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Forcer la prise de conscience en
mathématiques - Arthur B. Powell
Le dialogue entre le Moi et l'esprit au sujet du contenu
Dans le domaine de l'éducation, l'idée de forcer la prise de conscience et, plus généralement,
celle de "prise de conscience" sont dues à Caleb Gattegno (1988, 1987, 1974, 1970) qui a
expliqué les détails de la psychologie et de la propriété récursive de la prise de conscience.
Avec beaucoup d'insistance et de persuasion, il déclare que "seule la conscience est éducable"
(1). La notion de prise de conscience et l'utilité pédagogique de forcer la prise de conscience
inspirent mon choix d'activités et de techniques pédagogiques ainsi que ma façon de réfléchir
à ma pratique d'enseignant (2). J'ai trouvé en les structurant de façon précise, que ces activités
et ces techniques étaient utiles pour forcer la prise de conscience.
Dans ce court article exploratoire, je m'occupe de la communication ou du dialogue intérieur
entre le Moi agissant et l'esprit qui observe d'un apprenant, dialogue qui aboutit à la prise de
conscience d'idées mathématiques. Je m'intéresse plus spécialement au rôle que "forcer la
prise de conscience" peut jouer pour aider les apprenants dont les possibilités mathématiques
sont sous développées à cause des conditions matérielles et morales qui règnent dans les
sociétés oppressives.
Malgré les dénotations et les connotations inacceptables du verbe "forcer", la définition de
Gattegno de ce qu'est "forcer la prise de conscience " a une valeur pédagogique utile et
irrésistible. Gattegno fait bien comprendre que, pour les apprenants, apprendre ou générer de
la connaissance, ne se fait pas quand un enseignant donne des informations mais plutôt quand
les apprenants emploient leur volonté pour focaliser leur attention afin d'éduquer leur
conscience. Les apprenants éduquent leur conscience en observant ce qui se passe dans une
situation donnée, en étant présents au contenu de leurs expériences. Quand un apprenant reste
au contact d'une expérience en cours, la conscience procède d'un dialogue de son esprit avec
son Moi, au sujet du contenu de ce qui est expérimenté (1987, p. 6). La volonté qui fait partie
du Moi agissant fixe l'attention de telle sorte que l'esprit observe le contenu de l'expérience et,
par le dialogue avec le Moi, devient conscient des particularités de l'expérience. En
mathématiques spécialement, le contenu des expériences, qu'il soit intérieur ou extérieur au
Moi, peut être fait de sentiments, d'objets, de relations entre les objets et d'une dynamique
liant ensemble différentes relations. (1987, p. 14).
Forcer la prise de conscience des exposants
Éduquer la conscience entraîne la génération de connaissances mathématiques. Je vais essayer
de justifier cette affirmation et de montrer les prises de conscience spécialisées et généralisées
à l'aide de l'exemple suivant :
Supposons que l'on calcule toutes les puissances de 2 de 2 à 5 et au-delà (fig. 1). Dans cette
figure, les expressions exponentielles, ou objets numériques, du premier rang sont reliées aux
objets du second. Les flèches à deux pointes entre les rangs indiquent que chaque expression
exponentielle du premier rang est équivalente au nombre correspondant du deuxième rang.
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En fixant son attention sur le contenu de la figure 1 et surtout en engageant son Moi dans un
dialogue au sujet du contenu de la figure 1, que peut-on observer et quelles prises de
conscience en découlent ? (Peut-être désirez-vous étudier ces questions avant de lire ma
discussion ?)
Le dialogue entre le Moi et le contenu de la figure 1, fait par différents apprenants, peut
résulter en différentes suites possibles d'observations et de prises de conscience. La série
suivante n'est que l'une d'entre elles.
Que peut-on voir ? Premièrement, on peut se rendre compte que, de gauche à droite, la base
de chaque expression exponentielle est la même et que les objets du premier rang sont reliés
par l'augmentation de l'exposant d'une unité ou, de droite à gauche, par la diminution de
l'exposant d'une unité (voir figure 2). Garder la base invariable et augmenter ou diminuer
d'une unité chaque exposant successivement sont des opérations qui relient les objets du
premier rang.
3 augmenté de 1 donne 4, et 4 diminué de 1 donne 3.
Deuxièmement, en partant du premier objet du deuxième rang, le 4, de gauche à droite,
chaque objet successivement est le double de celui qui précède (voir figure 3). Diviser par 2 et
multiplier par 2 sont les opérations qui relient les objets du deuxième rang.
16 multiplié par 2 donne 32, et 32 divisé par 2 donne 16.
En combinant le premier et le deuxième ensemble d'observations on peut remarquer et
énoncer une relation dans la figure 1 entre les relations entre les objets dans les deux rangs: de
droite à gauche, lorsque l'exposant d'un objet du premier rang décroît d'une unité, l'objet
correspondant du deuxième rang est divisé par 2. On peut conserver cette prise de conscience
dans son esprit pour un usage ultérieur, lorsqu'on fait d'autres prises de conscience ou, ce qui
revient au même, qu'on éduque davantage sa conscience.
Le fait de faire cette prise de conscience peut influer positivement sur la relation affective
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avec cette expérience; la conscience de ce sentiment peut suffire à fournir l'énergie
émotionnelle requise pour soutenir une attention fixée sur le texte de la figure 1 pour
remarquer d'autres particularités de l'expérience.
Si l'on utilise la prise de conscience que l'on vient de faire et qu'on maintient fixe la relation
entre les relations des deux rangées dans la figure 1, on peut faire la remarque supplémentaire
que, si l'on part du premier objet du premier rang et qu'on diminue son exposant d'une unité,
alors, 2 puissance 1 est la moitié de 2 puissance 2 ou bien encore, est équivalent à 2. Si l'on
diminue le dernier exposant d'une unité, 2 puissance zéro est la moitié de 2 puissance 1 ou
encore est équivalent à 1. Si l'on diminue le dernier exposant d'une unité, 2 puissance -1 est la
moitié de 2 puissance zéro ou encore est équivalent à 1 demi. Si l'on diminue le dernier
exposant d'une unité, 2 puissance -2 est la moitié de 2 puissance -1 ou encore est équivalent à
1 quart et ainsi de suite... (voir figure 4).
De plus, les prises de conscience déclenchées par notre contact avec la situation représentée
dans les figures 1 et 4, peuvent conduire à remarquer d'autres éléments mathématiques. Par
exemple, si l'on examine ces prises de conscience, en considérant des bases exponentielles
autres que 2, peut-être les bases entières pour commencer puis les bases irrationnelles, alors la
collection de ces prises de conscience spécialisées et la correspondance entre elles peuvent
conduire à des prises de conscience mathématiques plus généralisées telles que:
Voir note 3.
Discussion
L'expérience qui vient d'être faite a consisté à remarquer des objets et à extraire des relations
entre objets et une dynamique reliant ces relations. Puisque des remarques particulières se
sont produites, ces événements nous aident à interpréter la notion de "conscience" et la notion
récursive de "conscience de la conscience". Stimulée par le Moi agissant, une prise de
conscience se produit quand l'esprit perçoit et capture un élément ou une particularité de
l'expérience. De là, une prise de conscience est une particularité que l'esprit qui perçoit
conserve et qui reste disponible pour un usage ultérieur. Comme je l'ai suggéré à la fin de
l'expérience précédente, une particularité peut correspondre d'une certaine façon à des
particularités semblables ou à des événements spéciaux que l'esprit a perçus et retenus au
cours des expériences et ainsi, on peut formuler la conscience invariable en mots et en signes
comme une généralisation (Wheeler, 1975).
On formule des assertions, particulières ou générales, au sujet des particularités du contenu
des figures 1 et 2. Chaque assertion représente une prise de conscience. Quand notre esprit
observateur remarque avec un certain recul, que le Moi agissant exprime une prise de
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conscience, alors on prend conscience de sa conscience. De plus, quand l'esprit reste au
contact de l'expérience en cours et qu'il entretient un dialogue avec le Moi au sujet du contenu
de l'expérience, on peut forcer les prises de conscience mathématiques particulières ou
générales.
"Forcer la prise de conscience" selon Gattegno a deux sens : le premier concerne ce que nous
faisons à nous-mêmes et l'autre ce qu'on peut nous faire pour que nous nous rendions compte
de ce qui nous a échappé ou pourrait échapper (1987, p. 210). Bien que les prises de
conscience mathématiques puissent venir à l'esprit précisément quand il se trouve occupé par
d'autres choses, une recherche disciplinée des prises de conscience favorise les progrès en
mathématiques. Par ailleurs, il est possible que quelqu'un offre des conseils pour forcer un
autre à prendre conscience et, naturellement, ceci implique de la part de l'être humain
concerné, le désir d'être conseillé. Néanmoins, seul un individu peut prendre conscience et
c'est donc uniquement sa responsabilité et non celle du guide. Il est clair que, pour que
quelqu'un puisse forcer la prise de conscience chez quelqu'un d'autre, cela suppose
naturellement une relation de confiance mutuelle ou au minimum, un contact social qui
stipule réglementairement que le guide est celui en qui on puisse, ou on doive, avoir
confiance. Ceci est vraiment le point de départ de la relation entre le maître et l'élève puisque
l'institution de l'éducation impose ce type de contact social.
Que les incitations pour forcer la prise de conscience soient internes ou externes, les
apprenants prennent conscience de particularités mathématiques en faisant attention aux
attributs, aux objets, aux modèles, aux relations et à la dynamique entre les relations
contenues dans notre expérience. Le dialogue qui peut s'instaurer entre des élèves, ou entre un
élève et, généralement parlant, un texte, est nécessaire pour que la prise de conscience se
manifeste ou soit forcée. Grâce au dialogue intérieur, la conscience de la conscience se
produit quand le Moi perçoit que l'esprit fait une prise de conscience. Comme on l'a vu dans
l'exemple précédent, en éduquant sa conscience, on peut vraiment générer du savoir
mathématique.
Conclusion
Le défi de la reconstruction du rôle des mathématiques dans la lutte pour rendre aux élèves les
capacités mathématiques qui n'ont pas été suffisamment développées exige des changements
pédagogiques. Dans le contexte de l'éducation, une direction du changement tient au rôle des
maîtres et des élèves. Brièvement, un rôle d'enseignant implique la structuration d'un
environnement, la présentation de situations, la création de contraintes, la stimulation du
dialogue et le fait de poser des questions, en résumé, de fournir des expériences dans le but
d'attirer l'attention des élèves sur des aspects des expériences qui contiennent des
particularités mathématiques qui ne doivent pas échapper à leur attention ni être ignorées, ni
passer inaperçues. Un rôle complémentaire des professeurs est de fournir d'autres expériences
pour permettre aux élèves d'acquérir de l'aisance. Les problèmes qui se rapportent à la façon
dont les professeurs peuvent faire cela et à la façon dont ils peuvent structurer leurs consignes
pour forcer les prises de conscience des élèves conduisent toutes deux à des questions
intéressantes qui méritent examen. Par exemple, en plus de l'utilisation de sa volonté pour
fixer son attention et de l'engagement du Moi et de l'esprit dans un dialogue au sujet du
contenu, la structure pour écrire les puissances de 2, figure 1, je le soutiens, s'est avérée utile
pour provoquer et faciliter les prises de conscience dont j'ai discuté.
La responsabilité des élèves est à la fois différente et similaire. Ils doivent donner de leur
temps et utiliser leur volonté pour fixer leur attention et se lancer dans un dialogue avec des
situations pour éduquer leur conscience. En conséquence, ils doivent continuer à donner de
leur temps pour acquérir l'aisance dans le domaine ouvert par leurs nouvelles prises de
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conscience.
Il est très important que les enseignants de mathématiques aident les élèves à apprendre à
structurer convenablement l'environnement de l'apprentissage et à utiliser un grand nombre
d'outils pour forcer les prises de conscience de façon à contracter l'habitude de forcer leurs
prises de conscience pour apprendre les mathématiques. Dans ce contexte, il est crucial de
faire prendre conscience aux élèves que, lorsqu'ils examinent le contenu de leurs expériences,
tout en devenant conscients de ce qui est présent explicitement, ils doivent forcer leurs prises
de conscience de tout ce qui est présent mais caché. Ici intervient un élément important qui est
la question : "Que vois-je?" qui peut amorcer le dialogue entre le Moi et l'esprit au sujet du
contenu de l'expérience. Quand les élèves assument la responsabilité de l'habitude de forcer
leur conscience dans le domaine mathématique, la question émerge de savoir si les élèves
deviennent des apprenants en mathématiques indépendants et autonomes.
Notes
▪ Pour une étude théorique de la Conscience et pour son affirmation que "seule la conscience
est éducable", voir Gattegno (1987). Pour des discussions de l'éducation de la
conscience des élèves en mathématiques, voir par exemple: Gattegno (1974, 1988).
Voir aussi Wheeler (1975) pour d'autres discussions et des exemples de prises de
conscience.
▪ Ces activités et techniques incluent les expressions et équations circulaires (Hoffman &
Powell, 1991) l'écriture des expressions (Powell et Lopez, 1989) les logarithmes à
entrées multiples (Powell & Ramnauth, 1992) la lecture des textes mathématiques
(Driscoll & Powell, 1992) et des calculatrices graphiques avec écriture
transactionnelle (Powell, sous presse).
▪ En généralisant, cette affirmation est typique de ce que les élèves disent ou écrivent à la
suite d'une expérience telle que j'ai décrite. Bien que l'affirmation, d'un point de vue
strict, requière des conditions telles que a = 0 et n > 0, dans ce cas, je me préoccupe
principalement de la clarté plus que de la précision. La dernière exige la première.
Quand les élèves ont obtenu la clarté, ils peuvent réfléchir à l'affirmation et déterminer
avec plus de précision le domaine où elle s'applique.
Références
Driscoll, M., & Powell, A. B. (1992). Communicating in Mathematics. In C. Hedley, D.
Feldman, & P. Antonacci (Eds.), Literacy across the Curriculum (pp. 247-265). Norwood,
NJ: Albex.
Gattegno, C. (1970). What We Owe Children: The Subordination of Teaching to
Learning.. New York: Avon.
Gattegno, C. (1974) The Common Sense of Teaching Mathematics. New York : Educational
Solutions.
Gattegno, C. (1987). The Science of Education: Part 1: Theoretical Considerations. New
York: Educational Solutions.
Gattegno, C. (1988). The Science of Education: Part 2B: The Awareness of
Mathematization. New York: Educational Solutions.
Hoffman, M. R., & Powell, A. B. (1991). "Circle expressions and equations: Multivalent
pedagogical tools." in D. Pimm & E. Love (Eds.), Teaching and Learning School
Mathematics (pp. 91-96). London: Hodder & Stoughton.