2. Enquête - 24/02/2009
Alerte sur les encours !
La datation du sinistre est désormais connue : il a débuté début février avec un changement
simultané des critères de « scoring » chez les assureurs crédit (tous ensemble, quel
hasard...). Résultat, plus de 1 000 revendeurs auraient perdu tout ou partie de leur encours
en moins de 3 semaines. On vient donc de dégoupiller une redoutable grenade sur les
marchés IT en exonérant les artificiers (les assureurs crédit) de toute responsabilité.
En arrivant à son bureau le lundi 16 février 2009, Alain Cadot, dirigeant du grossiste aquitain
Actual Systèmes, a été surpris de trouver plusieurs dizaines de télécopies envoyées par la
Société Française d'Assurance Crédit (SFAC), dont 45 résiliations d'encours. Le premier
réflexe du grossiste a été de contacter les revendeurs concernés, lesquels ont généralement
appris la nouvelle à cette occasion.
Dans un premier temps, la SFAC a expliqué que l'incident était dû à une erreur logicielle
mais, le vendredi suivant, les revendeurs n'avaient toujours pas récupéré leur encours.
La première question que l'on pouvait se poser est simple : si 45 revendeurs sont concernés
dans le seul département de la Gironde, combien le sont à l'échelle du pays ?
Probablement plus de 1 000 revendeurs privés d'encours
René-Luc Caillaud n'est pas seulement Directeur Général d'ETC, le troisième grossiste
informatique en France en termes de chiffre d'affaires, il est également Président du
Syndicat des grossistes Informatique. Lui aussi a constaté un brusque durcissement des
assureurs crédit depuis début février. « S'il y a eu 1 000 résiliations d'encours, ce ne serait
pas étonnant, mais il y a surtout eu de très nombreuses réductions d'encours ». Le Président
du syndicat professionnel voudrait agir très vite, mais la réunion entre les grossistes, les
assureurs crédit et les médiateurs mandatés par le gouvernement n'aura probablement lieu
qu'à la mi-mars, dans près d'un mois. D'ici là, plusieurs centaines de revendeurs auront
probablement été placés en redressement judiciaire.
Qui est responsable de la catastrophe ?
« C'est une véritable catastrophe pour le marché IT », fulmine Christian Bittebierre, Vice
Président Europe d'Ingram Micro. Chez ce grand grossiste généraliste - le deuxième en
France derrière Tech Data et devant ETC - on ne cache pas que l'activité sur certains
comptes a été divisée par 5 en janvier et février. « La situation devient absurde, souligne
Christian Bittebierre : là où il y a des encours, il n'y a plus de business, et là où il y a du
business, il n'y a plus d'encours ! ». Ingram Micro ne peut pas être soupçonné de pointer du
doigt la SFAC, puisqu'il ne travaille pas avec cet assureur crédit.
Il n'empêche que tous les témoignages concordent pour désigner la SFAC comme celui qui
vient mettre de l'huile sur le feu.
3. Pour la SFAC, le reproche est injustifié
« La somme des crédits que nous assurons, tous secteurs de l'économie confondus, n'a
diminué que de 6% par rapport au début de l'année 2008, affirme Karine Berger,
Responsable des Etudes de la SFAC. Le nombre de diminutions d'encours a effectivement
augmenté, mais le rapport reste de 1 suppression pour 20 ou 30 réductions. Concrètement,
ce n'est pas notre système de scoring qui a changé, mais la probabilité de défaillance qui a
été multipliée par 3 ». Autrement dit, c'est le contexte qui aurait changé en quelques
semaines, pas l'attitude de l'assureur crédit.
Aujourd'hui, 4 assureurs crédit sont présents sur le marché IT : la SFAC, qui occupe une
position de force, Gerling, COFACE et Intradus. Parmi les engagements qu'ils ont pris
l'automne dernier vis-à-vis du gouvernement, il y avait celui que chacun continuerait à
assurer la même part des crédits. En d'autres termes, cela ne signifie pas que le volume des
crédits ne peut pas diminuer, mais que tous se sont engagés à conserver la même « part de
marché ». A posteriori, la démarche apparaît surprenante, car on ne « décrète » pas les
parts des uns et des autres sur un marché non régulé. Mais la principale suspicion
concernant les assureurs crédit est autre : pour limiter le volume global des crédits assurés,
ne sont-ils pas en train de transférer des encours vers les grands acteurs, supposés moins
menacés et qui ne les utiliseront pas, au détriment des petits revendeurs, considérés plus
menacés ?
L'assurance crédit peut bloquer le business
« Dans la distribution informatique, les échanges reposent à 95% sur le crédit
interentreprises. On ne peut pas se couper de 95% de nos moyens de financement »,
résume Ivan Renaudin, Directeur Général d'Actebis, 4ème grossiste IT en France.
Quels efforts pourraient faire les assureurs crédits ? « Notre rôle ne consiste pas à prendre
des risques inconsidérés mais à ne pas donner de mauvais conseils à nos clients , répond
Karine Berger pour la SFAC. En octobre 2008 et janvier 2009, le nombre de défaillances dans
le domaine du commerce de détail informatique a fait un bond de 125%. Nous devons en
tenir compte. Cela étant, les acteurs de cette filière doivent garder à l'esprit que la situation
est bien plus préoccupante dans d'autres secteurs d'activité ».
Les revendeurs IT devront-ils se consoler en se disant qu'il y a plus malheureux qu'eux ? En
fait, une partie de la solution est liée aux acteurs du marché informatique eux-mêmes. Ils
devront - ils ont d'ailleurs commencé à le faire - mettre en place leurs propres systèmes de
crédit interentreprises.
Double risque financier pour les grossistes
Dans ce contexte, les grossistes devront avoir les reins solides, car c'est bien eux qui devront
prendre les risques que ne prennent plus les assureurs crédit. Tech Data le fait en
maintenant les encours de certains revendeurs même quand la SFAC les avait réduit. « Nous
n'avons pas d'autre choix que de prendre davantage de risques que les assureurs crédit,
analyse Gérard Youna, Directeur Général de Tech Data. Dans tous les cas, les grossistes
devront être très inventifs, car c'est la survie du canal de distribution qui est en jeu. Les
revendeurs pourront peut-être être mis à contribution par le biais d'un fond de garantie ».
De taille plus modeste, Disposelec, également membre du Syndicat des Grossistes
Informatiques, a adopté des mesures similaires, tout en reconnaissant que les grossistes ne
pourront prendre le relais des assureurs crédit que pendant un temps limité. « Un des
problèmes endémiques de ce secteur est que les assureurs crédit et les revendeurs doivent
4. beaucoup plus communiquer directement, explique le Directeur Général, Guy Pronier.
Aujourd'hui, ce sont généralement les grossistes qui informent les revendeurs des
diminutions ou des résiliations d'encours. Ce n'est pas leur rôle. »
Les représentants des revendeurs, dont la FEB (Fédération des Entreprises Bureautiques),
sont également en train de travailler à l'élaboration d'un accord de branche sur le sujet de
l'assurance crédit, comme cela a été fait fin 2008 pour les délais de paiement.
Les mauvaises notes du CAP
Ces milliers de réduction et de radiations d'encours auraient-elles pu être décidées si les
dispositifs mis en place par le Ministère de l'Economie avaient fonctionné comme prévu (voir
Distributique.com du 1er décembre 2008) ?
La principale faille du système instauré concerne le « CAP » (Complément d'Assurance crédit
Public), par lequel l'Etat se porte garant jusqu'au double de l'encours accordé par les
assureurs crédit. En théorie, le système était prometteur et tout le monde a applaudi. Sur le
terrain, les revendeurs qui ont vu leur encours ramené à zéro peuvent confirmé que « 0
multiplié par 2 = ... ». Pour singer le sens inné de l'acronyme dans certaines administrations,
on pourra appeler cette nouvelle population de revendeurs les « TAT » (Tête à Toto).
Le taureau par les cornes
Ce premier article n'a qu'une ambition : affirmer aux revendeurs indépendants qui viennent
d'apprendre la mauvaise nouvelle qu'ils sont loin d'être les seuls dans ce cas. Ils ne devront
donc pas s'étonner d'entendre les mêmes reproches : « vous n'avez pas assez de fonds
propres », « vous ne communiquer pas assez vers la SFAC », « vous ne donner pas
suffisamment d'éléments à votre banque », « vous n'anticipez pas assez », etc.
Le discours est connu mais, quoi qu'il en soit, nous collecterons les témoignages. A ce jour,
ceux qui nous ont été communiqués indiquent un décalage incompréhensible entre les
décisions des assureurs crédit et les résultats, 2007, 2008 ou prévisionnels.
De deux choses l'une : soit les réductions ou annulations d'encours sont motivées par
l'analyse des bilans et des carnets de commandes, soit la filière IT devra prendre - sinon le
taureau par les cornes - du moins l'assureur crédit par là où il est le plus sensible.
Fabrice Alessi et Pascal Boiron