Tandis qu’en France, une reconnaissance encore récente de l’activité complexe du lobbying intervient, la montée en puissance du e‐lobbying (activité pour le moins « hypra » complexe) déstabilise déjà les règles du jeu posées. Le e‐lobbying surfe sur le développement du Web et offre de nombreux outils pour élargir un champ d’influence. Il permet à la société civile de s’« inviter à la table » des décideurs – y compris en s’affranchissant des frontières géographiques et avec une vitesse impressionnante.
Infographie Assemblées Générales entre 2012 et 2016
CHAIRE ESSEC Complexite Edgar Morin - Du lobbying au E-lobbying
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Mise en boîte de la complexité
Viviane de Beaufort
Du lobbying au e‐lobbying
Tandis qu’en France, une reconnaissance encore très récente de l’activité complexe du lobbying
intervient, la montée en puissance du e‐lobbying (activité pour le moins « hypra » complexe)
déstabilise déjà les règles du jeu posées. Le e‐lobbying surfe sur le développement du Web et offre de
nombreux outils pour élargir un champ d’influence. Il permet à la société civile de s’« inviter à la
table » des décideurs – y compris en s’affranchissant des frontières géographiques et avec une vitesse
impressionnante. Or, si il est possible de fixer à peu près les règles et conditions d’un lobbying
professionnel, éthique et transparent, à l’instar de ce qui est fait au Canada et tenté en France
désormais, la régulation de la blogosphère s’avère terriblement complexe. Contrôler le champ et les
flux du Web est quasi impossible. Dans ce contexte, le e‐lobbying est une opportunité non exempte de
dangers. Ces nouvelles pratiques d’influence constituent elles un outil de promotion ou une déviance
de la démocratie1
?
Propos introductif
La Chaire de la complexité Egard Morin
En raison de la tradition d’innovation mais aussi d’individualité de l’Essec, le professeur a tendance à
gérer sa propre activité et sa propre complexité de son côté. En l’occurrence, c’est quasi la première
fois qu’un projet, celui de la Chaire de la complexité Edgar Morin, invite à co‐construction.
Laurent Bibard, collègue de longue date, m’a proposé d’y participer et il m’a semblé naturel de
mobiliser un peu d’énergie et de temps pour participer à ce projet collaboratif extraordinairement
intéressant et d’une brûlante actualité : la gestion de la complexité est devenue une constante de
notre vie.
Quant au thème choisi, au terme de longs' échanges avec Laurent Bibard et Léa Peersman, il nous est
apparu intéressant de traiter, parmi d’autres thèmes possibles, des nouveaux champs du lobbying,
d’autant que je finalise un ouvrage collectif sur le sujet. En raison de son caractère transverse, ce
domaine de recherche encore neuf s’insère parfaitement dans une problématique de complexité. Ne
serait‐ce que parce qu’il est déjà complexe en lui‐même. Dresser un état des lieux de la pratique du
lobbying et en présenter une vision prospective intégrant la nouvelle dimension liée à l’influence sur
la blogosphère – que j’appelle « e‐lobbying » – constitueront le cœur de cette présentation.
Je participerai également à d’autres activités de la Chaire sur des sujets auxquels je suis très
attachée, notamment la mixité et l’accès des femmes aux espaces de pouvoir. Il faut le souligner,
cette Chaire a le mérite de générer un « déclic » de plusieurs professeurs. Cette démarche permettra
peut‐être d’articuler différemment des champs de recherche jusqu’ici organisés en disciplines.
La complexité me parle. Je suis quelqu’un d’éminemment complexe, peut‐ être ne serait‐ce que du
fait de mes origines diverses et de mes expériences dans divers milieux et espaces professionnels ?!
Je développe, parfois avec difficulté en termes d’agenda et de fatigue, mais toujours avec
engagement, de nombreuses activités. Elles peuvent parfois paraître sans lien les unes avec les
autres, mais pour moi elles sont en cohérence – ne serait‐ce que parce qu’elles font partie de moi, de
1
On se reportera à l’ouvrage collectif dirigé par V. de BEAUFORT, Evolution des outils et des stratégies du
lobbying, à paraître chez Larcier, coll. CEDE‐DMS.
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mon engagement à diverses facettes. Complexité des sujets, des milieux d’interaction, des manières
de faire, des champs (de recherche, pédagogiques, d’accompagnement des étudiants, de coaching
d’entrepreneures), intervention du domaine des relations publiques, incursion dans les medias et
même activités de lobbying à Bruxelles… Cette diversité complexe constitue un fil d’Ariane que je
tire, fonctionnant par opportunité au sein de réseaux multiples, avec un « moto » qui donne
cohérence à la construction : la quête de sens. La vie d’aujourd’hui consiste à être multiple en un !
Parcours construit pierre à pierre. La différence avec d’autres vient peut‐être du fait que je n’ai
jamais ôté une pierre pour en mettre une autre : j’ai mis du ciment et j’ai continué à construire mon
mur. Voilà pourquoi cette chaire sur la complexité me parle tant. Y participer est une bonne manière
d’aborder la vie en général, mais aussi nos relations aux autres, qui nous sommes, la façon dont nous
travaillons et dont nos étudiants devront travailler – étant entendu qu’in fine, ce sont plutôt eux qui
auront des leçons à nous donner en la matière.
Lobbying et e‐lobbying
Le lobbying à échelle européenne, c’est un peu ma première vie professionnelle. J’ai très jeune,
pendant quelques années, occupé la sphère « bruxelloise » avec différentes postures, dont celle de
responsable des affaires institutionnelles – autrement dit, pour faire simple, de lobbyiste. Depuis, je
continue à porter des expertises pro‐bono à Bruxelles et Paris, comme académique engagée, sur des
thèmes liés au Droit comme outil de compétitivité de l’Union européenne et de la France. Le Centre
européen de Droit et d’Economie est, de fait, un think tank enregistré comme tel sur le registre des
représentants d’intérêts.
Aujourd’hui, y compris en France et dans les pays latins, le terme de « lobbying » n’est plus un gros
mot, mais demeure connoté. Paradoxalement, alors même que ce dernier vient de faire son entrée
dans les enceintes sacrées de l’Assemblée nationale et du Sénat2
, la complexité de la vie fait que
nous observons déjà une nouvelle pratique, nommée tout à tour « e‐lobbying » ou « cyber‐
lobbying ». Le e‐lobbying permettra peut‐être, à certaines conditions que nous aborderons
ensemble, à la société civile de s’inviter à la table des décideurs, même lorsque ceux‐ci ne l’auront
pas prévu, de les interpeler et, parfois, de déstabiliser des décisions qui auraient pu être prises dans
le cadre plus normé, feutré et élitiste du lobbying classique. Cadre dans lequel les décideurs (élus,
membres du Gouvernement, politiques, hauts fonctionnaires nationaux et européens, membres de
cabinets, etc.) avaient l’habitude de côtoyer des experts, les lobbyistes chargés de porter des sujets
de manière étayée.
Nous passons en effet d’un champ caractérisé par une certaine rationalité, c’est‐à‐dire structuré, à
la fois quant aux acteurs et aux arguments, un champ dans lequel il faut identifier les décideurs, les
argumentations, et la stratégie à élaborer dans le cadre d’un planning bien défini, à un champ
éclaté, émotionnel, no traçable : celui du e‐lobbying. Ce dernier utilise les moyens de contact et
d’influence du Web (blogs, pétitions, réseaux sociaux tels Facebook ou twitter, etc.) pour créer une
opinion qui, si elle est bien portée, finit par être officiellement relayée par des médias plus
classiques et interpeller les décideurs. Ceux‐ci se retrouvent face à une rumeur qui se répand à la
vitesse de la lumière. Cette dernière peut être infondée, mais elle pèse ne serait‐ce que parce
qu’elle se diffuse. Les décideurs, élus donc redevables à l’égard de la société civile, ne peuvent pas ne
pas prendre en compte cette « ombre au tableau », parfois totalement imprévue, dès lors qu’elle
émane ou est portée par des électeurs ou des consommateurs. A cet égard, une action de e‐lobbying
peut entraîner la modification significative de décisions, des textes de loi ou de politiques, là où le
lobbying classique a échoué.
Au final, nous passons d’une activité déjà hyper complexe à une activité « hypra complexe ».
2
Cf. réglementation d’octobre 2013.
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Le cœur de l’interpellation relative au passage du lobbying au e‐lobbying est le suivant.
Favorise‐t‐il la démocratie ?
Autrement dit, le e‐lobbying est‐il un nouvel outil de démocratie, puisqu’il permet à la
société civile, qui a de toute évidence moins de moyens et qui est moins structurée
qu’une grande entreprise, de s’inviter à la table des décideurs et développe la dimension
participative de la démocratie – dimension encore insuffisamment partagée en France
mais qui l’est davantage à « Bruxelles » ?
Ou bien constitue‐t‐il une déviance de la démocratie ?
Autrement dit, les conditions dans lesquelles les outils du Web sont utilisés, le caractère
émotionnel que peut porter un message sur la blogosphère, la non traçabilité des
messages mettent‐ils en danger la démocratie, dès lors que les décisions ne sont plus
nécessairement prises au regard de l’intérêt général dûment pesé et arbitré, mais avec
une dimension plus subjective ?
La réponse n’est évidemment pas binaire. Tout dépend des conditions dans lesquelles le lobbying se
pratique. En outre, seuls certains champs peuvent être régulés. Il nous faut alors vivre avec la zone
de risques créée par cette nouvelle opportunité.
Le lobbying et les différents niveaux de complexité à appréhender
Quatre niveaux de complexité peuvent être distingués, dans le lobbying classique (un lobbying plutôt
argumentatif, qui se pratique face à des décideurs à peu près identifiés, en fonction de plannings
imposés par l’agenda public, celui de l’Assemblée nationale ou de la Commission européenne, etc) :
la complexité de sa définition (notamment en France) ;
la complexité de sa pratique, tant cette activité est transversale et exige de jouer à différents
niveaux ;
la complexité de l’interpellation sur la démocratie (des problèmes d’éthique et de conflits
d’intérêts pouvant se poser au regard des méthodes employées, notamment lorsque l’on
passe du lobbying argumentatif à un lobbying plus proche du trafic d’influence) ;
la complexité du caractère plus ou moins adapté et suffisant des règles.
Certes, sérier l’ensemble de ces éléments ne permet pas de résoudre la complexité. Mais cela
permet de dessiner un cadre et de distinguer les leviers d’un fonctionnement à la fois correct et
éthique. Il est ensuite possible d’élargir le travail au e‐lobbying, en distinguant là encore quatre
niveaux de complexité :
la complexité de sa définition ;
la complexité de sa pratique ;
la complexité des éventuels problèmes éthiques qu’il pose ;
la complexité de la régulation de cette activité.
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Du lobbying au e‐lobbying : expliquer pour appréhender la complexité
Tentative de cadrage du contexte et éléments de définition
Définir
S’il existe plusieurs définitions du lobbying, il en est une qui semble particulièrement adaptée à la
France, où le lobbying est encore connoté : « le lobbying est la promotion d’un intérêt privé, partiel
ou catégoriel auprès des instances décisionnaires », quelles qu’elles soient (étant entendu que le
lobbying s’exerce du niveau micro local jusqu’au niveau mondial).
Cette définition met immédiatement en tension – donc crée la complexité – l’articulation entre
l’intérêt général et l’intérêt partiel, simplement parce qu’elle touche à l’idée qu’il existe soit une
articulation vertueuse (pour qui sait gérer la complexité), soit une confrontation d’intérêts.
Qualifier
En France, le mot « lobbying » n’est pas conceptualisé. La preuve en est que nous n’avons pas su le
traduire, le terme le plus approchant étant sans doute « exercice d’influence ». Et pourtant, ce mot
est utilisé en permanence : « La France a fait son lobbying dans les négociations sur le TTIP pour avoir
l’exception culturelle », par exemple. C’est un peu gênant, dans la mesure où en l’occurrence, l’Etat
ne fait qu’exercer son pouvoir souverain et diplomatique.
Utiliser le mot « lobbying » impose de le qualifier :
lobbying diplomatique (pratique des Etats) ;
lobbying juridique (négociations de fusions entre entreprises, par exemple, dans le cadre des
règlements européens) ;
lobbying de communication ;
lobbying financier ou de projet (recherche de fonds) ;
lobbying normatif ou décisionnel (véritable définition du lobbying).
Ce dernier est un exercice d’influence, qui vise soit à pousser l’élaboration d’un texte, soit à
empêcher sa finalisation, soit à modifier son contenu. C’est là qu’intervient une multiplicité
d’acteurs, suivant un planning très précis dès lors qu’ils subissent les « cours de récréation » dans
lesquelles ils jouent. Il convient donc de les anticiper, afin d’intervenir au bon moment. Cet exercice
est relativement cadré, même s’il est ouvert.
Pratiquer
En pratique, trois phases peuvent être identifiées – plus ou moins importantes suivant les dossiers,
mais auxquelles il n’est pas possible de déroger si l’on veut faire du lobbying de manière
professionnelle.
Repérer l’objet du lobbying
Via une veille régulière, afin de capter un éventuel projet qui affecte nos intérêts puis le
moment opportun, « Momentum », pour agir avant l’adoption ou la modification du texte ou
de la décision qui porte atteinte à nos intérêts, notre engagement (ou au contraire les porte).
Il faut ici fixer l’objectif à atteindre : encourager, empêcher, modifier un texte ou une
politique… Avec l’anticipation d’un objectif idéal, d’un compromis acceptable et de la ligne
rouge à ne pas accepter.
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Un exemple sensible : du fait d’une veille active et de contacts en réseau, j’ai été
alertée il y a quelques mois de l’existence d’une proposition de loi à l’Assemblée
nationale visant à créer un devoir de loyauté des sociétés mères à l’égard des filiales
et de l’ensemble de leurs sous‐traitants sur un périmètre mondial qui pourrait créer
une présomption automatique de responsabilité en cas de dommage écologique,
environnemental, social ou sociétal. J’ai souhaité réagir. Le texte tel qu’il est rédigé
crée une quasi présomption de culpabilité à la charge des sociétés de tête de groupe
et incitera celles‐ci soit à limiter leur présence dans les zones à risque mais
porteuses (pays émergents), faussant leurs atouts compétitifs, soit carrément à
réfléchir à délocaliser leur siège de France. A priori, le Gouvernement devrait
soutenir cette proposition, car elle est portée par le groupe socialiste. L’objectif
poursuivi est donc d’éviter l’adoption d’un tel texte. En effet, au‐delà d’un objectif
qui peut paraître louable, à savoir responsabiliser les acteurs économiques en
matière de RSE, ce texte mal rédigé s’égare sur le terrain de la morale et crée en
droit une responsabilité beaucoup trop large et mal maîtrisée. Il s’agit aussi d’inciter
Bercy, donc le Gouvernement, à prendre conscience du risque considérable que ce
texte peut créer en termes d’attractivité du territoire français. Si le Gouvernement,
à son tour convaincu par des arguments experts, parvient à convaincre la députée
socialiste auteure du texte de ne pas le proposer, le jeu sur les deux tableaux –
Assemblée nationale et gouvernement – aura payé !
Préparer son intervention
En identifiant les agents de pouvoir concernés par le domaine considéré (casting), mais aussi
les « idées dans l’air », les manifestations, le processus de décision relevant, le timing (là
encore via une veille active) et les alliances possibles : dans le lobbying, il y a aussi de la
tactique.
Dans l’exemple ci‐dessus, les agents de pouvoir identifiés sont les députés socialistes
qui envisagent de porter une proposition de loi, versus Bercy à qui il faut proposer
une contre‐proposition raisonnable. Par ailleurs, afin d’identifier les « idées dans
l’air », il peut être utile d’échanger avec les acteurs économiques : Medef, AFEP,
fédérations professionnelles, etc. Interagir avec les services juridiques des grandes
entreprises qui attendent du monde académique qu’il prenne la parole, dans la
mesure où eux‐mêmes ne sont pas audibles, compte tenu des intérêts qu’ils
portent. En échange de quoi, ils faciliteront la tâche du lobbyiste en élaborant une
analyse juridique précise et en apportant des arguments. Quant aux alliances
stratégiques possibles, question cruciale car il s’agit de peser : une association avec
un cabinet d’avocats ayant pignon sur rue pour vérifier l’argumentation technique,
un média pour porter l’idée semble être le bon « ticket ». Il faut enfin faire porter la
thèse défendue par un élu ou un groupe d’élus.
Intervenir
En répondant aux consultations (argumentaire, documents), en repérant les acteurs, en les
contactant voire en les invitant à un événement, en produisant un article ou une étude.
Dans l’exemple ci‐avant, j’avais déjà préparé un article assez long et complet de
60 pages définissant la notion de groupe et évoquant le cas de la mise en cause de la
responsabilité de la société mère, en droit comparé, afin de « benchmarker ».
Utilisant des travaux académiques, menés de longue date, et forte de contacts
forgés à Bruxelles, auprès de l’unité Droit des sociétés de la DG Marché Intérieur
(chargée d’harmoniser les réglementations de droit des affaires), j’ai tenté d’inciter
l’adoption d’un texte définissant au niveau européen les notions de droit des
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groupes et de responsabilité des maisons mères, malgré la complexité de la
démarche plusieurs fois repoussée ces dernières années. S’il a été possible de
mener une action en urgence sur la proposition de loi en France, c’est qu’un travail
de fond a été effectué bien avant afin de procurer l’expertise. Car si une
intervention peut être rapide, si elle ne repose pas sur une thèse solide, elle n’aura
aucune chance d’influencer le processus décisionnel.
Ainsi, la pratique du lobbying est une activité de longue haleine, sérieuse, professionnelle, qui
implique d’agir en amont, de faire une veille, d’identifier les projets, de préparer son intervention à
la fois en termes de contenu et vis‐à‐vis des cibles, qui requiert d’identifier qui sont les alliés et les
adversaires, qui l’on pourrait convaincre car il est plutôt neutre – parce qu’avoir raison seul est un
excellent moyen d’avoir tort…
Le lobbying est une activité complexe et transversale qui oblige à mobiliser à la fois des expertises
juridiques, une connaissance des institutions, une compréhension des cultures, le sens des relations
publiques, mais aussi un certain sens de l’opportunité ou du Momentum, donc une approche de
stratège.
Lobbying et ancrage dans une culture institutionnelle (intérêt général/intérêt privé)
S’il est une réalité à propos d’ancrage culturel, c’est que la France est très marquée par le mythe de
l’intérêt général, formalisé à l’époque par les écrits de Rousseau. L’intérêt général constitue l’ADN du
système institutionnel français et dès lors, notre pays a un problème de fond avec l’activité de
lobbying.
Ainsi, la Constitution de 1958 instaure une Vème République fondée sur une démocratie
représentative reposant essentiellement sur un système d’élections directes (SUD du Président, des
députés, des maires, etc). Elle encadre strictement les possibilités d’intervention des corps
intermédiaires dans la décision (excepté par voie de référendum gérée par le président de la
République). Nous avons hérité de la méfiance des corporatismes et aujourd’hui encore, une
certaine verticalité du pouvoir demeure à tous les échelons des décisions : un seul élu ou nommé,
légitimé, va décider au nom de l’intérêt général. slide 8
La conception anglo‐saxonne de l’intérêt général, décrite par Tocqueville, est donc en opposition à
la nôtre, puisqu’elle approche l’intérêt général comme la somme des intérêts privés. Dès lors, dans
les pays anglo‐saxons, le lobbying est une activité non seulement normale mais souhaitable, voire un
devoir de la société civile (voir la constitution des Etats‐Unis). Tandis qu’en France (en dépit de
quelques progrès) et plus globalement dans les pays latins, le lobbying est une activité
soupçonnable par essence, puisqu’il est l’expression de l’intérêt privé face à l’intérêt général. Cela
explique que l’élaboration d’un statut du lobbying et sa régulation interviennent si tardivement. Or,
l’activité d’influence existe forcément dans une société donnée, non régulée elle risque de se
pratiquer sans transparence, sans règle sur les conflits d’intérêt, bref… sous la table. Autant
d’éléments qui alimentent l’idée que l’activité est perfide, donc qu’il faut la supprimer. Cercle vicieux
qui ne permet pas d’aborder cette réalité dans l’ensemble de sa complexité en adoptant un point de
vue binaire totalement en décalage avec la réalité. Le lobbying est soupçonnable donc à éradiquer !
C’est non seulement impossible, mais dénué de sens. Approchée comme une activité qui permet aux
acteurs économiques et de la société civile de participer au processus de décision, l’activité de
lobbying ou de « public affairs » sert la démocratie.
Brefs éléments de comparaison
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Créer la transparence
Plusieurs conditions sont requises pour un lobbying éthique, professionnel et argumenté :
créer de la transparence ;
favoriser un jeu ouvert (tout le monde doit avoir accès au lobbying) ;
accepter de délibérer, ce qui impose d’accepter la confrontation, qui ne doit pas être vécue
comme une atteinte à son pouvoir égotique : on discute, on élabore, on accepte que l’autre
ait une idée différente voire une meilleure idée. En d’autres termes, on co‐construit.
Prendre en compte l’intérêt général
Il importe de toujours avoir en tête, lorsqu’on porte un intérêt privé, que ce dernier doit être
acceptable par rapport à l’intérêt général.
Par exemple, l’intérêt de Total, est de pouvoir explorer certains sols français où pourrait se
trouver du gaz de schiste exploitable. C’est un intérêt économique clair. Si Total l’exprime
sous cette forme, il en fait un intérêt privé sans rapport avec l’intérêt général. A priori, ce
groupe sera donc en position défensive et peinera à faire passer son option, d’autant qu’à
l’heure actuelle les débats font rage sur cette question, puisque nous avons été interpellés
sur la dimension écologique par les réseaux sociaux (voir ci‐après les développements du e‐
lobbying). En revanche, si l’entreprise parvient à faire passer l’idée que sa problématique –
qui reste privée et économique – s’intègre dans une problématique d’intérêt général
(permettre à la France et à l’Europe d’assurer l’indépendance énergétique), le résultat de
l’arbitrage devient potentiellement différent. Pour ce faire, Total peut relier l’intérêt
économique de la France et les perspectives liées à la crise politique (qu’elle n’a pas
provoqué) en Ukraine. La peur diffuse de l’opinion publique quant à la dépendance de
l’Europe vis‐à‐vis du gaz russe devient un facteur qui peut changer la donne en mettant en
convergence l’intérêt économique de Total et l’intérêt général du pays et de sa population
à disposer de sources d’énergie alternatives.
Parvenir à faire converger un intérêt privé et l’articuler avec l’intérêt général renforce la
probabilité de faire passer son dossier.
Partager l’information
Les Français ne savent pas partager l’information. Même si c’est moins le cas des nouvelles
générations, ils considèrent encore que détenir l’information, c’est détenir le pouvoir. Pourtant, le
partage de l’information constitue une force, celle de la persuasion. La construction de réseaux et le
partage de l’information est une donnée évidente et fondamentale de ma démarche d’influence au
sens large ; j’utilise tous les moyens à disposition pour effectuer ce partage, notamment les réseaux
sociaux qui amplifient la diffusion. Plus des idées et expertises sont diffusées, plus elles sont portées,
plus elles sont partagées, plus on crée une opinion – et donc plus on influence. En France, cette
conception ouverte et compétitive est encore difficile à faire passer dans les grands corps, les
entreprises, les partis politiques, les syndicats. C’est regrettable et cela cantonne souvent notre pays
à des prises de position en lobbying défensif et tardif.
Réglementation ou régulation ?
L’OCDE a été amenée à fixer les conditions théoriques d’un lobbying vertueux et éthique, au service
de la démocratie. Les conditions listées relèvent clairement du simple bon sens :
élaborer un cadre efficace favorisant la transparence et la participation au processus législatif
des parties prenantes (ce qui impose de définir les termes de « lobbying » et de « lobbyiste »,
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d’intégrer des règles dans le dispositif politique – sur les conflits d’intérêt ou sur les marchés
publics, par exemple – et des règles de gouvernance, comme le code éthique au Canada) et
garantissant un accès juste et équitable à toutes les parties prenantes ;
accroître la transparence ;
favoriser une culture d’intégrité ;
instaurer des mécanismes efficaces.
Ce processus est vertueux en ce qu’il amène à l’adoption de textes de loi plus équilibrés car mieux
fondés. Le lobbying exercé dans ces conditions vertueuses (transparence, éthique, apport
d’expertise) intervient comme condition d’élaboration de la loi la meilleure possible, car il permet
aux décideurs d’entendre tous les intérêts y compris divergents pour arbitrer au mieux en
disposant de l’ensemble des données. Si en tant que décideur, vous n’entendez qu’un seul son de
cloche sur un sujet, vous serez facilement convaincu par celui‐ci et adopterez un texte en pensant,
sans doute de bonne foi, que vous faites bien. Or vous aurez occulté la « moitié du monde » et sans
doute serez‐vous passé à côté de la complexité de la question.
Revenons au régime du lobbying européen. La question aujourd’hui posée est de savoir si la
Commission, soutenue par le Parlement européen qui a rédigé lors de la dernière mandature un
rapport dans ce sens, mettra en place un registre de transparence obligatoire, de manière à ce que
quiconque fait du lobbying soit identifié de manière claire et ne puisse pas contourner le système. A
la clé, un mécanisme de plainte formalisé, voire des accréditations suspendues de manière définitive.
Pour le dire autrement, la réglementation européenne existe, mais l’Union européenne n’est pas
allée au bout de sa logique. Aujourd’hui, elle semble prête à « muscler un peu la bête » !
Etat des lieux en France
Revenons à la France. L’encadrement du lobbying y est récent. Longtemps, on n’a pas voulu savoir.
Cela a nécessairement entraîné des pratiques déviantes, mais aussi totalement inégalitaires : ce sont
toujours les mêmes qui ont accès aux décideurs, c’est‐à‐dire les puissants – soit qu’ils appartiennent
au même corps, soit qu’ils aient de l’argent. En 2009, deux réglementations distinctes, ce qui est à
regretter, ont été adoptées : l’une à l’Assemblée nationale et l’autre au Sénat. La déontologue de
l’Assemblée nationale, Noëlle Lenoir, éreinte, dans son rapport, certaines pratiques de
parlementaires. Et pour cause, le lobbying se fait en duo et réglementer les pratiques des lobbyistes
sans se soucier de l’éthique des pratiques des élus, c’est ne pas se donner les moyens de régler la
question de l’éthique de la gouvernance publique. Les réglementations de 2009 prévoient
l’inscription sur un registre public, le respect d’un code de conduite, la déclaration des invitations à
l’étranger adressées aux élus, un bon début. Depuis, le 1er
octobre 2013, suite au rapport Sirugue sur
les lobbies à l’Assemblée nationale sont abordées – il était temps ! – les relations complexes des
lobbyistes à l’égard des élus, «clients » ou « cibles » du lobbying selon que les élus considèrent qu’il
est vertueux d’écouter les lobbyistes ou continuent à identifier qu’ils sont des victimes du lobbying
dont doivent s’en protéger.
Pour revenir sur l’exemple cité en début d’intervention, il est intéressant de préciser
que la députée socialiste qui a élaboré la proposition de loi sur le devoir de loyauté
des entreprises n’a pas répondu à nos sollicitations. A Bruxelles, cela serait
inconcevable: tout député ou haut fonctionnaire sollicité vous répond. En France,
certains décideurs s’offrent ainsi le luxe de ne pas répondre aux citoyens. Cherchez
l’erreur et estimez la qualité de la démocratie à l’aune de ces attitude des élus et
dirigeants ! A propos de contacts, les rapports parlementaires doivent désormais
faire apparaître les auditions des représentants d’intérêts intervenues. Cette
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obligation, évidence de longue date dans d’autres pays, rend plus transparent le
processus de décision en permettant une traçabilité des influences !
Le dernier élément à évoquer quant à la réglementation sur le lobbying intervenue en France
a trait aux conditions dans lesquelles un colloque peut être organisé. Prenons un exemple : le
6 mars dernier, la députée Marie‐Jo Zimmermann mère de la loi sur les quotas dans les
conseils, recevait les réseaux professionnels féminins dont je fais partie, sur le thème de la
mixité dans les conseils d’administration. Afin de respecter les règles, nous avons travaillé
durant quatre mois avec la questure, son assistante et elle‐même pour remplir les nouvelles
conditions d’organisation d’un colloque à l’Assemblée nationale : pas de publicité, pas de
promotion d’intérêts privés, équilibre des points de vue. Tout le monde a la parole, le
colloque est ouvert et se tient sous la responsabilité pleine et entière du député qui
l’accueille.
Nous sommes en train de changer de monde, le citoyen plus averti réclame une démocratie plus
participative. Si elle applique vraiment les nouvelles règles, la France rattrapera son retard en
matière de régulation du lobbying. D’autant que le Gouvernement s’engage à appliquer plus d’une
des propositions exprimées par le rapport Jospin qui interpellent le statut des décideurs : cumulet
durée des mandats, renouvellement de ceux‐ci, déclaration des intérêts financiers des ministres, etc.
Les choses resteront complexes, c’est leur ADN de l’être, mais elles seront peut‐être un peu plus
transparentes et équilibrées. L’équilibre des forces et des points de vue, voilà bien un prisme par
lequel il est possible d’appréhender le développement du e‐lobbying.
E‐lobbying : outil ou déviance de la démocratie ?
Une nouvelle cible, l’opinion publique
L’activité de lobbying classique est, après cet exposé, à peu près cadrée dans sa complexité
intrinsèque. Abordons à présent un niveau supérieur de complexité de l’activité en évoquant le e‐
lobbying. Ici, la cible change, c’est celle de l’opinion publique. Le e‐lobbying est un lobbying indirect,
qui vise à interpeller l’opinion publique afin qu’elle‐même interpelle le décideur. Dans cette
démarche, il est à craindre que le rationnel soit estompé, car le e‐lobbying utilise souvent
l’émotionnel pour toucher le citoyen qui n’est pas un expert et réagit à l’affect. Le danger, c’est que
l’opinion raconte tout et n’importe quoi ! Il est donc fort complexe, voire impossible, de vérifier
certaines affirmations d’autant que dans la blogosphère, la traçabilité d’un propos est loin d’être
évidente. Il est impossible par exemple d’imaginer une seconde de créer un registre de l’influence
sur la toile. Le e‐lobbying change considérablement la donne.
Cette nouvelle pratique est donc à la fois intéressante et dangereuse, car plus difficile à cadrer et à
réguler.
Le e‐lobbying est en fort développement ; il a notamment permis aux lobbies sociétaux, qui avaient
moins de moyens que les lobbies économiques, de rattraper leur retard en termes d’influence. les
ONG ont investi la blogosphère depuis quelques années et y pratiquent l’influence d’une manière
systématique. Faire du lobbying sur la blogosphère répond à la quadrature du cercle des moyens : il
suffit d’un peu de temps et d’être un malin. Créer un blog ne coûte pas cher et « peut rapporter
gros ». Il est donc logique que ce soit plutôt les lobbies sociétaux qui aient investi, dans un premier
temps, la blogosphère. Pour leur part, les entreprises n’ont pas toujours vu arriver cette nouvelle
forme de lobbying. Elles sont donc relativement en retard et, cet an‐ci, embauchent à tour de bras
des responsables de l’e‐réputation et de l’intelligence économique pour assurer une veille de la
« toile » et être en mesure de réagir à la fois vite pour contrer une éventuelle action de e‐lobbying
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qui portent atteinte à une réputation (ou un cours de bourse en trois clics) et influence l’élu dans un
sens contraire à leurs intérêts.
Quel lobbying pour les ONG ?
ONG et intérêt général
Un raisonnement binaire, à éviter de suivre quand il est question de lobbying, consiste à considérer
que les ONG portent un intérêt général, donc pratiquent un lobbying d’intérêt général. Il convient
d’aller plus loin, en se posant d’une part la question de l’indépendance réelle des ONG (cf. les
financements et les éventuelles influences qu’elles peuvent subir) et, d’autre part, celle des
méthodes utilisées (la fin ne justifie pas les moyens). En pratique, force est de constater que
certaines ONG refusent de s’inscrire sur le registre des représentants d’intérêts, à Bruxelles ou en
France. Et ce, au motif qu’elles ne font pas de lobbying, mais du « lobbying citoyen ». Là encore,
cherchez l’erreur… Ce lobbying est qualifié de « citoyen » par ses acteurs mêmes. Or à partir du
moment où un acteur exerce une influence, qu’il s’agisse de Total ou de Greenpeace, il doit être
enregistré pour être identifié comme telle. Il n’est pas exclu que ce comportement cache – cela a
d’ailleurs été identifié dans quelques cas – une problématique de transparence sur le financement et
la gouvernance de l’organisation, des relations ambiguës avec les groupes politiques et les syndicats,
et parfois même des méthodes douteuses. Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, toutes les
ONG ne sont pas pauvres. Le registre des représentants d’intérêts à Bruxelles établit que les moyens
que Greenpeace (qui a décidé de s’y inscrire) dédie à ses actions de lobbying sont dignes de ceux de
GDF Suez, puisqu’ils se chiffrent en millions d’euros. Attention, donc, aux raisonnements binaires et
aux approximations.
Examen des méthodes des ONG
Là encore ,gardons tout de toute approche caricaturale. Le monde de l’associatif est d’une
complexité totale et si les actions d’influence sont globalement inspirées par une cause d’intérêt
général (lobbying citoyen), il existe des contre‐exemples. Ainsi, Alain Bazot, président de l’association
de l’UFC‐Que Choisir, pratique un lobbying d’intérêt général, citoyen, juridique et transparent ; UFC‐
Que Choisir a d’ailleurs fait le choix de s’inscrire au registre des représentants d’intérêts à Bruxelles.
Le Front de libération des animaux qui poursuit, sans doute, des objectifs vertueux, a des méthodes
particulièrement agressives, parfois choquantes émotionnellement et parfois même choquantes tout
court et illégales puisqu’il est arrivé que ce mouvement incendie des propriétés. Le cas de
Greenpeace est intéressant à évoquer car l’ONG qui utilisait des méthodes parfois violentes a changé
ses méthodes. Ses opérations « coups de poing », certes très médiatisées finissaient par atteindre sa
réputation et choquer des citoyens a priori en faveur de son combat, qui décidaient de ne plus
compter parmi ses donateurs. Elle a donc professionnalisé ses méthodes, pour passer à des actions
de sensibilisation plus douces et normaliser ses relations avec les entreprises tout en essayant de
rester indépendante. Ce changement de méthodes et la manière dont Greenpeace a traité cette
situation très complexe constitue un cas d’étude intéressant. Il s’est agi, pour elle, de trouver le juste
équilibre entre le fait d’être une ONG militante aux méthodes extrêmes et un risque de réputation
qui la décrédibilisait, et à moyen terme, pouvait la déstabiliser.
Des nouveaux outils
E‐lobbying, le « pactole » ? L’infinie richesse de la blogosphère provient de la multitude des outils
qu’elle offre :
pétitions
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diffusées sur la base de fichiers très détaillés (notamment élaborés en traçant les propos
exprimés sur la blogosphère) qui permettent de ne solliciter qu’une population déjà
sensibilisée ;
blogs
utiles à condition de parvenir à créer du trafic et à être suivi ;
réseaux sociaux
Quel point commun entre ses outils, au‐delà des différences ? Si l’on garde en tête que l’objectif
d’une présence sur la toile est l’influence, il s’agit de faire réseau pour peser et créer une opinion ou
aider à pousser celle‐ci. Cela signifie passer progressivement du statut de suiveur/capteur
d’informations à celui de diffuseur d’informations, créateur d’informations puis influenceur.
Influencer requiert d’avoir des relais, d’être suivi par la presse, les élus, d’autres influenceurs: les
« sachants » par exemple les chercheurs ou experts d’un domaine, les leaders d’opinion. Influencer,
c’est faire réseau – un réseau virtuel en l’occurrence. Tout comme dans le lobbying classique, les
alliances stratégiques se retrouvent dans le e‐lobbying. Cependant, elles se créent via le monde
virtuel et sont tout aussi efficaces. Les mêmes dynamiques sont à l’œuvre.
Se pose toutefois le problème du contrôle du contenu. C’est sans doute avec la vitesse de
propagation des idées, un des éléments qui différencie cette activité de l’influence classique. En
effet, il est possible d’affirmer tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, à condition d’être un
peu habile, de présenter ses propos de manière crédible ou encore, le cas échéant, de se débrouiller
pour faire allusion à quelqu’un sans jamais le nommer (ce qui permet d’être hors du champ de la loi
sur la diffamation, même si la personne en question se reconnaît dans ces propos). Et ce, d’autant
que la désinformation n’est un délit qu’en matière boursière. La désinformation sur une entreprise
ou un produit, venue de nulle part (c’est‐à‐dire formulée via un faux profil) ne peut pas être
contrôlée.
Le e‐lobbying bouleverse profondément les canaux de l’influence traditionnelle : l’absence de
traçabilité des émetteurs d’informations, à laquelle s’ajoute l’absence de contrôle de la véracité de
l’information, donc de sa qualité rend bel et bien l’activité potentiellement dangereuse et
nécessite, à minima d’être prêt à la riposte.
Un cas exemplaire : le procès de l’huile de palme
Des ONG environnementales et sociétales se sont mobilisées contre la déforestation dans les pays
exportateurs d’huile de palme, arguant que cette catastrophe écologique se doublait d’un risque
accru de dépendance commerciale de ces pays. Plutôt que d’attaquer les pays concernés, soit
qu’elles les appréhendaient comme des victimes, soit qu’elles étaient conscientes de leur peu
d’influence, notamment lorsque le pays n’est pas une démocratie moderne, elles ont fait le choix
d’attaquer les entreprises consommatrices d’huile de palme, au premier rang desquelles Ferrero. Ces
ONG ont utilisé la blogosphère (Facebook, blogs, etc.) pour créer du buzz sur l’huile de palme,
composant tiré du palmier qui pompe l’eau des autres espèces d’arbres et entraîne une
déforestation en Indonésie, pays dont l’économie est de plus en plus fragilisée. Une chaîne de
diffusion s’est alors mise en place, relayée par les médias traditionnels – qui, pour la plupart, se
contentent de reprendre textuellement les propos véhiculés sur la blogosphère sans les vérifier. Ces
actions ont fini par interpeller les décideurs, tant et si bien qu’un député français a proposé, dans le
cadre de l’exercice budgétaire de 2014, de taxer l’huile de palme à 200 %. Outre qu’elle apporterait
quelques subsides complémentaires à l’Etat, cette taxe sanction visait à inciter les entreprises
consommatrices à se tourner vers des produits subsidiaires.
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De son côté, le groupe a alors organisé une contre‐action à deux niveaux. N’étant absolument pas
outillé en interne, le groupe a fait appel à la fois à un cabinet de consultants en lobbying et à un
cabinet d’intelligence économique afin d’utiliser les mêmes « armes » que celle du e‐lobbying des
ONG. En l’occurrence, il a notamment été créé des pages Facebook dans le monde entier (le Nutella
étant un produit de notoriété mondiale) afin d’alerter les consommateurs de Nutella: Ferrero a
déclaré que seule l’huile de palme procurait au Nutella sa texture si particulière. Et de les inciter à
liker le produit, dans le cadre d’une campagne intitulée « Touche pas à mon Nutella ! ». Ce faisant, il
s’agissait de déstabiliser l’opinion publique des consommateurs et de donner moins de poids aux
arguments des ONG environnementales. Ferrero a d’ailleurs su créer un conflit d’intérêts entre les
défenseurs de l’environnement et les consommateurs – qui marchent pourtant le plus souvent de
concert. La campagne de e‐lobbying initiale a cependant eu l’effet escompté,du moins en partie,
puisque le groupe a déclaré revoir sa politique d’approvisionnement d’huile de palme d’ici deux à
cinq ans. Finalement, Ferrero s’est engagé à ne s’approvisionner qu’en huile de palme durable et
traçable.
Un cas plus complexe : le gaz de schiste. Economie/écologie, qui gagne ?
Ce dossier a été rapidement évoqué précédemment en ce qui concerne la France avec le cas de Total
et ses contrats d’exploration mis à mal après une campagne dure de e‐lobbying. Depuis lors, le
champ de l’opinion s’est largement étendu à l’Europe et l’opinion interpelle et résiste aux dirigeants.
De fait, entre le Royaume‐Uni, l’Espagne, la Pologne et la France, tous quatre concernés par la
question de l’exploitation du gaz de schiste, on décèle quatre positions différentes. A vrai dire, le
champ environnemental relevant d’une compétence européenne, il revenait à la Commission
européenne de travailler à une possible directive ou recommandation sur les conditions dans
lesquelles le gaz de schiste serait ou non exploité en Europe. Pourtant, elle s’est défaussée sur les
Etats, invoquant le principe de subsidiarité. A l’heure actuelle, même dans un pays plutôt pour
l’exploitation de cette énergie comme la Pologne, la population alertée sur la toile se mobilise et
déstabilise la décision d’Etat. Voir à ce sujet, l’ouvrage de José Bové3
‐ subjectif, mais très
intéressant‐ sur la manière dont le dossier du gaz de schiste a été porté en pratiquant du e‐lobbying4
,
du lobbying plus classique et en mobilisant des ONG en Pologne pour casser le projet du
Gouvernement. Autrement dit une opinion mobilisée peut gagner et le e‐lobbying parvient à sortir
des frontières nationales.
Le cas novateur de la BD virale sur le chalutage profond
Autre exemple édifiant, qui savait, avant la bande dessinée virale de Pénélope Bagieu5
, qu’il existait
un chalutage profond et que des chalutiers mettaient en danger des espèces en disparition en
raclant le sol de la mer ? Pas moi! Mais depuis, je l’ai appris. Cette bande dessinée a été réalisée pour
aider les écologistes qui ne parvenaient pas à mobiliser l’opinion publique sur ce sujet. Dit‐elle vrai ?
A l’extrême limite, et c’est une juriste qui parle, peu importe, car le résultat est là. A l’instar de ce qui
s’est produit dans le cas de l’huile de palme, les enseignes de grande distribution qui achetaient ses
poissons aux pêcheurs pratiquant le chalutage profond ont pris l’engagement de changer leurs
3
José BOVÉ, Hold‐up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe, La Découverte, février 2014
4
e‐lobbying –gaz de schiste‐ exemples:
http://www.youtube.com/watch?v=OPOWHjl9flY&app=desktop
http://www.youtube.com/watch?v=mpiSjz180jE
http://www.youtube.com/watch?v=cnAQxtSxfis
http://www.youtube.com/watch?v=XbHB4ElLJCc
http://www.youtube.com/watch?v=Z2wDywDqf6o
http://www.youtube.com/watch?v=Jba5Bx3Xh10
5
http://www.penelope‐jolicoeur.com/2013/11/prends‐cinq‐minutes‐et‐signe‐copain‐.html