Marion Scappaticci, Directrice des communications chez AfricaFrance, ancienne membre du cabinet de la première dame du Gabon, répond à quelques questions pour le Cercle des communicants francophones (CCF).
1. Cercle des communicants francophones
Itw #13
« Venir faire de la communication publique et politique en
Afrique, c’est accepter de se réinventer »
Marion Scappaticci, Directrice des communications chez AfricaFrance, ancienne membre du
cabinet de la première dame du Gabon, répond à quelques questions pour le Cercle des
communicants francophones (CCF).
Pour vous, la communication publique et politique en Afrique est-elle homogène ou
faut-il distinguer entre certaines zones, entre certains pays ?
Marion Scappaticci (MS) : Avant même de parler de communication
publique et politique, il faudrait déjà s’intéresser aux caractéristiques de
la communication en Afrique. Depuis longtemps, elle se résume à de la
communication publicitaire, très grand public, très pédagogique. Le
marché de la communication était porté par les grandes marques par
exemple de la téléphonie mobile, des produits de première nécessité, des
brasseries… et cette communication s'effectuait sur des supports
considérés comme traditionnels : mobilier urbain (complété d’un peu
d’événementiel), télévision, radio, grand quotidien du pays.
La communication publique et politique, professionnalisée, dans ce contexte, est quelque chose de
nouveau et est apparue en même temps que l’avènement de démocraties réelles sur le continent. Il
faut reconnaître qu’en matière plus spécifiquement de communication publique ou politique, les
codes demeurent très différents de ceux qu’on peut connaître dans le reste du monde. En outre, il est
effectivement nécessaire de distinguer des zones d’exercice, entre le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest,
l’Afrique centrale, l’Afrique lusophone et australe, l’Afrique de l’est. Les nations sont plus ou
moins jeunes selon les zones, plus ou moins matures sur le plan démocratique, plus ou moins
alphabétisées, plus ou moins méritocratiques, plus ou moins urbanisées… L’ensemble de ces
facteurs crée des besoins économiques, sociaux, et donc politiques, différenciés, impactant les codes
de la communication politique et publique.
Ce qui est commun, à de très nombreux pays du continent, c’est en revanche le fait que les leaders
africains du changement, que ce changement soit économique, politique, intellectuel - et ils sont
nombreux - n’ont pas encore suffisamment conscience de l’intérêt que cela représente pour eux de
s’entourer de professionnels de la communication et des affaires publiques. Ces professionnels sont
pourtant nécessaires pour porter les problématiques de ces leaders, les défendre, les faire accepter
par les dirigeants ou les citoyens, à l’échelle nationale mais surtout internationale. C’est un vrai
challenge de transmettre cette culture d’influence, ce métier et surtout d’en faire comprendre les
enjeux, mécanismes et d’en faire accepter la méthode. Mais l’ouverture avec Internet et les réseaux
sociaux influe positivement sur cette nécessaire prise de conscience.
Quels sont les acteurs et les institutions qui en ont le plus besoin ? Pourquoi ? Quels
sont les enjeux ?
(MS) : On pourrait penser qu’il y a trop de communication politique - mais qu’elle n’est pas
forcément adaptée aux attentes - et pas assez de communication publique.
Concernant la communication publique, alors que des très grands projets sont en cours dans le cadre
de nombreuses régions du continent (Bénin, Gabon, Maroc, Côte d’Ivoire, Kenya…) il est
important et utile de communiquer sur des faits, des réalisations, des constructions concrètes, le
2. changement au quotidien pour les citoyens. C’est rarement le cas. Les communications
gouvernementales demeurent particulièrement centrées sur les ''audiences'', les déplacements, les
inaugurations, au détriment des résultats et de la pédagogie. Pourquoi faisons-nous cette loi ?
Pourquoi avons-nous pris cette décision ? Un an après, où en est-on ? Au jour le jour, même, où en
est-on ? Est-ce que nous progressons ? Quelles sont nos réalisations ? Au-delà de l’animation du
débat public et de l’information des citoyens, se pose également la question de la circulation et de la
transmission de l’information entre services, entre institutions. La communication publique est
extrêmement cloisonnée.
Alors que dans des pays comme la France on estime aujourd’hui que ''trop de com tue la com'', en
Afrique, les outils, supports et messages doivent encore être mis en place par les institutions, les
services publics, les élus, le gouvernement. Sans parler des collectivités… Le premier enjeu est la
prise de conscience du besoin avant même de vouloir mettre en place une méthode de travail.
L’autre enjeu, est la formation de professionnels, locaux, capables de mettre en œuvre et de piloter
les outils. Comme dans de nombreux secteurs économiques, la communication a besoin de former
ses futurs professionnels.
Quelles sont les erreurs à éviter lorsque l'on vient faire de la communication publique
et politique en Afrique ?
(MS) : Vouloir copier coller les codes internationaux de la communication politique sans que cela
corresponde à la réalité locale. Cela a des effets désastreux et c’est contre-productif.
Le militantisme, le format des supports de communication et d’information, la relation aux médias,
le porte à porte, l’affichage, tout est à envisager sous un angle nouveau. Cela tient parfois à des
détails. Il suffit par exemple qu’un site Internet soit trop ''lourd'' en images, vidéos et alors il devient
non consultable sur le terrain car trop consommateur de bande passante Internet. C’est quelque
chose, depuis Paris, qui ne fera pas partie du cahier des charges d’une agence. Mais dans certains
pays africains, cela peut conditionner le succès de l’initiative.
Autre cas d’école, certains journalistes ne pourront pas répondre à votre interview parce que le
déplacement dans une ville parfois tentaculaire représente un coût élevé qui parfois n’est pas pris en
charge. Venir faire de la communication publique et politique en Afrique, c’est accepter de se
réinventer.
Quels sont les outils de communication publique et politique les plus influents en
Afrique ? Quel est notamment le rôle des médias et des réseaux sociaux ?
(MS) : Cela dépend des pays. Là où les traditions restent très fortes, notamment en Afrique de
l’ouest ou Afrique centrale, la ''causerie'' est un format incontournable. La culture de l’oralité sur le
continent africain implique une communication politique directe et parlée. L’affichage urbain est
également omniprésent. Selon la maturité démocratique des Etats, le rôle des médias n’est pas le
même selon les pays. De même, l’utilisation des réseaux sociaux dépend fortement de la
connectivité du pays, de l’urbanisation. Ce qui est certain, c’est que la jeunesse africaine, qui
représente plusieurs centaines de millions de futurs citoyens, est ouverte sur le monde, connectée,
multiculturelle, et attendra de nouveaux discours et des promesses renouvelées.
Twitter et Facebook sont-ils des outils de communication très utilisés par les
personnalités politiques ? Pourriez-vous nous donner quelques exemples de comptes
qui sont bien animés ?
(MS) : Alors que 100 millions d’Africains se connectent chaque mois à Facebook, les personnalités
politiques du continent utilisent ce réseau social depuis quelques années déjà. Généralement,
l’usage qu’il en est fait ne répond pas aux standards internationaux même si certains responsables
politiques, notamment Paul Kagame, est un exemple incontournable de bonne gestion des réseaux
sociaux, à l’anglo-saxonne. Il y a un excellent article à découvrir sur Jeune Afrique dédié à ce
3. sujet de l’utilisation des réseaux sociaux (Facebook et Twitter) par les Présidents. Du côté des
Premières Dames, Sylvia Bongo Ondimba se détache fortement du lot en ayant une réelle stratégie
de contenus et d’image, avec notamment une séparation nette entre ses activités de Première Dame
et celles de sa Fondation.
L’usage des réseaux sociaux en Afrique est un symbole intéressant de l’exercice de la démocratie
d’opinion sur le continent. Le travail de ''modération'' par les ''community managers'' - quand ils
existent, ce qui n’est pas encore si répandu au sein des cabinets politiques car non considéré comme
prioritaire - est très important car la nouvelle génération expérimente bien davantage qu’il y a
quelques années la liberté d’expression et cela se manifeste dans leurs commentaires sur les pages
publiques des dirigeants. Pour eux, très souvent, Facebook et Twitter sont la seule réelle plateforme
d’expression de la citoyenneté. La seule réelle plateforme d’existence vis-à-vis d’une société avec
de fortes inégalités. En cela, le numérique leur donne le sentiment, parfois réel, de rebattre les
cartes, d'agir alors que cela n'est pas véritablement possible dans la vie réelle. Les personnalités
publiques africaines sous-estiment encore trop cette opinion en ligne mais les choses avancent.
Quels sont les profils des communicants politiques et des communicants publics qui
travaillent en Afrique ?
(MS) : Tout comme dans d’autres pays, le communicant politique est une personne de confiance,
généralement militante. La spécificité de l’Afrique est que de nombreux prestataires sont recrutés
pour accompagner les équipes dans leur communication. La France, même dans les pays
francophones, n’a plus chasse gardée en ce domaine. Le ''lobbying'' à l’anglo-saxonne séduit de plus
en plus les personnalités publiques dans un contexte de gestion des affaires publiques mondialisées.
Par ailleurs, vis-à-vis de l'opinion publique, il est de moins en moins bien vu de recruter des
expatriés. Les communicants politiques et publics, appelés à l’extérieur, doivent donc être discrets
et travailler avec humilité. Dans ce contexte, la diaspora, notamment la plus jeune, a toute sa place à
prendre. De nombreux cabinets locaux se créent en ce sens et cassent notamment les prix du
marché. C’est une tendance nouvelle mais à suivre sur le moyen terme.
Avez-vous en mémoire quelques exemples de campagnes de communication publique
et politique réalisées en Afrique et que vous estimez intéressantes ? Quelles sont les
actions de communication publique et politique mises en œuvre en Afrique et qui
pourraient inspirer le monde francophone ?
(MS) : Le dernier gros coup de communication politique a été l’annonce par Ali Bongo Ondimba,
président du Gabon, de son renoncement à son héritage personnel au profit de la jeunesse
gabonaise. Le Roi du Maroc, Mohammed VI, a également récemment été à la pointe de sujets
internationaux en souhaitant une refonte des droits des femmes et de la famille au Maroc. Cela le
positionne comme un monarque défendant un islam moderne et à l’écoute de sa population. Ce qu’il
ressortira du groupe de travail est à suivre car les divisions au sein de la société restent fortes.
Très récemment, la Guinée Conakry a lancé une initiative inédite dans un pays où les trois quarts de
la population sont des jeunes : ''nos jeunes ont du talent''. Une consultation publique d’un mois à
l’attention des 15-25 ans sur leurs attentes et leurs espoirs, alors que les élections se tiendront en
octobre 2015.
Mais la plus grande campagne panafricaine qui a marqué ces dernières années est également le
concept d’ ''émergence''. Plusieurs présidents, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’ouest, en ont fait
leur leitmotiv. Lorsque les effets ne sont pas assez rapides dans les réalisations politiques, cela peut
avoir un effet boomerang. Mais c’est sans conteste le slogan le plus marquant de ces dix dernières
années car il marque symboliquement une époque : celle d’une nouvelle ère diplomatique pour
l’Afrique vis-à-vis du reste du monde.
Interview réalisée en novembre 2015
4. Le Cercle vise à faire progresser la #ComPublique et la #ComPol dans
le monde francophone. C’est un espace de dialogue, de partage
d'expériences et de valorisation de tous.
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