Anne-Claire Ruel (@AnneClaireRuel) est enseignante à l’Université de Cergy-Pontoise, conseillère en stratégie d’opinion et chroniqueuse sur FranceTV Info et LCI.
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Nouveaux outils et dérives de la communication politique : interview exclusive d'Anne-Claire Ruel
1. Cercle des communicants francophones
Itw #26
« Un tweet bien écrit, c’est ni plus ni moins qu'une maxime de La
Rochefoucauld 2.0. »
Anne-Claire Ruel (@AnneClaireRuel) est enseignante à l’Université de Cergy-Pontoise,
conseillère en stratégie d’opinion et chroniqueuse sur FranceTV Info et LCI.
Vous êtes une observatrice attentive de la vie politique française. Quelles sont les
dérives que vous constatez dans la communication des personnalités politiques ?
Anne-Claire Ruel (A-C.R) : Très certainement l’aseptisation de la
langue des politiques. Ils ne disent plus rien. A personne. Que dit-
on sur le fond ? Absolument rien. Où est la politique ?
Parfaitement nulle part. Dans ce contexte, sans vision cohérente
de la société, la communication des personnalités politiques
accentue l’impression de déconnexion d’avec les citoyens. Au
point - peut-être - de résumer et de définir à elle seule l’action
politique. Là où l’opinion attend des plans de bataille, on lui sert
des plans de com’. Un comble lorsque le besoin de politique est
plus que jamais criant, lorsque le chômage, source d’inquiétude
majeure de l’opinion, est relégué au second plan.
Bien sûr, communiquer est essentiel pour être entendu dans ce flot continu de messages
cathodiques. "La forme c'est le fond qui remonte à la surface" écrivait Victor Hugo. Mais à l’aune
de notre agora numérique, un dialogue nourri et continu doit s'engager avec les citoyens et les rôles
d'émetteur et de récepteur doivent se confondre pour devenir interchangeables.
Les règles dévolues au dialogue et énumérées par Platon nécessitent d'être réhabilitées : écouter,
accepter l’objection, ne pas se contredire, être prêt à reconnaître ses erreurs... Du bon sens, en
somme. Plus vivante, moins dogmatique, cette nouvelle forme de dialogue implique un partage
d'idées plus qu'une simple démonstration de ''com’''. Alors enfin, la communication servira peut-être
l'action.
L'avènement du web et des réseaux sociaux a profondément transformé la
communication politique. Quelles sont les personnalités politiques qui tirent leur
épingle du jeu sur ces supports ?
(A-C.R) : C’est simple, toutes les personnalités politiques qui ont compris la logique
conversationnelle des réseaux. Cela peut paraître d’une banalité abyssale mais ils sont encore
beaucoup trop nombreux à plaquer une logique verticale à un outil qui doit justement leur permettre
de débattre sur le fond et d’adopter une démarche participative. En d’autres termes, les utilisateurs
de Twitter doivent être sûr qu’il y a un cœur qui palpite derrière l’écran. Et que ce cœur est bien
celui du politique qu’ils interpellent.
Parmi les personnalités qui ont bien saisi ce tournant, vous avez à gauche, essentiellement pour ces
tweets, Christiane Taubira. Twitter c’est le prolongement d’une tradition très française qui est l’art
de la belle phrase et du trait d’esprit. Un tweet bien écrit, c’est ni plus ni moins qu'une maxime de
La Rochefoucauld 2.0. Romain Pigenel, Directeur adjoint en charge du numérique au Service
d'Information du Gouvernement, le dit également. Christiane Taubira, fidèle à elle-même, rompt
ainsi avec les éléments de langage aseptisés que certains nous servent à longueur de journée.
2. A gauche toujours, Cécile Duflot a une perception de l’outil intéressante : elle a compris que le web
est expérientiel : les politiques peuvent toujours suivre les formations théoriques sur le sujet, mais
s’ils n’essaient pas eux-mêmes, ils n’en comprendront jamais l’intérêt. Lorsque Cécile Duflot teste
elle-même Périscope pour comprendre son fonctionnement, la démarche peut prêter à sourire, mais
en réalité, elle est fondamentale : l’apprentissage se fait en expérimentant.
A droite, la personnalité qui a su s’imposer de part sa gestion professionnelle des réseaux est très
certainement Bruno Le Maire. Non seulement il comprend l’outil, mais surtout il a su s’entourer
d’une équipe jeune, notamment de Kéliane Martenon, qui met en place une stratégie digitale assez
fine. Il a été ainsi le premier politique à s’essayer à Périscope et multiplie les points de rencontres
virtuels avec ses sympathisants. Elle est là la clé : entrer en interaction avec les internautes... et pas
que pendant les périodes électorales.
Avez-vous perçu dans les actions de communication politique mises en œuvre en
France, des influences étrangères, notamment anglo-saxones et francophones ?
(A-C.R) : Les plus grands changements opérés concernent la gestion des réseaux sociaux, inspirée
des méthodes anglo-saxonnes. Avec l’utilisation de Twitter, de nouveaux usages se sont développés
tels que l’utilisation des vidéos ou bien même de gifs. C’est une manière plus directe, simple et
authentique de s’exprimer, qui permet également au politique une touche d’humour ou d’ironie.
Je pense notamment au tweet de Pascale Boistard, membre du gouvernement, invitant ses followers
à écouter ''Je marche seul'' de Jean-Jacques Goldman pour contrer l’annonce de la création du
mouvement d’Emmanuel Macron. Ou bien même Emmanuel Macron, lui-même, dont le clip de
campagne ''En marche'' est calqué sur les spots de campagne américains au point… d’en réutiliser
des séquences ! ''Fail'' de communication, j’écris ton nom.
Une chanson, un gif, une vidéo, incarnent le politique qui tout à coup prend une dimension
personnelle non dénuée d’intérêt. Et si vous ajoutez à cela le fait que la vidéo est plus partagée
qu’une simple image et que le tweet peut être inséré dans des articles, sans être déformé, alors vous
tenez là une arme de communication persuasive.
Les communicants des personnalités politiques doivent-ils selon vous entrer dans la
lumière et accepter des interviews, des portraits dans les médias ou doivent-ils rester
dans l'ombre ?
(A-C.R) : Je vais être provocatrice à dessein : les bons communicants de personnalités politiques ne
sont pas médiatiques. Pourquoi ? Parce que la communication politique, c’est d’abord et avant tout
de la politique. Rien ni personne ne doit troubler le message. A force de mettre en avant la
communication, en occultant la politique, on laisse penser qu’elle n’est qu’une affaire de
communication.
Sur mon blog ''Fais pas com’ Papa'' de FranceTV Info, j’ai écrit un billet sous le coup de la colère
intitulé ''Moi communicante, je ferai mon job si les politiques font le leur''. Il date du 20 juillet 2015
et la colère n’est pas retombée depuis. A commenter "l'écume" des choses, sur laquelle tout et son
contraire a déjà été dit, le tout de manière partisane, sans recul - car il ne faut jamais se mettre à dos
la main qui nous nourrit - on en oublierait presque qu'un communicant est là, d'abord et avant tout
là, pour mettre en avant des idées, révéler des aspérités, défendre des points de vue politiques (j'ose
le mot) sur l'avenir de la société.
A quel moment, très exactement, la politique est-elle devenue une ineptie ? Chacun son job ! Aux
politiques, aux acteurs de la société civile défendre leur vision du monde, à la communication de les
aider, dans l’ombre, à faire passer le plus simplement leurs idées.
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en juin 2016
3. Le Cercle vise à faire progresser la #ComPublique et la
#ComPol dans le monde francophone. C’est un espace de
dialogue, de partage d'expériences et de valorisation de tous.
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