1. 6 Causette # Hors-série
Causette : « Les liens qui nous
font vivre », comme vous les
nommez, se sont souvent renforcés
ou développés lors de la crise
sanitaire. L’avez-vous constaté
lors de vos interventions
professionnelles?
Rébecca Shankland : Aprèsledébut
dupremierconfinementenmars,nous
avonsétéalertésparuneaugmentation
des appels sur la ligne 119 (Enfance
en danger). Mais selon les enquêtes
réalisées, malgré les difficultés vécues
par certaines familles, toujours dans
les premiers temps du confinement
en mars, les parents interrogés ont
plutôt fait part de la possibilité de se
poser enfin et de prendre du temps
en famille. On peut donc considérer
que cette période a pu être bénéfique
pour de nombreux enfants, qui ont
éprouvé moins de stress et d’anxiété,
ontpuallerdavantageàleurrythmeet
partagerplusdetempsdequalitéavec
leurs parents.
Pendant la période de confinement
avecl’écoleàlamaison,nousavonséga-
lement observé la mise en place d’une
relation différente entre enseignants,
parentsetenfants.Lesenseignantsont
développé une relation de confiance
avec les parents dans une dynamique
de co-éducation. Leur attention était
davantage orientée vers le bien-être
de l’enfant et le maintien de l’enga-
gement dans les apprentissages que
vers la performance scolaire. Cela a
permis de développer un climat de
« Tout seul, on va plus vite, mais, ensemble, on va plus loin. »
Ce beau proverbe africain est la clé du livre de Rébecca
Shankland et Christophe André, Ces liens qui nous font
vivre, qui traite de l’interdépendance positive dans
notre communauté humaine. Causette leur a demandé
de décrypter notre époque et les nouvelles relations
qu’elle a tissées, bien secouées par le Covid-19.
Nous permettront-elles d’« aller plus loin »?
Par ISABELLE MOTROT
3. 8 Causette # Hors-série
réservé aux liens avec les très proches
et devient une option dans la sphère
publique. Il est probable que nous
autres,latinsetméditerranéens,allons
faire un pas en direction des sociétés
orientales : plus de courbettes et de
sourires, moins de poignées de main
et d’accolades.
Depuis le début du premier
confinement, on constate une
recrudescence du bénévolat
auprès des associations caritatives.
Comment l’interprétez-vous?
R.S. : Plusieursraisonspeuventexpli-
quer cet engagement. Tout d’abord, la
prise de conscience de l’importance
des autres humains, de notre interdé-
pendanceetdelagratitudequiémerge
lorsque l’on pense à tous ceux qui font
deseffortsauquotidienpourlesautres,
malgré les risques sanitaires. Par ail-
leurs, les recherches montrent que
les émotions positives et le bien-être
augmentent les tendances altruistes
grâce à une plus grande disponibilité
mentale. Celle-ci est également per-
mise par la diminution de la pression
liée au travail et à l’école. Au début du
confinement, c’était un peu comme si
le temps s’était arrêté, et que notre
fonctionnement mental habituel pou-
vait se calmer. Cela a pu augmenter la
disponibilité cognitive, favorisant une
plus grande capacité à adopter une
autre perspective sur soi, sur la vie.
C.A. : Deplus,lamenacevitaleperçue
en cette période de pandémie peut
augmenter cette tendance à se poser
des questions sur ce que l’on souhaite
vraimentfairedesavie.Est-onentrain
de passer à côté de l’essentiel en ayant
toujours le nez dans le guidon ? Est-ce
quece« tempssuspendu »nepeutpas
être une occasion de s’engager enfin
dans des actions en cohérence avec
nosvaleurs ?Enfin,ilfautrappelerque
pour se rendre un peu plus heureux,
on peut certes courir après les petites
choses qui nous font plaisir, mais que
l’altruisme reste un des moyens les
pluspuissants :aiderautruinousaide !
Dans votre livre, vous écrivez :
« Les relations virtuelles offertes
par les réseaux sociaux ne
remplacent en aucun cas la richesse
de l’interdépendance réelle. » Vous
êtes donc pessimiste en ce qui
concerne le devenir des relations
humaines dans notre société,
dans laquelle les virus pourraient
nous contraindre à utiliser de plus
en plus les réseaux sociaux?
R. S. : Il y a une différence entre les
rencontres par écrans interposés, tels
quelesapéros-SkypeouunWhatsApp
avec ses amis en période de confi-
nement, et l’utilisation massive des
réseaux sociaux où l’on n’est pas en
interaction avec l’autre visuellement,
et surtout qui prennent du temps que
l’onnepeutplusaccorderauxrelations
avec nos proches. De nombreuses
études ont mis en évidence les effets
bénéfiques de la proximité physique
surl’apaisementdestensions,etmême
sur la réduction de la douleur. Cette
proximitéaugmenteégalementlavita-
lité et la perception des problèmes
comme étant des défis à résoudre,
“ Les émotions positives
et le bien-être augmentent
les tendances altruistes
grâce à une plus grande
disponibilité mentale ”
Rébecca Shankland