SlideShare uma empresa Scribd logo
1 de 7
Baixar para ler offline
59JANVIER 2015
« tout commence en mystique et finit en politique »
SOUFISME ET
POLITIQUE
›	 Alix Philippon
Le soufisme est généralement défini comme la tradition
mystique de l’islam. En qualité de mode dominant de
piété et d’organisation islamiques, il possède un patri-
moine riche et diversifié. Derrière un caractère appa-
remment idéal et immuable d’ésotérisme, de spiritualité
ou encore de mystique musulmane se logent mille définitions, mille
appropriations, mille versions distribuées dans divers ordres – ou quel-
quefois échappant à la structure confrérique. Comme le constate Wil-
liam Chittick, quelque chose dans cette « tradition » répugne mani-
festement à la « domestication sémantique » (1). Le terme « soufisme »
désigne aussi bien le culte des saints d’une religiosité souvent qualifiée
de populaire, les subtilités métaphysiques des soufis classiques comme
Ibn Arabi, une méthode menant à la proximité avec Dieu, ou encore
la structure de la sociabilité mystique qu’est la confrérie. Il semblerait
que la tradition soufie soit bien trop diversifiée
pour être enfermée dans une définition unique,
ce qui a pu inspirer à Thierry Zarcone cette
remarque un peu provocante : « Le soufisme
Alix Philippon est maître de
conférences en sociologie à
Sciences Po Aix.
› alix_philippon@hotmail.com
« tout commence en mystique et finit en politique »
60 JANVIER 2015
n’existe pas mais se décline au contraire sous des formes diverses et
variées qui vont d’un islam mystique et modéré à l’islamisme le plus
intransigeant. (2) » En faire exclusivement la « mystique » de l’islam
(avec ses connotations d’intériorisation et d’intensification de la foi et
de contact intime avec Dieu) ne permet donc pas la compréhension
de ses aspects plus temporels, politiques et sociaux (3). Car, comme
l’écrit Gilles Veinstein, ces « voies du ciel » que sont les confréries sou-
fies, supports institutionnels du soufisme, « tracent leur sillon dans
la terre » (4).
La politisation des confréries soufies
Les confréries (tariqa) qui ont abrité les efforts collectifs des
musulmans pour suivre la voie soufie ont en effet manifesté à tra-
vers l’histoire une grande plasticité de forme, de sens et de fonc-
tion et une grande flexibilité. On a souvent loué leur capacité à
mobiliser au-delà des frontières géographiques ou de celles, sym-
boliques, des solidarités primaires permettant de faire la médiation
entre des groupes sociaux différents (5). Les activités des ordres se
sont rarement confinées au religieux, mais se sont diversifiées dans
les domaines économique, artistique et, bien sûr, politique. Leur
visibilité, leur popularité et leurs fonctions sociales font qu’ils sont
naturellement la « proie » des gouvernements en place et échappent
ainsi difficilement aux manipulations ou du moins aux immixtions
du politique dans leurs affaires. Mais ils peuvent aussi se mobiliser
sous la forme de partis ou d’associations militantes et participer ainsi
aux dynamiques politiques en embrassant tout le spectre des idéolo-
gies existantes. Au-delà des engagements confrériques diversifiés, le
référentiel même du soufisme, extrêmement plastique, a également
pu être converti en idéologie politique par des acteurs aussi bien
étatiques que non étatiques, notamment dans le but de promouvoir
une alternative au radicalisme de certains groupes islamistes, une
tendance qui s’est accélérée depuis les débuts de la « guerre contre le
terrorisme ».
61JANVIER 2015
soufisme et politique
Au sein de ces institutions de guidance spirituelle, le pir (6), le
cheikh ou mourchid (le guide, maître spirituel à la tête de l’ordre) est
le centre de gravité de tout le système institutionnel et mystique : à la
fois un professeur indispensable dans l’initiation des disciples (pour
ceux d’entre eux qui désirent être dirigés), et pour tous un « ami de
Dieu », réceptacle de ses grâces, et qui prodigue à ses disciples de la
baraka, cette force bénéfique d’origine divine. Un serment d’allé-
geance formalise le lien entre le maître et son disciple (mourid) et
marque le début de l’initiation. Ainsi, le dénominateur commun à
tous les pir est un certain mode d’exercice du pouvoir religieux, et
donc de domination : dans la tradition soufie, la volonté du pir ne
souffre généralement aucun refus et l’obéissance la plus totale est exi-
gée des disciples. Ce principe de soumission au sein du soufisme ins-
titutionnalisé allait devenir une caractéristique centrale des ordres et
des sociétés musulmanes, notamment en Asie du Sud (7). Du fait de
l’autorité qu’il exerce sur de multiples disciples qui lui accordent en
retour le monopole de l’interprétation de l’islam, le cheikh participe
à un essaimage « autoritaire » qui peut constituer une formidable res-
source politique. L’utilisation de la domination spirituelle propre aux
cheikhs dans le domaine politique, même si elle n’est pas infaillible,
peut résulter dans une puissante capacité de mobilisation s’appuyant
sur des logiques clientélistes. Chacun peut disposer d’une « circons-
cription spirituelle » potentiellement convertible en vivier électoral.
Au moment des élections, ils sont souvent sollicités par les partis poli-
tiques qui espèrent obtenir un soutien pouvant se traduire par des
milliers de votes.
Les cheikhs soufis ont donc la spécificité d’être des acteurs religieux
dont l’autorité charismatique est sacralisée, du fait de leur supposée
relation privilégiée à Dieu, tout autant qu’ils peuvent être les vecteurs
d’une fragmentation de l’autorité en réseaux exclusifs de confiance.
Ces caractéristiques exceptionnelles expliquent qu’ils aient pu être
l’objet de critiques acerbes. C’est parce que leur autorité suscite l’allé-
geance de millions de dévots dans tout le monde musulman qu’ils sont
devenus les ennemis désignés des mouvements islamistes comme de
certains États. Dans leur volonté de réforme de l’ordre sociopolitique,
« tout commence en mystique et finit en politique »
62 JANVIER 2015
ces derniers ont tôt fait d’identifier les ordres et les sanctuaires comme
étant parmi les acteurs institutionnels les plus puissants des sociétés
musulmanes, et donc leurs rivaux politiques les plus redoutables.
La question du néo-soufisme et des « néo-confréries »
Dans la littérature académique, c’est bien souvent le préfixe « néo »
qui a permis de rendre compte de la politisation des confréries soufies.
Le concept de « néo-confrérie » intègre notamment l’idée qu’outre la
propagation de l’islam, ces organisations sont investies dans d’intenses
activités sociales et participent également à la vie politique nationale
(8). Ce concept fait écho à celui de « néo-soufisme », qui postule une
rupture dans la nature même du soufisme et suggère l’introduction
de nouveautés doctrinales et organisationnelles, et dont le premier
usage académique peut être identifié chez l’intellectuel pakistanais
Fazlur Rahman. Cette notion fit florès dans la littérature académique
jusqu’à constituer un « consensus ». Il désigne la tendance, accélérée
à partir du XVIIIe
 siècle, à la réforme du soufisme par le jeu de pres-
sions orthodoxes, au sein d’ordres « soufis wahhabites » dont l’orien-
tation réformiste vise à la refondation morale et sociale de la société
musulmane et contraste avec celle, davantage quiétiste, métaphysique
et extatique, de la tradition mystique passée. Ces nouveaux ordres se
distingueraient par un rejet de pratiques « populaires », de la relation
entre le maître et le disciple et de la voie mystique au profit d’un
enseignement social et moral, un certain militantisme politique, le
recours à des mesures militaires pour défendre l’islam, ainsi que par
une action de prédication dynamique afin de diffuser la réforme par le
recours à l’édition d’ouvrages accessibles. L’une de ses caractéristiques
les plus saillantes est la création d’organisations de masse structurées
hiérarchiquement (9).
Rex S. O’Fahey et Bernd Radtke ont remis en question ce qu’ils
qualifient de « cliché » académique et de ses principes qui, selon les
auteurs, ne sont pas assez largement partagés pour justifier un tel label
terminologique. « Le postulat tacite des promoteurs du néo-soufisme
63JANVIER 2015
soufisme et politique
semble être que la croyance dans la doctrine de l’unité de l’Être mène
à la fois au quiétisme politique et à l’apathie morale. Puisque tout est
Dieu, tout est permis. [...] Les néo-soufis enseignaient en effet une
voie qui était très éloignée de l’apathie morale – en cela pour une
fois, les protagonistes du néo-soufisme ont raison, mais ils ont tiré la
mauvaise conclusion, que la voie qu’ils enseignaient était une forme
nouvelle, différente, “activiste”, “non extatique”. Pour cela nous ne
disposons pas de preuves. (10) » Ainsi, si l’idée de l’avènement d’un
« nouveau » soufisme commun à de multiples ordres à travers tout
le monde musulman paraît difficilement défendable, celle de nou-
velles orientations au sein de certains ordres réformés nouveaux ou
anciens paraît difficilement réfutable. Rex O’Fahey et Bernd Radtke
en conviennent : l’apathie morale n’est pas la caractéristique princi-
pale de ces nouveaux ordres, qui portent un soin tout particulier à
apporter des réponses aux problématiques de leur temps, ce que Fran-
cis Robinson a appelé « un changement vers un islam intramondain »
(11). Le projet d’établissement d’un État islamique, l’insistance sur la
loi islamique (charia), et l’infléchissement de l’organisation des ordres
dans le sens de mouvements à la structure centralisée et hiérarchisée
sont quelques-uns des éléments principaux de cet « esprit de réforme
de masse » (12) au sein de certains ordres, qui en sont donc venus à
brouiller les frontières avec l’ennemi supposé du soufisme, l’islamisme.
Soufisme contre islamisme, tout contre…
Le soufisme a été construit depuis l’avènement de la « modernité
occidentale » jusqu’à nos jours comme une catégorie largement anti-
nomique (13) avec l’islamisme contemporain, dernier avatar de mou-
vements de réforme (islah) et de renouveau (tajdid) islamiques amorcés
dès le XVIIIe
 siècle en réaction au sentiment lancinant de déclin moral
et intellectuel et à la dynamique de fragmentation et d’affaiblissement
politique du monde musulman. Ces mouvements islamiques de renou-
veau orthodoxe perpétués au siècle suivant par divers réformismes, ont
tenté de formuler une réponse idéologique « islamique » adaptée aux
« tout commence en mystique et finit en politique »
64 JANVIER 2015
maux de leur communauté, l’oumma. Dans leur volonté d’épurer l’is-
lam de ses expressions surtout populaires, jugées comme des « innova-
tions » en grande partie responsables du déclin islamique, et dans leur
ambition de réformer les fidèles pour qu’ils redeviennent de « vrais »
musulmans, ces mouvements ont systématiquement appelé à un rejet,
partiel ou total, du soufisme. Ce dernier a été identifié au pôle traditio-
naliste des sociétés musulmanes, à des accrétions culturelles charriées
par l’histoire, et à autant de déviations de l’islam « authentique » de l’âge
d’or du prophète Mahomet. La critique la plus souvent adressée dans
les écrits des auteurs réformistes est bien celle dirigée contre le système
de croyances lié aux cultes des saints et du Prophète. Mais ce serait pro-
bablement faire une analyse partielle que de ne réduire l’analyse de ces
blâmes réformistes qu’aux aspects doctrinaux. En effet, s’il s’agit bien
d’une rivalité entre des interprétations concurrentes de l’islam, il s’agit
tout autant, voire davantage, de rivalités entre des autorités en quête de
légitimité populaire, avec chacune leur clientèle spécifique. « Là où le
langage de la polémique est théologique (le culte des saints correspond
à de l’idolâtrie) la forme de la lutte est distinctement politique. (14) »
L’islamisme correspond à l’avènement de nouvelles formes d’orga-
nisations percevant l’islam aussi bien comme idéologie politique que
comme religion (15), appelant de leurs vœux la construction d’un
État islamique et s’inscrivant dans des actes politiques souvent réactifs
et contestataires – voire violents. Les courants islamistes ont souvent
stigmatisé le soufisme comme l’expression d’un désengagement de la
sphère du politique. Les mouvements activistes islamistes, dont Oli-
vier Roy a su mettre en évidence la variété (« parti de type léniniste »,
« parti de type occidental », « association religieuse militante » (16),
mais aussi… « confrérie religieuse » (17)) ont dès lors constitué un
objet d’étude privilégié au détriment du rôle des ordres soufis, dont
l’importance potentielle dans la « résurgence » islamique comme
forces politiques, modernistes et/ou réformistes a généralement été
sous-estimée, bien qu’elle ait été centrale.
Dans tout le monde musulman, des interactions multiples relativisent
donc la barrière prétendument infranchissable entre soufisme et politique,
y compris sous la forme d’un engagement de type islamiste. On peut dès
65JANVIER 2015
soufisme et politique
lors prendre acte de l’existence de processus de mimétisme, d’ambivalence
et de combinaisons inattendues entre ces deux formes de mobilisation
et d’expression religieuses. Recrutant dans des milieux sociologiquement
modernes, certaines confréries, implantées dans les centres urbains, ont
tenté et parfois réussi à se redéfinir en fonction des exigences de la moder-
nité. Elles ont notamment rationalisé et internationalisé leurs organisa-
tions et pris conscience de l’importance des enjeux sociopolitiques en
s’engageant dans l’activisme, démontrant ainsi comment la « tradition »
peut se transformer en véhicule puissant du changement, la spiritualité en
ressource et le charisme en levier de la mobilisation politique.
1. William C. Chittick, Sufism. A Short Introduction, Oneworld, 2000, p. 2.
2. Thierry Zarcone, la Turquie moderne et l’islam, Flammarion, 2003, p. 271.
3. Carl Ernst, Sufism. An Essential Introduction to the Philosophy and Practice of the Mystical
Tradition of Islam, Shambhala South Asia Éditions, 2000, préface, p. xvii.
4. Gilles Veinstein, « Introduction. Un islam sillonné de voies », in Alexandre Popovic et Gilles
Veinstein, les Voies d’Allah. Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à
aujourd’hui, Fayard, 1996, p. 16.
5. Michael Gilsenan, Saint and Sufi in Modern Egypt: An Essay in the Sociology of Religion,
Oxford University Press, 1973, p. 4.
6. Dans la littérature académique sur l’islam indien, différentes définitions en sont données :
leader religieux, leader spirituel, maître soufi qui a des disciples, guide et professeur de sou-
fisme, descendant d’un saint soufi et même leader politico-religieux d’une tribu.
7. Riazul Islam, Sufism in South Asia. Impact on Fourteenth Century Muslim Society, Oxford
University Press, 2002, p. 454.
8. Olivier Roy, l’Islam mondialisé, Seuil, 2002, p. 126-131.
9. Rex S. O’Fahey et Bernd Radtke, « Neo-Sufism Reconsidered », Der Islam, 1993, n° 70,
p. 57.
10. Idem, p. 73.
11. Francis Robinson, Islam and Muslim History in South Asia, Oxford University Press, 2000,
p. 10.
12. Elizabeth Sirriyeh, Sufis and anti-Sufis, Curzon Press, 1999, p. 11.
13. « The Sufi tradition is a movement of devotion and divine rapture focusing on spiritual
experiences. It represents a particular creative and liberal dimension of Islam characterised
by practiced tolerance, humanism, peace, and the accommodation of differences. [...] It can
be generally recognised as a “softer” alternative to the authoritarian voices of formal scriptu-
ral religion and of Islamist movements [...]” », dans Jürgen Wasim Frembgen, The Friends of
God, Sufi Saints in Islam, Oxford University Press, 2007, préface.
14. Carl Ernst, Sufism. An Essential Introduction to the Philosophy and Practice of the Mysti-
cal Tradition of Islam, Shambhala South Asia Éditions, 2000, p. 79.
15. Olivier Roy, l’Échec de l’Islam politique, Seuil, 1992, p. 7.
16. Idem, p. 67-68.
17. Olivier Roy, l’Islam mondialisé, op. cit., p. 51.

Mais conteúdo relacionado

Semelhante a Soufisme et politique

Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècle
Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècleGéopolitique de l’islamisme au XXIe siècle
Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècleicm13
 
Observatoire de l'islam (3)
Observatoire de l'islam (3)Observatoire de l'islam (3)
Observatoire de l'islam (3)obsislam
 
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdfSAILLYLaurent
 
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdfSAILLYLaurent
 
Les conversions à l'islam en France
Les conversions à l'islam en FranceLes conversions à l'islam en France
Les conversions à l'islam en FranceLP Loïc
 
Marcel Granet La religion des chinois
Marcel Granet  La religion des chinoisMarcel Granet  La religion des chinois
Marcel Granet La religion des chinoisDaniel Dufourt
 
Appel a l'union islamique. french. français
Appel a l'union islamique. french. françaisAppel a l'union islamique. french. français
Appel a l'union islamique. french. françaisHarunyahyaFrench
 
Une foi accomplie. french. français
Une foi accomplie. french. françaisUne foi accomplie. french. français
Une foi accomplie. french. françaisHarunyahyaFrench
 
Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium : les bonnes feui...
Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium  : les bonnes feui...Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium  : les bonnes feui...
Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium : les bonnes feui...LeSoir.be
 
Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321
Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321
Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321Tlili2011
 
Entretien avec soheib bencheikh
Entretien avec soheib bencheikhEntretien avec soheib bencheikh
Entretien avec soheib bencheikhSadek KHEDDACHE
 
SalonDuLivre
SalonDuLivreSalonDuLivre
SalonDuLivreH Boy
 
Ouverture de la session 
Ouverture de la session Ouverture de la session 
Ouverture de la session icm13
 
La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }
La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }
La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }Hear O World
 
Le prophète mohammad (pbsl). french. français
Le prophète mohammad (pbsl). french. françaisLe prophète mohammad (pbsl). french. français
Le prophète mohammad (pbsl). french. françaisHarunyahyaFrench
 
00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf
00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf
00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdfSAILLYLaurent
 
L'islam et le karma. french. français
L'islam et le karma. french. françaisL'islam et le karma. french. français
L'islam et le karma. french. françaisHarunyahyaFrench
 
La religion du darwinisme. french. français
La religion du darwinisme. french. françaisLa religion du darwinisme. french. français
La religion du darwinisme. french. françaisHarunyahyaFrench
 
L'arme sociale du darwinisme. french. français
L'arme sociale du darwinisme. french. françaisL'arme sociale du darwinisme. french. français
L'arme sociale du darwinisme. french. françaisHarunyahyaFrench
 
Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)
Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)
Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)icm13
 

Semelhante a Soufisme et politique (20)

Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècle
Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècleGéopolitique de l’islamisme au XXIe siècle
Géopolitique de l’islamisme au XXIe siècle
 
Observatoire de l'islam (3)
Observatoire de l'islam (3)Observatoire de l'islam (3)
Observatoire de l'islam (3)
 
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
 
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
00. Introduction à _Paroles d'Evangile_.pdf
 
Les conversions à l'islam en France
Les conversions à l'islam en FranceLes conversions à l'islam en France
Les conversions à l'islam en France
 
Marcel Granet La religion des chinois
Marcel Granet  La religion des chinoisMarcel Granet  La religion des chinois
Marcel Granet La religion des chinois
 
Appel a l'union islamique. french. français
Appel a l'union islamique. french. françaisAppel a l'union islamique. french. français
Appel a l'union islamique. french. français
 
Une foi accomplie. french. français
Une foi accomplie. french. françaisUne foi accomplie. french. français
Une foi accomplie. french. français
 
Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium : les bonnes feui...
Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium  : les bonnes feui...Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium  : les bonnes feui...
Etude de Felice Dassetto sur le groupuscule Sharia4Belgium : les bonnes feui...
 
Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321
Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321
Article ahess 0395-2649_1994_num_49_5_279321
 
Entretien avec soheib bencheikh
Entretien avec soheib bencheikhEntretien avec soheib bencheikh
Entretien avec soheib bencheikh
 
SalonDuLivre
SalonDuLivreSalonDuLivre
SalonDuLivre
 
Ouverture de la session 
Ouverture de la session Ouverture de la session 
Ouverture de la session 
 
La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }
La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }
La dépendance envers Allah - l’essence de l’adoration - { French / Français }
 
Le prophète mohammad (pbsl). french. français
Le prophète mohammad (pbsl). french. françaisLe prophète mohammad (pbsl). french. français
Le prophète mohammad (pbsl). french. français
 
00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf
00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf
00. Introduction à l'étude Paroles d'Evangiles [Lecture Confort].pdf
 
L'islam et le karma. french. français
L'islam et le karma. french. françaisL'islam et le karma. french. français
L'islam et le karma. french. français
 
La religion du darwinisme. french. français
La religion du darwinisme. french. françaisLa religion du darwinisme. french. français
La religion du darwinisme. french. français
 
L'arme sociale du darwinisme. french. français
L'arme sociale du darwinisme. french. françaisL'arme sociale du darwinisme. french. français
L'arme sociale du darwinisme. french. français
 
Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)
Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)
Ouverture de la session 2014 (Dominique santelli)
 

Mais de Sadek KHEDDACHE

ANALYSE CRITIQUE DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .
ANALYSE CRITIQUE  DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .ANALYSE CRITIQUE  DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .
ANALYSE CRITIQUE DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .Sadek KHEDDACHE
 
CRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docx
CRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docxCRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docx
CRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docxSadek KHEDDACHE
 
LA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docx
LA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docxLA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docx
LA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docxSadek KHEDDACHE
 
IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU ???
IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU  ??? IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU  ???
IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU ??? Sadek KHEDDACHE
 
LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .
LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .
LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .Sadek KHEDDACHE
 
Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...
Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...
Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...Sadek KHEDDACHE
 
Critique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhili
Critique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhiliCritique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhili
Critique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhiliSadek KHEDDACHE
 
LA THÉOPHANIE EN ISLAM
LA THÉOPHANIE EN ISLAM LA THÉOPHANIE EN ISLAM
LA THÉOPHANIE EN ISLAM Sadek KHEDDACHE
 
Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...
Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...
Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...Sadek KHEDDACHE
 
ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .
ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .
ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .Sadek KHEDDACHE
 
Peut on cheminer vers Allah sans cheikh ?
Peut on cheminer vers Allah sans cheikh  ?Peut on cheminer vers Allah sans cheikh  ?
Peut on cheminer vers Allah sans cheikh ?Sadek KHEDDACHE
 
Les secrets des guérisseurs miraculeux .
Les secrets des guérisseurs miraculeux .Les secrets des guérisseurs miraculeux .
Les secrets des guérisseurs miraculeux .Sadek KHEDDACHE
 
AL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANI
AL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANIAL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANI
AL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANISadek KHEDDACHE
 
Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..
Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..
Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..Sadek KHEDDACHE
 
Jésus est un esprit transmuté en corps .
Jésus est un esprit  transmuté  en corps .Jésus est un esprit  transmuté  en corps .
Jésus est un esprit transmuté en corps .Sadek KHEDDACHE
 
Tous mes messages au hirak ...
Tous mes messages au hirak ...Tous mes messages au hirak ...
Tous mes messages au hirak ...Sadek KHEDDACHE
 
VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .
VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .
VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .Sadek KHEDDACHE
 
Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .
Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .
Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .Sadek KHEDDACHE
 
Le livre des contemplations divines . IBN ARABI
Le livre des contemplations divines . IBN ARABI Le livre des contemplations divines . IBN ARABI
Le livre des contemplations divines . IBN ARABI Sadek KHEDDACHE
 

Mais de Sadek KHEDDACHE (20)

ANALYSE CRITIQUE DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .
ANALYSE CRITIQUE  DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .ANALYSE CRITIQUE  DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .
ANALYSE CRITIQUE DE L 'ÉSOTÉRISME ISLAMIQUE SELON RENÉ GUENON .
 
CRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docx
CRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docxCRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docx
CRITIQUES ISLAMIQUES DU SPIRITISME SELON ALLAN KARDEC.docx
 
LA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docx
LA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docxLA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docx
LA SECTE SOUFIE KARKARIYA DÉVOILÉE.docx
 
IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU ???
IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU  ??? IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU  ???
IBN ARABI ET L’IDOLÂTRIE COMME SAINE ADORATION DE DIEU ???
 
LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .
LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .
LE CROYANT A L’ÉPREUVE DE SON EGO .
 
Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...
Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...
Le-sceau-des-saints-prophétie-et-sainteté-dans-la-doctrine-d-ibn-arabi - Mich...
 
Critique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhili
Critique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhiliCritique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhili
Critique de livre "Grand Secret " de abou hassan chadhili
 
LA THÉOPHANIE EN ISLAM
LA THÉOPHANIE EN ISLAM LA THÉOPHANIE EN ISLAM
LA THÉOPHANIE EN ISLAM
 
Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...
Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...
Réflexion critique sur le maintien de la fermeture des mosquées a cause de la...
 
ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .
ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .
ESPRIT, ÂME , ROUH ....INTELLECTION DU VERSET 72 DE SOURATE SAD .
 
Peut on cheminer vers Allah sans cheikh ?
Peut on cheminer vers Allah sans cheikh  ?Peut on cheminer vers Allah sans cheikh  ?
Peut on cheminer vers Allah sans cheikh ?
 
Les secrets des guérisseurs miraculeux .
Les secrets des guérisseurs miraculeux .Les secrets des guérisseurs miraculeux .
Les secrets des guérisseurs miraculeux .
 
AL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANI
AL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANIAL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANI
AL QADAR (DESTIN ET PREDESTINATION ) PAR ABD REZZAQ QASHANI
 
Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..
Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..
Questionnaire de-diagnostic-de-sorcellerie et de possession démoniaque ..
 
Jésus est un esprit transmuté en corps .
Jésus est un esprit  transmuté  en corps .Jésus est un esprit  transmuté  en corps .
Jésus est un esprit transmuté en corps .
 
LE BÂTON DE MOISE .
LE BÂTON DE MOISE .LE BÂTON DE MOISE .
LE BÂTON DE MOISE .
 
Tous mes messages au hirak ...
Tous mes messages au hirak ...Tous mes messages au hirak ...
Tous mes messages au hirak ...
 
VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .
VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .
VISION AUJOURD'HUI DE ABASSI MADANI RAHIMAHOU ALLAH .
 
Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .
Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .
Conditions de la renaissance . MALEK BENNABI .
 
Le livre des contemplations divines . IBN ARABI
Le livre des contemplations divines . IBN ARABI Le livre des contemplations divines . IBN ARABI
Le livre des contemplations divines . IBN ARABI
 

Soufisme et politique

  • 1. 59JANVIER 2015 « tout commence en mystique et finit en politique » SOUFISME ET POLITIQUE › Alix Philippon Le soufisme est généralement défini comme la tradition mystique de l’islam. En qualité de mode dominant de piété et d’organisation islamiques, il possède un patri- moine riche et diversifié. Derrière un caractère appa- remment idéal et immuable d’ésotérisme, de spiritualité ou encore de mystique musulmane se logent mille définitions, mille appropriations, mille versions distribuées dans divers ordres – ou quel- quefois échappant à la structure confrérique. Comme le constate Wil- liam Chittick, quelque chose dans cette « tradition » répugne mani- festement à la « domestication sémantique » (1). Le terme « soufisme » désigne aussi bien le culte des saints d’une religiosité souvent qualifiée de populaire, les subtilités métaphysiques des soufis classiques comme Ibn Arabi, une méthode menant à la proximité avec Dieu, ou encore la structure de la sociabilité mystique qu’est la confrérie. Il semblerait que la tradition soufie soit bien trop diversifiée pour être enfermée dans une définition unique, ce qui a pu inspirer à Thierry Zarcone cette remarque un peu provocante : « Le soufisme Alix Philippon est maître de conférences en sociologie à Sciences Po Aix. › alix_philippon@hotmail.com
  • 2. « tout commence en mystique et finit en politique » 60 JANVIER 2015 n’existe pas mais se décline au contraire sous des formes diverses et variées qui vont d’un islam mystique et modéré à l’islamisme le plus intransigeant. (2) » En faire exclusivement la « mystique » de l’islam (avec ses connotations d’intériorisation et d’intensification de la foi et de contact intime avec Dieu) ne permet donc pas la compréhension de ses aspects plus temporels, politiques et sociaux (3). Car, comme l’écrit Gilles Veinstein, ces « voies du ciel » que sont les confréries sou- fies, supports institutionnels du soufisme, « tracent leur sillon dans la terre » (4). La politisation des confréries soufies Les confréries (tariqa) qui ont abrité les efforts collectifs des musulmans pour suivre la voie soufie ont en effet manifesté à tra- vers l’histoire une grande plasticité de forme, de sens et de fonc- tion et une grande flexibilité. On a souvent loué leur capacité à mobiliser au-delà des frontières géographiques ou de celles, sym- boliques, des solidarités primaires permettant de faire la médiation entre des groupes sociaux différents (5). Les activités des ordres se sont rarement confinées au religieux, mais se sont diversifiées dans les domaines économique, artistique et, bien sûr, politique. Leur visibilité, leur popularité et leurs fonctions sociales font qu’ils sont naturellement la « proie » des gouvernements en place et échappent ainsi difficilement aux manipulations ou du moins aux immixtions du politique dans leurs affaires. Mais ils peuvent aussi se mobiliser sous la forme de partis ou d’associations militantes et participer ainsi aux dynamiques politiques en embrassant tout le spectre des idéolo- gies existantes. Au-delà des engagements confrériques diversifiés, le référentiel même du soufisme, extrêmement plastique, a également pu être converti en idéologie politique par des acteurs aussi bien étatiques que non étatiques, notamment dans le but de promouvoir une alternative au radicalisme de certains groupes islamistes, une tendance qui s’est accélérée depuis les débuts de la « guerre contre le terrorisme ».
  • 3. 61JANVIER 2015 soufisme et politique Au sein de ces institutions de guidance spirituelle, le pir (6), le cheikh ou mourchid (le guide, maître spirituel à la tête de l’ordre) est le centre de gravité de tout le système institutionnel et mystique : à la fois un professeur indispensable dans l’initiation des disciples (pour ceux d’entre eux qui désirent être dirigés), et pour tous un « ami de Dieu », réceptacle de ses grâces, et qui prodigue à ses disciples de la baraka, cette force bénéfique d’origine divine. Un serment d’allé- geance formalise le lien entre le maître et son disciple (mourid) et marque le début de l’initiation. Ainsi, le dénominateur commun à tous les pir est un certain mode d’exercice du pouvoir religieux, et donc de domination : dans la tradition soufie, la volonté du pir ne souffre généralement aucun refus et l’obéissance la plus totale est exi- gée des disciples. Ce principe de soumission au sein du soufisme ins- titutionnalisé allait devenir une caractéristique centrale des ordres et des sociétés musulmanes, notamment en Asie du Sud (7). Du fait de l’autorité qu’il exerce sur de multiples disciples qui lui accordent en retour le monopole de l’interprétation de l’islam, le cheikh participe à un essaimage « autoritaire » qui peut constituer une formidable res- source politique. L’utilisation de la domination spirituelle propre aux cheikhs dans le domaine politique, même si elle n’est pas infaillible, peut résulter dans une puissante capacité de mobilisation s’appuyant sur des logiques clientélistes. Chacun peut disposer d’une « circons- cription spirituelle » potentiellement convertible en vivier électoral. Au moment des élections, ils sont souvent sollicités par les partis poli- tiques qui espèrent obtenir un soutien pouvant se traduire par des milliers de votes. Les cheikhs soufis ont donc la spécificité d’être des acteurs religieux dont l’autorité charismatique est sacralisée, du fait de leur supposée relation privilégiée à Dieu, tout autant qu’ils peuvent être les vecteurs d’une fragmentation de l’autorité en réseaux exclusifs de confiance. Ces caractéristiques exceptionnelles expliquent qu’ils aient pu être l’objet de critiques acerbes. C’est parce que leur autorité suscite l’allé- geance de millions de dévots dans tout le monde musulman qu’ils sont devenus les ennemis désignés des mouvements islamistes comme de certains États. Dans leur volonté de réforme de l’ordre sociopolitique,
  • 4. « tout commence en mystique et finit en politique » 62 JANVIER 2015 ces derniers ont tôt fait d’identifier les ordres et les sanctuaires comme étant parmi les acteurs institutionnels les plus puissants des sociétés musulmanes, et donc leurs rivaux politiques les plus redoutables. La question du néo-soufisme et des « néo-confréries » Dans la littérature académique, c’est bien souvent le préfixe « néo » qui a permis de rendre compte de la politisation des confréries soufies. Le concept de « néo-confrérie » intègre notamment l’idée qu’outre la propagation de l’islam, ces organisations sont investies dans d’intenses activités sociales et participent également à la vie politique nationale (8). Ce concept fait écho à celui de « néo-soufisme », qui postule une rupture dans la nature même du soufisme et suggère l’introduction de nouveautés doctrinales et organisationnelles, et dont le premier usage académique peut être identifié chez l’intellectuel pakistanais Fazlur Rahman. Cette notion fit florès dans la littérature académique jusqu’à constituer un « consensus ». Il désigne la tendance, accélérée à partir du XVIIIe  siècle, à la réforme du soufisme par le jeu de pres- sions orthodoxes, au sein d’ordres « soufis wahhabites » dont l’orien- tation réformiste vise à la refondation morale et sociale de la société musulmane et contraste avec celle, davantage quiétiste, métaphysique et extatique, de la tradition mystique passée. Ces nouveaux ordres se distingueraient par un rejet de pratiques « populaires », de la relation entre le maître et le disciple et de la voie mystique au profit d’un enseignement social et moral, un certain militantisme politique, le recours à des mesures militaires pour défendre l’islam, ainsi que par une action de prédication dynamique afin de diffuser la réforme par le recours à l’édition d’ouvrages accessibles. L’une de ses caractéristiques les plus saillantes est la création d’organisations de masse structurées hiérarchiquement (9). Rex S. O’Fahey et Bernd Radtke ont remis en question ce qu’ils qualifient de « cliché » académique et de ses principes qui, selon les auteurs, ne sont pas assez largement partagés pour justifier un tel label terminologique. « Le postulat tacite des promoteurs du néo-soufisme
  • 5. 63JANVIER 2015 soufisme et politique semble être que la croyance dans la doctrine de l’unité de l’Être mène à la fois au quiétisme politique et à l’apathie morale. Puisque tout est Dieu, tout est permis. [...] Les néo-soufis enseignaient en effet une voie qui était très éloignée de l’apathie morale – en cela pour une fois, les protagonistes du néo-soufisme ont raison, mais ils ont tiré la mauvaise conclusion, que la voie qu’ils enseignaient était une forme nouvelle, différente, “activiste”, “non extatique”. Pour cela nous ne disposons pas de preuves. (10) » Ainsi, si l’idée de l’avènement d’un « nouveau » soufisme commun à de multiples ordres à travers tout le monde musulman paraît difficilement défendable, celle de nou- velles orientations au sein de certains ordres réformés nouveaux ou anciens paraît difficilement réfutable. Rex O’Fahey et Bernd Radtke en conviennent : l’apathie morale n’est pas la caractéristique princi- pale de ces nouveaux ordres, qui portent un soin tout particulier à apporter des réponses aux problématiques de leur temps, ce que Fran- cis Robinson a appelé « un changement vers un islam intramondain » (11). Le projet d’établissement d’un État islamique, l’insistance sur la loi islamique (charia), et l’infléchissement de l’organisation des ordres dans le sens de mouvements à la structure centralisée et hiérarchisée sont quelques-uns des éléments principaux de cet « esprit de réforme de masse » (12) au sein de certains ordres, qui en sont donc venus à brouiller les frontières avec l’ennemi supposé du soufisme, l’islamisme. Soufisme contre islamisme, tout contre… Le soufisme a été construit depuis l’avènement de la « modernité occidentale » jusqu’à nos jours comme une catégorie largement anti- nomique (13) avec l’islamisme contemporain, dernier avatar de mou- vements de réforme (islah) et de renouveau (tajdid) islamiques amorcés dès le XVIIIe  siècle en réaction au sentiment lancinant de déclin moral et intellectuel et à la dynamique de fragmentation et d’affaiblissement politique du monde musulman. Ces mouvements islamiques de renou- veau orthodoxe perpétués au siècle suivant par divers réformismes, ont tenté de formuler une réponse idéologique « islamique » adaptée aux
  • 6. « tout commence en mystique et finit en politique » 64 JANVIER 2015 maux de leur communauté, l’oumma. Dans leur volonté d’épurer l’is- lam de ses expressions surtout populaires, jugées comme des « innova- tions » en grande partie responsables du déclin islamique, et dans leur ambition de réformer les fidèles pour qu’ils redeviennent de « vrais » musulmans, ces mouvements ont systématiquement appelé à un rejet, partiel ou total, du soufisme. Ce dernier a été identifié au pôle traditio- naliste des sociétés musulmanes, à des accrétions culturelles charriées par l’histoire, et à autant de déviations de l’islam « authentique » de l’âge d’or du prophète Mahomet. La critique la plus souvent adressée dans les écrits des auteurs réformistes est bien celle dirigée contre le système de croyances lié aux cultes des saints et du Prophète. Mais ce serait pro- bablement faire une analyse partielle que de ne réduire l’analyse de ces blâmes réformistes qu’aux aspects doctrinaux. En effet, s’il s’agit bien d’une rivalité entre des interprétations concurrentes de l’islam, il s’agit tout autant, voire davantage, de rivalités entre des autorités en quête de légitimité populaire, avec chacune leur clientèle spécifique. « Là où le langage de la polémique est théologique (le culte des saints correspond à de l’idolâtrie) la forme de la lutte est distinctement politique. (14) » L’islamisme correspond à l’avènement de nouvelles formes d’orga- nisations percevant l’islam aussi bien comme idéologie politique que comme religion (15), appelant de leurs vœux la construction d’un État islamique et s’inscrivant dans des actes politiques souvent réactifs et contestataires – voire violents. Les courants islamistes ont souvent stigmatisé le soufisme comme l’expression d’un désengagement de la sphère du politique. Les mouvements activistes islamistes, dont Oli- vier Roy a su mettre en évidence la variété (« parti de type léniniste », « parti de type occidental », « association religieuse militante » (16), mais aussi… « confrérie religieuse » (17)) ont dès lors constitué un objet d’étude privilégié au détriment du rôle des ordres soufis, dont l’importance potentielle dans la « résurgence » islamique comme forces politiques, modernistes et/ou réformistes a généralement été sous-estimée, bien qu’elle ait été centrale. Dans tout le monde musulman, des interactions multiples relativisent donc la barrière prétendument infranchissable entre soufisme et politique, y compris sous la forme d’un engagement de type islamiste. On peut dès
  • 7. 65JANVIER 2015 soufisme et politique lors prendre acte de l’existence de processus de mimétisme, d’ambivalence et de combinaisons inattendues entre ces deux formes de mobilisation et d’expression religieuses. Recrutant dans des milieux sociologiquement modernes, certaines confréries, implantées dans les centres urbains, ont tenté et parfois réussi à se redéfinir en fonction des exigences de la moder- nité. Elles ont notamment rationalisé et internationalisé leurs organisa- tions et pris conscience de l’importance des enjeux sociopolitiques en s’engageant dans l’activisme, démontrant ainsi comment la « tradition » peut se transformer en véhicule puissant du changement, la spiritualité en ressource et le charisme en levier de la mobilisation politique. 1. William C. Chittick, Sufism. A Short Introduction, Oneworld, 2000, p. 2. 2. Thierry Zarcone, la Turquie moderne et l’islam, Flammarion, 2003, p. 271. 3. Carl Ernst, Sufism. An Essential Introduction to the Philosophy and Practice of the Mystical Tradition of Islam, Shambhala South Asia Éditions, 2000, préface, p. xvii. 4. Gilles Veinstein, « Introduction. Un islam sillonné de voies », in Alexandre Popovic et Gilles Veinstein, les Voies d’Allah. Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui, Fayard, 1996, p. 16. 5. Michael Gilsenan, Saint and Sufi in Modern Egypt: An Essay in the Sociology of Religion, Oxford University Press, 1973, p. 4. 6. Dans la littérature académique sur l’islam indien, différentes définitions en sont données : leader religieux, leader spirituel, maître soufi qui a des disciples, guide et professeur de sou- fisme, descendant d’un saint soufi et même leader politico-religieux d’une tribu. 7. Riazul Islam, Sufism in South Asia. Impact on Fourteenth Century Muslim Society, Oxford University Press, 2002, p. 454. 8. Olivier Roy, l’Islam mondialisé, Seuil, 2002, p. 126-131. 9. Rex S. O’Fahey et Bernd Radtke, « Neo-Sufism Reconsidered », Der Islam, 1993, n° 70, p. 57. 10. Idem, p. 73. 11. Francis Robinson, Islam and Muslim History in South Asia, Oxford University Press, 2000, p. 10. 12. Elizabeth Sirriyeh, Sufis and anti-Sufis, Curzon Press, 1999, p. 11. 13. « The Sufi tradition is a movement of devotion and divine rapture focusing on spiritual experiences. It represents a particular creative and liberal dimension of Islam characterised by practiced tolerance, humanism, peace, and the accommodation of differences. [...] It can be generally recognised as a “softer” alternative to the authoritarian voices of formal scriptu- ral religion and of Islamist movements [...]” », dans Jürgen Wasim Frembgen, The Friends of God, Sufi Saints in Islam, Oxford University Press, 2007, préface. 14. Carl Ernst, Sufism. An Essential Introduction to the Philosophy and Practice of the Mysti- cal Tradition of Islam, Shambhala South Asia Éditions, 2000, p. 79. 15. Olivier Roy, l’Échec de l’Islam politique, Seuil, 1992, p. 7. 16. Idem, p. 67-68. 17. Olivier Roy, l’Islam mondialisé, op. cit., p. 51.