"Le nouveau décor des politiques de la science" Hommage à J.-.J SALOMON
1. « Le nouveau décor des politiques de la science : impacts des
mutations économiques et
des changements géopolitiques »
Daniel Dufourt Professeur de Sciences Economiques IEP Lyon
daniel.dufourt@sciencespo-lyon.fr
Programme Egalité des Chances
Séance du 26 janvier 2013
2. 2
Le nouveau décor des politiques de la
science*
*Titre emprunté à Jean-Jacques Salomon qui signe sous ce titre un article dans le numéro
68, juin 2001, de la Revue Internationale des Sciences sociales publiée par l’UNESCO.
Auteurs phares de cette séance:
• Jean-Jacques SALOMON (1929-2008), philosophe, fut titulaire de la chaire Technologie
et Société au Conservatoire national des arts et métiers, Paris, France. Il a fondé et dirigé
la Division de la politique de la science et de la technologie de l’Organisation de
coopération et de développement économique (OCDE, 1963-1983).
• Pierre PAPON, physicien, professeur à l'École supérieure de physique et de chimie
industrielles de la ville de Paris en 1972. Il a également été directeur général du Centre
National de la Recherche Scientifique de 1982 à 1986.
• Dominique PESTRE, né en 1950, physicien de formation initiale et historien de
profession, directeur d'étude à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
• Alain- Marc RIEU, philosophe, Doyen de la Faculté de Philosophie, Université Jean
Moulin-Lyon3 et chercheur à l’Institut d’Asie Orientale (CNRS UMR 5062).
3. 3
Plan
Introduction : La science en jeu, une mise en scène gouvernée par les stratégies des acteurs
Ière Partie: Le rôle de la science dans les stratégies de puissance.
A – Complexe militaro-industriel et recherche publique: quel avenir?
B – Grandes infrastructures de recherche, internationalisation du champ scientifique et leadership économique: le règne de
l’incertitude.
C – Exode ou rapt des cerveaux?
IIème Partie: L’assujettissement des choix scientifiques à la logique du marché.
A - La marchandisation du savoir ou la disparition de l’idéal d’une Université conforme au modèle de Humboldt
B – La propriété industrielle, source d’un biais majeur dans le tri des inventions scientifiques en faveur de celles qui
nourrissent des fractures sociales à tout niveau.
IIIème Partie: L’avènement de menaces de toute nature, conséquence de
l’irresponsabilité des scientifiques face aux usages sociaux des sciences.
A – De l’illusion thérapeutique à l’artificialisation du corps humain, en passant par les ventes d’organes : l’avènement d’un
capitalisme autophage.
B – La biodiversité à l’épreuve de la confiscation de l’or génique.
Conclusion: Un nécessaire renouveau démocratique pour remédier à l’ambivalence de la
science
4. 4
Introduction : La science en jeu, une mise en
scène gouvernée par les stratégies des acteurs
A - Science et mondialisation : une hiérarchie enchevêtrée
On se reportera à l’analyse magistrale de Luc Ferry:
(…) il faut prendre la mesure exacte de l'écart abyssal qui sépare l'ère de la
mondialisation de celle des Lumières. Incontestablement, les premières esquisses de la
"globalisation« apparaissent aux XVIe et XVIIe siècles avec la naissance de la science
moderne. Cette dernière constitue en effet le premier discours fondé sur la certitude
d'avoir une vocation universelle, de posséder une valeur intangible en tout temps et en
tout lieu, quelles que soient les civilisations et les cultures auxquelles il s'adresse. Avec le
cartésianisme, notamment, on assiste à l'émergence d'un projet de domination de la
terre, de maîtrise totale du monde par l'espèce humaine. Selon la fameuse formule de
Descartes, la connaissance scientifique va être désormais chargée de fournir à l'homme
les moyens de se rendre enfin "comme maître et possesseur de la nature". Cependant,
dans le rationalisme des XVIIe et XVIIIe siècles, le projet d'une maîtrise scientifique de l'univers
naturel, puis social, possède encore une visée émancipatrice, soumis qu'il demeure en son
principe à la réalisation de certaines finalités. S'il s'agit de dominer l'univers, ce n'est point
par pure fascination pour notre propre puissance. Il ne s'agit pas de dominer pour dominer, de
maîtriser pour le plaisir de maîtriser, mais bien de parvenir à certains objectifs supérieurs et
extérieurs à la puissance elle-même : la liberté et le bonheur. De là les deux credo les plus
fondamentaux du Siècle des lumières. La première conviction qui anime au plus profond
les philosophes, c'est que la science va nous permettre d'émanciper l'humanité des
chaînes de la superstition et de l'obscurantisme. La seconde, c'est que cette maîtrise du
monde va nous permettre, de nous libérer des servitudes naturelles* pour les retourner
à notre profit.
* tremblements de terre, inondations etc..
5. 5
Introduction
A - Science et mondialisation : une hiérarchie enchevêtrée
[Extraits de Luc Ferry, L’âge de la mondialisation, BNF - Le siècle des
Lumières : un héritage pour demain]
« Dans l'univers technicien – c'est-à-dire désormais dans l'univers tout entier puisque le
phénomène de la technique est l'essence même de la mondialisation – le projet de maîtriser
le réel cesse d'être moyen pour réaliser des objectifs supérieurs, mais il devient une fin en
soi. Voici donc l'essentiel : au sein de l'univers de la compétition mondialisée, il ne s'agit
plus de dominer la nature ou la société pour être plus libre et plus heureux, mais de
maîtriser pour maîtriser, de dominer pour dominer.
Pourquoi ? Pour rien justement, ou plutôt parce qu'il est tout simplement impossible de
faire autrement étant donné la nature de la concurrence internationale. Le nouvel
impératif catégorique, l'obligation absolue, c'est de progresser ou de périr. De là, au sein
des entreprises, mais aussi des laboratoires scientifiques, des centres de recherche, des
organes de presse ou des partis politiques, la nécessité de se comparer sans cesse aux
autres, d'augmenter la productivité. (…) Une entreprise qui ne progresse pas est une
entreprise vouée à la mort. De là le formidable et incessant développement d'une
"technoscience" rivée à l'essor économique et largement financée par lui. De là aussi le fait
que l'augmentation de la puissance des hommes sur le monde est devenue un processus
automatique qui nous dépasse de toute part, (...). Pour prendre une métaphore banale mais
parlante : comme une bicyclette doit avancer pour ne pas chuter, ou un gyroscope tourner
pour rester sur son axe, il nous faut "progresser", mais ce progrès mécanique ne peut plus
être situé au sein d'un projet plus vaste, intégré dans un grand dessein. Rien ne permet non
plus de garantir qu'il va dans le bon sens. Telle est la différence ultime qui nous sépare des
Lumières : nul ne peut plus raisonnablement être certain que cette évolution nous
conduise infailliblement vers le mieux. »
6. 6
INTRODUCTION
B - Science et capitalisme cognitif
A quoi repère-t-on l’avènement d’un capitalisme cognitif? A partir de trois critères:
a) l’accumulation de capital immatériel (Recherche-Développement, Education et Formation, Brevets, Logiciels) etc..)
qui dépasse celle du capital matériel ( c’est le cas depuis 1994 aux Etats-Unis)
b) l’avènement des technosciences lié à deux évolutions majeures:
« La première concerne le vivant et sa maîtrise au niveau moléculaire (…)Si la maîtrise de la matière inanimée par
les physiciens remonte aux années 1890 avec la découverte de la manipulation de l’électron, les
biotechnologies moléculaires ne datent que des dernières décennies. Les conséquences en sont toutefois
beaucoup plus décisives puisqu’elles impliquent le rapport à notre propre corps, à la reproduction humaine, à
la définition de la vie et de l’espèce, qu’elles mettent en jeu notre rapport à l’agriculture, aux animaux et à
l’alimentation (OGM) (…)
La seconde nouveauté dans les sciences est celle des outils mathématiques et des moyens de calcul dont nous
disposons et qui ont conduit à la création d’un nouvel univers de jugement -- je veux parler des modélisations
des phénomènes complexes. Le cas le plus connu est certainement celui des simulations du climat*-- qui
incluent les effets de nos activités sur ces évolutions, et une estimation des conséquences de nos politiques
sur ces effets. Ces gigantesques programmes offrent une manière d’appréhender le complexe humain / nature
qui est sans contre-poids (…)ils conduisent à dire ce qu’est le réel, à le définir (il existe un effet de serre et on
peut le maîtriser à certains coûts, disent ces représentations) -- ainsi que les décisions et choix politiques qui
s’offrent à nous. Bien évidemment, le champ politique en est radicalement affecté ». D. Pestre
c)- le changement du régime juridique applicable aux connaissances produites:
Des droits de propriété ont été accordés sur des recherches de plus en plus fondamentales et en amont de
l’innovation proprement dite et les contraintes d’utilité et d’usage justifiant du dépôt d’un brevet ont été
rendues très lâches. Le résultat en est une autre définition du scientifique comme être social, une extension du
contrôle marchand sur les savoirs eux-mêmes, une autre dynamique et d’autres institutions pour la
production des connaissances -- ce qui conduit à devoir repenser ce que peut signifier une politique en ce
domaine.
*Amy Dahan Dalmedico, Hélène Guillemot [2006] « Changement climatique : Dynamiques scientifiques, expertise,
enjeux géopolitiques. » Sociologie du travail, disponible à:
http://math.unipa.it/~grim/dott_HD_MphCh/Dahan_Changement%20climatique_06.pdf
7. 7
INTRODUCTION
B - Science et capitalisme cognitif
– Caractères originaux du capitalisme cognitif
- Ce régime se manifeste empiriquement par la place importante de la recherche, du progrès
technique, de l'éducation (la qualité de la population), de la circulation de l'information,
des systèmes de communication, de l'innovation, de l'apprentissage organisationnel et du
management stratégique des organisations. Du côté de la demande, la consommation est
aussi orientée vers la technique, et notamment vers les techniques de l'esprit c'est-à-dire
celles qui mettent en jeu les facultés mentales via l'interaction avec les nouveaux objets
techniques : audiovisuel, ordinateurs, Internet, consoles de jeu etc...
- Une société dans laquelle se manifestent les orientations du capitalisme cognitif tend à
accentuer et exercer directement un contrôle sur les lieux ou les acteurs détenant des
connaissances ou un potentiel de créativité technique (que ce soit dans le domaine de la
production, du commerce, ou de l'organisation). Il ne s'agit plus, comme dans la société
industrielle, d'accroître l'emprise sur les lieux de production, de développer l'organisation
de la production et de maîtriser une capacité de production de plus en plus étendue afin
de bénéficier d'économies d'échelle ou d'effets d'expérience. Il s'agit principalement de
gérer des connaissances techniques, d'assurer le développement de processus
d'apprentissage, de créer des connaissances nouvelles, et de se ménager l'accès à des
connaissances disponibles à l'extérieur. Il s'agit aussi de mettre en place des systèmes
étendus de communication et de développer la gestion de projets
- Dans ce cadre, le capital tend à se détacher de la maîtrise et du contrôle direct des moyens de
production. Le lien avec les unités de production devient un enjeu secondaire. La source
de valeur n'est plus là. Le capital devient plus abstrait, moins dépendant des contraintes
matérielles de localisation et de contrôle d'une certaine main d'oeuvre directe. La firme
devient la "boîte vide" (hollow box) de Peter Drucker, c'est-à-dire essentiellement des
droits de propriétés et les moyens juridiques de les faire respecter.
8. 8
INTRODUCTION
B - Science et capitalisme cognitif
La place de la connaissance dans les « sociétés de la connaissance »:
- La connaissance est un bien économique particulier, tant dans l’usage que dans la
production.
- Tout d’abord, la connaissance est difficilement contrôlable ; elle tend à se diffuser et à être
utilisée par d’autres agents que celui qui en a assuré la production, sans que ce dernier
en soit rétribué. Le savoir est donc à l’origine d’externalités positives puisque sa
production a un impact positif sur des tiers, sans compensation de leur part. Tout se
passe comme dans le cas d’un apiculteur qui profite, sans le rétribuer, du travail de celui
qui entretient le verger voisin, dans lequel ses abeilles vont butiner.
- Ensuite, la connaissance est un bien non rival au sens où elle ne se détruit pas dans
l’usage; le théorème de Pythagore peut être utilisé à l’infini sans perdre ses qualités. Par
conséquent, le prix d’une connaissance ne peut pas être fixé comme celui de la plupart
des biens .
- Enfin, la connaissance est cumulative ; la production de savoirs nouveaux repose
largement sur les savoirs existants si bien que les progrès de la connaissance sont
d’autant plus rapides que celle-ci est largement diffusée
9. 9
INTRODUCTION
C - Science et citoyenneté
Il est intéressant de constater que les avancées scientifiques qui sont porteuses d’une
amplification considérable des domaines d’exercice des droits fondamentaux sont en même
temps la source potentielle de dommages considérables au détriment de celles et ceux qui
prennent part aux formes nouvelles de mise en œuvre de ces droit.
C’est ainsi que le Ministère de l’éducation nationale s’intéressant (dans le cadre du nouveau
programme d’éducation civique de classe terminale), aux thèmes qui renvoient à la
responsabilité individuelle et collective du citoyen, face aux grands enjeux économiques et
sociaux du monde actuel, dresse le constat suivant (juin 2011) :
« Informatique et liberté interroge sur la liberté, mais aussi les limites de cette liberté.
Extraterritorial, échappant aux normes juridiques de la République française, l'espace
virtuel du Net pose en effet d'une part, la question de la liberté d'expression de chacun au
regard du respect de la vie privée ou des règles de vie en société et d'autre part, les voies de
recours possibles en cas d'atteintes à ces droits. Les réseaux sociaux numériques, le
commerce en ligne, le paiement électronique... peuvent aboutir à des manipulations à grande
échelle, des détournements de fonds, un impact fort sur la législation et posent des questions
comme les règles de confidentialité, la dignité de la personne humaine, la propriété
intellectuelle, les droits d'auteur…
Le sujet invite donc à rechercher des valeurs éthiques afin de définir une régulation
juridique dans l'espace public et d'éviter quelques dérives (délation, pillage...). Il permet
d'aborder aussi les initiatives qui favorisent une citoyenneté mondiale en mobilisant des
millions d'internautes sur des causes politiques ou sociales. »*
*http://media.eduscol.education.fr/file/voiepro/05/0/VoiePro_Ressources_HGEC_T_11_EC_CitSciencesEthiqueVF_182050.pdf
10. 10
INTRODUCTION
C - Science et citoyenneté
Certes, mais la tâche n’est pas simple!
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 juin 2009, a censuré nombre de dispositions du
projet de loi "Création et Internet" au nom du respect des libertés fondamentales. Considérant que le
droit de se connecter à l’internet relève du droit d’expression et de communication (un des droits
fondamentaux proclamés par la Déclaration des droits de l’homme), le Conseil consacre ainsi la liberté
d’accès à l’internet.
Parallèlement, l’internet est décrit comme une menace pour les libertés dans un rapport récent du Sénat*.
Celui-ci met notamment en évidence les atteintes à la vie privée et l’insuffisante protection des données
personnelles. Internet porte atteinte à la protection de la vie privée. Ainsi les cookies, véritables
"mouchards" déposés lors de la fréquentation d’un site, livrent un certain nombre de renseignements, dans
un but commercial, concernant l’internaute et ses habitudes. Internet peut aussi être le support à la
diffusion d’informations fausses ou diffamantes à l’égard d’un individu.
Internet peut être le support d’actions ou d’idées en contradiction avec les fondements de la démocratie.
Des sites propageant des idées négationnistes ou racistes y sont accessibles. De même, les cookies
pourraient être exploités afin de connaître les opinions politiques des citoyens à travers leurs consultations
de sites. Du côté des entrepreneurs privés ou des autorités, il y a le risque d’une société de surveillance :
dans certains pays, comme la Chine ou Singapour, les autorités bloquent l’accès à des sites jugés nuisibles,
c’est-à-dire pro-occidentaux, etc.
*La vie privée à l'heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société de
l'information. Rapport d'information n° 441 (2008-2009) de M. Yves DÉTRAIGNE et Mme Anne-Marie
ESCOFFIER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 mai 2009 disponible en ligne à:
http://www.senat.fr/rap/r08-441/r08-4411.pdf
11. 11
Ière Partie : Le rôle de la science dans les
stratégies de puissance.
Traditionnellement, et ceci depuis l’œuvre magistrale de Jean Bodin (1586) la puissance
(entendue comme attribut essentiel de l’institution garante de la pérennité d’un régime
politique juste) est considérée comme constitutive de la notion de souveraineté: « La
souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d'une République ». En quoi
consiste-t-elle ? En « la capacité de commander et de contraindre sans être soi même
commandé ni contraint ». Livre 1, chapitre 8 des 6 livres de La république.
Depuis l’avènement des Etats-Nations la politique de puissance a revêtu une importance
fondamentale parce qu’elle entendait déterminer la nature et les modalités des relations
que ceux-ci étaient susceptibles d’entretenir ensemble sans pour autant laisser place à
une entité située en dehors et au-dessus d’eux.
Bien entendu les objectifs de ces politiques de puissance peuvent être invariables à
certains égards (sécurité nationale, richesse, système de valeurs à préserver) mais avec
les changements liés à la mondialisation et aux révolutions scientifiques et techniques,
les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre changent et d’autres objectifs se font
jour ( défense de l’environnement, offre de biens publics mondiaux, etc..)
12. 12
Ière Partie : Le rôle de la science dans les
stratégies de puissance.
« Par exemple, ce qui a fait du siècle qui court des années 1870 aux années 1970 un
nouveau régime « de science et de société » est que s’ouvre alors un processus de
nationalisation des sciences. Par cette expression que je reprends à David Edgerton 19,
je veux indiquer que les sciences et les technologies qui leur sont associées sont passées
au coeur de la construction nationale, au coeur de l’identité nouvelle que se donnent
alors les États-nations, qu’elles sont devenues centrales pour la sécurité (militaire) et le
développement (économique) des pays. Cela signifie un financement massif de la
recherche et de l’éducation par les États ; la création de laboratoires nationaux et de
métrologie (commençant par le Physikalish- Technische Reichsanstalt à Berlin) ; des
projets coopératifs organisés autour des grandes compagnies techno-industrielles
nationales.
Puisque les nations européennes sont en guerre pour la maîtrise du monde, l’État en
vient à se positionner comme le centre « naturel » de la société ; il prend sur lui de
façonner la paix sociale (établissant progressivement un État providence) et plus tard
d’assumer l’optimisation économique de la nation (devenant un État keynésien) –en
partie afin de rester un État guerrier et colonial efficace. Ce faisant, il ne peut pas ne
pas devenir aussi un État techno-scientifique – c’est la condition de son succès – cette
évolution atteignant son apogée dans le complexe étatique/militaire/industriel/
universitaire des États-Unis de la guerre froide décrit (et dénoncé) pour la première
fois par le président Eisenhower dans son discours d’adieu. » Dominique Pestre
13. 13
Ière Partie:
A – Complexe militaro-industriel et recherche publique: quel avenir?
Discours d’adieu prononcé par le Président Dwight David Eisenhower, le 17 janvier 1961
« Cette conjonction d'une immense institution militaire et d'une grande industrie de
l'armement est nouvelle dans l'expérience américaine. Son influence totale,
économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque
Parlement d'Etat, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons
le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de
comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain…
tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société.
Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute
influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-
industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe
et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en
danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien
prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la
réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme
machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts
pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble.
De même la révolution technologique des décennies récentes fut en grande partie
responsable des changements radicaux de notre position militaro-industrielle. Dans
cette révolution, la recherche est devenue centrale, elle est également plus formalisée,
plus complexe, et coûteuse. Une part toujours croissante en est conduite pour, par, ou
sous la direction du Gouvernement fédéral. »
14. 14
Ière Partie:
A – Complexe militaro-industriel et recherche publique: quel avenir?
Source : Foray Dominique. Recherche et technologie militaires : la remise en cause d'un modèle ?.
In: Revue d'économie industrielle. Vol. 53. 3e trimestre 1990. pp. 99-114.
La R&DM introduit deux grands biais dans le fonctionnement global du système scientifique et
technique. D'une part, la R&DM introduit un biais très fort en faveur des dépenses de développement.
Or de plus en plus d'études aussi bien quantitatives (Mansfield, 1980) que qualitatives (David, Mowery
et Steinmueller, 1988) s'accordent sur le rôle prépondérant de la recherche de base dans la croissance de
la productivité industrielle.
Le second biais est relatif à l'accent mis par la R&DM sur l'innovation de produit, au détriment de
l'innovation de procédé, dans la mesure où l'objectif de réduction des coûts et de rationalisation de la
production est sacrifié à celui de l'optimisation des caractéristiques de performance des produits
A cela il convient d’ajouter de faibles retombées de la R&DM sur la vie économique: L'exemple du
secteur des semi-conducteurs constitue ainsi un cas significatif de prédominance du rôle des achats
militaires par rapport à celui de la R&DM. Mowery et Rosenberg observent que, entre 1950 et 1960 la
plupart des innovations majeures relatives aux semi-conducteurs furent conçues sans le support de la
R&DM ; en revanche, les programmes d'achat militaires permirent un financement sans précédent de la
R&D privée.
C'est le domaine de la micro-électronique qui est le théâtre des changements les plus spectaculaires. Il
s'y opère en effet un véritable renversement de la relation entre les deux sphères de R&D ; la R&DM
devenant de plus en plus dépendante des progrès techniques résultant de la R&D civile. Ce
renversement complet est principalement dû, selon E. Steinmueller (1986), à l'évolution de la structure
de la demande de produits micro-électroniques : alors qu'en 1962, la demande militaire de circuits
intégrés représentait 100 % de la demande totale, elle n'en représente plus que 37 °/o en 1968, pour
descendre à 11 % en 1985. Dans ce contexte, l'adéquation de l'offre aux demandes spécifiques du
secteur militaire a considérablement diminué, si bien que le problème fondamental posé aujourd'hui
n'est plus celui de l'activation des retombées de la R&DM vers la R&D civile. Mais a trait à la nécessité
de diminuer les délais d'incorporation des nouveaux produits de la micro-électronique civile au sein des
systèmes d'armes
15. 15
Ière Partie:
A – Complexe militaro-industriel et recherche publique: quel avenir?
Mais la fin de la guerre froide, le ralentissement économique des années 80 qui conduit à réduire
les budgets de RD militaire, la multiplication des conflits provoqués par la dissémination des armes
légères et les guerres civiles des Etats fragiles dans les pays moins avancés, et pour finir les progrès
scientifiques font que l’on s’intéresse davantage à d’autres systèmes d’armes que l’armement
nucléaire impliquant une reconfiguration des rapports entre science et société prenant la forme de
SNRI:
« On n’en a pourtant pas fini avec la menace des bombes atomiques, malgré les traités tendant à
réduire les arsenaux américains et russes et à limiter le nombre des pays membres du club
nucléaire. Les armes atomiques n’appartiennent pas, elles, à un monde révolu, alors même que la
guerre à distance, fondée sur l’électronique, les fusées, les missiles de croisière et les satellites, fait
l’objet de recherches intenses. On discutait hier de la guerre juste, et si aujourd’hui c’est plutôt de
la guerre propre, le poids des victimes « collatérales » n’importe pas davantage dans la balance.
Mondialisation d’un côté et fragmentation de l’autre : c’est plutôt de la décomposition interne des
États que vient désormais la menace, alors qu’on voit simultanément se privatiser de plus en plus
les systèmes militaires. Les guerres au sens traditionnel ne sont certes pas à ranger dans les
placards de l’histoire, mais l’on voit bien qu’il faut affronter des conflits d’un type nouveau ou, au
contraire, des plus anciens !. L’ordre mondial fondé sur la paix perpétuelle n’est pas pour
demain. » Jean-Jacques Salomon RISS, n°168, 2001.
16. 16
Ière Partie:
A – Complexe militaro-industriel et recherche publique: quel avenir?
Pour autant le complexe militaro-industriel n’a pas disparu, il revêt d’autres
formes:
L'historien des sciences Roy MacLeod a raconté récemment comment l'ornithologie a «
couvert » dans les années 1960 des recherches menées par le Pentagone sur les effets
des armes biologiques et chimiques. Le Programme d'enquête biologique sur le
Pacifique (POBSP), mené sous les auspices du Muséum américain d'histoire naturelle,
consistait officiellement à badger les oiseaux pour les suivre au cours de leur migration
et simultanément à vérifier s'ils portaient les traces des expérimentations menées à des
fins militaires sur les virus, les microbes ou les gaz agents d'incapacité. Plus d'un million
et demi d'oiseaux ont ainsi fait l'objet d'une enquête dont la mission officielle était de
recherche fondamentale et la mission clandestine de caractère parfaitementmilitaire. En
1969, le programme fut stoppé à la suite d'une indiscrétion de la revue Scientific
Research : grand scandale, en effet, dans le sillage des contestations de la guerre du
Vietnam (où les médias avaient déjà révélé le recours aux défoliants), le Smithsonian
Institute dont dépend le Muséum —institution chérie des Américains, rappelle MacLeod,
pour ses contributions à la conquête de l'Ouest et à l'écologie — fut dénoncé comme
détournant sa vocation d'institution de recherche consacrée au pur avancement du
savoir au profit de travaux menant à des armes de destruction massive. Ce qui permet à
MacLeod de citer ironiquement en tête de son article le mot du président Truman, bien
après qu'il ait quitté la Maison Blanche, dont on ne sait si les oiseaux auxquels il pensait
furent ceux de ce programme : « Vous devez à tout moment garder un oeil sur les
militaires, et peu importe qu'il s'agisse des oiseaux du Pentagone ou des oiseaux de la
CIA » Pierre Papon, Le temps des ruptures, 2004.
17. 17
Ière partie
B – Grandes infrastructures de recherche, internationalisation du champ
scientifique et leadership économique: le règne de l’incertitude.
La politique de puissance des Etats nationaux a pour caractéristique de considérer la science comme
une ressource stratégique: encore faut-il savoir gérer cette ressource et l’utiliser à bon escient dans le
contexte contemporain de compétition économique et de conflits géopolitiques.
A cette fin ont été mis en place à partir des années 1990 des systèmes nationaux de recherche et
d’innovation [SNRI] qui ont une quadruple mission:
a)- assurer la disponiblité de grandes infrastructures de recherche nécessaire pour conserver une attractivité
et un leadership scientifique dans un contexte de fortes internationalisation de la recherche:
« Les TGIR de natures très diverses et d'usages variés. On peut, en reprenant la typologie proposée par le
HCST, définir trois grandes fonctions de TGIR selon leur finalité :
les TGIR de programmes, associées aux programmes nationaux ou internationaux (nucléaire, spatial,
biologie, etc.) ;
les TGIR de service utilisées par différentes communautés scientifiques et technologiques, et
éventuellement par des industriels. Elles assurent une prestation de service continue et fiable au plus
haut niveau technologique (sources de lumière, de neutrons, bibliothèques numériques, flottes de
navires scientifiques, plateformes de micro et de nano fabrication, etc.) venant soutenir et accompagner
le développement de recherches propres de la TGIR ou issues d’équipes externes hébergées sur la base
d’un projet scientifique ;
les TGIR visant à l’obtention d’un résultat nécessaire pour repousser les limites de la connaissance (le
collisionneur LHC4 du CERN, ou les détecteurs de neutrinos en sont des exemples typiques) ».
18. 18
Ière partie
B – Grandes infrastructures de recherche, internationalisation du champ
scientifique et leadership économique: le règne de l’incertitude.
- fournir aux entreprises les services susceptibles de leur permette d’améliorer la
compétitivité structurelle de l’économie française:18 % de la R & D sont actuellement
externalisés. À cette fin, les grandes entreprises développent des contacts avec les instituts, les
universités et les sous-traitants privés prestataires de R & D. Au début, cette externalisation se
pratiquait à l’intérieur des frontières nationales puis, au fur et à mesure que les grandes firmes
conquéraient de nouveaux marchés, elles ont commencé à y établir des filières commerciales et des
usines. Très vite, elles ont eu besoin d’un soutien technique local pour l’installation, le démarrage
et la maintenance de leurs parcs de production, mais aussi pour adapter les produits aux marchés
locaux. Aujourd’hui, le processus est encore plus poussé. Dès la mise en route d’une usine, par
exemple en Chine ou en Inde, il faut procéder à un transfert de technologie et donc établir un centre
local de R & D. Cela permet de bénéficier des compétences existant sur place. L’innovation est
donc une activité de plus en plus mondiale qui s’appuie à la fois sur des transferts internationaux et
des collaborations localisées.
Le terme récent d’open innovation traduit l’idée que la commercialisation d’innovations
technologiques demande une coopération de plus en plus étroite entre entreprises, universités et
autres institutions de recherche. Les entreprises admettent désormais qu’elles ont besoin de
connaissances produites à l’extérieur. En particulier, les grandes entreprises ont une vision
mondiale de la localisation des connaissances et de leur qualité.
19. 19
Ière partie
B – Grandes infrastructures de recherche, internationalisation du champ
scientifique et leadership économique: le règne de l’incertitude.
- la contribution à la construction des normes et réglementations
internationales qui régissent les conditions de production et de
consommation (normes éthiques, sanitaires, environnementales, etc.) et
influencent les trajectoires technologiques ;
- la participation à la définition et à la prise en charge des biens publics
mondiaux (BPM) essentiels à la sécurité du « vivre ensemble » au niveau
mondial (l’eau, la forêt, la biodiversité, le climat, la qualité de
l’environnement, la lutte contre les grandes pandémies, etc.), ce qui renvoie à
la réintroduction de l’éthique et au souci du collectif dans les échanges
internationaux ;
20. 20
Ière partie
B – Grandes infrastructures de recherche, internationalisation du champ
scientifique et leadership économique: le règne de l’incertitude.
Les enjeux de la configuration et de la performance des SNRI sont les suivants :
— la capacité de défense et de sécurité dans son rapport à l’indépendance nationale ;
— la contribution à la construction des normes et réglementations internationales qui
régissent les conditions de production et de consommation (normes éthiques, sanitaires,
environnementales, etc.) et influencent les trajectoires technologiques ;
— le type de processus décisionnel concernant les politiques de recherche, leur
dimension plus ou moins participative, donc la nature des relations science – société ;
— la participation à la définition et à la prise en charge des biens publics mondiaux
(BPM) essentiels à la sécurité du « vivre ensemble » au niveau mondial (l’eau, la forêt,
la biodiversité, le climat, la qualité de l’environnement, la lutte contre les grandes
pandémies, etc.), ce qui renvoie à la réintroduction de l’éthique et au souci du collectif
dans les échanges internationaux ;
— les relations internationales, y compris dans les rapports avec les pays en
développement ;
— la présence active dans les réseaux mondiaux où s’élaborent les connaissances qui
portent les transformations du monde de demain, connaissances qui peuvent renvoyer
également à des visions du monde.
Rémi Barré « Pour une géopolitique de la recherche ». Géoéconomie, n°53, 2010/2
http://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2010-2-page-13.htm
21. 21
Ière partie
B – Grandes infrastructures de recherche, internationalisation du champ
scientifique et leadership économique: le règne de l’incertitude.
-Un exemple de système national de recherche et d’innovation: la Chine est devenue la
2ème
puissance scientifique au monde (la France est à la 7ème
place) grâce à:
L’augmentation continue du budget dédié à la recherche qui passe de 0,57 % du PIB en 1995 à 1,7 % en 2010,
alors que le PIB croissait lui-même d’environ 10 % par an. La Chine reste toutefois encore loin derrière les
États-Unis, le Japon et l’Allemagne ou bien encore la France (2,11 %), la Corée (3,23 %), la Suède et la
Finlande(5 %) ;
Le financement de programmes dédiés à la recherche d’excellence (programmes 211 et 985 pour les universités
d’excellence, 863 pour les hautes technologies et 973 pour la recherche fondamentale, programme des
technologies-clefs) ;
Une montée en puissance des financements « privés » de la recherche dans les années 2000 ;
Le renforcement des capacités de recherche grâce à la rétrocession de Hong Kong en 1997 ;
L’amélioration qualitative et quantitative des ressources humaines en science et technologie grâce à des
programmes de mobilité visant à faire revenir les chercheurs chinois expatriés, à envoyer à l’étranger les
jeunes chercheurs chinois, ou bien à attirer les chercheurs étrangers – jeunes ou confirmés – de haut niveau.
Plus de 3,1 millions de personnes travaillaient dans la R&D en 2010 (2,3 millions d’équivalents temps plein),
soit moins de 0,25 % de la population. 7 % travaillent dans la recherche fondamentale, 14 % dans la
recherche appliquée et 79 % dans l’expérimentation et le développement ;
Une forte capacité à mobiliser des ressources très rapidement sur des secteurs considérés comme prioritaires
en créant des pôles scientifiques ex nihilo et à multiplier les expériences à grande échelle (ex. plusieurs
pôles régionaux sur le véhicule électrique) ;
Une priorité accordée à la recherche appliquée et aux technologies afin de rester au plus près des besoins du
marché.
Source: Conseil d’analyse stratégique RIVP Fiche 3 : La montée en puissance scientifique et technologique
de la Chine Téléchargeable à ; http://www.strategie.gouv.fr/content/prospective aller en bas de page :
Ressources, fiche3
22. 22
Ière Partie
C- L’exode des cerveaux
La France demeure la destination privilégiée des étudiants expatriés du
monde francophone, mais une grande partie de ces étudiants reste en France
et s’y insère une fois le 3eme cycle terminé. Or, en ce qui concerne le
continent africain, les experts estiment que plus d’un tiers des ressources
humaines qualifiées de ce continent est aujourd’hui expatriée. Ils observent
que ce mouvement va en s’accélèrant depuis 1990 pour les Etats-Unis et pour
la France ; on peut même selon eux parler à cet égard d’une « exception
franco-africaine ». Ainsi, alors que de l’ordre de 10 % des étudiants africains
travaillent en dehors du continent, le tiers de ces étudiants viennent en France
ou ils représentent 75 % des étudiants en provenance des pays en
développement et 12 % du nombre total des doctorats qui y sont délivrés. Les
taux de retour, selon les indications du ministère de l’Education nationale,
sont plus faibles que ce que l’on observe pour des pays d’accueil comme les
Etats-Unis ou la Grande-Bretagne.
23. 23
IIème Partie: L’assujettissement des choix
scientifiques à la logique du marché.
- A - La marchandisation du savoir ou la disparition de l’idéal d’une
Université conforme au modèle de Humboldt ( voir Annexe)
Dans son ouvrage « Construire les sociétés du savoir. Nouveaux défis pour
l’enseignement supérieur » la Banque Mondiale a parfaitement énoncé le cadre
analytique présidant à la mise en oeuvre des réformes dans l’enseignement supérieur
intervenues dans la décennie 2000-2009 :
« En raison, d’une part, des graves contraintes fiscales et budgétaires qui affectent la
capacité des pouvoirs publics à maintenir les niveaux antérieurs d’offre et de
financement directs de l’enseignement supérieur et, d’autre part, de l’émergence des
forces du marché tant au niveau national qu’international, le but, la portée et les
modalités de l’intervention publique changent radicalement. Ainsi, au lieu de compter
sur le modèle traditionnel de contrôle de l’État pour imposer des réformes, un nombre
croissant de pays choisissent d’induire le changement en orientant et en encourageant
les établissements d’enseignement supérieur publics ou privés de manière non directive
et souple. Cet objectif peut être atteint en suivant trois approches complémentaires:
• la mise en place d’un cadre stratégique cohérent ;
• la création d’un environnement réglementaire propice ;
• l’instauration d’incitations financières appropriées. »
25. 25
IIème Partie
A - La marchandisation du savoir ou la disparition de
l’idéal d’une Université conforme au modèle de Humboldt
A partir d’un triple constat, relatif à la crise de l’Etat – Nation, à l’érosion de l’Etat-Providence et à la
montée de l’idéologie et des pratiques néolibérales les experts européens dressent le constat suivant
« Une autre conséquence des changements ci-dessus mentionnés est la réduction
relative du rôle de l’État dans la régulation du marché qui va de pair avec une tendance
à la baisse du financement public dans de nombreux secteurs, y compris l’enseignement
supérieur et la recherche.(…) Elle peut déjà être observée dans la privatisation (totale ou
partielle) croissante de secteurs qui relevaient traditionnellement des prérogatives de
l’État, y compris l’éducation. Dans l’enseignement supérieur et la recherche, ce
phénomène se traduit par la participation croissante d’agents privés extérieurs (comme
les entreprises) au financement, à la gestion, à l’exploitation et/ou à l’évaluation de la
production de la recherche et de l’offre éducative et dans le déclin du soutien (financier)
public au système d’enseignement supérieur/recherche dans de nombreux pays
européens (budget national/étudiant. (…)
La tendance à une certaine dérégulation du marché de l’enseignement supérieur et de la
recherche se manifeste également par une concurrence accrue entre les institutions
d’enseignement supérieur/recherche et par une plus grande autonomie de gestion que
l’État leur a concédée.
Elle se manifeste aussi dans la tendance à la « marchandisation » de la connaissance, la
recherche et l’enseignement étant considérés alors comme des « biens » privés qui
peuvent être achetés et vendus par et pour des intérêts particuliers. » in
« Développer la prospective en vue de faire évoluer les relations entre l’enseignement
supérieur et la recherche dans la perspective de l’Espace Européen de la Recherche
(EER) » Office des publications officielles des Communautés européennes, 2003. p.22.
http://ec.europa.eu/research/social-sciences/pdf/higher-education-research-for-era_fr.pdf
27. 27
II ème partie
B- la propriété industrielle, source d’un biais majeur dans le tri des
inventions scientifiques
- Les stratégies des firmes dans « l’économie de la connaissance »
Les firmes ont alors un besoin accru d’avoir accès aux nouvelles connaissances et d’être
capables de les mettre à profit pour leurs propres objectifs.
Cela demande qu’elles investissent elles-mêmes dans la connaissance dans un double but :
élargir leur propre base de connaissance pour augmenter leur compétitivité (effet direct), et
accroître leurs capacités à aller chercher, dans les connaissances produites en dehors d’elles,
les savoirs potentiellement utiles (effet indirect).
Ces tendances exercent des effets sur la protection des connaissances, la propriété
intellectuelle. Comme la connaissance devient un enjeu de la concurrence, les questions de
propriété intellectuelle et de protection de l’innovation passent au premier plan des
préoccupations des firmes et des Etats. Ce phénomène se manifeste notamment par
l’extension des possibilités de breveter, au-delà des seuls artefacts : le séquençage des gènes
est brevetable aux Etats-Unis depuis 1995 ; les inventions biotechnologiques, des organismes
vivants, sont brevetables en Europe depuis 1998 ; l’extension de la brevetabilité vers le
software se fait progressivement, par le biais de la jurisprudence ; les méthodes commerciales
mises en oeuvre par ordinateur sont reconnues comme brevetables aux Etats-Unis…
A cela s’ajoute la financiarisation, processus qui conduit à attribuer la création de valeur de
manière quasi-exclusive au capital immatériel (à l’inverse s’agissant de travailleurs peu
qualifiés les cours des actions en bourse augmentent lorsqu’on licencie, c’est-à-dire que l’on
réduit le capital variable!). Cette pratique, qui revêt dans le cas du goodwill un aspect de
spoliation des stakeholders (les salariés, l’Etat etc..) consiste à la faveur de la vente de
l’entreprise jusqu’à trois fois (et plus) sa capitalisation boursière à considérer que l’aubaine
(l’écart de valeur ainsi constatée) réalisée représente la valeur du capital immatériel non
mesurable et non inscrit au bilan parce que n’ayant pu être recensée à l’aide des rubriques
comptables correspondant aux droits de propriété existants.
28. 28
II ème partie
B- la propriété industrielle , source d’un biais majeur dans le tri des
inventions scientifiques
Des entreprises géantes, comme les grands groupes chimiques ont commencé
à se séparer de leurs départements de chimie pure pour se concentrer sur les
sciences de la vie. Ils sont en train de passer de l’ère de la pétrochimie à celle
de la génétique commerciale. Les gènes seront au xxième siècle ce que le
pétrole, les minerais et les métaux ont été à l’ère coloniale et industrielle: une
matière première.
L’enjeu de ce commerce a un nom: brevets. Dans les 10 années à venir, on
aura isolé la quasi-totalité des 60 000 gènes qui constituent notre patrimoine
génétique. Pratiquement chacun d’entre eux sera la propriété intellectuelle de
ces firmes, pour 20 ans au moins. L’idée de breveter les gènes est une
escroquerie. Les législations européennes et américaine estiment qu’un
produit brevetable doit être original et utile. Mais, en 1987, l’Office
américain des brevets a ajouté à ses textes un paragraphe spécifiant qu’il est
désormais possible de faire breveter toute forme de vie génétiquement
modifiée, à l’exception des êtres humains après la naissance — la seule et
unique raison à cette restriction étant que la constitution des Etats-Unis
interdit l’esclavage.
30. 30
II ème partie
B- la propriété industrielle , source d’un biais majeur dans le tri des
inventions scientifiques
- la nécessité d’appliquer la science aux méthodes de production de façon à accroître les
rendements, évincer les parasites, favoriser la croissance et nourrir les populations locales constitue
un objectif qui véhicule une nouvelle forme d’impérialisme:
« S’il faut un symbole du pouvoir qu’a la science de fonder une forme nouvelle d’impérialisme,
aucun n’est plus révélateur que la mise au point par manipulation génétiques des semences
stérilisées : diffusée à l’échelle planétaire en raison de sa résistance à tel ou tel parasite, la semence
« Terminator » condamnerait les agriculteurs à renouveler chaque année leur stock de semences
auprès de leur fournisseur et à devenir prisonniers de l’emprise des multinationales sur ces marchés.
C’est ouvrir l’ère de l’impérialisme sans frontières : hier, il fallait coloniser des territoires pour
avoir accès à des sources nouvelles de matières premières et de cultures alimentaires ; aujourd’hui,
il est inutile de partir à la conquête matérielle de nouvelles terres, la civilisation de l’immatériel
permet d’asservir producteurs et consommateurs aux formules codées d’un laboratoire et aux
algorithmes de la « toile » d’Internet.
31. 31
III ème Partie - L’avènement de menaces de toute nature,
conséquence de l’irresponsabilité des scientifiques face aux
usages sociaux des sciences.
Un rêve mensonger?
Figure extraite du Rapport de la National
Science Foundation
« Converging technologies for improving
Human performance » Juin 2002 482 pages.
« Si je prends l’exemple de la dioxine,
elle tue la moitié des hamsters traités à
près de 1200 microgrammes par kilo.
En revanche chez les cobayes, la même
dose est à 0,6 microgramme par kilo.
Vous voyez l’écart fantastique en
termes de relation dose/réponse.
Qu’est-ce qui est le plus pertinent ?
Qu’est-ce qui permet de dire entre le
hamster et le cobaye lequel est le plus
proche de l’homme ? Selon ce choix, les
décisions de protection prises seront
radicalement différentes. Nous allons
porter un jugement à la fois sur la
qualité des données dont on dispose et
sur l’espèce expérimentale
pertinente. »*
Conclusion: Ce choix est politique et
non scientifique!
*COLLOQUE « GOUVERNER
L’INCERTITUDE : LES APPORTS DES
SCIENCES SOCIALES A LA
GOUVERNANCE DES RISQUES
SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTAUX »
AFSSET 6 et 7 juillet 2009 178 pages.
32. 32
III ème Partie - L’avènement de menaces de toute nature,
conséquence de l’irresponsabilité des scientifiques face aux
usages sociaux des sciences
Le principe de précaution dans la mise en oeuvre de l’évaluation des risques par les
scientifiques, est-il respecté ou ces évaluations ne font-elles que refléter les stratégies
d’acteur (notamment dans le cas d’incertitude radicale, où le risque n’est pas probabilisable,
situation constamment observé s’agissant des conséquences à des échelles supérieures de
celles où prennent place les expérimentations à un niveau nano).
Selon Pierre Benoît JOLY, (IFRIS, INRA), on peut clairement en douter:
« L’état d’incertitude est évidemment fonction des connaissances disponibles, et les
connaissances disponibles sont également fonction du jeu des acteurs. On peut citer trois
types de phénomènes.
Le premier est un phénomène de manipulation stratégique d’incertitude. On sait que sur un
certain nombre de dossiers, notamment aux Etats-Unis, il y a un jeu de certains acteurs pour
mettre en exergue des travaux scientifiques qui viennent briser le consensus et qui peuvent
donner le sentiment qu’il y a discussion entre les scientifiques. C’est le cas sur le changement
climatique, les liens entre les sodas et l’obésité, les questions de tabac, etc.
Le deuxième : les problèmes d’accès aux données peuvent ne pas être évidents. La question
n’est pas simplement de savoir quel est l’état de l’information, mais de rendre disponibles et
accessibles des informations détenues par certains acteurs, notamment des acteurs
industriels. Comment inciter ces acteurs à révéler des informations qu’ils détiennent ?
Le troisième concerne ces liens entre production des données et jeu d’acteurs. C’est
important dans le cadre de la santé environnementale. On a une assez grande hétérogénéité
des connaissances et des sources d’informations. Il est donc nécessaire d’accorder, dans les
dispositifs d’évaluation et de gestion des risques, une assez grande place aux phénomènes
d’alerte pour détecter très rapidement des informations non conventionnelles par rapport au
cadre établi et essayer de voir comment enrichir des processus d’expertise avec la
participation de parties prenantes ou de groupes concernés.
33. 33
III ème Partie - L’avènement de menaces de toute nature,
conséquence de l’irresponsabilité des scientifiques face aux
usages sociaux des sciences
Efficacité du lobbying industriel auprès des décideurs politiques:
le Parlement européen a déploré que les nanoparticules échappent au
règlement européen Reach (car ce dernier a inclus des seuils de tonnages annuels de
production que n'atteignent pas les laboratoires et industries produisant des
nanoparticules) et que la commission européenne ait trop tardé à évaluer les risques et
réglementer le marché des nanoparticules. Dans une résolution le parlement se dit «
préoccupé par l'absence de dispositions juridiques spécifiques pour garantir la sécurité
des produits de consommation contenant des nanoparticules et l'attitude désinvolte de
la Commission face à la nécessité de revoir le cadre réglementaire relatif à l'utilisation
des nanoparticules dans les produits de consommation, eu égard au nombre croissant
de produits de consommation contenant des nanoparticules qui sont mis sur le
marché ».
Suite à la loi Grenelle 2, deux décrets et un arrêté imposent depuis le 1er janvier 2013,
aux fabricants, importateurs et distributeurs opérant en France de déclarer annuellement
les quantités et usages qui les concernent à l'Agence nationale de sécurité sanitaire
(Anses), et en retenant la définition européenne des nanoparticules. Toutefois, le secret
industriel et une définition restrictive (au dessus de 100 nm, l'Europe ne parle plus de
nanoparticules) pourraient freiner cette volonté de transparence. De plus, le Comité
scientifique des risques sanitaires émergents (européen) souhaitait un seuil très inférieur
à celui adopté : selon lui la déclaration devrait porter sur les matériaux contenant à
partir de 0,15% de nanoparticules (de 1 à 100 nm) et non 50%
1 nanomètre = 1×10-9
m = 0,000 000 001 m.
34. 34
III ème Partie
A – De l’illusion thérapeutique à l’artificialisation du corps humain, en
passant par les ventes d’organes: l’avènement d’un capitalisme autophage.
«Nous vivons dans un monde ravagé par le scientisme, où l’on nous fait croire que la tristesse et la névrose
sont des maladies. Notre époque vit dans l’illusion thérapeutique, l’illusion que l’on peut guérir de tout. (...)
L’être humain est fait de passions, de pulsion de mort et de pulsion de vie, de création et d’autodestruction...
On veut nous faire croire que tout cela n’est que de la chimie, du neurone, et que l’on va trouver les moyens
d’être en permanence bien dans sa peau. Mais le psychisme est un savant équilibre, un composite, où
intervient aussi l’environnement social, et qui n’est pas réductible à l’organique. (...) On ne peut pas éradiquer
le malheur ni la souffrance. (...) La mélancolie est une structure profonde de l’être qui connote un état qui n’a
rien d’anormal. Ce n’est pas une maladie mais elle a toujours été décrite comme un mal spécifique qui
appartient à l’être humain, - on a affaire à une catégorie anthropologique et pas forcément pathologique. Il y
a des choses inguérissables dans l’homme. » Elizabeth ROUDINESCO (L’Histoire, no 285, p.54-55, 2004)
Le corps, siège de l’identité humaine se transforme en réservoir impersonnel d’organes interchangeables. Les
organes et même les cadavres entiers deviennent objets de convoitises et nourrissent ce que Jean Ziegler
dans Les vivants et les morts, appelle le «cannibalisme marchand.» (Éditions du Seuil, Paris, 1975, p.33)
Les mutants, et autres êtres hybrides envahissent toujours l’imaginaire contemporain et les artistes
questionnent le statu quo biologique comme dans Star war où les personnages semblent tout droit sortis du
bestiaire surréaliste. Les modifications corporelles permettent d’avoir accès à un nouveau vécu et au plaisir
de la recomposition d’une autre image de soi.
L’hybridation des corps incite aux voyages et à tous les échanges. Les greffes organisent une grande
circulation d’organes entre les corps humains. D’un individu à l’autre, mais aussi entre les morts et les vivants.
Parmi l’humanité, mais également d’une espèce à l’autre : on greffe aux gens des coeurs de babouin, des
foies de porc, on leur fait ingérer des hormones produites par des bactéries. Les implants et les prothèses
brouillent la frontière entre le minéral et le vivant.
Les yeux (les cornées), le sperme, les ovules, les embryons et surtout le sang sont maintenant socialisés,
mutualisés et préservés dans des banques spéciales. Aucun pays n’est exempt des banques d’organes et du
marché mais c’est surtout dans les pays pauvres que l’on voit dans les journaux des annonces demandant
rein, oeil, testicule, cornée, peau contre des primes souvent dérisoires. Même des hôpitaux et des cliniques
médicales font commerce des foetus et cordons ombilicaux (cellules souches) à des fins de manipulation
génétique et du placenta pour les produits pharmacologiques de beauté.
35. 35
III ème Partie
A – De l’illusion thérapeutique à l’artificialisation du corps humain, en
passant par les ventes d’organes: l’avènement d’un capitalisme autophage.
«Karl Marx pensait que le capitalisme extrayait une forme excédentaire d’énergie
humaine dont le « vol » au prolétaire constituait la plus-value. Le problème était alors,
selon lui, de récupérer cet excédent et de le socialiser. Mais cette conception, si elle a
été juste, est peut-être en train de devenir fausse : le capitalisme - terme qu’il faut
entendre plus que jamais comme désignant le système global de la circulation de la
valeur - serait désormais la consommation de l’humanité par elle-même. Le capitalisme
serait désormais la consommation de l’humanité par elle-même. En plaçant l’homme
dans le cycle continu des emplois de la nature, la société d’utilité fait de l’homme une
ressource consommable comme les autres. (autophagie). (...) Quel type d’humain suis-je
si je peux, une fois malade, me servir d’un autre être humain comme réservoir de pièces
détachées? Quel respect puis-je attendre de la société si je me vois moi-même comme
un assemblage de pièces utiles? (...) Lorsqu’on apprend que deux cliniques
d’accouchement de Zurich fournissent du placenta humain pour être incorporé à des
farines animales destinées à nourrir porcs et poulets, que se passe-t-il? (Le Monde, 9
avril 1996) (...)
L’autophagie n’est pas un effet circonstanciel, contingent, du capitalisme. C’est
l’ontologie même de celui-ci comme projet humanitaire. » (Denis Duclos,
L’autophagie, grande menace de la fin du siècle, Le Monde Diplomatique,
août 1996, p.14)
36. 36
III ème Partie
B – La biodiversité à l’épreuve de la confiscation de l’or génique. Le
monde est en solde : l’idéal inconscient du scientifique ?
Le seul texte international portant sur la biodiversité, la Convention
internationale sur la biodiversité biologique, signée en juin 1992 lors du
Sommet de la Terre de Rio, refuse clairement (article 15, alinéa 1) d’appliquer
aux ressources génétiques le statut de patrimoine commun de l’humanité.
« Or cette capacité inédite de façonner la nature «à notre image» et de créer une faune
et une flore bio-industrielles favorisera l’émergence d’un puissant complexe scientifique,
technologique et économique résultant de la convergence entre la révolution génique et
la révolution électronique.
Depuis la promulgation de droits aux brevets sur les êtres vivants dans le cadre de
l’OMC (ADPIC), des centaines de compagnies biogéniques se livrent à une véritable
confiscation du vivant, sorte de néocolonialisme génique où l’on prélève
systématiquement l’ADN des habitants, des plantes et des animaux. On assiste à un
incroyable bio-piratage de la biodiversité en sachant que 80% de cette biodiversité
encore vierge se retrouve justement dans les pays, les forêts et dans les gènes des
populations dites en voie de développement.
Sous prétexte de bio-prospection, des compagnies s’accaparent les richesses géniques des
pays pauvres avec la même férocité par laquelle l’Occident, jadis, avait spolié leurs
richesses naturelles pendant la période coloniale. Pour la période entre 1987-1995, 25
000 brevets en biotechnologies furent déposés à l’US Patent Office tandis qu’une
centaine seulement le furent par des pays en voie de développement, Chine comprise ».
(Pierre Papon, Le temps des ruptures, 2004, p. 210,)
37. 37
III ème Partie
B – La biodiversité à l’épreuve de la confiscation de l’or génique. Le
monde est en solde : l’idéal inconscient du scientifique ?
Pourquoi une telle ruée vers l’or génique ? Parce que le nombre des espèces vivantes
est estimé entre 5 et 50 millions; aucun expert ne peut affirmer un chiffre avec certitude
ce qui explique un si grand écart. Pour le moment, seules 1,4 million d’espèces ont été
recensées : 990 000 invertébrés, 45 000 vertébrés et 360 000 plantes et micro-
organismes.
Mais ce qui est certain par contre est l’aspect préoccupant de l’appauvrissement de la
biodiversité. On estime entre cinquante et trois cents espèces végétales et animales qui
s’éteignent chaque jour tandis que l’Union internationale pour la conservation de la
nature (UICN) affirme, dans sa liste rouge, que 11% des oiseaux, 20% des reptiles,
25% des amphibiens, 25% des mammifères et 34% des poissons sont actuellement en
danger à l’échelle mondiale.
Au lieu de prendre des mesures pour redresser la situation écologique de la planète, on
s’aventure dans la cueillette des gènes des espèces menacées dont on espère tirer le
plus de brevets possibles. Le scénario est tout tracé d’avance : dans 20 ou 30 ans, des
compagnies offriront sur le marché du clonage des animaux et plantes disparus afin de
«réparer» l’écosystème terrestre que nous avons dégradé.
Claude Paquet La décréation expliquée.
39. 39
Annexe 1 :
L’université selon Wilhelm von Humboldt
Wilhelm von Humboldt (1767-1835) fut chargé de la réforme de l’éducation en Prusse. Il est à la fois
l’instigateur et le concepteur de l’Université de Berlin , créée en 1809
L’université idéale, selon lui, se caractérise par l’unité de l’enseignement et de la recherche. « La
particularité des établissements scientifiques supérieurs doit être de traiter la science comme un
problème non encore entièrement résolu qui doit donc toujours faire l’objet de recherches »
La liberté du savoir et l’autonomie du corps enseignant sont les deux principes sur lesquels repose le
modèle universitaire conçu par Humboldt.
« Wilhelm von Humboldt entend former l’homme d’abord, avant de songer au métier qu’il exercera.
Il veut que tout enseignement jaillisse de la source intarissable des recherches créatrices, des travaux
libres ; pour cela, il veut se servir des meilleurs esprits de son époque ; il comprend que c’est la
liberté dans l’enseignement qu’il faut garantir en premier lieu… On ne peut avancer vers les
connaissances spéciales sans avoir une vue organique de l’ensemble de la science, sans avoir
conservé à la philosophie sa primauté. (…) S’introduit une division du travail entre l’Université et
l’Académie : “l’Université tout en se fondant sur les travaux des professeurs, initiera ceux qui sont
en quête de savoir, tandis que l’Académie s’occupera de ses recherches, insoucieuse du monde
extérieur”. L’université de Berlin invente le séminaire de recherche avec une ou deux dizaines
d’étudiants, associés aux travaux de leurs enseignants (”les quatre facultés eurent chacune à leur
tête les premières sommités de l’époque”, opus cité, page 193). L’idéal de l’université humboldtienne
est né : il inspire nombre d’universitaires contemporains. »
Sources: Gerd Hohendorf « WILHELM VON HUMBOLDT(1767 – 1835) » Perspectives : revue
trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIII,
n° 3-4, 1993, p. 685-696.
http://www.ibe.unesco.org/fileadmin/user_upload/archive/publications/ThinkersPdf/humboldf.PDF
http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2009/10/06/lideal-humboldtien/ texte de Olivier REY
40. 40
Annexe 2 : « Ambivalence de la science »
J-J. Salomon L’actualité Poitou-Charentes N° 54
« Or, l’institution scientifique, de plus en plus étroitement associée aux entreprises privées,
sinon tributaire de leurs intérêts, ou aux orientations stratégiques des Etats, ne ressemble plus
en rien à ce qu’elle pouvait être encore au XXe siècle. Quand la revue Nature exige
désormais (depuis... août 2001 !) de chacun de ses auteurs qu’il précise s’il a des liens
d’argent avec des entreprises dont les activités sont liées à son programme de recherche, si
donc le contenu des articles proposés peut être affecté par des conflits d’intérêt, c’est bien
que l’institution ne fonctionne plus sur le mode idéal (ou idéologique) de la science suivant le
modèle hérité de l’ère pastorienne.
Si les «experts» sont objectifs ou neutres sous réserve de leurs liens avec les institutions
subventionnant leurs travaux, le grand public n’a-t-il pas de bonnes raisonsde se méfier ?
On n’est pas irrésistiblement du côté de l’anti-science quand on s’interroge sur certaines
répercussions de la recherche scientifique – d’autant qu’il y a de plus en plus de scientifiques
pour affronter ouvertement eux-mêmes ces interrogations : qui a dit et écrit que la bombe H
était une arme de génocide ? Non pas un public de profanes mais deux prix Nobel, Enrico
Fermi et Isidor Rabi. Et ce n’est pas rendre service à l’institution que de la revendiquer
comme un foyer inexorable de bienfaits et de vertus, alors qu’elle est devenue aussi une
source de menaces et de risques. Pendant des années, le lobby nucléaire a expliqué que le
salut des besoins énergétiques de l’humanité était du côté de ses centrales et sans aucun
danger. Si les gens s’inquiétaient,c’est qu’ils étaient peureux, anti-science et anti-progrès. »