualisées, il peut y avoir plusieurs copies d’un même fichier.


                                                                                                               15
Dès 2003, Internet devient accessible à tous pour une trentaine d’euros par
mois. Dès lors, l’échange non autorisé d’œuvres protégées par droits
d’auteurs et droits voisins devient pratique courante pour plusieurs millions
d’internautes français. A ce moment précis, la chute des ventes de CD devint
palpable.




                        Source : Observatoire de la musique




En l’espace de 5 ans, les ventes de support CD vont chuter de 50% soit une
baisse de 140 millions d’unités à 70 millions d’unités en 2008. « 70 millions »
c’est le score qu’affichait le vinyle dans les année s 1980, presque 30 ans plus
tôt avant de s’effondrer. (N.b. Nous analyserons précisément le lien entre
l’accroissement des échanges pair à pair et la chute des ventes de CD dans la
partie II de ce mémoire).




                                                                                   16
1.2.3 La demande d’un contenu numérisé


A l’image du phonographe, du vinyle et de la K7, la disp arition du support
CD semble inéluctable. Dans une logique historique, on peut se demander
alors, quel sera le support physique qui viendra en remplacement ?
Probablement aucun, c’est en tout cas l’avis de Patrick Waelbroeck. Ce
dernier nous explique 11 que la dématérialisation du support des œuvres
musicales va profondément modifier la nature même de l’échange. L’arrivée
du numérique et d’Internet fait écho à une nouvelle demande de la part des
consommateurs, la demande pressante d’un produit numérisé, démat érialisé,
c'est-à-dire déconnecté de tout support physique, facilement transportable,
échangeable, un produit qui s’adapte à leur nouveau mode de vie. De là, de
nouvelles règles de jeu en matière de consommation des œuvres musicales
devraient apparaître.


Des pratiques qui évoluent de façon exponentielles


Si certains pouvaient    espérer acquérir et stocker des milliers d’albums sur
supports physiques, malgré le coût et l’encombrement lié s au stockage, la
bibliothèque   numérique     devient   désormais    accessible   à   tous.   De   fait,
l’internaute va pouvoir en quelques heures, disposer à distance des titres,
albums, discographies complètes d’artistes. Une fois téléchargées depuis P2P
puis stockées sur un disque dur ou baladeur multimédia, l’utilisateur peut
accéder instantanément à un volume plus considérable d’œuvres musicales
qu’il n’aurait jamais pu se procurer bien qu’il n’en fera jamais usage en
totalité.


Une tendance innovante se dégage : l’engouement pour le stockage semble
s’effacer au profit d’une nouvelle vision de l’instantané : le flux multimédias



11
   Cf. annexe n°2 p.61, interview de Patrick Waelbroeck, professeur associé à l’Ecole
Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST) .


                                                                                          17
continus 12. Les fichiers sont stockés sur de puissants serveurs et sur P2P et mis
à disposition directement sur la toile, les citoyens français, connectés à
Internet jusque dans la rue via leurs ordinateurs portabl es et téléphones
mobiles,      peuvent      accéder       à   un    contenu       sans     avoir    à    le   télécharger
préalablement. Il n’est dès lors plus utile de stocker des données puisque ces
dernières sont devenues accessibles immédiatement.


Economie Monde


Les frontières des réseaux P2P s’étendent bien au-delà de l’hexagone. Le
phénomène est mondial et c’est ce qui fait toute sa richesse en termes de
volume. Les données numériques stockées sur les ordinateurs des particuliers,
contribuant à alimenter les réseaux P2P, sont émiettées ça et là, elles le sont
aussi dans le cas des serveurs publics de stockage. Ces puissant s ordinateurs
hébergent 13 et mettent à disposition un contenu pourtant protégé par le droit
français, protection inapplicable lorsque ces serveurs sont localisés par
exemple en Corée, au Pakistan, etc.
Ainsi la mondialisation du phénomène vient accélérer un processus qui n’a
guère mis plus de 3 années à se mettre en place. La complexité portée par
delà les frontières n’a fait qu’accroître les difficultés de l’industrie face au
rôle grandissant joué par les internautes « pirates » sur l’aire de jeu de
l’économie réelle.


Des marchés dynamiques « boostés » par ces pratiques


Ces pratiques de consommation et d’échange des œuvres musicales ont
largement été soutenues par l’émergence de nouveaux marchés :

12
     Streaming en anglais. Les fichiers peuvent être stockés sur les ordinateurs des internautes (P2P) et sur
des serveurs (client-serveur). Le streaming permet d’accéder à un fichier (vidéo – musique – texte) sans
avoir à le télécharger entièrement. Une copie temporaire est cependant effectuée sur la machine de
l’utilisateur.
13
   Réseau de type « client-serveur » Les internautes transfèrent (upload) un fichier numérisé vers un serveur
de stockage. Le lien (adresse web) qui mène au fichier est généré, les internautes mettent à disposition ce
lien. Il ne reste plus qu’à cliquer dessus pour accéder au fichier transféré.


                                                                                                                18
- Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) tirent des bénéfices colossaux de ce
nouvel engouement pour les échanges sur le web. Bertrand Le Gendre nous
explique 14 la façon dont les FAI ont fait campagne, indirectement, pour
engranger tous les « bénéfices » de leurs offres en matière de connexion s
Internet toujours plus rapides et performante s, offrant des possibilités infinies
en matière d’accès aux œuvres musicales sur Internet (via la seule offre en
ligne à l’époque, le P2P).
- Le marché des supports de stockage (disque dur, CD/DVD vierges, clefs
USB, etc.) et celui des lecteurs multimédia (Ipod, Archos, etc.) connaissent une
progression fulgurante.




- Les opérateurs de téléphonie mobile proposent le téléchargement de
sonnerie, l’accès aux forfaits pour télécharger des titres musicaux de façon
illimitée       transformant       les    téléphones       mobiles      en    lecteur     multimédia.
Aujourd’hui, grâce à une connexion illimité e à Internet depuis son mobile,
l’utilisateur peut écouter gratuitement de la musique en ligne via des
plateformes Internet basées sur le flux streaming offrant un accès instantané
aux catalogues complets des 4 grandes majors, soit plus d’une dizaine de
millions de titres.


- Le marché publicitaire est lui aussi fortement dyn amisé. Les plateformes de
streaming comme Deezer rétribuent des droits d’auteurs aux organismes de


14
     Cf. annexe n°3 p.64, interview de Bertrand Le Gendre Chroniqueur Editorialiste au Monde



                                                                                                        19
collecte. L’accès aux œuvres étant donc légal et gratuit pour l’internaute,
Deezer trouve son financement grâce à la publicité.




   1.3   La difficile adaptation de l’économie musicale à l’ère numérique


      1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en place


Face à cette demande de musique dématérialisée, accessible immédiatement
à moindre coût (voire nul) l’industrie du disque (les 4 grandes majors et les
labels indépendants), qui avait – pendant des décennies – tiré des profits
colossaux grâce au support physique, semble déstabilisée et se heurter à la
difficulté d’appréhender un avenir maîtrisable de la consommation . La
dépréciation du support CD, fondement du busi ness model de l’industrie
depuis plus de 20 ans, associée aux échanges massifs et « sauvages » des
œuvres protégées ne tardera pas à remettre en question son organisation.
Cependant, on constate depuis 2004 l’émergence d’une offre commerciale
sur Internet. Trop timide pour compenser la chute du CD, cette offre s’est
enrichie au fil des années pour proposer des ventes à la carte et abonnements
sur Internet (42% des ventes) et téléphonie mobile (58% des ventes).




     Taux d’évolution de l’offre commerciale phy sique et en ligne du marché musical
             Source : SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique)



                                                                                       20
Un cadre juridique « inadapté » ?


Longtemps protégés par le système des droits d’auteurs et des droits voisins,
les acteurs de l’industrie musicale se sont rapidement employés à obtenir des
ajustements juridiques pour se protéger de la « menace numérique ».
Estimant que le développement des pratiques de consommation porte atteinte
aux droits des auteurs et complique la mise en place d’une offre commerciale
en ligne, le législateur français s’est engagé dans la voie « hasardeuse » de la
construction d’un arsenal juridique complexe. Au préalable nous examinerons
en quoi consiste le régime juridique actuel puis nous décrirons les évolutions
annoncées faisant débat.




      1.3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes


Les droits d’auteurs et droits voisins


- La Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique est
le texte fondamental régissant les droits d’auteur s en France. Toute œuvre
intellectuelle appartient à un auteur qui peut choisir souverainement de sa
diffusion pendant un temps donné.
- La loi n°85-660 du 3 juillet 1985 est relative aux droits dits voisins des
droits d’auteurs. Les artistes interprètes jouissent à présent d’un droit ex clusif
qui leur donne la possibilité        d’autoriser ou   d’interdire l’utilisation   et
l’exploitation de leur prestation et de prétendre à une rémunération en
contrepartie de leur autorisation.


Les droits d'auteurs et les droits voisins sont protégés pénalement : toute
reproduction ou représentation d'une œuvre sans l'autorisation de son auteur
est un délit spécifique de la contrefaçon, punie de trois ans de prison et
300.000 euros d'amende. La loi prévoit cependant plusieurs exceptions à ce
principe, notamment le droit à la copie privée.


                                                                                       21
Le droit d’exception à la copie privée.


La copie privée est une exception au droit d'auteur français. L'exception de
copie privée autorise une personne à reproduire une œuvre de l'esprit pour
son usage privé. L'usage privé implique l'utilisation de la ou des copies dans
le cercle privé, notion incluant la famille et les proches. C’est par exemple,
faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte
d'abîmer ou de se faire voler l'original. Le droit à la copie privée suppose le
paiement d’une taxe sur l’achat de tous les consommables et appareils
permettant de stocker des données numériques (CD/DVD vierge, clés usb,
mémoire flash, disque dur etc…). Cette taxe est redistribuée au profit des
ayants droits par les organismes spécialisés.


Les dernières initiatives du législateur


Incité par les puissants lobbys de l’industrie musicale à légiférer dans la
régulation des échanges non autorisés sur Internet, l’Etat décide d’adopter
dans l’urgence des mesures destiné es à condamner les échanges illégaux via
P2P.
Le 1 e r août 2006 est votée la loi DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans
la Société de l’Information) à la suite de débats virulents. Destinée à protéger
les droits des artistes, cette loi condamne, au t itre de contrefaçon, toute
personne qui met à disposition et télécharge via logiciel P2P, un contenu
protégé par des droits d’auteurs. A cette époque, près de 9 millions
d’internautes   français   sont   recensés   au   titre   de   « pirates ».   Devant
l’impossibilité d’appliquer la–dite sanction, la chancellerie adressera au
parquet une circulaire pour inviter les juges à l'indulgence, c'est -à-dire, ne
pas appliquer la loi.
Bien décidé à sauvegarder le business model de l’industrie musicale, le
législateur poursuit ses actions répressives en vue d’endiguer tout ou partie
des échanges P2P, considérés comme des actes de « vols à l’étalage ». C’est
ainsi que le 23 novembre 2007, le Président de la république, Nicolas


                                                                                       22
Sarkozy, confie à Denis Olivenne (à l’époque PDG de la FNAC) la mission 15
de lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres
légales d’œuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques. Le projet
de loi « Création et Internet » dit HADOPI voit le jour. Après avoir été voté par
le sénat le 31 octobre 2008 en commission mixte paritaire, le texte est rejeté
à l’assemblée nationale. Il est représenté le 12 mai 2009. Ce texte de loi
garantit une alternative « pédagogique » à la loi DADVSI, en donnant pouvoir
à une autorité administrative indépendante de contrôler les échanges illégaux
sur Internet et de sanctionner les contrevenant s dans une logique dite « de
riposte graduée » : envoi de mails de mise en garde puis d’un courrier
recommandé annonçant une possible coupure de l’accès à Interne t allant de
2 mois à 1 an si le « pirate » ne cesse pas son activité illégale. Cette loi doit
compléter le dispositif précèdent (DADVSI).




        1.3.3 Les stratégies de communication mises en œuvre


Le débat public ainsi ouvert par la recherche de nouvelles réponses
législatives met en évidence des stratégies de communication qui globalement
s’inscrivent dans une continuité de discours et de pratiques. Pourtant,
l’apparition      de   nouveaux        modes      de    communication,          véritables     canaux
d’expression portés par Internet, vient accroître la diversité des acteurs du
débat public.


L’industrie communique


Déjà en 1980, alors que la K7 permettait de réaliser des copies privées,
l’industrie musicale avait réagit, soutenant la thèse dommageable de la copie
sur la santé du secteur musical. C’est ainsi que la première campagne de


15
    Ministère de la culture et de la communication, « le développement et la protection des œuvres
culturelles sur les nouveaux réseaux, novembre 2007, http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-
olivennes231107.htm


                                                                                                            23
sensibilisation en direction du public est menée aux Etats -Unis par la
Recording Industry Association of America (RIAA) sous le slogan « Home
Taping Is Killing Music » (« les copies sur cassettes tuent la musiqu e »). Dès
cet     instant,    l’industrie     revendique       une    taxe    sur       les   supports   vierge
d’enregistrement.
Aujourd’hui en France, l’histoire se répète. Voyant chuter les ventes de sa
meilleure source de revenu, le support CD, l’industrie du disque s’est
empressée de fustiger les réseaux P2P et leurs adeptes.
Des nombreuses campagnes 16 de communication média ont été réalisées,
diffusées en affichage, presse, sur les écrans de télévisons et de cinéma. Elles
relayent un message répressif en assimilant le téléchargement illégal à du vol
à l’étalage qui expose le contrevenant aux peines réprimant le délit de
contrefaçon.


L’Etat soutient l’industrie


Dans le même temps, le législateur prend lui aussi position en légiférant
contre le téléchargement illégal (DADVSI) Mais ce n’est qu’avec le projet de
loi « Internet et Création » que le gouvernement va mettre en œuvre un plan
de communication visant à obtenir l’appui de l’opinion en recourant au Web
avec la création du site « jaimelesartistes.fr ». Observons qu’entre la dernière
campagne présidentielle française et l’entrée à la maison blanche de Barak
Obama, le Web a très largement prouvé qu’il était devenu un outil innovant,
incontournable dans une campagne de communication politique.
Représenté par la ministre de la cultur e et de la communication Christine
Albanel, le gouvernement relaye le message à travers la presse, la radio , les
émissions de TV. Ce message y est plus modéré que DADVSI mais reste
considéré comme un axe répressif à l’encontre de celui qui est toujours
déclaré « pirate » aux yeux du monde.



16
     Cf. annexe n°6 p.70, « visuels des campagnes de communication média ».



                                                                                                        24
Internet et le « marché des opinions »


Il suffit de taper « HADOPI » « Création et Internet » sur Google pour prendre la
température du web. N’est-elle pas devenue une immense place publique, cette toile sur
laquelle chaque nœud est un socle regroupant un groupe d’opinions ? Des opinions
solidement étayées aux assertions incantatoires, les débats se répètent sur l’ensemble des
grands sites d’informations des quotidiens nationaux (Le monde, Libération, Les échos
etc.), des   sites d’information générale (Numerama, Pcinpact, commentçamarche,
lejournaldunet, etc.), des Blog et autres relais médias du Web français. Chaque nœud
connecté les uns aux autres, les opinions volent sur cette grande scène du débat
démocratique. Mais sur le Web 2.0, le ton du discours n’est clairement pas le même que
celui de l’industrie ni de l’Etat. En matière de réaction citoyenne, le buzz a très largement
été utilisé pour relayer les films, caricatures et autres créations des internautes : « Le CD
est mort, c’est à l’industrie de s’adapter ». Une réelle fracture apparaît désormais entre
l’industrie musicale et les consommateurs de la « planète numérique » où ces derniers
s’imposent de plus en plus comme des acteurs incontournables de l’économie réelle.


Ainsi, cette présentation de l’ensemble des acteurs, de leurs interrelations, des stratégies
de communication utilisées met en évidence le contexte dans lequel s’est développée la
redondance du discours dominant – provisoirement ? – apportant la répression pour
seule réponse au changement.
L’industrie musicale s’est façonnée un business model au fil du temps, connaissant tantôt
l’age d’or, tantôt des périodes de crise. Face à ces difficiles adaptations, ce business
model a systématiquement subi le comportement changeant des consommateurs sans
anticiper sur les effets prévisibles des mutations technologiques. L’ère de la numérisation
et d’Internet est un nouveau défi pour l’industrie. En privilégiant les mesures protectrices,
l’industrie épaulée par le législateur semble ignorer les leçons du passé. Aussi se trouve-
t-elle enfermée dans un système bloqué marqué par un décalage entre l’univers
communicationnel public et l’économie réelle !




                                                                                                25
II. Les nœuds d’une économie musicale sous tension


La consommation      numérique comme       nous   venons     de   le voir, secoue
l’économie musicale. Aussi, le moment est -il venu de repérer les nœuds qui
expliquent comment cette situation s’est cristallisée, ce qui va nous conduire
dans un premier temps à distinguer trois types de fact eurs explicatifs et dans
un deuxième temps, à approfondir le rôle joué par la communication dans
une crise qui ne pourrait être qu’une crise de transition.




   2.1   Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension


Le premier, d’ordre économique, s’intéresse au business model à bout de
souffle de l’industrie musicale.
Le second retient l’intervention classique du législateur source de division.
Le troisième d’ordre culturel portera sur l’affrontement de deux visions
sociétales : d’un côté une définition traditionnelle des échanges culturels
impliquant un coût pour le consommateur final, de l’autre les partisans d’un
monde où l’accès à la culture serait libre pour tous (gratuit pour le
consommateur final).




      2.1.1 Un business model dominant à bout de souffle


Le business model de l’industrie au service des 4 grandes majors, (se
partageant 75% du marché musical mondial), se présente, nous l’avons vu,
comme un système d’une grande complexité. A cela s’ajoute qu’aujourd’hui il
paraît à bout de souffle, aussi le voit-on chercher à gagner du temps pour
poser les fondements d’un système concurrentiel actualisé et plus performant.
La situation de crise qu’il connaît s’explique par un double mouvement :



                                                                                    26
- Le premier selon lequel une poignée de genres musicaux dit « facile à
vendre » assure le gros des revenus nécessaires à la production des genres
plus difficiles. Grâce à une mécanique « bien huilée » de promotion marketing
et distribution industrialisée à forte économie d’échelle, ces « vaches à lait
musicale », constituent la pierre angulaire du business model. Pour exemple
concret, les 2/3 de la programmation musicale des radios FM « jeunes » (Fun
Radio, NRJ, Skyrock, …) sont construit autour d’une quarantaine de titres !
C’est d’ailleurs et sans aucun doute le plus gran d reproche que l’internaute
peut faire à l’industrie du disque : industrialiser une création de plus en plus
déconnectée des attentes de son public. L’arrivée d’Internet court -circuite
cette vision à sens unique de l’industrie musicale. Dégagé de l’influen ce des
médias traditionnels (radio TV), l’internaute peu t désormais occulter les effets
du « star system ».
- Le second est lié à la notion de support défini en première partie. Le process
économique de l’industrie est encore principalement tributaire de l’aspect
physique du support. Concrètement, si un ami vous emprunte un CD acheté
dans les bacs, vous ne pourrez plus vous en servir, idem si vous le perdez ou
s’il s’abîme. La numérisation du support a été la première épine de
l’industrie. Duplicable à l’infini, le « produit culturel » une fois numérisé est
fatalement dépourvu de toutes ses variantes mercatiques : Packaging, coffret
collector, bonus… Ce qui, jadis, faisait toute la valeur du support physique
s’est « dématérialisé ».


Une crise oui, mais pas celle que l’on pense


« La crise ? Quelle crise ? » Pour l’association de consommateur « UFC Que
Choisir », si l’industrie du disque traverse effectivement quelques turbulences ,
elle est loin d’être condamnée. C’est en tout cas ce qu’attestent les résultat s
d’une des majors Universal Music France. Pour l’instant le secteur musical
affirme que les revenus de l’offre légale sur Internet ne parviennent pas à
équilibrer les pertes sur les ventes du CD. Mais elle oublie de préciser que les



                                                                                    27
coûts de production et de distribution des œuvres numériques sont nettement
moins importants.




                                      (en millions d’euros)



Finalement, la situation serait même relativement simple. Le CD devient
obsolète, l’industrie élargit – tardivement – son offre vers des modèles
économiques alternatifs (offre légale sur Internet). Le temps de leur mise en
marche, ces nouveaux modèles ne constituent pas encore une rente de
situation aussi forte que celle du CD mais l’avenir de ce modèle al ternatif est
inéluctable.
Tera Consultants Equancy & Co tente de démontrer l’impact négatif du
téléchargement illégal via P2P sur la vente de CD. Dans son rappor t 17 ce
cabinet d’étude comptabilise la somme totale des                         « pertes »    liées   au
téléchargement illégal qu’il considère comme un manque à gagner pour
l’industrie.    Pourtant     des    sondages       reflètent    une     tendance      évidente :
L’internaute n’aurait jamais pu acheter tout ce qu’il télécharge illégalement.


Les artistes sont-ils en danger ?


Qu’en est-il de l’artiste ? Si l’industrie des majors et des labels indépen dants
traverse les turbulences d’une réorganisation, celle -ci a un impact différé sur
les artistes. Ne touchant pratiquement rien ( 5 à 10%) sur les ventes de CD,
l’artiste perçoit l’essentiel de ses revenus par l’intermédiaire des organismes
de rémunération (SPRD) où il est référencé.



17
  Tera Consultants Equancy & Co « Rapport Hadopi - Impact économique de la copie illégale des biens
numérisés en France », novembre 2008, http://www.guim.fr/blog/files/Equancy-Tera-Rapport_Hadopi.pdf


                                                                                                      28
Malgré les discours alarmistes de ces organismes, leurs revenus ne semblent
pas menacés par ce contexte perturbé. C’est du moins la conclusion que l’on
peut tirer au vu des sommes perçues par la SACEM, revenus qui, somme
toute, demeurent le meilleur indicateur de santé financière des auteurs
compositeurs.




                                 Source : SACEM



A la vue de cette analyse d’UFC Que Choisir, le SNEP réagit vigoureusement
en rappelant que la SACEM ne rémunère qu’une partie des acteurs de la
création   (auteurs   compositeurs).   En   effet,   ce   sont   surtout   les   artistes
interprètes qui sont le plus touchés. Rémunérés par l’ADAMI, leur source
principale de revenus provient des ventes de CD. L’artiste interprète est donc
touché de plein fouet par la crise du su pport. Pire, l’artiste interprète ne
touche rien des ventes en ligne. Le SNEP semble donc apporter les précisions
nécessaires à une plus juste information. Quand on sait que les maisons
d’édition perçoivent 40 à 50 % sur la vente d’un CD, près de 60% sur les
ventes en ligne et rédigent les contrats des artistes, beaucoup se demande nt
alors pourquoi l’artiste interprète ne touche rien des ventes en ligne ?




                                                                                            29
Bien que certains déplorent le manque d’honnêteté des labels et majors, il
faut admettre que ces acteurs sont difficilement contournables. Ainsi, bien que
l’artiste plus ou moins célèbre déjà produit semble à l’abri, on ne peut pas en
dire de même pour tous ceux qui souhaiteraient le devenir. Dans ce contexte
de déstabilisation, l’industrie prendra moins de risque à produire des
nouveaux talents surtout si ceux-ci sont dits de genre difficile. Il en est de
même pour la conservation de leurs contrats. Plutôt que de parler d’une
baisse des revenus des artistes, il vau drait mieux évoquer ce qui apparaît en
réalité être une baisse « à l’embauche ».




                                     Source : SNEP




      2.1.2 L’intervention classique du législateur génère la division


                         « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante »
                                                                            Montesquieu


Si l’industrie admet une nécessaire évolution de son business model, elle reste campée
sur sa position en dénonçant ces « fauteurs de désordres économiques », les « pirates »
qui s’adonnent librement à ce qu’elle considère être du « vol à l’étalage ». Et c’est ainsi



                                                                                              30
qu’une partie du monde musical sollicite la protection du législateur. Mais les
actions      du    législateur    censées      protéger   la    création     ne     semblent       pas
convaincre tous ces acteurs. Dans la classe politique et celle d’artistes
médiatisés ou non, la division règne. Et plus le débat public se poursuit,
s’intensifie, et plus les opposants au texte « Création et Internet » s’organisent
autour d’une autre démarche : la « Contribution Créative »


« Création et Internet » versus « Contribution Collective »


Convaincu par le discours alarmiste du puissant lobby et d’u ne poignée
d’artistes        de   renom      illustrant    « l’exception     culturelle française         »    le
gouvernement français s’est empressé de légiférer.
A la demande du Président de la république, la mission Olivenne est chargée
de fournir un état des lieux de la création mus icale et des effets néfastes du
téléchargement         illégal.   Reprenant      le   concept    militaire    dit    de   « riposte
graduée », Dennis Olivenne à l’époque PDG de la FNAC se trouve investit de
la préparation du projet de loi « Création et Internet » présenté comme
« pédagogique ». Pédagogique en effet car à la différence de son ancêtre
DADVSI jugée inapplicable car ultra répressive (délit de contrefaçon) la
proposition de loi « Création et Internet » se définit comme un processus de
mise en garde avant la sanction. En co nférant à une Haute Autorité
Indépendante dite HADOPI le pouvoir de contrôler les échanges sur les
réseaux P2P, le projet de loi prévoit que soit envoyé e une série de signaux
forts à l’internaute qui se trouverait en situation irrégulière. Si l’internaute ne
prend pas acte des avertissements, il verra son abonnement suspendu pour
une durée de 2 à 12 mois tout en continuant le pai ement de ce dernier. Loin
d’annuler les peines encourues par la loi DADVSI, la loi dite HADOPI viendra
s’y ajouter.
Les défenseurs de la loi – créateurs et élus de gauche comme de droite –
attendent avec impatience son adoption et son application. Convaincus que
son aspect pédagogique dissuadera une partie des « pirates », les acteurs de
la création musicale pro-HADOPI partagent cette impatience à l’idée que


                                                                                                         31
leurs droits (d’auteurs) seront enfin à l’abri des « sauvages qui pillent leur
travail ».     Selon         eux,   une     fois     dissuadé,       l’internaute        se    tournera
automatiquement vers l’offre légale. Sur ce point, Patrick Walbroeck nous fait
part de sa méfiance 18 en rappelant que la musique est avant tout un bien de
consommation qui peut se substituer à d’autres loisirs comme les jeux vidéo
par exemple.
Mais pour les pro-HADOPI c’est surtout le rêve qu’un jour Internet ne soit plus
« une jungle de sauvages » mais bel et bien « un havre de civisme ».
Ce projet de loi, loin de faire l’unanimité, sème donc la discorde au sein
même des partis politiques et des acteurs de la création musicale.


Ainsi, il rencontre une opposition qui s’appuie sur l’argum entaire suivant :


- Le texte n’apportera rien en termes de rémunération pour les artistes. En
effet aucun réajustement de la répartition des droits n’est prévu dans le texte
de loi. La création d’une offre légale sur Internet sera sans effet sur les
inégalités du système actuel. Tel est le propos 19 que nous avons recueilli de
Jean     Pelletier.     Il     déplore     que     les    revendications         de      l’ADAMI      ont
systématiquement été écartées lors des négociations visant à revisiter le statut
de     l’artiste   interprète       qui,   rappelons-le,        ne    touche      rien    des     ventes
commerciales en ligne.


- Un texte qui selon Bertrand Le Gendre, n’est ni plus ni moins la
concrétisation du fantasme de l’Etat visant à réguler un monde « sans foi ni
loi » où il n’a que très peu d’emprise. Ainsi ajoute t-il « (…) Ses concepteurs (de
la loi) sont convaincus que les usages culturels induits par Internet peuvent être
réglementés par l'Etat, comme à l'époque où André Malraux et Jack Lang régnaient sur la
culture française. Une illusion, bien sûr, un rêve d'énarque »20.

18
   Cf. annexe n°2, p.61, interview de Patrick Waelbroeck, professeur associé à l’Ecole Nationale Supérieure
des Télécommunications (ENST).
19
   Cf. annexe n°1, p.57, interview de Jean Pelletier, relations extérieures de l’ADAMI.
20
   LE GENDRE, Bertrand, « Olivennes, Albanel, Sacem ou la loi "création et Internet" » – Le Monde – 27
avril 2009.


                                                                                                              32
- Le texte est techniquement et juridiquement inapplicable:
       Techniquement, l’organisme indépendant chargé de « traquer » les
       « pirates » ne peut repérer ces derniers que grâce à leur adresse IP
       (Internet Protocol) une plaque d’immatriculation en quelque sorte. Or,
       l’adresse IP peut facilement être masquée (anonyme) ou « dérobée » à
       une tierce personne : Les connexions Wifi sont sécurisées mais des
       logiciels circulent sur le net pour « casser » les sécurités. Que ce soit
       pour l’anonymisation comme pour les clés Wifi, pas besoin d’être un
       internaute averti, n’importe quel adolescent connaît les techniques…
       Juridiquement car l’amendement 138 du Paquet Telecom 21 voté par le
       parlement européen déclare l’accès Internet comme étant un moyen
       essentiel à l'exercice de droits fondamentaux                    tels que la liberté
       d'expression et d'information ou encore la vie privée. Selon cet
       amendement, seule une autorité judiciaire peut priver un citoyen de ce
       droit.


Le texte relève d’une démarche que les opposants estiment pour la plupart
« liberticide et d’un autre âge ». Ils reprennent la thèse du complot en
accusant le législateur de « copiner » avec les majors sans prendre en
considération les vrais intérêts des artistes et de leur public.
Dès lors, comme réponse alternative au projet HA DOPI, les opposants
avancent     la   solution    dite   de   « Contribution      Collective »     appelée     aussi
« Licence Collective Etendue ». Cette variante de la « Licence Globale » doit
permettre selon ses concepteurs, d’échanger gratuitement les musiques entre
internautes moyennant une contribution forfaitaire, allant de 5 à 15 euros par
mois qui s’ajouterait aux abonnements FAI. En proposant une plateforme de
téléchargement, légale et standardisée, les opposants HADOPI sous -entendent
une révision du principe des droits d’auteur s qu’ils estiment inadapté à l’ère
numérique.

21
 Ensemble de dispositions proposées au Parlement européen visant à réformer certains mécanismes du
marché des télécommunications.


                                                                                                     33
La joute se poursuit avec les pro-HADOPI qui s’opposent à cette proposition
alternative en se fondant sur les arguments suivants :


      Outre sa difficile mise en place technique et son système « douteux » de
      rémunération des créateurs, ils estiment qu’il n’est pas juste de taxer
      ceux qui ne téléchargent pas illégalement. A cela les opposant HADOPI
      répliquent que la « taxe copie privée » décrétée par le gouvernement à
      l’initiative de l’industrie est imposé e à l’achat d’un outil de stockage
      quelque soit l’usage que l’on en fait…


      Mais ce projet cause surtout un grave préjudice à l’offre légale qui se développe
      sur le Net. En « légalisant » le téléchargement P2P, ce projet est une entrave au
      développement de l’offre légale en ligne.
      Les pro-HADOPI (principalement libéraux) dénoncent la « dérégulation »
      d’Internet et accusent leurs opposants (essentiellement de gauche) de
      soutenir ce phénomène pourtant contraire à leurs principes. Ces
      derniers répliquent en affichant le respect de leurs idéaux du fait qu’ils
      proposent de promouvoir l’accès à la culture et non de la ré duire à un
      produit économique dont les acteurs en libre concurrence se disputeront
      la distribution sur le net.


En réalité, le clivage est moins sur la ligne de partage des familles politiques
et des acteurs de la création que le reflet d'un conflit généra tionnel.




      2.1.3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ?


Avant tout une question de représentation de valeurs.




                                                                                          34
Pour les uns, Internet est un monde innovant, source d’information et/ou de
divertissement     pour   l’usage   privé,    d’une   utilité   avérée   pour   l’usa ge
professionnel et bien sûr, une source intarissable d’opportunités marchandes
et média. L’expérience des années permet à la génération – que l’on peut
qualifier d’« analogique » – d’analyser l’impact du Net sur les instances
traditionnelles    comme    les   médias     classiques   par   exemple    mais   aussi
l’économie, la créativité, l’aspect pratique de la vie de tous les jours (plus
besoin d’aller à la bibliothèque pour trouver des sources à un rapport !).
Tenir un blog, partager ses m émoires, ses expériences, retrouver d’anciens
camarades… Mais le web n’est pas leur vie et ils s’inquiètent de voir les
nouvelles « générations numériques », parfois distendre le lien avec le monde
réel, immerger leur esprit dans l’immatériel, qu’ils jugent illusoire et
éphémère… La façon dont les jeunes générations consomment les biens
culturels étonne les uns, scandalise les autres : jadis il fallait faire des
concessions pour pouvoir s’offrir un album de musique. Il y avait une notion
forte de valeur associée au plaisir de posséder le bie n culturel. Aujourd’hui
« les générations numériques » « consomment », « pillent » pour la plupart et
n’auraient plus conscience de la valeur des choses… De tels jugements
illustrent ce qui peut être considéré comme l’expression d’une fracture
générationnelle.


Pour les autres – cette génération numérique née à l’instar du Web – la vision
du monde a changé à bien des égards. Avec Internet c’est le rapport à la
réalité lui-même qui est modifié : la valeur physique d’un bien, loin de
s’effacer, subit de profondes mutations. La numérisation dématérialise. A
contrario du voleur qui dérobe et dépossède la victime de son bien,
l’internaute, vite affublé des termes « pirate » et « voleur », ne se sent
moralement coupable de rien. Bien au contraire…
Internet est plus qu’un outil, il constitue pour les plus passionnés « un
nouveau monde, le leur ». Les propos de Marshall MacLuhan s’illustrent ici à
merveille lorsqu’il fait allusion au village planétaire. C’est à travers un esprit
communautaire, dans une affiliation pl us ou moins forte, que la génération


                                                                                           35
numérique transite du monde réel au virtuel. Et pour eux, Internet est avant
tout construit sur le principe fédérateur du « partage ».


Des internautes créent des logiciels et des langages de programmation qu’ils
mettent gratuitement à disposition de « la communauté », des logiciels de
P2P,    de   copie     (films/musiques),    des    systèmes     d’exploitation     (Linux   vs
Windows) gratuits, souvent bien plus puissants et complexes que ceux
trouvables dans le commerce… Des internautes pas sionnés qui ont façonné
cette « Toile » que « les analogiques » apprécient tant.
Comment peut-on espérer « éduquer » une génération qui estime avoir réussi
là où d’autres ont échoué ? Peut-on comprendre ce qui anime une personne
qui achète un album puis le met en ligne à disposition de tous ?


La fin de l’ère analogique ?


Selon    Jean-Claude      Carrière.    «    Si    des   créateurs    souhaitent     partager
gratuitement leurs œuvres sur Internet, c’est leur choix mais pas le mien,
respectez cela » 22.
Cet argument de débat est sérieux. Et c’est bien pour cela que la situation est
actuellement bloquée. La chute des ventes physiques est principalement
imputable à l’ère numérique c’est un fait. Le lien avec les échanges P2P bien
qu’il ne soit pas clairement démontré être la raiso n de cette chute, fait partie
intégrante de l’impact lié à l’essor des nouvelles technologies.


Les droits d’auteurs vieillissent tout comme les modèles économiques des
années 1980. Le consommateur numérique, s’impose de plus en plus comme
un acteur clé de l’économie réelle, ouvrant un contexte novateur pour les
jeunes créateurs, eux même issus de ce « nouveau monde ».




22
    Emission TV – France 3 – « Ce soir ou jamais » – http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/index-
fr.php?page=emission&id_rubrique=662 – mai 2009.



                                                                                                  36
En réponse à Jean-Claude Carrière (dans la même émission) Joseph Paris :
« Je dois trouver de nouvelles façons de produire mes œuvres. Je ne puis plus
me baser sur les modèles qui ont fait votre carrière ».


S’il y a bien une certitude, c’est que la vision des échanges physiques des
œuvres musicales est en déclin. Ce douloureux contexte de la transition vers
la généralisation de nouvelles voies de business model semble occulté par
une bataille de communication qui occupe le devant de la scène publique.




   2.2   Le rôle joué par la communication dans une crise de transition


Après avoir analysé les différents nœuds mettant sous tensions l’industrie
musicale, qu’ils soient technologiques, économiques, culturels et politiques, il
s’agit maintenant de mettre en lumière toute l’importance du rôle de la
communication dans la situation de crise qui affecte l’ensemble des acteurs
de l’économie musicale. Nourrie par des campagnes de sensibilisation média,
des débats télévisés, des articles dans la presse, la communication semble
entretenir un débat qui pour l’instant, tourne en rond.




      2.2.1 Chronologie des discours de communication


2004, Le SNEP fulmine


De 2002 à 2004, baisse de 25% du volume des ventes de musiques.
9 millions de citoyens français déclarent télécharger via P2P. Pour le SNEP,
pas de doute possible, c’est 9 millions de voleurs qu’il faut à tout prix
dissuader où alors « la musique mourra ».




                                                                                   37
« Nous faisons un doigt d'honneur aux pirates qui téléchargent illégalement de
la musique en ligne ». Gilles Bressand, président du SNEP


Le visuel phare 23 de la campagne média menée par l’agence Nogoodindustry
à la demande du SNEP met en scène un émoticône symbolisant « le doigt
d’honneur ». Scindé en 2 parties, la 1 è re moitié de l’image illustre l’attitude
des internautes jugée (par le SNEP) insultante à l’égard de la création
musicale. La 2 è m e partie du visuel représente cet émoticône de rrière des
barreaux de prison. Les internautes qui ne connaissaient pas, à l’époque, la
nature de leurs actes étaient prévenus. Le message se veut clair, limpide
même : « L’échange de musique sur Internet c’est du vol et désormais c’est
jusqu’à 300.000 € d’amende et 3 ans d’emprisonnement ».
Les réactions furent à la hauteur de la violence du visuel. De nombreuses
associations de consommateurs (Syndicat Français des Artistes, UFC Que
Choisir, UNAF, la Ligue de l'enseignement, CLCV, …) firent par t de leur
« désapprobation » quant à la virulence du message de la SNEP :


 « Cette campagne indécente et irresponsable du SNEP insulte et menace
20 millions d'internautes, (…) Nous réclamons l'arrêt immédiat des pressions et
menaces fondées sur des poursuites judiciaires à l'encontre des internautes,
tant qu'un "vrai débat" n'aura pas eu lieu et que des "solutions innovantes"
n'auront pas été proposées ».


Ce message aurait pu générer chez l’internaute une prise de conscience
majeure s’il n’avait pas comporté 2 lourdes erreurs :
         « L’échange de musique sur Internet » n’est pas une pratique illégale en
         soit, la copie privée et l’utilisation de logiciel P2P non plus. Seul
         l’échange non autorisé d’une musique est considéré comme un délit.
         Aucune alternative valable de téléchargement légal n’était proposée par
         l’industrie en réponse à l’essor du numérique (et des baladeurs MP3).


23
     Cf. annexe n°5, p.6 8, « campagne de communication du SNEP » mai 2005


                                                                                    38
Cette campagne de communication fut considéré e pour beaucoup comme
« un pavé jeté dans la marre », la déclaration ouverte d’une contre attaque
des majors menée contre la « génération numérique »


« Nous nous attendions à ce que notre business ne soit pas affecté dans le
monde de l'interactivité, pendant que la connexion permanente et le partage
de fichiers explosaient. Bien sûr, nous avions t ort. Pourquoi ? Parce qu'en
restant immobiles ou en bougeant à un rythme glaciaire, nous sommes
involontairement entrés en conflit avec le consommateur, en lui refusant
notamment ce qu'il voulait et pouvait trouver ailleurs. Le résultat des courses,
c'est que le consommateur l'a emporté ». Edgar Bronfman, PDG de Warner
Music.


2006 : DADVSI ouvre le débat


Le    ministère   de   la   culture    commande    à   Pub licis   le     site    Internet
« lestelechargements.com » afin d’informer le public et les acteurs de la
création sur le projet de loi DADVSI. Cette première initiative du législateur
sur le Web atteste d’une prise de conscience sur la nécessité d’étendre le
débat, de créer un pont entre les acteurs de la création et leurs publics. Jugé
orienté contre le projet de «          Licence Global », alternative proposée à
l’époque par les opposants au projet DADVSI, des voix se sont élevées contre
la SACD et la SACEM présumées avoir collaboré au développement du site.
Bon nombre d’internautes attestent que les commentaires qu’ils laissent
étaient « modérés » (censurés). Ces commentaires étaient pourtant jugés
construits et cohérents, épurés de toute invective ou critique infondée. Pour
bon      nombre   d’internautes,      « lestelechargements.com »        n’était   qu’une
« vitrine de la loi » et « propagande du gouvernement ». Le site a rapidement
été fermé.




                                                                                             39
2007, le SNEP s’aligne


« L’ouverture d’un débat sur l’avenir de la musique nous est apparue
essentielle à l’heure où la révolution numérique nous a, paradoxalement,
éloigné » Hervé Rosny PDG du SNEP.
Dans la continuité d’une nécessaire ouverture apportée par le débat DADVSI
le SNEP lance « www.faceface.fr ».          Le site connu le même sort que
« lestelechargements.com » pour des raisons similaires.


2008, qui n’aime pas les artistes ?


Depuis, le SNEP a décidé d’ouvrir un Blog « DemainLaMusique.com » qui est
actuellement en ligne. Hervé Rosny ainsi que différents membres du SNEP
apportent régulièrement des « éclaircissements » et point de vue pour
« rééquilibrer » la tendance du discours sur Internet. E ncore une fois, de
nombreux internautes déplorent que leurs commentaires, qu’ils jugent
pertinents soient systématiquement « modérés ».


Afin d’informer le public sur le actions menées par le ministère de la culture
en faveur de la loi « Création et Internet », le site « jaimelesartistes.fr » ouvre
ses portes. Les principaux axes du projet de loi HADOPI sont exposés, de
nombreux témoignages d’artistes en faveur de la loi sont consultables en
vidéo streaming et le site propose de nombreux liens vers les plat eformes de
vente légale de musique en ligne. A la différence des précédentes initiatives
du législateur et de l’industrie de la création en matière de communication
sur Internet via site web, jaimelesartistes.fr ne propose pas de f orum ni
d’espace de commentaire.
Piraté à plusieurs reprises, le site estimé « blindé » par le ministère résiste mal
à ses assaillants. La ministre de la Culture, Christine Albanel a déploré « les
attaques incessantes (…) mobilisation des groupes de pression qui s'opposent
aux droits des artistes et des entreprises culturelles »


                                                                                      40
Ces mots de la ministre résument assez bien la teneur du discours de
communication du gouvernement. Evoquant sans cesse la malveillance des 15
millions d’internautes français qui téléchargent illégalement à l’égard des
artistes et de la création, le législateur semble se fourvoyer :


- « J’aime les artistes, je ne télécharge pas illégalement » sous-entend
clairement « je n’aime pas les artistes, je télécharge illégalement». En tentant
d’émouvoir l’internaute, cette stratégie ne semble pas porter ses fruits. Bien
au contraire, elle prend le risque de                creuser plus profond l’écart entre le
monde de la création et son public. Les internautes les plus virulents dans
leurs actions contre le projet de loi se réc lament d’une vision idéalisée de la
culture épurée de son « aversion » mercatique. Convaincu « du large soutien
populaire »      dont    il   se   prévaut,     le   ministère      de    la   culture    et   de    la
communication balaye ces puissants relais d’opinion du Net estimant que
toute opposition au projet HADOPI ne relève que d’une « agitation entretenue
par quelques groupuscules ». Le positionnement de ce discours en termes de
communication politique s’expose à la critique « d’entretenir la flamme de la
discorde ». Alors que l’Etat met en avant un argumentaire protecteur envers
les artistes et la création , Henry Padovani 24 ne semble pas partager ce point
de vue. « Les artistes ne se mobilisant pas eux-mêmes dans cette affaire, ce
sont tous les autres acteurs de l’industrie (…) qui mène nt le combat à leur
place. C’est comme si, par exemple, les producteurs de tomate s demandaient
à Carrefour de défendre leurs intérêts… » 25.


- De nombreux experts ont démontré les limites techniques, juridiques et
culturelles du projet de loi et pronostiqu é l’inefficacité du dispositif répressif
qu’il comporte, face à 15 millions d’internautes « hors la loi », sans apporter
de garanties supplémentaires aux artistes et à la création. En d’autres termes



24
   Fondateur de la première Police de la musique en 1977, musicien, directeur de label et producteur
d’artistes comme The Cramps ou REM et manager de Zucchero.
25
   Interview de Henry Padovani par StopPartage – http://www.stoppartage.fr/s pip.php?article62 – avril09


                                                                                                           41
pour eux le projet de loi relève davantage d’une straté gie de communication
que d’une réelle réponse législative.




          2.2.2 Le Web, un nouveau canal d’expression


Il fut un temps pas si lointain où les nouvelles générations avaient
principalement « la rue » pour faire entendre leur voix. Loin d’être révolue,
cette époque s’est enrichie d’un nouveau canal d’expression. Beaucoup de
professionnels considèrent Internet comme un outil média « révolutionnaire »
dans le monde de la communication. Mais à la grande différence des médias
traditionnels laissant peu de place à l’ interaction, Internet est bien plus qu’un
simple vecteur de campagne. Son utilisation en tant qu’outil est extrêmement
délicate et toute erreur d’appréciation peut s’avérer désastreuse. En créant la
vitrine figée d’un projet de loi censée « rééduquer » un internaute qui a perdu
« tout repère moral », le ministère de la culture et de la communication se
heurte à une « rue numérisée » où la violence des uns ne peut plus être
étouffée par quelques policiers en armes. La voix numérique est si puissante
qu’elle parait raisonner bien au-delà de la sphère virtuelle, jusque dans les
bastions de la république.
Le débat, largement relayé par les médias traditionnels sous forme d’articles
de presse, d’émission TV / radio prend une tournure peu commune. Blogs,
site      Internet,    forum,      vidéo     Buzz    d’internautes       et    d’associations    de
consommateurs. « UFC Que Choisir » a d’ailleurs réalisé un site Internet
diffusant une série de courts métrages 26 qui tournent en dérision les mesures
prises par le projet de loi HADOPI. Partout les opinions déversées par
dizaines de milliers, consultées par des millions, sollicitent l’attention, au plus
grand dam du gouvernement, des lobbys industriels, d’un monde analogique
médusé par les voix dissidentes des jeunes générations. La notion de « vol » et
de « piraterie » véhiculée à sens unique perd toute consistance sur la scène

26
     Cf. annexe n°4, p.67, « Avec Dédé ça va couper ! » Année 2009 http://www.ca-va-couper.fr/



                                                                                                      42
d’une joute communicationnelle masquant les coulisses d’une mécanique
économico-technologico-sociale complexe.


Finalement bien peu à l’écoute d’un public porteur de nouvell es pratiques de
consommation ouvrant sur de nouveaux marchés de la création musicale et
figée par un business model en burn out, l’industrie musicale et ses alliés se
heurte à des difficultés pour trouver le ton juste en matière de communication.
Ni les majors ni le législateur ne parviennent à sortir d’un débat public qui
semble tourner en rond. En cherchant à numériser son modèle économique à
travers une offre commerciale, l’industrie se trouve confrontée à une demande
plus complexe qu’elle ne le pensait. Le débat public a fait surgir la nécessité
de redéfinir à l’ère du numérique les échanges culturels. Loin de contester la
rétribution due au créateur, les consommateurs du Web demandent à être
mieux pris en compte dans la diversité de leurs pratiques .
Certains acteurs de la création, artistes « visionnaires » à l’écoute de leur
public ou tout simplement issus de la génération numérique veulent poser les
bases d’un concept novateur destiné à mieux intégrer leur public dans les
process de la création musicale. Rarement cités dans les controverses
publiques ces créateurs prétendent mener l’artiste et son public sur le chemin
du partage et de la réconciliation.




                                                                                  43
III – Des propositions de communication            pour une économie musicale
« plurielle »


La consommation numérique secoue l’économie de la création musicale. Les
nouvelles technologies permettent-elles d’inventer des formes artistiques
novatrices et rémunératrices pour les artistes ?
L’offre commerciale d’œuvres musicales en ligne se développe à gra nde
vitesse. Il en est de même pour les process alternatifs des créateurs
indépendants. Les réseaux P2P au cœur de la définition même du protocole
Internet, peuvent être perçus comme les pionniers d’un nouveau type
d’échanges culturels en ligne ou la machine à vocation à être à la fois
récepteur, émetteur, transmetteur .
Comme nous l’avons vu « les mutations technologiques s’accompagnent de
nouveaux comportements, d’un nouveau rapport à la création, de plus en plus
collectives, de plus en plus issues du partage » Christian Vanneste Député du
Nord.
Parmi l’ensemble des futurs possibles, procédons au débroussaillage des
sentiers sur lesquels nous déroulerons des stratégie s de communication
accompagnant ces évolutions lourdes irréversibles fondées sur un double
postulat implicite :
- Au final le consommateur aura le dernier mot.
- La cœxistence de deux économies : L’économie de marché traditionnel qui
ne va pas disparaître et une économie « plurielle » favorisant des échanges
autres que marchands.


Ces stratégies s’articuleront donc autour de deux axes :
Le premier concerne l’offre en ligne dite commerciale pilotée par les grands
acteurs de l’industrie musicale, les majors et labels indépendants. Une offre
née dans un contexte difficile et qui s’enrichit considérablement.
Le second utilise pleinement la force d’Internet comme technologie de la
relation pour promouvoir l’initiative alternative, appelons la « l’offre libre »
portée par la génération numérique.


                                                                                   44
3.1   La promotion de l’offre commerciale en ligne


Premièrement      il    s’agit    de   présenter   en   quoi   consiste   cette   offre    et
deuxièmement de décrire les finalités et les modalités d’une politique de
communication en assurant la promotion.




      3.1.1 Etat des lieux de l’offre commerciale


Actuellement le site du gouvernement « jaimelesartistes.fr » recense plus d’une
trentaine de plateformes en ligne proposant le téléchargement ou la simple
écoute (streaming), payant à l’achat du titre, sous forme d’abonnement ou
gratuit en fonction des plateformes. Une grande partie des catalogues des 4
grandes majors ainsi que ceux des labels indépendants sont actuellement
disponibles en ligne soit près de 10 millions de titres. Itune Store, la boutique
en ligne de téléchargement de musique d’Apple est leader du marché
mondial, et a généré 70% des ventes en ligne à travers le monde en 2008.


Une offre attractive qui s’enrichie en valeur ajoutée


Pour attirer un maximum                de clients, particulièrement les habitués ou
occasionnels des réseaux P2P, l’offre commerciale se veut porteuse d’une plus
grande   valeur        ajoutée.   Longtemps    protégés    contre   la    copie   par     des
mécanismes de sécurité associés aux DRM (Digital Rights Management) la
plupart des fichiers téléchargés via l’offre commerciale sont désormais libérés
de leurs protections (bien que sur certaines plateformes comme Itune Store,
les musiques sont encore partiellement protégées et ne permettent pas d’être
copiées plus de x fois). Pour beaucoup d’adeptes du P2P ces protections
représentent encore une contrainte les dissuadant d’utiliser l’offre légale. D e
plus, les titres sont numérisés dans une qualité relativement similaire à ceux
trouvables sur le réseau P2P. Cependant les plateformes commerciales jouent


                                                                                                45
sur l’attractivité de leur offre par une qualité en matière de graphisme, de
navigation, la gestion des comptes utilisateurs et la vitesse de téléchargement.
Les nombreux acteurs de ce marché porteur de la vente en ligne semblent
permettre aux consommateurs de trouver leur compte à travers l’eccleptisme
des plateformes.


Concurrencer le P2P paraît être la meilleure lutte


Même      pour   un   adepte,    le    réseau     P2P   reste     dans     l’ensemble    source
d’insatisfactions : Les musiques étant numérisées et mises à disposition par
l’utilisateur final, la qualité n’est pas garantie et le fichier peut ne pas
correspondre     à    celui   espéré    (virus,     pornographie…) .         La   plupart   des
plateformes P2P doivent être correctement configurées auquel cas la vitesse
de téléchargement peut s’avérer extrêmement ralentie… Pour les plus experts
(plutôt marginaux), ces problèmes peuvent être rapidement résolus. Bon
nombre d’utilisateurs réguliers ou occasionnels du P2P semblent prêts à payer
pour plus de qualité. Un aspect difficilement concurrençable des réseaux P2P
repose sur la possibilité pour l’internaute de trouver des titres qui ne seraient
pas proposés par l’offre légale. Des titres anciens d’artistes oubliés, des remix
et   autres   compositions      difficiles   à    trouver      dans   le   commerce,     l’offre
commerciale pourrait trouver moyen de s’enrichir grâce au P2P. La loi prévoit
l’indulgence à tous ceux qu i obtiendraient via P2P des titres protégés par
droits    d’auteurs   mais    introuvables       (ou    très    difficilement)    dans   l’offre
commerciale.




         3.1.2 Promouvoir l’offre commerciale par la communication


Outre les majors et labels qu i bénéficient de fortes capacités de pr omotions
pouvant ainsi stimuler leur offre en ligne par le biais des médias traditionnel s,
l’essentiel de la communication des acteurs de l’offre commerciale en ligne se
fait par Internet.


                                                                                                   46
Dans son dispositif de répression à l’encontre du téléchargement i llégal l’Etat
intègre déjà un axe visant à promouvoir l’offre commerciale dans sa stratégie
de communication. Cependant, il faut que le positionnement de cette stratégie
se détache d’un discours « à tonalité répressive » afin de parvenir à une mise
en valeur beaucoup plus performante de l’offre commerciale.


La nécessaire adaptation du discours de l’Etat et de l’industrie


 « Télécharger des œuvres sans autorisation c’est du vol » « La piraterie doit
être sévèrement réprimée » Ce positionnement du législat eur et de l’industrie
en tant qu’axe de communication,                       bien que cohérent vis -à-vis de la
législation ne semble pas conduire efficacement le public vers l’offre
commerciale. Pénalisé pour une pratique qualifiée d’immorale, l’internaute a
tendance à contracter une attitude de rejet à l’encontre de son « oppresseur ».
Quelque soit son positionnement, s’il comporte les termes « téléchargement
illégal / piraterie = vol »                il apparaît contre productif. Il serait donc
intéressant d’orienter le message vers une no tion plus respectueuse, marquée
par les enseignements de               l’histoire. Après tout, si 15 millions d’internautes
ont déjà téléchargé illégalement au moins une fois dans leur vie, c’est somme
toute qu’à un moment où à un autre, l’offre commerciale n’était pas en
mesure de répondre à leurs attentes. Ainsi le discours gagnerait à ne s’axer
que sur la pertinence de l’offre commerciale et sa forte capacité en matière
de valeur ajoutée pour le consommateur. Une ouverture à été faite en ce
sens 27. Les sommes engagées dans la lutte contre le « piratage » pourraient
servir cet axe nouveau d’une campagne de sensibilisation nationale à travers
les médias traditionnels tels que la TV, Cinéma, Radio Presse, affichage. Cette
campagne           s’attacherait      au    renforcement        de    la      notor iété   de   l’offre
commerciale afin que nul ne puisse encore penser q u’il n’existe pas
d’alternative au P2P. S’en suit une notion d’image, parti pris fondamental de
la campagne sur 2 axes complémentaires. Le premier est bien entendu de


27
     Cf. annexe n°6, p.69, « visuels des campagnes de communication média »


                                                                                                          47
faire valoir la qualité de l’offre commerciale, seule capable de garantir un
réel service de qualité. Un second axe est nécessaire, il doit réparer la
fracture culturelle, rapprocher les acteurs de la création et leurs publics. Sur
cet axe, les acteurs de la création gagneraient à afficher une plus grande
transparence dans leurs interrelations. La question épineuse d’une possible
« exploitation » de l’artiste au profit des « majors » doit rapidement être
traitée et résolue. Toute l’importance jouée par l’industrie dans la recherc he
de nouveaux talents, les risques qui s’en suivent doit être mise en valeur par
un discours appelant à la responsabilité des consommateurs sans pour autant
se vouloir moralisateur en recréant le lien indispensable entre l’artiste et son
public.




   3.2     La promotion des offres alternatives : les offres « libres »


Ainsi     que   l’explique   Jean-Baptiste   Soufron :   « Le   libre   représente   une
démarche qui organise l’ensemble de l’Internet ».
Le « libre » est souvent mal comprit car trop souvent confondu avec la gratuité
des contenus. Il s’agit bien souligne-t-il, « non d’une absence de règle mais
d’un modèle d’innovation comportant des obligations pour les utilisateurs sans
lesquels le développement extraordinaire des usages et des applications
numériques n’auraient pas été possible ».




        3.2.1 Etat des lieux de l’offre « libre »


Qu’est ce que la musique « libre » ?


Une création musicale est dite libre lorsqu’elle est soumise à des conditions
d’utilisation et de distribution (échange, copie) spécifiques. Les « Creative
Commons » constituent le groupement de licences le plus répandu dans le


                                                                                           48
domaine de la création musicale « libre ». Cet ensemble de licences a pour
but de fournir un outil juridique garantissant la protection des droits et
autorisations liés à l’utilisation, la modification, la copie et le partage d’une
création musicale. Ces licences dissocient les fondements de la propriété
intellectuelle à la propriété physique. C’est en quelque sorte la réponse faite
par des créateurs (et leurs publics) allant à l’encontre des droits d’auteurs
traditionnels qu’ils estiment nuisibles à la diffusion et à la culture.


Qui sont ces créateurs et leurs publics ?


Le principe de la musique libre est apparu en réponse à la domination des
majors   dans    le   paysage    musical.      Jugeant      cette    do mination     purement
marchande, déconnectée de la valeur profonde de la culture et du partage,
on peut appeler ces tenants d’une vision libérée, des « pronétaires » :
« J’appelle pronétaires ou pronétariat (…) une nouvelle classe d’usagers des
réseaux numériques capable de produire, diffuser, vendre des contenus
numériques non propriétaires, en s’appuyant sur les principes de la « nouvelle
économie » (…) il s’agit d’usagers d’internautes de « blogueurs » de citoyens
comme les autres, mais qui entrent de plus e n plus en compétition avec les
infocapitalistes traditionnels, auxquels ils ne font plus confiance. »
Cet extrait 28 de Joël Rosnay illustre toute la teneur idéologique qui anime les
créateurs   de    musiques      « libre »    et    leur    public.     Le     fait   d’associer
systématiquement « créateurs » à « public » sous-entend la forte proximité de
ces acteurs.


Comment les créateurs de la « musique libre » se produisent-ils


Ces créateurs sont pratiquement inconnus du grand public car n’appartenant pas à une
major ou un label indépendant. Ils ne bénéficient donc pas des effets de promotion du


28
    DE ROSNAY, Joël, « La révolte   du   pronétariat », Editions   Fayard &   Creative   Commons
http://www.pronetaire.com/livre/



                                                                                                   49
« star system » relayés par les vecteurs traditionnels des mass médias. Ces pronétaires,
créateurs d’une musique conditionnée par les licences « Creative Commons », mettent en
partage leurs œuvres sur les réseaux P2P et sont téléchargeables gratuitement sur des
sites tels que « dogmazic.net » et « jamendo.com ». On peut alors se demander comment
ces créateurs parviennent à produire leurs œuvres. Deux situations sont à considérer :
- La première concerne des créations qui font appel à des talents d’artistes tels que les
chanteurs et musiciens. Pour un enregistrement de qualité, le passage en studio est
quasiment inévitable. Une journée en studio d’enregistrement coûtait jadis près de 2500
euros. Aujourd’hui les tarifs avoisinent 250 euros par jour. 5 à 10 jours peuvent suffire
pour l’enregistrement d’un album (cette estimation dépend beaucoup du genre musical).
- La seconde est représentée par les créations électroniques, c’est-à-dire réalisables
grâce à un ordinateur. Moyennant un investissement pouvant aller de 2000 à 5000
euros et un bon niveau d’expertise, un créateur peut s’autoproduire. L’apport personnel
est nécessaire dans les deux cas, mais des créateurs sont parvenus à lever des fonds
grâce à Internet en misant sur la contribution de leurs publics/sympathisants.


Comment ces créateurs vivent-ils de leurs créations ?


Partant du principe qu’ils ont acquis une notoriété auprès de leurs publics par le biais
d’Internet (site d’écoute/téléchargement et P2P), ces créateurs parviennent à vivre grâce
au concert, spectacles vivants et exploitations de leurs œuvres par des producteurs,
publicité, cinéma etc. dans le cadre des licences commerciales prévues par les
« Creatives Commons »
De nombreux artistes anciennement produits par des labels ont ouvert la voie en mettant
volontairement à disposition leurs œuvres à la fois sur leur site Internet et sur les réseaux
P2P.
A titre d’exemple, en 2007 le groupe Radiohead proposa le téléchargement libre de son
dernier album « In Rainbows ». Disponible gratuitement sur le site Internet du groupe (et
sur P2P), l’album ensuite commercialisé a été vendu à plus de 3 millions d’exemplaires
alors que les 3 précédents albums n’avaient été vendu qu’à quelques centaines de
milliers d’exemplaires. Une forte opération marketing au service d’un groupe déjà
célèbre qui a ouvert la voie à bon nombre d’initiatives similaires.


                                                                                                50
3.2.2 Promouvoir l’offre de musique libre par la communication


Les créateurs de musiques libres n e disposent pas des mêmes capacités
d’investissement que les majors et labels indépendants en matière de
promotion. Ils ne peuvent donc espérer accroître leur notoriété par le biais
des mass média traditionnels. Leur canal de promotion passe essentiellemen t
par des sociétés (Jamendo) ou associations (Dogmazic) qui les référencent sur
Internet. C’est donc sur la promotion de ces acteurs qu’il faut concentrer les
efforts stratégiques.


Promouvoir les plateformes de musiques libres


Dans le monde du « pronétariat », ces acteurs du « monde libre » sont très
largement visibles. Internet est leur maison mère, ils connaissent et exploitent
tous les rouages nécessaires à l’accroissement de leur visibilité. Investisseurs
et publicités sont les sources principales de leur financement. Mais ces acteurs
restent encore assez méconnus des internautes occasionnels peu engagés sur
le Web. Sur plus de 25 millions d’internautes français, bon nombre ignore
encore toute la richesse de la toile. Ce public doit donc être touché en dehors
de la sphère virtuelle. Les alternatives aux médias traditionnels sont riches,
c’est donc par le biais de moyens hors média qu’il faut articuler les efforts
stratégiques.


Le   contexte   extrêmement   favorable   du   débat   sur   le   devenir   de   la
consommation culturelle numérique est largement entretenu à travers la
presse. Quotidiens nationaux, régionaux, gratuits, supports d’information au
service du public, beaucoup des journalistes sensibles à cette notion du
partage et de la connaissance se mobiliseront pour célébrer toute la richesse
de l’offre libre et le lien si particulier du créateur à son public. Il est donc
primordial d’obtenir ce soutien stratégique, puissant de la presse .


                                                                                      51
Un travail de prospection et d’information doit être intensifié afin de donner
de la visibilité aux noms et logos de ces sociétés/associations améliorant la
notoriété de cet univers du libre échange culturel. Partout où la création d’un
artiste est exploitée ou pourrait l’être à des fins commerciales que ce soit lors
d’un événement (tournée événementielle) dans une production télévisée
(reportage),   cinématographique,    chez   les   commerçants    (boutiques   de
vêtements) professions libérales (médecins), dans les parkings souterrains
(Vinci), et tous les lieux publics qui diffusent ou le voudraient des œuvres
musicales sans avoir à payer à la SACEM des droits d’auteurs parfois jugés
exorbitants…. Beaucoup y gagneraient à découvrir cette offre alternative.




                                                                                    52
Musique Numerique
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  • 1. Pierre-Louis Gatineau REP4D – TC10 pierre.gatineau@free.fr Mémoire de fin d’études Le 12 mai 2009 Musique Numérique Sous la direction de Dominique Viandier
  • 2. 2
  • 3. Sommaire Sommaire ............................................................................................ 3 Introduction ......................................................................................... 5 I. L’industrie de la création musicale face aux innovations tec hnologiques .... 7 1.1 Les rouages de la création musicale .................................................................... 7 1.1.1 Les principaux acteurs de l’industrie ............................................................... 7 1.1.2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs ...................................... 9 1.1.3 Les principales sociétés de gestion des droits ................................................10 1.2 L’impact des mutations technologiques sur le marché musical ............................11 1.2.1 L’âge d’or de l’industrie du disque ...............................................................11 1.2.2 L’émergence de la technologie numérique ...................................................13 1.2.3 La demande d’un contenu numérisé ............................................................16 1.3 La difficile adaptation de l’économie musicale à l’ère numérique ........................20 1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en place ..................................20 1.3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes ...............................................21 1.3.3 Les stratégies de communication mises en œuvre .........................................23 II. Les nœuds d’une économie musicale sous tension ............................... 26 2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension ............................................26 2.1.1 Un business model dominant à bout de souffle ............................................26 2.1.2 L’intervention classique du législateur génère la division ...............................30 2.1.3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ? ...................................................34 3
  • 4. 2.2 Le rôle joué par la communication dans une crise de transition...........................37 2.2.1 Chronologie des discours de communication ...............................................37 2.2.2 Le Web, un nouveau canal d’expression ......................................................42 III. Des propositions de communication pour une économie musicale « plurielle » ........................................................................................ 44 3.1 La promotion de l’offre commerciale en ligne ....................................................45 3.1.1 Etat des lieux de l’offre commerciale ............................................................45 3.1.2 Promouvoir l’offre commerciale par la communication .................................46 3.2 La promotion des offres alternatives : les offres « libres » ....................................48 3.2.1 Etat des lieux de l’offre « libre » ....................................................................48 3.2.2 Promouvoir l’offre de musique libre par la communication ...........................51 Conclusion ......................................................................................... 53 Remerciements ................................................................................... 54 Bibliographie ..................................................................................... 56 Annexes ............................................................................................. 57 Annexe n°1..............................................................................................................57 Annexe n°2..............................................................................................................61 Annexe n°3..............................................................................................................64 Annexe n°4..............................................................................................................67 Annexe n°5..............................................................................................................68 Annexe n°6..............................................................................................................69 Annexe n°7..............................................................................................................72 4
  • 5. Introduction Les années 90 ont vu apparaître un outil novat eur en matière de télécommunication. A l’origine créé pour mettre en relation des aires d’expertises comme l’armée et les universités, Internet va peu à peu donner naissance à ce qui sera appelé le Wor ld Wide Web, un accès mondialisé à la culture et à la connaissance. Très vite intégré par les early adopters 1, ce canal dit de transmission et d’expertise va ouvrir le chemin vers un comportement sociétal radicalement nouveau car dédouané des frontières et des contraintes physiques. Puis se déploiera une véritable dynamique de la dématérialisation de la connaissance et de la culture, générant un ensemble de réactions en chaîne dont la fulgurante propagation va profondément modifier la nature des échanges entres les individus. Avec la montée en puissance des technologies de l’information et de la télécommunication, notre économie bascule dans l’immatériel et la rév olution de l’économie numérique – opportunités pour les uns, menaces pour d’autres – s’accompagne de stratégie de conquête ou de défense. La confrontati on des « infocapitalistes traditionnels » 2 et des « pronotaires » 3 décrite par Joël de Rosnay 4, va envahir la scène délibérative publique où le législateur est sommé de produire de nouvelles normes face à une tendance de fond en faveur de la gratuité qui affecte les échanges de biens culturels : « Nous ne sommes plus seulement dans une économie de marché, mais d’une économie avec marché, doublée d’une économie de la « gratuité » 5 ». 1 Du français « adopteurs précoces », terme sociologique qui désigne un groupe d’individus jugés « à l’affut » des nouveautés. 2 Détenteurs des moyens de création, de production et de diffusion de contenus informationnels dits “propriétaires”. 3 Usagers des réseaux numériques . 4 ROSNAY, Joël, « La révolte du pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons http://www.pronetaire.com/livre/ 5 LEVY, Maurice & Jean-Pierre Jouyet, « L’économie de l’immatériel », http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000880/0000.pdf 5
  • 6. L’industrie musicale se tourne vers l’Etat pour lui demander protection et met en place des plans médias mobilisant les ressorts d’une communication classique fondée sur le tripode : globalisation, dramatisation, simplification. Dans ce contexte, l’actualisation des dispositifs de lutte contre le téléchargement illégal est présentée comme la réponse efficace à la dynamisation de la création musicale française dans l’économie numérique. Dès lors, entrés dans ces terres nouvelles et pleines de turbulences, les acteurs de l’écosystème de l’immatériel musical sont face s à la problématique suivante : « Comment la communication peut-elle accompagner l’évolution des pratiques de diffusion et de consommation des œuvres musicales à l’heure du développement d’Internet tandis que l’industrie musicale paraît empêtré e dans un modèle commercial en crise ? » L’étude de cette problématique va se dérouler selon trois phases : - Premièrement, nous procèderons à l’état des lieux de l’industrie de la création musicale face aux innovations technologiques ; - Deuxièmement, nous nous attacherons à l’exploration des nœuds de cette économie musicale sous tension ; - Enfin, nous tenterons de dégager des propositions de communication pour une nouvelle économie musicale « plurielle ». 6
  • 7. I- L’industrie de la création musicale face aux innovations technolog iques. Pour saisir toute la complexité de la relation entre la création musicale et sa consommation, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de l’industrie créative et ses interrelations entre son public et son environnement. Façonné par une histoire riche en événements, le business model de l’industrie de la création musicale a connu de grands succès mais aussi de rudes épreuves. A l’heure actuelle de profondes tensions sont manifestes dès que le sujet de la création musicale est abordé dans le débat public. La compréhension de ce débat nous conduit à repérer les rouages de la création musicale, puis à mesurer l’impact des mutations technologiques sur le marché musical et enfin à montrer la difficile adaptation de l’économie musicale à l’ère numérique. 1.1 Les rouages de la création musicale 1.1.1 Les principaux acteurs de l’industrie L’univers de l’industrie musicale s’apparente à celui de la publicité : d’un côté les créatifs, de l’autre les commerciaux. Pour comprendre le fonctionnement de l’industrie musicale, il faut donc identifier ses acteurs et leurs interrelations. Les fonctions de ces acteurs impliqués dans la chaîne de création musicale peuvent être tantôt assurées de façon distincte tantôt de façon cumulée pour partie ou totalité . Elles se présentent comme suit : L’artiste (auteur, compositeur, interprète) - L’Unesco propose une définition ouverte et de référence de l’artiste : « On entend par artiste tout personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recré ation d'œuvres d'art, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue au développement de l'art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à 7
  • 8. être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit liée ou non par une relation de travail ou d'association quelconque. » En d’autres termes, l’artiste crée, partage et vit de son art. Le producteur (record producer) - La gestion de l’enregistrement sonore de l’œuvre est la mission du producteur. Il peut faire appel à plusieurs contributeurs (ingénieur son, réalisateur artistique, etc.) qui épaulent l’artiste lors de l’enregistrement de son œuvre. « Le travail d’orfèvre » réalisé, les premières maquettes sont créées. L’enregistrement peut -être géré par un prestataire indépendant mais il est généralement assuré par le label. Le Label (executive producer) - Peu importe la taille de sa structure, qu’il soit indépendant ou qu’il appartienne à un collectif, un Label est avant tout un éditeur dont la vocation est de rendre ac cessible la nouvelle création. Après avoir passé un contrat avec l’artiste (Cf. contrats d’artistes), le label prendra en charge le pressage des albums (copies), la promotion de l’œuvre (marketing & communication), et sa distribution. En fonction du contra t, c’est au Label que revient la décision du nombre d’album s à enregistrer, le choix du réalisateur artistique, les tournées à effectuer, etc. Le label peut céder, contre rétribution, l’artiste et sa production à une major. La major – Lorsque l’on évoque habituellement les « majors » on désigne les quatre grandes maisons de disques qui se partagent près de 75 % du marché mondial de l’industrie du disque : Universal Music Group, Sony-BMG, EMI Group et Warner Music Group. Une major est un label comme les aut res. Elle peut signer directement avec un artiste mais aussi, contrôler d’autres la bels (devenant alors des « sous-labels »). Une major prend de plus grands risques qu’un label classique car elle a la capacité d’injecter des sommes d’argent plus importantes dans la promotion de l’artiste (marketing et communication) et ses capacités de production (pressage de disques) sont plus grandes et donc plus rentables que celles d’un label classique. Une major assure généralement la production de l’œuvre, sa promotio n et sa distribution. 8
  • 9. Le circuit de distribution - Les distributeurs assurent la vente en gros du support physique et numérique des œuvres aux détaillants : grandes surfaces alimentaires (GSA), grandes surfaces spécialisées (GSS) et circuits alternatifs (Internet, vente à distance, etc.). 1.1.2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs Nous distinguons généralement quatre types de contrats : Le contrat d'artiste - Le contrat d'artiste lie l'artiste à son producteur. C'est généralement ce que les maisons de disques ou les labels proposent. Ils prennent en charge la production, la fabrication, la promotion et la distribution. L'artiste interprète est rémunéré sous forme de royalties (entre 5 et 10%) calculées sur les ventes de disques. Le producteur reste propriétaire des bandes. Le contrat de licence - Le contrat de licence lie un producteur à un éditeur ou un distributeur. Ceux-ci financent la fabrication, la promotion et la distribution sur une période déterminée. Le producteur finance, bien sûr, la production et rémunère les artistes. Il perçoit entre 20 et 25 % de royalties sur les ventes. Le contrat de distribution - Le contrat de distribution lie le producteur à une société de distribution. Celle-ci se charge de la mise en place des disques en magasin moyennant une commission d'environ 40%. La rémunération de l'artiste et la promotion sont à la charge du producteur. Le contrat d'édition - Le contrat d'édition lie l'auteur/compositeur à un éditeur. Les éditeurs ont pour fonction de faire " travailler " les œuvres : recherche d'un interprète, d'un contrat, placement, compilations, synchro… Leurs sources de revenus sont les droits d'auteurs que leur cèdent les auteurs/compositeurs à hauteur de 50% et qui leurs sont reversés par la SACEM. 9
  • 10. Il peut exister des interactions entre ces différents types de contrats. Dans le cas d’un contrat d'artiste signé avec un label, celui-ci aura sûrement de son côté signé un contrat de distribution ou de licence. Les contrats étant négociables par nature, il n'existe donc pas de réel contrat type. 1.1.3 Les principales sociétés de gestion des droits (SPRD) En France, les principaux organismes de collecte et de rémunération des artistes concernés sont les suivants : SDRM - Société pour l’Administration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs. Créée en 1935, la SDRM a pour objet d’autoriser la reproduction mécanique des œuvres des auteurs, compositeurs et éditeurs sur supports phonographiques, vidéographiques ainsi que par les radios, et les télévisions..., de percevoir et répartir les redevances correspondantes. SACEM - Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. La Sacem a pour vocation de protéger, représenter et servir les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ainsi que la création musicale. Elle compte 116 000 sociétaires dont 15 000 étrangers. Acteur innovant pour une gestion des droits efficace, elle a pour mission essentielle de collecter les droits d’auteur et de les redistribuer. Forte d’un répertoire majeur, elle le valorise en France et dans le monde et encourage ainsi la diversité culturelle. En 2007 la SACEM a collecté près de 760 millions d’euros. ADAMI - Administration des droits des artistes et musiciens interprètes. L’Adami gère les droits de plus de 60 000 artistes-interprètes dont plus de 22 000 associés (comédiens, chanteurs, musiciens, chefs d’orchestre, danseurs…) et consacre une partie des droits perçus pour l’aide à la création, à la diffusion et à la formation. En 2007 l’ADAMI a collecté près de 52 millions d’euros. 10
  • 11. COPIE France - Crée en 1986, la société de perception de la rémunération pour la copie privée audiovisuelle a pour mission de percevoir et de répartir entre ses associés la rémunération pour la copie privée audiovisuelle. Cette perception est effectuée auprès des fabricants et importateurs de supports d’enregistrement vierges (CD/DVD, et tout autre support de données numérisables). 1.2 L’impact des mutations technologiques sur le marché musical Au commencement la musique était enregistrée sur un cylindre et devint « transportable ». Puis, 10 ans plus tard, Columbia6 et Victor7 se partageaient le marché de la musique enregistrée aux États-Unis. Mais face aux propriétés supérieures du disque de Victor et de son lecteur, le Victrola, la société d’Edison ne survivra pas. Dès lors, le marché va s’ouvrir et s’étendre, les coûts de production des disques et lecteurs vont diminuer et l’industrie du phonograph8 va connaître sa première phase de forte croissance (pour l’époque). Seulement voila, au cours de années 1920, la radio fait son apparition aux Etats-Unis. Menacée par la diffusion gratuite de la musique sur les ondes, l’industrie musicale va, pour la 1ère fois, exercer une pression sur les autorités Américaines afin d’obtenir des radios qu’elles ne puissent pas diffuser de musique… De nouveaux supports virent le jour, après le disque du phonograph vint le vinyle en 78 tours, puis en 33 tours. Des sociétés furent créées, d’autre détruites, telle que le veut la règle du marché, jusqu’à dévoiler le monde de l’industrie musicale que nous connaissons aujourd’hui, une industrie qui doit, à nouveau, faire face à son époque. 6 Naissance du phonographe – cylindre – de Thomas Edison en 1877 développé par la société Columbia Phonograph Company en 1888. 7 Apparition du gramophone – disque – d’Emile Berliner produit par la Victor Talking Machine. 8 Entendre ici le gramophone de Berliner, terme employé par les européens car les Américains continuent d’utiliser le terme phonograph. 11
  • 12. 1.2.1 L’âge d’or de l’industrie du disque Nous sommes en France, en 1970, le v inyle (78 et 33 tours) connaît une forte ascension. Ses ventes en volumes atteignent un pic de près de 80 million s d’unités 1980 avant d’entamer une chute vertigineuse jusqu’à la (quasi) disparition du support dès 1992 . Pour les experts, la chute des ventes de 1980 est liée à un contexte économique défavorable, à l’essor d’autres loisirs concurrents (jeux vidéo), et au système du 100% return permettant au revendeur final de renvoyer les invendus aux éditeurs. Mais pour l’industrie, la réponse vient d’ailleurs. La cassette audio qui connaît une ascension plus modérée représente tout de même une révolution du genre. Il devient possible de c opier la musique sur cassette (vinyle / radio vers cassette) et l’écouter en mobilité grâce au walkman son lecteur. L’industrie musicale fulmine contre la copie sur ca ssette jugée responsable de la baisse des ventes. Signalons que des études américaines indiqueront déjà que les utilisateurs de cassette qui copiaient, achetaient aussi abondamment, constat que nous retrouverons par la suite avec la copie numérique . Mais c’est avant tout le CD qui va connaître une ascension fulgurante et, jusque dans les années 2000, il est considéré comme le support le plus populaire. 12
  • 13. Il est intéressant de constater qu’entre la chute du vinyle et l’ascension du CD, les ventes en volume d’albums ont connu une période de baisse entre 1982 et 1988. Cette chute des ventes s’explique sans difficulté par la nécessaire réorganisation de l’industrie musicale qui prendra plusieurs années avant que les ventes ne retrouvent leur niveau ant érieur pour ensuite, jusqu’en 2002, connaître la plus forte ascension jamais vécue par l’industrie musicale : plus de 160 millions d’unités vendues. Les années suivantes vont apporter au support CD un rival de taille. 1.2.2 L’émergence de la technologie numéri que Révolution informatique oblige, la numérisation du contenu d’un support physique devient possible et accessible à un nombre croissant de consommateurs. Couplé à une toute nouvelle technologie d’information, d’échange, et de communication : Internet, la consommation des œuvres musicales va prendre une autre tournure… Dans un premier temps nous verrons l’émergence des nouvelles pratiques liées à l’apparition de la technologie informatique puis, dans un second temps, celle s liées au développement d’Internet. L’ère de la numérisation A partir des années 1990 les ménages commencent peu à peu à s’équiper. De 1996 à 2004, le taux d’équipement des ménages français en micro ordinateurs triple passant de 15% à 45%. Le micro ordinateur devient un outil professio nnel puis de loisir incontournable et en 2006, trouve sa place auprès d’un ménage sur deux. L’engouement des jeunes pour cette nouvelle technologie est immédiat. Leur demande, essentiellement en matière de jeux vidéo, propulse l’offre vers des micros ordinateurs de plus en plus puissants pour un prix toujours plus attractif. Le coût des graveurs de CD diminue jusqu’à équiper les ordinateurs 13
  • 14. en série… Chez les jeunes, les échanges massifs de CD musicaux, copiés depuis des originaux grâce au micro ordinateur familial, font florès dans les collèges et lycées. Les ventes de baladeurs CD explosent. Peu de temps après, Internet vient compléter ce qui sera à l’origine du « cauchemar » de l’industrie du disque. Taux d’évolution d’équipement en informatique et accès à Internet des ménages français. Source : INSEE L’avènement d’Internet Jusqu’alors, l’impact de la numérisation était relativement faible sur les ventes de disques. En parallèle, dans les an nées 1995, Internet devint accessible pour les foyers aisés déjà équipés en informatique. Grâce à un modem permettant de se connecter à Internet par les lignes téléphonique « le 56K », le 1 è r protocole de chat apparaît : Internet Relay Chat (IRC) permis aux internautes de créer des « cybers salons » de discussion. Grâce à ce système, les internautes pouvaient communiquer entre eux mais aussi échanger des fichiers. Les 1 e rs morceaux de musique numérisés puis compressés au format de fichier MP3, commencent alors à circuler. 14
  • 15. Par la suite apparaîtra NAPSTER, le 1 e r logiciel de partage de fichiers basé sur le principe du pair-à-pair 9, créé en 1999 par Shawn Fanning un adolescent américain. Rapidement poursuivi par l’industrie musicale, NAPSTER dut fermer (par la suite NAPSTER sera racheté et offrira un service payant). Dans le même temps, des clones de NAPSTER tels que GNUTELLA, KAZAA, EMULE, BITTORENT, développés aux quatre coins du monde, toujours plus puissant s, plus rapides, attirent un nombre grandissant d’adeptes. Une nouvelle génération d’échange va naître. Chaque internaute apportant son lot de données numériques, une bibliothèque musicale colossale mutualisée va apparaître sur la toile. Une offre inégalable donnant accès, en quelques clics et gratuitement, à des dizaines de millions d’album s, de remix et autres compositions quasi introuvables dans le commerce. Un tout nouveau circuit de distribution, le plus attractif au monde, voit le jour sur le Net. Selon l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI) en janvier 2004, le nombre de fichiers musicaux disponibles sur les réseaux P2P est estimé à 800 millions 10. Réseau type « pair-à-pair » Réseau type « client-serveur » Source : Wikipédia 9 Peer to Peer en anglais (P2P) : Modèle de réseau informatique qui s’oppose strictement au modèle de réseau type « client-serveur ». Les internautes mettent en partage des fichiers préalablement stockés sur leurs ordinateurs. Ces fichiers deviennent accessibles à tous ceux qui disposent d’un logiciel permettant de se connecter à un réseau P2P. 10 Les données étant mutualisées, il peut y avoir plusieurs copies d’un même fichier. 15
  • 16. Dès 2003, Internet devient accessible à tous pour une trentaine d’euros par mois. Dès lors, l’échange non autorisé d’œuvres protégées par droits d’auteurs et droits voisins devient pratique courante pour plusieurs millions d’internautes français. A ce moment précis, la chute des ventes de CD devint palpable. Source : Observatoire de la musique En l’espace de 5 ans, les ventes de support CD vont chuter de 50% soit une baisse de 140 millions d’unités à 70 millions d’unités en 2008. « 70 millions » c’est le score qu’affichait le vinyle dans les année s 1980, presque 30 ans plus tôt avant de s’effondrer. (N.b. Nous analyserons précisément le lien entre l’accroissement des échanges pair à pair et la chute des ventes de CD dans la partie II de ce mémoire). 16
  • 17. 1.2.3 La demande d’un contenu numérisé A l’image du phonographe, du vinyle et de la K7, la disp arition du support CD semble inéluctable. Dans une logique historique, on peut se demander alors, quel sera le support physique qui viendra en remplacement ? Probablement aucun, c’est en tout cas l’avis de Patrick Waelbroeck. Ce dernier nous explique 11 que la dématérialisation du support des œuvres musicales va profondément modifier la nature même de l’échange. L’arrivée du numérique et d’Internet fait écho à une nouvelle demande de la part des consommateurs, la demande pressante d’un produit numérisé, démat érialisé, c'est-à-dire déconnecté de tout support physique, facilement transportable, échangeable, un produit qui s’adapte à leur nouveau mode de vie. De là, de nouvelles règles de jeu en matière de consommation des œuvres musicales devraient apparaître. Des pratiques qui évoluent de façon exponentielles Si certains pouvaient espérer acquérir et stocker des milliers d’albums sur supports physiques, malgré le coût et l’encombrement lié s au stockage, la bibliothèque numérique devient désormais accessible à tous. De fait, l’internaute va pouvoir en quelques heures, disposer à distance des titres, albums, discographies complètes d’artistes. Une fois téléchargées depuis P2P puis stockées sur un disque dur ou baladeur multimédia, l’utilisateur peut accéder instantanément à un volume plus considérable d’œuvres musicales qu’il n’aurait jamais pu se procurer bien qu’il n’en fera jamais usage en totalité. Une tendance innovante se dégage : l’engouement pour le stockage semble s’effacer au profit d’une nouvelle vision de l’instantané : le flux multimédias 11 Cf. annexe n°2 p.61, interview de Patrick Waelbroeck, professeur associé à l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST) . 17
  • 18. continus 12. Les fichiers sont stockés sur de puissants serveurs et sur P2P et mis à disposition directement sur la toile, les citoyens français, connectés à Internet jusque dans la rue via leurs ordinateurs portabl es et téléphones mobiles, peuvent accéder à un contenu sans avoir à le télécharger préalablement. Il n’est dès lors plus utile de stocker des données puisque ces dernières sont devenues accessibles immédiatement. Economie Monde Les frontières des réseaux P2P s’étendent bien au-delà de l’hexagone. Le phénomène est mondial et c’est ce qui fait toute sa richesse en termes de volume. Les données numériques stockées sur les ordinateurs des particuliers, contribuant à alimenter les réseaux P2P, sont émiettées ça et là, elles le sont aussi dans le cas des serveurs publics de stockage. Ces puissant s ordinateurs hébergent 13 et mettent à disposition un contenu pourtant protégé par le droit français, protection inapplicable lorsque ces serveurs sont localisés par exemple en Corée, au Pakistan, etc. Ainsi la mondialisation du phénomène vient accélérer un processus qui n’a guère mis plus de 3 années à se mettre en place. La complexité portée par delà les frontières n’a fait qu’accroître les difficultés de l’industrie face au rôle grandissant joué par les internautes « pirates » sur l’aire de jeu de l’économie réelle. Des marchés dynamiques « boostés » par ces pratiques Ces pratiques de consommation et d’échange des œuvres musicales ont largement été soutenues par l’émergence de nouveaux marchés : 12 Streaming en anglais. Les fichiers peuvent être stockés sur les ordinateurs des internautes (P2P) et sur des serveurs (client-serveur). Le streaming permet d’accéder à un fichier (vidéo – musique – texte) sans avoir à le télécharger entièrement. Une copie temporaire est cependant effectuée sur la machine de l’utilisateur. 13 Réseau de type « client-serveur » Les internautes transfèrent (upload) un fichier numérisé vers un serveur de stockage. Le lien (adresse web) qui mène au fichier est généré, les internautes mettent à disposition ce lien. Il ne reste plus qu’à cliquer dessus pour accéder au fichier transféré. 18
  • 19. - Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) tirent des bénéfices colossaux de ce nouvel engouement pour les échanges sur le web. Bertrand Le Gendre nous explique 14 la façon dont les FAI ont fait campagne, indirectement, pour engranger tous les « bénéfices » de leurs offres en matière de connexion s Internet toujours plus rapides et performante s, offrant des possibilités infinies en matière d’accès aux œuvres musicales sur Internet (via la seule offre en ligne à l’époque, le P2P). - Le marché des supports de stockage (disque dur, CD/DVD vierges, clefs USB, etc.) et celui des lecteurs multimédia (Ipod, Archos, etc.) connaissent une progression fulgurante. - Les opérateurs de téléphonie mobile proposent le téléchargement de sonnerie, l’accès aux forfaits pour télécharger des titres musicaux de façon illimitée transformant les téléphones mobiles en lecteur multimédia. Aujourd’hui, grâce à une connexion illimité e à Internet depuis son mobile, l’utilisateur peut écouter gratuitement de la musique en ligne via des plateformes Internet basées sur le flux streaming offrant un accès instantané aux catalogues complets des 4 grandes majors, soit plus d’une dizaine de millions de titres. - Le marché publicitaire est lui aussi fortement dyn amisé. Les plateformes de streaming comme Deezer rétribuent des droits d’auteurs aux organismes de 14 Cf. annexe n°3 p.64, interview de Bertrand Le Gendre Chroniqueur Editorialiste au Monde 19
  • 20. collecte. L’accès aux œuvres étant donc légal et gratuit pour l’internaute, Deezer trouve son financement grâce à la publicité. 1.3 La difficile adaptation de l’économie musicale à l’ère numérique 1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en place Face à cette demande de musique dématérialisée, accessible immédiatement à moindre coût (voire nul) l’industrie du disque (les 4 grandes majors et les labels indépendants), qui avait – pendant des décennies – tiré des profits colossaux grâce au support physique, semble déstabilisée et se heurter à la difficulté d’appréhender un avenir maîtrisable de la consommation . La dépréciation du support CD, fondement du busi ness model de l’industrie depuis plus de 20 ans, associée aux échanges massifs et « sauvages » des œuvres protégées ne tardera pas à remettre en question son organisation. Cependant, on constate depuis 2004 l’émergence d’une offre commerciale sur Internet. Trop timide pour compenser la chute du CD, cette offre s’est enrichie au fil des années pour proposer des ventes à la carte et abonnements sur Internet (42% des ventes) et téléphonie mobile (58% des ventes). Taux d’évolution de l’offre commerciale phy sique et en ligne du marché musical Source : SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique) 20
  • 21. Un cadre juridique « inadapté » ? Longtemps protégés par le système des droits d’auteurs et des droits voisins, les acteurs de l’industrie musicale se sont rapidement employés à obtenir des ajustements juridiques pour se protéger de la « menace numérique ». Estimant que le développement des pratiques de consommation porte atteinte aux droits des auteurs et complique la mise en place d’une offre commerciale en ligne, le législateur français s’est engagé dans la voie « hasardeuse » de la construction d’un arsenal juridique complexe. Au préalable nous examinerons en quoi consiste le régime juridique actuel puis nous décrirons les évolutions annoncées faisant débat. 1.3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes Les droits d’auteurs et droits voisins - La Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique est le texte fondamental régissant les droits d’auteur s en France. Toute œuvre intellectuelle appartient à un auteur qui peut choisir souverainement de sa diffusion pendant un temps donné. - La loi n°85-660 du 3 juillet 1985 est relative aux droits dits voisins des droits d’auteurs. Les artistes interprètes jouissent à présent d’un droit ex clusif qui leur donne la possibilité d’autoriser ou d’interdire l’utilisation et l’exploitation de leur prestation et de prétendre à une rémunération en contrepartie de leur autorisation. Les droits d'auteurs et les droits voisins sont protégés pénalement : toute reproduction ou représentation d'une œuvre sans l'autorisation de son auteur est un délit spécifique de la contrefaçon, punie de trois ans de prison et 300.000 euros d'amende. La loi prévoit cependant plusieurs exceptions à ce principe, notamment le droit à la copie privée. 21
  • 22. Le droit d’exception à la copie privée. La copie privée est une exception au droit d'auteur français. L'exception de copie privée autorise une personne à reproduire une œuvre de l'esprit pour son usage privé. L'usage privé implique l'utilisation de la ou des copies dans le cercle privé, notion incluant la famille et les proches. C’est par exemple, faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte d'abîmer ou de se faire voler l'original. Le droit à la copie privée suppose le paiement d’une taxe sur l’achat de tous les consommables et appareils permettant de stocker des données numériques (CD/DVD vierge, clés usb, mémoire flash, disque dur etc…). Cette taxe est redistribuée au profit des ayants droits par les organismes spécialisés. Les dernières initiatives du législateur Incité par les puissants lobbys de l’industrie musicale à légiférer dans la régulation des échanges non autorisés sur Internet, l’Etat décide d’adopter dans l’urgence des mesures destiné es à condamner les échanges illégaux via P2P. Le 1 e r août 2006 est votée la loi DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information) à la suite de débats virulents. Destinée à protéger les droits des artistes, cette loi condamne, au t itre de contrefaçon, toute personne qui met à disposition et télécharge via logiciel P2P, un contenu protégé par des droits d’auteurs. A cette époque, près de 9 millions d’internautes français sont recensés au titre de « pirates ». Devant l’impossibilité d’appliquer la–dite sanction, la chancellerie adressera au parquet une circulaire pour inviter les juges à l'indulgence, c'est -à-dire, ne pas appliquer la loi. Bien décidé à sauvegarder le business model de l’industrie musicale, le législateur poursuit ses actions répressives en vue d’endiguer tout ou partie des échanges P2P, considérés comme des actes de « vols à l’étalage ». C’est ainsi que le 23 novembre 2007, le Président de la république, Nicolas 22
  • 23. Sarkozy, confie à Denis Olivenne (à l’époque PDG de la FNAC) la mission 15 de lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres légales d’œuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques. Le projet de loi « Création et Internet » dit HADOPI voit le jour. Après avoir été voté par le sénat le 31 octobre 2008 en commission mixte paritaire, le texte est rejeté à l’assemblée nationale. Il est représenté le 12 mai 2009. Ce texte de loi garantit une alternative « pédagogique » à la loi DADVSI, en donnant pouvoir à une autorité administrative indépendante de contrôler les échanges illégaux sur Internet et de sanctionner les contrevenant s dans une logique dite « de riposte graduée » : envoi de mails de mise en garde puis d’un courrier recommandé annonçant une possible coupure de l’accès à Interne t allant de 2 mois à 1 an si le « pirate » ne cesse pas son activité illégale. Cette loi doit compléter le dispositif précèdent (DADVSI). 1.3.3 Les stratégies de communication mises en œuvre Le débat public ainsi ouvert par la recherche de nouvelles réponses législatives met en évidence des stratégies de communication qui globalement s’inscrivent dans une continuité de discours et de pratiques. Pourtant, l’apparition de nouveaux modes de communication, véritables canaux d’expression portés par Internet, vient accroître la diversité des acteurs du débat public. L’industrie communique Déjà en 1980, alors que la K7 permettait de réaliser des copies privées, l’industrie musicale avait réagit, soutenant la thèse dommageable de la copie sur la santé du secteur musical. C’est ainsi que la première campagne de 15 Ministère de la culture et de la communication, « le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux, novembre 2007, http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index- olivennes231107.htm 23
  • 24. sensibilisation en direction du public est menée aux Etats -Unis par la Recording Industry Association of America (RIAA) sous le slogan « Home Taping Is Killing Music » (« les copies sur cassettes tuent la musiqu e »). Dès cet instant, l’industrie revendique une taxe sur les supports vierge d’enregistrement. Aujourd’hui en France, l’histoire se répète. Voyant chuter les ventes de sa meilleure source de revenu, le support CD, l’industrie du disque s’est empressée de fustiger les réseaux P2P et leurs adeptes. Des nombreuses campagnes 16 de communication média ont été réalisées, diffusées en affichage, presse, sur les écrans de télévisons et de cinéma. Elles relayent un message répressif en assimilant le téléchargement illégal à du vol à l’étalage qui expose le contrevenant aux peines réprimant le délit de contrefaçon. L’Etat soutient l’industrie Dans le même temps, le législateur prend lui aussi position en légiférant contre le téléchargement illégal (DADVSI) Mais ce n’est qu’avec le projet de loi « Internet et Création » que le gouvernement va mettre en œuvre un plan de communication visant à obtenir l’appui de l’opinion en recourant au Web avec la création du site « jaimelesartistes.fr ». Observons qu’entre la dernière campagne présidentielle française et l’entrée à la maison blanche de Barak Obama, le Web a très largement prouvé qu’il était devenu un outil innovant, incontournable dans une campagne de communication politique. Représenté par la ministre de la cultur e et de la communication Christine Albanel, le gouvernement relaye le message à travers la presse, la radio , les émissions de TV. Ce message y est plus modéré que DADVSI mais reste considéré comme un axe répressif à l’encontre de celui qui est toujours déclaré « pirate » aux yeux du monde. 16 Cf. annexe n°6 p.70, « visuels des campagnes de communication média ». 24
  • 25. Internet et le « marché des opinions » Il suffit de taper « HADOPI » « Création et Internet » sur Google pour prendre la température du web. N’est-elle pas devenue une immense place publique, cette toile sur laquelle chaque nœud est un socle regroupant un groupe d’opinions ? Des opinions solidement étayées aux assertions incantatoires, les débats se répètent sur l’ensemble des grands sites d’informations des quotidiens nationaux (Le monde, Libération, Les échos etc.), des sites d’information générale (Numerama, Pcinpact, commentçamarche, lejournaldunet, etc.), des Blog et autres relais médias du Web français. Chaque nœud connecté les uns aux autres, les opinions volent sur cette grande scène du débat démocratique. Mais sur le Web 2.0, le ton du discours n’est clairement pas le même que celui de l’industrie ni de l’Etat. En matière de réaction citoyenne, le buzz a très largement été utilisé pour relayer les films, caricatures et autres créations des internautes : « Le CD est mort, c’est à l’industrie de s’adapter ». Une réelle fracture apparaît désormais entre l’industrie musicale et les consommateurs de la « planète numérique » où ces derniers s’imposent de plus en plus comme des acteurs incontournables de l’économie réelle. Ainsi, cette présentation de l’ensemble des acteurs, de leurs interrelations, des stratégies de communication utilisées met en évidence le contexte dans lequel s’est développée la redondance du discours dominant – provisoirement ? – apportant la répression pour seule réponse au changement. L’industrie musicale s’est façonnée un business model au fil du temps, connaissant tantôt l’age d’or, tantôt des périodes de crise. Face à ces difficiles adaptations, ce business model a systématiquement subi le comportement changeant des consommateurs sans anticiper sur les effets prévisibles des mutations technologiques. L’ère de la numérisation et d’Internet est un nouveau défi pour l’industrie. En privilégiant les mesures protectrices, l’industrie épaulée par le législateur semble ignorer les leçons du passé. Aussi se trouve- t-elle enfermée dans un système bloqué marqué par un décalage entre l’univers communicationnel public et l’économie réelle ! 25
  • 26. II. Les nœuds d’une économie musicale sous tension La consommation numérique comme nous venons de le voir, secoue l’économie musicale. Aussi, le moment est -il venu de repérer les nœuds qui expliquent comment cette situation s’est cristallisée, ce qui va nous conduire dans un premier temps à distinguer trois types de fact eurs explicatifs et dans un deuxième temps, à approfondir le rôle joué par la communication dans une crise qui ne pourrait être qu’une crise de transition. 2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension Le premier, d’ordre économique, s’intéresse au business model à bout de souffle de l’industrie musicale. Le second retient l’intervention classique du législateur source de division. Le troisième d’ordre culturel portera sur l’affrontement de deux visions sociétales : d’un côté une définition traditionnelle des échanges culturels impliquant un coût pour le consommateur final, de l’autre les partisans d’un monde où l’accès à la culture serait libre pour tous (gratuit pour le consommateur final). 2.1.1 Un business model dominant à bout de souffle Le business model de l’industrie au service des 4 grandes majors, (se partageant 75% du marché musical mondial), se présente, nous l’avons vu, comme un système d’une grande complexité. A cela s’ajoute qu’aujourd’hui il paraît à bout de souffle, aussi le voit-on chercher à gagner du temps pour poser les fondements d’un système concurrentiel actualisé et plus performant. La situation de crise qu’il connaît s’explique par un double mouvement : 26
  • 27. - Le premier selon lequel une poignée de genres musicaux dit « facile à vendre » assure le gros des revenus nécessaires à la production des genres plus difficiles. Grâce à une mécanique « bien huilée » de promotion marketing et distribution industrialisée à forte économie d’échelle, ces « vaches à lait musicale », constituent la pierre angulaire du business model. Pour exemple concret, les 2/3 de la programmation musicale des radios FM « jeunes » (Fun Radio, NRJ, Skyrock, …) sont construit autour d’une quarantaine de titres ! C’est d’ailleurs et sans aucun doute le plus gran d reproche que l’internaute peut faire à l’industrie du disque : industrialiser une création de plus en plus déconnectée des attentes de son public. L’arrivée d’Internet court -circuite cette vision à sens unique de l’industrie musicale. Dégagé de l’influen ce des médias traditionnels (radio TV), l’internaute peu t désormais occulter les effets du « star system ». - Le second est lié à la notion de support défini en première partie. Le process économique de l’industrie est encore principalement tributaire de l’aspect physique du support. Concrètement, si un ami vous emprunte un CD acheté dans les bacs, vous ne pourrez plus vous en servir, idem si vous le perdez ou s’il s’abîme. La numérisation du support a été la première épine de l’industrie. Duplicable à l’infini, le « produit culturel » une fois numérisé est fatalement dépourvu de toutes ses variantes mercatiques : Packaging, coffret collector, bonus… Ce qui, jadis, faisait toute la valeur du support physique s’est « dématérialisé ». Une crise oui, mais pas celle que l’on pense « La crise ? Quelle crise ? » Pour l’association de consommateur « UFC Que Choisir », si l’industrie du disque traverse effectivement quelques turbulences , elle est loin d’être condamnée. C’est en tout cas ce qu’attestent les résultat s d’une des majors Universal Music France. Pour l’instant le secteur musical affirme que les revenus de l’offre légale sur Internet ne parviennent pas à équilibrer les pertes sur les ventes du CD. Mais elle oublie de préciser que les 27
  • 28. coûts de production et de distribution des œuvres numériques sont nettement moins importants. (en millions d’euros) Finalement, la situation serait même relativement simple. Le CD devient obsolète, l’industrie élargit – tardivement – son offre vers des modèles économiques alternatifs (offre légale sur Internet). Le temps de leur mise en marche, ces nouveaux modèles ne constituent pas encore une rente de situation aussi forte que celle du CD mais l’avenir de ce modèle al ternatif est inéluctable. Tera Consultants Equancy & Co tente de démontrer l’impact négatif du téléchargement illégal via P2P sur la vente de CD. Dans son rappor t 17 ce cabinet d’étude comptabilise la somme totale des « pertes » liées au téléchargement illégal qu’il considère comme un manque à gagner pour l’industrie. Pourtant des sondages reflètent une tendance évidente : L’internaute n’aurait jamais pu acheter tout ce qu’il télécharge illégalement. Les artistes sont-ils en danger ? Qu’en est-il de l’artiste ? Si l’industrie des majors et des labels indépen dants traverse les turbulences d’une réorganisation, celle -ci a un impact différé sur les artistes. Ne touchant pratiquement rien ( 5 à 10%) sur les ventes de CD, l’artiste perçoit l’essentiel de ses revenus par l’intermédiaire des organismes de rémunération (SPRD) où il est référencé. 17 Tera Consultants Equancy & Co « Rapport Hadopi - Impact économique de la copie illégale des biens numérisés en France », novembre 2008, http://www.guim.fr/blog/files/Equancy-Tera-Rapport_Hadopi.pdf 28
  • 29. Malgré les discours alarmistes de ces organismes, leurs revenus ne semblent pas menacés par ce contexte perturbé. C’est du moins la conclusion que l’on peut tirer au vu des sommes perçues par la SACEM, revenus qui, somme toute, demeurent le meilleur indicateur de santé financière des auteurs compositeurs. Source : SACEM A la vue de cette analyse d’UFC Que Choisir, le SNEP réagit vigoureusement en rappelant que la SACEM ne rémunère qu’une partie des acteurs de la création (auteurs compositeurs). En effet, ce sont surtout les artistes interprètes qui sont le plus touchés. Rémunérés par l’ADAMI, leur source principale de revenus provient des ventes de CD. L’artiste interprète est donc touché de plein fouet par la crise du su pport. Pire, l’artiste interprète ne touche rien des ventes en ligne. Le SNEP semble donc apporter les précisions nécessaires à une plus juste information. Quand on sait que les maisons d’édition perçoivent 40 à 50 % sur la vente d’un CD, près de 60% sur les ventes en ligne et rédigent les contrats des artistes, beaucoup se demande nt alors pourquoi l’artiste interprète ne touche rien des ventes en ligne ? 29
  • 30. Bien que certains déplorent le manque d’honnêteté des labels et majors, il faut admettre que ces acteurs sont difficilement contournables. Ainsi, bien que l’artiste plus ou moins célèbre déjà produit semble à l’abri, on ne peut pas en dire de même pour tous ceux qui souhaiteraient le devenir. Dans ce contexte de déstabilisation, l’industrie prendra moins de risque à produire des nouveaux talents surtout si ceux-ci sont dits de genre difficile. Il en est de même pour la conservation de leurs contrats. Plutôt que de parler d’une baisse des revenus des artistes, il vau drait mieux évoquer ce qui apparaît en réalité être une baisse « à l’embauche ». Source : SNEP 2.1.2 L’intervention classique du législateur génère la division « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » Montesquieu Si l’industrie admet une nécessaire évolution de son business model, elle reste campée sur sa position en dénonçant ces « fauteurs de désordres économiques », les « pirates » qui s’adonnent librement à ce qu’elle considère être du « vol à l’étalage ». Et c’est ainsi 30
  • 31. qu’une partie du monde musical sollicite la protection du législateur. Mais les actions du législateur censées protéger la création ne semblent pas convaincre tous ces acteurs. Dans la classe politique et celle d’artistes médiatisés ou non, la division règne. Et plus le débat public se poursuit, s’intensifie, et plus les opposants au texte « Création et Internet » s’organisent autour d’une autre démarche : la « Contribution Créative » « Création et Internet » versus « Contribution Collective » Convaincu par le discours alarmiste du puissant lobby et d’u ne poignée d’artistes de renom illustrant « l’exception culturelle française » le gouvernement français s’est empressé de légiférer. A la demande du Président de la république, la mission Olivenne est chargée de fournir un état des lieux de la création mus icale et des effets néfastes du téléchargement illégal. Reprenant le concept militaire dit de « riposte graduée », Dennis Olivenne à l’époque PDG de la FNAC se trouve investit de la préparation du projet de loi « Création et Internet » présenté comme « pédagogique ». Pédagogique en effet car à la différence de son ancêtre DADVSI jugée inapplicable car ultra répressive (délit de contrefaçon) la proposition de loi « Création et Internet » se définit comme un processus de mise en garde avant la sanction. En co nférant à une Haute Autorité Indépendante dite HADOPI le pouvoir de contrôler les échanges sur les réseaux P2P, le projet de loi prévoit que soit envoyé e une série de signaux forts à l’internaute qui se trouverait en situation irrégulière. Si l’internaute ne prend pas acte des avertissements, il verra son abonnement suspendu pour une durée de 2 à 12 mois tout en continuant le pai ement de ce dernier. Loin d’annuler les peines encourues par la loi DADVSI, la loi dite HADOPI viendra s’y ajouter. Les défenseurs de la loi – créateurs et élus de gauche comme de droite – attendent avec impatience son adoption et son application. Convaincus que son aspect pédagogique dissuadera une partie des « pirates », les acteurs de la création musicale pro-HADOPI partagent cette impatience à l’idée que 31
  • 32. leurs droits (d’auteurs) seront enfin à l’abri des « sauvages qui pillent leur travail ». Selon eux, une fois dissuadé, l’internaute se tournera automatiquement vers l’offre légale. Sur ce point, Patrick Walbroeck nous fait part de sa méfiance 18 en rappelant que la musique est avant tout un bien de consommation qui peut se substituer à d’autres loisirs comme les jeux vidéo par exemple. Mais pour les pro-HADOPI c’est surtout le rêve qu’un jour Internet ne soit plus « une jungle de sauvages » mais bel et bien « un havre de civisme ». Ce projet de loi, loin de faire l’unanimité, sème donc la discorde au sein même des partis politiques et des acteurs de la création musicale. Ainsi, il rencontre une opposition qui s’appuie sur l’argum entaire suivant : - Le texte n’apportera rien en termes de rémunération pour les artistes. En effet aucun réajustement de la répartition des droits n’est prévu dans le texte de loi. La création d’une offre légale sur Internet sera sans effet sur les inégalités du système actuel. Tel est le propos 19 que nous avons recueilli de Jean Pelletier. Il déplore que les revendications de l’ADAMI ont systématiquement été écartées lors des négociations visant à revisiter le statut de l’artiste interprète qui, rappelons-le, ne touche rien des ventes commerciales en ligne. - Un texte qui selon Bertrand Le Gendre, n’est ni plus ni moins la concrétisation du fantasme de l’Etat visant à réguler un monde « sans foi ni loi » où il n’a que très peu d’emprise. Ainsi ajoute t-il « (…) Ses concepteurs (de la loi) sont convaincus que les usages culturels induits par Internet peuvent être réglementés par l'Etat, comme à l'époque où André Malraux et Jack Lang régnaient sur la culture française. Une illusion, bien sûr, un rêve d'énarque »20. 18 Cf. annexe n°2, p.61, interview de Patrick Waelbroeck, professeur associé à l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST). 19 Cf. annexe n°1, p.57, interview de Jean Pelletier, relations extérieures de l’ADAMI. 20 LE GENDRE, Bertrand, « Olivennes, Albanel, Sacem ou la loi "création et Internet" » – Le Monde – 27 avril 2009. 32
  • 33. - Le texte est techniquement et juridiquement inapplicable: Techniquement, l’organisme indépendant chargé de « traquer » les « pirates » ne peut repérer ces derniers que grâce à leur adresse IP (Internet Protocol) une plaque d’immatriculation en quelque sorte. Or, l’adresse IP peut facilement être masquée (anonyme) ou « dérobée » à une tierce personne : Les connexions Wifi sont sécurisées mais des logiciels circulent sur le net pour « casser » les sécurités. Que ce soit pour l’anonymisation comme pour les clés Wifi, pas besoin d’être un internaute averti, n’importe quel adolescent connaît les techniques… Juridiquement car l’amendement 138 du Paquet Telecom 21 voté par le parlement européen déclare l’accès Internet comme étant un moyen essentiel à l'exercice de droits fondamentaux tels que la liberté d'expression et d'information ou encore la vie privée. Selon cet amendement, seule une autorité judiciaire peut priver un citoyen de ce droit. Le texte relève d’une démarche que les opposants estiment pour la plupart « liberticide et d’un autre âge ». Ils reprennent la thèse du complot en accusant le législateur de « copiner » avec les majors sans prendre en considération les vrais intérêts des artistes et de leur public. Dès lors, comme réponse alternative au projet HA DOPI, les opposants avancent la solution dite de « Contribution Collective » appelée aussi « Licence Collective Etendue ». Cette variante de la « Licence Globale » doit permettre selon ses concepteurs, d’échanger gratuitement les musiques entre internautes moyennant une contribution forfaitaire, allant de 5 à 15 euros par mois qui s’ajouterait aux abonnements FAI. En proposant une plateforme de téléchargement, légale et standardisée, les opposants HADOPI sous -entendent une révision du principe des droits d’auteur s qu’ils estiment inadapté à l’ère numérique. 21 Ensemble de dispositions proposées au Parlement européen visant à réformer certains mécanismes du marché des télécommunications. 33
  • 34. La joute se poursuit avec les pro-HADOPI qui s’opposent à cette proposition alternative en se fondant sur les arguments suivants : Outre sa difficile mise en place technique et son système « douteux » de rémunération des créateurs, ils estiment qu’il n’est pas juste de taxer ceux qui ne téléchargent pas illégalement. A cela les opposant HADOPI répliquent que la « taxe copie privée » décrétée par le gouvernement à l’initiative de l’industrie est imposé e à l’achat d’un outil de stockage quelque soit l’usage que l’on en fait… Mais ce projet cause surtout un grave préjudice à l’offre légale qui se développe sur le Net. En « légalisant » le téléchargement P2P, ce projet est une entrave au développement de l’offre légale en ligne. Les pro-HADOPI (principalement libéraux) dénoncent la « dérégulation » d’Internet et accusent leurs opposants (essentiellement de gauche) de soutenir ce phénomène pourtant contraire à leurs principes. Ces derniers répliquent en affichant le respect de leurs idéaux du fait qu’ils proposent de promouvoir l’accès à la culture et non de la ré duire à un produit économique dont les acteurs en libre concurrence se disputeront la distribution sur le net. En réalité, le clivage est moins sur la ligne de partage des familles politiques et des acteurs de la création que le reflet d'un conflit généra tionnel. 2.1.3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ? Avant tout une question de représentation de valeurs. 34
  • 35. Pour les uns, Internet est un monde innovant, source d’information et/ou de divertissement pour l’usage privé, d’une utilité avérée pour l’usa ge professionnel et bien sûr, une source intarissable d’opportunités marchandes et média. L’expérience des années permet à la génération – que l’on peut qualifier d’« analogique » – d’analyser l’impact du Net sur les instances traditionnelles comme les médias classiques par exemple mais aussi l’économie, la créativité, l’aspect pratique de la vie de tous les jours (plus besoin d’aller à la bibliothèque pour trouver des sources à un rapport !). Tenir un blog, partager ses m émoires, ses expériences, retrouver d’anciens camarades… Mais le web n’est pas leur vie et ils s’inquiètent de voir les nouvelles « générations numériques », parfois distendre le lien avec le monde réel, immerger leur esprit dans l’immatériel, qu’ils jugent illusoire et éphémère… La façon dont les jeunes générations consomment les biens culturels étonne les uns, scandalise les autres : jadis il fallait faire des concessions pour pouvoir s’offrir un album de musique. Il y avait une notion forte de valeur associée au plaisir de posséder le bie n culturel. Aujourd’hui « les générations numériques » « consomment », « pillent » pour la plupart et n’auraient plus conscience de la valeur des choses… De tels jugements illustrent ce qui peut être considéré comme l’expression d’une fracture générationnelle. Pour les autres – cette génération numérique née à l’instar du Web – la vision du monde a changé à bien des égards. Avec Internet c’est le rapport à la réalité lui-même qui est modifié : la valeur physique d’un bien, loin de s’effacer, subit de profondes mutations. La numérisation dématérialise. A contrario du voleur qui dérobe et dépossède la victime de son bien, l’internaute, vite affublé des termes « pirate » et « voleur », ne se sent moralement coupable de rien. Bien au contraire… Internet est plus qu’un outil, il constitue pour les plus passionnés « un nouveau monde, le leur ». Les propos de Marshall MacLuhan s’illustrent ici à merveille lorsqu’il fait allusion au village planétaire. C’est à travers un esprit communautaire, dans une affiliation pl us ou moins forte, que la génération 35
  • 36. numérique transite du monde réel au virtuel. Et pour eux, Internet est avant tout construit sur le principe fédérateur du « partage ». Des internautes créent des logiciels et des langages de programmation qu’ils mettent gratuitement à disposition de « la communauté », des logiciels de P2P, de copie (films/musiques), des systèmes d’exploitation (Linux vs Windows) gratuits, souvent bien plus puissants et complexes que ceux trouvables dans le commerce… Des internautes pas sionnés qui ont façonné cette « Toile » que « les analogiques » apprécient tant. Comment peut-on espérer « éduquer » une génération qui estime avoir réussi là où d’autres ont échoué ? Peut-on comprendre ce qui anime une personne qui achète un album puis le met en ligne à disposition de tous ? La fin de l’ère analogique ? Selon Jean-Claude Carrière. « Si des créateurs souhaitent partager gratuitement leurs œuvres sur Internet, c’est leur choix mais pas le mien, respectez cela » 22. Cet argument de débat est sérieux. Et c’est bien pour cela que la situation est actuellement bloquée. La chute des ventes physiques est principalement imputable à l’ère numérique c’est un fait. Le lien avec les échanges P2P bien qu’il ne soit pas clairement démontré être la raiso n de cette chute, fait partie intégrante de l’impact lié à l’essor des nouvelles technologies. Les droits d’auteurs vieillissent tout comme les modèles économiques des années 1980. Le consommateur numérique, s’impose de plus en plus comme un acteur clé de l’économie réelle, ouvrant un contexte novateur pour les jeunes créateurs, eux même issus de ce « nouveau monde ». 22 Emission TV – France 3 – « Ce soir ou jamais » – http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/index- fr.php?page=emission&id_rubrique=662 – mai 2009. 36
  • 37. En réponse à Jean-Claude Carrière (dans la même émission) Joseph Paris : « Je dois trouver de nouvelles façons de produire mes œuvres. Je ne puis plus me baser sur les modèles qui ont fait votre carrière ». S’il y a bien une certitude, c’est que la vision des échanges physiques des œuvres musicales est en déclin. Ce douloureux contexte de la transition vers la généralisation de nouvelles voies de business model semble occulté par une bataille de communication qui occupe le devant de la scène publique. 2.2 Le rôle joué par la communication dans une crise de transition Après avoir analysé les différents nœuds mettant sous tensions l’industrie musicale, qu’ils soient technologiques, économiques, culturels et politiques, il s’agit maintenant de mettre en lumière toute l’importance du rôle de la communication dans la situation de crise qui affecte l’ensemble des acteurs de l’économie musicale. Nourrie par des campagnes de sensibilisation média, des débats télévisés, des articles dans la presse, la communication semble entretenir un débat qui pour l’instant, tourne en rond. 2.2.1 Chronologie des discours de communication 2004, Le SNEP fulmine De 2002 à 2004, baisse de 25% du volume des ventes de musiques. 9 millions de citoyens français déclarent télécharger via P2P. Pour le SNEP, pas de doute possible, c’est 9 millions de voleurs qu’il faut à tout prix dissuader où alors « la musique mourra ». 37
  • 38. « Nous faisons un doigt d'honneur aux pirates qui téléchargent illégalement de la musique en ligne ». Gilles Bressand, président du SNEP Le visuel phare 23 de la campagne média menée par l’agence Nogoodindustry à la demande du SNEP met en scène un émoticône symbolisant « le doigt d’honneur ». Scindé en 2 parties, la 1 è re moitié de l’image illustre l’attitude des internautes jugée (par le SNEP) insultante à l’égard de la création musicale. La 2 è m e partie du visuel représente cet émoticône de rrière des barreaux de prison. Les internautes qui ne connaissaient pas, à l’époque, la nature de leurs actes étaient prévenus. Le message se veut clair, limpide même : « L’échange de musique sur Internet c’est du vol et désormais c’est jusqu’à 300.000 € d’amende et 3 ans d’emprisonnement ». Les réactions furent à la hauteur de la violence du visuel. De nombreuses associations de consommateurs (Syndicat Français des Artistes, UFC Que Choisir, UNAF, la Ligue de l'enseignement, CLCV, …) firent par t de leur « désapprobation » quant à la virulence du message de la SNEP : « Cette campagne indécente et irresponsable du SNEP insulte et menace 20 millions d'internautes, (…) Nous réclamons l'arrêt immédiat des pressions et menaces fondées sur des poursuites judiciaires à l'encontre des internautes, tant qu'un "vrai débat" n'aura pas eu lieu et que des "solutions innovantes" n'auront pas été proposées ». Ce message aurait pu générer chez l’internaute une prise de conscience majeure s’il n’avait pas comporté 2 lourdes erreurs : « L’échange de musique sur Internet » n’est pas une pratique illégale en soit, la copie privée et l’utilisation de logiciel P2P non plus. Seul l’échange non autorisé d’une musique est considéré comme un délit. Aucune alternative valable de téléchargement légal n’était proposée par l’industrie en réponse à l’essor du numérique (et des baladeurs MP3). 23 Cf. annexe n°5, p.6 8, « campagne de communication du SNEP » mai 2005 38
  • 39. Cette campagne de communication fut considéré e pour beaucoup comme « un pavé jeté dans la marre », la déclaration ouverte d’une contre attaque des majors menée contre la « génération numérique » « Nous nous attendions à ce que notre business ne soit pas affecté dans le monde de l'interactivité, pendant que la connexion permanente et le partage de fichiers explosaient. Bien sûr, nous avions t ort. Pourquoi ? Parce qu'en restant immobiles ou en bougeant à un rythme glaciaire, nous sommes involontairement entrés en conflit avec le consommateur, en lui refusant notamment ce qu'il voulait et pouvait trouver ailleurs. Le résultat des courses, c'est que le consommateur l'a emporté ». Edgar Bronfman, PDG de Warner Music. 2006 : DADVSI ouvre le débat Le ministère de la culture commande à Pub licis le site Internet « lestelechargements.com » afin d’informer le public et les acteurs de la création sur le projet de loi DADVSI. Cette première initiative du législateur sur le Web atteste d’une prise de conscience sur la nécessité d’étendre le débat, de créer un pont entre les acteurs de la création et leurs publics. Jugé orienté contre le projet de « Licence Global », alternative proposée à l’époque par les opposants au projet DADVSI, des voix se sont élevées contre la SACD et la SACEM présumées avoir collaboré au développement du site. Bon nombre d’internautes attestent que les commentaires qu’ils laissent étaient « modérés » (censurés). Ces commentaires étaient pourtant jugés construits et cohérents, épurés de toute invective ou critique infondée. Pour bon nombre d’internautes, « lestelechargements.com » n’était qu’une « vitrine de la loi » et « propagande du gouvernement ». Le site a rapidement été fermé. 39
  • 40. 2007, le SNEP s’aligne « L’ouverture d’un débat sur l’avenir de la musique nous est apparue essentielle à l’heure où la révolution numérique nous a, paradoxalement, éloigné » Hervé Rosny PDG du SNEP. Dans la continuité d’une nécessaire ouverture apportée par le débat DADVSI le SNEP lance « www.faceface.fr ». Le site connu le même sort que « lestelechargements.com » pour des raisons similaires. 2008, qui n’aime pas les artistes ? Depuis, le SNEP a décidé d’ouvrir un Blog « DemainLaMusique.com » qui est actuellement en ligne. Hervé Rosny ainsi que différents membres du SNEP apportent régulièrement des « éclaircissements » et point de vue pour « rééquilibrer » la tendance du discours sur Internet. E ncore une fois, de nombreux internautes déplorent que leurs commentaires, qu’ils jugent pertinents soient systématiquement « modérés ». Afin d’informer le public sur le actions menées par le ministère de la culture en faveur de la loi « Création et Internet », le site « jaimelesartistes.fr » ouvre ses portes. Les principaux axes du projet de loi HADOPI sont exposés, de nombreux témoignages d’artistes en faveur de la loi sont consultables en vidéo streaming et le site propose de nombreux liens vers les plat eformes de vente légale de musique en ligne. A la différence des précédentes initiatives du législateur et de l’industrie de la création en matière de communication sur Internet via site web, jaimelesartistes.fr ne propose pas de f orum ni d’espace de commentaire. Piraté à plusieurs reprises, le site estimé « blindé » par le ministère résiste mal à ses assaillants. La ministre de la Culture, Christine Albanel a déploré « les attaques incessantes (…) mobilisation des groupes de pression qui s'opposent aux droits des artistes et des entreprises culturelles » 40
  • 41. Ces mots de la ministre résument assez bien la teneur du discours de communication du gouvernement. Evoquant sans cesse la malveillance des 15 millions d’internautes français qui téléchargent illégalement à l’égard des artistes et de la création, le législateur semble se fourvoyer : - « J’aime les artistes, je ne télécharge pas illégalement » sous-entend clairement « je n’aime pas les artistes, je télécharge illégalement». En tentant d’émouvoir l’internaute, cette stratégie ne semble pas porter ses fruits. Bien au contraire, elle prend le risque de creuser plus profond l’écart entre le monde de la création et son public. Les internautes les plus virulents dans leurs actions contre le projet de loi se réc lament d’une vision idéalisée de la culture épurée de son « aversion » mercatique. Convaincu « du large soutien populaire » dont il se prévaut, le ministère de la culture et de la communication balaye ces puissants relais d’opinion du Net estimant que toute opposition au projet HADOPI ne relève que d’une « agitation entretenue par quelques groupuscules ». Le positionnement de ce discours en termes de communication politique s’expose à la critique « d’entretenir la flamme de la discorde ». Alors que l’Etat met en avant un argumentaire protecteur envers les artistes et la création , Henry Padovani 24 ne semble pas partager ce point de vue. « Les artistes ne se mobilisant pas eux-mêmes dans cette affaire, ce sont tous les autres acteurs de l’industrie (…) qui mène nt le combat à leur place. C’est comme si, par exemple, les producteurs de tomate s demandaient à Carrefour de défendre leurs intérêts… » 25. - De nombreux experts ont démontré les limites techniques, juridiques et culturelles du projet de loi et pronostiqu é l’inefficacité du dispositif répressif qu’il comporte, face à 15 millions d’internautes « hors la loi », sans apporter de garanties supplémentaires aux artistes et à la création. En d’autres termes 24 Fondateur de la première Police de la musique en 1977, musicien, directeur de label et producteur d’artistes comme The Cramps ou REM et manager de Zucchero. 25 Interview de Henry Padovani par StopPartage – http://www.stoppartage.fr/s pip.php?article62 – avril09 41
  • 42. pour eux le projet de loi relève davantage d’une straté gie de communication que d’une réelle réponse législative. 2.2.2 Le Web, un nouveau canal d’expression Il fut un temps pas si lointain où les nouvelles générations avaient principalement « la rue » pour faire entendre leur voix. Loin d’être révolue, cette époque s’est enrichie d’un nouveau canal d’expression. Beaucoup de professionnels considèrent Internet comme un outil média « révolutionnaire » dans le monde de la communication. Mais à la grande différence des médias traditionnels laissant peu de place à l’ interaction, Internet est bien plus qu’un simple vecteur de campagne. Son utilisation en tant qu’outil est extrêmement délicate et toute erreur d’appréciation peut s’avérer désastreuse. En créant la vitrine figée d’un projet de loi censée « rééduquer » un internaute qui a perdu « tout repère moral », le ministère de la culture et de la communication se heurte à une « rue numérisée » où la violence des uns ne peut plus être étouffée par quelques policiers en armes. La voix numérique est si puissante qu’elle parait raisonner bien au-delà de la sphère virtuelle, jusque dans les bastions de la république. Le débat, largement relayé par les médias traditionnels sous forme d’articles de presse, d’émission TV / radio prend une tournure peu commune. Blogs, site Internet, forum, vidéo Buzz d’internautes et d’associations de consommateurs. « UFC Que Choisir » a d’ailleurs réalisé un site Internet diffusant une série de courts métrages 26 qui tournent en dérision les mesures prises par le projet de loi HADOPI. Partout les opinions déversées par dizaines de milliers, consultées par des millions, sollicitent l’attention, au plus grand dam du gouvernement, des lobbys industriels, d’un monde analogique médusé par les voix dissidentes des jeunes générations. La notion de « vol » et de « piraterie » véhiculée à sens unique perd toute consistance sur la scène 26 Cf. annexe n°4, p.67, « Avec Dédé ça va couper ! » Année 2009 http://www.ca-va-couper.fr/ 42
  • 43. d’une joute communicationnelle masquant les coulisses d’une mécanique économico-technologico-sociale complexe. Finalement bien peu à l’écoute d’un public porteur de nouvell es pratiques de consommation ouvrant sur de nouveaux marchés de la création musicale et figée par un business model en burn out, l’industrie musicale et ses alliés se heurte à des difficultés pour trouver le ton juste en matière de communication. Ni les majors ni le législateur ne parviennent à sortir d’un débat public qui semble tourner en rond. En cherchant à numériser son modèle économique à travers une offre commerciale, l’industrie se trouve confrontée à une demande plus complexe qu’elle ne le pensait. Le débat public a fait surgir la nécessité de redéfinir à l’ère du numérique les échanges culturels. Loin de contester la rétribution due au créateur, les consommateurs du Web demandent à être mieux pris en compte dans la diversité de leurs pratiques . Certains acteurs de la création, artistes « visionnaires » à l’écoute de leur public ou tout simplement issus de la génération numérique veulent poser les bases d’un concept novateur destiné à mieux intégrer leur public dans les process de la création musicale. Rarement cités dans les controverses publiques ces créateurs prétendent mener l’artiste et son public sur le chemin du partage et de la réconciliation. 43
  • 44. III – Des propositions de communication pour une économie musicale « plurielle » La consommation numérique secoue l’économie de la création musicale. Les nouvelles technologies permettent-elles d’inventer des formes artistiques novatrices et rémunératrices pour les artistes ? L’offre commerciale d’œuvres musicales en ligne se développe à gra nde vitesse. Il en est de même pour les process alternatifs des créateurs indépendants. Les réseaux P2P au cœur de la définition même du protocole Internet, peuvent être perçus comme les pionniers d’un nouveau type d’échanges culturels en ligne ou la machine à vocation à être à la fois récepteur, émetteur, transmetteur . Comme nous l’avons vu « les mutations technologiques s’accompagnent de nouveaux comportements, d’un nouveau rapport à la création, de plus en plus collectives, de plus en plus issues du partage » Christian Vanneste Député du Nord. Parmi l’ensemble des futurs possibles, procédons au débroussaillage des sentiers sur lesquels nous déroulerons des stratégie s de communication accompagnant ces évolutions lourdes irréversibles fondées sur un double postulat implicite : - Au final le consommateur aura le dernier mot. - La cœxistence de deux économies : L’économie de marché traditionnel qui ne va pas disparaître et une économie « plurielle » favorisant des échanges autres que marchands. Ces stratégies s’articuleront donc autour de deux axes : Le premier concerne l’offre en ligne dite commerciale pilotée par les grands acteurs de l’industrie musicale, les majors et labels indépendants. Une offre née dans un contexte difficile et qui s’enrichit considérablement. Le second utilise pleinement la force d’Internet comme technologie de la relation pour promouvoir l’initiative alternative, appelons la « l’offre libre » portée par la génération numérique. 44
  • 45. 3.1 La promotion de l’offre commerciale en ligne Premièrement il s’agit de présenter en quoi consiste cette offre et deuxièmement de décrire les finalités et les modalités d’une politique de communication en assurant la promotion. 3.1.1 Etat des lieux de l’offre commerciale Actuellement le site du gouvernement « jaimelesartistes.fr » recense plus d’une trentaine de plateformes en ligne proposant le téléchargement ou la simple écoute (streaming), payant à l’achat du titre, sous forme d’abonnement ou gratuit en fonction des plateformes. Une grande partie des catalogues des 4 grandes majors ainsi que ceux des labels indépendants sont actuellement disponibles en ligne soit près de 10 millions de titres. Itune Store, la boutique en ligne de téléchargement de musique d’Apple est leader du marché mondial, et a généré 70% des ventes en ligne à travers le monde en 2008. Une offre attractive qui s’enrichie en valeur ajoutée Pour attirer un maximum de clients, particulièrement les habitués ou occasionnels des réseaux P2P, l’offre commerciale se veut porteuse d’une plus grande valeur ajoutée. Longtemps protégés contre la copie par des mécanismes de sécurité associés aux DRM (Digital Rights Management) la plupart des fichiers téléchargés via l’offre commerciale sont désormais libérés de leurs protections (bien que sur certaines plateformes comme Itune Store, les musiques sont encore partiellement protégées et ne permettent pas d’être copiées plus de x fois). Pour beaucoup d’adeptes du P2P ces protections représentent encore une contrainte les dissuadant d’utiliser l’offre légale. D e plus, les titres sont numérisés dans une qualité relativement similaire à ceux trouvables sur le réseau P2P. Cependant les plateformes commerciales jouent 45
  • 46. sur l’attractivité de leur offre par une qualité en matière de graphisme, de navigation, la gestion des comptes utilisateurs et la vitesse de téléchargement. Les nombreux acteurs de ce marché porteur de la vente en ligne semblent permettre aux consommateurs de trouver leur compte à travers l’eccleptisme des plateformes. Concurrencer le P2P paraît être la meilleure lutte Même pour un adepte, le réseau P2P reste dans l’ensemble source d’insatisfactions : Les musiques étant numérisées et mises à disposition par l’utilisateur final, la qualité n’est pas garantie et le fichier peut ne pas correspondre à celui espéré (virus, pornographie…) . La plupart des plateformes P2P doivent être correctement configurées auquel cas la vitesse de téléchargement peut s’avérer extrêmement ralentie… Pour les plus experts (plutôt marginaux), ces problèmes peuvent être rapidement résolus. Bon nombre d’utilisateurs réguliers ou occasionnels du P2P semblent prêts à payer pour plus de qualité. Un aspect difficilement concurrençable des réseaux P2P repose sur la possibilité pour l’internaute de trouver des titres qui ne seraient pas proposés par l’offre légale. Des titres anciens d’artistes oubliés, des remix et autres compositions difficiles à trouver dans le commerce, l’offre commerciale pourrait trouver moyen de s’enrichir grâce au P2P. La loi prévoit l’indulgence à tous ceux qu i obtiendraient via P2P des titres protégés par droits d’auteurs mais introuvables (ou très difficilement) dans l’offre commerciale. 3.1.2 Promouvoir l’offre commerciale par la communication Outre les majors et labels qu i bénéficient de fortes capacités de pr omotions pouvant ainsi stimuler leur offre en ligne par le biais des médias traditionnel s, l’essentiel de la communication des acteurs de l’offre commerciale en ligne se fait par Internet. 46
  • 47. Dans son dispositif de répression à l’encontre du téléchargement i llégal l’Etat intègre déjà un axe visant à promouvoir l’offre commerciale dans sa stratégie de communication. Cependant, il faut que le positionnement de cette stratégie se détache d’un discours « à tonalité répressive » afin de parvenir à une mise en valeur beaucoup plus performante de l’offre commerciale. La nécessaire adaptation du discours de l’Etat et de l’industrie « Télécharger des œuvres sans autorisation c’est du vol » « La piraterie doit être sévèrement réprimée » Ce positionnement du législat eur et de l’industrie en tant qu’axe de communication, bien que cohérent vis -à-vis de la législation ne semble pas conduire efficacement le public vers l’offre commerciale. Pénalisé pour une pratique qualifiée d’immorale, l’internaute a tendance à contracter une attitude de rejet à l’encontre de son « oppresseur ». Quelque soit son positionnement, s’il comporte les termes « téléchargement illégal / piraterie = vol » il apparaît contre productif. Il serait donc intéressant d’orienter le message vers une no tion plus respectueuse, marquée par les enseignements de l’histoire. Après tout, si 15 millions d’internautes ont déjà téléchargé illégalement au moins une fois dans leur vie, c’est somme toute qu’à un moment où à un autre, l’offre commerciale n’était pas en mesure de répondre à leurs attentes. Ainsi le discours gagnerait à ne s’axer que sur la pertinence de l’offre commerciale et sa forte capacité en matière de valeur ajoutée pour le consommateur. Une ouverture à été faite en ce sens 27. Les sommes engagées dans la lutte contre le « piratage » pourraient servir cet axe nouveau d’une campagne de sensibilisation nationale à travers les médias traditionnels tels que la TV, Cinéma, Radio Presse, affichage. Cette campagne s’attacherait au renforcement de la notor iété de l’offre commerciale afin que nul ne puisse encore penser q u’il n’existe pas d’alternative au P2P. S’en suit une notion d’image, parti pris fondamental de la campagne sur 2 axes complémentaires. Le premier est bien entendu de 27 Cf. annexe n°6, p.69, « visuels des campagnes de communication média » 47
  • 48. faire valoir la qualité de l’offre commerciale, seule capable de garantir un réel service de qualité. Un second axe est nécessaire, il doit réparer la fracture culturelle, rapprocher les acteurs de la création et leurs publics. Sur cet axe, les acteurs de la création gagneraient à afficher une plus grande transparence dans leurs interrelations. La question épineuse d’une possible « exploitation » de l’artiste au profit des « majors » doit rapidement être traitée et résolue. Toute l’importance jouée par l’industrie dans la recherc he de nouveaux talents, les risques qui s’en suivent doit être mise en valeur par un discours appelant à la responsabilité des consommateurs sans pour autant se vouloir moralisateur en recréant le lien indispensable entre l’artiste et son public. 3.2 La promotion des offres alternatives : les offres « libres » Ainsi que l’explique Jean-Baptiste Soufron : « Le libre représente une démarche qui organise l’ensemble de l’Internet ». Le « libre » est souvent mal comprit car trop souvent confondu avec la gratuité des contenus. Il s’agit bien souligne-t-il, « non d’une absence de règle mais d’un modèle d’innovation comportant des obligations pour les utilisateurs sans lesquels le développement extraordinaire des usages et des applications numériques n’auraient pas été possible ». 3.2.1 Etat des lieux de l’offre « libre » Qu’est ce que la musique « libre » ? Une création musicale est dite libre lorsqu’elle est soumise à des conditions d’utilisation et de distribution (échange, copie) spécifiques. Les « Creative Commons » constituent le groupement de licences le plus répandu dans le 48
  • 49. domaine de la création musicale « libre ». Cet ensemble de licences a pour but de fournir un outil juridique garantissant la protection des droits et autorisations liés à l’utilisation, la modification, la copie et le partage d’une création musicale. Ces licences dissocient les fondements de la propriété intellectuelle à la propriété physique. C’est en quelque sorte la réponse faite par des créateurs (et leurs publics) allant à l’encontre des droits d’auteurs traditionnels qu’ils estiment nuisibles à la diffusion et à la culture. Qui sont ces créateurs et leurs publics ? Le principe de la musique libre est apparu en réponse à la domination des majors dans le paysage musical. Jugeant cette do mination purement marchande, déconnectée de la valeur profonde de la culture et du partage, on peut appeler ces tenants d’une vision libérée, des « pronétaires » : « J’appelle pronétaires ou pronétariat (…) une nouvelle classe d’usagers des réseaux numériques capable de produire, diffuser, vendre des contenus numériques non propriétaires, en s’appuyant sur les principes de la « nouvelle économie » (…) il s’agit d’usagers d’internautes de « blogueurs » de citoyens comme les autres, mais qui entrent de plus e n plus en compétition avec les infocapitalistes traditionnels, auxquels ils ne font plus confiance. » Cet extrait 28 de Joël Rosnay illustre toute la teneur idéologique qui anime les créateurs de musiques « libre » et leur public. Le fait d’associer systématiquement « créateurs » à « public » sous-entend la forte proximité de ces acteurs. Comment les créateurs de la « musique libre » se produisent-ils Ces créateurs sont pratiquement inconnus du grand public car n’appartenant pas à une major ou un label indépendant. Ils ne bénéficient donc pas des effets de promotion du 28 DE ROSNAY, Joël, « La révolte du pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons http://www.pronetaire.com/livre/ 49
  • 50. « star system » relayés par les vecteurs traditionnels des mass médias. Ces pronétaires, créateurs d’une musique conditionnée par les licences « Creative Commons », mettent en partage leurs œuvres sur les réseaux P2P et sont téléchargeables gratuitement sur des sites tels que « dogmazic.net » et « jamendo.com ». On peut alors se demander comment ces créateurs parviennent à produire leurs œuvres. Deux situations sont à considérer : - La première concerne des créations qui font appel à des talents d’artistes tels que les chanteurs et musiciens. Pour un enregistrement de qualité, le passage en studio est quasiment inévitable. Une journée en studio d’enregistrement coûtait jadis près de 2500 euros. Aujourd’hui les tarifs avoisinent 250 euros par jour. 5 à 10 jours peuvent suffire pour l’enregistrement d’un album (cette estimation dépend beaucoup du genre musical). - La seconde est représentée par les créations électroniques, c’est-à-dire réalisables grâce à un ordinateur. Moyennant un investissement pouvant aller de 2000 à 5000 euros et un bon niveau d’expertise, un créateur peut s’autoproduire. L’apport personnel est nécessaire dans les deux cas, mais des créateurs sont parvenus à lever des fonds grâce à Internet en misant sur la contribution de leurs publics/sympathisants. Comment ces créateurs vivent-ils de leurs créations ? Partant du principe qu’ils ont acquis une notoriété auprès de leurs publics par le biais d’Internet (site d’écoute/téléchargement et P2P), ces créateurs parviennent à vivre grâce au concert, spectacles vivants et exploitations de leurs œuvres par des producteurs, publicité, cinéma etc. dans le cadre des licences commerciales prévues par les « Creatives Commons » De nombreux artistes anciennement produits par des labels ont ouvert la voie en mettant volontairement à disposition leurs œuvres à la fois sur leur site Internet et sur les réseaux P2P. A titre d’exemple, en 2007 le groupe Radiohead proposa le téléchargement libre de son dernier album « In Rainbows ». Disponible gratuitement sur le site Internet du groupe (et sur P2P), l’album ensuite commercialisé a été vendu à plus de 3 millions d’exemplaires alors que les 3 précédents albums n’avaient été vendu qu’à quelques centaines de milliers d’exemplaires. Une forte opération marketing au service d’un groupe déjà célèbre qui a ouvert la voie à bon nombre d’initiatives similaires. 50
  • 51. 3.2.2 Promouvoir l’offre de musique libre par la communication Les créateurs de musiques libres n e disposent pas des mêmes capacités d’investissement que les majors et labels indépendants en matière de promotion. Ils ne peuvent donc espérer accroître leur notoriété par le biais des mass média traditionnels. Leur canal de promotion passe essentiellemen t par des sociétés (Jamendo) ou associations (Dogmazic) qui les référencent sur Internet. C’est donc sur la promotion de ces acteurs qu’il faut concentrer les efforts stratégiques. Promouvoir les plateformes de musiques libres Dans le monde du « pronétariat », ces acteurs du « monde libre » sont très largement visibles. Internet est leur maison mère, ils connaissent et exploitent tous les rouages nécessaires à l’accroissement de leur visibilité. Investisseurs et publicités sont les sources principales de leur financement. Mais ces acteurs restent encore assez méconnus des internautes occasionnels peu engagés sur le Web. Sur plus de 25 millions d’internautes français, bon nombre ignore encore toute la richesse de la toile. Ce public doit donc être touché en dehors de la sphère virtuelle. Les alternatives aux médias traditionnels sont riches, c’est donc par le biais de moyens hors média qu’il faut articuler les efforts stratégiques. Le contexte extrêmement favorable du débat sur le devenir de la consommation culturelle numérique est largement entretenu à travers la presse. Quotidiens nationaux, régionaux, gratuits, supports d’information au service du public, beaucoup des journalistes sensibles à cette notion du partage et de la connaissance se mobiliseront pour célébrer toute la richesse de l’offre libre et le lien si particulier du créateur à son public. Il est donc primordial d’obtenir ce soutien stratégique, puissant de la presse . 51
  • 52. Un travail de prospection et d’information doit être intensifié afin de donner de la visibilité aux noms et logos de ces sociétés/associations améliorant la notoriété de cet univers du libre échange culturel. Partout où la création d’un artiste est exploitée ou pourrait l’être à des fins commerciales que ce soit lors d’un événement (tournée événementielle) dans une production télévisée (reportage), cinématographique, chez les commerçants (boutiques de vêtements) professions libérales (médecins), dans les parkings souterrains (Vinci), et tous les lieux publics qui diffusent ou le voudraient des œuvres musicales sans avoir à payer à la SACEM des droits d’auteurs parfois jugés exorbitants…. Beaucoup y gagneraient à découvrir cette offre alternative. 52