#FOODING #TENDANCE #GASTRONOMIE
✅ Combinaison de food et de feeling, 50 % dans l’assiette, 50 % dans ce qu’il y a autour, des rideaux en passant par la musique d’ambiance, le néologisme "fooding" a été créé par Alexandre Cammas.
L'édition 2021 du Guide Fooding (groupe Michelin), en vente depuis le 19 novembre 2020, fête ses 2️⃣0️⃣ ans.
https://leshop.lefooding.com/shop/p/guide-fooding-2021
Les réseaux sociaux ont imposé au guide de devenir un média. Mise en valeur des chefs qui ont mené des actions sociales depuis la pandémie et de nouvelles expériences comme Click and collect, le Prêt-à-manger et Prêt-à-cuire ou le Chef à domicile.
Le "maga-guide" doit désormais dépasser le "cool" et se caler à l'image de la société. La place des femmes, les violences, l'écoresponsabilité...
1. 0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2020
LeFooding,20ans,
etenpleinecrise
existentielle
Leguidegastronomiquerevendique
depuissacréationlarigueurduMichelin
toutenprônantlalégèretéetlafête.
Mais,aprèslepassageàl’âgeadulte
etlerachatà100%parleBibendum,
sonespritd’irrévérenceseratil
toujoursaussivivace?
GASTRONOMIE
U
ne foule de 500 invités
se presse devant Le Pré
sident, à Belleville (Pa
ris, 20e), arborant des
masques Angela Merkel et Jacques
Chirac. A l’intérieur du restaurant
chinois, on sirote du Veuve Clic
quot, en grignotant des pizzettes
aux merguez de haute volée. La
faune est, comme toujours, bigar
rée: des chefs, mais aussi des stars
et des artistes, tels que Bérénice
Bejo, Michel Hazanavicius, Kiddy
Smile, Romain Duris ou JoeyStarr.
Voilà à quoi ressemblait l’événe
ment annuel du Fooding en no
vembre 2019.
Un an plus tard, pas de bamboche
pour célébrer les 20 ans du guide. A
la place, le Fooding a envoyé à
250 personnes une caisse remplie
de délices en tout genre: un velouté
de courge d’Hokkaido signé Inaki
Aizpitarte, un plat de caille au jus
d’étrille par Alexandre Gauthier,
des tasses à café comestibles… Evi
demment, si la fête est annulée,
c’est à cause de la pandémie. Mais
les restrictions sanitaires sont loin
d’être l’unique bouleversement qui
secoue le Fooding. Avec le rachat à
100 % par le Michelin, en septem
bre, et le départ du fondateur,
Alexandre Cammas, prévu pour
avril 2021, la crise est interne. Et
existentielle: en 2020, le monde de
la «food» n’a rien à voir avec celui
du début du millénaire. Vingt ans
après, le Fooding peutil encore être
«le goût de l’époque» (son slogan
depuis 2005)?
En 2000, la cuisine française est
encore engoncée dans ses tradi
tions. Le Fooding choisit alors de
s’opposer au Michelin et au Gault
& Millau, et de «se dresser contre
une gastronomie savante», rappelle
Alexandre Cammas. Le guide met
en valeur les quelques dissidents,
des chefs en teeshirt qui écoutent
les Ramones en découpant de la bo
nite dans leur cuisine ouverte, pro
posent une restauration savou
reuse mais dans un cadre plus free
style, sans nappe sur les tables, avec
des menus uniques plutôt qu’une
carte à rallonge.
L’avènement de l’influence
Les premières années, le Fooding a
une influence grandissante, mais
continue de défendre un point de
vue qui reste singulier, l’affaire de
«foodies» parisiens. Au début des
années 2010, changement d’am
biance: les enseignes tenues par de
jeunes chefs décomplexés se mul
tiplient, l’idée que la gastronomie
puisse être jeune et sexy fait son
chemin dans l’esprit du grand pu
blic aimanté par l’émission «Top
Chef», lancée en 2010 sur M6. «Le
combat est devenu superflu. Le cool
est arrivé, la gastronomie est tom
bée dans la pop culture», constate
Alexandre Cammas. Première dif
ficulté: l’esprit impertinent du
Fooding ne rencontre plus beau
coup de matière pour se nourrir.
«Ils ont contribué à créer les stan
dards de l’époque. Comment criti
quer quelque chose qu’on a soi
même engendré?», interroge le
consultant Julien Pham. Et puis, les
frontières se brouillent. Parmi les
nombreuses nouvelles adresses,
certaines sont d’excellente facture,
d’autres se contentent de repren
dre l’esthétique des restos estam
pillés «Fooding» sans faire grand
cas de la cuisine qu’ils servent. Cer
tains lui reprochent même d’être
responsable d’une «vulgarisation
de la gastronomie».
L’autredifficultédesannées2010,
qui s’accentue à partir de 2015 et
l’émergence d’Instagram, c’est
l’avènement de l’influence. Désor
mais, en «food», comme en mode
ou en voyage, des «influenceurs»
donnent leurs avis sur les endroits
où manger. Comme en 2000, un
outsider vient bousculer l’ordre
établisaufque,cettefois,leFooding
est du côté des institutions, au
même titre que le Michelin ou le
Gault & Millau.
«Les influenceurs sont aussi nocifs
que les critiques gastro de mes dé
buts, tout aussi vendus! Ce sont des
petits soldats des services de
presse», s’énerve aujourd’hui
Alexandre Cammas. Qui n’a que
partiellement raison: «influen
ceur» désigne à la fois des néophy
tes opportunistes qui dînent là où
lerepasleurestoffert,maisausside
vrais pros, des fins gourmets, des
chefs, des journalistes (d’ailleurs
souvent passés par le Fooding
avant de faire carrière dans des mé
dias plus traditionnels).
De son côté, le Fooding a du mal à
trouver sa place sur les réseaux so
ciaux. «Le digital ne me passionne
pas. Je suis plutôt dans les idées»,
concède Alexandre Cammas. Leur
compte Instagram se contente d’ac
cumuler de jolies photos de plats
désincarnés, prises à Los Angeles,
Biarritz ou Mexico. Le Fooding
existe surtout à travers son site
Web, qui publie une dizaine de
chroniques de restaurants par
mois, et par le lancement du guide
annuel qui reste un événement,
maiscelasuffitilpourfairefaceàla
validation permanente de restau
rants par les influenceurs?
«Le public se fie aujourd’hui beau
coup plus aux personnes qu’aux
marques. Il faut l’accepter», affirme
le consultant Baptiste Aubour, qui
remarque justement «qu’au mo
ment de l’avènement des réseaux so
ciaux le Fooding aurait pu faire le
choix d’incarner le guide, de mettre
en scène l’expérience d’un inspecteur
au restaurant; c’est d’autant plus
vrai que le Fooding juge l’expérience
globale d’un restaurant, pas seule
ment l’assiette.»
Une idée à l’encontre des règles
du Fooding, qui revendique son ab
solue indépendance: ses inspec
teurs font leur visite incognito, les
repas sont toujours à leurs frais.
Quand le Michelin a racheté 40 %
des parts du Fooding en 2017, c’est
d’ailleurs l’argument qu’a fait va
loir Alexandre Cammas pour justi
fier ce rapprochement inattendu
qui devait permettre au Fooding de
se développer à l’international:
«Le Michelin, seul autre guide gas
tronomique à “faire le boulot” sé
rieusement, passionnément, en
payant ses additions», écrivaitil
dans un billet publié sur leur site.
CommeleBibendum,leFooding se
targueaussidesillonnerlaFranceà
la recherche de pépites: en 2017, il
avait récompensé Elements, une
excellente table nichée au milieu
d’une zone commerciale à la péri
phérie de Bidart.
Malgré sa probité et le sérieux de
ses investigations, le Fooding n’a
pourtant pas atteint la force de
frappe du Michelin. «L’absence de
reconnaissance pour notre travail
est dure, admet Alexandre Cam
mas. Si un magazine décide de faire
une page sur [le restaurant pari
sien] Frenchie, il ne dira pas que le
Fooding l’a découvert [et primé
en 2010]. Il dira qu’il a une étoile
[reçue en 2019]. C’est là où j’envie le
Michelin.» «Le Fooding n’a pas
réussi à remplacer le Michelin, es
time Baptiste Aubour. Ils ont beau
coup donné et peu reçu, c’est un peu
cruel.»
L’erreur du Fooding est peutêtre
de n’avoir pas choisi son camp; re
vendiquer la rigueur du Michelin
toutenprônantl’espritdefête,lalé
gèreté, l’irrévérence, voilà qui
brouille les pistes. Alors que le Mi
chelin (dont le siège est à Clermont
Ferrand) recommande des adresses
dans toute la France, le Fooding
reste perçu comme un guide piloté
par une équipe de Parisiens qui
s’adresse à une élite, notamment
lors de leurs fêtes grandioses où se
bouscule le gratin mondain. «Dès
2006, on a mis des adresses de pro
vince dans le guide, et cette année le
palmarès récompense autant de ta
bles parisiennes que provinciales, se
défend Alexandre Cammas. Mais
c’est vrai que l’authenticité, l’absence
desuperflu,l’espritrelax,onletrouve
plutôt à Paris. Et notre audience en
province reste des privilégiés ur
bains. La vérité, c’est que la bonne
bouffe coûte un peu d’argent.»
«Ramener du fond»
A défaut d’être devenu le Michelin,
le Fooding a été absorbé par lui. En
septembre, un communiqué de
presse assurait que «le Michelin
continuera de développer le Foo
ding, dans le respect de l’esprit insuf
flé depuis sa création» et que «l’en
tité conservera son indépendance
éditoriale et ses propres sélections
d’établissements». Malgré ces bon
nes intentions, les plans du Biben
dum–quinesouhaited’ailleurspas
s’exprimer sur ce sujet – sont nébu
leux.AlexandreCammasdoitpartir
après avoir assuré la transition avec
la nouvelle direction. Le sort de Ma
rine Bidaud, son associée, est en
core incertain.
En revanche, des idées pour l’ave
nir de son (vieux) bébé, Alexandre
Cammas n’en manque pas. Refaire
le site Internet pour enrichir la par
tie «magazine» et «ramener du
fond», aborder les sujets de société
comme la place des femmes, la di
versité dans les brigades, les vio
lences en cuisine, l’écoresponsabi
lité… «La période actuelle est beau
coupplusgravequ’ilyavingtans.Si
on défendait le cool aujourd’hui, on
serait à côté de nos pompes. »
Alexandre Cammas souligne qu’en
tant qu’homme blanc de 49 ans il
n’est pas le mieux placé pour sou
tenir ces sujets. Avec Marine Bi
daud, ils ont créé un comité de di
rection dont la moyenne d’âge est
de 29 ans.
Un tel projet semble ambitieux,
mais cohérent avec leur histoire:
«Le Fooding s’adapte en perma
nence, c’est dans son ADN, estime
Anna Polonsky, ancienne collabo
ratrice qui a fondé son agence de
design à New York. Ils étaient parmi
les premiers à faire des événements
liésàlaplacedesfemmesencuisine,
à célébrer les chefs étrangers en
France, à parler d’écologie.» A l’épo
que, leur message est peutêtre
passé inaperçu, parce que délivré
trop tôt ou dans un cadre trop fes
tif. Aujourd’hui, la situation est dif
férente. «L’explosion des canaux
médiatiques rend la communica
tion autour de la gastro assez trash,
s’inquiète le chef parisien Gio
vanni Passerini. On a besoin d’une
vigie capable de distinguer ceux qui
travaillent bien de ceux qui font
semblant. Dans la confusion ac
tuelle, le Fooding pourrait être une
lumière.» Fiat lux!
elvire von bardeleben
«Si on défendait
le cool
aujourd’hui,
on serait à côté
de nos pompes»
ALEXANDRE CAMMAS
fondateur du Fooding