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Mise en boîte de la complexité 
Viviane de Beaufort 
Du lobbying au e‐lobbying 
 
Tandis  qu’en  France,  une  reconnaissance  encore  très  récente  de  l’activité  complexe  du  lobbying 
intervient,  la  montée  en  puissance  du  e‐lobbying  (activité  pour  le  moins  « hypra »  complexe) 
déstabilise déjà les règles du jeu posées. Le e‐lobbying surfe sur le développement du Web et offre de 
nombreux  outils  pour  élargir  un  champ  d’influence.  Il  permet  à  la  société  civile  de  s’« inviter  à  la 
table » des décideurs – y compris en s’affranchissant des frontières géographiques et avec une vitesse 
impressionnante.  Or,  si  il  est  possible  de  fixer  à  peu  près  les  règles  et  conditions  d’un  lobbying 
professionnel,  éthique  et  transparent,  à  l’instar  de  ce  qui  est  fait  au  Canada  et  tenté  en  France 
désormais, la régulation de la blogosphère s’avère terriblement complexe. Contrôler le champ et les 
flux du Web est quasi impossible. Dans ce contexte, le e‐lobbying est une opportunité non exempte de 
dangers. Ces nouvelles pratiques d’influence constituent elles un outil de promotion ou une déviance 
de la démocratie1
 ? 
Propos introductif 
La Chaire de la complexité Egard Morin 
En raison de la tradition d’innovation mais aussi d’individualité de l’Essec, le professeur a tendance à 
gérer sa propre activité et sa propre complexité de son côté. En l’occurrence, c’est quasi la première 
fois  qu’un  projet,  celui  de  la  Chaire  de  la  complexité  Edgar  Morin,  invite  à  co‐construction.  
Laurent Bibard,  collègue  de  longue  date,  m’a  proposé  d’y  participer  et  il  m’a  semblé  naturel  de 
mobiliser un peu d’énergie et de temps pour participer à ce projet collaboratif extraordinairement 
intéressant et d’une brûlante actualité : la gestion de la complexité est devenue une constante de 
notre vie. 
Quant au thème choisi, au terme de longs' échanges avec Laurent Bibard et Léa Peersman, il nous est 
apparu intéressant de traiter, parmi d’autres thèmes possibles, des nouveaux champs du lobbying, 
d’autant que je finalise un ouvrage collectif sur le sujet. En raison de son caractère transverse, ce 
domaine de recherche encore neuf s’insère parfaitement dans une problématique de complexité. Ne 
serait‐ce que parce qu’il est déjà complexe en lui‐même. Dresser un état des lieux de la pratique du 
lobbying et en présenter une vision prospective intégrant la nouvelle dimension liée à l’influence sur 
la blogosphère – que j’appelle « e‐lobbying » – constitueront le cœur de cette présentation.  
Je  participerai  également  à  d’autres  activités  de  la  Chaire  sur  des  sujets  auxquels  je  suis  très 
attachée, notamment la mixité et l’accès des femmes aux espaces de pouvoir. Il faut le souligner, 
cette Chaire a le mérite de générer un « déclic » de plusieurs professeurs. Cette démarche permettra 
peut‐être d’articuler différemment des champs de recherche jusqu’ici organisés en disciplines. 
La complexité me parle. Je suis quelqu’un d’éminemment complexe, peut‐ être ne serait‐ce que du 
fait de mes origines diverses et de mes expériences dans divers milieux et espaces professionnels ?! 
Je  développe,  parfois  avec  difficulté  en  termes  d’agenda  et  de  fatigue,  mais  toujours  avec 
engagement,  de  nombreuses  activités.  Elles  peuvent  parfois  paraître  sans  lien  les  unes  avec  les 
autres, mais pour moi elles sont en cohérence – ne serait‐ce que parce qu’elles font partie de moi, de 
                                                       
1
 On se reportera à l’ouvrage collectif dirigé par V. de BEAUFORT, Evolution des outils et des stratégies du 
lobbying, à paraître chez Larcier, coll. CEDE‐DMS. 
2/14 
mon engagement à diverses facettes. Complexité des sujets, des milieux d’interaction, des manières 
de faire, des champs (de recherche, pédagogiques, d’accompagnement des étudiants, de coaching 
d’entrepreneures),  intervention  du  domaine  des  relations  publiques,  incursion  dans  les  medias  et 
même activités de lobbying à Bruxelles… Cette diversité complexe constitue un fil d’Ariane que je 
tire,  fonctionnant  par  opportunité  au  sein  de  réseaux  multiples,  avec  un  « moto »  qui  donne 
cohérence à la construction : la quête de sens. La vie d’aujourd’hui consiste à être multiple en un ! 
Parcours  construit  pierre  à  pierre.  La  différence  avec  d’autres  vient  peut‐être  du  fait  que  je  n’ai 
jamais ôté une pierre pour en mettre une autre : j’ai mis du ciment et j’ai continué à construire mon 
mur. Voilà pourquoi cette chaire sur la complexité me parle tant. Y participer est une bonne manière 
d’aborder la vie en général, mais aussi nos relations aux autres, qui nous sommes, la façon dont nous 
travaillons et dont nos étudiants devront travailler – étant entendu qu’in fine, ce sont plutôt eux qui 
auront des leçons à nous donner en la matière. 
Lobbying et e‐lobbying 
Le  lobbying  à  échelle  européenne,  c’est  un  peu  ma  première  vie  professionnelle.  J’ai  très  jeune, 
pendant quelques années, occupé la sphère « bruxelloise »  avec différentes postures, dont celle de 
responsable des  affaires institutionnelles – autrement dit, pour faire simple, de lobbyiste. Depuis, je 
continue à porter des expertises pro‐bono à Bruxelles et Paris, comme académique engagée, sur des 
thèmes liés au Droit comme outil de compétitivité de l’Union européenne et de la France.  Le Centre 
européen de Droit et d’Economie est, de fait, un think tank enregistré comme tel sur le registre des 
représentants d’intérêts. 
Aujourd’hui, y compris en France et dans les pays latins, le terme de « lobbying » n’est plus un gros 
mot, mais demeure connoté. Paradoxalement, alors même que ce dernier vient de faire son entrée 
dans les enceintes sacrées de l’Assemblée nationale et du Sénat2
, la complexité de la vie fait que 
nous  observons  déjà  une  nouvelle  pratique,  nommée  tout  à  tour  « e‐lobbying »  ou  « cyber‐
lobbying ».  Le  e‐lobbying  permettra  peut‐être,  à  certaines  conditions  que  nous  aborderons 
ensemble, à la société civile de s’inviter à la table des décideurs, même lorsque ceux‐ci ne l’auront 
pas prévu, de les interpeler et, parfois, de déstabiliser des décisions qui auraient pu être prises dans 
le cadre plus normé, feutré et élitiste du lobbying classique. Cadre dans lequel les décideurs (élus, 
membres du Gouvernement, politiques, hauts fonctionnaires nationaux et européens, membres de 
cabinets, etc.) avaient l’habitude de côtoyer des experts, les lobbyistes chargés de porter des sujets 
de  manière étayée. 
Nous passons en effet d’un champ caractérisé par une certaine rationalité, c’est‐à‐dire structuré, à 
la fois quant aux acteurs et aux arguments, un champ dans lequel il faut identifier les décideurs, les 
argumentations,  et  la  stratégie  à  élaborer  dans  le  cadre  d’un  planning  bien  défini,  à  un  champ 
éclaté, émotionnel, no traçable : celui du e‐lobbying. Ce dernier utilise les moyens de contact et 
d’influence du Web (blogs, pétitions, réseaux sociaux tels Facebook ou twitter, etc.) pour créer une 
opinion  qui,  si  elle  est  bien  portée,  finit  par  être  officiellement  relayée  par  des  médias  plus 
classiques et interpeller les décideurs. Ceux‐ci se retrouvent face à une rumeur qui se répand à la 
vitesse  de  la  lumière.  Cette  dernière  peut  être  infondée,  mais  elle  pèse  ne  serait‐ce  que  parce 
qu’elle se diffuse. Les décideurs, élus donc redevables à l’égard de la société civile, ne peuvent pas ne 
pas prendre en compte cette « ombre au tableau », parfois totalement imprévue, dès lors qu’elle 
émane ou est portée par des électeurs ou des consommateurs. A cet égard, une action de e‐lobbying 
peut entraîner la modification significative de décisions, des textes de loi ou de politiques, là où le 
lobbying classique a échoué. 
Au final, nous passons d’une activité déjà hyper complexe à une activité « hypra complexe ».  
                                                       
2
 Cf. réglementation d’octobre 2013. 
3/14 
Le cœur de l’interpellation relative au passage du lobbying au e‐lobbying est le suivant. 
 Favorise‐t‐il la démocratie ? 
Autrement dit, le e‐lobbying est‐il un nouvel outil de démocratie, puisqu’il permet à la 
société  civile,  qui  a  de  toute  évidence  moins  de  moyens  et  qui  est  moins  structurée 
qu’une grande entreprise, de s’inviter à la table des décideurs et développe la dimension 
participative  de  la  démocratie  –  dimension  encore  insuffisamment  partagée  en  France 
mais qui l’est davantage à « Bruxelles » ? 
 Ou bien constitue‐t‐il une déviance de la démocratie ? 
Autrement dit, les conditions dans lesquelles les outils du Web sont utilisés, le caractère 
émotionnel  que  peut  porter  un  message  sur  la  blogosphère,  la  non  traçabilité  des 
messages  mettent‐ils  en  danger  la  démocratie,  dès  lors  que  les  décisions  ne  sont  plus 
nécessairement prises au regard de l’intérêt général dûment pesé et arbitré, mais avec 
une dimension plus subjective ? 
La réponse n’est évidemment pas binaire. Tout dépend des conditions dans lesquelles le lobbying se 
pratique. En outre, seuls certains champs peuvent être régulés. Il nous faut alors vivre avec la zone 
de risques créée par cette nouvelle opportunité. 
Le lobbying et les différents niveaux de complexité à appréhender  
Quatre niveaux de complexité peuvent être distingués, dans le lobbying classique (un lobbying plutôt 
argumentatif, qui se pratique face à des décideurs à peu près identifiés, en fonction de plannings 
imposés par l’agenda public, celui de l’Assemblée nationale ou de la Commission européenne, etc) : 
 la complexité de sa définition (notamment en France) ; 
 la complexité de sa pratique, tant cette activité est transversale et exige de jouer à différents 
niveaux ; 
 la complexité de l’interpellation sur la démocratie (des problèmes d’éthique et de conflits 
d’intérêts  pouvant  se  poser  au  regard  des  méthodes  employées,  notamment  lorsque  l’on 
passe du lobbying argumentatif à un lobbying plus proche du trafic d’influence) ; 
 la complexité du caractère plus ou moins adapté et suffisant des règles. 
Certes,  sérier  l’ensemble  de  ces  éléments  ne  permet  pas  de  résoudre  la  complexité.  Mais  cela 
permet de dessiner un cadre et de distinguer les  leviers d’un fonctionnement à la fois correct  et 
éthique.  Il  est  ensuite  possible  d’élargir  le  travail  au  e‐lobbying,  en  distinguant  là  encore  quatre 
niveaux de complexité : 
 la complexité de sa définition ; 
 la complexité de sa pratique ; 
 la complexité des éventuels problèmes éthiques qu’il pose ; 
 la complexité de la régulation de cette activité. 
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Du lobbying au e‐lobbying : expliquer pour appréhender la complexité 
Tentative de cadrage du contexte et éléments de définition 
 Définir  
S’il existe plusieurs définitions du lobbying, il en est une qui semble particulièrement adaptée à la 
France, où le lobbying est encore connoté : « le lobbying est la promotion d’un intérêt privé, partiel 
ou catégoriel auprès des instances décisionnaires », quelles qu’elles soient (étant entendu que le 
lobbying s’exerce du niveau micro local jusqu’au niveau mondial). 
Cette  définition  met  immédiatement  en  tension  –  donc  crée  la  complexité  –  l’articulation  entre 
l’intérêt  général  et  l’intérêt  partiel,  simplement  parce  qu’elle  touche  à  l’idée  qu’il  existe  soit  une 
articulation vertueuse (pour qui sait gérer la complexité), soit une confrontation d’intérêts. 
 Qualifier  
En France, le mot « lobbying » n’est pas conceptualisé. La preuve en est que nous n’avons pas su le 
traduire, le terme le plus approchant étant sans doute « exercice d’influence ». Et pourtant, ce mot 
est utilisé en permanence : « La France a fait son lobbying dans les négociations sur le TTIP pour avoir 
l’exception culturelle », par exemple. C’est un peu gênant, dans la mesure où en l’occurrence, l’Etat 
ne fait qu’exercer son pouvoir souverain et diplomatique. 
Utiliser le mot « lobbying » impose de le qualifier : 
 lobbying diplomatique (pratique des Etats) ; 
 lobbying juridique (négociations de fusions entre entreprises, par exemple, dans le cadre des 
règlements européens) ; 
 lobbying de communication ; 
 lobbying financier ou de projet (recherche de fonds) ; 
 lobbying normatif ou décisionnel (véritable définition du lobbying). 
Ce  dernier  est  un  exercice  d’influence,  qui  vise  soit  à  pousser  l’élaboration  d’un  texte,  soit  à 
empêcher  sa  finalisation,  soit  à  modifier  son  contenu.  C’est  là  qu’intervient  une  multiplicité 
d’acteurs, suivant un planning très précis dès lors qu’ils subissent les « cours de récréation » dans 
lesquelles ils jouent. Il convient donc de les anticiper, afin d’intervenir au bon moment. Cet exercice 
est relativement cadré, même s’il est ouvert. 
 Pratiquer  
En pratique, trois phases peuvent être identifiées – plus ou moins importantes suivant les dossiers, 
mais  auxquelles  il  n’est  pas  possible  de  déroger  si  l’on  veut  faire  du  lobbying  de  manière 
professionnelle. 
 Repérer l’objet du lobbying 
Via  une  veille  régulière,  afin  de  capter  un  éventuel  projet  qui  affecte  nos  intérêts  puis  le 
moment opportun, « Momentum », pour agir avant l’adoption ou la modification du texte ou 
de la décision qui porte atteinte à nos intérêts, notre engagement (ou au contraire les porte). 
Il  faut  ici  fixer  l’objectif  à  atteindre :  encourager,  empêcher,  modifier  un  texte  ou  une 
politique… Avec l’anticipation d’un objectif idéal, d’un compromis acceptable et de la ligne 
rouge à ne pas accepter.  
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 Un  exemple  sensible :  du  fait  d’une  veille  active  et  de  contacts  en  réseau,  j’ai  été 
alertée il y a quelques mois de l’existence d’une proposition de loi à l’Assemblée 
nationale visant à créer un devoir de loyauté des sociétés mères à l’égard des filiales 
et de l’ensemble de leurs sous‐traitants sur un périmètre mondial qui pourrait créer 
une  présomption  automatique  de  responsabilité  en  cas  de  dommage  écologique, 
environnemental, social ou sociétal. J’ai souhaité réagir. Le texte tel qu’il est rédigé 
crée une quasi présomption de culpabilité à la charge des sociétés de tête de groupe 
et  incitera  celles‐ci  soit  à  limiter  leur  présence  dans  les  zones  à  risque  mais 
porteuses  (pays  émergents),  faussant  leurs  atouts  compétitifs,  soit  carrément  à 
réfléchir  à  délocaliser  leur  siège  de  France.  A  priori,  le  Gouvernement  devrait 
soutenir  cette  proposition,  car  elle  est  portée  par  le  groupe  socialiste.  L’objectif 
poursuivi est donc d’éviter l’adoption d’un tel texte. En effet, au‐delà d’un objectif 
qui  peut  paraître  louable,  à  savoir  responsabiliser  les  acteurs  économiques  en 
matière de RSE, ce texte mal rédigé s’égare sur le terrain de la morale et crée en 
droit une responsabilité beaucoup trop large et mal maîtrisée. Il s’agit aussi d’inciter 
Bercy, donc le Gouvernement, à prendre conscience du risque considérable que ce 
texte peut créer en termes d’attractivité du territoire français. Si le Gouvernement, 
à son tour convaincu par des arguments experts, parvient à convaincre la députée 
socialiste  auteure  du  texte  de  ne  pas  le  proposer,  le  jeu  sur  les  deux  tableaux  –
Assemblée nationale et gouvernement – aura payé ! 
 Préparer son intervention 
En identifiant les agents de pouvoir concernés par le domaine considéré (casting), mais aussi 
les  « idées  dans  l’air »,  les  manifestations,  le  processus  de  décision  relevant,  le  timing  (là 
encore  via  une  veille  active)  et  les  alliances  possibles :  dans  le  lobbying,  il  y  a  aussi  de  la 
tactique. 
 Dans l’exemple ci‐dessus, les agents de pouvoir identifiés sont les députés socialistes 
qui envisagent de porter une proposition de loi, versus Bercy à qui il faut proposer 
une  contre‐proposition  raisonnable.  Par  ailleurs,  afin  d’identifier  les  « idées  dans 
l’air »,  il  peut  être  utile  d’échanger  avec  les  acteurs  économiques :  Medef,  AFEP, 
fédérations professionnelles, etc. Interagir avec les services juridiques des grandes 
entreprises  qui  attendent  du  monde  académique  qu’il  prenne  la  parole,  dans  la 
mesure  où  eux‐mêmes  ne  sont  pas  audibles,  compte  tenu  des  intérêts  qu’ils 
portent. En échange de quoi, ils faciliteront la tâche du lobbyiste en élaborant une 
analyse  juridique  précise  et  en  apportant  des  arguments.  Quant  aux  alliances 
stratégiques possibles, question cruciale car il s’agit de peser : une association  avec 
un cabinet d’avocats ayant pignon sur rue pour vérifier l’argumentation technique,  
un média pour porter l’idée semble être le bon « ticket ». Il faut enfin faire porter la 
thèse défendue par un élu ou un groupe d’élus. 
 Intervenir 
En répondant aux consultations (argumentaire, documents), en repérant les acteurs, en les 
contactant voire en les invitant à un événement, en produisant un article ou une étude. 
 Dans  l’exemple  ci‐avant,  j’avais  déjà  préparé  un  article  assez  long  et  complet  de 
60 pages définissant la notion de groupe et évoquant le cas de la mise en cause de la 
responsabilité  de  la  société  mère,  en  droit  comparé,  afin  de  « benchmarker ». 
Utilisant  des  travaux  académiques,  menés  de  longue  date,  et  forte  de  contacts 
forgés à Bruxelles, auprès de l’unité Droit des sociétés de la DG Marché Intérieur 
(chargée d’harmoniser les réglementations de droit des affaires), j’ai tenté d’inciter 
l’adoption  d’un  texte  définissant  au  niveau  européen  les  notions  de  droit  des 
6/14 
groupes  et  de  responsabilité  des  maisons  mères,  malgré  la  complexité  de  la 
démarche  plusieurs  fois  repoussée  ces  dernières  années.  S’il  a  été  possible  de 
mener une action en urgence sur la proposition de loi en France, c’est  qu’un travail 
de  fond  a  été  effectué  bien  avant  afin  de  procurer  l’expertise.  Car  si  une 
intervention peut être rapide, si elle ne repose pas sur une thèse solide, elle n’aura 
aucune chance d’influencer le processus décisionnel.    
Ainsi,  la  pratique  du  lobbying  est  une  activité  de  longue  haleine,  sérieuse,  professionnelle,  qui 
implique d’agir en amont, de faire une veille, d’identifier les projets, de préparer son intervention à 
la fois en termes de contenu et vis‐à‐vis des cibles, qui requiert d’identifier qui sont les alliés et les 
adversaires, qui l’on pourrait convaincre car il est plutôt neutre – parce qu’avoir raison seul est un 
excellent moyen d’avoir tort… 
Le lobbying est une activité complexe et transversale qui oblige à mobiliser à la fois des expertises 
juridiques, une connaissance des institutions, une compréhension des cultures, le sens  des relations 
publiques,  mais  aussi  un  certain  sens  de  l’opportunité  ou  du  Momentum,  donc  une  approche  de 
stratège. 
Lobbying et ancrage dans une culture institutionnelle (intérêt général/intérêt privé) 
S’il est une réalité à propos d’ancrage culturel, c’est que la France est très marquée par le mythe de 
l’intérêt général, formalisé à l’époque par les écrits de Rousseau. L’intérêt général constitue l’ADN du 
système  institutionnel  français  et  dès  lors,  notre  pays  a  un  problème  de  fond  avec  l’activité  de 
lobbying.   
Ainsi,  la  Constitution  de  1958  instaure  une  Vème  République  fondée  sur  une  démocratie 
représentative reposant essentiellement sur un système d’élections directes (SUD du Président, des 
députés,  des  maires,  etc).  Elle  encadre  strictement  les  possibilités  d’intervention  des  corps 
intermédiaires  dans  la  décision  (excepté  par  voie  de  référendum  gérée  par  le  président  de  la 
République).  Nous  avons  hérité  de  la  méfiance  des  corporatismes  et  aujourd’hui  encore,  une 
certaine verticalité du pouvoir demeure à tous les échelons des décisions : un seul élu ou nommé, 
légitimé, va décider au nom de l’intérêt général. slide 8 
La conception anglo‐saxonne de l’intérêt général, décrite par Tocqueville, est donc en opposition à 
la nôtre, puisqu’elle approche l’intérêt général comme la somme des intérêts privés. Dès lors, dans 
les pays anglo‐saxons, le lobbying est une activité non seulement normale mais souhaitable, voire un 
devoir  de  la  société  civile  (voir  la  constitution  des  Etats‐Unis).  Tandis  qu’en  France  (en  dépit  de 
quelques  progrès)  et  plus  globalement  dans  les  pays  latins,  le  lobbying  est  une  activité 
soupçonnable par essence, puisqu’il est l’expression de l’intérêt privé face à l’intérêt général. Cela 
explique que l’élaboration d’un statut du lobbying et sa régulation interviennent si tardivement. Or, 
l’activité  d’influence  existe  forcément  dans  une  société  donnée,  non  régulée  elle  risque  de  se 
pratiquer  sans  transparence,  sans  règle  sur  les  conflits  d’intérêt,  bref…  sous  la  table.  Autant 
d’éléments qui alimentent l’idée que l’activité est perfide, donc qu’il faut la supprimer. Cercle vicieux 
qui ne permet pas d’aborder cette réalité dans l’ensemble de sa complexité en adoptant un point de 
vue binaire totalement en décalage avec la réalité. Le lobbying est soupçonnable donc à éradiquer ! 
C’est non seulement impossible, mais dénué de sens. Approchée comme une activité qui permet aux 
acteurs  économiques  et  de  la  société  civile  de  participer  au  processus  de  décision,  l’activité  de 
lobbying ou de « public affairs » sert la démocratie.     
 Brefs éléments de comparaison 
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A propos de régulation de l‘activité de lobbying, on s’accordera à dire que la pratique canadienne est 
à coup sûr la plus sophistiquée. C’est d’ailleurs vers elle que semble tendre l’Union européenne, dont 
la réglementation plus souple a été mise à mal par plusieurs scandales lors de la dernière mandature 
et par l’arrivée de nouveaux Etats, encore mal à l’aise avec la pratique d’un lobbying ouvert à l’anglo‐
saxonne, tels la Roumanie ou Malte. Des soupçons ont en effet suffisamment défrayé la chronique 
pour que l’Europe se pose la question d’une réglementation plus musclée. 
Au Canada, les choses sont claires : le lobbying est une activité normale, souhaitable et à intégrer 
dans le processus décisionnel. Cela implique de la réglementer (par la loi) et pas uniquement de la 
réguler (par la soft law et les codes éthiques). En l’occurrence, une loi existe de longue date et a été 
remaniée à plusieurs reprises, à l’aune de la pratique. Elle pose les principes suivants :  
 le lobbying est une activité qui doit se faire en toute transparence; 
 les lobbyistes, (définition est large: est lobbyiste celui qui fait du lobbying, même si ce n’est 
qu’une  fois  dans  sa  vie  ou  un  académique  qui  tente  d’influencer  un  décideur  sans  être 
rémunéré), doivent obligatoirement s’inscrire sur un registre des représentants d’intérêts en 
précisant leurs centres d’intérêt, la façon dont ils travaillent, le lieux où ils exercent et les 
moyens financiers qu’ils utilisent. Ce registre est en open data, très lisible ; 
 Le  même  type  de  registre  existe  à  Bruxelles  et  France,  mais  l’inscription  y  est 
volontaire. 
 le  lobbyiste  qui  s’est  enregistré  doit  adhérer  à  un  code  de  déontologie,  élaboré  par  un 
commissaire au lobbying, personnalité indépendante nommée par le Gouvernement et qui 
dispose  de  moyens  pour  faire  des  enquêtes,  répondre  à  des  plaintes  et  sanctionner  les 
lobbyistes (jusqu’à l’interdiction d’accès aux décideurs). 
En outre, contrairement à ce qui s’observe aux Etats‐Unis, le Canada a également adopté une loi sur 
le financement des partis. De fait, si l’on est élu grâce au sponsoring du lobbying des armes, comme 
aux Etats‐Unis, il s’avère par la suite quelque peu complexe  de légiférer pour limiter le commerce 
des armes et, l’on a pu constater plus d’une fois hélas, les résultats terribles de cette incapacité à 
sauter le pas. En l’occurrence, dans ce pays, le lobbying des armes a pris la précaution « d’arroser » 
des deux côtés. 
La réglementation doit répondre à deux questions essentielles : 
 comment les lobbyistes doivent‐ils se comporter ? 
 comment les décideurs (c’est‐à‐dire les élus) doivent‐ils se comporter ? 
Et ce, en abordant les notions d’éventuels conflits d’intérêts, dépendance à l’égard de financeurs ou 
de copains de promotion, etc.  
Dans ce domaine, la France n’est pas un modèle du genre ! Le talon d’Achille de la France provient, 
comme  cela  a  été  évoqué,  du  fait  que  le  lobbying  n’est  pas  complètement  reconnu,  même  s’il 
commence à l’être, de l’idéologie de l’intérêt général, mais aussi d’une tradition d’expertise et des 
relations particulières (tradition du pantouflage) qu’entretiennent les grands corps et les dirigeants 
avec  l’Etat.  En  résumé,  la  méfiance  historique  des  Français  envers  le  lobbying  s’explique  par  une 
complexité conceptuelle  vis‐à‐vis de la notion de légitimité,  mais aussi par la complexité liée à la 
tradition des grands corps et du carnet d’adresses (cooptation, copinage) – qui fait qu’un lobbying 
transparent et ouvert à tous n’arrange pas tout le monde. Dans ce contexte, le lobbying est perçu 
comme une déviance de la démocratie et prête à des dysfonctionnements. 
De l’éthique et de la nécessité d’une régulation (jusqu’où, comment ? Pratiques comparées)  
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 Créer la transparence 
Plusieurs conditions sont requises pour un lobbying éthique, professionnel et argumenté : 
 créer de la transparence ; 
 favoriser un jeu ouvert (tout le monde doit avoir accès au lobbying) ; 
 accepter de délibérer, ce qui impose d’accepter la confrontation, qui ne doit pas être vécue 
comme une atteinte à son pouvoir égotique : on discute, on élabore, on accepte que l’autre 
ait une idée différente voire une meilleure idée. En d’autres termes, on co‐construit. 
 Prendre en compte l’intérêt général 
Il  importe  de  toujours  avoir  en  tête,  lorsqu’on  porte  un  intérêt  privé,  que  ce  dernier  doit  être 
acceptable par rapport à l’intérêt général. 
 Par exemple, l’intérêt de Total, est de pouvoir explorer certains sols français où pourrait se 
trouver du gaz de schiste exploitable. C’est un intérêt économique clair. Si Total l’exprime 
sous cette forme, il en fait un intérêt privé sans rapport avec l’intérêt général. A priori, ce 
groupe sera donc en position défensive et peinera à faire passer son option, d’autant qu’à 
l’heure actuelle les débats font rage sur cette question, puisque nous avons été interpellés 
sur la dimension écologique par les réseaux sociaux (voir ci‐après les développements du e‐
lobbying). En revanche, si l’entreprise parvient à faire passer l’idée que sa problématique – 
qui  reste  privée  et  économique  –  s’intègre  dans  une  problématique  d’intérêt  général 
(permettre à la France et à l’Europe d’assurer l’indépendance énergétique), le résultat de 
l’arbitrage  devient  potentiellement  différent.  Pour  ce  faire,  Total  peut  relier  l’intérêt 
économique  de  la  France  et  les  perspectives  liées  à  la  crise  politique  (qu’elle  n’a  pas 
provoqué)  en  Ukraine.  La  peur  diffuse  de  l’opinion  publique  quant  à  la  dépendance  de 
l’Europe vis‐à‐vis du gaz russe devient un facteur qui peut changer la donne en mettant en 
convergence  l’intérêt économique de Total et l’intérêt général du pays et de sa population 
à disposer de sources d’énergie alternatives.   
Parvenir  à  faire  converger  un  intérêt  privé  et  l’articuler  avec  l’intérêt  général  renforce  la 
probabilité de faire passer son dossier. 
 Partager l’information 
Les  Français  ne  savent  pas  partager  l’information.  Même  si  c’est  moins  le  cas  des  nouvelles 
générations, ils considèrent encore que détenir l’information, c’est détenir le pouvoir. Pourtant, le 
partage de l’information constitue une force, celle de la persuasion. La construction de réseaux et le 
partage de l’information est une donnée évidente et fondamentale de ma démarche d’influence au 
sens large ; j’utilise tous les moyens à disposition pour effectuer ce partage, notamment les réseaux 
sociaux qui amplifient la diffusion. Plus des idées et expertises sont diffusées, plus elles sont portées, 
plus  elles  sont  partagées,  plus  on  crée  une  opinion  –  et  donc  plus  on  influence.  En  France,  cette 
conception  ouverte  et  compétitive  est  encore  difficile  à  faire  passer  dans  les  grands  corps,  les 
entreprises, les partis politiques, les syndicats. C’est regrettable et cela cantonne souvent notre pays 
à des prises de position en lobbying défensif et tardif. 
 Réglementation ou régulation ? 
L’OCDE a été amenée à fixer les conditions théoriques d’un lobbying vertueux et éthique, au service 
de la démocratie. Les conditions listées relèvent clairement du simple bon sens :  
 élaborer un cadre efficace favorisant la transparence et la participation au processus législatif 
des parties prenantes (ce qui impose de définir les termes de « lobbying » et de « lobbyiste », 
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d’intégrer des règles dans le dispositif politique – sur les conflits d’intérêt ou sur les marchés 
publics, par exemple – et des règles de gouvernance, comme le code éthique au Canada) et 
garantissant un accès juste et équitable à toutes les parties prenantes ; 
 accroître la transparence ; 
 favoriser une culture d’intégrité ; 
 instaurer des mécanismes efficaces. 
Ce processus est vertueux en ce qu’il amène à l’adoption de textes de loi plus équilibrés car mieux 
fondés.  Le  lobbying  exercé  dans  ces  conditions  vertueuses  (transparence,  éthique,  apport 
d’expertise) intervient comme condition d’élaboration de la loi la meilleure possible, car il permet 
aux  décideurs  d’entendre  tous  les  intérêts  y  compris  divergents  pour  arbitrer  au  mieux  en 
disposant de l’ensemble des données. Si en tant que décideur, vous n’entendez qu’un seul son de 
cloche sur un sujet, vous serez facilement convaincu par celui‐ci et adopterez un texte en pensant, 
sans doute de bonne foi, que vous faites bien. Or vous aurez occulté la « moitié du monde » et sans 
doute serez‐vous passé à côté de la complexité de la question. 
Revenons  au  régime  du  lobbying  européen.  La  question  aujourd’hui  posée  est  de  savoir  si  la 
Commission,  soutenue  par  le  Parlement  européen  qui  a  rédigé  lors  de  la  dernière  mandature  un 
rapport dans ce sens, mettra en place un registre de transparence obligatoire, de manière à ce que 
quiconque fait du lobbying soit identifié de manière claire et ne puisse pas contourner le système. A 
la clé, un mécanisme de plainte formalisé, voire des accréditations suspendues de manière définitive. 
Pour  le  dire  autrement,  la  réglementation  européenne  existe,  mais  l’Union  européenne  n’est  pas 
allée au bout de sa logique. Aujourd’hui, elle semble prête à « muscler un peu la bête » !  
 Etat des lieux en France  
Revenons à la France. L’encadrement du lobbying y est récent. Longtemps, on n’a pas voulu savoir. 
Cela a nécessairement entraîné des pratiques déviantes, mais aussi totalement inégalitaires : ce sont 
toujours les mêmes qui ont accès aux décideurs, c’est‐à‐dire les puissants – soit qu’ils appartiennent 
au même corps, soit qu’ils aient de l’argent. En 2009, deux réglementations distinctes, ce qui est à 
regretter, ont été adoptées : l’une à l’Assemblée nationale et l’autre au Sénat. La déontologue de 
l’Assemblée  nationale,  Noëlle  Lenoir,  éreinte,  dans  son  rapport,  certaines  pratiques  de 
parlementaires. Et pour cause, le lobbying se fait en duo et réglementer les pratiques des lobbyistes 
sans se soucier de l’éthique des pratiques des élus, c’est ne pas se donner les moyens de régler la 
question  de  l’éthique  de  la  gouvernance  publique.  Les  réglementations  de  2009  prévoient 
l’inscription sur un registre public, le respect d’un code de conduite, la déclaration des invitations à 
l’étranger adressées aux élus, un bon début. Depuis, le 1er
 octobre 2013, suite au rapport  Sirugue sur 
les lobbies à l’Assemblée nationale sont abordées  – il était temps ! – les relations complexes des 
lobbyistes à l’égard des élus, «clients » ou « cibles » du lobbying selon que les élus considèrent qu’il 
est vertueux d’écouter les lobbyistes ou continuent à identifier qu’ils sont des victimes du lobbying 
dont doivent s’en protéger.  
 Pour revenir sur l’exemple cité en début d’intervention, il est intéressant de préciser 
que la députée socialiste qui a élaboré la proposition de loi sur le devoir de loyauté 
des  entreprises  n’a  pas  répondu  à  nos  sollicitations.  A  Bruxelles,  cela  serait 
inconcevable: tout député ou haut fonctionnaire sollicité vous répond. En France, 
certains décideurs s’offrent ainsi le luxe de ne pas répondre aux citoyens. Cherchez 
l’erreur et estimez la qualité de la démocratie à l’aune de ces attitude des élus et 
dirigeants  !  A  propos  de  contacts,  les  rapports  parlementaires  doivent  désormais 
faire  apparaître  les  auditions  des  représentants  d’intérêts  intervenues.  Cette 
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obligation,  évidence  de  longue  date  dans  d’autres  pays,  rend  plus  transparent  le 
processus de décision en permettant une traçabilité des influences !  
Le dernier élément à évoquer quant à la réglementation sur le lobbying intervenue en France 
a trait aux conditions dans lesquelles un colloque peut être organisé. Prenons un exemple : le 
6 mars  dernier,  la  députée  Marie‐Jo  Zimmermann  mère  de  la  loi  sur  les  quotas  dans  les 
conseils, recevait les réseaux professionnels féminins dont je fais partie,  sur le thème de la 
mixité dans les conseils d’administration. Afin de respecter les règles, nous avons travaillé 
durant quatre mois avec la questure, son assistante et elle‐même pour remplir les nouvelles 
conditions  d’organisation  d’un  colloque  à  l’Assemblée  nationale :  pas  de  publicité,  pas  de 
promotion  d’intérêts  privés,  équilibre  des  points  de  vue.  Tout  le  monde  a  la  parole,  le 
colloque  est  ouvert  et  se  tient  sous  la  responsabilité  pleine  et  entière  du  député  qui 
l’accueille. 
Nous sommes en train de changer de monde, le citoyen plus averti réclame une démocratie plus 
participative.  Si  elle  applique  vraiment  les  nouvelles  règles,  la  France  rattrapera  son  retard  en 
matière de régulation du lobbying. D’autant que le Gouvernement s’engage à appliquer plus d’une 
des propositions exprimées par le rapport  Jospin qui interpellent le statut des décideurs : cumulet 
durée des mandats, renouvellement de ceux‐ci, déclaration des intérêts financiers des ministres, etc. 
Les choses resteront complexes, c’est leur ADN de l’être, mais elles seront peut‐être un peu plus 
transparentes et équilibrées. L’équilibre des forces et des points de vue, voilà bien un prisme par 
lequel il est possible d’appréhender le développement du e‐lobbying. 
E‐lobbying : outil ou déviance de la démocratie ? 
Une nouvelle cible, l’opinion publique  
L’activité  de  lobbying  classique  est,  après  cet  exposé,  à  peu  près  cadrée  dans  sa  complexité 
intrinsèque. Abordons à présent un niveau supérieur de complexité de l’activité en évoquant le e‐
lobbying. Ici, la cible change, c’est celle de l’opinion publique. Le e‐lobbying est un lobbying indirect, 
qui  vise  à  interpeller  l’opinion  publique  afin  qu’elle‐même  interpelle  le  décideur.  Dans  cette 
démarche,  il  est  à  craindre  que  le  rationnel  soit  estompé,  car  le  e‐lobbying  utilise  souvent 
l’émotionnel pour toucher le citoyen qui n’est pas un expert et réagit à l’affect. Le danger, c’est que 
l’opinion  raconte  tout  et  n’importe  quoi !  Il  est  donc  fort  complexe,  voire  impossible,  de  vérifier 
certaines  affirmations  d’autant  que  dans  la  blogosphère,  la  traçabilité  d’un  propos  est  loin  d’être 
évidente. Il est impossible par exemple d’imaginer une seconde de créer  un registre de l’influence 
sur la toile. Le e‐lobbying change considérablement la donne. 
Cette nouvelle pratique est donc à la fois intéressante et dangereuse, car plus difficile à cadrer et à 
réguler. 
Le e‐lobbying est en fort développement ; il a notamment permis aux lobbies sociétaux, qui avaient 
moins de moyens que les lobbies économiques, de rattraper leur retard en termes d’influence. les 
ONG ont investi la blogosphère depuis quelques années et y pratiquent l’influence d’une manière 
systématique. Faire du lobbying sur la blogosphère répond à la quadrature du cercle des moyens : il 
suffit d’un peu de temps et d’être un malin. Créer un blog ne coûte pas cher et « peut rapporter 
gros ». Il est donc logique que ce soit plutôt les lobbies sociétaux qui aient investi, dans un premier 
temps, la blogosphère. Pour leur part, les entreprises n’ont pas toujours vu arriver cette nouvelle 
forme de lobbying. Elles sont donc relativement en retard et, cet an‐ci, embauchent à tour de bras 
des  responsables  de  l’e‐réputation  et  de  l’intelligence  économique  pour  assurer  une  veille  de  la 
« toile » et être en mesure de réagir à la fois vite pour contrer une éventuelle action de e‐lobbying 
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qui portent atteinte à une réputation (ou un cours de bourse en trois clics) et influence l’élu dans un 
sens contraire à leurs intérêts. 
Quel lobbying pour les ONG ?  
 ONG et intérêt général 
Un raisonnement binaire, à éviter de suivre quand il est question de lobbying, consiste à considérer 
que les ONG portent un intérêt général, donc pratiquent un lobbying d’intérêt général. Il convient  
d’aller  plus  loin,  en  se  posant  d’une  part  la  question  de  l’indépendance  réelle  des  ONG  (cf.  les 
financements  et  les  éventuelles  influences  qu’elles  peuvent  subir)  et,  d’autre  part,  celle  des 
méthodes  utilisées  (la  fin  ne  justifie  pas  les  moyens).  En  pratique,  force  est  de  constater  que 
certaines ONG refusent de s’inscrire sur le registre des représentants d’intérêts, à Bruxelles ou en 
France. Et ce, au motif qu’elles ne font pas de lobbying, mais du « lobbying citoyen ». Là encore, 
cherchez  l’erreur…  Ce  lobbying  est  qualifié  de  « citoyen »  par  ses  acteurs  mêmes.  Or  à  partir  du 
moment où un acteur  exerce une influence, qu’il s’agisse de Total ou de Greenpeace, il doit être 
enregistré pour être identifié comme telle. Il n’est pas exclu que ce comportement cache – cela a 
d’ailleurs été identifié dans quelques cas – une problématique de transparence sur le financement et 
la gouvernance de l’organisation, des relations ambiguës avec les groupes politiques et les syndicats, 
et parfois même des méthodes douteuses. Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, toutes les 
ONG ne sont pas pauvres. Le registre des représentants d’intérêts à Bruxelles établit que les moyens 
que Greenpeace (qui a décidé de s’y inscrire) dédie à ses actions de lobbying sont dignes de ceux de 
GDF Suez, puisqu’ils se chiffrent en millions d’euros. Attention, donc, aux raisonnements binaires et 
aux approximations. 
 Examen des méthodes des ONG  
Là  encore  ,gardons  tout  de  toute  approche  caricaturale.  Le  monde  de  l’associatif  est  d’une 
complexité  totale  et  si  les  actions  d’influence  sont  globalement  inspirées  par  une  cause  d’intérêt 
général (lobbying citoyen), il existe des contre‐exemples. Ainsi, Alain Bazot, président de l’association 
de l’UFC‐Que Choisir, pratique un lobbying d’intérêt général, citoyen, juridique et transparent ; UFC‐
Que Choisir a d’ailleurs fait le choix de s’inscrire au registre des représentants d’intérêts à Bruxelles. 
Le Front de libération des animaux qui poursuit, sans doute, des objectifs vertueux, a des méthodes 
particulièrement agressives, parfois choquantes émotionnellement et parfois même choquantes tout 
court  et  illégales  puisqu’il  est  arrivé  que  ce  mouvement  incendie  des  propriétés.  Le  cas  de 
Greenpeace est intéressant à évoquer car l’ONG qui utilisait des méthodes parfois violentes a changé 
ses méthodes. Ses opérations « coups de poing », certes très médiatisées finissaient par atteindre sa 
réputation  et  choquer  des  citoyens  a  priori  en  faveur  de  son  combat,  qui  décidaient    de  ne  plus 
compter parmi ses donateurs. Elle a donc professionnalisé ses méthodes, pour passer à des actions 
de sensibilisation plus douces et normaliser ses relations avec les entreprises tout en essayant de 
rester  indépendante.  Ce  changement  de  méthodes  et  la  manière  dont  Greenpeace  a  traité  cette 
situation très complexe constitue un cas d’étude intéressant. Il s’est agi, pour elle, de trouver le juste 
équilibre entre le fait d’être une ONG militante aux méthodes extrêmes et un risque de réputation 
qui la décrédibilisait, et à moyen terme, pouvait la déstabiliser.  
Des nouveaux outils  
E‐lobbying, le « pactole » ? L’infinie richesse de la blogosphère provient de la multitude des outils 
qu’elle offre : 
 pétitions 
12/14 
diffusées sur la base de fichiers très détaillés (notamment élaborés en traçant les propos 
exprimés  sur  la  blogosphère)  qui  permettent  de  ne  solliciter  qu’une  population  déjà 
sensibilisée ; 
 blogs 
utiles à condition de parvenir à créer du trafic et à être suivi ; 
 réseaux sociaux 
Quel point  commun entre ses outils, au‐delà des différences ? Si l’on garde en tête que l’objectif 
d’une présence sur la toile est l’influence, il s’agit de faire réseau pour peser et créer une opinion ou 
aider  à  pousser  celle‐ci.  Cela  signifie  passer  progressivement  du  statut  de  suiveur/capteur 
d’informations  à  celui  de  diffuseur  d’informations,  créateur  d’informations  puis  influenceur. 
Influencer requiert d’avoir des relais, d’être suivi par la presse, les élus, d’autres influenceurs: les 
« sachants » par exemple les chercheurs ou experts d’un domaine, les leaders d’opinion. Influencer, 
c’est faire réseau – un réseau virtuel en l’occurrence. Tout comme dans le lobbying classique, les 
alliances  stratégiques  se  retrouvent  dans  le  e‐lobbying.  Cependant,  elles  se  créent  via  le  monde 
virtuel et sont tout aussi efficaces. Les mêmes dynamiques sont à l’œuvre.  
Se  pose  toutefois  le  problème  du  contrôle  du  contenu.  C’est  sans  doute  avec  la  vitesse  de 
propagation  des  idées,  un  des  éléments  qui  différencie  cette  activité  de  l’influence  classique.  En 
effet, il est possible d’affirmer tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, à condition d’être un 
peu habile, de présenter ses propos de manière crédible ou encore, le cas échéant, de se débrouiller 
pour faire allusion à quelqu’un sans jamais le nommer (ce qui permet d’être hors du champ de la loi 
sur la diffamation, même si la personne en question se reconnaît dans ces propos). Et ce, d’autant 
que la désinformation n’est un délit qu’en matière boursière. La désinformation sur une entreprise 
ou  un  produit,  venue  de  nulle  part  (c’est‐à‐dire  formulée  via  un  faux  profil)  ne  peut  pas  être 
contrôlée. 
Le  e‐lobbying  bouleverse  profondément  les  canaux  de  l’influence  traditionnelle :  l’absence  de 
traçabilité des émetteurs d’informations, à laquelle s’ajoute l’absence de contrôle de la véracité de 
l’information,  donc  de  sa  qualité  rend  bel  et  bien  l’activité  potentiellement  dangereuse  et 
nécessite, à minima d’être prêt à la riposte.  
 Un cas exemplaire : le procès de l’huile de palme  
Des ONG environnementales et sociétales se sont mobilisées contre la déforestation dans les pays 
exportateurs  d’huile  de  palme,  arguant  que  cette  catastrophe  écologique  se  doublait  d’un  risque 
accru  de  dépendance  commerciale  de  ces  pays.  Plutôt  que  d’attaquer  les  pays  concernés,  soit 
qu’elles  les  appréhendaient  comme  des  victimes,  soit  qu’elles  étaient  conscientes  de  leur  peu 
d’influence, notamment lorsque le pays n’est pas une démocratie moderne,  elles ont fait le choix 
d’attaquer les entreprises consommatrices d’huile de palme, au premier rang desquelles Ferrero. Ces 
ONG  ont  utilisé  la  blogosphère  (Facebook,  blogs,  etc.)  pour  créer  du  buzz  sur  l’huile  de  palme, 
composant  tiré  du  palmier  qui  pompe  l’eau  des  autres  espèces  d’arbres  et  entraîne  une 
déforestation  en  Indonésie,  pays  dont  l’économie  est  de  plus  en  plus  fragilisée.  Une  chaîne  de 
diffusion  s’est  alors  mise  en  place,  relayée  par  les  médias  traditionnels  –  qui,  pour  la  plupart,  se 
contentent de reprendre textuellement les propos véhiculés sur la blogosphère sans les vérifier. Ces 
actions ont fini par interpeller les décideurs, tant et si bien qu’un député français a proposé, dans le 
cadre de l’exercice budgétaire de 2014, de taxer l’huile de palme à 200 %. Outre qu’elle apporterait 
quelques  subsides  complémentaires  à  l’Etat,  cette  taxe  sanction  visait  à  inciter  les  entreprises 
consommatrices à se tourner vers des produits subsidiaires.  
13/14 
De son côté, le groupe a alors organisé une contre‐action à deux niveaux. N’étant absolument pas 
outillé en interne, le groupe a fait appel à la fois à un cabinet de consultants en lobbying et à un 
cabinet d’intelligence économique afin d’utiliser les mêmes « armes » que celle du e‐lobbying des 
ONG. En l’occurrence, il a notamment été créé des pages Facebook dans le monde entier (le Nutella 
étant  un  produit  de  notoriété  mondiale)  afin  d’alerter  les  consommateurs  de  Nutella:  Ferrero  a 
déclaré que seule l’huile de palme procurait au Nutella sa texture si particulière. Et de les inciter à 
liker le produit, dans le cadre d’une campagne intitulée « Touche pas à mon Nutella ! ». Ce faisant, il 
s’agissait de déstabiliser l’opinion publique des consommateurs et de donner moins de poids aux 
arguments des ONG environnementales. Ferrero a d’ailleurs su créer un conflit d’intérêts entre les 
défenseurs de l’environnement et les consommateurs – qui marchent pourtant le plus souvent de 
concert.  La  campagne  de  e‐lobbying  initiale  a  cependant  eu  l’effet  escompté,du  moins  en  partie, 
puisque le groupe a déclaré revoir sa politique d’approvisionnement d’huile de palme d’ici deux à 
cinq ans. Finalement, Ferrero s’est engagé à ne s’approvisionner qu’en huile de palme durable et 
traçable. 
 Un cas plus complexe : le gaz de schiste. Economie/écologie, qui gagne ?  
Ce dossier a été rapidement évoqué précédemment en ce qui concerne la France avec le cas de Total 
et  ses  contrats  d’exploration  mis  à  mal  après  une  campagne  dure  de  e‐lobbying.  Depuis  lors,  le 
champ de l’opinion s’est largement étendu à l’Europe et l’opinion interpelle et résiste aux dirigeants. 
De  fait,  entre  le  Royaume‐Uni,  l’Espagne,  la  Pologne  et  la  France,  tous  quatre  concernés  par  la 
question de l’exploitation du gaz de schiste, on décèle quatre positions différentes. A vrai dire, le 
champ  environnemental  relevant  d’une  compétence  européenne,  il  revenait  à  la  Commission 
européenne  de  travailler  à  une  possible  directive  ou  recommandation  sur  les  conditions  dans 
lesquelles le gaz de schiste serait ou non exploité en Europe. Pourtant, elle s’est défaussée sur les 
Etats,  invoquant  le  principe  de  subsidiarité.  A  l’heure  actuelle,  même  dans  un  pays  plutôt  pour 
l’exploitation de cette énergie comme la Pologne, la population alertée sur la toile se mobilise et 
déstabilise  la  décision  d’Etat.  Voir  à  ce  sujet,  l’ouvrage  de  José  Bové3
  ‐  subjectif,  mais  très 
intéressant‐ sur la manière dont le dossier du gaz de schiste a été porté en pratiquant du e‐lobbying4
, 
du  lobbying  plus  classique  et  en  mobilisant  des  ONG  en  Pologne  pour  casser  le  projet  du 
Gouvernement. Autrement dit une opinion mobilisée peut gagner et le e‐lobbying parvient à sortir 
des frontières nationales.  
 Le cas novateur de la BD virale sur le chalutage profond  
Autre exemple édifiant, qui savait, avant la bande dessinée virale de Pénélope Bagieu5
, qu’il existait 
un  chalutage  profond  et  que  des  chalutiers  mettaient  en  danger  des  espèces  en  disparition  en 
raclant le sol de la mer ? Pas moi! Mais depuis, je l’ai appris. Cette bande dessinée a été réalisée pour 
aider les écologistes qui ne parvenaient pas à mobiliser l’opinion publique sur ce sujet. Dit‐elle vrai ? 
A l’extrême limite, et c’est une juriste qui parle, peu importe, car le résultat est là. A l’instar de ce qui 
s’est produit dans le cas de l’huile de palme, les enseignes de grande distribution qui achetaient ses 
poissons  aux  pêcheurs  pratiquant  le  chalutage  profond  ont  pris  l’engagement  de  changer  leurs 
                                                       
3
 José BOVÉ, Hold‐up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe, La Découverte, février 2014 
4
 e‐lobbying –gaz de schiste‐ exemples: 
http://www.youtube.com/watch?v=OPOWHjl9flY&app=desktop 
http://www.youtube.com/watch?v=mpiSjz180jE 
http://www.youtube.com/watch?v=cnAQxtSxfis 
http://www.youtube.com/watch?v=XbHB4ElLJCc 
http://www.youtube.com/watch?v=Z2wDywDqf6o 
http://www.youtube.com/watch?v=Jba5Bx3Xh10 
5
 http://www.penelope‐jolicoeur.com/2013/11/prends‐cinq‐minutes‐et‐signe‐copain‐.html 
14/14 
pratiques, soucieux d’une atteinte à leur réputation qui détournerait les consommateurs alertés de 
leurs magasins. 
Ce qui se passe sur la blogosphère en matière de lobbying est un véritable changement de champ et 
de méthode d’influence. Cette nouvelle pratique n’est pas exempte de dangers. Son développement 
mérite  d’être  suivi  avec  attention,  d’une  part  au  regard  des  enjeux  démocratiques  qu’elle  pose, 
d’autre part au regard des enjeux économiques. On atteint ici un degré supérieur de complexité de 
l’influence, car elle est de plus en indirecte et met en jeu de manière, plus évidente qu’avant, un 
enjeu  de  réputation  pour  une  entreprise,  un  produit  ou  une  personne,  notamment  élue  ou 
naturellement exposée de par son activité.  

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CHAIRE ESSEC Complexite Edgar Morin - Du lobbying au E-lobbying

  • 1. 1/14  Mise en boîte de la complexité  Viviane de Beaufort  Du lobbying au e‐lobbying    Tandis  qu’en  France,  une  reconnaissance  encore  très  récente  de  l’activité  complexe  du  lobbying  intervient,  la  montée  en  puissance  du  e‐lobbying  (activité  pour  le  moins  « hypra »  complexe)  déstabilise déjà les règles du jeu posées. Le e‐lobbying surfe sur le développement du Web et offre de  nombreux  outils  pour  élargir  un  champ  d’influence.  Il  permet  à  la  société  civile  de  s’« inviter  à  la  table » des décideurs – y compris en s’affranchissant des frontières géographiques et avec une vitesse  impressionnante.  Or,  si  il  est  possible  de  fixer  à  peu  près  les  règles  et  conditions  d’un  lobbying  professionnel,  éthique  et  transparent,  à  l’instar  de  ce  qui  est  fait  au  Canada  et  tenté  en  France  désormais, la régulation de la blogosphère s’avère terriblement complexe. Contrôler le champ et les  flux du Web est quasi impossible. Dans ce contexte, le e‐lobbying est une opportunité non exempte de  dangers. Ces nouvelles pratiques d’influence constituent elles un outil de promotion ou une déviance  de la démocratie1  ?  Propos introductif  La Chaire de la complexité Egard Morin  En raison de la tradition d’innovation mais aussi d’individualité de l’Essec, le professeur a tendance à  gérer sa propre activité et sa propre complexité de son côté. En l’occurrence, c’est quasi la première  fois  qu’un  projet,  celui  de  la  Chaire  de  la  complexité  Edgar  Morin,  invite  à  co‐construction.   Laurent Bibard,  collègue  de  longue  date,  m’a  proposé  d’y  participer  et  il  m’a  semblé  naturel  de  mobiliser un peu d’énergie et de temps pour participer à ce projet collaboratif extraordinairement  intéressant et d’une brûlante actualité : la gestion de la complexité est devenue une constante de  notre vie.  Quant au thème choisi, au terme de longs' échanges avec Laurent Bibard et Léa Peersman, il nous est  apparu intéressant de traiter, parmi d’autres thèmes possibles, des nouveaux champs du lobbying,  d’autant que je finalise un ouvrage collectif sur le sujet. En raison de son caractère transverse, ce  domaine de recherche encore neuf s’insère parfaitement dans une problématique de complexité. Ne  serait‐ce que parce qu’il est déjà complexe en lui‐même. Dresser un état des lieux de la pratique du  lobbying et en présenter une vision prospective intégrant la nouvelle dimension liée à l’influence sur  la blogosphère – que j’appelle « e‐lobbying » – constitueront le cœur de cette présentation.   Je  participerai  également  à  d’autres  activités  de  la  Chaire  sur  des  sujets  auxquels  je  suis  très  attachée, notamment la mixité et l’accès des femmes aux espaces de pouvoir. Il faut le souligner,  cette Chaire a le mérite de générer un « déclic » de plusieurs professeurs. Cette démarche permettra  peut‐être d’articuler différemment des champs de recherche jusqu’ici organisés en disciplines.  La complexité me parle. Je suis quelqu’un d’éminemment complexe, peut‐ être ne serait‐ce que du  fait de mes origines diverses et de mes expériences dans divers milieux et espaces professionnels ?!  Je  développe,  parfois  avec  difficulté  en  termes  d’agenda  et  de  fatigue,  mais  toujours  avec  engagement,  de  nombreuses  activités.  Elles  peuvent  parfois  paraître  sans  lien  les  unes  avec  les  autres, mais pour moi elles sont en cohérence – ne serait‐ce que parce qu’elles font partie de moi, de                                                          1  On se reportera à l’ouvrage collectif dirigé par V. de BEAUFORT, Evolution des outils et des stratégies du  lobbying, à paraître chez Larcier, coll. CEDE‐DMS. 
  • 2. 2/14  mon engagement à diverses facettes. Complexité des sujets, des milieux d’interaction, des manières  de faire, des champs (de recherche, pédagogiques, d’accompagnement des étudiants, de coaching  d’entrepreneures),  intervention  du  domaine  des  relations  publiques,  incursion  dans  les  medias  et  même activités de lobbying à Bruxelles… Cette diversité complexe constitue un fil d’Ariane que je  tire,  fonctionnant  par  opportunité  au  sein  de  réseaux  multiples,  avec  un  « moto »  qui  donne  cohérence à la construction : la quête de sens. La vie d’aujourd’hui consiste à être multiple en un !  Parcours  construit  pierre  à  pierre.  La  différence  avec  d’autres  vient  peut‐être  du  fait  que  je  n’ai  jamais ôté une pierre pour en mettre une autre : j’ai mis du ciment et j’ai continué à construire mon  mur. Voilà pourquoi cette chaire sur la complexité me parle tant. Y participer est une bonne manière  d’aborder la vie en général, mais aussi nos relations aux autres, qui nous sommes, la façon dont nous  travaillons et dont nos étudiants devront travailler – étant entendu qu’in fine, ce sont plutôt eux qui  auront des leçons à nous donner en la matière.  Lobbying et e‐lobbying  Le  lobbying  à  échelle  européenne,  c’est  un  peu  ma  première  vie  professionnelle.  J’ai  très  jeune,  pendant quelques années, occupé la sphère « bruxelloise »  avec différentes postures, dont celle de  responsable des  affaires institutionnelles – autrement dit, pour faire simple, de lobbyiste. Depuis, je  continue à porter des expertises pro‐bono à Bruxelles et Paris, comme académique engagée, sur des  thèmes liés au Droit comme outil de compétitivité de l’Union européenne et de la France.  Le Centre  européen de Droit et d’Economie est, de fait, un think tank enregistré comme tel sur le registre des  représentants d’intérêts.  Aujourd’hui, y compris en France et dans les pays latins, le terme de « lobbying » n’est plus un gros  mot, mais demeure connoté. Paradoxalement, alors même que ce dernier vient de faire son entrée  dans les enceintes sacrées de l’Assemblée nationale et du Sénat2 , la complexité de la vie fait que  nous  observons  déjà  une  nouvelle  pratique,  nommée  tout  à  tour  « e‐lobbying »  ou  « cyber‐ lobbying ».  Le  e‐lobbying  permettra  peut‐être,  à  certaines  conditions  que  nous  aborderons  ensemble, à la société civile de s’inviter à la table des décideurs, même lorsque ceux‐ci ne l’auront  pas prévu, de les interpeler et, parfois, de déstabiliser des décisions qui auraient pu être prises dans  le cadre plus normé, feutré et élitiste du lobbying classique. Cadre dans lequel les décideurs (élus,  membres du Gouvernement, politiques, hauts fonctionnaires nationaux et européens, membres de  cabinets, etc.) avaient l’habitude de côtoyer des experts, les lobbyistes chargés de porter des sujets  de  manière étayée.  Nous passons en effet d’un champ caractérisé par une certaine rationalité, c’est‐à‐dire structuré, à  la fois quant aux acteurs et aux arguments, un champ dans lequel il faut identifier les décideurs, les  argumentations,  et  la  stratégie  à  élaborer  dans  le  cadre  d’un  planning  bien  défini,  à  un  champ  éclaté, émotionnel, no traçable : celui du e‐lobbying. Ce dernier utilise les moyens de contact et  d’influence du Web (blogs, pétitions, réseaux sociaux tels Facebook ou twitter, etc.) pour créer une  opinion  qui,  si  elle  est  bien  portée,  finit  par  être  officiellement  relayée  par  des  médias  plus  classiques et interpeller les décideurs. Ceux‐ci se retrouvent face à une rumeur qui se répand à la  vitesse  de  la  lumière.  Cette  dernière  peut  être  infondée,  mais  elle  pèse  ne  serait‐ce  que  parce  qu’elle se diffuse. Les décideurs, élus donc redevables à l’égard de la société civile, ne peuvent pas ne  pas prendre en compte cette « ombre au tableau », parfois totalement imprévue, dès lors qu’elle  émane ou est portée par des électeurs ou des consommateurs. A cet égard, une action de e‐lobbying  peut entraîner la modification significative de décisions, des textes de loi ou de politiques, là où le  lobbying classique a échoué.  Au final, nous passons d’une activité déjà hyper complexe à une activité « hypra complexe ».                                                           2  Cf. réglementation d’octobre 2013. 
  • 3. 3/14  Le cœur de l’interpellation relative au passage du lobbying au e‐lobbying est le suivant.   Favorise‐t‐il la démocratie ?  Autrement dit, le e‐lobbying est‐il un nouvel outil de démocratie, puisqu’il permet à la  société  civile,  qui  a  de  toute  évidence  moins  de  moyens  et  qui  est  moins  structurée  qu’une grande entreprise, de s’inviter à la table des décideurs et développe la dimension  participative  de  la  démocratie  –  dimension  encore  insuffisamment  partagée  en  France  mais qui l’est davantage à « Bruxelles » ?   Ou bien constitue‐t‐il une déviance de la démocratie ?  Autrement dit, les conditions dans lesquelles les outils du Web sont utilisés, le caractère  émotionnel  que  peut  porter  un  message  sur  la  blogosphère,  la  non  traçabilité  des  messages  mettent‐ils  en  danger  la  démocratie,  dès  lors  que  les  décisions  ne  sont  plus  nécessairement prises au regard de l’intérêt général dûment pesé et arbitré, mais avec  une dimension plus subjective ?  La réponse n’est évidemment pas binaire. Tout dépend des conditions dans lesquelles le lobbying se  pratique. En outre, seuls certains champs peuvent être régulés. Il nous faut alors vivre avec la zone  de risques créée par cette nouvelle opportunité.  Le lobbying et les différents niveaux de complexité à appréhender   Quatre niveaux de complexité peuvent être distingués, dans le lobbying classique (un lobbying plutôt  argumentatif, qui se pratique face à des décideurs à peu près identifiés, en fonction de plannings  imposés par l’agenda public, celui de l’Assemblée nationale ou de la Commission européenne, etc) :   la complexité de sa définition (notamment en France) ;   la complexité de sa pratique, tant cette activité est transversale et exige de jouer à différents  niveaux ;   la complexité de l’interpellation sur la démocratie (des problèmes d’éthique et de conflits  d’intérêts  pouvant  se  poser  au  regard  des  méthodes  employées,  notamment  lorsque  l’on  passe du lobbying argumentatif à un lobbying plus proche du trafic d’influence) ;   la complexité du caractère plus ou moins adapté et suffisant des règles.  Certes,  sérier  l’ensemble  de  ces  éléments  ne  permet  pas  de  résoudre  la  complexité.  Mais  cela  permet de dessiner un cadre et de distinguer les  leviers d’un fonctionnement à la fois correct  et  éthique.  Il  est  ensuite  possible  d’élargir  le  travail  au  e‐lobbying,  en  distinguant  là  encore  quatre  niveaux de complexité :   la complexité de sa définition ;   la complexité de sa pratique ;   la complexité des éventuels problèmes éthiques qu’il pose ;   la complexité de la régulation de cette activité. 
  • 4. 4/14  Du lobbying au e‐lobbying : expliquer pour appréhender la complexité  Tentative de cadrage du contexte et éléments de définition   Définir   S’il existe plusieurs définitions du lobbying, il en est une qui semble particulièrement adaptée à la  France, où le lobbying est encore connoté : « le lobbying est la promotion d’un intérêt privé, partiel  ou catégoriel auprès des instances décisionnaires », quelles qu’elles soient (étant entendu que le  lobbying s’exerce du niveau micro local jusqu’au niveau mondial).  Cette  définition  met  immédiatement  en  tension  –  donc  crée  la  complexité  –  l’articulation  entre  l’intérêt  général  et  l’intérêt  partiel,  simplement  parce  qu’elle  touche  à  l’idée  qu’il  existe  soit  une  articulation vertueuse (pour qui sait gérer la complexité), soit une confrontation d’intérêts.   Qualifier   En France, le mot « lobbying » n’est pas conceptualisé. La preuve en est que nous n’avons pas su le  traduire, le terme le plus approchant étant sans doute « exercice d’influence ». Et pourtant, ce mot  est utilisé en permanence : « La France a fait son lobbying dans les négociations sur le TTIP pour avoir  l’exception culturelle », par exemple. C’est un peu gênant, dans la mesure où en l’occurrence, l’Etat  ne fait qu’exercer son pouvoir souverain et diplomatique.  Utiliser le mot « lobbying » impose de le qualifier :   lobbying diplomatique (pratique des Etats) ;   lobbying juridique (négociations de fusions entre entreprises, par exemple, dans le cadre des  règlements européens) ;   lobbying de communication ;   lobbying financier ou de projet (recherche de fonds) ;   lobbying normatif ou décisionnel (véritable définition du lobbying).  Ce  dernier  est  un  exercice  d’influence,  qui  vise  soit  à  pousser  l’élaboration  d’un  texte,  soit  à  empêcher  sa  finalisation,  soit  à  modifier  son  contenu.  C’est  là  qu’intervient  une  multiplicité  d’acteurs, suivant un planning très précis dès lors qu’ils subissent les « cours de récréation » dans  lesquelles ils jouent. Il convient donc de les anticiper, afin d’intervenir au bon moment. Cet exercice  est relativement cadré, même s’il est ouvert.   Pratiquer   En pratique, trois phases peuvent être identifiées – plus ou moins importantes suivant les dossiers,  mais  auxquelles  il  n’est  pas  possible  de  déroger  si  l’on  veut  faire  du  lobbying  de  manière  professionnelle.   Repérer l’objet du lobbying  Via  une  veille  régulière,  afin  de  capter  un  éventuel  projet  qui  affecte  nos  intérêts  puis  le  moment opportun, « Momentum », pour agir avant l’adoption ou la modification du texte ou  de la décision qui porte atteinte à nos intérêts, notre engagement (ou au contraire les porte).  Il  faut  ici  fixer  l’objectif  à  atteindre :  encourager,  empêcher,  modifier  un  texte  ou  une  politique… Avec l’anticipation d’un objectif idéal, d’un compromis acceptable et de la ligne  rouge à ne pas accepter.  
  • 5. 5/14   Un  exemple  sensible :  du  fait  d’une  veille  active  et  de  contacts  en  réseau,  j’ai  été  alertée il y a quelques mois de l’existence d’une proposition de loi à l’Assemblée  nationale visant à créer un devoir de loyauté des sociétés mères à l’égard des filiales  et de l’ensemble de leurs sous‐traitants sur un périmètre mondial qui pourrait créer  une  présomption  automatique  de  responsabilité  en  cas  de  dommage  écologique,  environnemental, social ou sociétal. J’ai souhaité réagir. Le texte tel qu’il est rédigé  crée une quasi présomption de culpabilité à la charge des sociétés de tête de groupe  et  incitera  celles‐ci  soit  à  limiter  leur  présence  dans  les  zones  à  risque  mais  porteuses  (pays  émergents),  faussant  leurs  atouts  compétitifs,  soit  carrément  à  réfléchir  à  délocaliser  leur  siège  de  France.  A  priori,  le  Gouvernement  devrait  soutenir  cette  proposition,  car  elle  est  portée  par  le  groupe  socialiste.  L’objectif  poursuivi est donc d’éviter l’adoption d’un tel texte. En effet, au‐delà d’un objectif  qui  peut  paraître  louable,  à  savoir  responsabiliser  les  acteurs  économiques  en  matière de RSE, ce texte mal rédigé s’égare sur le terrain de la morale et crée en  droit une responsabilité beaucoup trop large et mal maîtrisée. Il s’agit aussi d’inciter  Bercy, donc le Gouvernement, à prendre conscience du risque considérable que ce  texte peut créer en termes d’attractivité du territoire français. Si le Gouvernement,  à son tour convaincu par des arguments experts, parvient à convaincre la députée  socialiste  auteure  du  texte  de  ne  pas  le  proposer,  le  jeu  sur  les  deux  tableaux  – Assemblée nationale et gouvernement – aura payé !   Préparer son intervention  En identifiant les agents de pouvoir concernés par le domaine considéré (casting), mais aussi  les  « idées  dans  l’air »,  les  manifestations,  le  processus  de  décision  relevant,  le  timing  (là  encore  via  une  veille  active)  et  les  alliances  possibles :  dans  le  lobbying,  il  y  a  aussi  de  la  tactique.   Dans l’exemple ci‐dessus, les agents de pouvoir identifiés sont les députés socialistes  qui envisagent de porter une proposition de loi, versus Bercy à qui il faut proposer  une  contre‐proposition  raisonnable.  Par  ailleurs,  afin  d’identifier  les  « idées  dans  l’air »,  il  peut  être  utile  d’échanger  avec  les  acteurs  économiques :  Medef,  AFEP,  fédérations professionnelles, etc. Interagir avec les services juridiques des grandes  entreprises  qui  attendent  du  monde  académique  qu’il  prenne  la  parole,  dans  la  mesure  où  eux‐mêmes  ne  sont  pas  audibles,  compte  tenu  des  intérêts  qu’ils  portent. En échange de quoi, ils faciliteront la tâche du lobbyiste en élaborant une  analyse  juridique  précise  et  en  apportant  des  arguments.  Quant  aux  alliances  stratégiques possibles, question cruciale car il s’agit de peser : une association  avec  un cabinet d’avocats ayant pignon sur rue pour vérifier l’argumentation technique,   un média pour porter l’idée semble être le bon « ticket ». Il faut enfin faire porter la  thèse défendue par un élu ou un groupe d’élus.   Intervenir  En répondant aux consultations (argumentaire, documents), en repérant les acteurs, en les  contactant voire en les invitant à un événement, en produisant un article ou une étude.   Dans  l’exemple  ci‐avant,  j’avais  déjà  préparé  un  article  assez  long  et  complet  de  60 pages définissant la notion de groupe et évoquant le cas de la mise en cause de la  responsabilité  de  la  société  mère,  en  droit  comparé,  afin  de  « benchmarker ».  Utilisant  des  travaux  académiques,  menés  de  longue  date,  et  forte  de  contacts  forgés à Bruxelles, auprès de l’unité Droit des sociétés de la DG Marché Intérieur  (chargée d’harmoniser les réglementations de droit des affaires), j’ai tenté d’inciter  l’adoption  d’un  texte  définissant  au  niveau  européen  les  notions  de  droit  des 
  • 6. 6/14  groupes  et  de  responsabilité  des  maisons  mères,  malgré  la  complexité  de  la  démarche  plusieurs  fois  repoussée  ces  dernières  années.  S’il  a  été  possible  de  mener une action en urgence sur la proposition de loi en France, c’est  qu’un travail  de  fond  a  été  effectué  bien  avant  afin  de  procurer  l’expertise.  Car  si  une  intervention peut être rapide, si elle ne repose pas sur une thèse solide, elle n’aura  aucune chance d’influencer le processus décisionnel.     Ainsi,  la  pratique  du  lobbying  est  une  activité  de  longue  haleine,  sérieuse,  professionnelle,  qui  implique d’agir en amont, de faire une veille, d’identifier les projets, de préparer son intervention à  la fois en termes de contenu et vis‐à‐vis des cibles, qui requiert d’identifier qui sont les alliés et les  adversaires, qui l’on pourrait convaincre car il est plutôt neutre – parce qu’avoir raison seul est un  excellent moyen d’avoir tort…  Le lobbying est une activité complexe et transversale qui oblige à mobiliser à la fois des expertises  juridiques, une connaissance des institutions, une compréhension des cultures, le sens  des relations  publiques,  mais  aussi  un  certain  sens  de  l’opportunité  ou  du  Momentum,  donc  une  approche  de  stratège.  Lobbying et ancrage dans une culture institutionnelle (intérêt général/intérêt privé)  S’il est une réalité à propos d’ancrage culturel, c’est que la France est très marquée par le mythe de  l’intérêt général, formalisé à l’époque par les écrits de Rousseau. L’intérêt général constitue l’ADN du  système  institutionnel  français  et  dès  lors,  notre  pays  a  un  problème  de  fond  avec  l’activité  de  lobbying.    Ainsi,  la  Constitution  de  1958  instaure  une  Vème  République  fondée  sur  une  démocratie  représentative reposant essentiellement sur un système d’élections directes (SUD du Président, des  députés,  des  maires,  etc).  Elle  encadre  strictement  les  possibilités  d’intervention  des  corps  intermédiaires  dans  la  décision  (excepté  par  voie  de  référendum  gérée  par  le  président  de  la  République).  Nous  avons  hérité  de  la  méfiance  des  corporatismes  et  aujourd’hui  encore,  une  certaine verticalité du pouvoir demeure à tous les échelons des décisions : un seul élu ou nommé,  légitimé, va décider au nom de l’intérêt général. slide 8  La conception anglo‐saxonne de l’intérêt général, décrite par Tocqueville, est donc en opposition à  la nôtre, puisqu’elle approche l’intérêt général comme la somme des intérêts privés. Dès lors, dans  les pays anglo‐saxons, le lobbying est une activité non seulement normale mais souhaitable, voire un  devoir  de  la  société  civile  (voir  la  constitution  des  Etats‐Unis).  Tandis  qu’en  France  (en  dépit  de  quelques  progrès)  et  plus  globalement  dans  les  pays  latins,  le  lobbying  est  une  activité  soupçonnable par essence, puisqu’il est l’expression de l’intérêt privé face à l’intérêt général. Cela  explique que l’élaboration d’un statut du lobbying et sa régulation interviennent si tardivement. Or,  l’activité  d’influence  existe  forcément  dans  une  société  donnée,  non  régulée  elle  risque  de  se  pratiquer  sans  transparence,  sans  règle  sur  les  conflits  d’intérêt,  bref…  sous  la  table.  Autant  d’éléments qui alimentent l’idée que l’activité est perfide, donc qu’il faut la supprimer. Cercle vicieux  qui ne permet pas d’aborder cette réalité dans l’ensemble de sa complexité en adoptant un point de  vue binaire totalement en décalage avec la réalité. Le lobbying est soupçonnable donc à éradiquer !  C’est non seulement impossible, mais dénué de sens. Approchée comme une activité qui permet aux  acteurs  économiques  et  de  la  société  civile  de  participer  au  processus  de  décision,  l’activité  de  lobbying ou de « public affairs » sert la démocratie.       Brefs éléments de comparaison 
  • 7. 7/14  A propos de régulation de l‘activité de lobbying, on s’accordera à dire que la pratique canadienne est  à coup sûr la plus sophistiquée. C’est d’ailleurs vers elle que semble tendre l’Union européenne, dont  la réglementation plus souple a été mise à mal par plusieurs scandales lors de la dernière mandature  et par l’arrivée de nouveaux Etats, encore mal à l’aise avec la pratique d’un lobbying ouvert à l’anglo‐ saxonne, tels la Roumanie ou Malte. Des soupçons ont en effet suffisamment défrayé la chronique  pour que l’Europe se pose la question d’une réglementation plus musclée.  Au Canada, les choses sont claires : le lobbying est une activité normale, souhaitable et à intégrer  dans le processus décisionnel. Cela implique de la réglementer (par la loi) et pas uniquement de la  réguler (par la soft law et les codes éthiques). En l’occurrence, une loi existe de longue date et a été  remaniée à plusieurs reprises, à l’aune de la pratique. Elle pose les principes suivants :    le lobbying est une activité qui doit se faire en toute transparence;   les lobbyistes, (définition est large: est lobbyiste celui qui fait du lobbying, même si ce n’est  qu’une  fois  dans  sa  vie  ou  un  académique  qui  tente  d’influencer  un  décideur  sans  être  rémunéré), doivent obligatoirement s’inscrire sur un registre des représentants d’intérêts en  précisant leurs centres d’intérêt, la façon dont ils travaillent, le lieux où ils exercent et les  moyens financiers qu’ils utilisent. Ce registre est en open data, très lisible ;   Le  même  type  de  registre  existe  à  Bruxelles  et  France,  mais  l’inscription  y  est  volontaire.   le  lobbyiste  qui  s’est  enregistré  doit  adhérer  à  un  code  de  déontologie,  élaboré  par  un  commissaire au lobbying, personnalité indépendante nommée par le Gouvernement et qui  dispose  de  moyens  pour  faire  des  enquêtes,  répondre  à  des  plaintes  et  sanctionner  les  lobbyistes (jusqu’à l’interdiction d’accès aux décideurs).  En outre, contrairement à ce qui s’observe aux Etats‐Unis, le Canada a également adopté une loi sur  le financement des partis. De fait, si l’on est élu grâce au sponsoring du lobbying des armes, comme  aux Etats‐Unis, il s’avère par la suite quelque peu complexe  de légiférer pour limiter le commerce  des armes et, l’on a pu constater plus d’une fois hélas, les résultats terribles de cette incapacité à  sauter le pas. En l’occurrence, dans ce pays, le lobbying des armes a pris la précaution « d’arroser »  des deux côtés.  La réglementation doit répondre à deux questions essentielles :   comment les lobbyistes doivent‐ils se comporter ?   comment les décideurs (c’est‐à‐dire les élus) doivent‐ils se comporter ?  Et ce, en abordant les notions d’éventuels conflits d’intérêts, dépendance à l’égard de financeurs ou  de copains de promotion, etc.   Dans ce domaine, la France n’est pas un modèle du genre ! Le talon d’Achille de la France provient,  comme  cela  a  été  évoqué,  du  fait  que  le  lobbying  n’est  pas  complètement  reconnu,  même  s’il  commence à l’être, de l’idéologie de l’intérêt général, mais aussi d’une tradition d’expertise et des  relations particulières (tradition du pantouflage) qu’entretiennent les grands corps et les dirigeants  avec  l’Etat.  En  résumé,  la  méfiance  historique  des  Français  envers  le  lobbying  s’explique  par  une  complexité conceptuelle  vis‐à‐vis de la notion de légitimité,  mais aussi par la complexité liée à la  tradition des grands corps et du carnet d’adresses (cooptation, copinage) – qui fait qu’un lobbying  transparent et ouvert à tous n’arrange pas tout le monde. Dans ce contexte, le lobbying est perçu  comme une déviance de la démocratie et prête à des dysfonctionnements.  De l’éthique et de la nécessité d’une régulation (jusqu’où, comment ? Pratiques comparées)  
  • 8. 8/14   Créer la transparence  Plusieurs conditions sont requises pour un lobbying éthique, professionnel et argumenté :   créer de la transparence ;   favoriser un jeu ouvert (tout le monde doit avoir accès au lobbying) ;   accepter de délibérer, ce qui impose d’accepter la confrontation, qui ne doit pas être vécue  comme une atteinte à son pouvoir égotique : on discute, on élabore, on accepte que l’autre  ait une idée différente voire une meilleure idée. En d’autres termes, on co‐construit.   Prendre en compte l’intérêt général  Il  importe  de  toujours  avoir  en  tête,  lorsqu’on  porte  un  intérêt  privé,  que  ce  dernier  doit  être  acceptable par rapport à l’intérêt général.   Par exemple, l’intérêt de Total, est de pouvoir explorer certains sols français où pourrait se  trouver du gaz de schiste exploitable. C’est un intérêt économique clair. Si Total l’exprime  sous cette forme, il en fait un intérêt privé sans rapport avec l’intérêt général. A priori, ce  groupe sera donc en position défensive et peinera à faire passer son option, d’autant qu’à  l’heure actuelle les débats font rage sur cette question, puisque nous avons été interpellés  sur la dimension écologique par les réseaux sociaux (voir ci‐après les développements du e‐ lobbying). En revanche, si l’entreprise parvient à faire passer l’idée que sa problématique –  qui  reste  privée  et  économique  –  s’intègre  dans  une  problématique  d’intérêt  général  (permettre à la France et à l’Europe d’assurer l’indépendance énergétique), le résultat de  l’arbitrage  devient  potentiellement  différent.  Pour  ce  faire,  Total  peut  relier  l’intérêt  économique  de  la  France  et  les  perspectives  liées  à  la  crise  politique  (qu’elle  n’a  pas  provoqué)  en  Ukraine.  La  peur  diffuse  de  l’opinion  publique  quant  à  la  dépendance  de  l’Europe vis‐à‐vis du gaz russe devient un facteur qui peut changer la donne en mettant en  convergence  l’intérêt économique de Total et l’intérêt général du pays et de sa population  à disposer de sources d’énergie alternatives.    Parvenir  à  faire  converger  un  intérêt  privé  et  l’articuler  avec  l’intérêt  général  renforce  la  probabilité de faire passer son dossier.   Partager l’information  Les  Français  ne  savent  pas  partager  l’information.  Même  si  c’est  moins  le  cas  des  nouvelles  générations, ils considèrent encore que détenir l’information, c’est détenir le pouvoir. Pourtant, le  partage de l’information constitue une force, celle de la persuasion. La construction de réseaux et le  partage de l’information est une donnée évidente et fondamentale de ma démarche d’influence au  sens large ; j’utilise tous les moyens à disposition pour effectuer ce partage, notamment les réseaux  sociaux qui amplifient la diffusion. Plus des idées et expertises sont diffusées, plus elles sont portées,  plus  elles  sont  partagées,  plus  on  crée  une  opinion  –  et  donc  plus  on  influence.  En  France,  cette  conception  ouverte  et  compétitive  est  encore  difficile  à  faire  passer  dans  les  grands  corps,  les  entreprises, les partis politiques, les syndicats. C’est regrettable et cela cantonne souvent notre pays  à des prises de position en lobbying défensif et tardif.   Réglementation ou régulation ?  L’OCDE a été amenée à fixer les conditions théoriques d’un lobbying vertueux et éthique, au service  de la démocratie. Les conditions listées relèvent clairement du simple bon sens :    élaborer un cadre efficace favorisant la transparence et la participation au processus législatif  des parties prenantes (ce qui impose de définir les termes de « lobbying » et de « lobbyiste », 
  • 9. 9/14  d’intégrer des règles dans le dispositif politique – sur les conflits d’intérêt ou sur les marchés  publics, par exemple – et des règles de gouvernance, comme le code éthique au Canada) et  garantissant un accès juste et équitable à toutes les parties prenantes ;   accroître la transparence ;   favoriser une culture d’intégrité ;   instaurer des mécanismes efficaces.  Ce processus est vertueux en ce qu’il amène à l’adoption de textes de loi plus équilibrés car mieux  fondés.  Le  lobbying  exercé  dans  ces  conditions  vertueuses  (transparence,  éthique,  apport  d’expertise) intervient comme condition d’élaboration de la loi la meilleure possible, car il permet  aux  décideurs  d’entendre  tous  les  intérêts  y  compris  divergents  pour  arbitrer  au  mieux  en  disposant de l’ensemble des données. Si en tant que décideur, vous n’entendez qu’un seul son de  cloche sur un sujet, vous serez facilement convaincu par celui‐ci et adopterez un texte en pensant,  sans doute de bonne foi, que vous faites bien. Or vous aurez occulté la « moitié du monde » et sans  doute serez‐vous passé à côté de la complexité de la question.  Revenons  au  régime  du  lobbying  européen.  La  question  aujourd’hui  posée  est  de  savoir  si  la  Commission,  soutenue  par  le  Parlement  européen  qui  a  rédigé  lors  de  la  dernière  mandature  un  rapport dans ce sens, mettra en place un registre de transparence obligatoire, de manière à ce que  quiconque fait du lobbying soit identifié de manière claire et ne puisse pas contourner le système. A  la clé, un mécanisme de plainte formalisé, voire des accréditations suspendues de manière définitive.  Pour  le  dire  autrement,  la  réglementation  européenne  existe,  mais  l’Union  européenne  n’est  pas  allée au bout de sa logique. Aujourd’hui, elle semble prête à « muscler un peu la bête » !    Etat des lieux en France   Revenons à la France. L’encadrement du lobbying y est récent. Longtemps, on n’a pas voulu savoir.  Cela a nécessairement entraîné des pratiques déviantes, mais aussi totalement inégalitaires : ce sont  toujours les mêmes qui ont accès aux décideurs, c’est‐à‐dire les puissants – soit qu’ils appartiennent  au même corps, soit qu’ils aient de l’argent. En 2009, deux réglementations distinctes, ce qui est à  regretter, ont été adoptées : l’une à l’Assemblée nationale et l’autre au Sénat. La déontologue de  l’Assemblée  nationale,  Noëlle  Lenoir,  éreinte,  dans  son  rapport,  certaines  pratiques  de  parlementaires. Et pour cause, le lobbying se fait en duo et réglementer les pratiques des lobbyistes  sans se soucier de l’éthique des pratiques des élus, c’est ne pas se donner les moyens de régler la  question  de  l’éthique  de  la  gouvernance  publique.  Les  réglementations  de  2009  prévoient  l’inscription sur un registre public, le respect d’un code de conduite, la déclaration des invitations à  l’étranger adressées aux élus, un bon début. Depuis, le 1er  octobre 2013, suite au rapport  Sirugue sur  les lobbies à l’Assemblée nationale sont abordées  – il était temps ! – les relations complexes des  lobbyistes à l’égard des élus, «clients » ou « cibles » du lobbying selon que les élus considèrent qu’il  est vertueux d’écouter les lobbyistes ou continuent à identifier qu’ils sont des victimes du lobbying  dont doivent s’en protéger.    Pour revenir sur l’exemple cité en début d’intervention, il est intéressant de préciser  que la députée socialiste qui a élaboré la proposition de loi sur le devoir de loyauté  des  entreprises  n’a  pas  répondu  à  nos  sollicitations.  A  Bruxelles,  cela  serait  inconcevable: tout député ou haut fonctionnaire sollicité vous répond. En France,  certains décideurs s’offrent ainsi le luxe de ne pas répondre aux citoyens. Cherchez  l’erreur et estimez la qualité de la démocratie à l’aune de ces attitude des élus et  dirigeants  !  A  propos  de  contacts,  les  rapports  parlementaires  doivent  désormais  faire  apparaître  les  auditions  des  représentants  d’intérêts  intervenues.  Cette 
  • 10. 10/14  obligation,  évidence  de  longue  date  dans  d’autres  pays,  rend  plus  transparent  le  processus de décision en permettant une traçabilité des influences !   Le dernier élément à évoquer quant à la réglementation sur le lobbying intervenue en France  a trait aux conditions dans lesquelles un colloque peut être organisé. Prenons un exemple : le  6 mars  dernier,  la  députée  Marie‐Jo  Zimmermann  mère  de  la  loi  sur  les  quotas  dans  les  conseils, recevait les réseaux professionnels féminins dont je fais partie,  sur le thème de la  mixité dans les conseils d’administration. Afin de respecter les règles, nous avons travaillé  durant quatre mois avec la questure, son assistante et elle‐même pour remplir les nouvelles  conditions  d’organisation  d’un  colloque  à  l’Assemblée  nationale :  pas  de  publicité,  pas  de  promotion  d’intérêts  privés,  équilibre  des  points  de  vue.  Tout  le  monde  a  la  parole,  le  colloque  est  ouvert  et  se  tient  sous  la  responsabilité  pleine  et  entière  du  député  qui  l’accueille.  Nous sommes en train de changer de monde, le citoyen plus averti réclame une démocratie plus  participative.  Si  elle  applique  vraiment  les  nouvelles  règles,  la  France  rattrapera  son  retard  en  matière de régulation du lobbying. D’autant que le Gouvernement s’engage à appliquer plus d’une  des propositions exprimées par le rapport  Jospin qui interpellent le statut des décideurs : cumulet  durée des mandats, renouvellement de ceux‐ci, déclaration des intérêts financiers des ministres, etc.  Les choses resteront complexes, c’est leur ADN de l’être, mais elles seront peut‐être un peu plus  transparentes et équilibrées. L’équilibre des forces et des points de vue, voilà bien un prisme par  lequel il est possible d’appréhender le développement du e‐lobbying.  E‐lobbying : outil ou déviance de la démocratie ?  Une nouvelle cible, l’opinion publique   L’activité  de  lobbying  classique  est,  après  cet  exposé,  à  peu  près  cadrée  dans  sa  complexité  intrinsèque. Abordons à présent un niveau supérieur de complexité de l’activité en évoquant le e‐ lobbying. Ici, la cible change, c’est celle de l’opinion publique. Le e‐lobbying est un lobbying indirect,  qui  vise  à  interpeller  l’opinion  publique  afin  qu’elle‐même  interpelle  le  décideur.  Dans  cette  démarche,  il  est  à  craindre  que  le  rationnel  soit  estompé,  car  le  e‐lobbying  utilise  souvent  l’émotionnel pour toucher le citoyen qui n’est pas un expert et réagit à l’affect. Le danger, c’est que  l’opinion  raconte  tout  et  n’importe  quoi !  Il  est  donc  fort  complexe,  voire  impossible,  de  vérifier  certaines  affirmations  d’autant  que  dans  la  blogosphère,  la  traçabilité  d’un  propos  est  loin  d’être  évidente. Il est impossible par exemple d’imaginer une seconde de créer  un registre de l’influence  sur la toile. Le e‐lobbying change considérablement la donne.  Cette nouvelle pratique est donc à la fois intéressante et dangereuse, car plus difficile à cadrer et à  réguler.  Le e‐lobbying est en fort développement ; il a notamment permis aux lobbies sociétaux, qui avaient  moins de moyens que les lobbies économiques, de rattraper leur retard en termes d’influence. les  ONG ont investi la blogosphère depuis quelques années et y pratiquent l’influence d’une manière  systématique. Faire du lobbying sur la blogosphère répond à la quadrature du cercle des moyens : il  suffit d’un peu de temps et d’être un malin. Créer un blog ne coûte pas cher et « peut rapporter  gros ». Il est donc logique que ce soit plutôt les lobbies sociétaux qui aient investi, dans un premier  temps, la blogosphère. Pour leur part, les entreprises n’ont pas toujours vu arriver cette nouvelle  forme de lobbying. Elles sont donc relativement en retard et, cet an‐ci, embauchent à tour de bras  des  responsables  de  l’e‐réputation  et  de  l’intelligence  économique  pour  assurer  une  veille  de  la  « toile » et être en mesure de réagir à la fois vite pour contrer une éventuelle action de e‐lobbying 
  • 11. 11/14  qui portent atteinte à une réputation (ou un cours de bourse en trois clics) et influence l’élu dans un  sens contraire à leurs intérêts.  Quel lobbying pour les ONG ?    ONG et intérêt général  Un raisonnement binaire, à éviter de suivre quand il est question de lobbying, consiste à considérer  que les ONG portent un intérêt général, donc pratiquent un lobbying d’intérêt général. Il convient   d’aller  plus  loin,  en  se  posant  d’une  part  la  question  de  l’indépendance  réelle  des  ONG  (cf.  les  financements  et  les  éventuelles  influences  qu’elles  peuvent  subir)  et,  d’autre  part,  celle  des  méthodes  utilisées  (la  fin  ne  justifie  pas  les  moyens).  En  pratique,  force  est  de  constater  que  certaines ONG refusent de s’inscrire sur le registre des représentants d’intérêts, à Bruxelles ou en  France. Et ce, au motif qu’elles ne font pas de lobbying, mais du « lobbying citoyen ». Là encore,  cherchez  l’erreur…  Ce  lobbying  est  qualifié  de  « citoyen »  par  ses  acteurs  mêmes.  Or  à  partir  du  moment où un acteur  exerce une influence, qu’il s’agisse de Total ou de Greenpeace, il doit être  enregistré pour être identifié comme telle. Il n’est pas exclu que ce comportement cache – cela a  d’ailleurs été identifié dans quelques cas – une problématique de transparence sur le financement et  la gouvernance de l’organisation, des relations ambiguës avec les groupes politiques et les syndicats,  et parfois même des méthodes douteuses. Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, toutes les  ONG ne sont pas pauvres. Le registre des représentants d’intérêts à Bruxelles établit que les moyens  que Greenpeace (qui a décidé de s’y inscrire) dédie à ses actions de lobbying sont dignes de ceux de  GDF Suez, puisqu’ils se chiffrent en millions d’euros. Attention, donc, aux raisonnements binaires et  aux approximations.   Examen des méthodes des ONG   Là  encore  ,gardons  tout  de  toute  approche  caricaturale.  Le  monde  de  l’associatif  est  d’une  complexité  totale  et  si  les  actions  d’influence  sont  globalement  inspirées  par  une  cause  d’intérêt  général (lobbying citoyen), il existe des contre‐exemples. Ainsi, Alain Bazot, président de l’association  de l’UFC‐Que Choisir, pratique un lobbying d’intérêt général, citoyen, juridique et transparent ; UFC‐ Que Choisir a d’ailleurs fait le choix de s’inscrire au registre des représentants d’intérêts à Bruxelles.  Le Front de libération des animaux qui poursuit, sans doute, des objectifs vertueux, a des méthodes  particulièrement agressives, parfois choquantes émotionnellement et parfois même choquantes tout  court  et  illégales  puisqu’il  est  arrivé  que  ce  mouvement  incendie  des  propriétés.  Le  cas  de  Greenpeace est intéressant à évoquer car l’ONG qui utilisait des méthodes parfois violentes a changé  ses méthodes. Ses opérations « coups de poing », certes très médiatisées finissaient par atteindre sa  réputation  et  choquer  des  citoyens  a  priori  en  faveur  de  son  combat,  qui  décidaient    de  ne  plus  compter parmi ses donateurs. Elle a donc professionnalisé ses méthodes, pour passer à des actions  de sensibilisation plus douces et normaliser ses relations avec les entreprises tout en essayant de  rester  indépendante.  Ce  changement  de  méthodes  et  la  manière  dont  Greenpeace  a  traité  cette  situation très complexe constitue un cas d’étude intéressant. Il s’est agi, pour elle, de trouver le juste  équilibre entre le fait d’être une ONG militante aux méthodes extrêmes et un risque de réputation  qui la décrédibilisait, et à moyen terme, pouvait la déstabiliser.   Des nouveaux outils   E‐lobbying, le « pactole » ? L’infinie richesse de la blogosphère provient de la multitude des outils  qu’elle offre :   pétitions 
  • 12. 12/14  diffusées sur la base de fichiers très détaillés (notamment élaborés en traçant les propos  exprimés  sur  la  blogosphère)  qui  permettent  de  ne  solliciter  qu’une  population  déjà  sensibilisée ;   blogs  utiles à condition de parvenir à créer du trafic et à être suivi ;   réseaux sociaux  Quel point  commun entre ses outils, au‐delà des différences ? Si l’on garde en tête que l’objectif  d’une présence sur la toile est l’influence, il s’agit de faire réseau pour peser et créer une opinion ou  aider  à  pousser  celle‐ci.  Cela  signifie  passer  progressivement  du  statut  de  suiveur/capteur  d’informations  à  celui  de  diffuseur  d’informations,  créateur  d’informations  puis  influenceur.  Influencer requiert d’avoir des relais, d’être suivi par la presse, les élus, d’autres influenceurs: les  « sachants » par exemple les chercheurs ou experts d’un domaine, les leaders d’opinion. Influencer,  c’est faire réseau – un réseau virtuel en l’occurrence. Tout comme dans le lobbying classique, les  alliances  stratégiques  se  retrouvent  dans  le  e‐lobbying.  Cependant,  elles  se  créent  via  le  monde  virtuel et sont tout aussi efficaces. Les mêmes dynamiques sont à l’œuvre.   Se  pose  toutefois  le  problème  du  contrôle  du  contenu.  C’est  sans  doute  avec  la  vitesse  de  propagation  des  idées,  un  des  éléments  qui  différencie  cette  activité  de  l’influence  classique.  En  effet, il est possible d’affirmer tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, à condition d’être un  peu habile, de présenter ses propos de manière crédible ou encore, le cas échéant, de se débrouiller  pour faire allusion à quelqu’un sans jamais le nommer (ce qui permet d’être hors du champ de la loi  sur la diffamation, même si la personne en question se reconnaît dans ces propos). Et ce, d’autant  que la désinformation n’est un délit qu’en matière boursière. La désinformation sur une entreprise  ou  un  produit,  venue  de  nulle  part  (c’est‐à‐dire  formulée  via  un  faux  profil)  ne  peut  pas  être  contrôlée.  Le  e‐lobbying  bouleverse  profondément  les  canaux  de  l’influence  traditionnelle :  l’absence  de  traçabilité des émetteurs d’informations, à laquelle s’ajoute l’absence de contrôle de la véracité de  l’information,  donc  de  sa  qualité  rend  bel  et  bien  l’activité  potentiellement  dangereuse  et  nécessite, à minima d’être prêt à la riposte.    Un cas exemplaire : le procès de l’huile de palme   Des ONG environnementales et sociétales se sont mobilisées contre la déforestation dans les pays  exportateurs  d’huile  de  palme,  arguant  que  cette  catastrophe  écologique  se  doublait  d’un  risque  accru  de  dépendance  commerciale  de  ces  pays.  Plutôt  que  d’attaquer  les  pays  concernés,  soit  qu’elles  les  appréhendaient  comme  des  victimes,  soit  qu’elles  étaient  conscientes  de  leur  peu  d’influence, notamment lorsque le pays n’est pas une démocratie moderne,  elles ont fait le choix  d’attaquer les entreprises consommatrices d’huile de palme, au premier rang desquelles Ferrero. Ces  ONG  ont  utilisé  la  blogosphère  (Facebook,  blogs,  etc.)  pour  créer  du  buzz  sur  l’huile  de  palme,  composant  tiré  du  palmier  qui  pompe  l’eau  des  autres  espèces  d’arbres  et  entraîne  une  déforestation  en  Indonésie,  pays  dont  l’économie  est  de  plus  en  plus  fragilisée.  Une  chaîne  de  diffusion  s’est  alors  mise  en  place,  relayée  par  les  médias  traditionnels  –  qui,  pour  la  plupart,  se  contentent de reprendre textuellement les propos véhiculés sur la blogosphère sans les vérifier. Ces  actions ont fini par interpeller les décideurs, tant et si bien qu’un député français a proposé, dans le  cadre de l’exercice budgétaire de 2014, de taxer l’huile de palme à 200 %. Outre qu’elle apporterait  quelques  subsides  complémentaires  à  l’Etat,  cette  taxe  sanction  visait  à  inciter  les  entreprises  consommatrices à se tourner vers des produits subsidiaires.  
  • 13. 13/14  De son côté, le groupe a alors organisé une contre‐action à deux niveaux. N’étant absolument pas  outillé en interne, le groupe a fait appel à la fois à un cabinet de consultants en lobbying et à un  cabinet d’intelligence économique afin d’utiliser les mêmes « armes » que celle du e‐lobbying des  ONG. En l’occurrence, il a notamment été créé des pages Facebook dans le monde entier (le Nutella  étant  un  produit  de  notoriété  mondiale)  afin  d’alerter  les  consommateurs  de  Nutella:  Ferrero  a  déclaré que seule l’huile de palme procurait au Nutella sa texture si particulière. Et de les inciter à  liker le produit, dans le cadre d’une campagne intitulée « Touche pas à mon Nutella ! ». Ce faisant, il  s’agissait de déstabiliser l’opinion publique des consommateurs et de donner moins de poids aux  arguments des ONG environnementales. Ferrero a d’ailleurs su créer un conflit d’intérêts entre les  défenseurs de l’environnement et les consommateurs – qui marchent pourtant le plus souvent de  concert.  La  campagne  de  e‐lobbying  initiale  a  cependant  eu  l’effet  escompté,du  moins  en  partie,  puisque le groupe a déclaré revoir sa politique d’approvisionnement d’huile de palme d’ici deux à  cinq ans. Finalement, Ferrero s’est engagé à ne s’approvisionner qu’en huile de palme durable et  traçable.   Un cas plus complexe : le gaz de schiste. Economie/écologie, qui gagne ?   Ce dossier a été rapidement évoqué précédemment en ce qui concerne la France avec le cas de Total  et  ses  contrats  d’exploration  mis  à  mal  après  une  campagne  dure  de  e‐lobbying.  Depuis  lors,  le  champ de l’opinion s’est largement étendu à l’Europe et l’opinion interpelle et résiste aux dirigeants.  De  fait,  entre  le  Royaume‐Uni,  l’Espagne,  la  Pologne  et  la  France,  tous  quatre  concernés  par  la  question de l’exploitation du gaz de schiste, on décèle quatre positions différentes. A vrai dire, le  champ  environnemental  relevant  d’une  compétence  européenne,  il  revenait  à  la  Commission  européenne  de  travailler  à  une  possible  directive  ou  recommandation  sur  les  conditions  dans  lesquelles le gaz de schiste serait ou non exploité en Europe. Pourtant, elle s’est défaussée sur les  Etats,  invoquant  le  principe  de  subsidiarité.  A  l’heure  actuelle,  même  dans  un  pays  plutôt  pour  l’exploitation de cette énergie comme la Pologne, la population alertée sur la toile se mobilise et  déstabilise  la  décision  d’Etat.  Voir  à  ce  sujet,  l’ouvrage  de  José  Bové3   ‐  subjectif,  mais  très  intéressant‐ sur la manière dont le dossier du gaz de schiste a été porté en pratiquant du e‐lobbying4 ,  du  lobbying  plus  classique  et  en  mobilisant  des  ONG  en  Pologne  pour  casser  le  projet  du  Gouvernement. Autrement dit une opinion mobilisée peut gagner et le e‐lobbying parvient à sortir  des frontières nationales.    Le cas novateur de la BD virale sur le chalutage profond   Autre exemple édifiant, qui savait, avant la bande dessinée virale de Pénélope Bagieu5 , qu’il existait  un  chalutage  profond  et  que  des  chalutiers  mettaient  en  danger  des  espèces  en  disparition  en  raclant le sol de la mer ? Pas moi! Mais depuis, je l’ai appris. Cette bande dessinée a été réalisée pour  aider les écologistes qui ne parvenaient pas à mobiliser l’opinion publique sur ce sujet. Dit‐elle vrai ?  A l’extrême limite, et c’est une juriste qui parle, peu importe, car le résultat est là. A l’instar de ce qui  s’est produit dans le cas de l’huile de palme, les enseignes de grande distribution qui achetaient ses  poissons  aux  pêcheurs  pratiquant  le  chalutage  profond  ont  pris  l’engagement  de  changer  leurs                                                          3  José BOVÉ, Hold‐up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe, La Découverte, février 2014  4  e‐lobbying –gaz de schiste‐ exemples:  http://www.youtube.com/watch?v=OPOWHjl9flY&app=desktop  http://www.youtube.com/watch?v=mpiSjz180jE  http://www.youtube.com/watch?v=cnAQxtSxfis  http://www.youtube.com/watch?v=XbHB4ElLJCc  http://www.youtube.com/watch?v=Z2wDywDqf6o  http://www.youtube.com/watch?v=Jba5Bx3Xh10  5  http://www.penelope‐jolicoeur.com/2013/11/prends‐cinq‐minutes‐et‐signe‐copain‐.html 
  • 14. 14/14  pratiques, soucieux d’une atteinte à leur réputation qui détournerait les consommateurs alertés de  leurs magasins.  Ce qui se passe sur la blogosphère en matière de lobbying est un véritable changement de champ et  de méthode d’influence. Cette nouvelle pratique n’est pas exempte de dangers. Son développement  mérite  d’être  suivi  avec  attention,  d’une  part  au  regard  des  enjeux  démocratiques  qu’elle  pose,  d’autre part au regard des enjeux économiques. On atteint ici un degré supérieur de complexité de  l’influence, car elle est de plus en indirecte et met en jeu de manière, plus évidente qu’avant, un  enjeu  de  réputation  pour  une  entreprise,  un  produit  ou  une  personne,  notamment  élue  ou  naturellement exposée de par son activité.