Science et religions

Hassan El Mankouch
Hassan El MankouchBureau parlementaire A.ouammou
‱‱

numéro consacré au sacré et au scientifique: Quelles frontiÚres?

SERGEPICARD,LÉACRESPI,CELIAPETERSON,SIPA,SPL/COSMOS.©MICHAELFALTERWWW.FACSIMILIE-EDITIONS.COM
DIEU
SCIENCESCIENCE
ET LA
BIBLE, CORAN
LESORIGINESDES
TEXTESSACRÉS
avec
Étienne Klein ‱ Luc Ferry ‱ Yves Coppens ‱ Jean-Claude Ameisen
Nicole Le Douarin ‱ Nidhal Guessoum ‱ Pascal Picq...
BIBLE, CORAN
LESORIGINESDES
TEXTESSACRÉS
Science et religions
5	 Édito
6	 RENCONTRE
Luc Ferry : « Ne mélangeons jamais
science et théologie! »
10	 ÉvOluTiON ET REligiONs
12	 uNivERs
14	 Étienne Klein : « L’origine de
l’Univers, un authentique mystĂšre »
20	 Nidhal Guessoum : « Il y a un sens
à tout ça, une cohérence »
27 CAHiER REPÈREs
	 AUX origines
des teXtes sAcrés
32 sACRÉ
34 Yves Coppens : « Le sacré naßt avec
la premiÚre pierre taillée »
38		 Axel Kahn : « C’est grĂące Ă  l’autre
que je prends conscience de moi »
42 APOCAlyPsE
44	 MichaĂ«l Foessel : « Il n’y a pas
plus attachĂ© au passĂ© qu’un
catastrophiste »
48		 Dominique Lecourt : « La fin du
monde n’est pas pour demain! »
52		 Éric Morin : « Le combat des
ténÚbres contre la lumiÚre »
54	 NabilMouline:«PourDaech,
l’apocalypseestproche»
56 ÉvOluTiON
58	 Jean-Claude Ameisen : « Nous
sommes les hĂ©ritiers d’un passĂ©
devenu immense »
62		 Pascal Picq : « Et les grands singes
déboulÚrent en Europe »		
66		 Soufiane Zitouni : « Face à moi,
des élÚves ricanaient »
70 immORTAliTÉ
72		 Nicole Le Douarin : « Le rĂȘve de
vivre vieux sans l’ĂȘtre » 	
76		 Frédéric Saldmann : « Certains
animaux ont atteint l’éternitĂ© »
nasa/cxc/jpl/caltechalextreadway/nationalgeographiccreativerogerviolletj.cancalosi/nationalgeographiccreativelennartnilsson
Ce hors-série reprend en partie les
interventions des scientifiques et
spécialistes invités au colloque « Dieu
et la science », organisé par Sciences
et Avenir au CollĂšge des Bernardins,
Ă  Paris, les 10 et 11 avril derniers.
Vous pouvez les retrouver en vidéo
à l’adresse www.sciencesetavenir.fr/
grandsdebatssciences/
janvier/février 2016 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i 3
UNIVERS P. 12
SACRĂ© P. 32
APOCALYPSE P. 42
éVOLUTION P. 56
IMMORTALITĂ© P. 70
La presse Ă©crite s’engage pour le recyclage
des papiers avec Ecofolio.
Tous les papiers se recyclent,
alors trions-les tous.
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janvier/février 2016 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i 5
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Documentation astrid saiNt aUgUste 56.48
Collaborateurs
Bernadette aRNaUD, azar KHaLatBaRi,
Rachel mULOt, Hervé RateL
Ont collaboré à ce numéro
mehdi BeNyeZZaR, sylvie BRiet,
Franck DaNiNOs, Jean-François HaÏt
Renseignements aux lecteurs, vente au numéro
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Dialogues
ien sĂ»r, chacun a en mĂ©moire le procĂšs de GalilĂ©e. Et la vision d’une Église arc-boutĂ©e
contre cette science dont les progrĂšs permettaient d’affirmer que la Terre, loin d’ĂȘtre
le centre du monde, tourne autour du Soleil. Mais tout cela remonte au xviie
siĂšcle!
Depuis, le pape Jean Paul II lui-mĂȘme a rĂ©habilitĂ© le savant autrefois hĂ©rĂ©tique. Reste
qu’en ce dĂ©but de xxie
siĂšcle, nos contemporains, touchĂ©s par l’écho du Big Bang, baignĂ©s dans
l’histoire nouvelle de l’Univers que racontent les scientifiques – loin d’ĂȘtre statique et Ă©ternel
comme l’imaginait encore Albert Einstein il y a une centaine d’annĂ©es, le cosmos a effecti-
vement une histoire! –, continuent de se poser les Ă©ternelles questions: d’oĂč venons-nous?
Pourquoi existons-nous? Sommes-nous vraiment le fruit du hasard? La science, qui interroge
l’homme et la nature sur le registre du « comment? », peut-elle mĂȘme rĂ©pondre Ă  cette

recherche de sens qui semble ne cesser de tarauder les humains?
C’est dans le but de – modestement – rĂ©pondre Ă  ces interrogations fondamentales qu’il y a
quelques mois, en avril 2015, Sciences et Avenir avait dĂ©cidĂ© d’organiser un colloque. Il fut
accueilli avec bienveillance au CollĂšge des Bernardins, que nous tenons Ă  remercier ici. Nous
l’avions intitulĂ© « Dieu et la science » et avions dĂ©cidĂ©, lors de confĂ©rences et tables rondes,
de faire dialoguer scientifiques et représentants de diverses religions (juifs, chrétiens, musul-
mans), en abordant des thÚmes bien ancrés dans nos esprits: « Création du monde versus Big
Bang »; « Apocalypse et fins du monde »; « Imaginer l’immortalitĂ© »; « Penser le sacrĂ© » 
Ils furent nombreux Ă  s’exprimer, devant un large public, et aujourd’hui, par ce hors-sĂ©rie,
nous leur rendons hommage en restituant au mieux leur discours et en le publiant pour nos
lecteurs qui n’ont pas eu la chance de l’entendre en direct. Que ce soit Luc Ferry, philosophe
et ancien ministre, qui conjure de « ne jamais mélanger les thÚses de la théologie avec la
science, et de ne surtout pas subordonner l’une Ă  l’autre ces deux sphĂšres de l’esprit » (lire
pp. 6-10); l’acadĂ©micien Yves Coppens, cĂ©lĂšbre anthropologue, qui affirme que « le sacrĂ© naĂźt
avec la premiĂšre pierre taillĂ©e », tant l’homme, selon lui, ne peut s’empĂȘcher de mettre des
symboles dans ses propres créations (lire pp. 34-37); ou encore Jean-Claude Ameisen, pré-
sident du ComitĂ© consultatif national d’éthique, fin connaisseur de la thĂ©orie de Darwin sur
l’évolution, pour qui « la validitĂ© des sciences est fondĂ©e sur notre entiĂšre libertĂ© d’explorer
et d’interprĂ©ter collectivement ce que nous comprenons de la rĂ©alitĂ© » (lire pp. 58-61). Nous
ne pouvons pas tous les citer ici, mais nous les remercions de leur contribution.
Un seul souci nous a animés, que nous voulons partager à nouveau: favoriser le dialogue,
Ă  l’heure oĂč des discours extrĂȘmes le dĂ©truisent, enflammant des conflits sanglants dans
nombre de pays, et pas seulement le nÎtre. Et promouvoir des réflexions qui contribuent à
construire des repĂšres. Dominique leglu
Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale
et de la Recherche
« Ne mĂ©langeons 
jamais science  
et thĂ©ologie ! »
Alors que le Vatican a fini par accepter Darwin et Galilée, certains créationnistes
cherchent toujours Ă  prouver l’existence de Dieu. Une quĂȘte absurde, affirme
le philosophe, qui analyse ici les rapports ambigus de la religion avec la raison.
L’histoire de la science en Europe est aussi celle de son
Ă©mancipation du religieux, qui s’est accĂ©lĂ©rĂ©e depuis les
Lumiùres. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le monde
semble ĂȘtre le théùtre d’un retour en force des religions?
Contrairement à ce que l’on peut lire un peu partout,
par exemple chez l’écrivain Michel Houellebecq, nous
vivons tout sauf le retour du religieux en Europe. Le
phĂ©nomĂšne majeur dans l’histoire du xxe
siĂšcle euro-
pĂ©en, c’est au contraire la sĂ©cularisation, la laĂŻcisa-
tion et, surtout, la dé-dogmatisation de la religion.
Toutes les enquĂȘtes en tĂ©moignent. Et si le religieux
« revient », c’est de l’extĂ©rieur, par l’islam, de maniĂšre
exogÚne, acceptée tant bien que mal par les « vieux
Européens ».
La dĂ©-dogmatisation de la religion s’est traduite par
une double rĂ©conciliation de l’Église catholique avec
la dĂ©mocratie et la science. D’abord avec la dĂ©mocra-
tie, alors que la tradition ecclésiastique était plutÎt
« réactionnaire » au sens propre du terme, nostalgique
de l’Ancien RĂ©gime; ensuite avec la science. Les deux
vont de pair car, dĂšs le xviiie
siÚcle, avec la révolution
scientifique des LumiĂšres, la science met en place le
premier discours dans l’histoire de l’humanitĂ© qui soit
« trans-classes sociales » et « trans-frontiÚres ». Le
principe d’inertie et la gravitĂ© de Newton valent pour les
riches comme pour les pauvres, les puissants comme
les faibles, les roturiers comme les aristocrates, mais
aussi les Italiens, les Français ou les Allemands. C’est
en somme le premier discours de la mondialisation. Il y
a donc un lien indissoluble entre science et démocratie,
car les vérités énoncées par la premiÚre sont par essence
valables pour tous. Cette réconciliation va entraßner
une attitude tout Ă  fait diffĂ©rente de l’Église Ă  l’égard de
la recherche scientifique. Une attitude qui transparaĂźt
notamment dans Fides et ratio. Cette encyclique pro-
mulguée en 1998 par le pape Jean Paul II reconnaßt de
maniÚre forte le darwinisme et la théorie du Big Bang.
Les positions du Vatican sur la question du création-
nisme et de l’évolutionnisme, sur la question de l’ñge
de la Terre sont aujourd’hui parfaitement claires – ce
qui n’empĂȘche Ă©videmment pas l’Église, mais c’est autre
chose, de rester ultra-conservatrice sur les questions
de bioéthique.
Quelle est l’attitude des religions vis-à-vis de la science?
On peut en distinguer trois, fondamentales. La pre-
miùre est dogmatique et ne date pas d’hier. Au xie
siĂšcle,
elle a été fort bien exposée par le cardinal saint Pierre
Damien, thĂ©ologien qui sera fait docteur de l’Église, au
mĂȘme titre que Thomas d’Aquin. C’est lui l’auteur de
la fameuse formule selon laquelle la philosophie – le
mot englobe alors les sciences, on ne séparera vérita-
« Dans certaines écoles,
on présente encore la théorie
de l’évolution comme une
imposture maléfique »
6 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i janvier / février 2016
blement les deux qu’au xviiie
siĂšcle – est « servante de la 
religion ». La philosophie ne doit servir qu’à confirmer
les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es. C’est ce type d’attitude dogmatique
qui conduira au procÚs de Giordano Bruno, brûlé vif en
l’an 1600 pour avoir dĂ©fendu l’hĂ©liocentrisme, ou Ă  celui
de GalilĂ©e, condamnĂ© pour la mĂȘme raison trente-trois
ans plus tard. Elle se traduit encore aujourd’hui par la
prolifération, dans le monde entier, des absurdités créa-
tionnistes selon lesquelles toutes les espĂšces vivantes, et
notamment les animaux, auraient Ă©tĂ© créées d’un seul
coup par Dieu. Contre les positions officielles de l’Église,
certaines écoles chrétiennes (mais aussi coraniques)
prĂ©sentent encore la thĂ©orie de l’évolution comme une
imposture, parfois malĂ©fique ou diabolique. Et l’on sait
à quoi cela peut mener

La raison est-elle alors exclue de la sphĂšre religieuse?
Dans la théologie catholique, non. Déjà saint Paul,
dans les Ă©pĂźtres aux Corinthiens, affirme qu’un pre-
mier usage de la raison est nécessaire et légitime pour
parvenir à la compréhension des textes sacrés. Jésus
s’exprime par des paraboles – il y en aurait plus de
soixante-dix dans les Évangiles – qui ont cette carac-
tĂ©ristique de parler aussi bien au peuple qu’aux Ă©rudits.
Mais une fois qu’on a entendu la parabole, il faut faire
usage de la raison pour en percevoir le véritable sens.
La parabole des talents, par exemple, est d’une grande
profondeur. Elle marque une rupture avec le monde
aristocratique: ce ne sont pas les talents naturels qui
font la dignitĂ© morale d’un ĂȘtre, mais ce qu’il en fait.
Il s’agit dĂ©jĂ  d’une valorisation anti-aristocra-
LucFerry
Professeur de
philosophie,
agrégé de science
politique, il
a enseigné à
l’Institut d’études
politiques de
Lyon, Ă  l’universitĂ©
de Caen puis Ă 
celle de Paris VIII
Diderot. Il a
occupé le poste
de ministre de
l’Éducation
nationale et de
la Recherche de
2002 Ă  2004 et
a été membre du
Comité consultatif
national d’éthique
de 2009 Ă  2013.
Ses recherches
philosophiques
visent Ă  proposer
une spiritualité
laĂŻque capable de
donner un sens Ă 
la vie.
lescrespi/pascoandco

janvier / février 2016 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i 7
Luc Ferry
tique du travail, on est dans un monde mérito-
cratique. Et puis, il y a un deuxiĂšme usage de la rai-
son, proprement scientifique: les sciences naturelles
permettent de mieux appréhender la splendeur de la
Création
 pour en inférer la grandeur du Créateur. En
arriĂšre-plan, on trouve l’idĂ©e que les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es
et les vérités de la raison ne peuvent, in fine, jamais
se contredire. Cela dit, comme l’a rappelĂ© LĂ©on XIII,
premier pape du XXe
siĂšcle, en cas de contradiction non
rĂ©solue – sur l’ñge de la Terre, sa position dans l’Uni-
vers, entre Ă©volution et crĂ©ation
 –, la vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e
devait Ă©videmment primer. D’oĂč le nombre infini de
procÚs et de persécutions de malheureux scientifiques
qui avaient l’audace de contredire la RĂ©vĂ©lation telle
que l’interprĂ©tait du moins le Vatican

Vous évoquiez trois attitudes de la religion
 Les deux
autres tĂ©moignent-elles d’une plus grande ouverture Ă 
l’égard de la science?
Oui, sans ambiguïté, notamment en ce qui concerne
la deuxiùme position de l’Église, qui est maintenant de
laisser la recherche scientifique totalement libre et d’ac-
cepter aussi bien GalilĂ©e et l’hĂ©liocentrisme que le Big
Bang ou l’évolutionnisme de Darwin
 C’est cette atti-
tude qui a conduit non seulement à l’encyclique Fides
et ratio de Jean Paul II, mais aussi, deux ans plus tĂŽt, Ă 
une communication du pape Ă  l’AcadĂ©mie pontificale
des sciences, le 22 octobre 1996. Pour mémoire, cette
assemblée est composée de 80 membres, dont de nom-
breux prix Nobel et un certain nombre d’athĂ©es. Jean
Paul II déclare ce jour-là que la théorie darwinienne
de l’évolution est « bien plus qu’une hypothĂšse ». II
fait abondamment référence à Galilée et aux erreurs
commises par l’Église. Le Vatican dĂ©clare clairement
accepter l’ensemble des recherches scientifiques, tout
en restant réservé sur les sujets de bioéthique

Cette nouvelle orientation repose sur quelques prin-
cipes énoncés par Jean Paul II, qui nous renvoient à la
grande rĂ©volution « alberto-thomiste ». À Cologne, au
XIIIe
siĂšcle, Albert le Grand dĂ©clare qu’il ne peut pas y
avoir de contradiction entre les vérités révélées et les
vérités de la science. On retrouve chez son disciple,
saint Thomas d’Aquin, ce discours que dĂ©fendait dĂ©jĂ 
au XIIe
siùcle Averroùs, porteur d’un islam des Lumiùres,
dans ce beau livre qu’est le TraitĂ© dĂ©cisif (lire pp. 22-23).
Au fond, ce sera aussi le thÚme de Pasteur: « Un peu
de science éloigne de Dieu, mais beaucoup de science
y ramÚne. » Il ne peut y avoir, contrairement à ce que
dira encore Léon XIII, de contradiction entre les deux;
donc laissons travailler les scientifiques, parce que ce
travail les rapprochera inexorablement de la Révéla-
tion. Saint Anselme de Cantorbéry, au XIe
siĂšcle, disait:
« Credo ut intelligam »: « Je crois, afin de mieux com-
prendre. » En d’autres termes: « Je trouve d’abord, je
cherche aprĂšs », « J’ai d’abord la foi et ensuite je deviens
scientifique ». Mais on pourrait inverser la proposition:
« Intellego ut credam »: « Je cherche à comprendre
parce que cela renforce ma foi. Regardez une petite
fourmi, elle est mille fois plus impressionnante qu’un
ordinateur. »
S’appuyer sur la science pour se rapprocher de Dieu

Cette dĂ©marche ne ramĂšne-t-elle pas, tout de mĂȘme,
à une certaine forme de créationnisme?
Pas vraiment, dans la mesure oĂč l’Église Ă©voque
dĂ©sormais l’indĂ©pendance des magistĂšres. Laissons
la recherche d’un cĂŽtĂ© et la religion de l’autre, sans les
mĂ©langer, voilĂ  aujourd’hui sa thĂšse. La seconde gui-
dera peut-ĂȘtre la premiĂšre, mais pas au sens oĂč elle la
biaiserait. En revanche, utiliser la raison pour prou-
ver Dieu est dangereux: si l’on pouvait « prouver »
Dieu, que deviendrait en effet la foi? On n’en aurait plus
besoin! Et j’en arrive à la troisiùme attitude, celle du
« créationnisme finaliste » qui est encore trÚs répandue
aujourd’hui. Ses tenants tentent d’accorder la thĂ©orie de
l’évolution Ă  l’hypothĂšse du principe anthropique, dans
la perspective d’un « dessein intelligent ». Leur idĂ©e,
c’est que les paramĂštres initiaux, ceux qui sont prĂ©sents
dÚs le Big Bang, sont tellement bien réglés pour conduire
au monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui qu’on ne peut
pas ne pas supposer une intelligence en amont. Cette
thĂšse n’est pas Ă  confondre avec le crĂ©ationnisme dĂ©bile
des fanatiques américains, mais elle est néanmoins reje-
tĂ©e par l’immense majoritĂ© des scientifiques.
Le mouvement créationniste, particuliÚrement vigoureux
aux États-Unis, semble en fait multiforme

Effectivement. Hormis celle dont je viens de parler, il en
existe plusieurs autres formes. Il y a des créationnistes
que l’on appelle les « Young Earth » – plusieurs millions
aux États-Unis mais aussi dans le monde musulman –,
qui interprÚtent les textes sacrés de maniÚre littérale
et affirment, par exemple, que la Terre a 6 000 ans. Il
y a aussi les « vieille Terre », qui essaient de concilier,
malgrĂ© tout, ce que l’on sait de l’ñge de la planĂšte avec
ce que dit la Bible.
En 2007, la France et l’Europe ont Ă©tĂ© inondĂ©es de
dizaines de milliers d’exemplaires d’un livre dĂ©lirant:
L’Atlas de la CrĂ©ation. Écrit par un certain Harun Yahya,
thĂ©ologien musulman turc, l’ouvrage a Ă©tĂ© diffusĂ© gra-
tuitement dans nos lycĂ©es. Il dĂ©fend l’idĂ©e que Dieu a
créé toutes les espĂšces en mĂȘme temps, s’appuyant sur
des photos d’animaux d’un cĂŽtĂ©, de fossiles de l’autre,
tout cela pour montrer qu’elles existaient dĂ©jĂ  il y a
trĂšs longtemps, et donc prouver l’absence d’évolution.
Le biologiste Richard Dawkins a publié une critique
du livre. Il a notamment mis le doigt sur un artifice
ahurissant: certaines photos étaient des faux! Comme
l’auteur n’avait pas toujours trouvĂ© les fossiles corres-
pondant aux espÚces actuelles, il avait acheté des appùts
artificiels chez un marchand d’articles de pĂȘche – des
leurres – et les avait dĂ©corĂ©s. Escroquerie totale, d’un
comique achevé  mais qui a fait pas mal de dĂ©gĂąts!
« Avec Jean Paul II, le Vatican
accepte clairement l’ensemble
des recherches scientifiques,
tout en restant réservé sur les
sujets de bioéthique »
ŒŒŒRetrouvez en vidĂ©o
les propos de Luc
Ferry lors du colloque
« Dieu et la science » :
http://sciav.fr/HSferry
8 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
Comment ĂȘtre crĂ©ationniste au XXIe
siĂšcle?
Les créationnistes cherchent à tout prix des preuves
de l’existence de Dieu. Dans la thĂ©ologie classique, on
en trouvait trois fondamentales. D’abord la preuve a
contingentia mundi, par la contingence du monde.
Autrement dit, par le principe de raison suffisante.
« Nihil est sine ratione » (Leibniz): tout effet a une
cause, rien n’arrive sans raison. Par consĂ©quent, le
monde pris globalement ne peut exister sans cause
premiĂšre, sans un Être suprĂȘme, un Dieu crĂ©ateur. La
deuxiĂšme preuve est tĂ©lĂ©ologique. C’est la preuve par
la beauté du monde, par la splendeur des créatures. La
petite fourmi ou le scarabée sont magnifiquement faits.
Il faut bien un créateur intelligent pour que ces mer-
veilles que sont les organismes vivants aient pu exis-
ter. Et enfin, troisiÚme « preuve »: le fameux argument
ontologique attribuĂ© Ă  saint Anselme, que l’on retrouve
chez Descartes, Leibniz ou Spinoza sous des formes dif-
fĂ©rentes: j’ai l’idĂ©e d’un Dieu possĂ©dant toutes les qua-
litĂ©s, tous les attributs. Or l’existence est une qualitĂ©
Ă©minente, donc Dieu existe. À cĂŽtĂ© de ces arguments
classiques, des versions modernes ont été proposées, par
exemple par Teilhard de Chardin, qui postulent la néces-
sitĂ© d’une intelligence crĂ©atrice Ă  l’origine de l’évolution.
Certains cherchent toujours des preuves « scientifiques »
de l’existence de Dieu. Peut-on aller jusqu’à imaginer une
preuve « scientifique » de sa non-existence?
Évidemment non. Comme l’a dit le philosophe des
sciences Karl Popper, la proposition « Dieu existe » est
par nature non falsifiable. Personne ne pourra jamais
prouverqu’iln’existepas.Enrevanche,lespreuvesdeson
existencenetiennentpasnonpluslaroutetroissecondes.
C’est ce qu’a montrĂ© Kant de maniĂšre lumineuse dans la
Critiquedelaraisonpure,eninsistantnotammentsurle
faitqu’onnepeutjamaisdĂ©duirel’existencedelapensĂ©e.
Aussi bien que je définisse une table, je ne la ferai jamais
exister pour autant! En quoi l’argument ontologique est
absurde: ce n’est pas parce que j’ai l’idĂ©e d’un ĂȘtre par-
fait,quidoitexister,quecetteidéelefaitexistervraiment!
Nousavonstousl’idĂ©edeDieu,c’estvrai,maisl’idĂ©ed’un
ĂȘtre nĂ©cessaire n’est pas une rĂ©alitĂ©.
Popper reprendra la thĂšse kantienne sous une autre
forme: pour qu’un Ă©noncĂ© soit scientifique, il faut, non
pas qu’on puisse le vĂ©rifier, mais au contraire le « falsi-
fier », c’est-Ă -dire imaginer un test qui puisse l’invalider.
Soit la proposition: « Tous les cygnes sont blancs ». On
peut accumuler 10 000 observations de cygnes blancs,
cela ne prouvera jamais que la proposition est vraie. En
revanche, si vous tombez sur un cygne noir Ă  bec rouge
– et il y en a! –, alors vous saurez en toute certitude que
la proposition est fausse. Une hypothùse n’est scientifique
que si elle peut ĂȘtre critiquĂ©e, infirmĂ©e par une expĂ©-
rience. Popper pense Ă  la fameuse expĂ©dition d’Edding-
ton. En 1919, Einstein annonce que lors d’une Ă©clipse
de Soleil visible depuis l’Afrique Ă©quatoriale, les rayons
observés seront courbés, ce qui confirmera la théorie de
la relativitĂ©. L’expĂ©dition part, on prend les photos et, en
effet, la théorie est confirmée, « sanctionnée » comme
dit le philosophe Gaston Bachelard. Mais Einstein a pris
un risque, celui d’ĂȘtre contredit par une vĂ©ritĂ© empirique,
factuelle, observable. La proposition « Dieu existe », elle,
ne prend aucun risque: elle n’est ni dĂ©montrable ni falsi-
fiable. Cela ne signifie pas que Dieu n’existe pas, mais que
les thÚses de la théologie se meuvent dans un domaine
qui n’est pas celui de la science. Conclusion: laissons
ces deux sphĂšres de la vie de l’esprit Ă  elles-mĂȘmes, ne
les confondons surtout pas, ne les mélangeons jamais et
surtout, ne les subordonnons jamais l’une à l’autre!
EN EXCLUSIVITÉ POUR SCIENCES ET AVENIR
Sept façons
d'ĂȘtre
heureux,
avec Jacques
Attali, XO, 2015
La Plus Belle
Histoire de la
philosophie, avec
Claude Capelier,
Robert Laffont,
2014
La Révolution de
l'amour. Pour une
spiritualité laïque,
Plon, 2010
La Tentation
du christianisme,
avec Lucien
Jerphagnon,
Grasset, 2009
LESCRESPI/PASCOANDCO
« Les preuves de l’existence de Dieu ne tiennent pas, mais
personne ne pourra jamais prouver qu’il n’existe pas
 »
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 9
CONCORDISME
Créationcontinuée
La CrĂ©ation s’est dĂ©ployĂ©e dans le
temps, les espÚces se sont succédé
(sans se transformer).
Abstention de principe Ă  l’égard
des thĂ©ories scientiïŹques qui peuvent
elles-mĂȘmes Ă©voluer.
En sommeil
Créationnisme
JeuneTerre
L’Univers et l’ensemble des
espÚces ont été créés en six jours.
Discours pseudo-scientiïŹque,
refus de toute forme d’évolution.
Mouvements fondamentalistes
évangéliques américains et certains
courants islamistes radicaux.
En France : le Centre d’études
scientiïŹques et historiques,
Guy Berthault
Créationnisme
VieilleTerre
Les jours de la GenÚse sont assimilés
à de longues périodes géologiques.
Les acquis scientiïŹques ne sont acceptĂ©s
que s’ils corroborent la trame biblique.
Protestants évangéliques, certains courants juifs
et musulmans (Harun Yahya)
La vie, la Terre et, par extension, l’Univers ont Ă©tĂ©
créés par Dieu, selon des modalités conformes à une
lecture littérale des textes sacrés.
Les textes
sacrés et
les découvertes
scientiïŹques sont
compatibles.
Évolution et religions,
des liens complexes
Des créationnistes les plus radicaux, pour qui seule la Bible dit la vérité,
aux matérialistes athées, qui pensent que la science peut combattre la
religion, doctrines et courants de pensée composent une galaxie mouvante.
Par Rachel Mulot, avec l’historien des sciences CĂ©dric Grimoult. Infographie : Mehdi Benyezzar
Littéralisme
10 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
Doctrines et courants
Position vis-à-vis des textes sacrés
Position vis-Ă -vis de la science
CommunautĂ©s et ïŹgures du mouvement
NOMA
MA
TÉRIALISME
Théisme Déisme
Intelligent
design
Mouvement indépendant de toute
religion. Les Écritures peuvent ĂȘtre
interprétées de façon symbolique.
Démarche à prétention
scientiïŹque. L’évolution du vivant,
acceptée, illustre une volonté
supranaturelle. Pas de hasard
ni de contingence.
William Dembski,
Michael Behe, Université
interdisciplinaire de Paris

Softoverlap(Sofa)
Aucun refus de principe
des religions.
Acceptation de la science.
Idée selon laquelle science et
religion sont complémentaires
et doivent dialoguer.
Nidhal Guessoum
Évolutionnisme
Évolutionnisme
naturalisteagnostique
Neutralité à
l’égard de toute croyance.
Aucune restriction.
Position dominante parmi les
scientiïŹques. Stephen Jay Gould,
Guillaume Lecointre

Évolutionnisme
matérialisteathée
Refus de toute religion.
Aucune restriction. La science
peut ĂȘtre une arme pour
combattre les religions et
prouver la non-existence
de Dieu.
Richard Dawkins
Dieu est reconnu comme créateur de
l’Univers et intervient, directement ou
non, sur son fonctionnement.
Unité physique
du monde.Tout ce
qui existe n’a de
cause, d’explication
et de ïŹnalitĂ©
que naturelles.
Dieu a conçu l’Univers, puis laissĂ© sa CrĂ©ation se
dĂ©velopper de façon autonome. Il n’intervient ni dans
les affaires humaines, ni dans les lois qui régissent
le cosmos. Le dĂ©isme ne s’appuie pas sur des textes
sacrĂ©s, ne dĂ©pend pas d’une religion rĂ©vĂ©lĂ©e.
La Terre a été progressivement colonisée par des
organismes simples qui, de mutation en mutation, ont
Ă©voluĂ© vers des ĂȘtres plus complexes
 dont l’ĂȘtre humain.
Principe
anthropique
Les paramĂštres qui ont
rĂ©gi l’évolution de l’Univers
semblent minutieusement
rĂ©glĂ©s aïŹn de permettre
l’apparition de l’homme.
Acceptation de
l’approche scientiïŹque et
notamment des constantes
cosmologiques. Refus du
hasard et de la contingence
dans l’évolution.
Trinh Xuan Thuan,
les frùres Bogdanov

notamment des constantes
cosmologiques. Refus du
hasard et de la contingence
anthropique
Les paramĂštres qui ont
rĂ©gi l’évolution de l’Univers
semblent minutieusement
rĂ©glĂ©s aïŹn de permettrerĂ©glĂ©s aïŹn de permettre
l’apparition de l’homme.
Principe
l’approche scientiïŹque et
Déisme
Softoverlap(Sofa)Softoverlap(Sofa)Softoverlap
Aucun refus de principe
des religions.
Acceptation de la science.
Idée selon laquelle science et
religion sont complémentaires
et doivent dialoguer.
NidhNidhNid al Guessoum
Dieu a conçu l’Univers, puis laissĂ© sa CrĂ©ation se
dĂ©velopper de façon autonome. Il n’intervient ni dans
les affaires humaines, ni dans les lois qui régissent
le cosmos. Le dĂ©isme ne s’appuie pas sur des textes
sacrĂ©s, ne dĂ©pend pas d’une religion rĂ©vĂ©lĂ©e.
Principe
anthropique
Les paramĂštres qui ont
rĂ©gi l’évolution de l’Univers
semblent minutieusement
rĂ©glĂ©s aïŹn de permettre
l’apparition de l’homme.
Acceptation deAcceptation de
l’approche scientiïŹque et
notamment des constantes
cosmologiques. Refus du
hasard et de la contingence
dans l’évolution.
Trinh Xuan Thuan,
les frùres Bogdanov

EvolutionnismeÉvolutionnismeEvolutionnismeÉvolutionnisme
naturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostique
ÉvolutionnismeEvolutionnismeÉvolutionnismeÉvolutionnismeEvolutionnismeÉvolutionnisme
matérialisteathéematérialisteathéematérialisteathéeDéterminisme
Les Écritures sont interprĂ©tĂ©es
de maniùre symbolique. L’esprit
humain est issu d’une pensĂ©e
divine particuliĂšre.
Le hasard joue un rĂŽle mineur
dans l’évolution.
Simon Conway Morris,
Anne Dambricourt-Malassé 
Indépendance
et séparation
des magistĂšres de la
science et
de la religion
(Non-Overlapping
Magisteria).
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 11
L’aile du Petit Nuage de Magellan,
une galaxie naine distante de la Voie
lactée de seulement 200 000 années-
lumiÚre. Cette image a été obtenue
Ă  partir des observations de trois
télescopes, Chandra, Hubble et Spitzer.
NASA/CXC/JPL/CALTECH
12 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
Comment est né
l’Univers? A-t-il connu
un temps zéro?
Et qu’y avait-ilavant?
Face Ă  ces questions
auxquelles la science
peine à répondre,
certains ont la
tentation de chercher
un principe créateur.
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 13
« L’origine de l’Univers, 
un authentique 
mystÚre »
Non, le Big Bang n’est pas cette explosion originelle qui aurait accouchĂ© du cosmos!
Le physicien nous le rappelle : la question de la naissance de l’Univers est loin d’ĂȘtre
scientifiquement résolue. Car elle soulÚve des paradoxes insurmontables.
’Univers divise. La ques-
tion de son origine est en effet
celle qui tend le plus le conflit
opposant les tenants d’une sĂ©pa-
ration radicale entre la science et
la religion et ceux qui voudraient
les faire dialoguer – soit pour qu’elles se rejoi-
gnent, soit pour qu’elles se complùtent, soit pour
qu’elles s’opposent.
On rĂ©pĂšte souvent qu’« il a fallu attendre le xxe
siĂšcle
pour comprendre que l’Univers a une histoire ».
En réalité, les cosmogonies les plus ancestrales
racontaient dĂ©jĂ  une histoire de l’Univers. Il s’agit
donc d’un thĂšme trĂšs ancien, bien antĂ©rieur Ă 
l’avĂšnement de la thĂ©orie de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale
d’Einstein, y compris dans l’esprit des physiciens:
au xixe
siĂšcle, par exemple, les principes de la ther-
modynamique Ă©taient invoquĂ©s par certains d’entre
eux pour prĂ©dire la mort thermique de l’Univers.
Mais dans leur bouche, la phrase « l’Univers a une
histoire » avait un sens diffĂ©rent de celui qu’elle a
dĂ©sormais: elle signifiait que les objets que l’Uni-
vers contient – Ă©toiles et planĂštes – avaient une
histoire, alors qu’aujourd’hui, elle signifie que c’est
l’Univers lui-mĂȘme qui Ă©volue. DĂšs lors que nous
savons de façon certaine que l’Univers n’est pas
une entitĂ© stationnaire, qu’il a eu et qu’il continue
Ă  avoir une histoire, nous avons tendance Ă  consi-
dérer que cette histoire a nécessairement connu un
commencement, ce qu’on appelle le Big Bang, et
c’est autour de lui que plusieurs types de discours
viennent s’entrechoquer.
Mais une premiĂšre question se pose: les discours
que nous tenons sur l’origine de l’Univers, quelle
que soit leur nature, sont-ils vraiment complets?
Examinons d’abord celui des trois monothĂ©ismes.
Ils prĂ©sentent Dieu comme un ĂȘtre hors du monde
qui aurait dĂ©cidĂ©, Ă  un certain moment, d’appuyer
sur un interrupteur. Et d’un seul coup d’un seul,
les cieux, la Terre et la lumiĂšre seraient apparus.
Mais ce récit ne nous dit pas tout. Il ne dit pas,
par exemple, ce qui a pu se passer avant ce temps
zĂ©ro. Ni ne prĂ©cise d’oĂč l’idĂ©e de crĂ©er l’Univers
serait venue à Dieu. Ni s’il savait ce qu’il faisait
en pressant son doigt sur le bouton.
Suivons maintenant d’autres pistes, non reli-
gieuses celles-là, qui prétendent, elles aussi, nous
Ă©clairer sur l’origine du monde. Selon certains
rĂ©cits, il n’a pas Ă©tĂ© créé comme le boulanger fait
son pain: il ne provient pas d’une rĂ©alitĂ© prĂ©alable
Étienne Klein
Docteur en philosophie
des sciences,
Étienne Klein est
professeur à l’École
centrale de Paris et
directeur du Laboratoire
de recherche sur les
sciences de la matiĂšre
au CEA.
‱ Les Secrets de la
matiĂšre, Librio, 2015
‱ En cherchant
Majorana, le physicien
absolu, Éditions des
Équateurs, 2013
‱ Discours sur
l’origine de l’Univers,
Flammarion, 2010
Les trois monothĂ©ismes prĂ©sentent Dieu comme un ĂȘtre
hors du monde qui aurait décidé, à un certain moment,
d’appuyer sur un interrupteur. Mais ce rĂ©cit ne nous dit
pas ce qui a pu se passer avant.
Univers
14 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i janvier / février 2016
qu’un agent crĂ©ateur serait venu informer ou
modifier. Il aurait été fabriqué tout simplement
à partir de rien, par une création ex nihilo. Mais
comment le nĂ©ant, oĂč absolument rien n’existe
et qui lui-mĂȘme n’est rien, aurait-il pu crĂ©er quoi
que ce soit? On ne se bouscule pas pour le dire!
Sans doute parce qu’on saisit moins facilement
l’idĂ©e de nĂ©ant, d’absence de toute chose, que
le concept de table ou de brique! Cette idée a
d’ailleurs un statut trùs singulier, puisqu’elle est
destructrice d’elle-mĂȘme. DĂšs qu’elle nous vient
Ă  l’esprit, le mouvement de notre pensĂ©e la trans-
forme en autre chose qu’elle-mĂȘme: on en fait
une sorte de vide auquel on attribue, l’air de rien
(c’est le cas de le dire), un corps, une matĂ©rialitĂ©,
que le néant ne saurait posséder par définition.
Tel est le paradoxe du nĂ©ant: penser le rien n’est
jamais penser Ă  rien.
Regardons maintenant du cÎté de la science.
En toute rigueur, le Big Bang est l’époque trĂšs
dense et trùs chaude que l’Univers a connue il y a
13,8 milliards d’annĂ©es. Mais on utilise en gĂ©nĂ©ral
cette expression dans un sens différent: pour dési-
gner l’explosion originelle qui aurait créé tout ce
qui existe, autrement dit l’instant zĂ©ro marquant
le surgissement simultanĂ© de l’espace, du temps,
de la matiĂšre et de l’énergie. Dans le langage cou-
rant, elle en est donc venue à représenter la créa-
tion mĂȘme du monde, un Ă©quivalent physique du
Fiat lux religieux.
A priori, il ne s’agit pas d’un contresens: si l’on
regarde ce que fut l’Univers dans un passĂ© de plus
en plus lointain, on observe que les galaxies se rap-
prochent les unes des autres, que la taille de l’Uni-
vers ne cesse de diminuer et qu’il finit en effet par
se rĂ©duire – si l’on en croit les Ă©quations de ŒŒŒ
SERGEPICARDPOURSCIENCESETAVENIR
Retrouvez en vidéo
les propos d’Étienne
Klein lors du colloque
« Dieu et la science » :
http://sciav.fr/HSklein
Et son débat avec Nidhal
Guessoum : http://sciav.
fr/HSkleinguessoum
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 15
Univers
la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale – Ă  un Univers ponc-
tuel, c’est-à-dire de volume nul. Autrement dit, si
l’on dĂ©roule le temps Ă  l’envers, les calculs font
bien surgir un instant zéro qui serait apparu il y
a 13,8 milliards d’annĂ©es, et qui se trouve directe-
ment associé à ce que les physiciens appellent une
« singularité initiale »: une situation dans laquelle
la température et la densité deviennent infinies.
Or, qu’est-ce qui empĂȘche d’assimiler cette sin-
gularitĂ© initiale Ă  l’origine effective de l’Univers?
À vue de nez, rien, mais si l’on y regarde de plus
prĂšs, on constate qu’il faut ĂȘtre trĂšs prudent, car
les physiciens ont compris de nouvelles choses qui
pourraient changer la donne.
Dans les annĂ©es 1950, la description de l’Uni-
vers s’appuyait exclusivement sur les Ă©quations
de la relativité générale, qui décrivent les effets
de la gravitation. Or, quand on remonte le cours
du temps, la taille de l’Univers se rĂ©duisant pro-
gressivement, la matiĂšre finit par rencontrer des
conditions physiques trÚs spéciales que la relati-
vité générale est incapable de décrire seule, car
d’autres interactions que la gravitation entrent
en jeu: il s’agit des forces Ă©lectromagnĂ©tiques et
nucléaires, décrites dans le cadre du modÚle stan-
dard. Elles déterminent le comportement des par-
ticules de matiÚre, notamment quand la tempéra-
ture et la densité deviennent trÚs grandes.
La relativité générale ne prenant en compte
aucune de ces trois forces, les physiciens ont
compris qu’elle ne peut dĂ©crire Ă  elle seule les
premiers instants de l’Univers. Ses Ă©quations per-
dent toute validité quand les particules présentes
dans l’Univers, dotĂ©es d’énergies gigantesques,
subissent d’autres interactions que la gravitation.
our affronter les conditions de l’Univers
primordial et pouvoir en parler, il fau-
drait que les physiciens puissent fran-
chir le « mur de Planck », ce moment
particulier de l’histoire de l’Univers : une phase
par laquelle il est passĂ© il y a 13,8 milliards d’an-
nées et dont la physique actuelle est impuissante
Ă  dĂ©crire ce qui s’est passĂ© en son amont. Le mur
de Planck reprĂ©sente ce qui nous barre l’accĂšs Ă 
l’origine de l’Univers, si origine il y a eu. Il est
la limite de validitĂ© ou d’action des concepts de
notre physique.
Comment mieux décrire, et surtout plus com-
plùtement, l’Univers primordial, cette phase
ultrachaude et ultradense? En élaborant une
conception de la gravité quantique qui englobe
physique quantique et relativité générale. Les
scientifiques osent toutes les hypothÚses: la théo-
rie des cordes suppose que l’espace-temps possùde
plus de quatre dimensions; quant à la gravité
quantique Ă  boucles, elle Ă©nonce qu’à toute petite
Ă©chelle, il serait discontinu plutĂŽt que lisse, c’est-
à-dire constitué de petits grains
 Le point impor-
tant est que toutes ces théories ont la propriété
de faire passer un sale quart d’heure à l’instant
zéro. Quand on les applique aux phases
ŒŒŒ
Galilée
Physicien et astronome
né à Pise (1564-1642).
Auteur d’une loi sur la
chute des corps, Galileo
Galilei posa les principes
de la mécanique et est,
à ce titre, considéré
comme le fondateur de
la physique moderne.
Par ailleurs, il ne
cessa d’observer les
corps célestes et
leur mouvement,
n’échappant au
bĂ»cher de l’Inquisition
qu’en abjurant
l’hĂ©liocentrisme,
en 1633.
RUEDESARCHIVES
BIG BANG
Ce terme dĂ©signe d’abord l’époque
extrĂȘmement dense et chaude qu’a
connue l’Univers il y a 13,8 milliards
d’annĂ©es; mais aussi l’ensemble des
modÚles cosmologiques fondés sur
son expansion, le premier ayant été
proposé en 1927 par le chanoine
belge Georges LemaĂźtre Ă  partir de la
relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Albert Einstein. Le
Big Bang est souvent considéré, à tort,
comme une gigantesque explosion.
Sans doute en raison du terme mĂȘme
(« grand boum »), introduit en 1950 par
l’Anglais Fred Hoyle pour railler ce qu’on
appelait alors le « modĂšle d’évolution
dynamique »... lequel sera accepté
par la majorité des cosmologistes une
quinzaine d’annĂ©es plus tard! Il s’agit
en fait d’une dilatation de l’espace lui-
mĂȘme, conduisant les objets cĂ©lestes Ă 
s’éloigner les uns des autres. Tout aussi
abusive et rĂ©pandue, l’idĂ©e selon laquelle
le Big Bang correspondrait Ă  la naissance
de l’Univers. Car notre comprĂ©hension
actuelle de la physique ne permet
pas de remonter le temps au-delĂ  de
10-43
seconde aprĂšs le Big Bang, limite
que les physiciens nomment l’« Ăšre de
Planck » oĂč l’Univers ne mesurerait
que 10-35
mĂštre! Sauf Ă  trouver une
théorie unifiant la relativité générale et
la mécanique quantique, laquelle décrit
la matiĂšre Ă  l’échelle subatomique, la
physique actuelle ne peut dire ce qu’il
s’est passĂ© avant.
16 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
Les résultats du satellite Planck
(à droite) permettent de représenter
l’espace sous la forme d’un cĂŽne Ă©vasĂ©,
ce qui correspond Ă  son expansion
accélérée. La premiÚre lumiÚre,
datant de l’époque oĂč l’Univers avait
380 000 ans, est ïŹgurĂ©e par un disque
colorĂ© Ă  l’extrĂ©mitĂ© gauche.
ŒŒŒ
SOURCE:NASA/WMAPSCIENCETEAM
ÉCLAIRAGES
MATIÈRE NOIRE
PlanÚtes, étoiles, galaxies
 Tout ce que
l’on observe dans l’Univers ne reprĂ©sente
que 4,9 % de son contenu total, estiment
les astrophysiciens! Le reste, de nature
encore inconnue, n’est trahi que par son
effet sur les objets célestes. En 1970,
l'Américaine Vera Rubin, reprenant les
travaux du Suisse Fritz Zwicky dans les
annĂ©es 1930, remarque ainsi qu’à la
vitesse oĂč tournent les galaxies, leurs
Ă©toiles pĂ©riphĂ©riques devraient ĂȘtre
Ă©jectĂ©es. Leur masse apparente n’est pas
suffisante pour maintenir leur cohésion.
Il faut donc supposer l’existence d’une
matiĂšre invisible, agissant uniquement
par son attraction gravitationnelle, pour
expliquer cette cohĂ©sion. Aujourd’hui
encore, les astrophysiciens sont
contraints de tenir compte de cette
matiĂšre noire, qui constituerait 25,9 %
de l’Univers.
ÉNERGIE SOMBRE
En 1998, l’observation de supernovae
– des Ă©toiles en cours d’explosion –
dont on pensait connaĂźtre la distance
précise a surpris les cosmologistes :
elles semblaient plus éloignées de la
Terre que prévu! Pour expliquer cet
écart entre la théorie et les mesures,
il fallait envisager non seulement que
l’Univers Ă©tait en expansion, mais que
cette expansion s'accélérait. Alors
qu’on s’attendait à ce qu’elle ralentisse
sous l’effet de la gravitation... Tout
se passe comme si une mystérieuse
« énergie sombre », dont la nature est
dĂ©battue, dilatait l’espace de plus en
plus rapidement. Cette énergie sombre
pourrait constituer 69,2 % du contenu
de l’Univers.
RELATIVITÉ GÉNÉRALE
Elle a été formulée en 1915 par Albert Einstein pour résoudre certains
problÚmes posés par la théorie newtonienne de la gravitation. Selon
Newton, en effet, tous les objets s’attirent proportionnellement à leur
masse et de maniÚre inversement proportionnelle au carré de leur
distance. Aussi, plus ils sont massifs et proches, plus ils s’attirent. Cette
force d’attraction explique aussi bien la chute des corps que l’orbite des
planÚtes. Mais quelques observations semblent lui échapper, comme
les irrĂ©gularitĂ©s de l’orbite de Mercure. La relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Einstein
Ă©claire ce phĂ©nomĂšne en considĂ©rant que l’espace est dĂ©formĂ© par les
masses : la gravitation, dùs lors, n’est pas une force mais la courbure
mĂȘme de l’espace-temps sous l’effet de la matiĂšre (ou de l’énergie)
en son sein. Cette courbure modifie la trajectoire des objets qui se
dĂ©placent au voisinage d’un corps massif. VoilĂ  pourquoi, Ă  proximitĂ©
d’un tel astre, l’orbite d’une planĂšte se trouve dĂ©formĂ©e. À l’échelle du
SystĂšme solaire, ces effets sont infimes. Mais Ă  l’échelle des galaxies,
ils affectent la lumiĂšre qui nous parvient des astres lointains.
RELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALE
CHANDRA
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 17
Pour expliquer la cohésion des galaxies
(ici, M51), il faut postuler l’existence
d’une masse invisible, la matiùre noire.
Selon la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Einstein, la masse dĂ©forme l’espace,
ce qui change la trajectoire des corps célestes.
ESO/L.CALÇADA
PageréaliséeparFranckDaninosavecAzarKhalatbari
Univers
Albert Einstein
Le célÚbre physicien
suisse naturalisé
américain (1879-1955)
révolutionna la physique
par l’établissement
de quatre théories
fondamentales : le
mouvement brownien,
l’effet photoĂ©lectrique,
la relativité restreinte et
la relativité générale.
ruedesarchives
les plus reculĂ©es de l’histoire de l’Univers,
on constate que les calculs ne font plus apparaĂźtre
de singularitĂ© initiale! Donc plus d’instant zĂ©ro!
Tout se passe comme si elles aboutissaient sinon
à l’abolition de l’origine de l’Univers, du moins à
sa mise Ă  l’écart

Aucune, en tout cas, ne donne corps Ă  l’idĂ©e d’une
création ex nihilo, ce qui oblige à revoir notre
façon de penser le Big Bang. Par exemple, cer-
tains modĂšles thĂ©oriques l’interprĂštent non plus
comme une singularité, mais comme une phase
extrĂȘmement dense qui aurait servi de « pont »
entre notre Univers en expansion et un autre
qui l’aurait prĂ©cĂ©dĂ© (le mĂȘme, mais en contrac-
tion). On comprend que, dans un tel cadre, le Big
Bang ne puisse plus ĂȘtre confondu avec l’origine
de l’Univers.
a question de l’origine est donc ouverte:
personne n’est en mesure de dĂ©montrer
scientifiquement que l’Univers a eu une
origine proprement dite, et personne
n’est capable non plus de dĂ©montrer scientifique-
ment qu’il n’en a pas eue
 L’origine opùre ainsi
comme un trou dans nos représentations, un trou
si grand que l’intelligence et l’imagination font ce
qu’elles peuvent pour le combler, mais sans jamais
y parvenir. On peut se demander pourquoi nous
tenons tant à avoir le fin mot de l’histoire, quitte
Ă  le fabriquer ou Ă  considĂ©rer qu’il nous a Ă©tĂ© livrĂ©
clé en main. Sans doute serait-il plus intéressant
de considĂ©rer que la question de l’origine consti-
tue un authentique mystÚre, sans réponse à por-
tée de main.
Quand on parle de science et de religion, apparaĂźt
aussi la question des valeurs. Je suis bien conscient
que les sciences ne traitent vraiment bien que des
questions
 scientifiques! Or celles-ci ne recou-
vrent pas l’ensemble des questions qui se posent
à nous. Du coup, l’Universel que les sciences met-
tent au jour est, par essence, incomplet: il n’aide
guĂšre Ă  trancher les questions qui restent en
dehors de leur champ. En particulier, il ne permet
pas de mieux penser l’amour, la libertĂ©, la justice,
les valeurs en général. De telles questions sont
toutefois Ă©clairĂ©es par la science, et mĂȘme modi-
fiées par elle: par exemple, un homme qui sait que
son espĂšce n’a pas cessĂ© d’évoluer et que l’Univers
est vieux d’au moins 13,8 milliards d’annĂ©es ne se
pense pas de la mĂȘme façon qu’un autre qui croit
dur comme fer qu’il a Ă©tĂ© créé tel quel en six jours
dans un Univers qui n’aurait que six mille ans.
Reste qu’il faut bien veiller à ne pas confondre les
croyances et les connaissances. J’entends par-
fois dire que les connaissances permettraient
de comprendre ou d’étayer le sens vĂ©ritable des
textes sacrés, dont le prestige se trouverait ainsi
renforcé. Cette voie est à la fois une erreur et une
impasse. Car mĂȘme en abusant du sparadrap
syncrétique, on ne peut pas faire coller toutes
nos nouvelles connaissances avec toutes nos
anciennes croyances: oĂč trouver trace dans les
textes anciens, mĂȘme de façon fantomatique, de
ce que nous venons d’apprendre sur l’origine de la
masse grùce à la découverte du boson de Higgs?
La science dĂ©voile des choses qui n’avaient jamais
Ă©tĂ© dites, et c’est ce qui fait sa valeur.
Vous m’opposerez: mais il y a la question du sens.
Certes. Emportés par leur élan, certains se lais-
sent d’ailleurs aller à nous survendre des prolon-
gements métaphysiques qui vont bien au-delà
de ce qu’offrent les thĂ©ories elles-mĂȘmes. Sauf Ă 
sombrer dans une espĂšce de mysticisme idolĂątre,
il est certainement illusoire d’espĂ©rer extraire le
sens du monde ou de la vie d’un jeu d’équations
mathĂ©matiques. Mais c’est plus fort que nous:
nous ne tolérons pas la contingence, nous récla-
mons du sens, du projet, du dessein. DĂšs lors,
ceux qui croient connaĂźtre le sens du monde Ă 
l’avance ne peuvent s’empĂȘcher de le faire Ă©noncer
par telle ou telle théorie scientifique à leur goût,
qu’elle soit dĂ©jĂ  constituĂ©e ou simplement annon-
cĂ©e. En rĂ©alitĂ©, ils l’y projettent comme on verse
du sel sur les aliments. Puis, tout émerveillés, ils
s’extasient aprùs coup de l’y reconnaütre.
on point de vue est simple à résu-
mer: nous avons tous des croyances,
religieuses ou autres, qui irriguent
le rapport que nous entretenons
avec notre propre existence. Ces croyances sont
Ă©galement respectables, sauf quand elles s’ex-
priment de façon trop radicale ou exigent le
monopole. À cĂŽtĂ© d’elles, il y a des connais-
sances scientifiques, laborieusement acquises,
et mĂȘme des « vĂ©ritĂ©s de science ». Chacun
d’entre nous a certes la libertĂ© de les ignorer,
mais c’est toujours dommage, car elles peu-
vent conduire à remettre en cause notre façon
de penser certaines questions. Ce qui est sûr,
c’est qu’elles ne peuvent pas ĂȘtre dites dans les
mĂȘmes termes que ceux que nous utilisons pour
dire nos croyances. C’est affaire de vocabulaire,
mais pas seulement.
Ilestillusoired’espĂ©rerextrairelesensdumondeetdelavied’unjeu
d’équationsmathĂ©matiques.Maisc’estplusfortquenous:nousnetolĂ©rons
paslescontingences,nousréclamonsdusens,duprojet,dudessein.

18 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i janvier / février 2016
ÉCLAIRAGES
PHYSIQUE QUANTIQUE
Née au début du XXe
siĂšcle, pratiquement
en mĂȘme temps que la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale,
elle décrit le comportement de la
matiĂšre Ă  l’échelle subatomique. Jusqu’à
aujourd’hui, elle n’a jamais Ă©tĂ© prise
en dĂ©faut et a produit d’innombrables
applications, des lasers aux panneaux
photovoltaïques. Elle défie toutefois
le sens commun, car elle indique que
les particules peuvent se trouver dans
deux états quantiques à la fois : excité
et au repos; noir et blanc; 1 et 0; onde
et particule. Cette étrange propriété
est baptisée « état de superposition
quantique ». Par ailleurs, deux particules
peuvent former Ă  jamais un seul sytĂšme
pour peu qu’elles aient interagi dans le
passĂ©. C’est « l’intrication quantique ».
De ce fait, il suffit de mesurer les
caractĂ©ristiques de l’une pour en dĂ©duire
celles de l’autre, mĂȘme si elles se trouvent
distantes de millions de kilomĂštres.
Toutefois, plus les objets sont gros, plus
ils interagissent avec l’environnement
(air, rayonnement, etc.), ce qui a pour
effet de faire disparaßtre les propriétés
quantiques de la matiùre. À l’issue de
cette « décohérence », on retrouve la
physique « classique », bien
déterminée, à laquelle
nous sommes
habitués.
La relativité générale, qui
décrit si bien le monde à
l’échelle de l’Univers, et la
physique quantique, qui relate
le monde subatomique, sont
incompatibles. Par exemple,
la premiĂšre considĂšre que les
Ă©changes d’énergie se font de
maniĂšre continue; la seconde
qu’ils se font par sauts, de
maniĂšre quantifiĂ©e – de lĂ 
son nom. D’oĂč la nĂ©cessitĂ©
d’élaborer une thĂ©orie qui
englobe les deux échelles.
Baptisée « gravité quantique »,
elle est le graal que recherchent
les thĂ©oriciens. Pour l’heure,
parmi les multiples voies
explorées, deux semblent
les plus prometteuses. La
premiÚre, la « théorie des
cordes », considÚre que toutes
les particules correspondent aux
différents modes de vibrations
d’une entitĂ© unique, un filament
infime. Cette théorie implique
une hypothĂšse audacieuse :
l’espace comporterait des
dimensions cachées, repliées
sur elles-mĂȘmes.
La deuxiÚme, la gravité
quantique Ă  boucles, envisage
l’espace Ă  petite Ă©chelle de
maniĂšre discontinue, sous forme
de minuscules grains jointifs,
à la maniùre d’un tableau
pointilliste qui nous semble lisse
lorsqu’on s’en Ă©loigne.
MODÈLE STANDARD DE LA PHYSIQUE DES PARTICULES
Il dĂ©crit l’ensemble des briques Ă©lĂ©mentaires de la matiĂšre et des forces qui
rĂ©gissent leurs interactions, Ă  l’exception de la gravitation. Ces particules
sont regroupées en deux grandes familles: les fermions, qui composent la
matiÚre, tels les quarks ou les électrons; et les bosons, qui véhiculent trois
des quatre forces fondamentales – les interactions nuclĂ©aires forte et faible
et l’interaction Ă©lectromagnĂ©tique. Par exemple, le plus connu des bosons,
le photon, est responsable du magnĂ©tisme et de l’électricitĂ©. Il explique
la quasi-totalité des phénomÚnes physiques à notre échelle. En 2012, la
détection du « boson de Higgs » a signé un nouveau succÚs du modÚle
standard, qui prédisait son existence depuis prÚs de cinquante ans (lire
pp. 24-25).
quantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue dequantiques de la matiùre. À l’issue de
cette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve lacette « décohérence », on retrouve la
physique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bien
déterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelledéterminée, à laquelle
nous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommes
habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.habitués.
LUCASTAYLOR/CERN
LKB.CNRS/IGORDOTSENKO
GRAVITÉ QUANTIQUE
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 19
Expérience sur
un objet en état
de superposition
quantique.
Simulation de la
dĂ©sintegration d’un boson
de Higgs dans le détecteur
CMS du LHC, au Cern. Les
traces jaune-vert dénotent
les particules produites
par la collision d’une paire
de protons d’ultra-haute
énergie. Les énergies
déposées par les particules
dans le détecteur sont en
bleu turquoise.
PageréaliséeparFranckDaninosavecAzarKhalatbari
« Il y a un sens à tout 
ça, une cohérence »
Lacosmologiemoderneachangélaconceptiondumondedescroyantscomme
desnon-croyants.Mais,sedemandel’astrophysicien,faceĂ l’immensitĂ©effrayante
del’Univers,peut-onsesuffiredesdonnĂ©esrigoureusesdelascience?
u’entend-on aujour-
d’huipar cosmologie? Qu’en-
tendait-on par lĂ  au cours des
siÚcles précédents, dans les dif-
fĂ©rentes cultures – islamique,
occidentale ou autre? Et pour-
quoi serait-il impossible de concilier ces deux repré-
sentations, ces deux « magistÚres », ceux de la
science et de la religion?
Lorsqu’on parle de cosmologie aujourd’hui, la plu-
part des gens comprennent aussitît qu’il s’agit
d’astrophysique, de thĂ©ories et d’observations,
de calculs, de nombres exacts. Mais cette disci-
pline n’est devenue vĂ©ritablement scientifique (au
sens moderne) qu’il y a un siùcle. C’est en 1915-
1916 qu’Einstein a publiĂ© sa thĂ©orie de la relativitĂ©
gĂ©nĂ©rale, dont l’équation principale a permis de
faire des prédictions sur la structure du cosmos et
son histoire. Il a d’ailleurs Ă©tĂ© surpris de consta-
ter que cette équation avait pour résultat un Uni-
vers en expansion, et il l’a remodelĂ©e, Ă  l’aide d’une
constante cosmologique, afin qu’elle corresponde
à ce à quoi il était habitué: un Univers statique.
Depuis, la science nous a appris que l’Univers obser-
vable,d’undiamĂštred’environ93 milliardsd’annĂ©es-
lumiĂšre, compte plus de 100 milliards de galaxies.
Nous connaissons son Ăąge avec une trĂšs grande
prĂ©cision: 13,8 (plus ou moins 0,02) milliards d’an-
nĂ©es. Nous savons que son expansion s’accĂ©lĂšre, et
qu’il est constituĂ© en partie d’une matiĂšre noire
que nous n’avons pas encore dĂ©couverte mais dont
nous voyons les effets. Nous pensons qu’il existe
également une énergie noire, ou énergie sombre,
responsable de cette accĂ©lĂ©ration de l’expansion.
Nous savons enfin que la matiÚre connue représente
moins de 5 % du contenu matiĂšre-Ă©nergie de l’Uni-
vers. Et la matiĂšre dite lourde (carbone, oxygĂšne, fer,
etc.), ce qui forme tout le monde complexe et solide,
vivant ou non vivant, Ă  peine quelques centiĂšmes du
centiĂšme de toute la matiĂšre existante.
Mais pendant des millénaires, le terme de cosmo-
logie a dĂ©signĂ© toutes les conceptions de l’Univers
quelles qu’elles soient. Elles Ă©taient gĂ©nĂ©ralement
culturelles, trÚs souvent spéculatives, souvent
mythologiques, parfois mĂȘme philosophiques ou
thĂ©ologiques. Depuis l’aube des temps, en effet,
dans toutes les cultures, les gens se sont repré-
senté le cosmos. Souvent de façon géocentrique et
anthropocentrique. Mais pas toujours: les Chinois,
par exemple, s’en sont fait une reprĂ©sentation beau-
coup plus abstraite, sans idĂ©e de finalitĂ© de l’homme
ni de créateur.
e public est à la fois fasciné et dérangé
par la cosmologie lorsqu’elle n’est que
scientifique. Il aspire à une vision équi-
librĂ©e du monde et de l’existence: scien-
tifique, certes, mais aussi culturelle. La plupart des
gens souhaitent qu’on leur raconte comment cet
Univers immense se rapporte Ă  leur existence. « OĂč
sommes-nous dans tout cela? » Je voudrais qu’ils
comprennent que, par rapport à l’Univers, nous
Nidhal Guessoum
Professeur
Ă  l’UniversitĂ©
américaine de Sharjah
(Émirats arabes unis)
dont il est également
le vice-doyen,
Nidhal Guessoum
a travaillé au Goddard
Space Flight Center
de la Nasa.
‱ Islam, Big Bang et
Darwin, les questions
qui fĂąchent,
Dervy, 2015
‱ Islam et science :
comment concilier le
Coran et la science
moderne, Dervy, 2013
La trĂšs grande majoritĂ© des ĂȘtres humains
ignore l’existence du boson de Higgs et de l’énergie noire
Univers
20 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i janvier / février 2016
CREDIT
Retrouvez en vidéo
les propos
de Nidhal Guessoum lors
du colloque « Dieu et la
science » : http://sciav.fr/
HSguessoum
Et son dĂ©bat avec Étienne
Klein : http://sciav.fr/
HSkleinguessoum
ne sommes que des grains de sable, mais que cela
ne doit pas nous choquer. Car l’Univers ne pouvait
ĂȘtre autrement. Il a dĂ©marrĂ© d’un point, une singu-
laritĂ©, dans lequel tout Ă©tait concentrĂ© – l’énergie,
la matiùre, l’espace, le temps –, puis le Big Bang l’a
projeté dans cette expansion qui a donné naissance
Ă  des objets de plus en plus complexes : les galaxies,
les Ă©toiles, les planĂštes
 S’il y a expansion, c’est
qu’il y a Ă©volution – ainsi les planĂštes se transfor-
ment, l’atmosphùre de la Terre n’a pas toujours
été celle que nous connaissons
 Et il fallait bien
quelques milliards d’annĂ©es pour que cette Ă©volu-
tion aboutisse Ă  des ĂȘtres capables de s’interroger
et s’émerveiller face Ă  l’immensitĂ© et la complexitĂ©
du cosmos. VoilĂ  pourquoi nous sommes si petits,
si récents, face à cet Univers si grand, si vieux
 si
impressionnant, voire effrayant.
Souvenons-nous de la phrase extrĂȘmement dure de
Jacques Monod: « L’ancienne alliance est rompue;
l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensitĂ©
indiffĂ©rente de l’Univers » (Le Hasard et la NĂ©ces-
sitĂ©). Monod affirme en 1970 que l’homme, fort de
sa raison, doit choisir entre le Royaume, c’est-à-
dire les anciennes conceptions religieuses, et les
ténÚbres. Selon lui, aucune idée de finalité humaine
n’est permise! Mais une conception plus heureuse
et harmonieuse n’est-elle pas possible?
Autrefois, la cosmologie, comme la philosophie et la
thĂ©ologie, Ă©tait nourrie de spĂ©culations. Aujourd’hui,
il semblerait que nous n’ayons plus le choix, ni mĂȘme
le droit, d’ignorer les connaissances scientifiques
sur l’Univers, mĂȘme si l’on veut le concevoir dans
une perspective « humaine ». La science a mis sur
la table des données rigoureuses dont nous devons
tenir compte. Mais, mĂȘme en sachant que nous ne
faisons partie que du 1 % du 1 % de la matiĂšre de
l’Univers, et que le vivant ne reprĂ©sente que le mil-
liardiĂšme du milliardiĂšme de toute la matiĂšre, il y
a, me semble-t-il, une maniĂšre moins effrayante de
conceptualiser le cosmos. Une maniĂšre qui explique
que nous sommes tout de mĂȘme importants. Qu’il
y a un sens à tout ça, une cohérence.
La science est loin de représenter le savoir de la
trĂšs grande majoritĂ© des humains – la plupart
ne connaissent pas le boson de Higgs ni l’énergie
noire
 Elle ne doit pas se déconnecter du reste
de la société, au risque, comme une locomotive
qui avance toujours plus vite, de voir ses ŒŒŒ
CELIAPETERSON/LUZPOURSCIENCESETAVENIR
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 21
Univers
ŒŒŒ
Jacques Monod
Biologiste et biochimiste
français (1910-1976).
Ses apports Ă  la
biologie moléculaire
sont considérables.
Il mit notamment en
Ă©vidence l’existence
d’une molĂ©cule servant
de lien entre l’ADN et les
protéines nécessaires
Ă  la vie des cellules :
l’ARN « messager ».
Et il popularisa l’idĂ©e
qu’un « programme
génétique » est censé
diriger le développement
des ĂȘtres vivants.
Lauréat en 1965 du prix
Nobel de physiologie
(médecine) pour ses
travaux en génétique,
il exposa dans son livre
Le Hasard et la nécessité
ses vues sur la nature et
le destin de l’humanitĂ©.
OPALE
Al-Kindi(800-873)
Il est considéré
comme un
des premiers
philosophes
hellénisants arabes.
À Bagdad, devenu le
centre scientifique
et culturel du
monde musulman
au XIe
siÚcle, al-Kindi est chargé de la
traduction de manuscrits grecs, et il
rĂ©dige des traitĂ©s d’arithmĂ©tique et de
géométrie. Ses 290 ouvrages concernent
principalement l’astronomie, la mĂ©decine et
les mathématiques.
DUBSAHARA.COMRAFFAEL/LEEMAGE
wagons se détacher un à un. Les wagons,
ce sont notre monde, nos vies, notre sagesse, nos
relations aux autres, à l’environnement
 Il est
donc important de raccorder ce que nous appre-
nons de la science avec ce que la société doit com-
prendre et saisir.
La cosmologie scientifique change la conception du
monde. Mais l’on peut se poser certaines questions:
quel est le sens de l’existence, sommes-nous ou non
« au centre »  Ces interrogations ouvrent Ă  des
discussions riches, auxquelles il ne faut pas renon-
cer. Naturellement, si des étudiants viennent me
dire: « Ma conception du monde est basée sur le fait
qu’Adam a Ă©tĂ© créé directement et spĂ©cialement »,
il y a conflit. De mĂȘme lorsqu’un cheikh saoudien
affirme Ă  l’universitĂ© que la Terre ne tourne pas
autour du Soleil, « preuves » Ă  l’appui. Mais si une
personne a du monde une vision en accord avec
nos savoirs actuels, celle-ci est cohĂ©rente, mĂȘme
si cette personne souscrit Ă  une autre philosophie,
une autre croyance, une autre culture

a science est un dénominateur univer-
sel commun Ă  tous, croyants et non-
croyants. Mais il existe un moyen d’y
ajouter, pour les théistes et notamment
les musulmans, une interprétation donnant du
sens. Comment? Ma rĂ©fĂ©rence, c’est AverroĂšs,
grand philosophe musulman du XIIe
siĂšcle (lire ci-
contre). À cette Ă©poque, la confrontation Ă©tait vive
entre la philosophie et la Charia, la loi révélée. Aver-
roùs avançait qu’il n’y a pas de conflit entre reli-
gion et philosophie parce que la vérité ne contre-
dit pas la vérité, que la vérité divine révélée dans
les textes ne peut contredire la vérité divine révé-
lée dans le monde. Il était nécessaire, selon lui, de
réinterpréter ces textes à la lumiÚre des méthodes
rationnelles. VoilĂ  pourquoi je parle d’un « che-
vauchement doux », un soft overlap, entre les deux
approches. Il y a un magistÚre des textes sacrés, de
la foi, il y a un magistĂšre du savoir, des sciences,
de la philosophie, de la raison
 et ils viennent se
complĂ©ter, s’éclairer l’un l’autre. Sans jamais Ă©vi-
demment s’emboüter l’un sur l’autre.
Ceci dit, je rĂ©pĂšte qu’il n’y a pas de science Ă  trouver
dans les textes sacrĂ©s, et qu’il ne faut surtout pas – et
je le rappelle souvent aux musulmans – chercher à
montrer que ces textes disaient déjà ceci ou cela de
scientifique
 Mais l’inspiration peut venir de n’im-
porte oĂč. Je peux voir une balle glisser sur un drap et
penser qu’il se pourrait que la gravitation fonctionne
ainsi. Cela signifie que j’ai une idĂ©e, une formule en
tĂȘte. Je dois pourtant vĂ©rifier qu’elle s’applique Ă  la
réalité du monde. Le physicien Murray Gell-Mann,
par exemple, raconte que la théorie des quarks dite
de « voie octuple » lui est venue Ă  l’esprit un jour qu’il
lisait un livre bouddhiste. Mais ce qui est important,
c’est ensuite la rigueur, la mĂ©thode. Car nombre
d’inspirations se sont rĂ©vĂ©lĂ©es fausses

La science est notre guide pour comprendre le fonc-
tionnement du monde. La religion et la philosophie
sontnosguidespourcomprendrelesensdumonde.
22 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
AVERROÈSETLESPENSEURSDEL’ISLAM
AverroĂšs(1126-1198)
Son héritage est revendiqué par tous
ceux qui s’opposent Ă  une lecture littĂ©rale
du Coran. Il est invoqué chaque fois que
science et religion se trouvent confrontées.
Ibn Rochd de Cordoue, connu en Occident
sous son nom latin d’Averroùs, est un
philosophe, juge, juriste et médecin
musulman du XIIe
siĂšcle, avant tout
commentateur d’Aristote en langue arabe.
« Pour AverroÚs, le monde ne comporte
qu’une seule vĂ©ritĂ©, mais diffĂ©rentes
maniĂšres d’y accĂ©der, explique Jean-
Baptiste Brenet, professeur de philosophie
mĂ©diĂ©vale arabe et latine Ă  l’universitĂ©
Paris-I Panthéon-Sorbonne. La religion et
la philosophie – qui, au Moyen Age, couvre
le champ du savoir – sont en effet deux
maniĂšres d’exprimer cette unique vĂ©ritĂ©. La
premiÚre, de façon métaphorique, passe par
des images concrùtes et s’adresse à la masse
des croyants. Tandis que la philosophie
prĂ©sente l’essence des choses et nĂ©cessite
une abstraction, des démonstrations
rigoureuses. LĂ  oĂč la religion, par exemple,
emploie les mots “crĂ©ateur des cieux et de
la terre” ou “lumiùre” pour parler de Dieu,
la philosophie dĂ©montre l’existence d’un
premier moteur de l’univers conçu comme
un pur intellect. » Ces deux chemins, qui
ne font pas appel aux mĂȘmes aptitudes,
sont empruntĂ©s par deux types d’hommes
distincts. Car les hommes sont eux-mĂȘmes
différents et donc sensibles à des discours
spécifiques. En somme, la religion dit aux
foules ce que la science dit aux philosophes,
« mais ces voies ne sont pas recouvrables »,
souligne Jean-Baptiste Brenet.
Que se passe-t-il en cas de contradictions
entre science et religion? « Elles sont
nécessairement superficielles. En réalité,
elles signalent les passages du texte
religieux qui doivent ĂȘtre expliquĂ©s. Au
philosophe, ou scientifique, d’en trouver
le sens caché afin de le rendre conforme
Ă  la science. » C’est Ă  lui qu’AverroĂšs
attribue la charge et la responsabilité
d’interprĂ©ter le Coran, « car lui seul est
capable de savoir ce qu’il faut trouver ».
Une interprĂ©tation qui n’est pas destinĂ©e
Ă  ĂȘtre dĂ©voilĂ©e Ă  la foule des croyants.
« Il n’y a pas une phrase du Coran que
le philosophe ne peut rendre conforme
à la science, soutenait Averroùs; c’est
un texte parfait, en somme, oĂč chacun,
selon ses moyens, trouve son compte. Le
philosophe, quand il le faut, l’interprùte
rationnellement, tandis que la foule y
adhĂšre en s’en tenant aux images »,
résume Jean-Baptiste Brenet.
La science a donc le dernier mot dans
l’interprĂ©tation du texte religieux. Reste
qu’en tant que commentateur d’Aristote,
et conforme en cela au géocentrisme
de Ptolémée (90-168), AverroÚs pense
que la Terre est immobile au centre de
l’Univers, le Soleil et les planĂštes Ă©tant
placés sur des sphÚres concentriques.
Il faudra attendre trois siĂšcles pour que
Nicolas Copernic révolutionne en 1543
notre compréhension du cosmos en
donnant au Soleil une position centrale,
autour de laquelle tournent les corps
célestes.
* À lire : Jean-Baptiste Brenet, Averroùs
l’inquiĂ©tant, Les Belles-Lettres, 2015.
Al-FĂąrĂąbĂź (872-950)
Philosophe mais aussi
théoricien de la musique et
joueur de luth, al-FĂąrĂąbĂź,
originaire d'Asie centrale, vient
s’établir Ă  la fin du IXe
siĂšcle
Ă  Bagdad, oĂč il est un des
premiers commentateurs
d’Aristote et des Lois de
Platon. Son Ɠuvre maütresse,
KitĂąb al-siyĂąsa al-madaniyya
(Livre du régime politique),
en fait l’un des fondateurs de
la philosophie politique en
Islam. Il a beaucoup influencé
Avicenne et AverroĂšs.
Avicenne(Ibn
Sina)(980-1037)
Médecin et philosophe
persan, Avicenne a
vécu un siÚcle avant
Averroùs, qu’il a
inspiré. Commentateur
d’Hippocrate et de Galien en arabe
et en persan, il participe ainsi Ă  la
diffusion de la culture grecque dans
le monde mĂ©diĂ©val. Sa grande Ɠuvre
de médecine, Kitab al-Qanûn fi al-Tibb
(Livre des lois de la médecine, ou
Canon), qui fut traduite en latin au
XIIe
siÚcle, a influencé la médecine
occidentale jusqu’à la Renaissance.
Al-Ghazùlß(1058-1111)Formé trÚs
jeune Ă  l’étude des philosophes de langue
arabe – comme al-Kindi, al-Fñrñbü et
Avicenne –, le Persan al-Ghazñlü est la
grande figure du mysticisme musulman. Dans
son ouvrage TahĂąfut al falĂąsifa (L’incohĂ©rence
des philosophes), il condamne les philosophes
aristotéliciens dont le message serait en
contradiction avec la Révélation.
Prùs d’un siùcle plus tard, Averroùs
critiquera l’Ɠuvre d’al-Ghazñlü dans un
traité devenu célÚbre, Tahafut al-tahafut
(L’incohĂ©rence de l’incohĂ©rence). Traduits
en hĂ©breu et en latin, les Ă©crits d’al-
GhazĂąlĂź ont eu une grande influence sur des
EuropĂ©ens comme Thomas d’Aquin.
DAGLIORTI
DAGLIORTI
DĂšs sa mort en
1198, AverroĂšs
a été reconnu
en Europe comme
un philosophe
majeur. Il est
représenté ici en
1365 par Andrea
da Bonaiuto dans
l’église Santa Maria
Novella, Ă  Florence.
ÉclairageparAzarKhalatbari
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 23
Dansl’actu
RAYONNEMENT FOSSILE
Le premier cri de l’Univers
C’est l’image de l’annĂ©e! Celle qui
restera dans les esprits pour les
décennies à venir car, question pré-
cision, elle n’est pas prĂšs d’ĂȘtre dĂ©trĂŽ-
née! Elle rassemble en effet pour
la premiĂšre fois toutes les mesures
recueillies par le satellite Planck lors
de l’une des missions spatiales les
plus ambitieuses de l’histoire. Elle
aurait mĂȘme sa place dans tous les
foyers de la planĂšte, tant elle fait par-
tie de notre histoire commune: c’est
la représentation la plus détaillée
du cosmos lorsque celui-ci était
ùgé de 380000 ans à peine, contre
13,8 milliards aujourd’hui. L’instant
oĂč, pour la premiĂšre fois, des grains
de lumiÚre (photons) ont réussi à se
libérer de la soupe de particules pri-
mordiale. Pour élaborer cette carte,
quatre ans de mesures en continu
ont été nécessaires. Une mission
qui s’est achevĂ©e en 2013 et dont les
scientifiques ont livré en février 2015
la compilation des résultats les plus
marquants.
Certes, la premiùre lumiùre de l’Uni-
vers, appelée rayonnement fossile
ou fond diffus cosmologique, a été
détectée dÚs 1965 par Arno Penzias
et Robert Wilson: ces deux ingé-
nieurs des laboratoires Bell avaient
repéré un signal continu provenant
de toutes les directions de l’espace,
qui correspondait parfaitement aux
prédictions théoriques des cosmo-
logistes. Mais jusqu’en 1992, cette
lumiÚre des premiers ùges était
considérée comme strictement uni-
forme, baignant la totalitĂ© de l’espace
d’une Ă©gale Ă©nergie, avec une tempĂ©-
rature de 2,7 kelvins (soit -270,4 °C).
Cette année-là, le satellite américain
Cobe (Cosmoic Background Experi-
ment) révÚle que le rayonnement fos-
sile présente des variations de tem-
pĂ©rature de l’ordre du cent milliĂšme
de degré (10-5
)! Ses deux concep-
teurs, les Américains George Smoot
et John Mather, venaient d’ouvrir
une nouvelle voie: car la réparti-
tion de ces infimes contrastes de
température correspond, en théo-
rie, à de minuscules régions plus ou
moins denses du trĂšs jeune Univers.
ConsĂ©quence: l’organisation de la
matiÚre doit fortement dépendre de
cette Ă©poque reculĂ©e. C’est Ă©quipĂ© du
nec plus ultra des instruments que
le satellite Planck a plongé dans les
infimes fluctuations de cette lumiĂšre
froide. Pour livrer la premiĂšre his-
toire détaillée du cosmos.
PARTICULE SUBATOMIQUE
5154 personnesauchevetdubosondeHiggs
Lesinfimescontrastesde température
(du bleu, plus froid, au rouge) de
la premiĂšre lumiĂšre du cosmos
traduisent des variations de densité.
Les détecteurs Atlas (ici) et CMS ont
permis d’identiïŹer le boson de Higgs.
Jamais encore on n’avait atteint une telle
dĂ©mesure! L’article publiĂ© le 14 mai dernier dans
la revue Physical Review Letters (PRL) regroupe
en effet pas moins de
 5154 signataires! Tous
membres des équipes des détecteurs de
particules Atlas et CMS montés sur le grand
collisionneur Ă  hadrons, le LHC du Cern,
laboratoire européen pour la physique des
particules situé en Suisse. Ces deux équipes
avaient annoncé en juillet 2012 la découverte du
boson de Higgs, particule subatomique à l’origine
de la masse de toutes les autres.
Objet de l’article? La masse du « Higgs » que
l’on avait estimĂ©e, il y a deux ans et demi,
autour de 125 gigaélectronvolts (GeV), a été
affinĂ©e. DĂ©sormais, c’est officiel: elle est de
125,09 GeV, Ă  plus ou moins 0,25 % prĂšs.
Il fallait bien se mettre Ă  plus de 5000 pour
y voir si clair! La fourchette de valeurs que
pouvait prendre la masse du célÚbre boson
était prévue par différentes théories de
physique des particules. Ce nouveau résultat
devrait favoriser – ou balayer – quelques-unes
des hypothÚses de travail des théoriciens.
CERN/SPL/COSMOS
ESACOLLABORATIONPLANCK
Univers
24 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
Des bosons par millions
Un géant chinois pour accélérer
les particules
Elle s’appelle EGS-zs8-1 et les
astronomes des universités
de Yale et de Californie Ă 
Santa Cruz, à l’origine de
sa découverte, la surveillent
comme un ancĂȘtre prĂ©cieux: car
cette galaxie est l’objet le plus
lointain repéré à ce jour dans le
cosmos! Elle s’est formĂ©e il y a
plus de 13 milliards d’annĂ©es,
alors que l’ñge de l’Univers est
estimĂ© Ă  13,8 milliards d’annĂ©es.
Autrement dit, elle fait partie
des toutes premiĂšres galaxies
du cosmos. Les plus anciennes
surprises jusque-lĂ  comptaient
12 milliards d’annĂ©es tout au
plus. Cette découverte repousse
donc les frontiùres de l’Univers
visible.
Qui plus est, EGS-zs8-1 recĂšle
quelques Ă©trangetĂ©s. L’équipe
a utilisé le télescope Keck, à
Hawaii – l’un des plus grands
avec ses 10 mùtres de diamùtre –
et son instrument Mosfire
– spectrographe multi-objet
dans le proche infrarouge –
pour scruter son cƓur. Ainsi, ils
l’ont surprise telle qu’elle Ă©tait Ă 
l’ñge de moins de 700 millions
d’annĂ©es. Et ont dĂ©couvert qu’elle
engendrait alors des étoiles à
tour de bras! Il faut savoir que
dans l’enfance de l’Univers,
l’hydrogĂšne Ă©tait beaucoup plus
abondant qu’aujourd’hui. Or,
les Ă©toiles naissent lorsqu’une
quantitĂ© de ce gaz s’isole et
s’effondre sur elle-mĂȘme. TrĂšs
vite, en son cƓur, la tempĂ©rature
et la pression atteignent des
degrés tels que les réactions
de fusion nucléaire peuvent
dĂ©buter. À partir de ce moment,
l’astre commence à briller. Plus
l’hydrogùne est abondant, plus
les étoiles peuvent donc se former
facilement.
Mais les astronomes ne
s’attendaient pas à pareil
dynamisme. Telle que nous la
voyons, plongée dans sa prime
enfance, EGS-zs8-1 a réussi à
rassembler l’équivalent de plus
de 15 % de la masse actuelle
de la Voie lactĂ©e, dont l’ñge est
estimĂ© Ă  13,2 milliards d’annĂ©es.
Les astres qu’elle renferme
ont sûrement participé à un
moment crucial de l’Univers,
celui oĂč les premiĂšres Ă©toiles
ont commencé à émettre de
la lumiĂšre et donc Ă  chauffer
et ioniser le gaz ambiant.
Connaßtre avec précision cette
époque permet en quelque sorte
de caler l’histoire de l’Univers.
VoilĂ  pourquoi les astronomes
attendent impatiemment l’envoi
dans l’espace, en 2018, du JWST,
le James Webb Space Telescope,
successeur du télescope Hubble.
Il permettra de repérer un grand
nombre de galaxies distantes.
Univers visible
La plus vieille galaxie du cosmos
Située à
13,1 milliards
d'années-
lumiĂšre de nous
en direction de
la constellation
du Bouvier, la
galaxie EGS-
zs8-1 est la plus
lointaine jamais
observée.
Comme le LHC (ci-dessus), le détecteur
chinois observera le boson de Higgs.
Pages réalisées par Azar Khalatbari
Fin octobre, la Chine a annoncĂ© qu’elle
allait lancer la construction du plus
grand accélérateur de particules au
monde entre 2020 et 2025. S’il voit le
jour, il sera au moins deux fois plus
vaste que le LHC, principale installation
actuelle, construite par le Cern de part
et d’autre de la frontiùre franco-suisse.
Le LHC a permis de confirmer, en 2012,
l’existence d’une particule Ă©lĂ©mentaire
désormais mondialement célÚbre, le
boson de Higgs. C’est prĂ©cisĂ©ment ce
boson qui est au cƓur du projet
chinois. L’accĂ©lĂ©rateur envisagĂ© par
Pékin, long de 50 à 100 kilomÚtres,
devrait en produire des millions, soit
bien plus que les centaines générées
par l’europĂ©en qui, lui, ne mesure que
27 kilomĂštres.
« Le LHC génÚre avec les bosons de
Higgs de nombreuses autres particules,
a expliqué Wang Yifang, le directeur de
l’Institut chinois de la physique des
hautes énergies. Notre future
installation créera un environnement
extrĂȘmement pur, qui ne produira que
des bosons de Higgs. »
Le nouvel accélérateur chinois pourrait
gĂ©nĂ©rer sept fois plus d’énergie que
celui du Cern, qui vient de
quasiment doubler sa puissance Ă 
13 téraélectronvolts mais qui, poursuit
Wang Yifang, « atteint ses limites en
termes de niveau d’énergie ».
hubblespacetelescope/nasaandesa
frésillon/lhc/cnrsphotothÚque
janvier / février 2015 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i 25
Dansl’actu
ExoplanĂštEs
Une autre Terre est possible
Elle s’appelle Kepler-452b et
c’est l’exoplanùte qui ressemble
le plus Ă  notre bonne vieille Terre!
Cette nouvelle venue parmi les
2008 planĂštes extrasolaires
découvertes à ce jour se situe à
1400 années-lumiÚre de nous,
en direction de la constellation du
Cygne. Son rayon est d’environ
1,6 fois celui de la Terre et elle
parcourt son orbite en 384 jours
autour d’une Ă©toile trĂšs similaire Ă 
notre Soleil. Elle se situe donc
dans la zone d’habitabilitĂ© de son
Ă©toile. Mieux mĂȘme: Kepler-
452b reçoit de la part de celle-ci
autant d’énergie que la Terre de
la part du Soleil. Bref, on l’aura
compris: pour l’heure,
l’exoplanĂšte et son Ă©toile
constituent le systĂšme le plus
similaire au binĂŽme Terre-Soleil.
Ce pourrait ĂȘtre une « super-
Terre », autrement dit une planÚte
de masse comprise entre une et
dix fois celle de notre planĂšte.
Reste qu’une planĂšte situĂ©e dans
la zone d’habitabilitĂ© de son Ă©toile
n’est pas automatiquement
« habitable ». Et ne recÚle pas
forcément de la vie. Il lui faut de
plus une chimie et une géologie
particuliĂšres! ProblĂšme, nous
n’avons pas encore les moyens
d’y dĂ©tecter l’eau ou les
molécules organiques qui sont les
ingrédients spécifiques de la vie.
Le grand défi de la prochaine
dĂ©cennie reste donc l’étude
systĂ©matique de l’atmosphĂšre
des exoplanĂštes. Pour cela, les
plus grands tĂ©lescopes – comme
l’Observatoire europĂ©en austral
ESO ou les prochains
observatoires de plusieurs
dizaines de mùtres de diamùtre –
seront équipés de spectromÚtres
d’une extrĂȘme sensibilitĂ©.
Kepler 452b tourne autour
d’une Ă©toile trĂšs semblable
au Soleil des Terriens.
Une extinction progressive des feux
del’Univers:voilààquoipourraitres-
semblerl’avenirselonlesrĂ©sultatsdu
projet international Gama (Galaxy
and Mass Assembly), programme de
relevĂ© multi-longueurs d’onde menĂ©
sousl’égidedel’ObservatoireeuropĂ©en
austral. Les astronomes de ce projet
ont observé plus de 200 000 galaxies
durant une dizaine d’annĂ©es. Celles-
ci Ă©mettraient aujourd’hui 1,6 fois
moins d’énergie que celles d’une por-
tion similaire d’Univers il y a 2,3 mil-
liards d’annĂ©es.
Ce résultat était connu depuis les
années 1990, mais il a reçu une
confirmation éclatante grùce à la
base de données de Gama. Les plus
grands télescopes terrestres et spa-
tiaux ont été utilisés pour quanti-
fier la lumiÚre émise par exactement
221373 galaxies, réparties dans une
portion d’espace de plus de 2,4 mil-
liards d’annĂ©es-lumiĂšre, et ce dans
21 longueurs d’onde. Deux dĂ©tails
importants: en balayant un si grand
nombre d’annĂ©es-lumiĂšre, ce relevĂ©
surprend les galaxies telles qu’elles
étaientdanslepassé,car« voirloin »
revient Ă  observer des astres de plus
en plus jeunes – de quoi dĂ©crire leur
évolution. Et en choisissant 21 lon-
gueurs d’onde, soit un trùs large
spectre, les chercheurs ont multiplié
leurs chances d’obtenir des donnĂ©es
pertinentes.Certainesgalaxiesriches
en rĂ©gions de formations d’étoiles
Ă©mettenteneffetjusqu’à90 %deleur
énergie en infrarouge.
Aufinal,l’équipeadoncĂ©tĂ©enmesure
d’annoncer l’extinction progressive
des galaxies. La raison? Une galaxie
est un ensemble de gaz et d’étoiles.
De ces étoiles dépend sa luminosité.
Or, au fur et Ă  mesure que les astres
se forment, le gaz s’amenuise, et leur
productiondiminue
Àcetteextinc-
tion s’ajoute un autre phĂ©nomĂšne:
l’expansion accĂ©lĂ©rĂ©e de l’Univers.
L’espace se dilate de plus en plus
vite, écartant les galaxies les unes
des autres et rendant difficile leurs
collisions, fusions et interactions. Or,
ce sont précisément ces interactions
qui provoquent de nouvelles régions
de formation d’étoiles. DĂ©cidĂ©ment,
l’avenir s’annonce sombre et froid

si toutefois l’on se fie aux modùles
les plus communs, comme celui du
Big Bang, pour expliquer l’évolution
du cosmos.
Extinction
Le sombre destin
de l’Univers
Observer la mĂȘme galaxie Ă  diffĂ©rentes longueurs d’onde permet de faire
un bilan de sa luminosité totale (en bas au centre).
Pages réalisées par Azar Khalatbari
gamasurvey/eso
nasa/ames/jpLcaLtech/t.pyLe
Univers
26 i HORS-SéRie ScienceS et aveniR i janvier / février 2016
Optique
Infrarouge proche
Infrarouge moyen
Infrarouge lointain
Ultraviolet
REPÈRES
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 27
De quand datent-ils? Qui les a écrits, et dans quelles
circonstances? Les textes fondamentaux des trois monothéismes
ont une histoire, que la science s’attache à retracer.
Aux origines
des textes sacrés
SPL/AKGIMAGES
Mise au jour à Qumrùn (site de Palestine), cette copie du livre d'Isaïe, rédigée aux
IIe
-Ier
siĂšcles av. J.-C., est le plus ancien manuscrit hĂ©breu complet d’un livre biblique.
ConservĂ©e au musĂ©e d’IsraĂ«l Ă  JĂ©rusalem, elle mesure plus de 7 mĂštres de long.
Bible hébraïque, Nouveau Testament, Coran
PagesréaliséesparFranckDaninos
INTERFOTO/LACOLLECTION
BRIDGEMANART.COM
E
lle comprend trois
ensembles : les cinq
livres du Pentateuque
(la Torah, « enseigne-
ment » en hĂ©breu) –
GenÚse, Exode, Lévitique, Nombres,
Deutéronome; les livres des Pro-
phÚtes, dont Josué, Samuel ou
Isaïe; et les livres des Écrits, tels les
Psaumes, Qohelet (l’EcclĂ©siaste),
Daniel. Le plus ancien fragment
matériel qui nous est parvenu est
daté du IIIe
siĂšcle avant notre Ăšre:
c’est le livre de Samuel, retrouvĂ© en
1947 dans les grottes de QumrĂąn,
prĂšs de la mer Morte.
Le processus de canonisation et de
fixation des textes a duré plus de
1 500 ans! Il débute vers 450 av. J.-C.
avec la composition du Pentateuque.
Puis,audébutduIIe
siĂšcledenotreĂšre,
c’est l’ensemble du canon hĂ©braĂŻque
(Pentateuque, Prophùtes, Écrits)
qui se fige, sans doute en réaction
contre les chrétiens qui commencent
Ă  se rĂ©fĂ©rer aux mĂȘmes textes. Mais
le texte standard ne sera fixĂ© qu’au
XIIe
siĂšcle, sous l’autoritĂ© du rabbin
andalou MoĂŻse MaĂŻmonide.
« Un événement historique aurait
joué un rÎle crucial non seule-
ment dans la composition du Pen-
tateuque mais aussi dans l’avù-
nement du monothéisme juif »,
souligne Thomas Römer, qui occupe
la chaire Milieux bibliques au Col-
lùge de France. Il s’agit de la prise
du royaume de Juda par le roi baby-
lonien Nabuchodonosor II, en 587
av. J.-C. Fondé au Xe
ou IXe
siĂšcle
avant notre Ăšre, c’était l’un des deux
royaumes, avec celui d’IsraĂ«l (- 930/
- 722), plus au nord, oĂč le dieu YahvĂ©
était vénéré. Les Judéens se trou-
La Bible hébraïque
IIe
millénaire
av. J.-C.
Des récits, traditions
orales, légendes sur
Abraham, MoĂŻse,
etc., circulent dans
toute la Mésopotamie
et le Proche-Orient.
Ils seront plus tard
fixés dans la Bible
hébraïque.
Vers 787-747
RĂšgne de
Jéroboam II.
PremiĂšres mises
par écrit de
traditions
bibliques :
histoire de Jacob,
sortie d’Égypte?
722
ConquĂȘte d’IsraĂ«l
par les Assyriens,
chute de Samarie.
Le royaume est
transformé en
provinces
assyriennes.
Déportations.
Juda est vassal
des Assyriens.
640-609
RĂšgne de Josias.
Politique de
centralisation.
Le Temple de
Jérusalem devient
le seul sanctuaire
légitime du dieu
d’IsraĂ«l.
Rédaction du
Deutéronome?
587
Prise du royaume
de Juda par le roi
babylonien
Nabuchodonosor II.
Destruction de la
ville et du temple
de Jérusalem.
Déportations à
Babylone. Crise
idéologique.
xe
ou ixe
siĂšcle
Fondation du
royaume de Juda (ou
du Sud), capitale
Jérusalem. En 930,
fondation du royaume
d’IsraĂ«l (ou du Nord),
capitale Samarie. Le
dieu Yahvé est vénéré
dans les deux.
« Le sacrifice d'Isaac »,
Hambourg, XIVe
siĂšcle.
28 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
«MoïseguidantlesHébreuxpour traverser la mer Rouge », miniature d'un livre de priÚres de 1427.
REPÈRES
CORBIS
BRIDGEMANART.COM
AKGIMAGES
LEEMAGE
le Nouveau Testament
vent alors confrontés à deux pro-
blÚmes menaçant leur existence
en tant que peuple. Ils sont, tout
d’abord, dispersĂ©s entre l’empire
nĂ©o-babylonien, oĂč l’élite a Ă©tĂ©
dĂ©portĂ©e, l’Égypte, oĂč une dias-
pora importante a trouvé refuge,
et la JudĂ©e, oĂč la population rurale
a pu demeurer. Le second défi est
d’ordre thĂ©ologique. Car JĂ©rusa-
lem, capitale du royaume de Juda
oĂč le culte de YahvĂ© Ă©tait spĂ©cifi-
quement rendu, a été détruit. Est-
ce Ă  dire que YahvĂ© s’est fait battre
par les dieux babyloniens, ou qu’il
a abandonné son peuple?
« Les Judéens ont donné sens à
cette catastrophe en estimant
que leur dieu n’était ni faible, ni
dĂ©loyal, mais qu’il avait lui-mĂȘme
fait venir les Babyloniens pour
sanctionner son peuple et ses rois
dévoyés, explique Thomas Römer.
Or si Yahvé a fait venir les Baby-
loniens, c’est qu’il est plus puis-
sant que leurs dieux! Plus puis-
sant, mĂȘme, que tous les autres
dieux, y compris ceux du pan-
théon pré-judaïque, considé-
rés dÚs lors comme de vaines
idoles. » L’adoration prĂ©fĂ©-
rentielle d’un seul dieu
(monolĂątrie) serait ainsi
peu Ă  peu devenu un
monothĂ©isme : l’affir-
mation qu’il n’existe qu’un
unique Dieu, omnipotent.
Plusieurs textes de la tra-
dition – tel le DeutĂ©ronome
ou les histoires des patriarches
et de MoĂŻse – ont, semble-t-il, Ă©tĂ©
révisés en conséquence et assem-
blés pour former le Pentateuque,
aprùs le retour d’exil d’une partie
des Judéens dans ce qui est devenu
la province perse de Judée. Car
en 539 av. J.-C, les Babyloniens
ont été vaincus par le roi perse
Cyrus II.
Pour forger une nouvelle iden-
tité religieuse et culturelle dans
un contexte de dispersion géogra-
phiqueetdepertedesouveraineté,il
importaitderĂ©unir,dansunmĂȘme
livre sacré de référence, différents
milieux et Ă©coles de pensĂ©e. L’ana-
lyse des textes du Pentateuque
laisse Ă  penser que deux groupes
lesontcomposésauVe
siĂšcleavant
notre Ăšre: celui des « prĂȘtres »,
proche du milieu sacerdotal, et
celui des « deutéronomistes »,
sans doute de hauts fonc-
tionnaires. « Cela ne veut pas
dire que ces textes datent de cette
période, précise Thomas Römer.
Ces deux cercles ont recueilli des
écrits et des traditions orales qui
circulaient depuis longtemps dans
la rĂ©gion. L’historicitĂ© des person-
nages et Ă©vĂ©nements de l’Exode,
semble par ailleurs fort douteuse,
mĂȘme si ce texte renvoie aux rela-
tions conflictuelles trĂšs anciennes
entrel’Égypteetlespopulationsdu
Levant. » Ce travail de recueil et de
compromisexpliqueladiversitédes
traditions présentes dans la Torah,
mais aussi certaines discordances.
Ontrouve,parexemple,deuxrécits
assez différents de la création de
l’homme,regroupĂ©sdanslaGenĂšse
parce qu’on les considĂ©rait tous
deux comme importants.
Fragment du
Lévitique, rouleau
de la mer Morte. La CÚne, Saint-Pol-de-Léon.
AKGIMAGES
Fragment du
Lévitique,
de la mer Morte.
An 0
JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 29
L
es Écritures saintes
du christianisme sont
composées de la Bible
juive et du Nouveau
Testament, qui com-
prend vingt-sept livres: les quatre
évangiles canoniques (Matthieu,
Marc, Luc, Jean), les quatorze
épßtres pauliniennes et pseudo-
pauliniennes, les huit épßtres
dites catholiques, l’Apocalypse de
Jean. Ce corpus de textes a été fixé
presque complÚtement au début du
IVe
siùcle dans l’Église byzantine,
au terme d’ñpres discussions et
de compromis. « Ils faisaient par-
tie d’un ensemble plus vaste qui
circulait lors des premiers siĂšcles
du christianisme, note Frédéric
Amsler, de l’Institut romand des
sciences bibliques de Lausanne.
Les évangiles qui ont été canoni-
sés, par exemple, sont probable-
ment issus des communautés les
plus fortes et les plus influentes.
De plus en plus, on leur a imputé
une inspiration divine. Jusqu’à ce
que certains théologiens conser-
vateurs, aux XVIIIe
et XIXe
siĂšcles,
dĂ©fendent l’idĂ©e d’une inspira-
tion totale, chaque lettre ayant
Ă©tĂ© dictĂ©e par Dieu! Mais si l’on
veut jeter un regard historique, on
doit admettre que leurs auteurs ne
pensaient pas produire des textes
canoniques lorsqu’ils les ont rĂ©di-
gés. Ils voulaient simplement fixer
une mémoire collective et servir
leur communauté. »
Représentation
anthropozoomorphe de
saint Jean, manuscrit
réalisé en France, IXe
s.
REPÈRES
ŒŒŒ
Chaque
synagogue possĂšde
un rouleau de la
Torah ou Sefer-
Torah, copie
manuscrite des livres
du Pentateuque. Cet
objet, qui consiste
en un parchemin
enroulé sur deux
montants de bois,
n’a guĂšre variĂ©
depuis l’AntiquitĂ©.
539
Victoire du roi
perse Cyrus II
sur les
Babyloniens.
Des Judéens
rentrent d’exil.
Entre 450
et 350
Composition du
Pentateuque.
iiie
siĂšcle
Plus ancien fragment
matériel de la Bible
hébraïque retrouvé
(Ă  QumrĂąn), le livre
de Samuel.
Fin 5 ou
début 4
Naissance de
Jésus de
Nazareth.
30
Mort de Jésus.
Naissance de
l’Église
primitive.
42
Conversion
de Paul sur
le chemin
de Damas.
50 ou 51
Rédaction du
premier texte
du Nouveau
Testament, la
premiĂšre
épßtre aux
Thessaloniciens
de Paul.
66-70
Guerre judéo-
romaine en
Palestine qui
aboutit Ă  la
destruction de
la ville et du
temple de
Jérusalem.
Diaspora juive.
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Science et religions

  • 1. SERGEPICARD,LÉACRESPI,CELIAPETERSON,SIPA,SPL/COSMOS.©MICHAELFALTERWWW.FACSIMILIE-EDITIONS.COM DIEU SCIENCESCIENCE ET LA BIBLE, CORAN LESORIGINESDES TEXTESSACRÉS avec Étienne Klein ‱ Luc Ferry ‱ Yves Coppens ‱ Jean-Claude Ameisen Nicole Le Douarin ‱ Nidhal Guessoum ‱ Pascal Picq... BIBLE, CORAN LESORIGINESDES TEXTESSACRÉS
  • 3. 5 Édito 6 RENCONTRE Luc Ferry : « Ne mĂ©langeons jamais science et thĂ©ologie! » 10 ÉvOluTiON ET REligiONs 12 uNivERs 14 Étienne Klein : « L’origine de l’Univers, un authentique mystĂšre » 20 Nidhal Guessoum : « Il y a un sens Ă  tout ça, une cohĂ©rence » 27 CAHiER REPÈREs AUX origines des teXtes sAcrĂ©s 32 sACRÉ 34 Yves Coppens : « Le sacrĂ© naĂźt avec la premiĂšre pierre taillĂ©e » 38 Axel Kahn : « C’est grĂące Ă  l’autre que je prends conscience de moi » 42 APOCAlyPsE 44 MichaĂ«l Foessel : « Il n’y a pas plus attachĂ© au passĂ© qu’un catastrophiste » 48 Dominique Lecourt : « La fin du monde n’est pas pour demain! » 52 Éric Morin : « Le combat des tĂ©nĂšbres contre la lumiĂšre » 54 NabilMouline:«PourDaech, l’apocalypseestproche» 56 ÉvOluTiON 58 Jean-Claude Ameisen : « Nous sommes les hĂ©ritiers d’un passĂ© devenu immense » 62 Pascal Picq : « Et les grands singes dĂ©boulĂšrent en Europe » 66 Soufiane Zitouni : « Face Ă  moi, des Ă©lĂšves ricanaient » 70 immORTAliTÉ 72 Nicole Le Douarin : « Le rĂȘve de vivre vieux sans l’ĂȘtre » 76 FrĂ©dĂ©ric Saldmann : « Certains animaux ont atteint l’éternitĂ© » nasa/cxc/jpl/caltechalextreadway/nationalgeographiccreativerogerviolletj.cancalosi/nationalgeographiccreativelennartnilsson Ce hors-sĂ©rie reprend en partie les interventions des scientifiques et spĂ©cialistes invitĂ©s au colloque « Dieu et la science », organisĂ© par Sciences et Avenir au CollĂšge des Bernardins, Ă  Paris, les 10 et 11 avril derniers. Vous pouvez les retrouver en vidĂ©o Ă  l’adresse www.sciencesetavenir.fr/ grandsdebatssciences/ janvier/fĂ©vrier 2016 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i 3 UNIVERS P. 12 SACRĂ© P. 32 APOCALYPSE P. 42 Ă©VOLUTION P. 56 IMMORTALITĂ© P. 70
  • 4. La presse Ă©crite s’engage pour le recyclage des papiers avec Ecofolio. Tous les papiers se recyclent, alors trions-les tous. C’est aussi simple Ă  faire qu’à lire. La presse Ă©crite s’engage pour le recyclage des papiers avec Ecofolio. Tous les papiers se recyclent, alors trions-les tous. C’est aussi simple Ă  faire qu’à lire. La presse Ă©crite s’engage pour le recyclage des papiers avec Ecofolio. Tous les papiers se recyclent, alors trions-les tous. C’est aussi simple Ă  faire qu’à lire. 64_200x265.indd 1 20/04/15 09:59
  • 5. janvier/fĂ©vrier 2016 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i 5 gettyimages 41 bis, avenue Bosquet 75007 Paris TĂ©l. : 01.55.35.56.00. Fax : 01.55.35.56.04. redaction@sciencesetavenir.fr Directrice de la rĂ©daction Dominique LegLU 56.02 RĂ©dactrice en chef aline KiNeR 56.42 avec Vincent Rea 56.35 SecrĂ©taire de rĂ©daction Florence LeROy 56.36 Directrice artistique thalia staNLey 56.21 Photo-iconographie andreina De Bei (rĂ©dactrice en chef adjointe) 56.31 isabelle tiRaNt 56.32, Documentation astrid saiNt aUgUste 56.48 Collaborateurs Bernadette aRNaUD, azar KHaLatBaRi, Rachel mULOt, HervĂ© RateL Ont collaborĂ© Ă  ce numĂ©ro mehdi BeNyeZZaR, sylvie BRiet, Franck DaNiNOs, Jean-François HaÏt Renseignements aux lecteurs, vente au numĂ©ro isabelle RUDi-HOUet 01.55.35.56.50/56.30. courrier-lecteurs@sciencesetavenir.fr Informatique Daniel de la ReBeRDiÈRe 56.06 ComptabilitĂ© mĂ©lanie BeNKHeDimi 56.14, Nathalie tReHiN 56.12, Assistante de direction ValĂ©rie PeLLetieR 56.01 Photogravure Nouvel Observateur 01.44.88.36.83 PublicitĂ© mĂ©diaobs 44 rue Notre-Dame-des Victoires 75002 Paris tĂ©l. : 01.44.88.97.70 / Fax : 01.44.88.97.79 Pour joindre votre correspondant par tĂ©lĂ©phone, composez le 01.44.88 suivi des 4 chiffres qui figurent Ă  la suite de son nom; pour adresser un email Ă  votre correspondant, l’initiale de son prĂ©nom puis son nom suivi de @mediaobs.com. Directrice gĂ©nĂ©rale Corinne ROUgÉ 93.70 assistĂ©e de marie-NoĂ«lle maggies 93.70 Directeur de publicitĂ© sylvain mORtReUiL 97.75 Responsable WEB Romain COUPRie 89.25 Assistante commerciale sĂ©verine LeCLeRC 39.75 ExĂ©cution Nicolas NiRO 89.26 Administration des ventes Caroline HaHN 97.58 Ventes Directeur commercial Jean-Claude ROssigNOL 01.44.88.35.40 Directrice commerciale adjointe Paule COUDeRat 01.44.88.34.55 Directeur des ventes ValĂ©ry sOURieaU Directeur des abonnements Philippe meNat 01.44.88.35.02 assistĂ© de Lina QUaCH 34.54 Relations extĂ©rieures France ROQUe 01.44.88.35.79 Sciences et Avenir SARL GĂ©rance : Claude PeRDRieL Directeur de la publication : Claude PeRDRieL Vente au numĂ©ro, 41 bis avenue Bosquet, 75007 Paris. tĂ©l. : 01.55.35.56.00. Fax 01.55.35.56.04. Les abonnements et rĂ©abonnements doivent ĂȘtre adressĂ©s Ă  sciences et avenir, service abonne- ments, 142, rue montmartre, 75002 Paris. tĂ©l. : 01.40.26.86.11. tarif des abonnements : France, 1 an simple (12 numĂ©ros) : 35 e. 1 an complet (12 numĂ©ros + 4 hors-sĂ©rie) : 48 e. tarifs pour les pays Ă©trangers sur demande. MultimĂ©dia : iD OBs, 10-12, place de la Bourse, 75002 Paris. tĂ©l : 01.44.88.34.34. Les noms et adresses de nos abonnĂ©s seront communiquĂ©s aux organismes liĂ©s contractuelle- ment avec Sciences et Avenir, sauf opposition. Dans ce cas, la communication sera limitĂ©e au service de l’abonnement. Copyright sciences et avenir. Commission paritaire n° 0620K79712. DistribuĂ© par NmPP. Photogravure : PCH, 10 -12, place de la Bourse 75002. DĂ©pĂŽt lĂ©gal : 562. imprimerie : sego, taverny. Printed in France. Abonnements: 01.40.26.86.11 6-8, rue Jean-Antoine-de- BaĂŻf 75013 Paris Dialogues ien sĂ»r, chacun a en mĂ©moire le procĂšs de GalilĂ©e. Et la vision d’une Église arc-boutĂ©e contre cette science dont les progrĂšs permettaient d’affirmer que la Terre, loin d’ĂȘtre le centre du monde, tourne autour du Soleil. Mais tout cela remonte au xviie siĂšcle! Depuis, le pape Jean Paul II lui-mĂȘme a rĂ©habilitĂ© le savant autrefois hĂ©rĂ©tique. Reste qu’en ce dĂ©but de xxie siĂšcle, nos contemporains, touchĂ©s par l’écho du Big Bang, baignĂ©s dans l’histoire nouvelle de l’Univers que racontent les scientifiques – loin d’ĂȘtre statique et Ă©ternel comme l’imaginait encore Albert Einstein il y a une centaine d’annĂ©es, le cosmos a effecti- vement une histoire! –, continuent de se poser les Ă©ternelles questions: d’oĂč venons-nous? Pourquoi existons-nous? Sommes-nous vraiment le fruit du hasard? La science, qui interroge l’homme et la nature sur le registre du « comment? », peut-elle mĂȘme rĂ©pondre Ă  cette
 recherche de sens qui semble ne cesser de tarauder les humains? C’est dans le but de – modestement – rĂ©pondre Ă  ces interrogations fondamentales qu’il y a quelques mois, en avril 2015, Sciences et Avenir avait dĂ©cidĂ© d’organiser un colloque. Il fut accueilli avec bienveillance au CollĂšge des Bernardins, que nous tenons Ă  remercier ici. Nous l’avions intitulĂ© « Dieu et la science » et avions dĂ©cidĂ©, lors de confĂ©rences et tables rondes, de faire dialoguer scientifiques et reprĂ©sentants de diverses religions (juifs, chrĂ©tiens, musul- mans), en abordant des thĂšmes bien ancrĂ©s dans nos esprits: « CrĂ©ation du monde versus Big Bang »; « Apocalypse et fins du monde »; « Imaginer l’immortalitĂ© »; « Penser le sacrĂ© »  Ils furent nombreux Ă  s’exprimer, devant un large public, et aujourd’hui, par ce hors-sĂ©rie, nous leur rendons hommage en restituant au mieux leur discours et en le publiant pour nos lecteurs qui n’ont pas eu la chance de l’entendre en direct. Que ce soit Luc Ferry, philosophe et ancien ministre, qui conjure de « ne jamais mĂ©langer les thĂšses de la thĂ©ologie avec la science, et de ne surtout pas subordonner l’une Ă  l’autre ces deux sphĂšres de l’esprit » (lire pp. 6-10); l’acadĂ©micien Yves Coppens, cĂ©lĂšbre anthropologue, qui affirme que « le sacrĂ© naĂźt avec la premiĂšre pierre taillĂ©e », tant l’homme, selon lui, ne peut s’empĂȘcher de mettre des symboles dans ses propres crĂ©ations (lire pp. 34-37); ou encore Jean-Claude Ameisen, prĂ©- sident du ComitĂ© consultatif national d’éthique, fin connaisseur de la thĂ©orie de Darwin sur l’évolution, pour qui « la validitĂ© des sciences est fondĂ©e sur notre entiĂšre libertĂ© d’explorer et d’interprĂ©ter collectivement ce que nous comprenons de la rĂ©alitĂ© » (lire pp. 58-61). Nous ne pouvons pas tous les citer ici, mais nous les remercions de leur contribution. Un seul souci nous a animĂ©s, que nous voulons partager Ă  nouveau: favoriser le dialogue, Ă  l’heure oĂč des discours extrĂȘmes le dĂ©truisent, enflammant des conflits sanglants dans nombre de pays, et pas seulement le nĂŽtre. Et promouvoir des rĂ©flexions qui contribuent Ă  construire des repĂšres. Dominique leglu
  • 6. Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche « Ne mĂ©langeons  jamais science   et thĂ©ologie ! » Alors que le Vatican a fini par accepter Darwin et GalilĂ©e, certains crĂ©ationnistes cherchent toujours Ă  prouver l’existence de Dieu. Une quĂȘte absurde, affirme le philosophe, qui analyse ici les rapports ambigus de la religion avec la raison. L’histoire de la science en Europe est aussi celle de son Ă©mancipation du religieux, qui s’est accĂ©lĂ©rĂ©e depuis les LumiĂšres. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le monde semble ĂȘtre le théùtre d’un retour en force des religions? Contrairement Ă  ce que l’on peut lire un peu partout, par exemple chez l’écrivain Michel Houellebecq, nous vivons tout sauf le retour du religieux en Europe. Le phĂ©nomĂšne majeur dans l’histoire du xxe siĂšcle euro- pĂ©en, c’est au contraire la sĂ©cularisation, la laĂŻcisa- tion et, surtout, la dĂ©-dogmatisation de la religion. Toutes les enquĂȘtes en tĂ©moignent. Et si le religieux « revient », c’est de l’extĂ©rieur, par l’islam, de maniĂšre exogĂšne, acceptĂ©e tant bien que mal par les « vieux EuropĂ©ens ». La dĂ©-dogmatisation de la religion s’est traduite par une double rĂ©conciliation de l’Église catholique avec la dĂ©mocratie et la science. D’abord avec la dĂ©mocra- tie, alors que la tradition ecclĂ©siastique Ă©tait plutĂŽt « rĂ©actionnaire » au sens propre du terme, nostalgique de l’Ancien RĂ©gime; ensuite avec la science. Les deux vont de pair car, dĂšs le xviiie siĂšcle, avec la rĂ©volution scientifique des LumiĂšres, la science met en place le premier discours dans l’histoire de l’humanitĂ© qui soit « trans-classes sociales » et « trans-frontiĂšres ». Le principe d’inertie et la gravitĂ© de Newton valent pour les riches comme pour les pauvres, les puissants comme les faibles, les roturiers comme les aristocrates, mais aussi les Italiens, les Français ou les Allemands. C’est en somme le premier discours de la mondialisation. Il y a donc un lien indissoluble entre science et dĂ©mocratie, car les vĂ©ritĂ©s Ă©noncĂ©es par la premiĂšre sont par essence valables pour tous. Cette rĂ©conciliation va entraĂźner une attitude tout Ă  fait diffĂ©rente de l’Église Ă  l’égard de la recherche scientifique. Une attitude qui transparaĂźt notamment dans Fides et ratio. Cette encyclique pro- mulguĂ©e en 1998 par le pape Jean Paul II reconnaĂźt de maniĂšre forte le darwinisme et la thĂ©orie du Big Bang. Les positions du Vatican sur la question du crĂ©ation- nisme et de l’évolutionnisme, sur la question de l’ñge de la Terre sont aujourd’hui parfaitement claires – ce qui n’empĂȘche Ă©videmment pas l’Église, mais c’est autre chose, de rester ultra-conservatrice sur les questions de bioĂ©thique. Quelle est l’attitude des religions vis-Ă -vis de la science? On peut en distinguer trois, fondamentales. La pre- miĂšre est dogmatique et ne date pas d’hier. Au xie siĂšcle, elle a Ă©tĂ© fort bien exposĂ©e par le cardinal saint Pierre Damien, thĂ©ologien qui sera fait docteur de l’Église, au mĂȘme titre que Thomas d’Aquin. C’est lui l’auteur de la fameuse formule selon laquelle la philosophie – le mot englobe alors les sciences, on ne sĂ©parera vĂ©rita- « Dans certaines Ă©coles, on prĂ©sente encore la thĂ©orie de l’évolution comme une imposture malĂ©fique » 6 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i janvier / fĂ©vrier 2016
  • 7. blement les deux qu’au xviiie siĂšcle – est « servante de la  religion ». La philosophie ne doit servir qu’à confirmer les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es. C’est ce type d’attitude dogmatique qui conduira au procĂšs de Giordano Bruno, brĂ»lĂ© vif en l’an 1600 pour avoir dĂ©fendu l’hĂ©liocentrisme, ou Ă  celui de GalilĂ©e, condamnĂ© pour la mĂȘme raison trente-trois ans plus tard. Elle se traduit encore aujourd’hui par la prolifĂ©ration, dans le monde entier, des absurditĂ©s crĂ©a- tionnistes selon lesquelles toutes les espĂšces vivantes, et notamment les animaux, auraient Ă©tĂ© créées d’un seul coup par Dieu. Contre les positions officielles de l’Église, certaines Ă©coles chrĂ©tiennes (mais aussi coraniques) prĂ©sentent encore la thĂ©orie de l’évolution comme une imposture, parfois malĂ©fique ou diabolique. Et l’on sait Ă  quoi cela peut mener
 La raison est-elle alors exclue de la sphĂšre religieuse? Dans la thĂ©ologie catholique, non. DĂ©jĂ  saint Paul, dans les Ă©pĂźtres aux Corinthiens, affirme qu’un pre- mier usage de la raison est nĂ©cessaire et lĂ©gitime pour parvenir Ă  la comprĂ©hension des textes sacrĂ©s. JĂ©sus s’exprime par des paraboles – il y en aurait plus de soixante-dix dans les Évangiles – qui ont cette carac- tĂ©ristique de parler aussi bien au peuple qu’aux Ă©rudits. Mais une fois qu’on a entendu la parabole, il faut faire usage de la raison pour en percevoir le vĂ©ritable sens. La parabole des talents, par exemple, est d’une grande profondeur. Elle marque une rupture avec le monde aristocratique: ce ne sont pas les talents naturels qui font la dignitĂ© morale d’un ĂȘtre, mais ce qu’il en fait. Il s’agit dĂ©jĂ  d’une valorisation anti-aristocra- LucFerry Professeur de philosophie, agrĂ©gĂ© de science politique, il a enseignĂ© Ă  l’Institut d’études politiques de Lyon, Ă  l’universitĂ© de Caen puis Ă  celle de Paris VIII Diderot. Il a occupĂ© le poste de ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche de 2002 Ă  2004 et a Ă©tĂ© membre du ComitĂ© consultatif national d’éthique de 2009 Ă  2013. Ses recherches philosophiques visent Ă  proposer une spiritualitĂ© laĂŻque capable de donner un sens Ă  la vie. lescrespi/pascoandco  janvier / fĂ©vrier 2016 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i 7
  • 8. Luc Ferry tique du travail, on est dans un monde mĂ©rito- cratique. Et puis, il y a un deuxiĂšme usage de la rai- son, proprement scientifique: les sciences naturelles permettent de mieux apprĂ©hender la splendeur de la CrĂ©ation
 pour en infĂ©rer la grandeur du CrĂ©ateur. En arriĂšre-plan, on trouve l’idĂ©e que les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es et les vĂ©ritĂ©s de la raison ne peuvent, in fine, jamais se contredire. Cela dit, comme l’a rappelĂ© LĂ©on XIII, premier pape du XXe siĂšcle, en cas de contradiction non rĂ©solue – sur l’ñge de la Terre, sa position dans l’Uni- vers, entre Ă©volution et crĂ©ation
 –, la vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e devait Ă©videmment primer. D’oĂč le nombre infini de procĂšs et de persĂ©cutions de malheureux scientifiques qui avaient l’audace de contredire la RĂ©vĂ©lation telle que l’interprĂ©tait du moins le Vatican
 Vous Ă©voquiez trois attitudes de la religion
 Les deux autres tĂ©moignent-elles d’une plus grande ouverture Ă  l’égard de la science? Oui, sans ambiguĂŻtĂ©, notamment en ce qui concerne la deuxiĂšme position de l’Église, qui est maintenant de laisser la recherche scientifique totalement libre et d’ac- cepter aussi bien GalilĂ©e et l’hĂ©liocentrisme que le Big Bang ou l’évolutionnisme de Darwin
 C’est cette atti- tude qui a conduit non seulement Ă  l’encyclique Fides et ratio de Jean Paul II, mais aussi, deux ans plus tĂŽt, Ă  une communication du pape Ă  l’AcadĂ©mie pontificale des sciences, le 22 octobre 1996. Pour mĂ©moire, cette assemblĂ©e est composĂ©e de 80 membres, dont de nom- breux prix Nobel et un certain nombre d’athĂ©es. Jean Paul II dĂ©clare ce jour-lĂ  que la thĂ©orie darwinienne de l’évolution est « bien plus qu’une hypothĂšse ». II fait abondamment rĂ©fĂ©rence Ă  GalilĂ©e et aux erreurs commises par l’Église. Le Vatican dĂ©clare clairement accepter l’ensemble des recherches scientifiques, tout en restant rĂ©servĂ© sur les sujets de bioĂ©thique
 Cette nouvelle orientation repose sur quelques prin- cipes Ă©noncĂ©s par Jean Paul II, qui nous renvoient Ă  la grande rĂ©volution « alberto-thomiste ». À Cologne, au XIIIe siĂšcle, Albert le Grand dĂ©clare qu’il ne peut pas y avoir de contradiction entre les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es et les vĂ©ritĂ©s de la science. On retrouve chez son disciple, saint Thomas d’Aquin, ce discours que dĂ©fendait dĂ©jĂ  au XIIe siĂšcle AverroĂšs, porteur d’un islam des LumiĂšres, dans ce beau livre qu’est le TraitĂ© dĂ©cisif (lire pp. 22-23). Au fond, ce sera aussi le thĂšme de Pasteur: « Un peu de science Ă©loigne de Dieu, mais beaucoup de science y ramĂšne. » Il ne peut y avoir, contrairement Ă  ce que dira encore LĂ©on XIII, de contradiction entre les deux; donc laissons travailler les scientifiques, parce que ce travail les rapprochera inexorablement de la RĂ©vĂ©la- tion. Saint Anselme de CantorbĂ©ry, au XIe siĂšcle, disait: « Credo ut intelligam »: « Je crois, afin de mieux com- prendre. » En d’autres termes: « Je trouve d’abord, je cherche aprĂšs », « J’ai d’abord la foi et ensuite je deviens scientifique ». Mais on pourrait inverser la proposition: « Intellego ut credam »: « Je cherche Ă  comprendre parce que cela renforce ma foi. Regardez une petite fourmi, elle est mille fois plus impressionnante qu’un ordinateur. » S’appuyer sur la science pour se rapprocher de Dieu
 Cette dĂ©marche ne ramĂšne-t-elle pas, tout de mĂȘme, Ă  une certaine forme de crĂ©ationnisme? Pas vraiment, dans la mesure oĂč l’Église Ă©voque dĂ©sormais l’indĂ©pendance des magistĂšres. Laissons la recherche d’un cĂŽtĂ© et la religion de l’autre, sans les mĂ©langer, voilĂ  aujourd’hui sa thĂšse. La seconde gui- dera peut-ĂȘtre la premiĂšre, mais pas au sens oĂč elle la biaiserait. En revanche, utiliser la raison pour prou- ver Dieu est dangereux: si l’on pouvait « prouver » Dieu, que deviendrait en effet la foi? On n’en aurait plus besoin! Et j’en arrive Ă  la troisiĂšme attitude, celle du « crĂ©ationnisme finaliste » qui est encore trĂšs rĂ©pandue aujourd’hui. Ses tenants tentent d’accorder la thĂ©orie de l’évolution Ă  l’hypothĂšse du principe anthropique, dans la perspective d’un « dessein intelligent ». Leur idĂ©e, c’est que les paramĂštres initiaux, ceux qui sont prĂ©sents dĂšs le Big Bang, sont tellement bien rĂ©glĂ©s pour conduire au monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui qu’on ne peut pas ne pas supposer une intelligence en amont. Cette thĂšse n’est pas Ă  confondre avec le crĂ©ationnisme dĂ©bile des fanatiques amĂ©ricains, mais elle est nĂ©anmoins reje- tĂ©e par l’immense majoritĂ© des scientifiques. Le mouvement crĂ©ationniste, particuliĂšrement vigoureux aux États-Unis, semble en fait multiforme
 Effectivement. Hormis celle dont je viens de parler, il en existe plusieurs autres formes. Il y a des crĂ©ationnistes que l’on appelle les « Young Earth » – plusieurs millions aux États-Unis mais aussi dans le monde musulman –, qui interprĂštent les textes sacrĂ©s de maniĂšre littĂ©rale et affirment, par exemple, que la Terre a 6 000 ans. Il y a aussi les « vieille Terre », qui essaient de concilier, malgrĂ© tout, ce que l’on sait de l’ñge de la planĂšte avec ce que dit la Bible. En 2007, la France et l’Europe ont Ă©tĂ© inondĂ©es de dizaines de milliers d’exemplaires d’un livre dĂ©lirant: L’Atlas de la CrĂ©ation. Écrit par un certain Harun Yahya, thĂ©ologien musulman turc, l’ouvrage a Ă©tĂ© diffusĂ© gra- tuitement dans nos lycĂ©es. Il dĂ©fend l’idĂ©e que Dieu a créé toutes les espĂšces en mĂȘme temps, s’appuyant sur des photos d’animaux d’un cĂŽtĂ©, de fossiles de l’autre, tout cela pour montrer qu’elles existaient dĂ©jĂ  il y a trĂšs longtemps, et donc prouver l’absence d’évolution. Le biologiste Richard Dawkins a publiĂ© une critique du livre. Il a notamment mis le doigt sur un artifice ahurissant: certaines photos Ă©taient des faux! Comme l’auteur n’avait pas toujours trouvĂ© les fossiles corres- pondant aux espĂšces actuelles, il avait achetĂ© des appĂąts artificiels chez un marchand d’articles de pĂȘche – des leurres – et les avait dĂ©corĂ©s. Escroquerie totale, d’un comique achevé  mais qui a fait pas mal de dĂ©gĂąts! « Avec Jean Paul II, le Vatican accepte clairement l’ensemble des recherches scientifiques, tout en restant rĂ©servĂ© sur les sujets de bioĂ©thique » ŒŒŒRetrouvez en vidĂ©o les propos de Luc Ferry lors du colloque « Dieu et la science » : http://sciav.fr/HSferry 8 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
  • 9. Comment ĂȘtre crĂ©ationniste au XXIe siĂšcle? Les crĂ©ationnistes cherchent Ă  tout prix des preuves de l’existence de Dieu. Dans la thĂ©ologie classique, on en trouvait trois fondamentales. D’abord la preuve a contingentia mundi, par la contingence du monde. Autrement dit, par le principe de raison suffisante. « Nihil est sine ratione » (Leibniz): tout effet a une cause, rien n’arrive sans raison. Par consĂ©quent, le monde pris globalement ne peut exister sans cause premiĂšre, sans un Être suprĂȘme, un Dieu crĂ©ateur. La deuxiĂšme preuve est tĂ©lĂ©ologique. C’est la preuve par la beautĂ© du monde, par la splendeur des crĂ©atures. La petite fourmi ou le scarabĂ©e sont magnifiquement faits. Il faut bien un crĂ©ateur intelligent pour que ces mer- veilles que sont les organismes vivants aient pu exis- ter. Et enfin, troisiĂšme « preuve »: le fameux argument ontologique attribuĂ© Ă  saint Anselme, que l’on retrouve chez Descartes, Leibniz ou Spinoza sous des formes dif- fĂ©rentes: j’ai l’idĂ©e d’un Dieu possĂ©dant toutes les qua- litĂ©s, tous les attributs. Or l’existence est une qualitĂ© Ă©minente, donc Dieu existe. À cĂŽtĂ© de ces arguments classiques, des versions modernes ont Ă©tĂ© proposĂ©es, par exemple par Teilhard de Chardin, qui postulent la nĂ©ces- sitĂ© d’une intelligence crĂ©atrice Ă  l’origine de l’évolution. Certains cherchent toujours des preuves « scientifiques » de l’existence de Dieu. Peut-on aller jusqu’à imaginer une preuve « scientifique » de sa non-existence? Évidemment non. Comme l’a dit le philosophe des sciences Karl Popper, la proposition « Dieu existe » est par nature non falsifiable. Personne ne pourra jamais prouverqu’iln’existepas.Enrevanche,lespreuvesdeson existencenetiennentpasnonpluslaroutetroissecondes. C’est ce qu’a montrĂ© Kant de maniĂšre lumineuse dans la Critiquedelaraisonpure,eninsistantnotammentsurle faitqu’onnepeutjamaisdĂ©duirel’existencedelapensĂ©e. Aussi bien que je dĂ©finisse une table, je ne la ferai jamais exister pour autant! En quoi l’argument ontologique est absurde: ce n’est pas parce que j’ai l’idĂ©e d’un ĂȘtre par- fait,quidoitexister,quecetteidĂ©elefaitexistervraiment! Nousavonstousl’idĂ©edeDieu,c’estvrai,maisl’idĂ©ed’un ĂȘtre nĂ©cessaire n’est pas une rĂ©alitĂ©. Popper reprendra la thĂšse kantienne sous une autre forme: pour qu’un Ă©noncĂ© soit scientifique, il faut, non pas qu’on puisse le vĂ©rifier, mais au contraire le « falsi- fier », c’est-Ă -dire imaginer un test qui puisse l’invalider. Soit la proposition: « Tous les cygnes sont blancs ». On peut accumuler 10 000 observations de cygnes blancs, cela ne prouvera jamais que la proposition est vraie. En revanche, si vous tombez sur un cygne noir Ă  bec rouge – et il y en a! –, alors vous saurez en toute certitude que la proposition est fausse. Une hypothĂšse n’est scientifique que si elle peut ĂȘtre critiquĂ©e, infirmĂ©e par une expĂ©- rience. Popper pense Ă  la fameuse expĂ©dition d’Edding- ton. En 1919, Einstein annonce que lors d’une Ă©clipse de Soleil visible depuis l’Afrique Ă©quatoriale, les rayons observĂ©s seront courbĂ©s, ce qui confirmera la thĂ©orie de la relativitĂ©. L’expĂ©dition part, on prend les photos et, en effet, la thĂ©orie est confirmĂ©e, « sanctionnĂ©e » comme dit le philosophe Gaston Bachelard. Mais Einstein a pris un risque, celui d’ĂȘtre contredit par une vĂ©ritĂ© empirique, factuelle, observable. La proposition « Dieu existe », elle, ne prend aucun risque: elle n’est ni dĂ©montrable ni falsi- fiable. Cela ne signifie pas que Dieu n’existe pas, mais que les thĂšses de la thĂ©ologie se meuvent dans un domaine qui n’est pas celui de la science. Conclusion: laissons ces deux sphĂšres de la vie de l’esprit Ă  elles-mĂȘmes, ne les confondons surtout pas, ne les mĂ©langeons jamais et surtout, ne les subordonnons jamais l’une Ă  l’autre! EN EXCLUSIVITÉ POUR SCIENCES ET AVENIR Sept façons d'ĂȘtre heureux, avec Jacques Attali, XO, 2015 La Plus Belle Histoire de la philosophie, avec Claude Capelier, Robert Laffont, 2014 La RĂ©volution de l'amour. Pour une spiritualitĂ© laĂŻque, Plon, 2010 La Tentation du christianisme, avec Lucien Jerphagnon, Grasset, 2009 LESCRESPI/PASCOANDCO « Les preuves de l’existence de Dieu ne tiennent pas, mais personne ne pourra jamais prouver qu’il n’existe pas
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  • 10. CONCORDISME CrĂ©ationcontinuĂ©e La CrĂ©ation s’est dĂ©ployĂ©e dans le temps, les espĂšces se sont succĂ©dĂ© (sans se transformer). Abstention de principe Ă  l’égard des thĂ©ories scientiïŹques qui peuvent elles-mĂȘmes Ă©voluer. En sommeil CrĂ©ationnisme JeuneTerre L’Univers et l’ensemble des espĂšces ont Ă©tĂ© créés en six jours. Discours pseudo-scientiïŹque, refus de toute forme d’évolution. Mouvements fondamentalistes Ă©vangĂ©liques amĂ©ricains et certains courants islamistes radicaux. En France : le Centre d’études scientiïŹques et historiques, Guy Berthault CrĂ©ationnisme VieilleTerre Les jours de la GenĂšse sont assimilĂ©s Ă  de longues pĂ©riodes gĂ©ologiques. Les acquis scientiïŹques ne sont acceptĂ©s que s’ils corroborent la trame biblique. Protestants Ă©vangĂ©liques, certains courants juifs et musulmans (Harun Yahya) La vie, la Terre et, par extension, l’Univers ont Ă©tĂ© créés par Dieu, selon des modalitĂ©s conformes Ă  une lecture littĂ©rale des textes sacrĂ©s. Les textes sacrĂ©s et les dĂ©couvertes scientiïŹques sont compatibles. Évolution et religions, des liens complexes Des crĂ©ationnistes les plus radicaux, pour qui seule la Bible dit la vĂ©ritĂ©, aux matĂ©rialistes athĂ©es, qui pensent que la science peut combattre la religion, doctrines et courants de pensĂ©e composent une galaxie mouvante. Par Rachel Mulot, avec l’historien des sciences CĂ©dric Grimoult. Infographie : Mehdi Benyezzar LittĂ©ralisme 10 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016 Doctrines et courants Position vis-Ă -vis des textes sacrĂ©s Position vis-Ă -vis de la science CommunautĂ©s et ïŹgures du mouvement
  • 11. NOMA MA TÉRIALISME ThĂ©isme DĂ©isme Intelligent design Mouvement indĂ©pendant de toute religion. Les Écritures peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es de façon symbolique. DĂ©marche Ă  prĂ©tention scientiïŹque. L’évolution du vivant, acceptĂ©e, illustre une volontĂ© supranaturelle. Pas de hasard ni de contingence. William Dembski, Michael Behe, UniversitĂ© interdisciplinaire de Paris
 Softoverlap(Sofa) Aucun refus de principe des religions. Acceptation de la science. IdĂ©e selon laquelle science et religion sont complĂ©mentaires et doivent dialoguer. Nidhal Guessoum Évolutionnisme Évolutionnisme naturalisteagnostique NeutralitĂ© Ă  l’égard de toute croyance. Aucune restriction. Position dominante parmi les scientiïŹques. Stephen Jay Gould, Guillaume Lecointre
 Évolutionnisme matĂ©rialisteathĂ©e Refus de toute religion. Aucune restriction. La science peut ĂȘtre une arme pour combattre les religions et prouver la non-existence de Dieu. Richard Dawkins Dieu est reconnu comme crĂ©ateur de l’Univers et intervient, directement ou non, sur son fonctionnement. UnitĂ© physique du monde.Tout ce qui existe n’a de cause, d’explication et de ïŹnalitĂ© que naturelles. Dieu a conçu l’Univers, puis laissĂ© sa CrĂ©ation se dĂ©velopper de façon autonome. Il n’intervient ni dans les affaires humaines, ni dans les lois qui rĂ©gissent le cosmos. Le dĂ©isme ne s’appuie pas sur des textes sacrĂ©s, ne dĂ©pend pas d’une religion rĂ©vĂ©lĂ©e. La Terre a Ă©tĂ© progressivement colonisĂ©e par des organismes simples qui, de mutation en mutation, ont Ă©voluĂ© vers des ĂȘtres plus complexes
 dont l’ĂȘtre humain. Principe anthropique Les paramĂštres qui ont rĂ©gi l’évolution de l’Univers semblent minutieusement rĂ©glĂ©s aïŹn de permettre l’apparition de l’homme. Acceptation de l’approche scientiïŹque et notamment des constantes cosmologiques. Refus du hasard et de la contingence dans l’évolution. Trinh Xuan Thuan, les frĂšres Bogdanov
 notamment des constantes cosmologiques. Refus du hasard et de la contingence anthropique Les paramĂštres qui ont rĂ©gi l’évolution de l’Univers semblent minutieusement rĂ©glĂ©s aïŹn de permettrerĂ©glĂ©s aïŹn de permettre l’apparition de l’homme. Principe l’approche scientiïŹque et DĂ©isme Softoverlap(Sofa)Softoverlap(Sofa)Softoverlap Aucun refus de principe des religions. Acceptation de la science. IdĂ©e selon laquelle science et religion sont complĂ©mentaires et doivent dialoguer. NidhNidhNid al Guessoum Dieu a conçu l’Univers, puis laissĂ© sa CrĂ©ation se dĂ©velopper de façon autonome. Il n’intervient ni dans les affaires humaines, ni dans les lois qui rĂ©gissent le cosmos. Le dĂ©isme ne s’appuie pas sur des textes sacrĂ©s, ne dĂ©pend pas d’une religion rĂ©vĂ©lĂ©e. Principe anthropique Les paramĂštres qui ont rĂ©gi l’évolution de l’Univers semblent minutieusement rĂ©glĂ©s aïŹn de permettre l’apparition de l’homme. Acceptation deAcceptation de l’approche scientiïŹque et notamment des constantes cosmologiques. Refus du hasard et de la contingence dans l’évolution. Trinh Xuan Thuan, les frĂšres Bogdanov
 EvolutionnismeÉvolutionnismeEvolutionnismeÉvolutionnisme naturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostiquenaturalisteagnostique ÉvolutionnismeEvolutionnismeÉvolutionnismeÉvolutionnismeEvolutionnismeÉvolutionnisme matĂ©rialisteathĂ©ematĂ©rialisteathĂ©ematĂ©rialisteathĂ©eDĂ©terminisme Les Écritures sont interprĂ©tĂ©es de maniĂšre symbolique. L’esprit humain est issu d’une pensĂ©e divine particuliĂšre. Le hasard joue un rĂŽle mineur dans l’évolution. Simon Conway Morris, Anne Dambricourt-Malassé  IndĂ©pendance et sĂ©paration des magistĂšres de la science et de la religion (Non-Overlapping Magisteria). JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 11
  • 12. L’aile du Petit Nuage de Magellan, une galaxie naine distante de la Voie lactĂ©e de seulement 200 000 annĂ©es- lumiĂšre. Cette image a Ă©tĂ© obtenue Ă  partir des observations de trois tĂ©lescopes, Chandra, Hubble et Spitzer. NASA/CXC/JPL/CALTECH 12 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
  • 13. Comment est nĂ© l’Univers? A-t-il connu un temps zĂ©ro? Et qu’y avait-ilavant? Face Ă  ces questions auxquelles la science peine Ă  rĂ©pondre, certains ont la tentation de chercher un principe crĂ©ateur. JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 13
  • 14. « L’origine de l’Univers,  un authentique  mystĂšre » Non, le Big Bang n’est pas cette explosion originelle qui aurait accouchĂ© du cosmos! Le physicien nous le rappelle : la question de la naissance de l’Univers est loin d’ĂȘtre scientifiquement rĂ©solue. Car elle soulĂšve des paradoxes insurmontables. ’Univers divise. La ques- tion de son origine est en effet celle qui tend le plus le conflit opposant les tenants d’une sĂ©pa- ration radicale entre la science et la religion et ceux qui voudraient les faire dialoguer – soit pour qu’elles se rejoi- gnent, soit pour qu’elles se complĂštent, soit pour qu’elles s’opposent. On rĂ©pĂšte souvent qu’« il a fallu attendre le xxe siĂšcle pour comprendre que l’Univers a une histoire ». En rĂ©alitĂ©, les cosmogonies les plus ancestrales racontaient dĂ©jĂ  une histoire de l’Univers. Il s’agit donc d’un thĂšme trĂšs ancien, bien antĂ©rieur Ă  l’avĂšnement de la thĂ©orie de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Einstein, y compris dans l’esprit des physiciens: au xixe siĂšcle, par exemple, les principes de la ther- modynamique Ă©taient invoquĂ©s par certains d’entre eux pour prĂ©dire la mort thermique de l’Univers. Mais dans leur bouche, la phrase « l’Univers a une histoire » avait un sens diffĂ©rent de celui qu’elle a dĂ©sormais: elle signifiait que les objets que l’Uni- vers contient – Ă©toiles et planĂštes – avaient une histoire, alors qu’aujourd’hui, elle signifie que c’est l’Univers lui-mĂȘme qui Ă©volue. DĂšs lors que nous savons de façon certaine que l’Univers n’est pas une entitĂ© stationnaire, qu’il a eu et qu’il continue Ă  avoir une histoire, nous avons tendance Ă  consi- dĂ©rer que cette histoire a nĂ©cessairement connu un commencement, ce qu’on appelle le Big Bang, et c’est autour de lui que plusieurs types de discours viennent s’entrechoquer. Mais une premiĂšre question se pose: les discours que nous tenons sur l’origine de l’Univers, quelle que soit leur nature, sont-ils vraiment complets? Examinons d’abord celui des trois monothĂ©ismes. Ils prĂ©sentent Dieu comme un ĂȘtre hors du monde qui aurait dĂ©cidĂ©, Ă  un certain moment, d’appuyer sur un interrupteur. Et d’un seul coup d’un seul, les cieux, la Terre et la lumiĂšre seraient apparus. Mais ce rĂ©cit ne nous dit pas tout. Il ne dit pas, par exemple, ce qui a pu se passer avant ce temps zĂ©ro. Ni ne prĂ©cise d’oĂč l’idĂ©e de crĂ©er l’Univers serait venue Ă  Dieu. Ni s’il savait ce qu’il faisait en pressant son doigt sur le bouton. Suivons maintenant d’autres pistes, non reli- gieuses celles-lĂ , qui prĂ©tendent, elles aussi, nous Ă©clairer sur l’origine du monde. Selon certains rĂ©cits, il n’a pas Ă©tĂ© créé comme le boulanger fait son pain: il ne provient pas d’une rĂ©alitĂ© prĂ©alable Étienne Klein Docteur en philosophie des sciences, Étienne Klein est professeur Ă  l’École centrale de Paris et directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matiĂšre au CEA. ‱ Les Secrets de la matiĂšre, Librio, 2015 ‱ En cherchant Majorana, le physicien absolu, Éditions des Équateurs, 2013 ‱ Discours sur l’origine de l’Univers, Flammarion, 2010 Les trois monothĂ©ismes prĂ©sentent Dieu comme un ĂȘtre hors du monde qui aurait dĂ©cidĂ©, Ă  un certain moment, d’appuyer sur un interrupteur. Mais ce rĂ©cit ne nous dit pas ce qui a pu se passer avant. Univers 14 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i janvier / fĂ©vrier 2016
  • 15. qu’un agent crĂ©ateur serait venu informer ou modifier. Il aurait Ă©tĂ© fabriquĂ© tout simplement Ă  partir de rien, par une crĂ©ation ex nihilo. Mais comment le nĂ©ant, oĂč absolument rien n’existe et qui lui-mĂȘme n’est rien, aurait-il pu crĂ©er quoi que ce soit? On ne se bouscule pas pour le dire! Sans doute parce qu’on saisit moins facilement l’idĂ©e de nĂ©ant, d’absence de toute chose, que le concept de table ou de brique! Cette idĂ©e a d’ailleurs un statut trĂšs singulier, puisqu’elle est destructrice d’elle-mĂȘme. DĂšs qu’elle nous vient Ă  l’esprit, le mouvement de notre pensĂ©e la trans- forme en autre chose qu’elle-mĂȘme: on en fait une sorte de vide auquel on attribue, l’air de rien (c’est le cas de le dire), un corps, une matĂ©rialitĂ©, que le nĂ©ant ne saurait possĂ©der par dĂ©finition. Tel est le paradoxe du nĂ©ant: penser le rien n’est jamais penser Ă  rien. Regardons maintenant du cĂŽtĂ© de la science. En toute rigueur, le Big Bang est l’époque trĂšs dense et trĂšs chaude que l’Univers a connue il y a 13,8 milliards d’annĂ©es. Mais on utilise en gĂ©nĂ©ral cette expression dans un sens diffĂ©rent: pour dĂ©si- gner l’explosion originelle qui aurait créé tout ce qui existe, autrement dit l’instant zĂ©ro marquant le surgissement simultanĂ© de l’espace, du temps, de la matiĂšre et de l’énergie. Dans le langage cou- rant, elle en est donc venue Ă  reprĂ©senter la crĂ©a- tion mĂȘme du monde, un Ă©quivalent physique du Fiat lux religieux. A priori, il ne s’agit pas d’un contresens: si l’on regarde ce que fut l’Univers dans un passĂ© de plus en plus lointain, on observe que les galaxies se rap- prochent les unes des autres, que la taille de l’Uni- vers ne cesse de diminuer et qu’il finit en effet par se rĂ©duire – si l’on en croit les Ă©quations de ŒŒŒ SERGEPICARDPOURSCIENCESETAVENIR Retrouvez en vidĂ©o les propos d’Étienne Klein lors du colloque « Dieu et la science » : http://sciav.fr/HSklein Et son dĂ©bat avec Nidhal Guessoum : http://sciav. fr/HSkleinguessoum JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 15
  • 16. Univers la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale – Ă  un Univers ponc- tuel, c’est-Ă -dire de volume nul. Autrement dit, si l’on dĂ©roule le temps Ă  l’envers, les calculs font bien surgir un instant zĂ©ro qui serait apparu il y a 13,8 milliards d’annĂ©es, et qui se trouve directe- ment associĂ© Ă  ce que les physiciens appellent une « singularitĂ© initiale »: une situation dans laquelle la tempĂ©rature et la densitĂ© deviennent infinies. Or, qu’est-ce qui empĂȘche d’assimiler cette sin- gularitĂ© initiale Ă  l’origine effective de l’Univers? À vue de nez, rien, mais si l’on y regarde de plus prĂšs, on constate qu’il faut ĂȘtre trĂšs prudent, car les physiciens ont compris de nouvelles choses qui pourraient changer la donne. Dans les annĂ©es 1950, la description de l’Uni- vers s’appuyait exclusivement sur les Ă©quations de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, qui dĂ©crivent les effets de la gravitation. Or, quand on remonte le cours du temps, la taille de l’Univers se rĂ©duisant pro- gressivement, la matiĂšre finit par rencontrer des conditions physiques trĂšs spĂ©ciales que la relati- vitĂ© gĂ©nĂ©rale est incapable de dĂ©crire seule, car d’autres interactions que la gravitation entrent en jeu: il s’agit des forces Ă©lectromagnĂ©tiques et nuclĂ©aires, dĂ©crites dans le cadre du modĂšle stan- dard. Elles dĂ©terminent le comportement des par- ticules de matiĂšre, notamment quand la tempĂ©ra- ture et la densitĂ© deviennent trĂšs grandes. La relativitĂ© gĂ©nĂ©rale ne prenant en compte aucune de ces trois forces, les physiciens ont compris qu’elle ne peut dĂ©crire Ă  elle seule les premiers instants de l’Univers. Ses Ă©quations per- dent toute validitĂ© quand les particules prĂ©sentes dans l’Univers, dotĂ©es d’énergies gigantesques, subissent d’autres interactions que la gravitation. our affronter les conditions de l’Univers primordial et pouvoir en parler, il fau- drait que les physiciens puissent fran- chir le « mur de Planck », ce moment particulier de l’histoire de l’Univers : une phase par laquelle il est passĂ© il y a 13,8 milliards d’an- nĂ©es et dont la physique actuelle est impuissante Ă  dĂ©crire ce qui s’est passĂ© en son amont. Le mur de Planck reprĂ©sente ce qui nous barre l’accĂšs Ă  l’origine de l’Univers, si origine il y a eu. Il est la limite de validitĂ© ou d’action des concepts de notre physique. Comment mieux dĂ©crire, et surtout plus com- plĂštement, l’Univers primordial, cette phase ultrachaude et ultradense? En Ă©laborant une conception de la gravitĂ© quantique qui englobe physique quantique et relativitĂ© gĂ©nĂ©rale. Les scientifiques osent toutes les hypothĂšses: la thĂ©o- rie des cordes suppose que l’espace-temps possĂšde plus de quatre dimensions; quant Ă  la gravitĂ© quantique Ă  boucles, elle Ă©nonce qu’à toute petite Ă©chelle, il serait discontinu plutĂŽt que lisse, c’est- Ă -dire constituĂ© de petits grains
 Le point impor- tant est que toutes ces thĂ©ories ont la propriĂ©tĂ© de faire passer un sale quart d’heure Ă  l’instant zĂ©ro. Quand on les applique aux phases ŒŒŒ GalilĂ©e Physicien et astronome nĂ© Ă  Pise (1564-1642). Auteur d’une loi sur la chute des corps, Galileo Galilei posa les principes de la mĂ©canique et est, Ă  ce titre, considĂ©rĂ© comme le fondateur de la physique moderne. Par ailleurs, il ne cessa d’observer les corps cĂ©lestes et leur mouvement, n’échappant au bĂ»cher de l’Inquisition qu’en abjurant l’hĂ©liocentrisme, en 1633. RUEDESARCHIVES BIG BANG Ce terme dĂ©signe d’abord l’époque extrĂȘmement dense et chaude qu’a connue l’Univers il y a 13,8 milliards d’annĂ©es; mais aussi l’ensemble des modĂšles cosmologiques fondĂ©s sur son expansion, le premier ayant Ă©tĂ© proposĂ© en 1927 par le chanoine belge Georges LemaĂźtre Ă  partir de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Albert Einstein. Le Big Bang est souvent considĂ©rĂ©, Ă  tort, comme une gigantesque explosion. Sans doute en raison du terme mĂȘme (« grand boum »), introduit en 1950 par l’Anglais Fred Hoyle pour railler ce qu’on appelait alors le « modĂšle d’évolution dynamique »... lequel sera acceptĂ© par la majoritĂ© des cosmologistes une quinzaine d’annĂ©es plus tard! Il s’agit en fait d’une dilatation de l’espace lui- mĂȘme, conduisant les objets cĂ©lestes Ă  s’éloigner les uns des autres. Tout aussi abusive et rĂ©pandue, l’idĂ©e selon laquelle le Big Bang correspondrait Ă  la naissance de l’Univers. Car notre comprĂ©hension actuelle de la physique ne permet pas de remonter le temps au-delĂ  de 10-43 seconde aprĂšs le Big Bang, limite que les physiciens nomment l’« Ăšre de Planck » oĂč l’Univers ne mesurerait que 10-35 mĂštre! Sauf Ă  trouver une thĂ©orie unifiant la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale et la mĂ©canique quantique, laquelle dĂ©crit la matiĂšre Ă  l’échelle subatomique, la physique actuelle ne peut dire ce qu’il s’est passĂ© avant. 16 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016 Les rĂ©sultats du satellite Planck (Ă  droite) permettent de reprĂ©senter l’espace sous la forme d’un cĂŽne Ă©vasĂ©, ce qui correspond Ă  son expansion accĂ©lĂ©rĂ©e. La premiĂšre lumiĂšre, datant de l’époque oĂč l’Univers avait 380 000 ans, est ïŹgurĂ©e par un disque colorĂ© Ă  l’extrĂ©mitĂ© gauche. ŒŒŒ SOURCE:NASA/WMAPSCIENCETEAM
  • 17. ÉCLAIRAGES MATIÈRE NOIRE PlanĂštes, Ă©toiles, galaxies
 Tout ce que l’on observe dans l’Univers ne reprĂ©sente que 4,9 % de son contenu total, estiment les astrophysiciens! Le reste, de nature encore inconnue, n’est trahi que par son effet sur les objets cĂ©lestes. En 1970, l'AmĂ©ricaine Vera Rubin, reprenant les travaux du Suisse Fritz Zwicky dans les annĂ©es 1930, remarque ainsi qu’à la vitesse oĂč tournent les galaxies, leurs Ă©toiles pĂ©riphĂ©riques devraient ĂȘtre Ă©jectĂ©es. Leur masse apparente n’est pas suffisante pour maintenir leur cohĂ©sion. Il faut donc supposer l’existence d’une matiĂšre invisible, agissant uniquement par son attraction gravitationnelle, pour expliquer cette cohĂ©sion. Aujourd’hui encore, les astrophysiciens sont contraints de tenir compte de cette matiĂšre noire, qui constituerait 25,9 % de l’Univers. ÉNERGIE SOMBRE En 1998, l’observation de supernovae – des Ă©toiles en cours d’explosion – dont on pensait connaĂźtre la distance prĂ©cise a surpris les cosmologistes : elles semblaient plus Ă©loignĂ©es de la Terre que prĂ©vu! Pour expliquer cet Ă©cart entre la thĂ©orie et les mesures, il fallait envisager non seulement que l’Univers Ă©tait en expansion, mais que cette expansion s'accĂ©lĂ©rait. Alors qu’on s’attendait Ă  ce qu’elle ralentisse sous l’effet de la gravitation... Tout se passe comme si une mystĂ©rieuse « Ă©nergie sombre », dont la nature est dĂ©battue, dilatait l’espace de plus en plus rapidement. Cette Ă©nergie sombre pourrait constituer 69,2 % du contenu de l’Univers. RELATIVITÉ GÉNÉRALE Elle a Ă©tĂ© formulĂ©e en 1915 par Albert Einstein pour rĂ©soudre certains problĂšmes posĂ©s par la thĂ©orie newtonienne de la gravitation. Selon Newton, en effet, tous les objets s’attirent proportionnellement Ă  leur masse et de maniĂšre inversement proportionnelle au carrĂ© de leur distance. Aussi, plus ils sont massifs et proches, plus ils s’attirent. Cette force d’attraction explique aussi bien la chute des corps que l’orbite des planĂštes. Mais quelques observations semblent lui Ă©chapper, comme les irrĂ©gularitĂ©s de l’orbite de Mercure. La relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Einstein Ă©claire ce phĂ©nomĂšne en considĂ©rant que l’espace est dĂ©formĂ© par les masses : la gravitation, dĂšs lors, n’est pas une force mais la courbure mĂȘme de l’espace-temps sous l’effet de la matiĂšre (ou de l’énergie) en son sein. Cette courbure modifie la trajectoire des objets qui se dĂ©placent au voisinage d’un corps massif. VoilĂ  pourquoi, Ă  proximitĂ© d’un tel astre, l’orbite d’une planĂšte se trouve dĂ©formĂ©e. À l’échelle du SystĂšme solaire, ces effets sont infimes. Mais Ă  l’échelle des galaxies, ils affectent la lumiĂšre qui nous parvient des astres lointains. RELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALERELATIVITÉ GÉNÉRALE CHANDRA JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 17 Pour expliquer la cohĂ©sion des galaxies (ici, M51), il faut postuler l’existence d’une masse invisible, la matiĂšre noire. Selon la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Einstein, la masse dĂ©forme l’espace, ce qui change la trajectoire des corps cĂ©lestes. ESO/L.CALÇADA PagerĂ©alisĂ©eparFranckDaninosavecAzarKhalatbari
  • 18. Univers Albert Einstein Le cĂ©lĂšbre physicien suisse naturalisĂ© amĂ©ricain (1879-1955) rĂ©volutionna la physique par l’établissement de quatre thĂ©ories fondamentales : le mouvement brownien, l’effet photoĂ©lectrique, la relativitĂ© restreinte et la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale. ruedesarchives les plus reculĂ©es de l’histoire de l’Univers, on constate que les calculs ne font plus apparaĂźtre de singularitĂ© initiale! Donc plus d’instant zĂ©ro! Tout se passe comme si elles aboutissaient sinon Ă  l’abolition de l’origine de l’Univers, du moins Ă  sa mise Ă  l’écart
 Aucune, en tout cas, ne donne corps Ă  l’idĂ©e d’une crĂ©ation ex nihilo, ce qui oblige Ă  revoir notre façon de penser le Big Bang. Par exemple, cer- tains modĂšles thĂ©oriques l’interprĂštent non plus comme une singularitĂ©, mais comme une phase extrĂȘmement dense qui aurait servi de « pont » entre notre Univers en expansion et un autre qui l’aurait prĂ©cĂ©dĂ© (le mĂȘme, mais en contrac- tion). On comprend que, dans un tel cadre, le Big Bang ne puisse plus ĂȘtre confondu avec l’origine de l’Univers. a question de l’origine est donc ouverte: personne n’est en mesure de dĂ©montrer scientifiquement que l’Univers a eu une origine proprement dite, et personne n’est capable non plus de dĂ©montrer scientifique- ment qu’il n’en a pas eue
 L’origine opĂšre ainsi comme un trou dans nos reprĂ©sentations, un trou si grand que l’intelligence et l’imagination font ce qu’elles peuvent pour le combler, mais sans jamais y parvenir. On peut se demander pourquoi nous tenons tant Ă  avoir le fin mot de l’histoire, quitte Ă  le fabriquer ou Ă  considĂ©rer qu’il nous a Ă©tĂ© livrĂ© clĂ© en main. Sans doute serait-il plus intĂ©ressant de considĂ©rer que la question de l’origine consti- tue un authentique mystĂšre, sans rĂ©ponse Ă  por- tĂ©e de main. Quand on parle de science et de religion, apparaĂźt aussi la question des valeurs. Je suis bien conscient que les sciences ne traitent vraiment bien que des questions
 scientifiques! Or celles-ci ne recou- vrent pas l’ensemble des questions qui se posent Ă  nous. Du coup, l’Universel que les sciences met- tent au jour est, par essence, incomplet: il n’aide guĂšre Ă  trancher les questions qui restent en dehors de leur champ. En particulier, il ne permet pas de mieux penser l’amour, la libertĂ©, la justice, les valeurs en gĂ©nĂ©ral. De telles questions sont toutefois Ă©clairĂ©es par la science, et mĂȘme modi- fiĂ©es par elle: par exemple, un homme qui sait que son espĂšce n’a pas cessĂ© d’évoluer et que l’Univers est vieux d’au moins 13,8 milliards d’annĂ©es ne se pense pas de la mĂȘme façon qu’un autre qui croit dur comme fer qu’il a Ă©tĂ© créé tel quel en six jours dans un Univers qui n’aurait que six mille ans. Reste qu’il faut bien veiller Ă  ne pas confondre les croyances et les connaissances. J’entends par- fois dire que les connaissances permettraient de comprendre ou d’étayer le sens vĂ©ritable des textes sacrĂ©s, dont le prestige se trouverait ainsi renforcĂ©. Cette voie est Ă  la fois une erreur et une impasse. Car mĂȘme en abusant du sparadrap syncrĂ©tique, on ne peut pas faire coller toutes nos nouvelles connaissances avec toutes nos anciennes croyances: oĂč trouver trace dans les textes anciens, mĂȘme de façon fantomatique, de ce que nous venons d’apprendre sur l’origine de la masse grĂące Ă  la dĂ©couverte du boson de Higgs? La science dĂ©voile des choses qui n’avaient jamais Ă©tĂ© dites, et c’est ce qui fait sa valeur. Vous m’opposerez: mais il y a la question du sens. Certes. EmportĂ©s par leur Ă©lan, certains se lais- sent d’ailleurs aller Ă  nous survendre des prolon- gements mĂ©taphysiques qui vont bien au-delĂ  de ce qu’offrent les thĂ©ories elles-mĂȘmes. Sauf Ă  sombrer dans une espĂšce de mysticisme idolĂątre, il est certainement illusoire d’espĂ©rer extraire le sens du monde ou de la vie d’un jeu d’équations mathĂ©matiques. Mais c’est plus fort que nous: nous ne tolĂ©rons pas la contingence, nous rĂ©cla- mons du sens, du projet, du dessein. DĂšs lors, ceux qui croient connaĂźtre le sens du monde Ă  l’avance ne peuvent s’empĂȘcher de le faire Ă©noncer par telle ou telle thĂ©orie scientifique Ă  leur goĂ»t, qu’elle soit dĂ©jĂ  constituĂ©e ou simplement annon- cĂ©e. En rĂ©alitĂ©, ils l’y projettent comme on verse du sel sur les aliments. Puis, tout Ă©merveillĂ©s, ils s’extasient aprĂšs coup de l’y reconnaĂźtre. on point de vue est simple Ă  rĂ©su- mer: nous avons tous des croyances, religieuses ou autres, qui irriguent le rapport que nous entretenons avec notre propre existence. Ces croyances sont Ă©galement respectables, sauf quand elles s’ex- priment de façon trop radicale ou exigent le monopole. À cĂŽtĂ© d’elles, il y a des connais- sances scientifiques, laborieusement acquises, et mĂȘme des « vĂ©ritĂ©s de science ». Chacun d’entre nous a certes la libertĂ© de les ignorer, mais c’est toujours dommage, car elles peu- vent conduire Ă  remettre en cause notre façon de penser certaines questions. Ce qui est sĂ»r, c’est qu’elles ne peuvent pas ĂȘtre dites dans les mĂȘmes termes que ceux que nous utilisons pour dire nos croyances. C’est affaire de vocabulaire, mais pas seulement. Ilestillusoired’espĂ©rerextrairelesensdumondeetdelavied’unjeu d’équationsmathĂ©matiques.Maisc’estplusfortquenous:nousnetolĂ©rons paslescontingences,nousrĂ©clamonsdusens,duprojet,dudessein.  18 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i janvier / fĂ©vrier 2016
  • 19. ÉCLAIRAGES PHYSIQUE QUANTIQUE NĂ©e au dĂ©but du XXe siĂšcle, pratiquement en mĂȘme temps que la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, elle dĂ©crit le comportement de la matiĂšre Ă  l’échelle subatomique. Jusqu’à aujourd’hui, elle n’a jamais Ă©tĂ© prise en dĂ©faut et a produit d’innombrables applications, des lasers aux panneaux photovoltaĂŻques. Elle dĂ©fie toutefois le sens commun, car elle indique que les particules peuvent se trouver dans deux Ă©tats quantiques Ă  la fois : excitĂ© et au repos; noir et blanc; 1 et 0; onde et particule. Cette Ă©trange propriĂ©tĂ© est baptisĂ©e « Ă©tat de superposition quantique ». Par ailleurs, deux particules peuvent former Ă  jamais un seul sytĂšme pour peu qu’elles aient interagi dans le passĂ©. C’est « l’intrication quantique ». De ce fait, il suffit de mesurer les caractĂ©ristiques de l’une pour en dĂ©duire celles de l’autre, mĂȘme si elles se trouvent distantes de millions de kilomĂštres. Toutefois, plus les objets sont gros, plus ils interagissent avec l’environnement (air, rayonnement, etc.), ce qui a pour effet de faire disparaĂźtre les propriĂ©tĂ©s quantiques de la matiĂšre. À l’issue de cette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve la physique « classique », bien dĂ©terminĂ©e, Ă  laquelle nous sommes habituĂ©s. La relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, qui dĂ©crit si bien le monde Ă  l’échelle de l’Univers, et la physique quantique, qui relate le monde subatomique, sont incompatibles. Par exemple, la premiĂšre considĂšre que les Ă©changes d’énergie se font de maniĂšre continue; la seconde qu’ils se font par sauts, de maniĂšre quantifiĂ©e – de lĂ  son nom. D’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’élaborer une thĂ©orie qui englobe les deux Ă©chelles. BaptisĂ©e « gravitĂ© quantique », elle est le graal que recherchent les thĂ©oriciens. Pour l’heure, parmi les multiples voies explorĂ©es, deux semblent les plus prometteuses. La premiĂšre, la « thĂ©orie des cordes », considĂšre que toutes les particules correspondent aux diffĂ©rents modes de vibrations d’une entitĂ© unique, un filament infime. Cette thĂ©orie implique une hypothĂšse audacieuse : l’espace comporterait des dimensions cachĂ©es, repliĂ©es sur elles-mĂȘmes. La deuxiĂšme, la gravitĂ© quantique Ă  boucles, envisage l’espace Ă  petite Ă©chelle de maniĂšre discontinue, sous forme de minuscules grains jointifs, Ă  la maniĂšre d’un tableau pointilliste qui nous semble lisse lorsqu’on s’en Ă©loigne. MODÈLE STANDARD DE LA PHYSIQUE DES PARTICULES Il dĂ©crit l’ensemble des briques Ă©lĂ©mentaires de la matiĂšre et des forces qui rĂ©gissent leurs interactions, Ă  l’exception de la gravitation. Ces particules sont regroupĂ©es en deux grandes familles: les fermions, qui composent la matiĂšre, tels les quarks ou les Ă©lectrons; et les bosons, qui vĂ©hiculent trois des quatre forces fondamentales – les interactions nuclĂ©aires forte et faible et l’interaction Ă©lectromagnĂ©tique. Par exemple, le plus connu des bosons, le photon, est responsable du magnĂ©tisme et de l’électricitĂ©. Il explique la quasi-totalitĂ© des phĂ©nomĂšnes physiques Ă  notre Ă©chelle. En 2012, la dĂ©tection du « boson de Higgs » a signĂ© un nouveau succĂšs du modĂšle standard, qui prĂ©disait son existence depuis prĂšs de cinquante ans (lire pp. 24-25). quantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue dequantiques de la matiĂšre. À l’issue de cette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve lacette « dĂ©cohĂ©rence », on retrouve la physique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bienphysique « classique », bien dĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelledĂ©terminĂ©e, Ă  laquelle nous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommesnous sommes habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s.habituĂ©s. LUCASTAYLOR/CERN LKB.CNRS/IGORDOTSENKO GRAVITÉ QUANTIQUE JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 19 ExpĂ©rience sur un objet en Ă©tat de superposition quantique. Simulation de la dĂ©sintegration d’un boson de Higgs dans le dĂ©tecteur CMS du LHC, au Cern. Les traces jaune-vert dĂ©notent les particules produites par la collision d’une paire de protons d’ultra-haute Ă©nergie. Les Ă©nergies dĂ©posĂ©es par les particules dans le dĂ©tecteur sont en bleu turquoise. PagerĂ©alisĂ©eparFranckDaninosavecAzarKhalatbari
  • 20. « Il y a un sens à tout  ça, une cohĂ©rence » LacosmologiemoderneachangĂ©laconceptiondumondedescroyantscomme desnon-croyants.Mais,sedemandel’astrophysicien,faceĂ l’immensitĂ©effrayante del’Univers,peut-onsesuffiredesdonnĂ©esrigoureusesdelascience? u’entend-on aujour- d’huipar cosmologie? Qu’en- tendait-on par lĂ  au cours des siĂšcles prĂ©cĂ©dents, dans les dif- fĂ©rentes cultures – islamique, occidentale ou autre? Et pour- quoi serait-il impossible de concilier ces deux reprĂ©- sentations, ces deux « magistĂšres », ceux de la science et de la religion? Lorsqu’on parle de cosmologie aujourd’hui, la plu- part des gens comprennent aussitĂŽt qu’il s’agit d’astrophysique, de thĂ©ories et d’observations, de calculs, de nombres exacts. Mais cette disci- pline n’est devenue vĂ©ritablement scientifique (au sens moderne) qu’il y a un siĂšcle. C’est en 1915- 1916 qu’Einstein a publiĂ© sa thĂ©orie de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, dont l’équation principale a permis de faire des prĂ©dictions sur la structure du cosmos et son histoire. Il a d’ailleurs Ă©tĂ© surpris de consta- ter que cette Ă©quation avait pour rĂ©sultat un Uni- vers en expansion, et il l’a remodelĂ©e, Ă  l’aide d’une constante cosmologique, afin qu’elle corresponde Ă  ce Ă  quoi il Ă©tait habituĂ©: un Univers statique. Depuis, la science nous a appris que l’Univers obser- vable,d’undiamĂštred’environ93 milliardsd’annĂ©es- lumiĂšre, compte plus de 100 milliards de galaxies. Nous connaissons son Ăąge avec une trĂšs grande prĂ©cision: 13,8 (plus ou moins 0,02) milliards d’an- nĂ©es. Nous savons que son expansion s’accĂ©lĂšre, et qu’il est constituĂ© en partie d’une matiĂšre noire que nous n’avons pas encore dĂ©couverte mais dont nous voyons les effets. Nous pensons qu’il existe Ă©galement une Ă©nergie noire, ou Ă©nergie sombre, responsable de cette accĂ©lĂ©ration de l’expansion. Nous savons enfin que la matiĂšre connue reprĂ©sente moins de 5 % du contenu matiĂšre-Ă©nergie de l’Uni- vers. Et la matiĂšre dite lourde (carbone, oxygĂšne, fer, etc.), ce qui forme tout le monde complexe et solide, vivant ou non vivant, Ă  peine quelques centiĂšmes du centiĂšme de toute la matiĂšre existante. Mais pendant des millĂ©naires, le terme de cosmo- logie a dĂ©signĂ© toutes les conceptions de l’Univers quelles qu’elles soient. Elles Ă©taient gĂ©nĂ©ralement culturelles, trĂšs souvent spĂ©culatives, souvent mythologiques, parfois mĂȘme philosophiques ou thĂ©ologiques. Depuis l’aube des temps, en effet, dans toutes les cultures, les gens se sont reprĂ©- sentĂ© le cosmos. Souvent de façon gĂ©ocentrique et anthropocentrique. Mais pas toujours: les Chinois, par exemple, s’en sont fait une reprĂ©sentation beau- coup plus abstraite, sans idĂ©e de finalitĂ© de l’homme ni de crĂ©ateur. e public est Ă  la fois fascinĂ© et dĂ©rangĂ© par la cosmologie lorsqu’elle n’est que scientifique. Il aspire Ă  une vision Ă©qui- librĂ©e du monde et de l’existence: scien- tifique, certes, mais aussi culturelle. La plupart des gens souhaitent qu’on leur raconte comment cet Univers immense se rapporte Ă  leur existence. « OĂč sommes-nous dans tout cela? » Je voudrais qu’ils comprennent que, par rapport Ă  l’Univers, nous Nidhal Guessoum Professeur Ă  l’UniversitĂ© amĂ©ricaine de Sharjah (Émirats arabes unis) dont il est Ă©galement le vice-doyen, Nidhal Guessoum a travaillĂ© au Goddard Space Flight Center de la Nasa. ‱ Islam, Big Bang et Darwin, les questions qui fĂąchent, Dervy, 2015 ‱ Islam et science : comment concilier le Coran et la science moderne, Dervy, 2013 La trĂšs grande majoritĂ© des ĂȘtres humains ignore l’existence du boson de Higgs et de l’énergie noire Univers 20 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i janvier / fĂ©vrier 2016
  • 21. CREDIT Retrouvez en vidĂ©o les propos de Nidhal Guessoum lors du colloque « Dieu et la science » : http://sciav.fr/ HSguessoum Et son dĂ©bat avec Étienne Klein : http://sciav.fr/ HSkleinguessoum ne sommes que des grains de sable, mais que cela ne doit pas nous choquer. Car l’Univers ne pouvait ĂȘtre autrement. Il a dĂ©marrĂ© d’un point, une singu- laritĂ©, dans lequel tout Ă©tait concentrĂ© – l’énergie, la matiĂšre, l’espace, le temps –, puis le Big Bang l’a projetĂ© dans cette expansion qui a donnĂ© naissance Ă  des objets de plus en plus complexes : les galaxies, les Ă©toiles, les planĂštes
 S’il y a expansion, c’est qu’il y a Ă©volution – ainsi les planĂštes se transfor- ment, l’atmosphĂšre de la Terre n’a pas toujours Ă©tĂ© celle que nous connaissons
 Et il fallait bien quelques milliards d’annĂ©es pour que cette Ă©volu- tion aboutisse Ă  des ĂȘtres capables de s’interroger et s’émerveiller face Ă  l’immensitĂ© et la complexitĂ© du cosmos. VoilĂ  pourquoi nous sommes si petits, si rĂ©cents, face Ă  cet Univers si grand, si vieux
 si impressionnant, voire effrayant. Souvenons-nous de la phrase extrĂȘmement dure de Jacques Monod: « L’ancienne alliance est rompue; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensitĂ© indiffĂ©rente de l’Univers » (Le Hasard et la NĂ©ces- sitĂ©). Monod affirme en 1970 que l’homme, fort de sa raison, doit choisir entre le Royaume, c’est-Ă - dire les anciennes conceptions religieuses, et les tĂ©nĂšbres. Selon lui, aucune idĂ©e de finalitĂ© humaine n’est permise! Mais une conception plus heureuse et harmonieuse n’est-elle pas possible? Autrefois, la cosmologie, comme la philosophie et la thĂ©ologie, Ă©tait nourrie de spĂ©culations. Aujourd’hui, il semblerait que nous n’ayons plus le choix, ni mĂȘme le droit, d’ignorer les connaissances scientifiques sur l’Univers, mĂȘme si l’on veut le concevoir dans une perspective « humaine ». La science a mis sur la table des donnĂ©es rigoureuses dont nous devons tenir compte. Mais, mĂȘme en sachant que nous ne faisons partie que du 1 % du 1 % de la matiĂšre de l’Univers, et que le vivant ne reprĂ©sente que le mil- liardiĂšme du milliardiĂšme de toute la matiĂšre, il y a, me semble-t-il, une maniĂšre moins effrayante de conceptualiser le cosmos. Une maniĂšre qui explique que nous sommes tout de mĂȘme importants. Qu’il y a un sens Ă  tout ça, une cohĂ©rence. La science est loin de reprĂ©senter le savoir de la trĂšs grande majoritĂ© des humains – la plupart ne connaissent pas le boson de Higgs ni l’énergie noire
 Elle ne doit pas se dĂ©connecter du reste de la sociĂ©tĂ©, au risque, comme une locomotive qui avance toujours plus vite, de voir ses ŒŒŒ CELIAPETERSON/LUZPOURSCIENCESETAVENIR JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 21
  • 22. Univers ŒŒŒ Jacques Monod Biologiste et biochimiste français (1910-1976). Ses apports Ă  la biologie molĂ©culaire sont considĂ©rables. Il mit notamment en Ă©vidence l’existence d’une molĂ©cule servant de lien entre l’ADN et les protĂ©ines nĂ©cessaires Ă  la vie des cellules : l’ARN « messager ». Et il popularisa l’idĂ©e qu’un « programme gĂ©nĂ©tique » est censĂ© diriger le dĂ©veloppement des ĂȘtres vivants. LaurĂ©at en 1965 du prix Nobel de physiologie (mĂ©decine) pour ses travaux en gĂ©nĂ©tique, il exposa dans son livre Le Hasard et la nĂ©cessitĂ© ses vues sur la nature et le destin de l’humanitĂ©. OPALE Al-Kindi(800-873) Il est considĂ©rĂ© comme un des premiers philosophes hellĂ©nisants arabes. À Bagdad, devenu le centre scientifique et culturel du monde musulman au XIe siĂšcle, al-Kindi est chargĂ© de la traduction de manuscrits grecs, et il rĂ©dige des traitĂ©s d’arithmĂ©tique et de gĂ©omĂ©trie. Ses 290 ouvrages concernent principalement l’astronomie, la mĂ©decine et les mathĂ©matiques. DUBSAHARA.COMRAFFAEL/LEEMAGE wagons se dĂ©tacher un Ă  un. Les wagons, ce sont notre monde, nos vies, notre sagesse, nos relations aux autres, Ă  l’environnement
 Il est donc important de raccorder ce que nous appre- nons de la science avec ce que la sociĂ©tĂ© doit com- prendre et saisir. La cosmologie scientifique change la conception du monde. Mais l’on peut se poser certaines questions: quel est le sens de l’existence, sommes-nous ou non « au centre »  Ces interrogations ouvrent Ă  des discussions riches, auxquelles il ne faut pas renon- cer. Naturellement, si des Ă©tudiants viennent me dire: « Ma conception du monde est basĂ©e sur le fait qu’Adam a Ă©tĂ© créé directement et spĂ©cialement », il y a conflit. De mĂȘme lorsqu’un cheikh saoudien affirme Ă  l’universitĂ© que la Terre ne tourne pas autour du Soleil, « preuves » Ă  l’appui. Mais si une personne a du monde une vision en accord avec nos savoirs actuels, celle-ci est cohĂ©rente, mĂȘme si cette personne souscrit Ă  une autre philosophie, une autre croyance, une autre culture
 a science est un dĂ©nominateur univer- sel commun Ă  tous, croyants et non- croyants. Mais il existe un moyen d’y ajouter, pour les thĂ©istes et notamment les musulmans, une interprĂ©tation donnant du sens. Comment? Ma rĂ©fĂ©rence, c’est AverroĂšs, grand philosophe musulman du XIIe siĂšcle (lire ci- contre). À cette Ă©poque, la confrontation Ă©tait vive entre la philosophie et la Charia, la loi rĂ©vĂ©lĂ©e. Aver- roĂšs avançait qu’il n’y a pas de conflit entre reli- gion et philosophie parce que la vĂ©ritĂ© ne contre- dit pas la vĂ©ritĂ©, que la vĂ©ritĂ© divine rĂ©vĂ©lĂ©e dans les textes ne peut contredire la vĂ©ritĂ© divine rĂ©vĂ©- lĂ©e dans le monde. Il Ă©tait nĂ©cessaire, selon lui, de rĂ©interprĂ©ter ces textes Ă  la lumiĂšre des mĂ©thodes rationnelles. VoilĂ  pourquoi je parle d’un « che- vauchement doux », un soft overlap, entre les deux approches. Il y a un magistĂšre des textes sacrĂ©s, de la foi, il y a un magistĂšre du savoir, des sciences, de la philosophie, de la raison
 et ils viennent se complĂ©ter, s’éclairer l’un l’autre. Sans jamais Ă©vi- demment s’emboĂźter l’un sur l’autre. Ceci dit, je rĂ©pĂšte qu’il n’y a pas de science Ă  trouver dans les textes sacrĂ©s, et qu’il ne faut surtout pas – et je le rappelle souvent aux musulmans – chercher Ă  montrer que ces textes disaient dĂ©jĂ  ceci ou cela de scientifique
 Mais l’inspiration peut venir de n’im- porte oĂč. Je peux voir une balle glisser sur un drap et penser qu’il se pourrait que la gravitation fonctionne ainsi. Cela signifie que j’ai une idĂ©e, une formule en tĂȘte. Je dois pourtant vĂ©rifier qu’elle s’applique Ă  la rĂ©alitĂ© du monde. Le physicien Murray Gell-Mann, par exemple, raconte que la thĂ©orie des quarks dite de « voie octuple » lui est venue Ă  l’esprit un jour qu’il lisait un livre bouddhiste. Mais ce qui est important, c’est ensuite la rigueur, la mĂ©thode. Car nombre d’inspirations se sont rĂ©vĂ©lĂ©es fausses
 La science est notre guide pour comprendre le fonc- tionnement du monde. La religion et la philosophie sontnosguidespourcomprendrelesensdumonde. 22 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
  • 23. AVERROÈSETLESPENSEURSDEL’ISLAM AverroĂšs(1126-1198) Son hĂ©ritage est revendiquĂ© par tous ceux qui s’opposent Ă  une lecture littĂ©rale du Coran. Il est invoquĂ© chaque fois que science et religion se trouvent confrontĂ©es. Ibn Rochd de Cordoue, connu en Occident sous son nom latin d’AverroĂšs, est un philosophe, juge, juriste et mĂ©decin musulman du XIIe siĂšcle, avant tout commentateur d’Aristote en langue arabe. « Pour AverroĂšs, le monde ne comporte qu’une seule vĂ©ritĂ©, mais diffĂ©rentes maniĂšres d’y accĂ©der, explique Jean- Baptiste Brenet, professeur de philosophie mĂ©diĂ©vale arabe et latine Ă  l’universitĂ© Paris-I PanthĂ©on-Sorbonne. La religion et la philosophie – qui, au Moyen Age, couvre le champ du savoir – sont en effet deux maniĂšres d’exprimer cette unique vĂ©ritĂ©. La premiĂšre, de façon mĂ©taphorique, passe par des images concrĂštes et s’adresse Ă  la masse des croyants. Tandis que la philosophie prĂ©sente l’essence des choses et nĂ©cessite une abstraction, des dĂ©monstrations rigoureuses. LĂ  oĂč la religion, par exemple, emploie les mots “crĂ©ateur des cieux et de la terre” ou “lumiĂšre” pour parler de Dieu, la philosophie dĂ©montre l’existence d’un premier moteur de l’univers conçu comme un pur intellect. » Ces deux chemins, qui ne font pas appel aux mĂȘmes aptitudes, sont empruntĂ©s par deux types d’hommes distincts. Car les hommes sont eux-mĂȘmes diffĂ©rents et donc sensibles Ă  des discours spĂ©cifiques. En somme, la religion dit aux foules ce que la science dit aux philosophes, « mais ces voies ne sont pas recouvrables », souligne Jean-Baptiste Brenet. Que se passe-t-il en cas de contradictions entre science et religion? « Elles sont nĂ©cessairement superficielles. En rĂ©alitĂ©, elles signalent les passages du texte religieux qui doivent ĂȘtre expliquĂ©s. Au philosophe, ou scientifique, d’en trouver le sens cachĂ© afin de le rendre conforme Ă  la science. » C’est Ă  lui qu’AverroĂšs attribue la charge et la responsabilitĂ© d’interprĂ©ter le Coran, « car lui seul est capable de savoir ce qu’il faut trouver ». Une interprĂ©tation qui n’est pas destinĂ©e Ă  ĂȘtre dĂ©voilĂ©e Ă  la foule des croyants. « Il n’y a pas une phrase du Coran que le philosophe ne peut rendre conforme Ă  la science, soutenait AverroĂšs; c’est un texte parfait, en somme, oĂč chacun, selon ses moyens, trouve son compte. Le philosophe, quand il le faut, l’interprĂšte rationnellement, tandis que la foule y adhĂšre en s’en tenant aux images », rĂ©sume Jean-Baptiste Brenet. La science a donc le dernier mot dans l’interprĂ©tation du texte religieux. Reste qu’en tant que commentateur d’Aristote, et conforme en cela au gĂ©ocentrisme de PtolĂ©mĂ©e (90-168), AverroĂšs pense que la Terre est immobile au centre de l’Univers, le Soleil et les planĂštes Ă©tant placĂ©s sur des sphĂšres concentriques. Il faudra attendre trois siĂšcles pour que Nicolas Copernic rĂ©volutionne en 1543 notre comprĂ©hension du cosmos en donnant au Soleil une position centrale, autour de laquelle tournent les corps cĂ©lestes. * À lire : Jean-Baptiste Brenet, AverroĂšs l’inquiĂ©tant, Les Belles-Lettres, 2015. Al-FĂąrĂąbĂź (872-950) Philosophe mais aussi thĂ©oricien de la musique et joueur de luth, al-FĂąrĂąbĂź, originaire d'Asie centrale, vient s’établir Ă  la fin du IXe siĂšcle Ă  Bagdad, oĂč il est un des premiers commentateurs d’Aristote et des Lois de Platon. Son Ɠuvre maĂźtresse, KitĂąb al-siyĂąsa al-madaniyya (Livre du rĂ©gime politique), en fait l’un des fondateurs de la philosophie politique en Islam. Il a beaucoup influencĂ© Avicenne et AverroĂšs. Avicenne(Ibn Sina)(980-1037) MĂ©decin et philosophe persan, Avicenne a vĂ©cu un siĂšcle avant AverroĂšs, qu’il a inspirĂ©. Commentateur d’Hippocrate et de Galien en arabe et en persan, il participe ainsi Ă  la diffusion de la culture grecque dans le monde mĂ©diĂ©val. Sa grande Ɠuvre de mĂ©decine, Kitab al-QanĂ»n fi al-Tibb (Livre des lois de la mĂ©decine, ou Canon), qui fut traduite en latin au XIIe siĂšcle, a influencĂ© la mĂ©decine occidentale jusqu’à la Renaissance. Al-GhazĂąlĂź(1058-1111)FormĂ© trĂšs jeune Ă  l’étude des philosophes de langue arabe – comme al-Kindi, al-FĂąrĂąbĂź et Avicenne –, le Persan al-GhazĂąlĂź est la grande figure du mysticisme musulman. Dans son ouvrage TahĂąfut al falĂąsifa (L’incohĂ©rence des philosophes), il condamne les philosophes aristotĂ©liciens dont le message serait en contradiction avec la RĂ©vĂ©lation. PrĂšs d’un siĂšcle plus tard, AverroĂšs critiquera l’Ɠuvre d’al-GhazĂąlĂź dans un traitĂ© devenu cĂ©lĂšbre, Tahafut al-tahafut (L’incohĂ©rence de l’incohĂ©rence). Traduits en hĂ©breu et en latin, les Ă©crits d’al- GhazĂąlĂź ont eu une grande influence sur des EuropĂ©ens comme Thomas d’Aquin. DAGLIORTI DAGLIORTI DĂšs sa mort en 1198, AverroĂšs a Ă©tĂ© reconnu en Europe comme un philosophe majeur. Il est reprĂ©sentĂ© ici en 1365 par Andrea da Bonaiuto dans l’église Santa Maria Novella, Ă  Florence. ÉclairageparAzarKhalatbari JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 23
  • 24. Dansl’actu RAYONNEMENT FOSSILE Le premier cri de l’Univers C’est l’image de l’annĂ©e! Celle qui restera dans les esprits pour les dĂ©cennies Ă  venir car, question prĂ©- cision, elle n’est pas prĂšs d’ĂȘtre dĂ©trĂŽ- nĂ©e! Elle rassemble en effet pour la premiĂšre fois toutes les mesures recueillies par le satellite Planck lors de l’une des missions spatiales les plus ambitieuses de l’histoire. Elle aurait mĂȘme sa place dans tous les foyers de la planĂšte, tant elle fait par- tie de notre histoire commune: c’est la reprĂ©sentation la plus dĂ©taillĂ©e du cosmos lorsque celui-ci Ă©tait ĂągĂ© de 380000 ans Ă  peine, contre 13,8 milliards aujourd’hui. L’instant oĂč, pour la premiĂšre fois, des grains de lumiĂšre (photons) ont rĂ©ussi Ă  se libĂ©rer de la soupe de particules pri- mordiale. Pour Ă©laborer cette carte, quatre ans de mesures en continu ont Ă©tĂ© nĂ©cessaires. Une mission qui s’est achevĂ©e en 2013 et dont les scientifiques ont livrĂ© en fĂ©vrier 2015 la compilation des rĂ©sultats les plus marquants. Certes, la premiĂšre lumiĂšre de l’Uni- vers, appelĂ©e rayonnement fossile ou fond diffus cosmologique, a Ă©tĂ© dĂ©tectĂ©e dĂšs 1965 par Arno Penzias et Robert Wilson: ces deux ingĂ©- nieurs des laboratoires Bell avaient repĂ©rĂ© un signal continu provenant de toutes les directions de l’espace, qui correspondait parfaitement aux prĂ©dictions thĂ©oriques des cosmo- logistes. Mais jusqu’en 1992, cette lumiĂšre des premiers Ăąges Ă©tait considĂ©rĂ©e comme strictement uni- forme, baignant la totalitĂ© de l’espace d’une Ă©gale Ă©nergie, avec une tempĂ©- rature de 2,7 kelvins (soit -270,4 °C). Cette annĂ©e-lĂ , le satellite amĂ©ricain Cobe (Cosmoic Background Experi- ment) rĂ©vĂšle que le rayonnement fos- sile prĂ©sente des variations de tem- pĂ©rature de l’ordre du cent milliĂšme de degrĂ© (10-5 )! Ses deux concep- teurs, les AmĂ©ricains George Smoot et John Mather, venaient d’ouvrir une nouvelle voie: car la rĂ©parti- tion de ces infimes contrastes de tempĂ©rature correspond, en thĂ©o- rie, Ă  de minuscules rĂ©gions plus ou moins denses du trĂšs jeune Univers. ConsĂ©quence: l’organisation de la matiĂšre doit fortement dĂ©pendre de cette Ă©poque reculĂ©e. C’est Ă©quipĂ© du nec plus ultra des instruments que le satellite Planck a plongĂ© dans les infimes fluctuations de cette lumiĂšre froide. Pour livrer la premiĂšre his- toire dĂ©taillĂ©e du cosmos. PARTICULE SUBATOMIQUE 5154 personnesauchevetdubosondeHiggs Lesinfimescontrastesde tempĂ©rature (du bleu, plus froid, au rouge) de la premiĂšre lumiĂšre du cosmos traduisent des variations de densitĂ©. Les dĂ©tecteurs Atlas (ici) et CMS ont permis d’identiïŹer le boson de Higgs. Jamais encore on n’avait atteint une telle dĂ©mesure! L’article publiĂ© le 14 mai dernier dans la revue Physical Review Letters (PRL) regroupe en effet pas moins de
 5154 signataires! Tous membres des Ă©quipes des dĂ©tecteurs de particules Atlas et CMS montĂ©s sur le grand collisionneur Ă  hadrons, le LHC du Cern, laboratoire europĂ©en pour la physique des particules situĂ© en Suisse. Ces deux Ă©quipes avaient annoncĂ© en juillet 2012 la dĂ©couverte du boson de Higgs, particule subatomique Ă  l’origine de la masse de toutes les autres. Objet de l’article? La masse du « Higgs » que l’on avait estimĂ©e, il y a deux ans et demi, autour de 125 gigaĂ©lectronvolts (GeV), a Ă©tĂ© affinĂ©e. DĂ©sormais, c’est officiel: elle est de 125,09 GeV, Ă  plus ou moins 0,25 % prĂšs. Il fallait bien se mettre Ă  plus de 5000 pour y voir si clair! La fourchette de valeurs que pouvait prendre la masse du cĂ©lĂšbre boson Ă©tait prĂ©vue par diffĂ©rentes thĂ©ories de physique des particules. Ce nouveau rĂ©sultat devrait favoriser – ou balayer – quelques-unes des hypothĂšses de travail des thĂ©oriciens. CERN/SPL/COSMOS ESACOLLABORATIONPLANCK Univers 24 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016
  • 25. Des bosons par millions Un gĂ©ant chinois pour accĂ©lĂ©rer les particules Elle s’appelle EGS-zs8-1 et les astronomes des universitĂ©s de Yale et de Californie Ă  Santa Cruz, Ă  l’origine de sa dĂ©couverte, la surveillent comme un ancĂȘtre prĂ©cieux: car cette galaxie est l’objet le plus lointain repĂ©rĂ© Ă  ce jour dans le cosmos! Elle s’est formĂ©e il y a plus de 13 milliards d’annĂ©es, alors que l’ñge de l’Univers est estimĂ© Ă  13,8 milliards d’annĂ©es. Autrement dit, elle fait partie des toutes premiĂšres galaxies du cosmos. Les plus anciennes surprises jusque-lĂ  comptaient 12 milliards d’annĂ©es tout au plus. Cette dĂ©couverte repousse donc les frontiĂšres de l’Univers visible. Qui plus est, EGS-zs8-1 recĂšle quelques Ă©trangetĂ©s. L’équipe a utilisĂ© le tĂ©lescope Keck, Ă  Hawaii – l’un des plus grands avec ses 10 mĂštres de diamĂštre – et son instrument Mosfire – spectrographe multi-objet dans le proche infrarouge – pour scruter son cƓur. Ainsi, ils l’ont surprise telle qu’elle Ă©tait Ă  l’ñge de moins de 700 millions d’annĂ©es. Et ont dĂ©couvert qu’elle engendrait alors des Ă©toiles Ă  tour de bras! Il faut savoir que dans l’enfance de l’Univers, l’hydrogĂšne Ă©tait beaucoup plus abondant qu’aujourd’hui. Or, les Ă©toiles naissent lorsqu’une quantitĂ© de ce gaz s’isole et s’effondre sur elle-mĂȘme. TrĂšs vite, en son cƓur, la tempĂ©rature et la pression atteignent des degrĂ©s tels que les rĂ©actions de fusion nuclĂ©aire peuvent dĂ©buter. À partir de ce moment, l’astre commence Ă  briller. Plus l’hydrogĂšne est abondant, plus les Ă©toiles peuvent donc se former facilement. Mais les astronomes ne s’attendaient pas Ă  pareil dynamisme. Telle que nous la voyons, plongĂ©e dans sa prime enfance, EGS-zs8-1 a rĂ©ussi Ă  rassembler l’équivalent de plus de 15 % de la masse actuelle de la Voie lactĂ©e, dont l’ñge est estimĂ© Ă  13,2 milliards d’annĂ©es. Les astres qu’elle renferme ont sĂ»rement participĂ© Ă  un moment crucial de l’Univers, celui oĂč les premiĂšres Ă©toiles ont commencĂ© Ă  Ă©mettre de la lumiĂšre et donc Ă  chauffer et ioniser le gaz ambiant. ConnaĂźtre avec prĂ©cision cette Ă©poque permet en quelque sorte de caler l’histoire de l’Univers. VoilĂ  pourquoi les astronomes attendent impatiemment l’envoi dans l’espace, en 2018, du JWST, le James Webb Space Telescope, successeur du tĂ©lescope Hubble. Il permettra de repĂ©rer un grand nombre de galaxies distantes. Univers visible La plus vieille galaxie du cosmos SituĂ©e Ă  13,1 milliards d'annĂ©es- lumiĂšre de nous en direction de la constellation du Bouvier, la galaxie EGS- zs8-1 est la plus lointaine jamais observĂ©e. Comme le LHC (ci-dessus), le dĂ©tecteur chinois observera le boson de Higgs. Pages rĂ©alisĂ©es par Azar Khalatbari Fin octobre, la Chine a annoncĂ© qu’elle allait lancer la construction du plus grand accĂ©lĂ©rateur de particules au monde entre 2020 et 2025. S’il voit le jour, il sera au moins deux fois plus vaste que le LHC, principale installation actuelle, construite par le Cern de part et d’autre de la frontiĂšre franco-suisse. Le LHC a permis de confirmer, en 2012, l’existence d’une particule Ă©lĂ©mentaire dĂ©sormais mondialement cĂ©lĂšbre, le boson de Higgs. C’est prĂ©cisĂ©ment ce boson qui est au cƓur du projet chinois. L’accĂ©lĂ©rateur envisagĂ© par PĂ©kin, long de 50 Ă  100 kilomĂštres, devrait en produire des millions, soit bien plus que les centaines gĂ©nĂ©rĂ©es par l’europĂ©en qui, lui, ne mesure que 27 kilomĂštres. « Le LHC gĂ©nĂšre avec les bosons de Higgs de nombreuses autres particules, a expliquĂ© Wang Yifang, le directeur de l’Institut chinois de la physique des hautes Ă©nergies. Notre future installation crĂ©era un environnement extrĂȘmement pur, qui ne produira que des bosons de Higgs. » Le nouvel accĂ©lĂ©rateur chinois pourrait gĂ©nĂ©rer sept fois plus d’énergie que celui du Cern, qui vient de quasiment doubler sa puissance Ă  13 tĂ©raĂ©lectronvolts mais qui, poursuit Wang Yifang, « atteint ses limites en termes de niveau d’énergie ». hubblespacetelescope/nasaandesa frĂ©sillon/lhc/cnrsphotothĂšque janvier / fĂ©vrier 2015 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i 25
  • 26. Dansl’actu ExoplanĂštEs Une autre Terre est possible Elle s’appelle Kepler-452b et c’est l’exoplanĂšte qui ressemble le plus Ă  notre bonne vieille Terre! Cette nouvelle venue parmi les 2008 planĂštes extrasolaires dĂ©couvertes Ă  ce jour se situe Ă  1400 annĂ©es-lumiĂšre de nous, en direction de la constellation du Cygne. Son rayon est d’environ 1,6 fois celui de la Terre et elle parcourt son orbite en 384 jours autour d’une Ă©toile trĂšs similaire Ă  notre Soleil. Elle se situe donc dans la zone d’habitabilitĂ© de son Ă©toile. Mieux mĂȘme: Kepler- 452b reçoit de la part de celle-ci autant d’énergie que la Terre de la part du Soleil. Bref, on l’aura compris: pour l’heure, l’exoplanĂšte et son Ă©toile constituent le systĂšme le plus similaire au binĂŽme Terre-Soleil. Ce pourrait ĂȘtre une « super- Terre », autrement dit une planĂšte de masse comprise entre une et dix fois celle de notre planĂšte. Reste qu’une planĂšte situĂ©e dans la zone d’habitabilitĂ© de son Ă©toile n’est pas automatiquement « habitable ». Et ne recĂšle pas forcĂ©ment de la vie. Il lui faut de plus une chimie et une gĂ©ologie particuliĂšres! ProblĂšme, nous n’avons pas encore les moyens d’y dĂ©tecter l’eau ou les molĂ©cules organiques qui sont les ingrĂ©dients spĂ©cifiques de la vie. Le grand dĂ©fi de la prochaine dĂ©cennie reste donc l’étude systĂ©matique de l’atmosphĂšre des exoplanĂštes. Pour cela, les plus grands tĂ©lescopes – comme l’Observatoire europĂ©en austral ESO ou les prochains observatoires de plusieurs dizaines de mĂštres de diamĂštre – seront Ă©quipĂ©s de spectromĂštres d’une extrĂȘme sensibilitĂ©. Kepler 452b tourne autour d’une Ă©toile trĂšs semblable au Soleil des Terriens. Une extinction progressive des feux del’Univers:voilĂ Ă quoipourraitres- semblerl’avenirselonlesrĂ©sultatsdu projet international Gama (Galaxy and Mass Assembly), programme de relevĂ© multi-longueurs d’onde menĂ© sousl’égidedel’ObservatoireeuropĂ©en austral. Les astronomes de ce projet ont observĂ© plus de 200 000 galaxies durant une dizaine d’annĂ©es. Celles- ci Ă©mettraient aujourd’hui 1,6 fois moins d’énergie que celles d’une por- tion similaire d’Univers il y a 2,3 mil- liards d’annĂ©es. Ce rĂ©sultat Ă©tait connu depuis les annĂ©es 1990, mais il a reçu une confirmation Ă©clatante grĂące Ă  la base de donnĂ©es de Gama. Les plus grands tĂ©lescopes terrestres et spa- tiaux ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour quanti- fier la lumiĂšre Ă©mise par exactement 221373 galaxies, rĂ©parties dans une portion d’espace de plus de 2,4 mil- liards d’annĂ©es-lumiĂšre, et ce dans 21 longueurs d’onde. Deux dĂ©tails importants: en balayant un si grand nombre d’annĂ©es-lumiĂšre, ce relevĂ© surprend les galaxies telles qu’elles Ă©taientdanslepassĂ©,car« voirloin » revient Ă  observer des astres de plus en plus jeunes – de quoi dĂ©crire leur Ă©volution. Et en choisissant 21 lon- gueurs d’onde, soit un trĂšs large spectre, les chercheurs ont multipliĂ© leurs chances d’obtenir des donnĂ©es pertinentes.Certainesgalaxiesriches en rĂ©gions de formations d’étoiles Ă©mettenteneffetjusqu’à90 %deleur Ă©nergie en infrarouge. Aufinal,l’équipeadoncĂ©tĂ©enmesure d’annoncer l’extinction progressive des galaxies. La raison? Une galaxie est un ensemble de gaz et d’étoiles. De ces Ă©toiles dĂ©pend sa luminositĂ©. Or, au fur et Ă  mesure que les astres se forment, le gaz s’amenuise, et leur productiondiminue
Àcetteextinc- tion s’ajoute un autre phĂ©nomĂšne: l’expansion accĂ©lĂ©rĂ©e de l’Univers. L’espace se dilate de plus en plus vite, Ă©cartant les galaxies les unes des autres et rendant difficile leurs collisions, fusions et interactions. Or, ce sont prĂ©cisĂ©ment ces interactions qui provoquent de nouvelles rĂ©gions de formation d’étoiles. DĂ©cidĂ©ment, l’avenir s’annonce sombre et froid
 si toutefois l’on se fie aux modĂšles les plus communs, comme celui du Big Bang, pour expliquer l’évolution du cosmos. Extinction Le sombre destin de l’Univers Observer la mĂȘme galaxie Ă  diffĂ©rentes longueurs d’onde permet de faire un bilan de sa luminositĂ© totale (en bas au centre). Pages rĂ©alisĂ©es par Azar Khalatbari gamasurvey/eso nasa/ames/jpLcaLtech/t.pyLe Univers 26 i HORS-SĂ©Rie ScienceS et aveniR i janvier / fĂ©vrier 2016 Optique Infrarouge proche Infrarouge moyen Infrarouge lointain Ultraviolet
  • 27. REPÈRES JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 27 De quand datent-ils? Qui les a Ă©crits, et dans quelles circonstances? Les textes fondamentaux des trois monothĂ©ismes ont une histoire, que la science s’attache Ă  retracer. Aux origines des textes sacrĂ©s SPL/AKGIMAGES Mise au jour Ă  QumrĂąn (site de Palestine), cette copie du livre d'IsaĂŻe, rĂ©digĂ©e aux IIe -Ier siĂšcles av. J.-C., est le plus ancien manuscrit hĂ©breu complet d’un livre biblique. ConservĂ©e au musĂ©e d’IsraĂ«l Ă  JĂ©rusalem, elle mesure plus de 7 mĂštres de long. Bible hĂ©braĂŻque, Nouveau Testament, Coran PagesrĂ©alisĂ©esparFranckDaninos
  • 28. INTERFOTO/LACOLLECTION BRIDGEMANART.COM E lle comprend trois ensembles : les cinq livres du Pentateuque (la Torah, « enseigne- ment » en hĂ©breu) – GenĂšse, Exode, LĂ©vitique, Nombres, DeutĂ©ronome; les livres des Pro- phĂštes, dont JosuĂ©, Samuel ou IsaĂŻe; et les livres des Écrits, tels les Psaumes, Qohelet (l’EcclĂ©siaste), Daniel. Le plus ancien fragment matĂ©riel qui nous est parvenu est datĂ© du IIIe siĂšcle avant notre Ăšre: c’est le livre de Samuel, retrouvĂ© en 1947 dans les grottes de QumrĂąn, prĂšs de la mer Morte. Le processus de canonisation et de fixation des textes a durĂ© plus de 1 500 ans! Il dĂ©bute vers 450 av. J.-C. avec la composition du Pentateuque. Puis,audĂ©butduIIe siĂšcledenotreĂšre, c’est l’ensemble du canon hĂ©braĂŻque (Pentateuque, ProphĂštes, Écrits) qui se fige, sans doute en rĂ©action contre les chrĂ©tiens qui commencent Ă  se rĂ©fĂ©rer aux mĂȘmes textes. Mais le texte standard ne sera fixĂ© qu’au XIIe siĂšcle, sous l’autoritĂ© du rabbin andalou MoĂŻse MaĂŻmonide. « Un Ă©vĂ©nement historique aurait jouĂ© un rĂŽle crucial non seule- ment dans la composition du Pen- tateuque mais aussi dans l’avĂš- nement du monothĂ©isme juif », souligne Thomas Römer, qui occupe la chaire Milieux bibliques au Col- lĂšge de France. Il s’agit de la prise du royaume de Juda par le roi baby- lonien Nabuchodonosor II, en 587 av. J.-C. FondĂ© au Xe ou IXe siĂšcle avant notre Ăšre, c’était l’un des deux royaumes, avec celui d’IsraĂ«l (- 930/ - 722), plus au nord, oĂč le dieu YahvĂ© Ă©tait vĂ©nĂ©rĂ©. Les JudĂ©ens se trou- La Bible hĂ©braĂŻque IIe millĂ©naire av. J.-C. Des rĂ©cits, traditions orales, lĂ©gendes sur Abraham, MoĂŻse, etc., circulent dans toute la MĂ©sopotamie et le Proche-Orient. Ils seront plus tard fixĂ©s dans la Bible hĂ©braĂŻque. Vers 787-747 RĂšgne de JĂ©roboam II. PremiĂšres mises par Ă©crit de traditions bibliques : histoire de Jacob, sortie d’Égypte? 722 ConquĂȘte d’IsraĂ«l par les Assyriens, chute de Samarie. Le royaume est transformĂ© en provinces assyriennes. DĂ©portations. Juda est vassal des Assyriens. 640-609 RĂšgne de Josias. Politique de centralisation. Le Temple de JĂ©rusalem devient le seul sanctuaire lĂ©gitime du dieu d’IsraĂ«l. RĂ©daction du DeutĂ©ronome? 587 Prise du royaume de Juda par le roi babylonien Nabuchodonosor II. Destruction de la ville et du temple de JĂ©rusalem. DĂ©portations Ă  Babylone. Crise idĂ©ologique. xe ou ixe siĂšcle Fondation du royaume de Juda (ou du Sud), capitale JĂ©rusalem. En 930, fondation du royaume d’IsraĂ«l (ou du Nord), capitale Samarie. Le dieu YahvĂ© est vĂ©nĂ©rĂ© dans les deux. « Le sacrifice d'Isaac », Hambourg, XIVe siĂšcle. 28 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I JANVIER / FÉVRIER 2016 «MoĂŻseguidantlesHĂ©breuxpour traverser la mer Rouge », miniature d'un livre de priĂšres de 1427.
  • 29. REPÈRES CORBIS BRIDGEMANART.COM AKGIMAGES LEEMAGE le Nouveau Testament vent alors confrontĂ©s Ă  deux pro- blĂšmes menaçant leur existence en tant que peuple. Ils sont, tout d’abord, dispersĂ©s entre l’empire nĂ©o-babylonien, oĂč l’élite a Ă©tĂ© dĂ©portĂ©e, l’Égypte, oĂč une dias- pora importante a trouvĂ© refuge, et la JudĂ©e, oĂč la population rurale a pu demeurer. Le second dĂ©fi est d’ordre thĂ©ologique. Car JĂ©rusa- lem, capitale du royaume de Juda oĂč le culte de YahvĂ© Ă©tait spĂ©cifi- quement rendu, a Ă©tĂ© dĂ©truit. Est- ce Ă  dire que YahvĂ© s’est fait battre par les dieux babyloniens, ou qu’il a abandonnĂ© son peuple? « Les JudĂ©ens ont donnĂ© sens Ă  cette catastrophe en estimant que leur dieu n’était ni faible, ni dĂ©loyal, mais qu’il avait lui-mĂȘme fait venir les Babyloniens pour sanctionner son peuple et ses rois dĂ©voyĂ©s, explique Thomas Römer. Or si YahvĂ© a fait venir les Baby- loniens, c’est qu’il est plus puis- sant que leurs dieux! Plus puis- sant, mĂȘme, que tous les autres dieux, y compris ceux du pan- thĂ©on prĂ©-judaĂŻque, considĂ©- rĂ©s dĂšs lors comme de vaines idoles. » L’adoration prĂ©fĂ©- rentielle d’un seul dieu (monolĂątrie) serait ainsi peu Ă  peu devenu un monothĂ©isme : l’affir- mation qu’il n’existe qu’un unique Dieu, omnipotent. Plusieurs textes de la tra- dition – tel le DeutĂ©ronome ou les histoires des patriarches et de MoĂŻse – ont, semble-t-il, Ă©tĂ© rĂ©visĂ©s en consĂ©quence et assem- blĂ©s pour former le Pentateuque, aprĂšs le retour d’exil d’une partie des JudĂ©ens dans ce qui est devenu la province perse de JudĂ©e. Car en 539 av. J.-C, les Babyloniens ont Ă©tĂ© vaincus par le roi perse Cyrus II. Pour forger une nouvelle iden- titĂ© religieuse et culturelle dans un contexte de dispersion gĂ©ogra- phiqueetdepertedesouverainetĂ©,il importaitderĂ©unir,dansunmĂȘme livre sacrĂ© de rĂ©fĂ©rence, diffĂ©rents milieux et Ă©coles de pensĂ©e. L’ana- lyse des textes du Pentateuque laisse Ă  penser que deux groupes lesontcomposĂ©sauVe siĂšcleavant notre Ăšre: celui des « prĂȘtres », proche du milieu sacerdotal, et celui des « deutĂ©ronomistes », sans doute de hauts fonc- tionnaires. « Cela ne veut pas dire que ces textes datent de cette pĂ©riode, prĂ©cise Thomas Römer. Ces deux cercles ont recueilli des Ă©crits et des traditions orales qui circulaient depuis longtemps dans la rĂ©gion. L’historicitĂ© des person- nages et Ă©vĂ©nements de l’Exode, semble par ailleurs fort douteuse, mĂȘme si ce texte renvoie aux rela- tions conflictuelles trĂšs anciennes entrel’Égypteetlespopulationsdu Levant. » Ce travail de recueil et de compromisexpliqueladiversitĂ©des traditions prĂ©sentes dans la Torah, mais aussi certaines discordances. Ontrouve,parexemple,deuxrĂ©cits assez diffĂ©rents de la crĂ©ation de l’homme,regroupĂ©sdanslaGenĂšse parce qu’on les considĂ©rait tous deux comme importants. Fragment du LĂ©vitique, rouleau de la mer Morte. La CĂšne, Saint-Pol-de-LĂ©on. AKGIMAGES Fragment du LĂ©vitique, de la mer Morte. An 0 JANVIER / FÉVRIER 2016 I HORS-SÉRIE SCIENCES ET AVENIR I 29 L es Écritures saintes du christianisme sont composĂ©es de la Bible juive et du Nouveau Testament, qui com- prend vingt-sept livres: les quatre Ă©vangiles canoniques (Matthieu, Marc, Luc, Jean), les quatorze Ă©pĂźtres pauliniennes et pseudo- pauliniennes, les huit Ă©pĂźtres dites catholiques, l’Apocalypse de Jean. Ce corpus de textes a Ă©tĂ© fixĂ© presque complĂštement au dĂ©but du IVe siĂšcle dans l’Église byzantine, au terme d’ñpres discussions et de compromis. « Ils faisaient par- tie d’un ensemble plus vaste qui circulait lors des premiers siĂšcles du christianisme, note FrĂ©dĂ©ric Amsler, de l’Institut romand des sciences bibliques de Lausanne. Les Ă©vangiles qui ont Ă©tĂ© canoni- sĂ©s, par exemple, sont probable- ment issus des communautĂ©s les plus fortes et les plus influentes. De plus en plus, on leur a imputĂ© une inspiration divine. Jusqu’à ce que certains thĂ©ologiens conser- vateurs, aux XVIIIe et XIXe siĂšcles, dĂ©fendent l’idĂ©e d’une inspira- tion totale, chaque lettre ayant Ă©tĂ© dictĂ©e par Dieu! Mais si l’on veut jeter un regard historique, on doit admettre que leurs auteurs ne pensaient pas produire des textes canoniques lorsqu’ils les ont rĂ©di- gĂ©s. Ils voulaient simplement fixer une mĂ©moire collective et servir leur communautĂ©. » ReprĂ©sentation anthropozoomorphe de saint Jean, manuscrit rĂ©alisĂ© en France, IXe s. REPÈRES ŒŒŒ Chaque synagogue possĂšde un rouleau de la Torah ou Sefer- Torah, copie manuscrite des livres du Pentateuque. Cet objet, qui consiste en un parchemin enroulĂ© sur deux montants de bois, n’a guĂšre variĂ© depuis l’AntiquitĂ©. 539 Victoire du roi perse Cyrus II sur les Babyloniens. Des JudĂ©ens rentrent d’exil. Entre 450 et 350 Composition du Pentateuque. iiie siĂšcle Plus ancien fragment matĂ©riel de la Bible hĂ©braĂŻque retrouvĂ© (Ă  QumrĂąn), le livre de Samuel. Fin 5 ou dĂ©but 4 Naissance de JĂ©sus de Nazareth. 30 Mort de JĂ©sus. Naissance de l’Église primitive. 42 Conversion de Paul sur le chemin de Damas. 50 ou 51 RĂ©daction du premier texte du Nouveau Testament, la premiĂšre Ă©pĂźtre aux Thessaloniciens de Paul. 66-70 Guerre judĂ©o- romaine en Palestine qui aboutit Ă  la destruction de la ville et du temple de JĂ©rusalem. Diaspora juive.