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Numéro 1 - Mars 2014
TEÎ PSS C I E N C E / A R T / P H I L O S O P H I E
EDITIONSDUTEMPSSĂ©ville
TEâPS/SCIENCE/ART/PHILOSOPHIE
1
3. Numéro 1 · Mars 2014
TEÎ PSS C I E N C E / A R T / P H I L O S O P H I E
«CâestnotreavenirquidĂ©finitnotreprĂ©sent»F.Nietzsche
4. 4 / REVUE TEÎ PS 2014
Rodrigo, mousse adolescent né à Séville (quartier de Triana), était à moitié endormi, quand
il aperçut la terre du haut du mĂąt de la Pinta. Il nâavait aucune idĂ©e de lâimpact quâaurait cet
instant sur lâhistoire de lâhumanitĂ©. Il ne savait pas non plus les obstacles quâavait dĂ» traverser
son patron, qui venait de passer les deux derniÚres semaines enfermé dans sa cabine, ne sortant
que rarement pour observer lâhorizon avec des yeux de fou.
Colon et les columbinistas étaient un petit groupe qui partageait une idée folle, impensable, la
rotondité de la terre. En 1487, les Docteurs de la grande Université de Salamanca avaient émis
un avis défavorable à son projet : il était acquis que ses bateaux tomberaient dans le vide une
fois arrivĂ©s au bout de la mer. Il aura fallu de la persĂ©vĂ©rance, beaucoup de patience, et lâaide
dâesprits Ă©clairĂ©s (dans lâentourage du Roi Fernando), pour convaincre les Rois Catholiques de
lâintĂ©rĂȘt de lâexpĂ©dition.
Aujourdâhui, Rodrigo a sa statue Ă Triana, mais le fonctionnement des hommes est restĂ©
le mĂȘme. Quand Antoine Suarez, sur les traces dâAlain Aspect dĂ©couvre dans son Âlaboratoire
que le temps nâest pas ce que nous pensons quâil est, rien ne bouge. Cette Âinformation est
Âpotentiellement de nature Ă remettre en question la plupart des Âparadigmes sur lesquels repose
notre civilisation. Le futur existerait dĂ©jĂ ? Il serait possible de sâextraire de lâespace-temps ? On
pourrait modifier le passé ? Telles sont les questions qui surgissent des capteurs de ces savants.
Seuls les audacieux osent penser le sujet : Etienne Klein, Thibaut Damour, Marc
ÂLachieyze-Rey, Carlo Rovelli, Alain Connes, Philippe Guillemant... Emerge, dans les Âlaboratoires
de recherche dâEurope, une nouvelle façon dâenvisager, de questionner le temps. Mais ce thĂšme
nâest pas rĂ©servĂ© aux scientifiques, il a dĂ©jĂ Ă©tĂ© pensĂ©, par les Âphilosophes et les psychanalystes;
on retrouve les Ćuvres de Bergson, Nietzsche, Jung, Merleau-Ponty, mais aussi les poĂštes, qui
perçoivent le monde avec des antennes plus fines : Dante, Proust, Etty Hilesum, ou des cinéastes
comme Alain Resnais (Je tâaime Je tâaime), les frĂšres Wachowski (Matrix).
VoilĂ lâambition de la revue Temps : publier les travaux issus de sciences dures, les
ÂexpĂ©rimentations, la thĂ©orie, mais aussi des textes abordant les consĂ©quences Âphilosophiques,
métaphysiques, ainsi que les intuitions des artistes, écrivains et cinéastes. Les critÚres de
Âpublication seront lâoriginalitĂ©, la rigueur scientifique au sens premier du terme.
Il nâest pas anodin que la plupart des chercheurs en pointe sur le sujet soient EuropĂ©ens.
Câest ici, dans ce continent en plein doute, moquĂ©, auto-dĂ©nigrĂ©, sans perspective dâenvergure
Âspirituelle, que vont naĂźtre de nouvelles solutions pour notre futur, par la science, lâeffort
Âintellectuel, lâexcellence de sa recherche, fruit de son intelligence collective Ă avoir su crĂ©er de
grandes structures de recherche.
Comme Rodrigo de Triana, gardons lâĆil bien ouvert, mais nâoublions pas, quand il aperçut
lâAmĂ©rique, oubliant sa faim, il pensait voir les IndesâŠ
EDITORIAL1487Philippe Sol
5. PSYCHO-PHYSIQUE / 5
Philippe Sol
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
philippe.sol@revuetemps.com
Emmanuelle Didou
CONCEPTION GRAPHIQUE
ET MAQUETTE
Ăditions du Temps
9 plaza san Lorenzo
41002 Sevilla
www.revuetemps.com
Tecnographic - Sevilla
IMPRIMEUR
NIF : 690115965
6. 6 / REVUE TEÎ PS 2014
SOMMAIRE
7
théorie
Le futur existe-t-il déjà dans
lâavenir ?
Etienne Klein
13
physique
Antoine Suarez, le physicien
qui a enterré le temps
Philippe Guillemant
17
expérimentation
Quand se décide le résultat ?
Au séparateur de faisceau ou
à la détection ?
Antoine Suarez
27
psycho-physique
Psyché quantique
et synchronicité
François Martin
45
philosophie
Chair et profondeur :
La temporalité chez
Merleau-Ponty
Lisa Gummeson
55
histoire du temps
Temps universel ?
Sylvie Anne Goldberg
66
livres & dvd
70
conférences
8. 8 / REVUE TEÎ PS 2014
THĂORIE
Le futur existe-t-il
dĂ©jĂ dans lâavenir ?
Etienne Klein
Etienne Klein est physicien, Directeur de recherches au Commissariat Ă lâĂ©nergie atomique et aux Ă©nergies
Âalternatives (CEA) et Chroniqueur sur France Culture (Emission Le Monde selon Etienne Klein). Il a notamment
publiĂ© Discours sur lâorigine de lâunivers (Champs-Flammarion, 2012).
En mars 1922, Marcel Proust adressa une lettre
Ă son ami Camille Vettard, un Ă©crivain qui
souhaitait mettre en rapport lâĆuvre de lâauteur
de la Recherche avec les thĂ©ories dâAlbert
Einstein sur lâespace et le temps.
Proust lui Ă©crivit ceci : « Lâimage qui me paraĂźt
la meilleure pour faire comprendre le sens de
mon Ćuvre, câest peut-ĂȘtre celle dâun tĂ©lescope
braqué sur le temps, car le télescope fait
apparaĂźtre des Ă©toiles qui sont invisibles
Ă lâĆil nu, et jâai quant Ă moi tĂąchĂ© de faire
apparaßtre à la conscience des phénomÚnes
inconscients qui, complÚtement oubliés, sont
quelque fois situés trÚs loin dans le passé. »
Pour ĂȘtre plus complet, on pourrait mĂȘme dire que la
physique est à la fois un télescope et un microscope qui
sont tous les deux braqués sur le temps, et elle incarne ces
instruments de plusieurs façons. Par exemple en exhibant
des temporalitĂ©s trĂšs variĂ©es et en permettant la Âmesure
de durées qui excÚdent vertigineusement les capacités
de nos sens et aussi celles de notre imagination: Ăąge de
lâunivers (13.8 milliards dâannĂ©es), durĂ©e de vie du boson
de Higgs (10-23
seconde), pĂ©riodes Âradioactives trĂšs petites
ou trÚs grandes (le tellure 128 a une période de 1,5 1024
ans,
soit cent mille milliards de fois lâĂąge de lâunivers), ce qui
fait 54 ordres de grandeurs entre la plus grande et la plus
Âpetite durĂ©e mesurable. Nous sommes donc loin dâĂȘtre les
Âcontemporains de toutes les durĂ©es que nous mesurons. On
devine facilement que de telles mesures extrĂȘmes ne sont
possibles que par le ÂdĂ©ploiement de multiples mĂ©diations
entre le ÂphĂ©nomĂšne et sa capture numĂ©rique, mĂ©diations
qui peuvent ĂȘtre trĂšs indirectes ou trĂšs subtiles. Il en va
lĂ du temps comme de lâespace : pour mesurer la Âdistance
Âentre la terre et une galaxie, on ne peut plus tabler sur le ges-
te dâune unitĂ© mise bout Ă bout, par exemple un bon vieux
double ÂdĂ©cimĂštre ; et pour comptabiliser une Âlongueur qui
se Âmesure en fractions de microns, le pied Ă Âcoulisse nâa
plus guĂšre dâutilitĂ© ; quant aux montres, mĂȘme Ă Âtrotteuse,
9. THĂORIE / 9
mĂȘme Rolex, elles ne sont capables de se Âfaire lâĂ©cho ni de la
trĂšs courte durĂ©e de vie des Âparticules Âinstables, ni de lâĂąge
des Ă©toiles ou de lâunivers. On a affaire Ă des phĂ©nomĂšnes
avec lesquels il nous est difficile dâentrer en « sympathie »,
puisquâils ne nous parviennent quâĂ lâissue dâune livraison
purement numérique ou abstraite. Nous ne coïncidons pas
avec eux. Nous ne parvenons pas non plus à « mordre » sur
eux. DâoĂč, au passage, la critique que Bergson adressait Ă
lâemprise croissante de la quantification. Il pensait en effet
quâil nâexiste quâun seul chemin pour entrer dans la chose,
câest de coĂŻncider avec elle : la chose est la chose, rien ne
lâĂ©gale ou nâen Âdispense, et nous la perdons dĂšs que nous
la saisissons Ă travers ce qui nâest pas elle-mĂȘme.
La physique se rend également apte à décrire des
événements situés trÚs loin dans le passé, grùce aux
Âcollisionneurs de particules qui sont capables de « faire
exploser le passĂ© dans le prĂ©sent » en recrĂ©ant Âpendant des
durées trÚs brÚves les phénomÚnes physiques qui eurent
lieu dans lâunivers primordial. Elle a enfin identifiĂ© dans
le rayonnement cosmique des particules correspondant Ă
des frĂ©quences colossales, câest-Ă -dire ayant des vibrations
dont le rythme est frénétique.
Ces quelques exemples suffisent Ă montrer que la
Âphysique a Ă voir avec toutes sortes de temporalitĂ©s, de
Âcadences, de rythmes.
Quelle incidence tout cela doit-il avoir sur le temps,
je veux dire sur notre pensée du temps ? En particulier,
comment faut-il penser la relation entre le temps et les
ÂphĂ©nomĂšnes temporels ? A-t-on par exemple le droit de dire
que le temps est modulĂ©, quâil a lui-mĂȘme une frĂ©quence
sous le seul prĂ©texte quâil love en son sein des phĂ©nomĂšnes
vibratoires ou des Âmodulations pĂ©riodiques?
Si je me permets de poser cette question, câest Âparce
que le sujet de philosophie proposé cette année aux
Ă©lĂšves des classes prĂ©paratoires scientifiques, câest « le
temps vécu », expression qui laisse entendre que le fait de
Âvivre Âengendrerait un temps spĂ©cial, diffĂ©rent du temps
Âphysique. Il y aurait en somme le temps physique, et,
Âailleurs, en marge ou contre celui-ci, le temps vĂ©cu.
Que diraient de tout cela les Ă©quations de la physique si
elles pouvaient parler ?
PremiÚrement, que notre expérience du temps nous
apprend beaucoup de choses sur nous-mĂȘmes, mais ne
nous renseigne guĂšre sur le temps lui-mĂȘme.
DeuxiĂšmement, quâil faut se mĂ©fier des mirages du
Âlangage : dĂšs quâil est mis dans une phrase, le mot temps
crĂ©e une impression de savoir immĂ©diat lĂ oĂč il nây a, en
rĂ©alitĂ©, aucune espĂšce de savoir rĂ©el. Le langage a Âtendance
à confondre le temps avec les phénomÚnes temporels et
lâusage que nous en faisons nous conduit Ă attribuer au
temps des propriĂ©tĂ©s quâil ne peut pas avoir.
TroisiĂšmement, ce que nous percevons du temps qui
Âpasse ne change rien Ă la façon quâa le temps de passer : une
minute dure une minute quoi quâen pense notre Âcerveau,
qui est un trĂšs mauvais chronomĂštre, une Âtocante minable
et imprécise qui se dérÚgle à tout bout de champ (en fait
elle nâa jamais Ă©tĂ© rĂ©glĂ©e). Câest dâailleurs Âpourquoi nous
portons une montre au poignet : sa mission est de remettre
notre piĂštre pendule interne Ă lâheure. Cette Âmission est
Âimportante, car maints facteurs se conjuguent pour modifier
sans cesse la texture de Ânotre lien avec le temps physique:
notre Ăąge, bien sĂ»r, mais aussi notre Ă©tat dâimpatience,
ou encore lâintensitĂ© et la signification quâont pour nous
les Ă©vĂ©nements en train de se Âproduire. Sur lâimpatience
comme sur le reste, Marcel Proust avait dâailleurs tout dit,
que la théorie de la relativité ne dit pas. Ainsi décrit-il la
façon dont notre perception des durĂ©es se dĂ©forme Âlorsque
nous sommes dans lâattente dâun ÂĂ©vĂ©nement que nous
Âpressentons Âcomme crucial : « Les Âjours qui prĂ©cĂ©dĂšrent
mon dĂźner avec Madame de Stermania me furent, non pas
dĂ©licieux, mais Âinsupportables. Câest quâen gĂ©nĂ©ral, plus
la durée qui nous sépare de ce que nous nous proposons
est courte, plus elle nous semble longue, parce que nous
lui appliquons des mesures plus brĂšves ou Âsimplement
parce que nous songeons à la mesurer. »
Tout cela dit en effet bien des choses sur nous, sur la
façon dont nous vivons le présent, le passé ou le futur, mais
rien du temps mĂȘme. Nous vivons dans le temps, certes,
10. 10 / REVUE TEÎ PS 2014
mais lui ne vit pas par nous. La vie est donc ÂÂÂÂdavantage
temporelle que le temps nâest vĂ©cu.
Reste que cette rĂ©alitĂ© nâa guĂšre dâincidence sur
Ânotre Âlangage, sur la façon dont nous disons le temps.
Aujourdâhui, constatant que leurs vies sâaccĂ©lĂšrent, que
leurs agendas sont saturĂ©s, quâils sont devenus des
ÂCyber-GĂ©dĂ©on ou des Turbo-BĂ©cassine (pour reprendre les
mots du regrettĂ© Gilles ChĂątelet), certains sâexclament: « le
temps passe de plus en plus vite !» Comme si la Âdynamique
du temps ÂĂ©pousait celle de leur emploi du temps, et
Âsurtout comme si le temps pouvait se voir Âdoter dâune
vitesse et mĂȘme dâune ÂaccĂ©lĂ©ration. Une vitesse Âexprime
la façon dont une certaine grandeur varie au cours du
temps. Par Âexemple, la vitesse dâune voiture est Ă©gale Ă
son ÂdĂ©placement dans lâespace rapportĂ© Ă la durĂ©e de ce
dĂ©placement. Mais alors, la vitesse du temps, Âcomment
pourrait-on la dĂ©finir ? Il faudrait pouvoir Âexprimer
Âcomment le rythme du temps varie par Ârapport⊠au rythme
du temps. Cela nous conduirait Ă dire que le temps a une
vitesse telle quâil avance de vingt-quatre heures⊠toutes les
vingt-quatre heures. Et nous serions bien avancés !
Le succÚs croissant de cette expression « le temps
sâaccĂ©lĂšre » me semble ĂȘtre le meilleur marqueur, non pas
de notre Ă©poque, mais du rapport que nous avons avec
Ânotre Ă©poque. Proclamer, simplement parce que le ÂÂrythme
des Ă©vĂ©nements sâaccroĂźt, que câest la Âvitesse mĂȘme du
temps qui augmente, câest fabriquer un Âraccourci Âtrompeur,
un raccourci qui est mĂȘme trĂšs Âefficacement trompeur
puisquâil dĂ©forme le rapport Âpsychique que nous avons
avec le monde et avec les autres.
En rĂ©alitĂ©, nous sommes moins les victimes dâune
ÂprĂ©tendue accĂ©lĂ©ration du temps que de la superposition
de présents multiples et hétérogÚnes qui sont souvent
en conflit mutuel : en mĂȘme temps que nous travaillons,
nous regardons les écrans de nos téléphones portables,
écoutons la radio et pensons à autre chose encore⊠Il
sâagit sans Âdoute dâune mutation anthropologique, qui
tantĂŽt nous Âexcite (elle crĂ©e une sensation de tourbillon
existentiel), tantÎt nous stresse (elle nous dépasse, et
mĂȘme nous ensevelit, voire nous brĂ»le). Cette mutation
est advenue si rapidement que notre cerveau, qui sâest
Âconstruit trĂšs Âlentement, nâa pas encore pu sâadapter Ă
une telle Âjuxtaposition permanente de stimuli. Mais il ne
faut pas oublier que dans nos sociétés, beaucoup de gens
sâennuient Ă mourir. Dâautres â souvent les mĂȘmes- trouvent
le temps de Âregarder la ÂtĂ©lĂ©vision cinq heures par jour. Tout
le Âmonde ne ÂtrĂ©pide pas. Nous ne Âsommes pas du tout Ă©gaux
en ÂmatiĂšre dâintensitĂ© existentielle.
Ce qui se passe, câest que les temps propres des Âindividus
se désynchronisent. Selon la théorie de la relativité, la
désynchronisation des horloges vient de leur mouvement
relatif dans lâespace. Mais lĂ , ce nâest pas le mouvement qui
décale nos horloges individuelles. Nous sommes tous au
mĂȘme endroit, Ă peu prĂšs immobiles les uns par rapport aux
autres, mais nous nâhabitons pas le mĂȘme prĂ©sent, nous ne
sommes pas vraiment ensemble, nous nâavons pas le mĂȘme
rapport Ă ce qui se passe.
Notre sociĂ©tĂ© me semble ĂȘtre submergĂ©e par une Âentropie
chrono-dispersive qui produit des effets sur lâintensitĂ© et la
qualité du lien social.
Il est banal de dire que notre rapport au progrĂšs a ÂchangĂ©.
On dit que le progrĂšs, câĂ©tait mieux avant, comme on dit que
le Tour de France, câĂ©tait mieux avant, quand on pouvait
vraiment admirer le vainqueur. Or, lâidĂ©e de ÂprogrĂšs, câĂ©tait
une idĂ©e qui faisait aimer le temps Âhistorique car elle Ă©tait
doublement «consolante». Elle lâĂ©tait dâabord parce quâen
fondant lâespoir dâune amĂ©lioration future des conditions de
vie, elle rendait lâhistoire humainement Âsupportable (lâidĂ©e
de progrĂšs a dâailleurs pour anagramme le degrĂ© dâespoirâŠ).
En faisant miroiter loin sur la ligne du temps une utopie
ÂcrĂ©dible et Âattractive, elle Âfaisait Âretrousser les manches et
surtout elle donnait lâenvie dâavancer Âensemble. Elle Ă©tait
ÂĂ©galement Âconsolante par le fait quâelle donnait un sens
aux sacrifices quâelle imposait : au nom dâune certaine idĂ©e
de lâavenir, le genre humain Ă©tait sommĂ© de Âtravailler Ă un
progrĂšs dont lâindividu ne ferait pas Âlui-mĂȘme lâexpĂ©rience
puisquâil nâĂ©tait quâun infime Âmaillon de lâinterminable
ÂlignĂ©e des gĂ©nĂ©rations. Croire au progrĂšs, câĂ©tait en Âsomme
accepter de fabriquer du futur collectif en sacrifiant du
ÂprĂ©sent personnel.
11. THĂORIE / 11
Est-ce quâon en est encore lĂ ? Pour accepter de Âsacrifier
du prĂ©sent personnel au nom dâun futur Âcollectif, il faut un
rattachement symbolique au monde, Ă son histoire, Ă son
avenir. Ce rattachement fut longtemps perspectiviste. Il ne
lâest plus. Nous avons perdu en profondeur temporelle. Le
prĂ©sent est dĂ©sormais sans Ă©paisseur. Nos Ârattachements
sont plus horizontaux, plus fluides, plus rĂ©versibles. Câest
dâailleurs le rĂ©seau des tĂ©lĂ©communications qui Âincarne
le mieux ce nouveau rapport au temps : les nĆuds qui
le Âconstituent ne sont que des nĆuds de passage qui ne
ÂnĂ©cessitent aucune direction, ni aucune finalitĂ©. Se trouvent
ainsi abolies toute idĂ©e de rĂ©cit, et mĂȘme toute idĂ©e de
Âfiliation qui, jusquâĂ prĂ©sent, Ă©taient seules Âcapables de
donner du sens au collectif et au politique. En fait, le
ÂrĂ©cit parvenait Ă vaincre lâaporie du temps en « inventant
une histoire ». Le temps mondial, lui, veut la vaincre en
arasant le temps historique. Du coup, le futur sâabsente
Âprogressivement du prĂ©sent (et «sâabsenter du prĂ©sent», faut
quand mĂȘme le faireâŠ), comme si lâurgence et «la Crise»,
la Crise avec un grand C, la crise transcendantale avaient
Âpartout rĂ©pudiĂ© lâavenir comme promesse. Nous entrons
dans le rĂšgne dâun «prĂ©sent omniprĂ©sent », dâun prĂ©sent
limitĂ© Ă lui-mĂȘme, qui absorbe en quelque sorte le passĂ©
aussi bien quâil annule les perspectives dâavenir.
Il y a donc urgence Ă reconstruire un horizon. Mais
comment faire ? Comment est-ce que ça se reconstruit, un
horizon ? Avec quel genre de truelle ?
Il y a quelques dĂ©cennies sâest produit un Ă©vĂ©nement Ă
la fois anodin et important qui illustre la nouvelle Âdonne:
le Âretournement des poussettes. Avant, lâenfant Ă©tait
ÂtransportĂ© dans un face Ă face rassurant, le situant dans
un rapport affectif permettant sourires, grimaces, gestes
de tendresses ou de menaces, Ă©change de paroles avec la
personne qui le poussait, en général sa mÚre.
Maintenant, lâenfant est mis devant le vide, son regard
ne rencontre que des passants anonymes, il est laissé à sa
Âsolitude, « ouvert sur le monde » disent ceux qui veulent
Âlouer cette pratique, et non plus prisonnier du cercle
Âfamilial, mais en rĂ©alitĂ© livrĂ© Ă lâinconnu, qui, comme
Âchacun sait, est source possible dâangoisse.
Ce renversement spatial est typique dâun nouveau
Ârapport au temps, Ă soi, aux autres. Lâenfant nâa plus dâautre
horizon quâun prĂ©sent informe, et donc troublant. Dâaucuns
dĂ©fendent lâidĂ©e que ce sont la dĂ©mocratie et la science qui
ont contribuĂ© Ă ce retournement des poussettes, lâune et
lâautre privilĂ©giant un sujet libĂ©rĂ© du poids du passĂ©, des
entraves traditionnelles, un sujet regardant dâemblĂ©e vers
lâavant. Pour le savoir avec certitude, il faudrait retracer la
longue histoire de lâĂ©mancipation de lâindividu, partant du
prĂ©sent pour remonter vers lâĂ©lan de lâidĂ©al dĂ©mocratique
et du projet scientifique et technique, jusquâĂ lâapogĂ©e de
la technoscience oĂč nous sommes aujourdâhui : celle de
lâindividu condamnĂ© Ă sâinventer Ă partir de ses propres
forces, et par lĂ -mĂȘme plombĂ© de solitude.
Mais je me rends compte que je dois relativiser ce que
je suis en train dâĂ©crire, et que je peux mĂȘme trouver des
Âarguments pour en inverser le sens. Car lorsque nous
exprimons des inquiétudes face aux dégradations de
lâenvironnement, lorsque nous nous prĂ©occupons de la
survie de lâespĂšce humaine, nous nous situons Âclairement
par rapport Ă lâavenir. Si nous avions perdu toute Ârelation
avec lâavenir, nous ne nous soucierions pas du Âchangement
climatique. Simplement, ce qui est nouveau, câest que
Ânotre responsabilitĂ© par rapport Ă cet avenir commence
dĂšs aujourdâhui, et non pas demain. Câest ce qui la rend
Âbeaucoup plus difficile Ă mettre en Ćuvre.
Lâavenir commence ici et maintenant, je devrais mĂȘme
dire ici et « immédiatement ». Mais comme notre avenir est
ÂchargĂ© dâincertitudes et de peurs parfois Âapocalyptiques,
nous Ă©prouvons la plus grande ÂdifficultĂ© Ă assumer
Ânotre prĂ©sent. Je remarque simplement, Ă rebours de ce
que jâĂ©crivais plus haut, que tous ces problĂšmes ne se
Âposeraient pas si nous nâĂ©tions pas des animaux ÂÂtemporels
Âconstamment soucieux de relier notre passĂ© Ă notre avenir
au travers de notre présent.
Je voudrais maintenant Âconclure en Ă©voquant, Ă partir
de la physique, la Âquestion du statut de lâavenir.
Imaginez que vous regardez par la fenĂȘtre dâun train.
Vous voyez le paysage qui défile. En réalité, le paysage ne
dĂ©file pas : câest votre mouvement - plus exactement celui
du train - qui crĂ©e lâimpression que vous avez que le Âpaysage
12. 12 / REVUE TEÎ PS 2014
dĂ©file. Des physiciens imaginent que lâespace-temps est
comme le paysage traversé par le train : il serait là , statique,
sans temporalitĂ© propre. Il ne dĂ©filerait pas et câest notre
mouvement au sein de lâespace-temps qui crĂ©erait en nous
lâimpression que le temps passe.
Cette conception, dite de lâ« univers-bloc », considĂšre
que tous les Ă©vĂ©nements, quâils soient passĂ©s, prĂ©sents et
futurs, coexistent dans lâespace-temps en ayant tous la
mĂȘme rĂ©alitĂ©, de la mĂȘme façon que les diffĂ©rentes villes
coexistent en mĂȘme temps dans lâespace : tandis que je
suis Ă Paris, Brest et Strasbourg existent tout autant que
la Âcapitale, la seule diffĂ©rence entre ces trois villes Ă©tant
que Paris accueille présentement ma présence, alors que
ce nâest le cas ni de Brest ni de Strasbourg. Dans ce cadre,
tout ce qui a existĂ© existe encore dans lâespace-temps et tout
ce qui va exister dans le futur y existe déjà .
Lâespace- temps contient en somme lâintĂ©gralitĂ© de
lâhistoire de la rĂ©alitĂ©, que nous ne dĂ©couvrons que pas Ă
pas. Câest un peu comme pour une partition. Une partition
contient lâintĂ©gralitĂ© dâune Ćuvre musicale : elle existe sous
forme statique, mais dĂšs que le morceau quâelle contient
est joué par un orchestre, elle se déploie temporellement au
Ârythme des notes dĂ©filant lâune aprĂšs lâautre.
Mais dâautres physiciens sâopposent Ă cette conception
en dĂ©fendant lâidĂ©e que seuls les Ă©vĂ©nements prĂ©sents
sont rĂ©els. Cette façon de voir sâappelle, on sâen doute, le
«prĂ©sentisme ».
Le futur existe-t-il dĂ©jĂ dans lâavenir ? Telle est
en ÂdĂ©finitive la question cruciale. Demain est-il dĂ©jĂ
Âquelque part Ă attendre quâon finisse par le rejoindre ? Ou
Ânâexiste-t-il pas du tout, du moins tant que la succession des
instants prĂ©sents ne sera pas parvenue jusquâau point dâoĂč
il surgira hors du néant pour ensuite y retomber ?
En attendant de pouvoir trancher ces questions, il faut
bien vivre. Or, vivre implique dâaccorder Ă lâavenir un
Âcertain statut. Mais lorsquâon lit les journaux ou quâon
Âregarde la tĂ©lĂ©vision, on a le sentiment que le prĂ©sentisme
a tout envahi.
Or il nây a pas quâaujourdâhui dans la vie⊠Alors, sans
attendre que les physiciens accordent leurs Âviolons, il
Âfaudrait concevoir une habile synthĂšse entre le ÂprĂ©sentisme
et lâunivers-bloc, les mĂ©langer pour donner corps Ă lâidĂ©e
que lâavenir constitue une authentique rĂ©alitĂ© mais quâil
nâest pas complĂštement configurĂ©, pas intĂ©gralement
ÂdĂ©terminĂ©, quâil y a encore place pour du jeu, des espaces
pour la volontĂ©, le dĂ©sir, lâinvention. Jâobserve que certains
attendent Godot (le retour de la croissance pour les uns,
lâeffondrement pour les autres), que dâautres sâamusent plus
ou moins ÂsĂ©rieusement avec le spectre de la fin du monde,
que dâautres encore se disloquent en une sorte dâimmobilitĂ©
trĂ©pidante. Je pense quâil serait plus fĂ©cond de Âredynamiser
le temps en force historique. Par exemple en faisant le pari
que lâan 2050 finira bien par atterrir dans le prĂ©sent et
en Âtentant de Âconstruire, entre nous et lui, une sorte de
Âfiliation Âintellectuelle et affective. Cela pourrait donner un
peu plus de sens à nos actions présentes, et réinjecterait
un peu de néguentropie aux vertus calmantes dans notre
rapport collectif au présent.
Pour aller plus loinâŠ
Etienne Klein a écrit plusieurs ouvrages de réflexion sur
la physique, notamment sur la question du temps, parmi
lesquels :
- En cherchant Majorana, Flammarion/Les Equateurs,
2013.
- Allons-nous liquider la science ? Galilée et les Indiens,
Flammarion, 2013.
- Discours sur lâorigine de lâunivers, Champs- Flammarion,
2012.
- Anagrammes renversantes (avec Jacques Perry-Salkow),
Flammarion, 2011.
- Le Facteur temps ne sonne jamais deux fois,
Flammarion, 2009.
- Les Tactiques de Chronos, Flammarion, 2004.
14. 14 / REVUE TEÎ PS 2014
Philippe Guillemant
Physicien et chercheur au Centre National français de la Recherche Scientifique (CNRS), auteur de La Route du
Temps : Théorie de la double causalité (voir notre rubrique Livres), Philippe Guillemant dirige entre autre des
Ârecherches sur le systĂšme visuel des cerveaux qui Ă©quiperont les robots de demain, humanoĂŻdes et industriels. Il
a reçu plusieurs distinctions, dont le Cristal du CNRS.
Le temps existe-t-il ?
« Pour avoir une matiÚre qui fonctionne de façon
sensĂ©e, nous avons besoin dâune coordination
qui nâest pas matĂ©rielle...
... et qui est insensible Ă lâespace et au temps»
«Aceniveau(quantique)deschosessepassent,
mais le temps, lui, ne passe pas.»
Einstein aurait pu rĂ©ellement bouleverser Ânotre
Âconception du temps il y a un siĂšcle, mais ce Âbouleversement
nâest pas entrĂ© dans les esprits, Âseulement dans nos GPS. Il
nâa pas changĂ© notre Âconception du monde, il nâa mĂȘme pas
été réellement pris au sérieux par les physiciens. Einstein fit
dâailleurs lui-mĂȘme remarquer Ă son ami Besso peu avant sa
mort la difficultĂ© quâil y avait Ă prendre au sĂ©rieux lâabsence
de séparation entre passé, présent et futur.
Il aura fallu attendre le début de notre XXIÚme siÚcle, et
notamment les rĂ©sultats des expĂ©riences dâAntoine Suarez
(voir article suivant) avec lâĂ©quipe de Nicolas Gisin pour
que les physiciens commencent à prendre au sérieux le fait
Âsuivant: notre idĂ©e commune dâun temps qui sâĂ©coule en
mĂȘme temps que se crĂ©e la rĂ©alitĂ© est forcĂ©ment une idĂ©e
fausse.
Au contraire, la physique nous positionne de plus en
plus devant lâidĂ©e que le futur pourrait «ĂȘtre dĂ©jĂ là » et que
le temps, sâil existe encore, doit donc ĂȘtre dissociĂ© de lâordre
dâenchaĂźnement des Ă©vĂšnements; câest Ă dire de la causalitĂ©.
Ce constat a Ă©tĂ© confirmĂ© rĂ©cemment par dâautres
ÂexpĂ©riences. Il a Ă©galement Ă©tĂ© rejoint par la fameuse
Théorie de la Gravité Quantique à Boucles, selon laquelle
la réalité que nous voyons chaque jour se réaliser, ne se
construit pas dans le présent.
PHYSIQUEAntoine Suarez
a enterré le temps
15. PHYSIQUE / 15
Les remarquables expériences de GenÚve menées par
Antoine Suarez entre 1998 et 2001, et leurs variantes plus
ÂrĂ©centes de 2010 Ă 2012, ont finalement eu raison du mur
dĂ©jĂ Âfendu par Einstein. Elles ont obligĂ© les physiciens
Ă prendre Âenfin en compte lâidĂ©e quâil fallait totalement
ÂrĂ©viser notre Âconception du temps. Elles ont de plus
apportĂ© des Âinformations complĂ©mentaires â briĂšvement
rĂ©sumĂ©es par les citations ci-dessus â qui posent des
questions Âcruciales sur la nature du monde physique. En
2001, lâĂ©quipe dâAntoine Suarez a reproduit et Ă©tendu la
mĂ©morable expĂ©rience dâAlain Aspect de 1982 qui avait mis
en Ă©vidence la «non localité»; câest Ă dire lâinsensibilitĂ© Ă
lâespace de certains phĂ©nomĂšnes en mĂ©canique quantique.
LâexpĂ©rience a en effet dĂ©montrĂ© quâaucune Âcommunication
entre deux objets trĂšs distants (ici des particules jumelles)
nâĂ©tait nĂ©cessaire pour quâils soient corrĂ©lĂ©s comme sâils
se comportaient comme le mĂȘme objet. Si lâon prend par
Âexemple lâimage dâun dĂ©, tout se passait comme si les
Âparticules formaient Ă lâorigine un seul dĂ© dont on pouvait
dĂ©duire la face cachĂ©e « pas encore lue » de sa face Âvisible
« lue » (sauf quâavec les Âparticules les numĂ©ros ne se
Âforment que lors de leur lecture, mais ceci relĂšve dâun Âautre
problĂšme).
Dans lâexpĂ©rience de GenĂšve les physiciens ont utilisĂ©
des miroirs et détecteurs en mouvement afin de montrer
que la non localitĂ© quantique pouvait ĂȘtre non seulement
spatiale mais aussi temporelle. Câest Ă dire que lâordre des
Ă©vĂšnements pouvait ĂȘtre indĂ©pendant du temps ! Il fallait
cependant exploiter des effets relativistes pour mettre en
évidence un tel désordre chronologique. Pour ce faire, deux
appareils de mesure distants analysant deux Âphotons ont
été mis en mouvement de telle sorte que:
âą selon le premier appareil, un photon Ă©tait ÂanalysĂ©
avant que le second photon ne le soit par le second
Âappareil, alors que simultanĂ©ment, selon ce second
appareil, le second photon Ă©tait analysĂ© avant le Âpremier
photon!
Dans une telle configuration, aucun des deux photons
nâĂ©tait finalement analysĂ© en second, donc aucune
Âcommunication nâĂ©tait possible entre les deux, quelle que
soit la vitesse hypothétique. Dans ce cas de figure, les
Âphysiciens ayant conçu lâexpĂ©rience sâattendaient alors
à voir disparaßtre les corrélations entre les photons,
bien que la mécanique quantique prédise la subsistance
des ÂcorrĂ©lations. Or il sâest avĂ©rĂ© que câest la mĂ©canique
Âquantique qui avait raison, confirmant ainsi lâinsensibilitĂ©
au temps des corrélations quantiques.
La conclusion tirĂ©e de cette expĂ©rience est que Âcompte tenu
de lâinversion chronologique constatĂ©e, lâinformation ou
coordination qui Ă©tait Ă lâorigine de la corrĂ©lation Âentre
les deux photons, et qui nâest apparue quâau Âmoment
de la Âmesure, nâa pas pu transiter comme un signal
ÂfantĂŽme de lâun vers lâautre. Elle Ă©tait donc non seulement
ÂindĂ©pendante de lâespace mais aussi du temps.
Le 11 mai 2013 Ă Paris, durant le Âcolloque «âPour une
approche quantique de la Âconscience » organisĂ© par Jean
Staune â auteur du livre Notre Âexistence a-t-elle un sens?
que je vous recommande â , Antoine Suarez a donnĂ©
une ÂconfĂ©rence passionnante oĂč il est Ârevenu sur cette
ÂexpĂ©rience. Il a Ă©galement ÂprĂ©sentĂ© dâautres expĂ©riences
plus récentes (2010 et 2012) pour nous donner ensuite ses
interprĂ©tations concernant la Âconscience et le libre arbitre.
Dans cette conférence, il a commencé par expliquer avoir
rĂ©alisĂ© Ă lâorigine sa premiĂšre expĂ©rience pour ÂdĂ©montrer
que la mécanique quantique avait tort. Selon lui, la
ÂcausalitĂ© cachĂ©e supposĂ©e ĂȘtre Ă lâorigine de la ÂcorrĂ©lation
des particules devait ĂȘtre respectĂ©e. Pour cela, son
ÂexpĂ©rience Ă©tait conçue pour que chaque particule puisse
faire le choix de son état mesuré en premier.
Aucune particule ne pouvait ainsi tenir compte du choix
que lâautre aurait faite avant elle, en consĂ©quence leurs
corrélations à distance devaient disparaßtre. Si cela avait
été le cas, son équipe aurait sûrement obtenu le prix Nobel,
mais lâexpĂ©rience a donnĂ© un rĂ©sultat inverse Ă celui
ÂprĂ©vu. Antoine Suarez nous expliqua ensuite Âcomment, le
Âvendredi 22 juin 2001, durant la ÂprĂ©sentation des rĂ©sultats
de ces expĂ©riences qui ont conduit Ă lâĂ©chec de son idĂ©e,
il eut lâimpression dâassister Ă son enterrement. AprĂšs la
pause de midi un contrĂŽle des appareils fut effectuĂ©: lâun
des Âanalyseurs Ă©tait mal orientĂ©, ce qui invalidait de facto
le ÂrĂ©sultat. Les mesures devaient ĂȘtre refaites la Âsemaine
16. 16 / REVUE TEÎ PS 2014
dâaprĂšs et lâespoir de battre la mĂ©canique quantique
Âsubsistait donc. Le mardi 26 juin il eut une illumination :
« Jâai compris que la physique quantique avait Âraison
et que jâavais Ă©tĂ© victime dâun prĂ©jugĂ© de ÂcausalitĂ©
Âtemporelle: le rĂ©sultat de lâexpĂ©rience nâallait pas
Âenterrer Antoine Suarez, mais il allait enterrer le temps.»
Si jamais vous nâavez pas le loisir de lâĂ©couter, voici la
suite résumée du contenu de sa conférence :
Antoine Suarez se propose de nous expliquer pourquoi
Âselon lui, la conscience et le libre arbitre jouent un rĂŽle Âactif
de coordination de lâespace-temps.
Tout en prĂ©venant quâil ne sâagit plus ici de physique
Âstandard mais de spĂ©culations, il affiche son objectif de
nous montrer que lâalĂ©atoire quantique peut ĂȘtre contrĂŽlĂ©
de lâextĂ©rieur de lâespace-temps par une volontĂ©, et que
lâon peut ainsi parler de contrĂŽle non matĂ©riel des rĂ©seaux
Âneuronaux de notre cerveau.
Afin dâargumenter ce point de vue, il nous dĂ©crit une
ÂexpĂ©rience rĂ©cente rĂ©alisĂ©e en 2012 dans laquelle sont
toujours émis deux photons vers deux détecteurs distants,
avec quatre possibilitĂ©s dâobservation selon que chaque
photon est ou nâest pas dĂ©tectĂ©.
Sachant quâune coordination est toujours ÂobservĂ©e entre
les rĂ©sultats malgrĂ© lâimpossibilitĂ© dâun signal ÂfantĂŽme
Âsupraliminique dĂ©jĂ rĂ©vĂ©lĂ©e dans les ÂexpĂ©riences
ÂantĂ©rieures, il en conclut, en pesant lentement ses mots,
un aspect tout à fait inédit du résultat de cette expérience
récente, je le cite:
« Un aspect quâEinstein nâavait pas mis en lumiĂšre,
câest que si vous nâavez pas cette coordination Ă Âdistance,
alors la loi la plus fondamentale qui rĂšgle lâunivers
ÂmatĂ©riel - la conservation de lâĂ©nergie - ÂdisparaĂźt. Donc,
pour avoir une matiÚre qui fonctionne de façon sensée,
nous avons besoin dâune coordination qui nâest pas
ÂmatĂ©rielle. »
Retenez ceci, cela a de quoi faire rĂ©flĂ©chir: pour Âsauver
la loi de conservation de lâĂ©nergie une coordination
ÂimmatĂ©rielle est indispensable !
Antoine Suarez revient ensuite sur le grand ÂproblĂšme de
la mesure en physique quantique, quâil associe au problĂšme
de lâirrĂ©versibilitĂ©. Quand peut-on dire dâun rĂ©sultat mesurĂ©
quâil est acquis et irrĂ©versible ? VoilĂ la question ! Est-ce au
moment de la prise de conscience par lâobservateur ? Il cite
alors Bernard dâEspagnat dont il dĂ©clare Ârejoindre le Âpoint
de vue en ÂconsidĂ©rant que ceci implique le ÂphĂ©nomĂšne
de la Âconscience. Pour illustrer le rĂŽle quâelle pourrait
jouer, il nous montre une variante de son expérience
Âproduisant une sĂ©quence de bits 0 ou 1 dont il explique
que la Âphysique quantique est Âincapable de prĂ©dire lâordre
de ÂsĂ©quencement. Ce dernier Ă©tant Âainsi nĂ©cessairement
ÂguidĂ© par un principe de coordination qui nâest pas ÂmatĂ©riel
et qui provient de lâextĂ©rieur de lâespace-temps.
Il ajoute que chaque jour, Ă chaque moment,
nos Âcerveaux pourraient fonctionner comme des
ÂinterfĂ©romĂštres qui Âproduisent de telles sĂ©quences dâorigine
non ÂmatĂ©rielle. Sauf que dans le cas des ÂinterfĂ©romĂštres
les sĂ©quences Âproduites seraient vraiment alĂ©atoires, faute
dâune Âconscience Ă©veillĂ©e qui produise sur elles un effet
structurant. Il conclut enfin que:
« Dans le monde quantique des choses se passent
mais le temps, lui, ne passe pas. Le visible Ă©merge de
lâinvisible, la matiĂšre de la conscience, et le temps est
tissĂ© dâĂ©ternitĂ©. »
18. 18 / REVUE TEÎ PS 2014
Antoine Suarez1
Physicien quantique Suisse, philosophe et bioĂ©thicien. Directeur du «Center for quantum Âphilosophy» (Zurich et
GenĂšve). Il a rĂ©alisĂ© plusieurs expĂ©riences ÂdĂ©montrant que les corrĂ©lations quantiques proviennent de lâextĂ©rieur de
lâespace-temps. Il est lâauteur de Âplusieurs ouvrages2
Traduction de Sandrine Fidalgo -
Article publié en ligne par Cornell University Library :
http://arxiv.org/abs/1204.5848
1 Center for Quantum Philosophy Berninastrasse 85,
8057 Zurich/Suisse - suarez@leman.ch, www.quantumphil.org
2 «Is science compatible with free will? Exploring Free Will and
Consciousness in the light of ÂQuantum Physics and Neuroscience»
Springer New York
«Is this cell a human being?» Springer Heidelberg
«Mathematical undecidability, quantum nonlocality and
the question of the existence of God» Springer Dordrecht
Dans cet article, je me propose de Âmontrer
quâune dĂ©cision non locale des ÂrĂ©sultats Ă la
ÂdĂ©tection exclut toute thĂ©orie Âalternative Ă
la mécanique quantique. Ceci implique : tous
les ÂĂ©lĂ©ments Âinfluençant le rĂ©sultat dâune
ÂexpĂ©rience Âphysique ne sont pas contenus
dans Âlâespace-temps; tous ceux qui sont dans
Âlâespace-temps peuvent ĂȘtre ÂobservĂ©s.
Une expérience à un photon démontrant la non localité
de la ÂdĂ©cision des rĂ©sultats Ă la dĂ©tection a Ă©tĂ© ÂprĂ©sentĂ©e
et discutée dans1
. Cette expĂ©rience met en Âexergue que
la mĂ©canique quantique standard (Ă©galement ÂappelĂ©e
lâinterprĂ©tation de Copenhague ou interprĂ©tation
Âorthodoxe) est en rĂ©alitĂ© dĂ©finie par les deux principes
suivants:
Principe A: Tout ce qui est dans lâespace-temps est Âaccessible
Ă lâobservation, sauf en cas de sĂ©paration «space-like».
Principe Q: Tout phénomÚne physique est gouverné aussi
par des principes qui ne sont pas dans lâespace-temps.
Par contre selon des théories alternatives, la décision
du ÂrĂ©sultat se fait au sĂ©parateur de faisceau et les deux
Âprincipes susmentionnĂ©s, les Principes A et Q, sont rejetĂ©s.
1 Thiago Guerreiro,, Bruno Sanguinetti, Hugo Zbinden, Nicolas
GisinandAntoineSuarez,Single-photonÂspace-likeÂantibunching,
Phys. Lett. A 376, 2174-2177 (2012).arXiv:1204.1712v1 (2012).
Antoine Suarez, âEmpty wavesâ, âmany worldsâ, âparallel livesâ,
and nonlocal decision at detection. arXiv:1204.1732v1 (2012);
see also: A. Suarez and P. Adams (Eds.) Is Science compatible
with free will? Exploring free will and consciousness in light of
quantum physics and neuroscience. Springer, New York, 2012,
Chapter 5.
EXPĂRIMENTATIONQuand se dĂ©cide leÂ
résultat ? Au séparateur de
faisceau ou à la détection ?
19. EXPĂRIMENTATION / 19
Dans cet article, je démontre que la non localité à la
ÂdĂ©tection nous permet naturellement et simplement de
ÂrĂ©futer ces thĂ©ories.
Le collapse de la fonction dâonde
Une expĂ©rience quantique comprend toujours un Âdispositif
(sĂ©parateur de faisceau, filtre polariseur, ÂStern-Gerlach,
etc.) possĂ©dant au moins deux sorties, chacune dâelles Ă©tant
contrÎlée par un détecteur. AprÚs avoir quitté sa source, une
particule « classique » peut atteindre chacun de ces deux
détecteurs en parcourant deux chemins possibles.
Les expĂ©riences dâinterfĂ©rence occupent une place
ÂprĂ©pondĂ©rante en mĂ©canique quantique. Dans la Figure
1, lâexpĂ©rience utilise un interfĂ©romĂštre Mach-Zehnder.
Pour calculer les taux de comptage de chaque ÂdĂ©tecteur,
nous devons considérer les données relatives aux deux
Âchemins possibles, depuis la source jusquâau ÂdĂ©tecteur
Â(aspect Âondulatoire). Avec un seul photon, un seul ÂdĂ©tecteur
Âclique: D(1) ou D(0) (aspect corpusculaire «un photon, un
Âcomptage», Âconservation de lâĂ©nergie).
Si a Đ {+1;-1} dĂ©finit les valeurs de dĂ©tection selon le Âclique
D(1) ou D(0), la probabilitĂ© dâobtenir a est fournie par la
formule suivante:
P(a) = 1/2(1 + a cos Ί) (1)
Dans laquelle Ί = ÏÏ est le paramĂštre phase et
Ï = (l-s) /c le chemin optique.
Si nous changeons le paramÚtre phase Ί (par exemple
en augmentant la longueur du chemin l) nous obtenons
alors des distributions statistiques différentes. Des phases
identiques (mod. 2Ï) dĂ©finissent le mĂȘme Ă©tat quantique
et résultent en une distribution similaire; des phases
ÂdiffĂ©rentes dĂ©finissent des Ă©tats quantiques distincts et
rĂ©sultent en des distributions diffĂ©rentes. Des Âdistributions
différentes correspondent à divers états quantiques et
phases.
LâinterprĂ©tation standard Ă©voque le « collapse de la Âfonction
dâonde » pour expliquer les interfĂ©rences. Selon cette
Âexpression, quelque peu cryptique, la dĂ©cision du rĂ©sultat
se Âproduit Ă la dĂ©tection. Le « collapse » renonce Ă lâidĂ©e des
Âtrajectoires et sa non localitĂ© est sous-entendue2
.
Collapse vs déterminisme
Alors que le déterminisme accepte le Principe A, il réfute
le Principe Q.
Le déterminisme exclut toute idée de choix, et plus
ÂparticuliĂšrement le libre-arbitre de lâobservateur. Si celui-ci
est libre et (dans lâexpĂ©rience de la Figure 1) il peut connaĂźtre
en principe le chemin (l ou s) parcouru par les particules
en quittant BS0, il pourrait empĂȘcher lâinterfĂ©rence en
modifiant lâautre chemin. MĂȘme si nous supposons que
ÂconnaĂźtre le chemin dĂ©truit la particule, lâobservateur
pourrait ÂempĂȘcher lâinterfĂ©rence grĂące Ă lâEquation (1)
en dĂ©cidant de modifier lâun des deux chemins, l ou s,
aprĂšs que la particule ait quittĂ© BS0. Dans les ÂexpĂ©riences
2 Antoine Suarez, âEmpty wavesâ, âmany worldsâ, âparallel livesâ,
and nonlocal decision at detection. arXiv:1204.1732v1 (2012);
see also: A. Suarez and P. Adams (Eds.) Is Science compatible
with free will? Exploring free will and consciousness in light of
quantum physics and neuroscience. Springer, New York, 2012,
Chapter 5.
FIG. 1: ExpĂ©rience dâinterfĂ©rence: le faisceau lumineux de ÂfrĂ©quence
Ï, Ă©mis par la source, entre dans lâinterfĂ©romĂštre Ă Âtravers un
ÂsĂ©parateur de faisceau BSO puis est dĂ©tectĂ© Ă la sortie du ÂsĂ©parateur
de faisceau BS1. Le faisceau peut atteindre chacun des deux
ÂdĂ©tecteurs D(1) ou D(O) par les chemins l et s; la Âlongueur du chemin
l peut ĂȘtre modifiĂ©e par lâexpĂ©rimentateur.
20. 20 / REVUE TEÎ PS 2014
Âutilisant le spin, le thĂ©orĂšme Âde Kochen-Specker3
met
en Ă©vidence lâopposition entre le ÂdĂ©terminisme et la
ÂmĂ©canique Âquantique, Ă moins que nous ne supposions
que les propriĂ©tĂ©s de la Âparticule dĂ©pendent des paramĂštres
choisis par lâobservateur (contextualitĂ©).
En rĂ©sumĂ©, dans lâexpĂ©rience dâinterfĂ©rence (Figure 1),
le dĂ©terminisme entraĂźne que lâobservateur est contraint
par la nature Ă modifier le mĂȘme chemin parcouru par la
Âparticule en quittant BS0, ou alors le Âchemin quâil aura
choisi influencera par retrocausalitĂ© le Âchemin parcouru
par la particule. Il en va de mĂȘme avec les autres propriĂ©tĂ©s:
le déterminisme entraßne un super-déterminisme.
Collapse vs localité
Si nous acceptons le principe de libre Âarbitre, nous
pourrions faire appel Ă une version locale de la ÂmĂ©canique
quantique standard pour expliquer lâinterfĂ©rence. Dans
une telle version, le choix se fait à la détection mais la
Âcoordination entre les ÂdĂ©tecteurs ne dĂ©passe pas la Âvitesse
de la lumiĂšre. Dans ce cas, lâinterprĂ©tation nâutilise pas
des variables cachées. Ce modÚle a été expérimentalement
rĂ©futĂ© par lâexpĂ©rience prĂ©sentĂ©e en4
, qui par ailleurs a dé-
montrĂ© la non ÂlocalitĂ© du collapse de la fonction dâonde
dans des ÂexpĂ©riences Ă une Âparticule. A Ânoter que de telles
3 Simon Kochen and Ernst Specker, The problem of hidden
Âvariables in quantum mechanics. Journal of Mathematics and
Mechanics 17, 59-87 (1967).
4 ThiagoGuerreiro,BrunoSanguinetti,HugoZbinden,NicolasGisin
and Antoine Suarez, Single-photon Âspace-like Âantibunching,
Phys. Lett. A 376, 2174-2177 (2012).arXiv:1204.1712v1 (2012).
Antoine Suarez, âEmpty wavesâ, âmany worldsâ, âparallel livesâ,
and nonlocal decision at detection. arXiv:1204.1732v1 (2012);
see also: A. Suarez and P. Adams (Eds.) Is Science compatible
with free will? Exploring free will and consciousness in light of
quantum physics and neuroscience. Springer, New York, 2012,
Chapter 5.
ÂexpĂ©riences ne peuvent utiliser la Âviolation des inĂ©galitĂ©s
de Bell pour prouver la non localité5
.
Théories alternatives
Il existe des explications selon lesquelles la décision se
fait au sĂ©parateur de faisceau. Ces Âexplications ÂrĂ©futent les
deux Principes, A et Q. Ces thĂ©ories Âalternatives Âsupposent
lâexistence de variables cachĂ©es locales, quâelles soient
Âaccessibles ou inaccessibles. Nous pouvons en distinguer
deux types:
Type I: des modĂšles qui conduisent aux mĂȘmes ÂÂprĂ©dictions
que celles de la mĂ©canique quantique, comme ÂÂlâ«onde vide»
de Louis de Broglie. AprĂšs avoir quittĂ© un ÂsĂ©parateur de
faisceau, la particule accessible ÂĂ lâobservation poursuit
toujours une Âtrajectoire bien dĂ©terminĂ©e (disons le chemin l
dans la Figure 1), et ÂÂlâ«onde vide» Âinaccessible (sans aucune
ÂĂ©nergie ou quantitĂ© de mouvement) Âparcourt en plus lâautre
chemin (le chemin s dans la Figure 1). Dans les expériences
Ă une particule, les modĂšles peuvent sâen tirer sans la non
localité à la détection.
Si nous maintenons la localitĂ©, les explications Âcontredisent
la mĂ©canique quantique dans des ÂexpĂ©riences avec des
Âpaires de particules intriquĂ©es, Âcomme lâa prouvĂ© John
Bell6
.
Cependant, ce modĂšle peut ĂȘtre Ă©largi pour rendre Âcompte
des corrĂ©lations quantiques non locales. David Bohm lâa fait
en ajoutant Ă lâ«onde vide» un « potentiel quantique non
local ». Cette nouvelle ÂinterprĂ©tation conduit aux mĂȘmes
prĂ©dictions que celles de la ÂmĂ©canique quantique standard
lors dâexpĂ©riences dâintrication avec deux particules ou
plus (4 ÂdĂ©tecteurs, ou plus)6
.
5 Antoine Suarez, âEmpty wavesâ, âmany worldsâ, âparallel livesâ,
and nonlocal decision at detection. arXiv:1204.1732v1 (2012);
see also: A. Suarez and P. Adams (Eds.) Is Science Âcompatible
with free will? Exploring free will and consciousness in light of
quantum physics and neuroscience. Springer, New York, 2012,
Chapter 5.
6 John S. Bell, Speakable and unspeakable in quantum mechanics,
Cambridge: University Press, 1987.
21. EXPĂRIMENTATION / 21
Type II: des modÚles qui conduisent à des résultats
différents de ceux de la mécanique quantique. Les trois
principaux sont les suivants:
- Eberhard: suppose que les influences causales se
Âpropagent Ă une vitesse Âsupraluminale mais finie v (c < v
< â) qui dĂ©finit une nouvelle constante de la Ânature. La
coordination non locale entre les sĂ©parateurs de Âfaisceau
sâinterrompt si les sĂ©parateurs sont suffisamment Ă©loignĂ©s
lâun de lâautre7
.
- Suarez-Sacarani: accepte des influences non Âlocales
avec un ordre temporel relativiste. Les corrélations
non Âlocales Âdisparaissent si les sĂ©parateurs de faisceau
sont en Âmouvement, selon une configuration Ârelativiste
«avant-avant» (before-before)8
.
Ces deux modĂšles font appel Ă des protocoles conduisant
Ă la disparition des influences non locales sous certaines
conditions.
- Leggett: combine des influences non locales et locales9
mais, contrairement Ă Suarez-Sacarani et Eberhard, il
nâexplique pas comment lâobservateur peut influencer la
coordination non locale afin dâobtenir une sĂ©rie locale des
résultats.
7 Daniel Salart, Augustin Baas, Cyril Branciard, Nicolas Gisin and
Hugo Zbinden, Testing the speed of âspooky action at a Âdistanceâ,
Nature 454:861-864 (2008).
8 Hugo Zbinden, Juergen Brendel, Nicolas Gisin, and Wolfgang
Tittel, Experimental test of nonlocal quantum correlation in
Ârelativistic configurations, Phys. Rev. A 63:022111-10, (2001).
André Stefanov, Hugo Zbinden, Nicolas Gisin, and Antoine
Suarez, Quantum Correlations with Spacelike Separated Beam
Splitters in Motion: Experimental Test of Multisimultaneity.
Phys. Rev. Lett. 88 120404 (2002); Quantum entanglement
with acousto-optic modulators: 2-photon beatings and Bell
Âexperiments with moving beamsplitters, Phys. Rev. A 67, 042115
(2003).
9 Antoine Suarez, On Bell, Suarez-Scarani, and Leggett
Âexperiments, Found. Phys. 39, 156-159 (2009). Non local
«Realistic» Leggett models can be considered refuted by the
before-before experiment. Found.Phys. 38, 583-589 (2008).
Les modÚles de Suarez-Sacarani et Eberhard ont été
testés et réfutés expérimentalement10
. Il a été prouvé
ÂrĂ©cemment aussi que ces deux modĂšles conduisent Ă une
Âcommunication supraluminale11
.
Le modÚle de Leggett a été réfuté expérimentalement.
Toutefois, il nous faut remarquer que cette expérience
ne rĂ©fute pas les modĂšles invocant des influences Ânon
Âlocales ordonnĂ©es dans le temps (comme les modĂšles de
Bohm, Suarez-Sacarani, et Eberhard). Donc on ne peut
pas ÂconsidĂ©rer Âcette ÂexpĂ©rience comme Ă©tant une rĂ©ponse
« complĂšte Ă la Âquestion [...] de savoir si la mĂ©canique
quantique est la Âmeilleure voie pour prĂ©dire les rĂ©sultats
de mesure.»12
Il est évident que les théories alternatives non locales
ne cherchent pas à éviter la non localité. De ce fait, nous
pouvons nous interroger pourquoi elles sâaccrochent
Ă lâidĂ©e de la dĂ©cision au sĂ©parateur. La seule rĂ©ponse
Âplausible Âsemble ĂȘtre que cette idĂ©e permet de Âconserver
les trajectoires et dâexpliquer les rĂ©sultats Âobtenus de façon
ÂdĂ©terministe. Cependant elle va Ă lâencontre de lâhypothĂšse
de libre Âarbitre, hypothĂšse nĂ©cessaire Ă la non localitĂ©.
En cela, toutes les thĂ©ories alternatives doivent ĂȘtre
ÂconsidĂ©rĂ©es comme Ă©tant contradictoires, Ă moins quâelles
10 Daniel Salart, Augustin Baas, Cyril Branciard, Nicolas Gisin and
Hugo Zbinden, Testing the speed of âspooky action at a Âdistanceâ,
Nature 454:861-864 (2008).
André Stefanov, Hugo Zbinden, Nicolas Gisin, and Antoine
Suarez, Quantum Correlations with Spacelike Separated Beam
Splitters in Motion: Experimental Test of Multisimultaneity.
Phys. Rev. Lett. 88 120404 (2002); Quantum entanglement
with acousto-optic modulators: 2-photon beatings and Bell
Âexperiments with moving beamsplitters, Phys. Rev. A 67, 042115
(2003).
11 Jean-Daniel Bancal, Stefano Pironio, Antonio Acin, Yeong-Cherng
Liang, Valerio Scarani, Nicolas Gisin, Quantum nonlocality
Âbased on finite-speed causal influences leads to superluminal
signaling. Nature Phys. 8, 867 (2012). arXiv:1110.3795 (2011).
V.Scarani,J.-D.Bancal,A.Suarez,andN.Gisin,StrongÂconstraints
on models that explain the violation of Bell Âinequalities with
hidden superluminal influences. arxiv.org:1304.0532 (2013).
12 Terence E. Stuart, Joshua A. Slater, Roger Colbeck, Renato
Renner, Wolfgang Tittel, An experimental test of all theories with
predictive power beyond quantum theory. Phys. Rev. Lett. 109,
020402 (2012).arXiv:1105.0133v1 (2011).
22. 22 / REVUE TEÎ PS 2014
nâacceptent lâhypothĂšse de la dĂ©cision non locale Ă la
détection.
«Many-worlds» et «vies parallÚles»
La nature contradictoire des théories alternatives à la
mécanique quantique acceptant des variables cachées
(autrement dit, de la réfutation des Principes A et Q) est
mise en évidence de façon flagrante par les descriptions
de «many-worlds » et «vies parallÚles».
En ce qui concerne « many-worlds », John Bell a
ÂdĂ©clarĂ©: « Selon moi, lâidĂ©e de âmany-worldsâ est
Âinsolite, voire extrĂȘmement vague. Je pourrais
ÂĂ©galement lâĂ©carter puisquâelle me semble stupide.
Et Âpourtant...elle Âsemble apporter un complĂ©ment
Âexplicatif au Âparadoxe EPR. Il ne serait donc pas Âinutile
dâen Âformuler une version plus prĂ©cise pour en vĂ©rifier
sa nature.»13
Les travaux de Lev Vaidman14
, et plus récemment
ceux de Gilles Brassard et Paul Raymond-Robichaud15
,
dĂ©voilent que le « many-worlds » apporte un ÂcomplĂ©ment
explicatif au « paradoxe EPR » : la rĂ©futation de Âvariables
cachées locales (en violant les inégalités de Bell ou par
tout autre moyen) ne signifie nullement la réfutation de la
localité. Qui accepte le principe que la décision se fait au
sĂ©parateur, devient un « fervent Croyant » de « lâEglise
13 John S. Bell, Speakable and unspeakable in quantum mechanics,
Cambridge: University Press, 1987, page 194.
14 Lev Vaidman, The Many-Worlds Interpretation of Quantum
Mechanics. The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Summer
2002 Edition), E. N. Zalta (ed.)
15 Gilles Brassard and Paul Raymond-Robichaud, Can Free Will
Emerge from Determinism in Quantum Theory? In: A. Suarez
and P. Adams (Eds.) Is Science compatible with free will?
Exploring free will and consciousness in light of quantum
Âphysics and neuroscience. Springer, New York, 2013, Chapter 4.
arXiv:1204.2128v1 (2012).
du grand Espace de Hilbert »16
, puisque (sans mĂȘme sâen
apercevoir) il rejette les Principes A et Q. Cette ÂrĂ©futation
est lâĂ©lĂ©ment clĂ© de la croyance en «many-worlds». Par
ÂconsĂ©quent, il ne peu pas rĂ©futer la localitĂ©.
Si nous acceptons que la décision du résultat se fait au
séparateur et que la non localité existe, nous ne pouvons
rĂ©futer lâidĂ©e de « many-worlds » au nom de la libertĂ©17
:
Décision au séparateur de faisceau & Non localité
=> DĂ©terminisme
De plus, dans une certaine mesure, le libre-arbitre
est indĂ©pendant de lâespace-temps. Si nous acceptons
la ÂdĂ©cision au sĂ©parateur afin de «localiser» le choix
dans lâespace-temps et donc de rĂ©futer le Principe Q, cela
Ârevient Ă dire quâil nây a pas de Âlibre-arbitre, Âautrement
dit que le « many-worlds » existe.
En rĂ©sumĂ©, le « many-worlds » continue dâexister non
pas grĂące Ă sa force mais plutĂŽt en raison de la faiblesse
de ses opposants.
A lâinverse, si nous supposons que la dĂ©cision se
Âproduit Ă la dĂ©tection, nous validons les deux Âprincipes, A
et Q. Nous demeurons hors de lâEglise du «many-worlds»
et pouvons alors la réfuter sans nous contredire. Nous
pouvons également contester le super-déterminisme au
nom de la liberté.
16 Gilles Brassard and Paul Raymond-Robichaud, Can Free Will
Emerge from Determinism in Quantum Theory? In: A. Suarez
and P. Adams (Eds.) Is Science compatible with free will?
Exploring free will and consciousness in light of quantum
Âphysics and neuroscience. Springer, New York, 2013, Chapter 4.
arXiv:1204.2128v1 (2012).
17 Antoine Suarez, âEmpty wavesâ, âmany worldsâ, âparallel livesâ,
and nonlocal decision at detection. arXiv:1204.1732v1 (2012);
see also: A. Suarez and P. Adams (Eds.) Is Science Âcompatible
with free will? Exploring free will and consciousness in light of
quantum physics and neuroscience. Springer, New York, 2012,
Chapter 5.
23. EXPĂRIMENTATION / 23
Réfutation aisée des théories
alternatives
La précédente analyse établit que strictement parlant
les ÂexpĂ©riences du type de Bell prouvent la non localitĂ©
Âseulement si la dĂ©cision Ă la dĂ©tection est prise en compte.
De Âtelles ÂexpĂ©riences ont dĂ©montrĂ© la non localitĂ© entre les
ÂdĂ©tections dâAlice et de Bob. Toutefois, il est aussi vrai que
le «detection loophole» nâest toujours pas fermĂ©.
LâexpĂ©rience prĂ©sentĂ©e en 18
montre plus directement la non
ÂlocalitĂ©, et cette fois-ci sans aucun loophole18
Â. Cette mĂȘme
expĂ©rience illustre aussi que la loi Âfondamentale qui rĂšgle
lâunivers matĂ©riel, la Âconservation de lâĂ©nergie, dĂ©pend de
la non localité.
Analysons maintenant ce que deviennent les théories
ÂÂalternatives si lâon accepte lâhypothĂšse de la dĂ©cision Ă la
détection :
La théorie de Broglie-Bohm devient alors de la mécanique
quantique standard.
Les théories annonçant la disparition des influences non
locales (Eberhard, Suarez-Scarani, et Leggett) conduisent
Ă la violation de la conservation de lâĂ©nergie dans chaque
événement quantique et sont directement et aisément
ÂrĂ©futĂ©es par lâexpĂ©rience prĂ©sentĂ©e en 18
.
Il est intéressant de constater que tous ces modÚles
ÂprĂ©voient une distribution qui dĂ©pend de paramĂštres
Âautres que les phases de la mĂ©canique Âquantique Â(comme
le ÂparamĂštre «Ί» dans la Figure 1). Selon ces ÂmodĂšles,
le mĂȘme Ă©tat quantique peut avoir deux Âdistributions
ÂdiffĂ©rentes, et deux Ă©tats Âquantiques peuvent avoir la mĂȘme
distribution; ces modĂšles peuvent donc ĂȘtre ÂconsidĂ©rĂ©s
18 ThiagoGuerreiro,BrunoSanguinetti,HugoZbinden,NicolasGisin
and Antoine Suarez, Single-photon space-like Âantibunching,
Phys. Lett. A 376, 21742177 (2012).arXiv:1204.1712v1 (2012).
ÂreprĂ©sentatifs de lâ «interprĂ©tation statistique», ainsi
ÂnommĂ©e de façon Ă©quivoque.19
.
Une non localité plus grande que
Âcelle de la ÂmĂ©canique quantique?
Quâen est-il des thĂ©ories alternatives qui postulent
une non localité plus grande que celle de la mécanique
Âquantique tout en respectant les conditions qui empĂȘchent
la transmission de signaux plus vite que la lumiĂšre?
On peut Ă©tablir que «lâalgĂšbre quantique » se fonde sur
trois postulats Âayant une claire signification Âphysique:
Âlibre-arbitre, conservation de lâĂ©nergie et localitĂ© Ă©mergente
de la non localité à la détection20
. Si nous acceptons ces trois
postulats, nous devons admettre lâEquation (1) et exclure
une non localité plus grande que celle de Bell. De plus, si
la non localitĂ© Ă la dĂ©tection dans des ÂexpĂ©riences Ă une
seule particule est la base de la non ÂlocalitĂ©, il nâest pas du
tout clair ce que lâexpression «non localitĂ© plus grande»
signifie dans ce contexte.
Est-ce que la mécanique quantique
peut ĂȘtre amĂ©liorĂ©e?
Est-ce que les conclusions précédentes signifient que la
ÂmĂ©canique quantique est la meilleure thĂ©orie et quâelle ne
peut ĂȘtre dĂ©passĂ©e ? Absolument pas.
La ÂmĂ©canique Âquantique doit encore rĂ©soudre par exemple
le Âfameux «problĂšme de la Âmesure » (paradoxe du chat de
Schrödinger).
La rĂ©ticence envers lâinterprĂ©tation « subjective » du collapse
exigeant la prĂ©sence dâun observateur conscient est sans doute
19 Matthew F. Pusey, Jonathan Barrett, Terry Rudolph, The Âquantum
state cannot be interpreted statistically. arXiv:1111.3328v1
(2011); On the reality of the quantum state, Nature Physics 8,
475478 (2012)
Roger Colbeck and Renato Renner, Is a systemâs wave function
in one-to-one correspondence with its elements of reality? Phys.
Rev. Lett. 108, 150402 (2012). arXiv:1111.6597v2 (2012).
20 Antoine Suarez, Deriving Bellâs nonlocality from nonlocality at
detection. arXiv:1009.0698v1 (2010).
24. 24 / REVUE TEÎ PS 2014
une des raisons pour lesquelles la non localité à la détection
a Ă©tĂ© peu Ă©tudiĂ©e jusquâĂ prĂ©sent. Selon moi, il est possible
dâassocier lâaspect « subjectif » de Copenhague Ă lâaspect
«objectif » du « collapse spontané» de GRW21
ou du « collapse
objectif » de Penrose22
.
La mesure ne requiert pas la prĂ©sence dâun observateur
Âhumain (conscient ou pas). Cependant la dĂ©finition mĂȘme de
la mesure suppose un lien avec la conscience humaine: un
événement est « mesuré », autrement dit enregistré de façon
définitive si et seulement si les conditions objectives sont
remplies, qui permettent Ă lâobservateur humain de prendre
conscience de lâenregistrement.
En cela, je considĂšre le «collapse» aussi objectif que la «mort»
qui est dĂ©finie par les mĂ©decins comme Ă©tant le moment oĂč le
cerveau, y compris le tronc cérébral, cesse irréversiblement
de fonctionner. En cela, la prĂ©sence dâun mĂ©decin conscient
nâest pas nĂ©cessaire Ă la mort dâun individu Â(gĂ©nĂ©ralement).
Toutefois, les conditions définissant la «mort» se rapportent
aux limites de la capacitĂ© de lâhomme Ă renverser le processus
de décomposition.
MĂȘme si la mesure est essentielle Ă la mĂ©canique Âquantique,
Ă lâheure actuelle la thĂ©orie nâarrive pas Ă dĂ©terminer quand
le résultat est enregistré de façon irréversible ni quand la
Âmesure a lieu (la mĂ©decine nâarrive pas mieux Ă dĂ©finir
quand un Âindividu « meurt » rĂ©ellement). La dĂ©finition de
ces Âconditions reste Ă faire, mais elle peut ĂȘtre faite (« pro-
blĂšme de la Âmesure»). Cela montre clairement un Âpoint oĂč la
ÂthĂ©orie quantique, telle que nous la connaissons Âactuellement,
peut et doit ĂȘtre amĂ©liorĂ©e. Et pour ce faire, nous devons
mieux Âcomprendre comment la conscience et le Âlibre-arbitre
Âfonctionnent au Âniveau du cerveau.
Je suis convaincu que la solution Ă ce problĂšme nous apportera
une thĂ©orie plus fondamentale que la mĂ©canique Âquantique,
mais non pas une théorie « plus non locale », ou une théorie
Ârenonçant Ă la dĂ©cision Ă la dĂ©tection.
21 GianCarlo Ghirardi, The interpretation of quantum mechanics:
where do we stand? arXiv:0904.0958v1 (2009)
22 William Marshall, Christoph Simon, Roger Penrose,and Dik
Bouwmeester, Towards Quantum Superpositions of a Mirror,
Phys. Rev. Lett. 91, 130401 (2003).
Conclusion
En 1997, Valerio Scarani et moi-mĂȘme avons ÂproposĂ©
lâexpĂ©rience «before-before». Cette expĂ©rience fut ÂrĂ©alisĂ©e
en 200123
. Mes collaborateurs ont été merveilleux et
nous avons pris beaucoup de plaisir dans ce travail. Je
me demande toutefois pourquoi jâai proposĂ© alors Âcette
Âexperience «before-before» (beaucoup de Âtravail, de temps
et dâargent consacrĂ©s) plutĂŽt que celle que jâai ÂsuggĂ©rĂ©e
en 2010 et qui a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en 2012, une Âexperience
Âlargement plus importante dâun point de vue conceptuel
et bien moins compliquée techniquement24
. La raison
est peut-ĂȘtre que cette derniĂšre expĂ©rience a le ÂmĂ©rite
non seulement de traiter de la non localité mais surtout
de Âmettre en Ă©vidence que la non localitĂ© est Âprimordiale
pour la conservation de lâĂ©nergie. Pour en arriver lĂ , ce
qui me semble désormais évident, il a sans doute fallu que
la mĂ©canique quantique dĂ©montre que jâavais tort (dans
le domaine du «before-before»). Je comprends désormais
pourquoi la décision à la détection est si importante. Cette
nouvelle expĂ©rience est Ă©galement Âessentielle puisquâelle
nous permet de distinguer clairement la ÂmĂ©canique
Âquantique des thĂ©ories alternatives: il est Âdifficile de
ÂrĂ©futer ces thĂ©ories alternatives si nous Âignorons la «non
localité à la détection » alors que si nous la acceptons,
câest une tĂąche aisĂ©e. DĂ©cision du rĂ©sultat au sĂ©parateur
de Âfaisceau ou dĂ©cision Ă la ÂdĂ©tection ? LĂ est la question.
23 André Stefanov, Hugo Zbinden, Nicolas Gisin, and Antoine
Suarez, Quantum Correlations with Spacelike Separated Beam
Splitters in Motion: Experimental Test of Multisimultaneity.
Phys. Rev. Lett. 88 120404 (2002); Quantum entanglement
with acousto-optic modulators: 2-photon beatings and Bell
Âexperiments with moving beamsplitters, Phys. Rev. A 67, 042115
(2003).
24 ThiagoGuerreiro,BrunoSanguinetti,HugoZbinden,NicolasGisin
and Antoine Suarez, Single-photon space-like Âantibunching,
Phys. Lett. A 376, 21742177 (2012).arXiv:1204.1712v1 (2012).
Antoine Suarez, âEmpty wavesâ, âmany worldsâ, âparallel livesâ,
and nonlocal decision at detection. arXiv:1204.1732v1 (2012);
see also: A. Suarez and P. Adams (Eds.) Is Science compatible
with free will? Exploring free will and consciousness in light of
quantum physics and neuroscience. Springer, New York, 2012,
Chapter 5.
25. La Revue Temps, science, art, philosophie, trimestrielle, publie des
Âarticles issus de diffĂ©rentes disciplines scientifiques et artistiques
Âabordant le thĂšme du temps.
Physique, astro-physique, philosophie, anthropologie, psychanalyse,
littérature, cinéma.
Les avancées théoriques et technologiques des derniÚres années ont
permis Ă la physique de franchir dâimportantes Ă©tapes conceptuelles
et expĂ©rimentales, qui font surgir de nouvelles questions de nature Ă
bouleverser les paradigmes sur lesquels reposent les sciences, et par
extension, nos sociétés.
La phrase de Nietzsche, « câest lâavenir qui dĂ©finit notre prĂ©sent », bien
que provocatrice, illustre lâidĂ©e dâun retournement des perspectives.
Les donnĂ©es recueillies ouvrent des perspectives originales, qui Âobligent
la communauté scientifique à reconsidérer certains de ses dogmes.
Ces avancĂ©es, si elles rencontrent des rĂ©sistances chez les Âesprits
Âconformistes,trouventunĂ©chodanslâhistoiredelapensĂ©eÂÂphilosophique
et anthropologique, ainsi que dans la littérature, la poésie, le cinéma.
La recherche sur le temps est la nouvelle frontiĂšre de la connaissance
humaine.
Les articles publiĂ©s sâefforceront de rendre comprĂ©hensible au lecteur
non spécialiste des travaux complexes, afin de lui donner des sujets de
réflexion sur sa propre existence.
TEÎ PSS C I E N C E / A R T / P H I L O S O P H I E
28. 28 / REVUE TEÎ PS 2014
François Martin1
Physicien et chercheur honoraire au Centre National français de la Recherche Scientifique (CNRS), spécialiste de la
thĂ©orie quantique du champ Ă©lectromagnĂ©tique, François Martin sâest distinguĂ© en 1975 par la MĂ©daille de Bronze
du CNRS. Il étudie depuis plusieurs années les phénomÚnes de synchronicité et a publié de nombreux articles sur
le thÚme « Mécanique Quantique et Psychisme ».
1 e-mail : martin@lpthe.jussieu.fr
Conférence donnée le 8 juillet 2011, au Festival «Spiritualité en
Pyrénées», 6 au 10 juillet 2011, Font-Romeu.
PSYCHO-PHYSIQUEPsyché Quantique
et Synchronicité
AprÚs avoir introduit les phénomÚnes de
synchronicité, puis la physique quantique en
insistant particuliĂšrement sur le principe de
superposition et lâintrication quantique, je
montrerai lâanalogie entre cette derniĂšre et les
phénomÚnes inconscients et conscients de la
Psyché, et plus spécialement les phénomÚnes
de synchronicité. Toujours par analogie avec
les champs quantiques de matiĂšre, jâintroduirai
un champ quantique psychique dans lequel
la conscience ne sera pas uniquement une
propriété émergente de la complexité des
circuits neuronaux. Je terminerai en montrant
que lâexpĂ©rience de la synchronicitĂ© constitue,
pour moi, une philosophie de vie.
Introduction
PhénomÚnes de Synchronicité
Un phĂ©nomĂšne de synchronicitĂ© est ÂcaractĂ©risĂ© par
une coĂŻncidence signifiante qui apparaĂźt entre un Ă©tat
mental (subjectif) et un Ă©vĂšnement qui se Âproduit dans le
Âmonde extĂ©rieur (« objectif »). La notion de ÂsynchronicitĂ©
a Ă©tĂ© Âintroduite par le psychanalyste Âsuisse Carl Gustav
Jung (Jung, 1946) et Ă©tudiĂ©e ensuite Âconjointement
avec le Âphysicien Wolfgang Pauli, un des pĂšres de la
Âphysique Âquantique (Jung et Pauli, 1952). Jung Ârattache
ce ÂphĂ©nomĂšne Ă un « parallĂ©lisme acausal » dans
Âlequel les deux ÂĂ©vĂ©nements sont liĂ©s par un «principe
de Âcorrespondance acausal ». Dans un ÂphĂ©nomĂšne
Âsynchronistique il nây a Âaucun lien causal (au sens de la
causalitĂ© Âspatio-temporelle) entre les deux Ă©vĂ©nements qui
sont corrélés.
Nous distinguerons deux types de phénomÚnes de
ÂsynchronicitĂ©. Le premier type (type I) est caractĂ©risĂ© par
une coĂŻncidence signifiante entre les psychismes de deux,
ou plusieurs, individus. Un exemple de ce type se produit
lorsque deux amis qui sont séparés par une grande distance
achĂštent au mĂȘme moment deux cravates rigoureusement
identiques sans sâĂȘtre prĂ©alablement ÂconsultĂ©s. La
ÂcoĂŻncidence signifiante apparaĂźt comme une corrĂ©lation
entre les psychismes des deux individus, suggérant une
29. PSYCHO-PHYSIQUE / 29
sorte de « communication psychique » entre Âinconscients.
Il y a beaucoup dâexemples de telles ÂcorrĂ©lations Ă Âlongue
Âdistance entre individus: jumeaux, membres dâune mĂȘme
famille, membres dâun couple, amis, ⊠Ces ÂcorrĂ©lations
apparaissent souvent entre des personnes qui ont des liens
affectifs Âimportants. Il y a Âaussi lâexemple de Âscientifiques
qui font la mĂȘme dĂ©couverte pratiquement au mĂȘme
Âmoment. Les corrĂ©lations entre Âpsychismes que lâon
Âobserve dans les situations Âgroupales entrent aussi dans
ce premier type de ÂphĂ©nomĂšnes de synchronicitĂ©.
Un autre exemple assez courant de ce type de
ÂsynchronicitĂ© est le suivant: vous ĂȘtes assis chez vous, dans
votre salon, et vous pensez Ă un vieil ami que vous nâavez
pas vu depuis longtemps, des mois, voire des ÂannĂ©es. Câest
alors que le tĂ©lĂ©phone sonne. Câest Âjustement cet ami qui
vous appelle!!
Le second type de phénomÚne de synchronicité (type
II), lequel est plus prÚs de ceux considérés initialement
par Jung, se produit lorsque la coĂŻncidence signifiante est
Âentre un Ă©tat mental et un Ă©tat physique. Dans ce cas, lâĂ©tat
Âphysique est symboliquement corrĂ©lĂ© Ă lâĂ©tat mental par un
sens commun. Par exemple, je pense à « quelque chose » et
cette « chose » apparaßt devant mes yeux. Ou bien, je suis
dans un cafĂ© et je pense Ă quelquâun que jâaime beaucoup.
A ce moment-lĂ son prĂ©nom est ÂprononcĂ© par des personnes
que je ne connais pas et qui sont assises à une table située
juste à cÎté de la mienne.
Ces coĂŻncidences ne se manifestent pas ÂnĂ©cessairement
simultanĂ©ment mais Ă lâintĂ©rieur dâun intervalle de temps
relativement court de sorte que la coĂŻncidence apparaisse
exceptionnelle.
Dans (Martin, 2009) je donne un exemple frappant
de ce second type de synchronicité dans lequel je suis
ÂimpliquĂ© et qui est arrivĂ© Ă un marionnettiste lyonnais en
août 2007. Ce phénomÚne de synchronicité est proche de
ce que nous appelons la providence, car il a réalisé le désir
du marionnettiste.
La synchronicité est un phénomÚne essentiellement
Âpersonnel et subjectif, qui peut cependant ĂȘtre partagĂ© par
plusieurs personnes. Pour quelquâun qui vit Âconstamment
dans la synchronicitĂ© il ne peut ĂȘtre Âquestion de Âmauvaise
évaluation des probabilités, ni de biais de sélection des
informations. Le sens ÂtransportĂ© par un ÂphĂ©nomĂšne de
ÂsynchronicitĂ© est tellement Âimposant et liĂ© Ă lâinstant
ÂprĂ©sent de la personne qui le vit quâil ne peut sâagir dâun
«biais de sélection».
Avant sa redécouverte par Jung, la synchronicité a fait
lâobjet du plus ancien texte chinois, le I Ching (ou Yi Jing),
le « Livre des transformations ». Son élaboration date du
premier millĂ©naire avant lâĂšre chrĂ©tienne. Le I Ching est
un livre de philosophie et de cosmologie. Partant dâune
Âopposition/complĂ©mentaritĂ© entre les principes Yin et
Yang et subdivisant cette dualité de façon systématique,
le I Ching arrive à une série de 64 figures qui peuvent
ÂinterprĂ©ter toutes les transformations possibles.
« Le Yin et le Yang sont intimement Ă©pousĂ©s lâun dans
lâautre, mais distincts, ils sont Ă la fois ÂcomplĂ©mentaires,
concurrents, antagonistes. La figure primordiale du I
Ching est une figure dâordre, dâharmonie, mais portant en
elle lâidĂ©e tourbillonnaire et le principe dâantagonisme.
Câest une figure de ÂcomplexitĂ© » (Morin, 1977).
La synchronicité est donc profondément ancrée
dans lâopposition/complĂ©mentaritĂ© (dans la dualitĂ©)
ÂEsprit-MatiĂšre. Les Ă©vĂšnements synchronistiques Âentre le
psychisme et la matiĂšre semblent difficilement Âexplicables
en termes de corrélations entre psychismes (conscients ou
inconscients). Pour Jung, les Ă©vĂšnements Âsynchronistiques
sont des « vestiges » dâune rĂ©alitĂ© Âholistique (globale et
Âtotale) â lâUnus Mundus âqui est basĂ© sur le concept
dâune rĂ©alitĂ© unifiĂ©e, une particularitĂ© du « Monde Unique»
duquel toute chose tient son origine, duquel toute chose
Ă©merge et finalement retourne. LâUnus Mundus, ou « Monde
Unique », est relié au « Monde des Idées » de Platon et a ses
Ă©quivalents en physique Âquantique. Ainsi lâUnus Mundus
sous-tend lâesprit et la matiĂšre.
Comme nous lâavons dĂ©jĂ soulignĂ©, dans un ÂphĂ©nomĂšne
de synchronicitĂ©, il nây a aucun lien causal (au sens de la
causalité spatio-temporelle) entre des événements qui sont
corrĂ©lĂ©s et localisĂ©s dans lâespace- temps. Les ÂphĂ©nomĂšnes
de synchronicité sont des phénomÚnes globaux dans
lâespace et le temps. Ils ne peuvent pas ĂȘtre expliquĂ©s par
30. 30 / REVUE TEÎ PS 2014
la mécanique classique1
. Cependant, dans le cas dâune
coĂŻncidence signifiante apparaissant entre les psychismes
de deux individus, nous pouvons y voir une analogie avec
lâintrication Âquantique2
(Atmanspacher, 2002 ; Baaquie
et Martin, 2005).
De plus, il est possible que les événements
Âsynchronistiques entre les domaines mentaux et ÂmatĂ©riels
soient une consĂ©quence dâune intrication Âquantique entre
lâesprit et la matiĂšre (Primas, 2003). Dans ce cas, comme
Jung, nous considérons les domaines mentaux et matériels
de la réalité comme des aspects, ou des manifestations,
dâune rĂ©alitĂ© unique Âsous-jacente (implicite) dans Âlaquelle
lâesprit et la matiĂšre sont Ânon-sĂ©parĂ©s (Atmanspacher,
2004).
Insistons sur le fait que si les phénomÚnes de
ÂsynchronicitĂ© apparaissent comme acausals, câest au
sens de la causalité spatio-temporelle. Un acte, ou un
choix, peuvent trÚs bien déclencher un phénomÚne de
ÂsynchronicitĂ©, lequel sera en rapport avec cet acte, ou
ce choix. Il y aura bien causalitĂ© dans le sens oĂč lâacte,
ou le choix, seront la cause tandis que le phénomÚne de
ÂsynchronicitĂ© constituera lâeffet. Cependant le Âprocessus
qui fait passer de la cause Ă lâeffet ne sâinscrit pas dans une
continuitĂ© spatio-temporelle. Comme certains ÂphĂ©nomĂšnes
de physique quantique, ce « processus » peut trÚs bien
se situer dans un contexte a-spatial et a-temporel. Les
ÂphĂ©nomĂšnes de synchronicitĂ© pourraient ainsi sâexpliquer
de façon causale, mais dans le cadre dâune causalitĂ© que
nous ne comprenons pas encore.
Les phénomÚnes de synchronicité, en particulier ceux
qui concernent une corrélation à distance entre plusieurs
personnes, nous conduisent Ă postuler lâexistence dâĂ©tats
mentaux inconscients non localisĂ©s dans lâespace et le
temps. Bien que différentes régions du cerveau favorisent
1 La mĂ©canique classique est la mĂ©canique qui, jusquâĂ la fin du
19Úme siÚcle, expliquait les phénomÚnes matériels du monde
sensible (du monde qui nous entoure et que nous percevons par
nos sens).
2 Lâintrication quantique sera dĂ©finie et Ă©tudiĂ©e dans un
Âparagraphe plus loin dans lâarticle.
certaines fonctions spécifiques (Joseph, 1982, 1992), les états
Âmentaux ne sont pas exclusivement localisĂ©s dans le cerveau
humain. Ils sont corrélés à des états physiques du cerveau
(possiblement via lâintrication quantique) mais ils ne sont
pas réductibles à ces états physiques.
Les phénomÚnes de synchronicité, en particulier ceux du
deuxiĂšme type, montrent, comme la physique quantique,
quâil nây a pas de frontiĂšre entre la subjectivitĂ© de la Âpersonne
qui observe et le monde observĂ©. Notre subjectivitĂ© se Âprojette
dans le monde extĂ©rieur. Il nâexiste donc pas de rĂ©alitĂ©
Âobjective en dehors de nous.
Je vais donc tenter dâexpliquer les phĂ©nomĂšnes de
ÂsynchronicitĂ© dans le cadre de la mĂ©canique quantique.
Pour cela je vais commencer par une introduction Ă cette
discipline.
Introduction Ă la physique quantique
Lâacte de naissance de la physique quantique date de la
fin de lâannĂ©e 1900, pĂ©riode durant laquelle Max Planck
publia son explication du rayonnement du corps noir,
Âcâest-Ă -dire du rayonnement Ă©mis par un corps que lâon
Ă©chauffe. Lâexplication de Max Planck consista Ă Âsupposer
que les Ă©changes dâĂ©nergie entre le Ârayonnement et la
ÂmatiĂšre ne peuvent se faire que par paquets discontinus, les
quanta. Ce fut le point de dĂ©part dâune grande ÂrĂ©volution
en physique: la physique quantique.
Une des caractéristiques de la physique quantique est
son impossibilitĂ© Ă ĂȘtre formulĂ©e en termes « classiques ».
La mĂ©canique dite « classique » peut ĂȘtre formulĂ©e dans
des termes ayant trait Ă la perception que nous avons de
la réalité du monde extérieur qui nous entoure. Ainsi, en
physique classique, une onde peut ĂȘtre comparĂ©e Ă des
Âvagues apparaissant Ă la surface dâun Ă©tang ou dâun ocĂ©an.
De mĂȘme, un corpuscule peut ĂȘtre comparĂ© Ă une bille se
mouvant dans lâespace.
Remarquons quâen physique classique, ces deux
Ânotions sont incompatibles. Une onde ne peut pas ĂȘtre un
corpuscule et rĂ©ciproquement. Il nâen va pas de mĂȘme en
physique quantique. En physique quantique, un ÂsystĂšme
ne peut pas ĂȘtre dĂ©crit classiquement comme une onde
31. PSYCHO-PHYSIQUE / 31
ou un corpuscule. Il est en fait «les deux ensemble »
dans le sens oĂč, dans la rĂ©alitĂ© expĂ©rimentale, Âcertaines
ÂexpĂ©riences le font apparaĂźtre comme une onde tandis que
dâautres le font apparaĂźtre comme un corpuscule. Seuls
des Âobjets ÂmathĂ©matiques, comme les fonctions dâonde ou
les champs quantiques, peuvent décrire ce double aspect
«contradictoire » des systĂšmes quantiques.
PRINCIPE DE SUPERPOSITION
Une des propriĂ©tĂ©s des ondes est quâelles sont capables
de se superposer. Un des principes fondamentaux de la
Âphysique quantique est le principe de superposition.
Celui-ci Ă©nonce que les fonctions dâonde sâadditionnent
comme des vecteurs, une raison pour laquelle on
les Ânomme aussi vecteurs dâĂ©tat3
. La somme de deux
Âfonctions dâonde (ou de deux vecteurs dâĂ©tat) dâun ÂsystĂšme
Âquantique est Âaussi une fonction dâonde (ou un vecteur
dâĂ©tat) de ce ÂsystĂšme. Ainsi, si, Ă un instant donnĂ©, une
premiĂšre Âfonction dâonde « localise » une particule en un
point A de lâespace et si, au mĂȘme instant, une deuxiĂšme
Âfonction dâonde « localise» cette mĂȘme particule en un
autre Âpoint B de lâespace, la somme des deux fonctions
dâonde «localisera» la particule aux deux points A et B.
La Âparticule sera donc « localisĂ©e » en deux endroits en
mĂȘme temps.
PASSAGE DU QUANTIQUE AU CLASSIQUE
Câest ici quâentre en jeu le processus de mesure qui
Âpermet dâobserver la particule dans le monde «classique»
qui nous entoure. Il est clair que nous observons la
Âparticule en un seul endroit et non en plusieurs endroits
ÂsimultanĂ©ment. Pour Niels Bohr (1885 - 1962) et lâEcole
de Copenhague (Bohr, 1983), il existe deux « mondes» : le
monde Âquantique microscopique Ă observer, dans lequel le
Âprincipe de Âsuperposition sâapplique, et le monde Âclassique
Âmacroscopique, â le monde de lâappareil de mesure â, dans
lequel le principe de superposition ne sâapplique plus. Pour
3 Lâensemble des vecteurs dâĂ©tat dâun systĂšme quantique forme
un espace vectoriel qui a une structure dâespace de Hilbert.
garder une certaine cohĂ©rence et nâavoir Ă ÂconsidĂ©rer quâun
seul « monde», en 1932, von Neumann (von Neumann,
1932) suppose que lâappareil de mesure est lui aussi un
systĂšme quantique et postule que lors dâun processus de
mesure il y a effondrement (ou ÂrĂ©duction) de la fonction
dâonde4
. Câest-Ă -dire que lors dâun processus de Âmesure,
la fonction dâonde, Âsuperposition de diffĂ©rents Ă©tats
Âpossibles, se « rĂ©duit » Ă un seul Ă©tat, celui mesurĂ©. Lors
du Âprocessus de mesure un choix Âunique se fait parmi les
diffĂ©rents Âvecteurs dâĂ©tat possibles. Lâeffondrement âou la
ÂrĂ©ductionâ de la fonction dâonde ne fait pas ÂnĂ©cessairement
partie des axiomes de la physique quantique. Il âou elleâ a
été ajouté de maniÚre ad hoc par von Neumann pour décrire
le processus de mesure.
En 1957, supposant que lâunivers entier dans son Âensemble
est quantique, Everett (Everett, 1957)
propose dâabandonner le postulat de lâeffondrement
(ou de la rĂ©duction) de la fonction dâonde. Le Âprocessus
de Âmesure implique alors un choix unique parmi les
ÂdiffĂ©rents Âvecteurs dâĂ©tat possibles sans quâaprĂšs la
Âmesure de la fonction dâonde se rĂ©duise au vecteur dâĂ©tat
ÂmesurĂ©. Elle reste Âsuperposition de tous les vecteurs dâĂ©tat
Âpossibles. Lâappareil de mesure et la conscience humaine
nâenregistrent quâun seul vecteur dâĂ©tat «classiquement »
possible parmi la superposition de tous les vecteurs dâĂ©tat
possibles mais cela nâempĂȘche pas cette superposition
de continuer Ă exister5
. La thĂ©orie dâEverett a pris le nom
de théorie des « Etats Relatifs » ou des mondes multiples
(many-worlds).
Puis, en 1970, Zeh (Zeh, 1970), et ensuite, en 1981, Zurek
(Zurek, 1981), introduisent le concept de ÂdĂ©cohĂ©rence en
considĂ©rant lâinteraction du systĂšme quantique ÂmesurĂ© et
de lâappareil de mesure avec lâenvironnement, ce dernier
Ă©tant lui aussi considĂ©rĂ© comme un systĂšme Âquantique.
Cette Âinteraction se manifeste par une Âintrication
4 En réalité, le premier à avoir employé le terme « réduction de la
fonction dâonde » est Werner Heisenberg en 1927.
5 Cependant, la superposition a été modifiée par le processus de
mesure, mais de maniĂšre unitaire, ce qui nâest pas le cas de la
rĂ©duction de la fonction dâonde.
32. 32 / REVUE TEÎ PS 2014
Âquantique entre le systĂšme observĂ©, lâappareil de Âmesure
et lâenvironnement. La ÂcomplexitĂ© « quantique » de
lâenvironnement implique la perte dans cet Âenvironnement
dâune partie de lâinformation quantique transportĂ©e par le
systĂšme mesurĂ©. Des bribes de cette information Âquantique
sâĂ©chappent dans lâenvironnement. En Âparticulier, les
phĂ©nomĂšnes dâinterfĂ©rence entre les vecteurs dâĂ©tat
«classiquement» possibles du systĂšme mesurĂ© tendent Ă
disparaĂźtre, ou tout au moins Ă devenir infiniment petits.
Le systĂšme quantique mesurĂ© nâest alors plus dĂ©crit par
un vecteur dâĂ©tat (ou par une superposition de vecteurs
dâĂ©tat) mais par un opĂ©rateur reprĂ©sentant un mĂ©lange.
Nous Âdisons que le systĂšme quantique mesurĂ© nâest plus
un Ă©tat pur mais un mĂ©lange (statistique) dâĂ©tats purs. Une
autre caractĂ©ristique de lâinteraction du systĂšme Âquantique
mesurĂ© et de lâappareil de mesure avec lâenvironnement
est de définir les états « classiquement » possibles du
ÂsystĂšme, câest-Ă -dire les Ă©tats observables dans le «monde
classique ». Zurek les appelle les « pointer- states », les
« Ă©tats Âpointeurs ». Un exemple est donnĂ© par le chat de
Schrödinger dont les « pointer- states » sont les deux états
dans lesquels le chat est respectivement vivant ou mort.
En 2005, Michael Mensky (Mensky, 2005) propose une
Âversion « Ă©tendue » de la thĂ©orie des « Etats Relatifs », ou
des mondes multiples, dâEverett. Il propose ainsi que la
Âconscience (Ă©veillĂ©e) soit par dĂ©finition la sĂ©paration entre
les diffĂ©rents Ă©tats quantiques « classiquement» Âpossibles,
entre les diffĂ©rents « pointer- states », la Âconscience
Âsubjective nâenregistrant quâun seul Ă©tat Ă un instant
donné6
.
Une métaphore pour le principe de superposition est
ÂconstituĂ©e par les images superposĂ©es que lâon ÂprĂ©sente
Âdevant les yeux dâun sujet. Telle est, par exemple, la
Âfameuse image sur laquelle nous voyons soit une jeune
Âfemme, soit une vieille femme, mais pas les deux en mĂȘme
temps (Figure 1).
6 Remarquons que pour la conscience endormie (la conscience du
rĂȘve) la sĂ©paration entre les diffĂ©rents Ă©tats quantiques
«classiquement » possibles, entre les diffĂ©rents «pointer-states»,
nâexiste plus.
La conscience voit une des deux images, un des deux
« pointer-states », constituĂ©s respectivement de la Âjeune
femme et de la vieille femme, mais jamais les deux
ÂsimultanĂ©ment. Cela montre lâunicitĂ© du rĂ©sultat dâune
mesure effectuée par la conscience à un instant donné.
Si nous considĂ©rons lâimage des deux femmes sur une Âfeuille
de papier, ou sur un Ă©cran dâordinateur, il ne sâagit pas
dâun systĂšme quantique, mais dâun ÂsystĂšme Âclassique. Par
ÂconsĂ©quent il ne sâagit pas dâune Âsuperposition Âquantique
de deux états. Cependant, si nous nous plaçons au niveau
de la reprĂ©sentation Âvisuelle, au niveau de la reprĂ©sentation
de nos Ă©tats mentaux, nous pouvons ÂconsidĂ©rer que notre
cerveau, ou notre Âconscience, «rĂ©alise » une superposition
de deux Ă©tats quantiques Ă partir dâune image classique.
Dans ce cas notre conscience regarde effectivement une
Âsuperposition dâĂ©tats quantiques. Lorsque nous voyons
lâimage floue, câest-Ă -dire lorsque nous ne voyons ni la
Âjeune femme, ni la vieille femme, notre conscience Âregarde
lâinterfĂ©rence entre les deux.
Dâun autre cĂŽtĂ©, lorsque notre conscience voit soit la
Âjeune femme, soit la vieille femme, elle contemple un des
deux « pointer-states » (un des deux « états pointeurs»).
Soulignons, quâen ce qui concerne les Ă©tats mentaux
liés à cette image, il ne se produit pas de phénomÚne de
ÂdĂ©cohĂ©rence, car les interfĂ©rences entre les deux « Ă©tats
pointeurs » restent toujours prĂ©sentes. Si un ÂphĂ©nomĂšne de
dĂ©cohĂ©rence se produisait ces interfĂ©rences ÂdisparaĂźtraient.
Ce dernier point est trĂšs important car il montre la
ÂdiffĂ©rence entre les Ă©tats mentaux et les Ă©tats physiques
(ou du moins les « états pointeurs » physiques). Dans le
mĂȘme Ă©tat dâesprit, en ce qui concerne les Ă©tats mentaux
liĂ©s Ă Âcette image, il nây a pas dâeffondrement de la Âfonction
dâonde â ou de rĂ©duction du paquet dâonde â (Martin,
Carminati et Galli Carminati, 2013).
Revenons au passage du monde quantique au monde
Âclassique en physique quantique. Câest toujours un Âobjet
de dĂ©bats entre les physiciens. Certains, dont je fais Âpartie,
pensent que le monde est quantique et que la physique
quantique est toujours vraie, quel que soit le nombre de
particules en prĂ©sence ou quelle que soit la taille des Âobjets
(voir Kofler et Brukner, 2007). Si nous nâobservons pas
33. PSYCHO-PHYSIQUE / 33
dâeffets quantiques avec les objets qui nous entourent, par
exemple un objet qui serait ÂsimultanĂ©ment en deux Âendroits
diffĂ©rents, câest que nos appareils de mesure et notre
Âconscience ne possĂšdent pas la sensibilitĂ© ÂnĂ©cessaire. Notre
conscience crĂ©e le monde classique que nous Âobservons en
fonction de la sensibilité de notre perception.
INFORMATION QUANTIQUE
Lâinformation quantique est lâinformation contenue dans
un systĂšme quantique. Il est impossible de connaĂźtre
toute lâinformation dâun systĂšme quantique (principe
dâindĂ©termination dâHeisenberg).
La logique de lâinformation classique est, par exemple, « 0
OU 1 », « onde OU corpuscule », ⊠Câest la logique du tiers
exclu. Par contre la logique de lâinformation Âquantique est,
pour les mĂȘmes exemples, « 0 ET 1 », «onde ET corpuscule»,
⊠Câest la logique du tiers inclus.
Lâinformation quantique est proche de lâinformation
Âcontenue dans un rĂȘve (Bennett, 2006). En essayant de
raconter notre rĂȘve nous changeons la mĂ©moire que nous
en avons. Finalement nous oublions le rĂȘve et nous nous
souvenons uniquement de la description que nous en avons
faite. Nous ne pouvons pas prouver Ă quelquâun dâautre que
nous avons rĂȘvĂ©. Nous pouvons mentir sur nos rĂȘves et ne
jamais ĂȘtre pris en flagrant dĂ©lit de mensonge.
Nous pouvons retourner lâargument et nous poser la
Âquestion : lâinformation contenue dans nos rĂȘves (fenĂȘtres
sur lâinconscient) ne serait-elle pas de lâinformation
Âquantique ? Les premiers Ă avoir conjecturĂ© que
lâinconscient pouvait ĂȘtre un systĂšme quantique ont Ă©tĂ©
Jung et Pauli (Jung et Pauli, 1952). Nous poursuivrons
donc la voie ouverte par Jung et Pauli, considérant que les
Ă©tats mentaux (conscients et inconscients) sont des Ă©tats
quantiques7
.
Figure 2 : SystÚme non-séparable de deux photons maximalement
intriqués. Cette figure est extraite de (Bennet, 2006).
INTRICATION QUANTIQUE
Lâintrication quantique (en anglais, quantum Âentanglement)
est un phénomÚne fondamental de la physique quantique.
Câest une propriĂ©tĂ© spĂ©cifique de la physique quantique qui
nâexiste pas en mĂ©canique classique. Elle se manifeste, en
général, par le fait que lorsque plusieurs particules ont été
préparées ensemble, ou ont interagi pendant un certain
intervalle de temps, qui peut ĂȘtre trĂšs court, elles restent
fortement corrĂ©lĂ©es mĂȘme si elles sont sĂ©parĂ©es par une trĂšs
grande distance. Cela signifie que si nous mesurons une
7 Cependant, contrairement aux Ă©tats quantiques physiques, les
vecteurs dâĂ©tat reprĂ©sentant les Ă©tats mentaux ne forment pas
nécessairement un espace de Hilbert (Atmanspacher, 2002).
Figure 1 : «Images superposĂ©es dâune jeune femme et dâune
vieille femme»
34. 34 / REVUE TEÎ PS 2014
certaine ÂpropriĂ©tĂ© physique dâune des particules, les autres
particules vont instantanément « hériter » de la propriété
physique correspondante (la propriĂ©tĂ© corrĂ©lĂ©e), mĂȘme si
elles se trouvent Ă lâautre bout de lâunivers.
Insistons sur le fait que dans ce phĂ©nomĂšne il nây a
pas dâinteraction entre les particules, ni de transfert
dâinformation entre elles ! Le phĂ©nomĂšne ne dĂ©pend pas
de la distance entre les particules. Câest ce que lâon appelle
la non localité.
Remarquons que la spĂ©cificitĂ© quantique indique quâavant
une mesure les propriĂ©tĂ©s physiques de Âchaque particule
individuelle ne sont pas déterminées (non-réalisme).
La fonction dâonde du systĂšme des particules ne se Âfactorise
pas en produit des fonctions dâonde de Âchacune des
Âparticules8
. Insistons Ă nouveau sur le fait que lâintrication
quantique et la propriété de non-séparabilité sont des
ÂpropriĂ©tĂ©s fondamentalement quantiques qui nâexistent
pas en physique classique.
Considérons, comme exemple, un systÚme de deux photons
dont les polarisations (les directions du champ Ă©lectrique)
sont quantiquement intriqués (Figure 2).
Nous remarquons que les directions du champ Ă©lectrique de
chaque photon ne sont pas définies au préalable,
câest-Ă -dire avant toute mesure. Par contre, le systĂšme
Ânon-sĂ©parable constituĂ© des deux photons montrent que
ces directions seront fortement corrĂ©lĂ©es lors de la Âmesure:
si nous mesurons la direction du champ Ă©lectrique suivant
une direction arbitraire (que nous choisissons) la direction
du champ Ă©lectrique de lâautre photon sera instantanĂ©ment
fixée, quelle que soit la distance entre les deux photons.
Dans cet exemple, la forte corrélation apparaßt dans le fait
que la direction du champ Ă©lectrique du deuxiĂšme photon
sera la mĂȘme que celle mesurĂ©e pour le premier photon.
Remarquons que la mesure de la direction du champ
ÂĂ©lectrique dâun des deux photons dĂ©truit instantanĂ©ment
le systĂšme Ânon-sĂ©parable, chaque photon reprenant son
individualité.
8 Les particules dâun tel systĂšme, quantiquement intriquĂ©,
nâont pas dâĂ©tats quantiques purs ; seul le systĂšme considĂ©rĂ©
Âglobalement possĂšde un Ă©tat quantique pur.
Cet exemple montre bien que la physique quantique est une
théorie non-locale et non-réaliste.
Quantum entanglement (intrication quantique) est le
nom donné par le physicien Schrödinger pour désigner la
Âsuperposition dâĂ©tats Ă multi-particules.
35. PSYCHO-PHYSIQUE / 35
Supposons que deux dĂ©s soient quantiquement ÂintriquĂ©s,
comme peuvent lâĂȘtre deux particules Âquantiques. Ils sont
fortement corrĂ©lĂ©s dans le sens oĂč si nous jetons les deux
dĂ©s nous obtenons le mĂȘme rĂ©sultat pour chaque dĂ© (par
exemple chaque dé donnera un 1, ou un 2, etc.). Un point
important est que la corrĂ©lation perdure dans lâespace et le
temps. Supposons quâAlice prenne un des deux dĂ©s et que
Bob prenne lâautre, tout en protĂ©geant chacun leur dĂ© de
toute interaction avec lâenvironnement.
Alice et Bob sâĂ©loignent alors lâun de lâautre de Âplusieurs
années-lumiÚre et lancent chacun leur dé. Ils obtiennent le
mĂȘme rĂ©sultat ! La corrĂ©lation existe donc ÂindĂ©pendamment
de la distance entre les objets Âquantiquement intriquĂ©s.
Il en est de mĂȘme pour le temps. Alice lance son dĂ©
et obtient par exemple un 6. Bob place son dé dans un
Âendroit protĂ©gĂ© de lâenvironnement. Plusieurs siĂšcles plus
tard quelquâun ÂdĂ©couvre le dĂ© et le lance. Il obtiendra
ÂnĂ©cessairement un 6 !
Ce point est extrĂȘmement important car il montre quâil
peut y avoir de fortes corrĂ©lations entre des ÂĂ©vĂ©nements se
produisant dans le prĂ©sent et des Ă©vĂ©nements sâĂ©tant dĂ©jĂ
produits dans le passé (phénomÚnes de synchronicité).
En ce qui concerne les particules quantiques, comme
pour les images superposĂ©es de la Figure 1, lâanalogie
avec le jeu de dĂ©s nâest quâune mĂ©taphore9
. Cependant
câest une ÂmĂ©taphore qui montre bien que dans un ÂsystĂšme
de Âparticules quantiquement intriquĂ©es les propriĂ©tĂ©s
Âphysiques des Âparticules prises individuellement ne sont
pas ÂdĂ©terminĂ©es (correspondant au caractĂšre alĂ©atoire du
résultat du lancement du jeu de dés), bien que fortement
corrélées.
La forte corrĂ©lation associĂ©e Ă lâindĂ©termination du
ÂrĂ©sultat de la mesure montre que la physique quantique est
une théorie non-réaliste. Le fait que la corrélation se joue de
lâespace et du temps montre que la physique Âquantique est
une théorie non-locale.
Lâintrication quantique transcende notre notion
dâespace-temps.
9 Comme nous lâavons vu Ă la fin du paragraphe PASSAGE DU
QUANTIQUE AU CLASSIQUE, les images superposées de la Figure
1 constituent une métaphore du principe de superposition si cette
figure est considérée comme un dessin sur une feuille de papier,
ou sur un Ă©cran dâordinateur (systĂšme classique). Par contre, si
nous considérons la représentation mentale de cette figure, il ne
sâagit plus dâune mĂ©taphore car nous sommes alors en prĂ©sence
dâun systĂšme quantique.
MĂ©taphore pour dĂ©crire lâintrication quantique (Nielsen, 2010) :
36. 36 / REVUE TEÎ PS 2014
I n t r i c at i o n q u a n t i q u e e t
ÂphĂ©nomĂšnes de synchronicitĂ©
Les phénomÚnes de synchronicité de type I, les
ÂcorrĂ©lations Ă distance entre les psychismes de plusieurs
personnes, ressemblent étrangement aux corrélations
Âquantiques entre particules intriquĂ©es. Cette Âsimilitude
nous a poussĂ©s Ă supposer lâexistence dâintrication
Âquantique entre les inconscients de deux, ou plusieurs
personnes (Baaquie et Martin, 2005 ; Atmanspacher, 2002).
Cette intrication quantique expliquerait donc les
ÂcorrĂ©lations Ă distance entre personnes ayant des liens
affectifs importants. Il serait intéressant de mesurer de
maniÚre quantitative ces corrélations inconscientes
à distance. Cela a été fait, en 1994, par le groupe de J.
Grinberg-Zylberbaum (Grinberg-Zylberbaum, 1994), qui a
pratiqué des électro- encéphalogrammes (EEG) sur deux
personnes électromagnétiquement isolées (dans des cages
de Faraday). Il serait aussi intĂ©ressant dâobserver si des
ÂcorrĂ©lations entre circuits neuronaux activĂ©s sont visibles
en Imagerie par Résonance Magnétique Nucléaire (IRM).
Avec Giuliana Galli Carminati (Galli Carminati et Martin,
2008) nous avons proposĂ© de mesurer Âquantitativement
lâexistence (ou la non-existence) de Âtelles corrĂ©lations dans
les situations groupales, ceci ÂgrĂące Ă des tests «absurdes».
Ces expériences sont en cours, certaines ayant déjà été
analysées (Trojoala Zapirain, 2013).
En ce qui concerne les phĂ©nomĂšnes de ÂsynchronicitĂ©
de type II (les coĂŻncidences signifiantes entre un Ă©tat Âmental
(subjectif) et un état physique du monde extérieur), il est
possible de les expliquer en Ă©mettant lâhypothĂšse que, non
seulement les inconscients Âindividuels sont Âquantiquement
intriquĂ©s, mais quâils le sont aussi avec lâInconscient
Collectif10
, lequel serait lui-mĂȘme Âquantiquement ÂintriquĂ©
avec le monde de la matiĂšre. Nous rejoignons ainsi
lâhypothĂšse de H. Primas (Primas, 2003).
Nous rejoignons aussi les idées de David Bohm (Bohm,
1980). En ce qui concerne la matiĂšre et lâesprit, avant toute
10 Dont lâexistence a Ă©tĂ© postulĂ©e par C.G. Jung.
mesure, les corrĂ©lations quantiques dues Ă lâintrication
quantique relĂšvent de ce que David Bohm appelle lâordre
implicite (ou impliĂ©), qui « se situe » au-delĂ de lâespace et
du temps, contrairement Ă lâordre explicite (ou dĂ©pliĂ©) qui
est le monde « manifeste » tel que nous lâapprĂ©hendons
avec nos sens, nos appareils de mesure, notre conscience.
Lâordre implicite (ou impliĂ©) est une structure indivisible (ou
non-fragmentĂ©e), «an Âundivided wholeness », tandis que
lâordre explicite (ou dĂ©pliĂ©) est une structure fragmentĂ©e.
Dans lâordre Âimplicite (ou impliĂ©), esprit et matiĂšre sont une
seule et mĂȘme entitĂ© (non-sĂ©parable).
Les ordres implicite et explicite de David Bohm
sont Ă Ârelier respectivement aux Ă©tats ontologiques et
ÂĂ©pistĂ©miques de Jung et Pauli (Atmanspacher, 2013). Les
états ontologiques et leurs propriétés intrinsÚques associées
se rĂ©fĂšrent au concept dâune rĂ©alitĂ© Âholistique (globale et
totale). Ils sont opĂ©rationnellement Âinaccessibles. Les Ă©tats
épistémiques et leurs propriétés contextuelles associées se
rĂ©fĂšrent au concept local dâune rĂ©alitĂ© opĂ©rationnellement
accessible. Le processus de la mesure représente le lien
Âentre ces deux types dâĂ©tat.
«Esprit et matiĂšre se dĂ©ploient Ă partir dâune base
commune, au-delĂ de lâespace et du temps, dont les
ÂsynchronicitĂ©s sont en quelque sorte lâexpression.»
Les phénomÚnes de synchronicité seraient donc des
«fenĂȘtres» sur lâUnitĂ©, sur la nature globale du Monde. Ils
montrent lâinterdĂ©pendance de tous les phĂ©nomĂšnes.
Champs
CHAMPS DâINTERACTION MATĂRIELS
Il y a deux champs dâinteraction « classiques » : le champ
Ă©lectromagnĂ©tique, qui est lui- mĂȘme une unification due
à Maxwell du champ électrique et du champ magnétique,
et le champ gravitationnel. Ces deux champs peuvent,
dans certains cas, ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme classiques dans
la mesure oĂč ils sont Ă longue portĂ©e, câest-Ă -dire Ă portĂ©e
macroscopique.
Cependant, Ă partir de lâannĂ©e 1900, il nâa plus Ă©tĂ©
Âpossible de considĂ©rer le champ Ă©lectromagnĂ©tique Âcomme