2. L'esclavage aux États-Unis (1619-1865) commence peu après l'installation des
premiers colons britanniques en Virginie et se termine avec l'adoption du
XII e siècle amendement de la constitution Américaine . Succédant à une
forme de servitude temporaire — l’indenture —, un esclavage à
fondement racial s'institutionnalise progressivement, à un rythme variable
selon les colonies, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, sous l’effet de
décisions de justice et d'évolutions législatives. Progressivement aboli
dans les États du Nord du pays dans les années qui suivent la Révolution
américaine, l'esclavage occupe une position centrale dans l'organisation
sociale et économique du Sud des États-Unis. Les esclaves sont utilisés
comme domestiques et dans le secteur agricole, en particulier dans les
plantations de tabac puis de coton, qui s'impose au XIXe siècle comme la
principale culture d'exportation du pays. Au total, les Treize colonies puis
les États-Unis importent environ 600 000 Africains, soit 5 % du total des
esclaves déportés vers les Amériques, jusqu'à l'interdiction de la traite
atlantique en 1808. Avant la guerre de Sécession, le recensement américain
de 1860 dénombre quatre millions d’esclaves dans le pays[1]. La marge
d'autonomie que ces derniers sont parvenus à se ménager à l'intérieur du
système d'exploitation dont ils ont été victimes a donné naissance à une
culture originale qui emprunte à la fois à leur culture africaine d'origine et
à celle de leurs maîtres.
3. Les conditions de vie rencontrées par les esclaves déplacés sur la frontière de l'ouest
différaient sensiblement de celles qu'ils avaient connues plus à l'est. Le défrichage et
l'exploitation d'une terre vierge, combinés à une nourriture insuffisante, une eau
insalubre et l'affaiblissement parfois durable provoqué par le voyage engendra de
nombreuses blessures et maladies. Les sites de défrichage privilégiés par les
planteurs, souvent situés à proximité d'un point d'eau et donc des moustiques, le climat
souvent plus humide et plus chaud contribua à augmenter sensiblement le taux de décès
des esclaves nouvellement arrivés. À tel point que certains planteurs préféraient dans les
premières années d'exploitation louer des esclaves plutôt qu'en acquérir pour leur
propre compte[23].
La dégradation des conditions de vie des esclaves tenaient aussi à d'autres facteurs. La
culture du coton était plus exigeante que celles du tabac et du blé pratiquées plus à l'est :
les maîtres imposaient des rythmes de travail plus soutenus qui laissaient peu de temps
pour la culture vivrière que certains esclaves avaient développés chez leurs anciens
propriétaires[24]. Les conditions difficiles sur la frontière augmentèrent par ailleurs la
résistance des esclaves et conséquemment la violence des maîtres et des surveillants.
En Louisiane, la canne à sucre constituait, de préférence au coton, la principale culture.
Entre 1810 et 1830 le nombre d'esclaves passa dans cette région de moins de 10 000 à plus
de 42 000. La Nouvelle-Orléans devint un port d'esclaves de dimension nationale et dans
les années 1840 le plus grand marché d'esclaves du pays. La culture de la canne à
sucre, plus éprouvante encore que celle du coton, exigeait de jeunes hommes dans la
force de l'âge qui représentaient les deux tiers de la demande en esclaves. Cette
population, plus virulente et susceptible de se tourner vers la rébellion, rendit le régime
de soumission imposé par les planteurs d'autant plus violent[
4. Deux principaux systèmes de travail, parfois non exclusifs l'un de l'autre, ont coexisté au sein du
système des plantations américaines : le task system et le gang system. Typique des vastes exploitations
rizicoles rencontrées en Louisiane, le long de la rivière Yazoo et sur la bande côtière de la Caroline du
Sud et de la Georgie, le task system consistait à assigner à chaque esclave un travail donné. Une fois sa
tâche acquittée, l'esclave était libre de vaquer à ses occupations personnelles. Ménageant une marge
d'autonomie aux esclaves, il était toutefois, à l'image des grandes exploitations, largement
minoritaire[26]. Plus contraignant était le gang system qui peut être considéré comme l'équivalent du
travail à la chaîne dans le domaine agricole. Placés sous l'autorité d'un driver, des équipes
d'esclaves, dont chacun se voyait attribuer une fonction spécifique, effectuaient parallèlement une
tâche identique[27].
L'encadrement des esclaves était assuré par un régisseur (oversee), représentant de l'autorité du
propriétaire sur le terrain et d'un driver, qui conduisait les équipes. Si le régisseur était presque
exclusivement un Blanc[28], le driver était lui-même un esclave. Les fonctions de police qui lui étaient
confiées impliquaient force physique et capacité de commandement.
Dans les plus grandes exploitations, l'organisation du travail pouvait aboutir à une certaine
spécialisation. Forgerons, charrons, serruriers étaient des métiers indispensables au fonctionnement
de la plantation dont la charge était souvent héréditaire et réservés aux métis et aux esclaves à peau
claire qui, d'une manière générale, étaient mieux considérés que les autres. La clarté de la peau était
ainsi un élément d'appréciation de la valeur des esclaves sur le marché et les planteurs choisissaient
de préférence des esclaves à peau claire comme concubine (fancy girls)[29].
Outre la distinction entre le task system et le gang system, une des principales lignes de fracture qui
organise le monde des esclaves est celle qui distingue les travailleurs des champs et les travailleurs
domestiques. Cette ligne n'est pas, elle aussi, inamovible. Une carrière d'esclave pouvait le conduire à
exercer l'une ou l'autre des fonctions au gré des changements de culture, des migrations et surtout de
son épuisement physique. Il n'existait pas non plus de hiérarchie établie entre esclaves sur la base de
l'appartenance à l'un ou l'autre de ces deux types de métiers. Si les domestiques étaient globalement
mieux nourris et bénéficiaient de conditions de travail plus clémentes, ils subissaient aussi plus
directement l'arbitraire des décisions et des châtiments des propriétaires.
5. La vie sociale des esclaves nous est connue
grâce aux récits autobiographiques et
notamment les interviews du « Federal writers'
project » qui réunit, dans les années 1930, les
témoignages de quelque 2 000 anciens
esclaves[30]. Les historiens ont longtemps
imaginé les esclaves subissant leur sort sans
grande marge d'autonomie, mais
l'historiographie a évolué sensiblement depuis
les années 1970 sur la base de ses témoignages.