Le Briefing de Bruxelles sur le Développement numéro 51 sur le thème de « L’agriculture, moteur de reconstruction économique et de développement dans les États fragiles » s’est tenu le mercredi 27 juin 2018 (9:00 à 13:00) au Secrétariat ACP (Avenue Georges Henri 451, 1200 Bruxelles, salle C). Ce Briefing de Bruxelles a été organisé par le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) en collaboration avec la DG Développement et Coopération de la Commission européenne (CE/DEVCO), CONCORD et le Secrétariat ACP.
BB59: Agroecological participatory action research and advisory systems - Tha...
Briefing de Bruxelles 51: James Putzel "Qu’avons-nous appris sur les États fragiles : défis et opportunités"
1. Présenté lors du briefing : « L’agriculture en tant que moteur de la
reconstruction économique et du développement dans les pays
fragiles »
Bruxelles, 27 juin 2018
Professeur James Putzel
Département du développement international
London School of Economics and Political Science 1
2. Présentation
1. La « fragilité des États » gagne en importance dans
l’agenda international
2. Problèmes liés aux définitions de la « fragilité » selon les
bailleurs de fonds
3. Une approche alternative
4. Implications pour la politique économique et agricole
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3. 1. La « fragilité des États » est devenue un aspect central de
l’agenda des politiques de développement.
Années 90 : « États défaillants »
et « États voyous » : notions
profondément idéologiques
9/11/2001 : Les questions de
sécurité préoccupent le monde
occidental
Les « partenaires
problématiques » sont à présent
appelés « États fragiles ».
En 2016, l’OCDE estime que
67 % de l’ensemble de l’APD est
consacrée à des « contextes
fragiles ».
3
www.britannica.com
4. 2. Problèmes liés aux définitions de la « fragilité » selon les bailleurs
de fonds
Durant de nombreuses années, l’OCDE a défini la « fragilité des
États » dans ses Principes pour l'engagement international dans les
États fragiles
« Un État est fragile lorsque les instances étatiques n’ont pas
la volonté politique et/ou la capacité d’assumer les fonctions
essentielles requises pour faire reculer la pauvreté et
promouvoir le développement, d’assurer la sécurité et le
respect des droits de l’homme de la population » (CAD de
l’OCDE, 2007)
Dans la pratique, la fragilité est mesurée par l’Indice CPIA
(évaluation de la politique et des institutions nationales de la
Banque mondiale).
Pourquoi ces définitions posent-elles question ?
4
5. L’Indice CPIA de la Banque mondiale était utilisé pour « mesurer »
la fragilité.
Tout pays enregistrant un résultant
inférieur à 3,2 ou sans notation CPIA
était considéré comme fragile par la
Banque.
La CPIA servait de référence pour
l’allocation des ressources de l’IDA et
non pour mesurer la fragilité :
gestion économique ;
politiques structurelles ;
politiques d’inclusion sociale ;
gestion du secteur public ;
Utilisé par :
Le suivi mondial des OMD
La plupart des bailleurs de fonds
bilatéraux
Indice CPIA du Mali
2006 2007 2008 2009 2010
3,56 3,61 3,45 3,49 3,53
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6. Problème essentiel de l’approche de la fragilité adoptée par les bailleurs de
fonds :
Aucune différence entre les pays pauvres en paix et ceux qui ne l’étaient pas.
Par définition : LA PLUPART DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT N’ONT
PAS LES CAPACITÉS NÉCESSAIRES.
Le concept « d’États fragiles » n’est pertinent que s’il porte sur les
fonctions de base d'un État et sur sa vulnérabilité face aux
conflits violents.
Il existe une différence entre les « pays pauvres » et les pays
« vulnérables à la violence à grande échelle ».
6
7. Bon nombre de pays pauvres d’ASS n’ont pas connu de conflits
majeurs.
Classement de l’indice de développement humain (IDE) de 182 pays :
La Tanzanie (151) et la Zambie (164) connaissent la stabilité depuis des
dizaines d’années.
D’autres pays pourtant moins bien classés sur cet l’IDE ont été épargnés
par les conflits majeurs :
Le Ghana (152), le Cameroun (153),
Le Lesotho (156), le Togo (159),
Le Malawi (160), le Benin (161),
La Gambie (168), la Guinée (170),
La question de la fragilité des États :
« Pourquoi CERTAINS parmi les pays aux revenus les plus faibles ont
sombré dans le conflit et se sont effondrés, alors que d’autres ont été
épargnés ? »
Par exemple, il faut se demander « pourquoi la Tanzanie est demeurée
en paix » et non « pourquoi elle est demeurée pauvre ».
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8. Afin de comprendre la « fragilité des États », il convient
d'introduire la catégorie de « résilience étatique ».
L’identification de la « fragilité » nécessité l’introduction de
la catégorie de « résilience des États ».
- Certains États pauvres sont en paix.
- Les États résilients « convertissent » les élites à leur cause.
- L’État demeure au centre de la prise de décisions.
La résilience étatique est propice à la construction des
États.
- Identité nationale et institutions de citoyenneté
- Communication entre les communautés
- Acceptation des frontières territoriales
- Reconnaissance des lois nationales (institutions étatiques),
même si celles-ci sont peu appliquées.
Voyez le contraste entre la Tanzanie et la RDC. 8
9. Réponse des bailleurs de fonds
G7 + : Dialogue international sur la
consolidation de la paix et le
renforcement de l’État
Première action de l’OCDE visant à
incorporer les listes de la BM et de la
BAfD et les sites des missions de maintien
de la paix de l’ONU
2011 : Rapport sur le développement dans
le monde sur le thème des conflits
2015-16 OCDE parle de « nouveau
départ » :
« La fragilité est définie comme la conjonction
d’une exposition à des risques et d’une
capacité insuffisante de l’État, d’un système
ou d’une communauté à gérer, absorber ou
atténuer ces risques. » (OCDE, 2016, 21)
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10. La nouvelle conception de la « fragilité » selon l’OCDE : risques et
capacités (OCDE, 2016).
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Dimension Description des vulnérabilités face
aux risques
Économique Faiblesses des fondements
économiques et du capital humain
Environnementale Environnement, climat et santé
Politique Processus politiques, événements
ou décisions
Manque d’inclusion politique
Transparence, corruption
Capacité de la société à accepter le
changement et à éviter l’oppression
Sécurité Violence (politique et sociale) et
délinquance
Sociétale Cohésion sociétale : inégalités
verticales et horizontales
11. Résumé de la fragilité
Les premières définitions des bailleurs de fonds étaient
axées sur :
- la bifurcation des États
- la notion selon laquelle « toutes les bonnes choses vont de
pair »
La nouvelle définition de l’OCDE est pluridimensionnelle et
intègre davantage la violence, mais :
- l’État n’est plus central
- omet encore de faire la distinction entre fragilité et résilience
- les risques sont globaux
- confond toujours « fragilité » avec u manque de développement
La « fragilité étatique » ne concerne PAS essentiellement le
développement.
Les bailleurs de fonds doivent utiliser le concept de
« résilience des États », qui se différencie de la notion de
développement.
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12. 3. Spectre alternatif de « fragilité à résilience »
Fragilité étatique
Des troubles armés menacent
le pouvoir étatique.
Le contrôle territorial de
l’État est limité.
Imposition non étatique et
dépenses étatiques inégales
en fonction des groupes
identitaires
Multiplicité des institutions
(Putzel & Di John, 2012)
Résilience étatique
Monopole de la violence
légitime
L’État a un contrôle territorial
significatif.
Monopole de l'imposition et
dépense des recettes fiscales
non discriminatoire en
fonction des groupes
identitaires
Hégémonie institutionnelle
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Les États peuvent devenir plus fragiles ou plus résilients avec le temps.
La « fragilité étatique » est une condition temporaire et NON une
catégorie statique.
13. Ce cadre fournit des outils de diagnostic afin d’évaluer la
« fragilité étatique » et d’identifier des politiques.
Analyse des différences entre les États vulnérables face aux conflits violents
Meilleurs diagnostics (du type des « diagnostics de croissance » de Rodrik)
Analyse du Mali (van de Walle, 2012)
- Pays préféré des bailleurs de fonds dans les années 2000
- Les donateurs ont fait fi du fait que l’État :
* ne pouvait l’emporter sur les insurgés armés
* avait un contrôle territorial insuffisant
* ne maîtrisait pas les revenus et les inégalités de dépenses
* a mis les Touaregs à l’écart, de même que leurs règles et leurs institutions
alternatives
13
Mali - Daily Telegraph 5 avril
2012
14. Implications pour la politique économique
Faire face aux inégalités horizontales
- Les dépenses étatiques, les rentes et l’aide doivent contribuer à réduire les inégalités entre les
groupes identitaires.
Promouvoir l'intégraion économique interne
- La réforme économique vise généralement à intégrer les économies dans les systèmes
mondiaux.
Formaliser les activités économiques informelles
- L’économie informelle est propice à l’exclusion et à la mobilisation de ressources au détriment
de l’État.
Reconnaître que les rentes peuvent être essentielles au maintien de la paix
- Il ne faut pas se focaliser excessivement sur la corruption.
La politique doit viser la création de richesse et pas seulement d’emplois
- Opportunités d’investissement par les élites dans la production agricole et industrielle (pour
créer des emplois également)
Aide à travers les systèmes publics et le budget (approches sectorielles, clé double)
- Éviter de créer un « secteur public à deux vitesses » (centres d’autorité rivaux).
Lutter contre la fragilité peut impliquer des priorités autres que les ODD
- Les cibles des OMD étaient inadaptées aux questions relatives à la fragilité et à la résilience.
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15. Implications pour la politique agricole
Projets, infrastructures et investissements agricoles afin de réduire les inégalités horizontales
- Tenir compte des régions géographiques et des groupes identitaires auparavant exclus ou défavorisés (et pas
uniquement des critères d’efficacité)
Politiques agricoles et rurales pour l’intégration économique interne
- Équilibre entre production de produits de base et autres cultures commerciales (sécurité alimentaire peu
probable grâce au seul accès au marché)
- Promouvoir une fabrication qui fournit des intrants agricoles et transforme la production agricole.
Encourager les capacités étatiques dans les activités agricoles et associées
- L’État doit accorder de l’importance aux marchés agricoles, au contrôle de l’imposition des activités rurales,
aux connaissances en faveur de la vulgarisation agricole et aux capacités statistiques agricoles.
Politiques foncières qui garantissent que l’élite soutient l’État et répondent aux problèmes liés aux
revendications territoriales lorsque celles-ci sont sources de conflits violents
- Allouer des rentes et des terres et donner accès à l’emploi afin de réduire les inégalités horizontales et
faciliter le retour de ceux qui ont été déplacés ou leur proposer une compensation.
La politique doit viser la création de richesse et pas seulement d’emplois
- Opportunités d’investissement par les élites dans la production agricole et les secteurs connexes
Faire face à la fragilité implique des priorités différentes de l’Objectif 2 des ODD par rapport aux
États plus stables et résilients
- Les priorités agricoles doivent viser à répondre à des questions qui favorisaient/encourageaient la violence au
sein des populations rurales.
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