Voici mon mémoire réalisé dans le cadre du Master 1 Économie Internationale et Globalisation, Spécialité Économie Internationale et Politique Publique (EIPP) : "Les mouvements religieux peuvent-ils s’apparenter à des ONG et exercent-ils des influences géo-économiques importantes ?"
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[Mémoire] Les mouvements religieux peuvent-ils s’apparenter à des ONG et exercent-ils des influences géo-économiques importantes ?
1. Mémoire
Décision et jeu des acteurs économiques et sociaux
« Les mouvements religieux peuvent-ils s’apparenter à des ONG et
exercent-ils des influences géo-économiques importantes ? »
Auteure :
Pauline VETTIER
Master 1 Économie Internationale et Globalisation
Spécialité Économie Internationale et Politique Publique
Année universitaire 2008/2009
Enseignant responsable : M. Jacques FONTANEL
2. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
« Le facteur de religion est impossible à négliger dans la compréhension du destin de la société. »
Pierre Nora (1931- ), historien français, membre de l'Académie française
Pauline Vettier
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3. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
REMERCIEMENTS
En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser ici tous mes remerciements aux personnes
qui m'ont apporté leur aide et qui ont ainsi contribué à l'élaboration de cet écrit.
Tout d'abord, Monsieur Jacques Fontanel, enseignant responsable, pour ses éclairages, ses
explications et ses corrections.
J'exprime ma gratitude à Monsieur Leonard Burg, représentant aux Nations Unies et vice
président États-Unis de « A Center for the World Religions », pour avoir pris le temps de répondre à
toutes mes questions par courriel, téléphone et messagerie instantanée Skype, pour l’intérêt manifesté à
l’égard de mon travail, pour les pistes de recherche qu’il m’a suggéré, et pour m’avoir proposé les
deux stages que j’effectuerai cet été à New York, à ses côtés.
“If religious factions were to flex and live up to the principles inherent in the original
formation of their religions - as given to the world and documented in scripture by the preceptors on
whom the religions are supposedly modelled - then religious movements might be as potent a force for
world peace as they now are for world war.” L. Burg
"Si les groupes religieux se pliaient aux principes inhérents à la création originelle de leurs
religions et les honoraient - comme transmis au monde et certifié dans les Écritures par les précepteurs
sur qui les religions sont censées être façonnées - alors, les mouvements religieux pourraient être une
force aussi puissante pour la paix dans le monde, qu’ils le sont aujourd’hui pour la guerre". L. Burg
Je tiens également à remercier Monsieur Salim El-Ghouli pour les nombreuses discussions
partagées avec lui sur le sujet des religions, pour ses conseils avisés, son soutien sans faille, sans
oublier son aide précieuse lors de la mise en page de ce mémoire.
Enfin, en amont de l’écriture de ce mémoire, j’ai envoyé une cinquantaine de courriels à divers
organismes religieux notamment français, européens et étatsuniens dans le but de compléter mes
connaissances sur les principales religions monothéistes et polythéistes du monde, particulièrement en
ce qui concerne les influences que ces mouvements religieux ont exercé et exercent sur la scène
nationale et internationale. J’ai échangé de nombreux courriels avec plusieurs de ces organismes. Je
tiens donc à remercier les centres ou les personnes suivantes pour avoir pris le temps de répondre à
mes questions, pour leurs explications, et pour s’être intéressé à mon travail :
Pauline Vettier
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4. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
- Le secrétariat de l'Union Bouddhiste de France; le Vénérable Chandaratana, fondateur du Centre
Bouddhique International en France ; M. John Sedaraa du Centre Bouddhique International ;
M. Marc Davidovici de www.comprendrebouddhisme.com ;
- Youssef de la Ligue Nationale des Musulmans de France ; M. Zaid Al Balushi, Président de
l’Association des Etudiants Musulmans de la PennState University (Pennsylvanie) ; Syed de
l’Association des Etudiants Musulmans du Massachusetts Institute of Technology ; le site
www.muslims.net ; M. Ahmed J. Versi, éditeur à The Muslim News ;
- M. Geoffroy Perrin-Willm, Chargé de Mission Jeunesse à l’Eglise Réformée de France ; M.
Jérôme Cottin, professeur associé à l’Institut protestant de théologie (facultés de Paris et
Montpellier) et membre de l’Eglise Réformée de France ;
- M. Christian Euvrard, membre de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, directeur
de l'Institut de Religion de Paris, sociologue de la religion, philosophe et écrivain ; M. Fabrice
Cellier de www.mormonisme.com ;
- M. Damien Vincelot de www.catholique.org ; M. Edouard Koutsava, Secrétaire Général de la
Jeunesse Étudiante Catholique Internationale ; le service d'Information Religieuse du diocèse
de Paris ; Mme Françoise Demon de la Maison de la Conférence des Evêques de France ;
- M. Bhupendra R. Hajratwala, Président de l’Association Hindoue d’Amérique du Nord ;
- M. Yair Zivan, chargé d’organisation de campagnes pour l’Union des Etudiants Juifs ;
- M. Joop Theunissen et Mme Sherifa Khan du Conseil économique et social des Nations Unies
(ECOSOC) pour m’avoir fourni les données chiffrées très spécifiques nécessaire dans le cadre
de l’écriture de ce mémoire ;
- M. Jean Bauberot, écrivain, historien et sociologue français, spécialiste de la sociologie des
religions et fondateur de la sociologie de la laïcité.
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5. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
SOMMAIRE
Remerciements ......................................................................................................................... 3
Sommaire ............................................................................................................................................ 5
Index des illustrations .............................................................................................................. 5
Introduction .............................................................................................................................. 6
Chapitre 1 – Mouvements religieux et ONG, ou les actions des ONG confessionnelles .. 10
A. L’aide À autrui, un devoir ancré dans la pratique des religions..................................... 10
1. Mormonisme et altruisme............................................................................................. 10
2. Islamisme et altruisme.................................................................................................. 12
B. Les ONG confessionnelles en action ............................................................................... 13
C. La face cachée des ONG religieuses ............................................................................... 16
Chapitre 2 - Quelles influences géo-économiques les mouvements religieux exercent-ils
dans la sphère mondiale ?.................................................................................... 20
A. Les mouvements religieux et leurs influences dans la finance et l’Économie ................. 20
B. Les mouvements religieux et leurs influences en politique.............................................. 25
C. Les mouvements religieux et leurs influences dans le commerce.................................... 31
Conclusion............................................................................................................................... 35
Glossaire ................................................................................................................................ 36
Références ............................................................................................................................... 38
Bibliographie........................................................................................................................... 39
Annexes ................................................................................................................................ 40
INDEX DES ILLUSTRATIONS
Fig.1 – Logo des Mains Serviables mormones ........................................................................ 11
Fig.2 – Diverses actions effectuées par les Mains Serviables : Recensement des arbres en
Polynésie ; Déblayage après le passage de l’ouragan Ike au Texas ; Nettoyage des rues en
Malaisie .................................................................................................................................... 11
Fig.3 – Formulaire de calcul permettant d'estimer le montant de la Zakât "el-Mâl" pour
l'année courante - Source : http://www.fleurislam.net/pages/txt_czkt.html........................ 13
Fig.4 – Schéma humoristique qui illustre la fortune du Vatican.............................................. 21
Source : http://www.anuncioblog.com/.................................................................................... 21
Fig.5 – L’édition spéciale du Time du 4 août 1997 chiffrait la fortune de l’empire mormon à
au moins US$ 30 milliards ....................................................................................................... 22
Fig.6 – Exemples de banques islamiques (de gauche à droite) : Dubai Islamic Bank, Al Salam
Bank, Tadamon Islamic Bank, la Banque Islamique de Développement (BID), Islamic Bank
of Britain .................................................................................................................................. 24
Fig.7 – Symboles de J Street et de l’AIPAC ............................................................................ 30
Fig.8 – Campagne Sodeb’O « Développez vos ventes avec l’offre de sandwiches Halal » 33
Source : http://www.sandwichshows.com/ .............................................................................. 33
Pauline Vettier
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6. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
INTRODUCTION
Le rapport de l’Homme au sacré, à la divinité, aux rites et aux pratiques religieuses est
ancestral. Depuis plusieurs millénaires, la religion, c’est-à-dire l’ensemble des croyances, pratiques,
rites et dogmes qui fondent et définissent le rapport de l’homme avec une ou plusieurs divinités,
occupe une place importante dans la culture des sociétés humaines. Les croyances sont aussi diverses
que les peuples dispersés un peu partout sur le globe. Ainsi, différents cultes sont nés à travers le
temps, parmi lesquels : les religions monothéistes abrahamiques d’une part, typiquement incarnées par
le judaïsme, né vers 1800 avant Jésus-Christ, par le catholicisme vieux de vingt siècles et par l’Islam,
dont le Coran a été révélé il y a plus de quatorze siècles ; les religions polythéistes d’autre part, très
nombreuses depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, dont la relation avec les dieux peuvent être de
plusieurs types (rites dans la mythologie grecque et celtique, monolâtrie 1 comme dans le yahwisme 2 ,
hénothéisme 3 comme dans l’hindouisme) ; les religions créées récemment par l’Homme enfin, tels les
Quakers, aussi appelés la « Société religieuse des Amis », un groupement religieux protestant fondé en
1652 par un jeune cordonnier anglais, George Fox, ou encore le mormonisme, dit aussi l'Église de
Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, un mouvement religieux chrétien fondé aux États-Unis en
1830 par Joseph Smith.
S’il paraît naturel à un occidental de se questionner sur la place que la religion doit avoir dans
la société, cette seule distinction des deux termes religion et société peut paraître absurde dans d’autres
aires culturelles où, au sein de sociétés traditionnelles, la distinction du pouvoir temporel et du pouvoir
spirituel n’a pas cours : le social en son entier est religieux, et tous les agissements en société sont
régis par la religion, fournissant ainsi une identité collective. De fait, certains pays ont une religion
d’État, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas laïcs mais qu’une religion s’ajoute au droit, à la coutume et à la
tradition pour légiférer et encadrer la vie en société. C’est le cas par exemple d’Israël avec le judaïsme,
du Cambodge avec le bouddhisme theravāda, du Maroc avec l’islam, de la Grèce avec l’église
orthodoxe et de Monaco avec l’église catholique romaine. Dans un pays laïc, en théorie, l’État dirige
le pays de façon neutre et indépendamment d’une religion spécifique ou de celle(s) pratiquée(s) par ses
citoyens. En pratique, certains pays officiellement laïcs où la séparation du culte et de l’État sont la
règle, sont menés par une ou des coalitions qui considèrent le territoire comme influencé par une
religion particulière – ainsi, les États-Unis sont considérés comme étant une Nation (d’influence)
« judéo-chrétienne », bien que la religion soit officiellement séparée de l'État depuis la fin du
XVIIIe siècle (principe assuré par la constitution grâce au premier amendement et à l’article VI ).
Selon les pays, une religion peut donc être religion d’État, c’est-à-dire la religion nationale, pratiquée
par la majorité, ou ne pas avoir de statut officiel.
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Voir définitions dans le glossaire p.36-37
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7. Master 1 EIPP
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Si certains mouvements religieux sont connus, répandus et donc plus facilement acceptés et
intégrés au sein d’une Nation, d’autres subissent amalgames, généralisations et accusations et peuvent
être assimilés à des sectes. Cela peut être le cas pour les mormons, dont les pratiques religieuses sont
peu connues en France et souvent assimilées de manière erronée à celles des Témoins de Jéhovah. Ils
subissent la médiatisation des méfaits de la branche fondamentaliste américaine de leur mouvement, la
« Fundamentalist Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints » (polygamie, mariage avec des
mineurs, mariages forcés, viols, inceste, agressions physiques et verbales).
Il est important de noter qu’il existe des sectes qui ne sont pas des religions, des religions ou
des nouveaux mouvements religieux qui ne sont pas des sectes, et que de vieilles religions peuvent
devenir des sectes. Les mouvements sectaires, réels phénomènes sociologiques, se cachent d’ailleurs
parfois sous l’appellation « nouveaux mouvements religieux », moins péjorative. D’après Jacques
Trouslard 4 , ces derniers se distinguent des mouvements religieux, car pour qualifier un groupe
de « secte », un seul critère est retenu, celui de la nocivité ou de l'extrême dangerosité, et trois
caractéristiques sont récurrentes : la manipulation mentale, une triple destruction (de la personne, de la
famille et de la société), et une triple escroquerie (intellectuelle, morale et financière).
Les « grandes religions », celles qui sont les plus représentées à l’échelle de la planète et qui
ont joué un rôle important dans l’histoire des peuples, demeurent très puissantes dans le monde, et ce
dans toutes les civilisations, des peuples d’Occident aux ethnies les plus primaires. Parmi les origines
étymologiques du mot religion, le latin re-ligare, qui signifie « re-lier », « re-joindre », indique l’idée
de relier les individus à Dieu, mais aussi de relier les hommes entre eux. Si les principes religieux
exposent les raisons et les méthodes de ce « lien », la religion peut produire des effets tout à fait
opposés en conduisant l'humanité à la guerre et à la division – c’est ce qui a pu être observé tout au
long du siècle dernier. À travers le temps, les religions ont ainsi perdu de vue leur rôle premier : celui
de diffuser un message de paix, d’amour, de fraternité, de non-violence, de tolérance, et de le faire
appliquer. Historiquement, c’est plutôt le contraire que l’on a pu observer : les guerres de religions,
l’inquisition, le fanatisme, l’intolérance, la misogynie, le frein au progrès ou encore la confiscation du
pouvoir politique sont des exemples d’influences négatives qu’a eu la religion, ou plutôt son
interprétation, sur les sociétés et les hommes.
Les groupes religieux sont des acteurs à part entière sur la scène mondiale, où ils jouent, aujourd’hui
appuyés par leurs lobbies, un rôle prépondérant, au même titre que les États, les firmes
multinationales, les centres d’enseignement supérieur, les organisations internationales, les
institutions, les médias mais aussi les organisations non gouvernementales (ONG). Ce terme désigne
4
Depuis qu’il a mis à mal en 1982 l’organisation d’une secte à Saint-Erme dans l’Aisne, le Père Jacques
Trouslard est devenu une référence en matière de lutte contre les sectes. Il a abandonné son poste de Vicaire
Général pour se consacrer exclusivement au combat contre les sectes depuis vingt ans. Il est chevalier de la
Légion d’honneur depuis 2002 et de l'Ordre national du mérite « en reconnaissance d’une vie de combat pour les
droits de l’homme ».
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8. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
des organisations qui ne relèvent pas directement ou structurellement d'un gouvernement, mais qui
peuvent coordonner leurs programmes avec ceux des services publics ; le but étant de chercher à
développer sans but lucratif une activité internationale, dont tout ou partie est consacré à l’expression
de solidarité avec les populations défavorisées. Le Conseil économique et social de l'Organisation des
Nations Unies (ONU) en donne la définition suivante : « Sera considérée comme organisation non
gouvernementale
toute
organisation
dont
la
constitution
ne
résulte
pas
d'un
accord
intergouvernemental, y compris les organisations qui acceptent des membres désignés par les autorités
gouvernementales, pourvu que de tels membres ne nuisent pas à la libre expression des organisations.»
Les buts qu’ils poursuivent peuvent être d’ordre économique, social, éducatif, culturel ou
encore religieux. Il existe des secteurs prioritaires dans lesquels les ONG opèrent, et certaines sont
connues et reconnues dans leur domaine d’intervention : les droits de l’Homme (Amnesty
International, Human Rights Watch), la lutte contre la faim (Action Contre la Faim), l’éducation
(alphabétisation, la scolarité, formation : Aide et Action), la protection de l’environnement
(Greenpeace), la lutte durable contre la pauvreté grâce à l’accès au micro-crédit (PlaNet Finance),
l’aide humanitaire médicalisée (Médecins sans Frontières), le secours et l’assistance aux personnes
handicapées (Handicap International), sans oublier la promotion de la femme, le développement rural,
la lutte contre le sida etc.
Toute organisation associative à fonds privés et à but non lucratif pourrait être qualifiée
d'ONG, mais la pratique réserve habituellement ce titre à des organisations internationales répondant
aux critères susmentionnés. Les ONG se différencient des associations, des clubs et des fédérations par
le fait qu’elles couvrent tous les champs de l’activité humaine et par leur envergure internationale :
elles regroupent des personnes morales afin de coordonner des actions touchant plusieurs pays.
Les ONG ont différents modes d'actions, ce qui conduit à les classer dans au moins deux groupes :
d’une part, les ONG dites « militantes », qui sont avant tout des groupes de pression politique ou
lobbies (ex. Human Rights Watch). Certaines d’entre elles n’ont pas de but humanitaire mais des
ambitions idéologiques, commerciales ou économiques. D'autre part, les ONG dites « humanitaires » 5
qui mettent typiquement en place des programmes d'aides éducatives ou caritatives pour le
développement de la population.
Au sujet de la nature par définition non gouvernementale de ces organisations, il est important
de préciser que dans un pays théocratique 6 tel que la République islamique d'Iran, l’organisation est
publique, et donc appartient, est financée et gérée par l’État. Dans les pays laïcs, au contraire, les ONG
5
« Une action non partisane visant à répondre à des besoins » : voilà la conception légitime de l’humanitaire,
promue et diffusée par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans un Code de
Conduite adopté en 1994 : « La raison primordiale de nos interventions en cas de catastrophe est de soulager les
souffrances des victimes les moins aptes à en supporter les conséquences. En fournissant une aide humanitaire,
nous accomplissons un acte qui n’est ni partisan, ni politique, et qui ne doit en aucun cas être considéré comme
tel. »
6
Voir définition dans le glossaire p.36-37
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Année universitaire 2008/2009
sont strictement non gouvernementales et sont donc initiées par des acteurs privés. En France, les
ONG sont régies en tant qu’associations par la loi du 1er juillet 1901.
Deux types d’ONG sont à différencier : d’une part, les organisations non gouvernementales
laïques, aussi appelées ONG non-confessionnelles ou non-religieuses (auxquelles se greffent parfois
les termes « apolitiques », « non sectaires », « non discriminantes »), c’est-à-dire qu’outre leur
neutralité en matière religieuse, elles diffusent un message d’universalité de leur action et la volonté de
servir tout individu indépendamment de ses croyances et de ses convictions ; d’autre part, les ONG
religieuses, aussi appelées ONG confessionnelles (ONGc), qui portent majoritairement la marque de
leur appartenance ou orientation religieuse en leur nom et s’inspirent des principes de leur religion
pour exercer leurs activités. Bien qu’il n’y ait pas de définition universellement reconnue des ONGc,
elles réunissent au moins une des caractéristiques suivantes : l’affiliation à un culte ; des statuts faisant
explicitement référence à un dogme ; un mode de financement qui trouve sa source dans
l’appartenance à une religion ; et/ou un fonctionnement dans lequel la prise de décision ou le
recrutement du personnel s’effectue en fonction de critères religieux. Quand les mouvements religieux
font parler d’eux, cela peut être à travers les ONGc ou encore du fait de leurs influences dans la sphère
géo-économique – une branche stratégique des relations internationales qui associe l'analyse
économique à la géopolitique.
Quels rôles jouent ces organisations dans le milieu humanitaire ? En quoi leur identité
religieuse les différencie-t-elles ou les rapproche-t-elles des autres ONG ? Qu’ont les ONG et les
mouvements religieux en commun ? Quels avantages ou inconvénients les ONGc tirent-elles de cette
exposition médiatique comme sociale ? Comment interpréter leur montée en puissance dans les
relations internationales ? Dans la sphère géo-économique, quelle place prennent les groupes
religieux ? Quel rôle ces derniers jouent-ils sur une scène politique internationale en mutation ? Dans
quels domaines précisément ? Quelles influences de ces mouvements peut-on reporter ?
Dans un premier temps, seront étudiées les actions des ONGc (Chapitre 1), plus
particulièrement l’ancrage de l’altruisme au sein de la pratique religieuse (A), un zoom sur les
interventions de plusieurs de ces associations (B) et leur face cachée, à travers l’étude de dérives
souvent pointées du doigt (C). Dans un second temps, nous analyserons les influences géoéconomiques des mouvements religieux dans la sphère mondiale (Chapitre 2), notamment dans les
domaines de la finance et de l’économie (A), puis de la politique (B), et enfin du commerce (C).
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10. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
CHAPITRE 1 – MOUVEMENTS RELIGIEUX ET ONG, OU LES ACTIONS
DES ONG CONFESSIONNELLES
D’après l’ECOSOC (Conseil économique et social des Nations Unies), en 2008, 3.183 ONG 7
avaient le statut consultatif auprès des Nations Unies. Bien que ce nombre soit important, la quantité
effective d’ONG en action dans le monde est bien plus importante. Étant donné que l’ECOSOC ne
répertorie pas les ONG auxquelles il accorde le statut consultatif par religion, il n’est pas possible de
savoir quelle proportion de ces ONG sont des ONGc (confessionnelles) et quelle proportion est laïque,
et parmi ces dernières, combien sont affiliées à chaque mouvement religieux. En effet, les ONG sont
catégorisées par type d’actions effectuées (ex. : développement social, changement climatique, droits
de l’homme, aide humanitaire, éducation, santé des femmes ...).
Étudions le contexte lié à la nature confessionnelle des ONG religieuses.
A. L’aide à autrui, un devoir ancré dans la pratique des religions
Aider son prochain, être solidaire et charitable, offrir l’aumône aux nécessiteux, servir sa
communauté, partager ses richesses sont autant d’actions que les livres sacrés comme la Bible, le
Coran, la Torah et le Veda 8 incitent à mettre en œuvre dans le cadre de la pratique de ces religions.
Ces services prennent une grande place dans l’exercice de deux religions en particulier : le
mormonisme et l’islam.
1. Mormonisme et altruisme
Au sein de l’Église mormone ou Église de Jésus Christ des Saint des Derniers jours, les Mains
Serviables sont un programme qui consiste à fournir des bénévoles à la collectivité pour des travaux
d’intérêt général et à apporter du secours aux personnes qui en ont besoin lors de catastrophes. Leurs
actions sociales et d'entraide prennent place dans le monde entier, de façon impromptue dans le cas de
dévastations massives, mais leurs membres se réunissent également régulièrement pour des journées
d’entraide, de services à la collectivité et pour mieux faire connaître leur volonté de servir leur
prochain.
7
Ce chiffre m’a été donné via courriel par Mme Sherifa Khan du Conseil économique et social des Nations
Unies
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Voir définition dans le glossaire p.36-37
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11. Master 1 EIPP
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Fig.1 – Logo des Mains Serviables mormones
De nombreuses actions humanitaires et caritatives sont effectuées chaque jour sur les cinq
continents par leurs membres de tous âges, les bénévoles locaux et les missionnaires : le recensement
des arbres envahissants et endémiques dans des communes de Polynésie ; le nettoyage et l’aide à la
remise en état des lieux après une catastrophe naturelle ; le soutien moral et le réconfort des familles
sinistrées ; la préparation de repas et le témoignage de l’attention pour les personnes dans le besoin ; le
ramassage des déchets sur un site publique (ex. la Bastille à Grenoble) ; le don de sang en partenariat
avec les Établissements Français du Sang (EFS) ; une assistance d’urgence aux hôpitaux, aux premiers
secours et aux collectivités d’Indonésie lors du tsunami de décembre 2004, puis la poursuite des
efforts à travers le financement de la (re)construction de centres municipaux, écoles, hôpitaux, réseaux
d’alimentation en eau, dispensaires et 902 maisons en dur dans les zones sinistrées ; le forage de puits
et la construction de citernes en Éthiopie ; une association avec le Secours islamique en 2005 lors du
tremblement de terre en Inde et au Pakistan pour fournir un avion, des camions et des bateaux remplis
de fournitures de survie, de trousses sanitaires et de matériel médical ; un projets d’alimentation en eau
potable parrainé par l’Église dans vingt-cinq pays et bénéficiant à plus d’un million de personnes ; la
distribution de fauteuils roulants à plus de 60.500 personnes dans soixante pays ; la formation de plus
de 16.500 professionnels de la santé dans vingt-trois pays à la réanimation néo-natale [1] …
En 2007, au total, l’Église et ses membres ont réagi à 170 événements majeurs dans le monde.
[2]
Fig.2 – Diverses actions effectuées par les Mains Serviables : Recensement des arbres en Polynésie ; Déblayage
après le passage de l’ouragan Ike au Texas ; Nettoyage des rues en Malaisie
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12. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
2. Islamisme et altruisme
Un autre exemple d’altruisme dans le cadre de la pratique de la religion peut être trouvé dans
l’islam. « L’acte de charité est une obligation dans notre religion », explique Hamid Azad, directeur
exécutif de Muslim Aid à Londres. La loi canonique (charia) fixe les cinq devoirs fondamentaux des
croyants (les « cinq piliers »):
1. la profession de foi, ou chahâdâ (il n'y a d'autre Dieu qu'Allâh, et Mahomet est
l'envoyé d'Allâh) ;
2. la prière rituelle cinq fois par jour (salat) ;
3. l'aumône rituelle (zakât) ;
4. le jeûne du mois de Ramadan (siam ou e'sawme) ;
5. le pèlerinage à la Mecque, ou hajj, une fois dans la vie.
Le troisième pilier, appelé la zakât, est dans l'islam une aumône légale, un groupement
d’impôts que le musulman doit payer sur ses biens. En pratique, il est tenu de calculer chaque année
lunaire (hégire) ce montant et de le donner aux gens les plus pauvres de sa communauté, en
commençant par sa famille (à l'exception de ceux qui sont à sa charge) et ses voisins.
Il existe deux types de zakât : le premier est la zakât al mâl (aumône légale, l’équivalent de l’impôt
sur le revenu), qui correspond à 2,5 % de l'épargne du musulman si cette épargne est supérieure ou
égale à un montant de 85 grammes d'or, soit actuellement environ 1.100 euros.
Sont soumis à la zakât : les avoirs, biens et fortune (espèces, métaux précieux, carnets d’épargne,
dépôts en banque), les marchandises, le bétail et les récoltes (=les ressources extraites du sol, les fruits,
légumes, céréales), les revenus divers (location de biens immobiliers par exemple), les honoraires,
salaires, primes, gratifications, bonifications et les héritages.
Le Coran contient plus de 80 versets concernant la zakât et l'obligation de s'en acquitter. Cette
aumône a différents objectifs : elle n’est pas considérée comme une obole offerte au pauvre par le
riche, mais un droit des pauvres de prélever dans le surplus des plus riches ; elle limite l'accumulation
et la concentration de biens chez les riches afin qu'ils ne soient pas aux mains d'une minorité de la
société ; elle permet ainsi aux nécessiteux de subvenir à leurs besoins, ce qui était un droit dans le
cadre de la responsabilité collective prônée par l'islam, et encore aujourd’hui favorise une véritable
entraide sociale en étant une œuvre d'utilité public ; elle sert à purifier le croyant de son éventuelle
« attirance malsaine » pour les biens, à limiter l’avarice, la convoitise et l'avidité ; elle tend à « rallier
le cœur des hommes à Dieu » (dimension spirituelle) ; elle favorise l'investissement des biens, car ils
sont exemptés d'impôts : cela permet donc la création de bâtiments publics utiles (écoles, hôpitaux...).
Les bénéficiaires de la zakât sont nombreux : elle est redistribuée aux pauvres, aux nécessiteux
qui possèdent trop peu pour vivre d'une manière décente, aux captifs afin de verser la rançon qui leur
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13. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
rendra la liberté, aux surendettés (parfois incapables de s'acquitter de transactions contractées dans un
but pieux), aux « fils du chemin » (les voyageurs en détresse, les pèlerins à qui l'on doit une assistance
charitable), mais également aux secrétaires chargés de recueillir la zakât et de la répartir.
Certains sites internet proposent des moyens informatiques pour calculer le montant de la
zakât :
Fig.3 – Formulaire de calcul permettant d'estimer le montant de la Zakât "el-Mâl" pour l'année courante Source : http://www.fleurislam.net/pages/txt_czkt.html
En outre, il existe une zakât particulière obligatoire que l'on verse avant la fin du mois de
ramadan : la zakât al-Fitr (aumône de la rupture du jeûne). À l’origine, elle consiste en un repas offert
à un nécessiteux, qui lui permet de se nourrir pendant le jour de la fête de l’Aïd, et correspond en
France à une somme estimée à environ 5€.
Il a ainsi été vu à travers ces deux exemples qu’aider son prochain est un devoir religieux et
fait partie intégrante des exigences liées aux pratiques de la vie en communauté, spécifiquement dans
le mormonisme et l’islam.
B. Les ONG confessionnelles en action
L’existence d’acteurs non étatiques religieux prenant la forme d’associations pour venir en
aide aux victimes de conflits, de persécutions et de catastrophes naturelles ou pour défendre des
causes, n’est pas nouvelle : l’ordre de Malte, fondé vers 1040 par les Frères de l’hôpital Saint-Jean de
Jérusalem pour veiller à la santé des plus démunis, ou le Comité juif américain qui dès 1911 faisait
pression sur le gouvernement américain afin de le mobiliser sur le traitement que la Russie infligeait
aux demandeurs de visas juifs américains, en étaient déjà des exemples. Puis, après la seconde guerre
mondiale, des ONG comme le World Council of Churches (créé en 1948) jouèrent un rôle
fondamental dans l’assistance aux victimes du conflit. Une étude de 1953 montrait ainsi que 90% de
Pauline Vettier
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14. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
l’aide aux réfugiés fournie après-guerre provenait d’agences humanitaires religieuses. Aujourd’hui, la
plus grande ONG du monde serait World Vision, une organisation chrétienne évangélique. D’après
Pascal Dauvin 9 , l’évolution constatée aujourd’hui dans le monde de l’humanitaire serait la présence
accrue des organisations caritatives islamiques, appelées communément « Arab NGOs » ou « Muslim
charities » : « Il y a [d'ailleurs] aujourd'hui sur le marché humanitaire beaucoup d'ONG
confessionnelles et une montée en puissance des ONG musulmanes. » 10
Comme susmentionné, les ONG ont un champ d’action très large et balayent différents
domaines d’intervention. Les ONG religieuses sont très actives dans le domaine de la prestation des
services sociaux et celui de l’administration des programmes d’aide au développement : elles se
consacrent typiquement à l’alphabétisation et la santé des femmes, aux soins et à l’éducation des
enfants, aux premiers secours lors de situations urgentes. Ce sont donc des secteurs d’intervention en
relation directe avec la population qui en a besoin (regroupés sous l’appellation « humanitaire »), dans
les pays en développement le plus souvent (ex. The Hanna Project intervient au Tadjikistan et en Côte
d’Ivoire) ou sur les lieux de conflits ou de catastrophes naturelles (ex. intervention de Caritas Italia à
Aquila lors du séisme d’avril 2009). En revanche, on les retrouve peu ou pas dans les domaines de la
protection de la faune et de la flore.
Si l’action humanitaire des ONGc est majoritairement salvatrice pour la population des pays
où elles interviennent, elle apporte également un avantage insoupçonné : d’après Antoine Malafosse,
délégué général du CCFD 11 -Terre Solidaire : « le CCFD est une chance pour l’Église de France : il en
promeut une image très positive et très avantageuse. Nous sommes partie intégrante de l’Église, mais
notre singularité s’appuie sur cinquante ans d’expérience et de dialogue avec nos partenaires locaux
dans les pays du Sud qui mettent en œuvre nos actions de développement. » [Annexe 4]
Les bénévoles, volontaires et humanitaires sont des acteurs majoritairement bien acceptés et
pris en compte sur le terrain, que ce soit par la population locale ou par les organismes déjà en place d’autant plus que ce secteur se professionnalise, que ses membres sont formés, diplômés, souvent
expérimentés, habitués au terrain et cadrés par leur hiérarchie. Ainsi, l’arrivée des ONGc sur le lieu à
soulager permet soit d’apporter des outils pour améliorer les conditions de vie au quotidien et favoriser
le développement économique et social d’une zone (mise en place de coopératives comme celles de
l’argan au Maroc, de vente de l’artisanat local à travers le commerce équitable…), soit d’éponger les
premiers besoins sanitaires et médicaux lors des catastrophes naturelles, épidémies, famines, guerres,
ou autres aléas (tentes et couvertures, aide médicamenteuse, eau potable, nourriture…).
9
Maître de Conférences en Science Politique à la Faculté de droit et de science politique de l'Université de
Versailles-Saint-Quentin, auteur avec Johanna Siméant de l’essai « Le Travail Humanitaire : Les Acteurs des
ONG, du siège au terrain », aux Éditions Broché, 2002
10
Citation tirée de l’article « Communication et action humanitaire - Humilité sans frontières » sur
http://pagesperso-orange.fr/pelikan/evenements/interview.htm
11
Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement
Pauline Vettier
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15. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
Il est important de préciser qu’en développant des programmes d’aide dans des zones de
conflit, les organisations humanitaires se trouvent mêlées aux différends religieux, géopolitiques,
culturels et/ou ethniques qui découlent du dit conflit. Cela amène l’action humanitaire, de plus en plus
confrontée aux rigueurs de cet environnement de travail, à être formée à une « intelligence
humanitaire ». En effet, l’espace humanitaire a été crée sur la base d’un compromis politique entre
neutralité, indépendance et consentement, qui permet l’action, mais a été tronqué (interdiction de
prendre parti ou d’évoquer ce dont on a été témoin). De plus en plus de conflits armés remettent en
question le compromis primordial de l’action humanitaire et invoquent exclusivement la politique.
Pour illustrer ces propos, j’ai constitué un tableau d’analyses de vingt-trois ONG
confessionnelles [voir annexe n° 2], dont certaines sont très présentes et influentes dans leur champ
d’action (l’Armée du Salut, World Vision…). Ce listing ne se veut pas exhaustif et ne peut l’être, mais
souhaite regrouper et présenter divers exemples de diverses ONGc de diverses religions actives dans
divers domaines d’intervention. Certaines étant polyvalentes, il n’a pas été facile de les faire entrer
dans des « petites cases réductrices » (ex. Islamic Relief Worldwide, The International Islamic Relief
Organization et Catholic Relief Services fournissent à la fois de l’aide d’urgence lorsque des
catastrophes surviennent, et un travail de fond pour le développement économique et social des zones
les plus pauvres. Mais toutes les ONG et ONGc qui luttent contre les principales causes de la pauvreté
ne sont pas en mesure d’agir dans l’urgence lors de désastres).
Les ONGc travaillent donc principalement dans les domaines suivants : la lutte contre la faim
(ex. Le Comité catholique contre la faim et pour le développement), l’intervention médicale et
sanitaire (ex. The Hanna Project), la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (ex. Le Secours Catholique,
The Salvation Army), l’intervention dans l’urgence (ex. Islamic Relief Worldwide, The International
Islamic Relief Organization, Catholic Relief Services), la paix et les droits de l’Homme (ex. Good
Friends, Shakti Vahini, La Communauté Sant’Egidio), un travail de fond pour le développement
économique et social (ex. Tzu Chi Foundation, International Islamic Charitable Organization, The
Mata Amritanandamayi, Muslim Aid), le volontariat international (ex. Délégation Catholique pour la
Coopération, DEFA, Fidesco), la protection des enfants (ex. World Vision, Christian Children's Fund,
Shanti Volunteer Association, Les Amis de l'Orphelinat de Pattaya), la culture (ex. The Buddha's Light
International Association, Le Conseil Quaker pour les Affaires Européennes).
Pauline Vettier
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16. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
C. La face cachée des ONG religieuses
Depuis qu’elles se sont vues reconnaître officiellement leur existence par l’article 71 de la
Charte des Nations Unies de 1945, le rôle des ONG a crû dans tous les domaines : elles sont devenues
des interlocuteurs quasi incontournables (vis-à-vis des institutions internationales, des gouvernements,
des populations des territoires en guerre et des pays les moins avancés) ; elles sont sur tous les fronts
et de toutes les batailles, impulsées par les
« French doctors » 12 ; elles sont de plus en plus
nombreuses, riches et médiatisées (tout comme les besoins humanitaires le sont), couvrent un territoire
toujours plus large et ont acquis un pouvoir que certains trouvent exorbitant, notamment par rapport à
celui des États. De plus, elles bénéficient d'une notoriété record, sont auréolées d'une crédibilité
inégalée comme source d'information, représentent le mieux les intérêts des citoyens et sont consultées
et écoutées lors des grandes réunions internationales, du fait de leurs compétences techniques et de
leur expertise sur le terrain.
Les relations entre le monde des affaires, les gouvernements et les ONG sont souvent
compliquées et antagonistes. Considérant la multitude d’ONG, des dérives peuvent être déplorées tout
aussi bien dans le pays d’origine de l’ONG, que dans ceux où elles interviennent. Par exemple, des
critiques peuvent porter sur l’appropriation de ressources rares comme l’eau ou l’énergie pour les
besoins du fonctionnement propre de l’organisation. Ces reproches s’apparentent à ceux faits à une
entreprise privée classique installée dans un pays du Tiers-Monde. Des critiques sont aussi apparues
au moment de la professionnalisation de l'humanitaire, entre la fin des années 1990 et le début des
années 2000 : certaines organisations françaises se sont vues reprocher de se rapprocher peu à peu du
système anglais (emploi salarié, contrairement au volontariat qui prévalait avant). Enfin, les ONG
s’accordent un droit d’ingérence qui ne plait pas forcément à toutes les populations.
La crédibilité des ONG a été altérée par la médiatisation des faux-pas de certaines d’entre
elles, ce qui a modifié leur statut d’intouchables. Les ONGc ne sont pas en reste, car en plus des
reproches faits à la fonction, à la nature, au statut, au financement, au rôle, à la légitimité et aux
moyens d’action des ONG, elles doivent gérer les problèmes spécifiquement liés à leur nature
religieuse. Voici quelques exemples de débordements qui ont pu être observés :
•
la concurrence qu’elles exercent entre elles pour être visible, pour se disputer les fidèles, la puissance de
leurs groupes, l’influence et la qualité de la couverture médiatique… Ces stratégies servent à être
connue du public et ainsi espérer obtenir des dons importants. Cette compétition est notable tant entre
les ONGc et les ONG laïques qu’entre ONGc d’une même branche religieuse ;
12
Largement médiatisée sur la scène internationale, la guerre du Biafra ou guerre civile du Nigeria a eu lieu
de 1967 à 1970, faisant de un à deux millions de morts. En 1971, des French doctors (dont Bernard
Kouchner) lancent alors l'ONG Médecins sans frontières pour venir en aide aux réfugiés, le blocus terrestre
et maritime du Biafra ayant provoqué une famine. MSF fut la première ONG privée d’aide médicale d’urgence,
et ses fondateurs furent les initiateurs de la notion de « droit d’ingérence ».
Pauline Vettier
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17. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
•
le même rapport de force se retrouve sur le terrain lors de missions humanitaires ;
•
les dérives qui ont pu être remarquées, comme la conversion sous couvert de bonne action, le
prosélytisme ou encore l’acculturation : la pratique de leurs activités altruistes permet à certaines ONGc
de contribuer à la diffusion de leur religion et de leurs croyances sur le lieu d’intervention (ex. le
président du DEFAP Jean-Arnold de Clermont a souligné que pour lui « l’évangélisation et la mission
ne font qu’un. » Il souhaite que le DEFAP poursuive sa réflexion sur l’engagement missionnaire et se
dirige vers l’élaboration d’une charte sur l’engagement du DEFAP au nom des Églises protestantes de
France 13 . En outre, la distribution de bibles au Bangladesh il y a vingtaine d’années par World Vision a
fait scandale et a alors décrédibilisé les organisations chrétiennes de solidarité) ;
•
les relations antagonistes à l’action humanitaire, comme l’action politisée et l’utilisation des activités
humanitaires à des fins partisanes. De fait, le militantisme « politico-militaro-religieux » s'appuie sur
l'action sociale qui le précède, et considère l’action humanitaire comme un accessoire du combat (ex.
malgré le travail humanitaire légitime effectué, « The Holy Land Foundation for Relief and
Development », la plus importante organisation caritive islamique des États-Unis, a été fermée en
décembre 2001 par le gouvernement américain qui l’accusait d’avoir fondé le Hamas et de lui avoir
fourni matériaux et supports logistiques pour des millions de dollars. L’administration américaine a
également fait pression sur le Royaume-Uni pour geler les fonds de cette ONG, avant toutefois de lever
cette mesure le 24 septembre 2003 faute de preuve concernant les accusations de soutien au Hamas) ;
•
l’existence de la sélection des populations à traiter par croyance, qui ne se pose pas avec les ONG nonreligieuses. Si certaines ONGc affichent clairement leur impartialité (sur leur site internet, le Secours
Islamique annonce qu’il « agit dans une stricte neutralité, sans distinction de race, de sexe ou de
religion », et Catholic Relief Services que « Assistance is based solely on need, not race, creed or
nationality 14 »), ce n’est pas le cas de toutes. Ainsi, l’organisation humanitaire juive sioniste B'nai
B'rith travaille pour l'unité du peuple juif, promeut les droits des communautés juives, remet des
bourses d'études aux étudiants juifs et lutte contre l'antisémitisme. L'organisation est exclusivement
réservée aux israélites et comprend plus de 500.000 membres dans une cinquantaine de pays ;
•
l’existence de la sélection des employés sur critères d’orientation sexuelle (ex. pour justifier son refus
d’embaucher des homosexuels, The Salvation Army aux États-Unis met en avant son statut d’église et
s’appuie sur la section VII du « Civil Rights Act » de 1964 qui lui accorde explicitement le droit de
discriminer lors de l’embauche, du fait de sa nature religieuse, sur un tel critère,) ;
•
mais les cas inverses peuvent aussi se produire, comme un membre du DEFAP (Service Protestant de
Mission) l’explique ici : « Nous recevons de nombreuses candidatures [au volontariat international],
13
Communiqué de presse Assemblée Générale de mission 2009 du Service protestant de mission
www.defap.fr/rubrique.php?id_rubrique=160
14
« L’aide se base uniquement sur le besoin, pas les origines ethniques, les croyances religieuses ou la
nationalité »
Pauline Vettier
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18. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
environ 300 par an. Certains candidats se désistent d’eux-mêmes quand ils apprennent que le DEFAP
est lié aux églises protestantes 15 » ;
•
la non-transparence, les financements occultes et les détournements de fonds, ce qui laisse à penser que
toutes les organisations caritatives ne sont pas philanthropes 16 ;
•
les critiques quant à la façon dont l’argent est dépensé (ex. BLIA s’est vue reprocher l’extravagance et
la démesure de certains de ses temples, comme le temple Nan Tien en Australie, ce qui est
contradictoire avec les enseignements bouddhistes. Cette critique est par ailleurs fréquemment faite au
sujet de nombreux temples bouddhistes modernes) ;
•
les agissements de certaines ONG religieuses ont été particulièrement critiqué (ex. de 1940 aux années
70, The Salvation Army en Australie a abrité quelque 30.000 enfants. En 2006, elle a reconnu que des
abus sexuels aient pu avoir lieu à cette époque, s’en est excusé et a en même temps rejeté la demande
d’indemnités réclamés par 500 personnes 17 ) ;
•
le travail prétendu accompli ne correspond pas toujours à celui effectué en réalité (ex. sur la
cinquantaine d'orphelinats que IIRO prétend avoir construit aux Philippines, un seul le fut
effectivement).
Mais les situations inverses arrivent aussi, et parfois, les ONGc doivent justifier leur absence
de prosélytisme sur le terrain. Ce fut le cas pour Christian Children's Fund (CCF). En mai 2004, elle
fut le sujet de contestations quand l’organisme chargé du contrôle des organisations caritatives
chrétiennes, Wall Watchers, envoya une alerte par courriel à environ 2.500 donateurs, les informant
que le nom de cette ONG, Christian Children's Fund, avait été conçu pour induire en erreur de façon
18
intentionnelle ses donateurs, en leur faisant penser que le groupe était basé sur la foi chrétienne .
Howard Leonard, directeur général de Wall Watchers, argumenta : « It isn't Christian in the way we
look at it. If you're going to be bringing help to these children, you should be bringing the Gospel
19
».
15
D’après le journal protestant en ligne Réforme n°3088 du 22-07-2004
Une des façons de vérifier la transparence d’une ONG est de consulter un site internet comme Charity
Navigator (http://www.charitynavigator.org/). Fondé en 2001, il est devenu le moyen d’évaluation des
organisations caritatives le plus important et le plus utilisé des États-Unis. Il examine des dizaines de milliers de
documents financiers des ONG et a développé un système impartial et objectif d’évaluation qui évalue quelles
organisations américaines sont dignes de confiance, parmi plus de 5.000. Seulement 3% des ONG étudiées
obtiennes une notation de 4/4 cinq années à la suite. L’American Institute of Philanthropy
(http://www.charitywatch.org/), l’alliance Better Business Bureau/Wise Giving (http://www.bbb.org/), NonProfit
Times (http://www.nptimes.com/), et en France, le Comité de la Charte du Don en confiance
(http://www.comitecharte.org/ ) et la Cour des Comptes (http://www.ccomptes.fr/) proposent les mêmes
services. À noter : l’Armée du Salut est exemptée de la comptabilité qui incombe à toute organisation charitable
américaine du fait que ses revenus soient supérieurs à un milliard de dollars.
17
« The Salvation Army’s response to child abuse allegations ». The Salvation Army, 01-08-2006
http://www.salvationarmy.org.au/media/statements/2006_child_abuse.asp. Désactivé de 15-03-2009
18
« The Use of the Word 'Christian' by Christian Children's Fund is Misleading »
http://www.ministrywatch.org/mw2.1/pdf/MWDA_042704_CCF.pdf (PDF) sur ministrywatch.org (un
programme de Wall Watchers), mai 2004
19
[les actions de Christian Children’s Fund] « ne sont pas chrétiennes dans la façon dont nous les considérons.
Si de l’aide est apporté à ces enfants, alors, l’Évangile doit lui aussi être apporté. »
16
Pauline Vettier
18
19. Master 1 EIPP
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Un porte-parole de CCF expliqua que cette ONG ne fait aucun prosélytisme et ne cherche pas à
convertir les populations avec lesquelles elle travaille. Il rappela que l’origine chrétienne du nom
provient de son fondateur, le pasteur Presbytérien Dr. J. Calvitt Clarke, qui croyait en les principes
chrétiens, tel que « Aime ton voisin comme toi-même » (« Love thy neighbor as thyself »).
Une des conséquences du prosélytisme est la modification du paysage religieux du pays où il
est exercé, du fait des influences et de la diversité des bénévoles, missionnaires ou volontaires
d’ONGc sur place. Il est important de noter que si le prosélytisme est perçu comme négativement,
c’est du fait de la pression psychologique, du chantage et du ‘lavage de cerveau’ parfois exercés, du
zèle déployé sous toutes ses formes pour tenter d'imposer des convictions et de rallier quelqu’un à une
cause ou une croyance coûte que coûte par la propagation d’idées (ex. de prosélytisme protestant en
Malaisie : distribution gratuite et massive de Bibles dans les hôtels et les guesthouses). En Afrique
noire particulièrement, de nombreux mouvements religieux, branches et sectes (évangélistes,
pentecôtistes, témoins de Jéhovah, secte Moon, mormons, scientologues…) incitent à la conversion la culture locale se prêtant peut-être mieux au prosélytisme qu’en Asie ou en Amérique du Sud. Il faut
noter que des mesures ont été prises en Thaïlande contre les abus et les façons de procéder des
missionnaires chrétiens : « D’après une circulaire du ministère du Culte et des Religions, ‘toutes les
activités de prosélytisme chrétien sont désormais interdites’. La directive prévoit plusieurs mesures
afin de mieux encadrer les activités religieuses des différentes églises du Royaume. Il s’agit
notamment de réglementer la construction d’édifices religieux, d’interdire le porte à porte, ou les dons
en argent ou en nature aux convertis. Le prosélytisme de certains groupes "nuit à la société et peut
provoquer des troubles" d’après un officiel du Ministère. Sont notamment visées certaines sectes
protestantes, dont les pratiques ont parfois conduit à des troubles importants avec les fidèles
bouddhistes ». 20
En somme, si les pratiques des mouvements religieux et celles des ONG ont beaucoup en
commun (altruisme, philanthropie, don de soi, volonté d’aider son prochain…), il a été vu que toutes
les ONG ne sont pas religieuses (ex. Médecins du Monde), que tous les mouvements religieux n’ont
pas d’ONG qui exerce un travail humanitaire ou social en leur nom (ex. les Mains Serviables
mormones n’ont pas le statut d’ONG, mais sont des actions humanitaires gérées par l’Église), de la
même façon que toutes les ONGc ne sont pas en mission dans le but de répandre leur religion (ex.
Secours Islamique et Catholic Relief Services). Les mouvements religieux et les ONG sont donc
ralliés sur plusieurs fronts du fait de leurs traits communs, les premiers s’immisçant dans le monde des
deuxièmes au moyen des ONGc, et les ONG n’étant pas forcément envoyées sur le terrain par des
centres religieux.
Après avoir étudié comment les mouvements religieux peuvent s’apparenter à des ONG,
observons s’ils exercent des influences géo-économiques importantes.
20
http://www.lepetitjournal.com Cambodge en bref, « Prosélytisme Chrétien », 18-07-2007
Pauline Vettier
19
20. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
CHAPITRE 2 - QUELLES INFLUENCES GÉO-ÉCONOMIQUES LES
MOUVEMENTS RELIGIEUX EXERCENT-ILS DANS LA SPHÈRE
MONDIALE
?
Il a été vu dans la première partie que les grands groupes religieux sont suffisamment
puissants et influents pour avoir pu et su se faire une place au milieu des nombreuses organisations
non gouvernementales, et ce dans divers secteurs. Allons plus loin dans le décloisonnement des
disciplines et étudions l’importance croissante du phénomène religieux dans un autre contexte : dans
quels domaines de la géo-économie les mouvements religieux sont-ils actifs ?
A. Les mouvements religieux et leurs influences dans la finance et
l’Économie
En théorie, « les religions ont un rapport méfiant à l’argent, car il peut devenir une idole pour
l’homme, fonctionnant comme un Dieu pour certains. Pour toutes les religions, l’argent n’est pas un
bon serviteur mais un maître ». 21 Par exemple, selon l’évangile, on ne peut pas aimer Dieu et l’argent.
L’islam entretient la même méfiance par rapport à l’argent et interdit d’ailleurs tout prêt bancaire à
intérêt. Le judaïsme n’accepte pas les taux usuriers 22 et tous les 50 ans (année jubilaire), une remise
complète des dettes est préconisée par la Bible.
En pratique, les différents groupes religieux ont accumulé à travers le temps un patrimoine et
des fortunes considérables, comme détaillé pour deux religions 23 :
Pour l’Église catholique : la richesse du Vatican se concentre dans trois domaines principaux : d’une
part, celle du Saint-Siège (=l’ensemble des institutions de l'Église catholique romaine) : en 2007, il
enregistre un surplus de 2.4 millions d’euro (205,6 millions d’euros de recettes pour 203,2 millions
d’euros de dépenses). Celles-ci sont principalement destinées aux 2663 religieux travaillant au sein de
la Curie romaine. D’autre part, le bilan de l’État de la Cité du Vatican : il enregistre lui aussi un
résultat positif de 5,3 millions d’euros. Enfin, le Denier de Saint-Pierre (=les dons effectués par les
diocèses) s’élève à 43 millions d’euros. Ces fonds sont destinés, sur volonté du Pape, à des
interventions caritatives. Le budget du Saint-Siège est donc à peu près égal à celui d’une ville
moyenne française (il est par exemple deux fois et demi-inférieur à celui du Conseil général du Maine
21
Propos d’Arnaud Alibert, chercheur au Centre d’étude des cultures et des religions de l’Université catholique
de Lyon
22
Voir définition dans le glossaire p.36-37
23
Malgré mes nombreuses recherches, je n’ai réussi à trouver de données chiffrées que pour les églises
catholiques et mormones ; c’est pourquoi seuls les patrimoines de ces deux religions sont ici détaillés
Pauline Vettier
20
21. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
et Loire (497, 2 millions d’euros en 2005), et encore inférieur au budget d’une ville comme Angers
(250, 27 millions d’euros en 2005)). 24
Fig.4 – Schéma humoristique qui illustre la fortune du Vatican
Source : http://www.anuncioblog.com/
Pour l’Église mormone : L'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours tire la majorité de ses
revenus de donations de ses propres membres, qui lui versent mensuellement une dîme représentant
10% de leurs revenus, ainsi que des offrandes de jeûne (destinées à l'aide aux démunis). Elle récolte
aussi des bénéfices dus à des investissements financiers variés. Une partie des revenus de l'Église est
thésaurisée ou investie dans des projets commerciaux (une centaine d’entreprises lucratives, un
journal, des chaînes de télévision, des stations de radio…). De nombreux critiques reprochent à cette
Église son manque de transparence financière25, car elle ne publie pas de bilan financier. Il est donc
impossible de savoir précisément quels sont ses avoirs et à quoi elle consacre son argent. Seules
circulent des estimations livrées par des journalistes d'investigation : en 1997, le Time Magazine
estimait le capital de l'Église à plus de 30 milliards de dollars et son chiffre d'affaires annuel à 5,9
milliards de dollars, et en 2002, le journal Les Échos estimait le chiffre d'affaires de l'Église à « 4
milliards de dollars de revenus annuels nets d'impôts », estimation « probablement inférieure à la
réalité ».
24
Source : Bernard Peyrous, prêtre et historien, en réponse à la question « Le Vatican est-il riche ? » sur
http://qe.catholique.org/
25
Notamment Jerald et Sandra Tanner dans The Changing World of Mormonism (p. 19-21) et Richard et Joan
Ostling dans Mormon America (p. 113-129).
Pauline Vettier
21
22. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
Fig.5 – L’édition spéciale du Time du 4 août 1997 chiffrait la fortune de l’empire mormon à au moins US$ 30
milliards
Les religions incitent à un rapport sain à l’argent et à sa gestion : une économie plus humaine,
capable de respecter des critères éthiques, guidée par une « conscience civilisationnelle », des
environnements naturels et sociétaux… Ainsi, d’après Arnaud Alibert, « les religions possèdent une
richesse de pensée qui peut aider à la régularisation éthique du capitalisme ». Dans la thèse wébérienne
de la naissance du capitalisme occidental, on voit combien la religion influence, voire détermine,
l’orientation économique des peuples qui la pratiquent. Pourtant, certains modèles économiques sont
capables de résister au rouleau compresseur occidental et sont en passe de dépasser le modèle
économique tentaculaire. Cette résistance est motivée par des facteurs religieux, culturels, éthiques et
sociaux radicalement différents de ceux de la tradition religieuse occidentale judéo-chrétienne, mais
parfaitement capables de s’approprier et de féconder les valeurs économiques reçues de l’Ouest. Ces
modèles représentent ainsi une échappatoire possible à l’homogénéisation par le modèle occidental. À
l’instar du bouddhisme, porteur d’une conception spirituelle inédite en Occident et en tout point
opposé aux valeurs liées à l’émergence du capitalisme occidental (vacuité de l’esprit, détachement du
monde et lutte contre le désir). Certains des pays qui le pratiquent sont aujourd’hui parmi les plus
puissants du monde (Japon notamment). L’Inde, tout en se rapprochant du modèle économique
occidental, ne perd pas pour autant les caractères de sa profonde identité, marquée par un système de
castes paradoxalement peu favorable à un envol économique. Quant à la Chine, les valeurs
confucéennes placent l’individu au cœur de la société, où l’intérêt collectif prime sur l’intérêt
individuel et encourage de nombreuses valeurs favorables à l’organisation du travail. Les
performances économiques capitalistes chinoises (Hong-Kong, Singapour, Taïwan) « ne peuvent être
comprises autrement qu’en référence à un corpus de valeurs qui, sous des formulations certes tout
autres, n’est pas loin de ce que met en jeu le processus wébérien ». [3]
Pauline Vettier
22
23. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
Historiquement, la relation des juifs avec l'argent s’est démarquée de celle des autres
religions monothéistes. En effet, la richesse est bienvenue chez les juifs, considérée comme une
bénédiction devant servir à réparer le monde - à l’opposé de la conception qu’en font l'islam et le
christianisme. Plus précisément, le judaïsme permettait que ses membres s'accordent des prêts sans
intérêt entre eux, et qu'ils accordent des prêts à intérêts aux non-juifs, alors que chez les chrétiens et les
musulmans, le prêt, avec ou sans intérêt, est interdit. Durant des siècles, les juifs sont donc seuls à
pouvoir prêter de l'argent et à avoir ce rapport unique avec lui, alors que tout au long du Moyen Âge,
le besoin d’argent pour le commerce est énorme en Europe, le manque de monnaie métallique étant
critique. Ils prêtent alors un argent dont tout le monde a besoin, et chacun d'entre eux, du plus pauvre
au plus riche, est forcé de le faire sous peine d'être chassé du pays où il vit. Mais à cette époque se
constituent aussi les États : les souverains vont, à leur tour, recourir aux prêteurs juifs, forcés de leur
prêter pour tout, même pour financer les guerres et les croisades. Confinés à ce rôle de prêteur, les
juifs inventent des éléments de base du capitalisme : le chèque, le billet de banque et la lettre de
change.
Une des origines possibles de l’association entre judaïsme et capitalisme vient de Karl Marx
(qui était juif) : il prêta aux juifs un rôle dans le capitalisme de spéculation, dans un essai intitulé Sur
la question juive (Zur Judenfrage, publié en 1843). Jacques Attali développe cette même thèse dans
son livre Les Juifs, le monde et l'argent 26 : le peuple inventeur du monothéisme est aussi le fondateur
du capitalisme. Il explique aussi que le XXème siècle aura été celui de l'effondrement de la puissance
financière juive échafaudée au XIXème : les grandes banques juives s'effondrent ou passent alors
toutes aux mains de non-juifs au cours de l'entre-deux-guerres, la puissance juive américaine passe de
la finance à la distraction et à la communication (Universal, MGM, Fox, RCA, NBC, CBS, Warner
Brothers sont les créations d'entrepreneurs juifs). Il conclu que « Ni le nomadisme ni la finance ne sont
plus des spécialités juives », notamment à l’heure de la mondialisation, où les juifs perdent leur rôle
économique multiséculaire.
Un univers religieux définitivement hostile aux valeurs occidentales persiste : l’islam. La
soumission des musulmans à la parole du Prophète et à la communauté de croyants incite à un
pragmatisme économique très différent de celui des pays occidentaux : la résistance au capitalisme
occidental est expliqué par les éléments suivants : l’islam interdit les transactions tant civiles que
commerciales faisant recours à l'intérêt, à la spéculation ou au hasard ; un musulman ne peut pas
vendre quelque chose qu’il ne possède pas, mettant ainsi fin à toutes les spéculations qui ont ravagé les
économies occidentales ; un musulman ne peut gagner de l’argent sans faire d’effort ou prendre un
risque quant aux gains ; les transactions commerciales comme financières doivent comporter une
dimension éthique. D’après Azedine Gaci, président du conseil régional du culte musulman Rhône-
26
Fayard, Paris, 2002
Pauline Vettier
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24. Master 1 EIPP
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Alpes, ces principes « permettent à la finance islamique d’être plus en prise avec l’économie réelle et
d’échapper à l’économie virtuelle ».
En effet, la finance islamique a beaucoup fait parler d’elle à l’automne 2008 : les banques
islamiques dans les pays arabo-musulmans et au-delà sont les seules à avoir échappé à la crise
financière internationale, précisément car elles se situent en dehors de la bulle spéculative et ne se
concentrent que sur l’économie réelle. Elles ont donc été présentées comme alternative crédible au
système financier international actuellement en place qui a montré toutes ses limites. Elle apporte en
effet un caractère éthique et de nouvelles règles de fonctionnement aux marchés financiers
internationaux (responsabilité sociale de l'investissement, solidarité, faveur des actions sociales, du
développement et de la lutte contre les formes multiples de pauvreté…). En pratique, elle fonctionne
sous forme de partenariats, dans lesquels des apporteurs de capitaux permettent à des promoteurs de
mener un projet grâce à des fonds qu’ils leur avancent, la clé de répartition des gains et des pertes étant
fixée par contrat. Si le projet est fertile, les deux partis en obtiendront les bénéfices sur une base
convenue d’avance. En cas d’échec du projet, les apporteurs de capitaux supporteront entièrement les
pertes, et les promoteurs ne perdront que le fruit de leur travail.
En outre, ce créneau rencontre de plus en plus d’adeptes dans le monde financier : il existe
plus de 250 institutions financières islamiques réparties dans 80 pays (la première banque islamique
d’Europe, l’Islamic Bank of Britain, ouvrira à Londres en septembre prochain), dont les actifs sont
évalués aujourd'hui à plus de 500 milliards de dollars, et à 2,7 trillions de dollars en 2010. L'industrie
bancaire et financière de type islamique est donc en plein essor et concerne actuellement tant les pays
musulmans que non musulmans. Enfin, l’enseignement supérieur et les grandes écoles ont répondu à
la demande et se positionnent sur ce créneau en pleine croissance, tels l’École de Management de
Strasbourg qui a ouvert au premier semestre 2009 un D.U., « University Degree in Islamic Finance »
et Sup de Co Reims qui ouvrira en juin un cours électif de spécialisation intitulé « Islamic Banking
and Finance ».
Fig.6 – Exemples de banques islamiques (de gauche à droite) : Dubai Islamic Bank, Al Salam Bank, Tadamon
Islamic Bank, la Banque Islamique de Développement (BID), Islamic Bank of Britain
Après avoir étudié l’influence des mouvements religieux sur la finance et l’économie,
observons-la dans le domaine de la politique.
Pauline Vettier
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25. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
B. Les mouvements religieux et leurs influences en politique
« La crise financière qui balaye l’économie mondiale prouve que la politique a besoin de la
religion, et même d’une éthique inspirée par la religion rationnelle qu’est le christianisme », déclarait
le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’État du Vatican, lors de la rencontre mondiale des familles
qui s’est tenue à Mexico en janvier dernier [4]. La politique aurait-elle donc besoin de l’appui de la
religion comme le laisse entendre ce cardinal ? On constate que la plupart des comités de réflexion
intègrent des représentants des religions en raison de la force de leur tradition. On voit aussi que l’État
institue le dialogue avec les grandes religions : deux rendez-vous par an à Matignon pour la hiérarchie
catholique (initiés par Lionel Jospin) et la mise en place du Conseil français du culte musulman (créé
en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur). On sait aussi que quand les quartiers
s’embrasent, l’imam et le prêtre sont les premiers à être consultés et sollicités pour aider à la paix
sociale en désamorçant les conflits.
Ainsi, comme Divyanand Soami l’écrit dans « Reasons for violent conflict »: « Religious leaders have
certain advantages over political institutions in generating initiatives for peace. » 27 [5 et annexe 6]
L’influence réelle d’un protagoniste sur une institution est une donnée difficile à déterminer de
par son caractère abstrait, intangible. Seules des actions concrètes peuvent donc illustrer l’influence du
religieux en politique. De fait, de nombreux leaders ou porte-paroles religieux ont été des partisans
de la paix dans le monde, en s’impliquant dans le désamorçage de conflits, en défendant les droit des
opprimés, se tenant à la tête d’une lutte pour les droits de l’Homme, comme l’illustrent les figures
contemporaines suivantes :
•
Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre (1912-2007), prêtre catholique français, résistant puis
député. Il consacra sa vie à soutenir la cause des pauvres, des exclus, des réfugiés et des sansabris, notamment à travers l’œuvre du Mouvement Emmaüs (organisation caritative laïque) et
de la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés. Il se servit de sa force
d’indignation pour faire bouger les cœurs et les consciences, et lança sa fameuse opération
d’influence « Hiver 54 » pour défendre le droit au logement. Son combat a permis l’adoption
d’une loi interdisant l’expulsion de locataires pendant la période hivernale.
•
Tenzin Gyatso (1935- ), le quatorzième Dalaï-lama, est le chef politique et spirituel du
peuple tibétain et du gouvernement tibétain en exil qu'il dirige en Inde depuis 1959. Depuis
l’invasion de son pays par l’armée chinoise en 1950, il a constamment œuvré à la résolution
du conflit sino-tibétain par la non-violence, multipliant les conférences et les rencontres avec
les grands dirigeants. À ce titre il a reçu le prix Nobel de la paix en 1989 et fait partie des
27
« Les leaders religieux ont certains avantages sur les institutions politiques dans le fait de mettre en place des
initiatives pour la paix ».
Pauline Vettier
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Année universitaire 2008/2009
classements 2004, 2005 et 2008 des cent personnes les plus influentes au monde, établi par le
magazine Time.
•
Karol Józef Wojtyła (1920-2005) a été pape sous le nom de Jean-Paul II de 1978 à sa
mort. Il a joué un rôle historique en Pologne, et par extension dans toute l’Union Soviétique,
dans la lutte contre le communisme et la crise politique et sociale de son pays d’origine. On lui
attribue d’ailleurs en partie la chute du mur de Berlin en 1989. À travers ses interventions dans
le reste du monde, il n’a cessé de rappeler partout les droits de la personne et des groupes
sociaux à la liberté, notamment en Israël, nation avec laquelle il est le premier pape à établir
des relations diplomatiques (30 décembre 1993) et à Cuba, où il est reçu en 1998 par Fidel
Castro.
•
Le révérend Martin Luther King Jr (1929-1968) est un pasteur baptiste afro-américain.
Célèbre pour son militantisme non violent à travers des actions marquantes comme le Boycott
des bus de Montgomery en 1955 et la Marche vers Washington pour le travail et la liberté en
1963. Il était soutenu par John F. Kennedy dans sa lutte pour la paix, l’égalité et en faveur des
droits civiques des Noirs aux États-Unis (vote, emploi, déségrégation raciale). Le principal
résultat de son combat se situe au niveau législatif : la plupart de ces droits seront promus par
le « Civil Rights Act » et le « Voting Rights Act ». Il devient le plus jeune lauréat du prix
Nobel de la paix en 1964. Depuis 1986, le « Martin Luther King Day » est un jour férié aux
États-Unis.
•
Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948), était un important dirigeant politique et
guide spirituel de l'Inde. Avocat formé à Londres, il lutta contre les discriminations raciales
d’abord en Afrique du Sud pendant vingt ans, puis en Inde jusqu’à sa mort. Il obtint
l’indépendance coloniale de son pays en 1947 grâce à un programme non violent de
désobéissance civile de masse (boycotts, marches, jeûnes protestataires...). Gandhi a inspiré de
nombreuses personnalités et mouvements de droits civiques, tel Nelson Mandela. Il a été
reconnu comme le Père de la Nation en Inde ; son anniversaire y est un jour férié et a été
déclaré Journée internationale de la non-violence par l'Assemblée générale des Nations unies.
•
Malcolm K. Little, surnommé Malcolm X ou El-Hajj Malik El-Shabazz (1925-1965),
était un prêcheur musulman afro-américain, un des leaders du mouvement des droits
civiques 28 aux États-Unis et fut le porte-parole national de Nation of Islam de 1954 à 1964. Il
fonda également Muslim Mosque, Inc. et The Organization of Afro-American Unity (OAAU).
Pour ses admirateurs, il a été un courageux défenseur des droits afro-américains, un homme
ayant durement critiqué les blancs pour leurs crimes envers les afro-américains. Ses
28
Le mouvement des droits civiques (1955-1968) désigne le mouvement américain qui visait à établir une réelle
égalité de droits civiques pour les Noirs américains en abolissant la législation instaurant la ségrégation raciale.
Marcus Garvey, Martin Luther King et Malcolm X en sont les leaders les plus emblématiques.
Pauline Vettier
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Année universitaire 2008/2009
détracteurs l'accusent de prêcher le racisme et la violence. Il a été de nombreuses fois décrit
comme l'un des plus grands et des plus influents afro-américains de l'Histoire.
Dans certains cas, ce sont des organismes comme les ONG qui sollicitent un leader ou porteparole religieux pour pouvoir bénéficier de son influence dans le domaine politique. Par exemple, en
mars 2009, Amnesty International a exhorté le pape Benoît XVI à user de son influence auprès des
autorités angolaises lors de sa visite dans ce pays, pour faire en sorte que cessent les menaces
d’expulsion forcée et que les personnes ayant fait l’objet de telles expulsions soient pleinement
indemnisées. 29
En outre, en France, le débat sur la laïcité 30 et les signes ostentatoires religieux dans le
domaine public a fait coulé beaucoup d’encre et a eu des conséquences législatives. Dans ce pays,
grâce à l’article 1 de la Constitution française de 1958, la laïcité fonde le pacte républicain, prend en
compte la diversité des hommes et garantit l’unité nationale du peuple à travers trois principes : l’État
est sécularisé, la liberté de croyance et de culte est garantie, et les croyances sont égales entre elles.
Ainsi, l’« Affaire du voile islamique » 31 avait provoqué une polémique entre les différents
acteurs concernés : population musulmane de France, dirigeants politiques de tous bords, associations
féministes, représentants de l’Éducation nationale… Cette volonté nationale de réduire fortement
l’expression de la religion dans le domaine public est à l’origine de la création de la loi du 15 mars
2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques (« Loi n° 2004-228 encadrant, en application du
principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les
écoles, collèges et lycées publics »). Les justifications étaient doubles : d’une part, la France est un
pays laïc qui revendique cette spécificité, et d’autre part, elle est un pays dit « intégrationniste » dans
lequel les cultures immigrantes sont soumises à une forte pression pour être rapidement intégrée dans
la communauté française globale.
De plus, lorsqu’un candidat se présente à des élections, les médias n’oublient jamais de
mentionner, voire de traquer, son identité religieuse. Ce fut le cas pour Barak Obama durant la
campagne électorale pour l'investiture de 2008 : outre son nom musulman qu’il tient de son père, il
aurait été musulman pratiquant durant toute son enfance passée en Indonésie, aurait suivi des cours
coraniques et fréquenté la mosquée les vendredis. Cette idée a été renforcée après la publication d’une
photo montrant le sénateur de l’Illinois en costume traditionnel musulman, rendant visite à sa grandmère au Kenya durant l’été 2006. Mais il a toujours nié son identité musulmane, certifiant sa
confession protestante depuis sa conversion à coups de ‘toujours’ et de ‘jamais’ et témoignant de sa
solide culture biblique dans le but de rallier l’électorat évangélique si convoité (24% aux États-Unis).
29
Communiqué de presse d’Amnesty International du 20-03-09 « Angola. Le pape devrait user de son influence
pour faire cesser les menaces d’expulsion forcée »
30
Voir définition dans le glossaire p.36-37
31
Appellation utilisée pour reprendre les débats portant sur la question du port du voile islamique dans les
établissements publiques français depuis le milieu des années 1990 et jusqu’à la jurisprudence de mars 2004
Pauline Vettier
27
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Année universitaire 2008/2009
Il a donc difficilement assumé cette identité, dans un pays en guerre contre le terroriste islamique
depuis 2001 et qui en considère l'islam la source. En outre, Keith Maurice Ellison, premier musulman
afro-américain élu au Congrès des États-Unis, a fait parler de lui après avoir prêté serment à la
Constitution des États-Unis sur le Coran (traditionnellement, les élus prêtent serment en tenant la main
sur la Bible).
Enfin, l’influence des mouvements religieux de tous types dans la sphère politique se retrouve
à travers les actions des lobbies religieux (ou groupes de pression, groupes d'influence, groupes
d'intérêt). Spécialité américaine et acteurs puissants de son paysage politique, ils exercent un réel
pouvoir d’influence sur la prise de décision de certaines personnalités ou organismes d’État pour les
intérêts communautaires, tels ceux de minorités ethniques ou de groupes religieux, en utilisant
différents moyens de pression (voix des membres ou sympathisants lors des élections, actions
médiatiques, dons aux campagnes électorales, apport intellectuel via des think tanks 32 ). Leur existence
n’a rien d’illégale, de secret ou de clandestin, puisque la loi les reconnaît et réglemente leurs activités.
À Washington D.C., les agences de lobbyistes répertoriées étaient au nombre de 34.000 en 2005 et
l'argent dépensé par les entreprises et les groupes de pression pour défendre leurs causes au Congrès et
auprès de l'administration s’élevait à 2,1 milliards de dollars en 2004 33 . À titre de comparaison, en
2007, on recensait environ 3.000 groupes d’intérêts pratiquant le lobbying au sein du Parlement
européen, soit 15.000 lobbyistes face à 25.000 fonctionnaires européens. Les associations
communautaires correspondent à 32% des groupes de pression.
Parmi ces groupes, on retrouve deux grands lobbies qui défendent la cause et les intérêts de religions
influentes dans ce pays :
•
Le lobby catholique exerce une influence importante sur le gouvernement dans le but de
diriger les fonds dans les domaines qu’il défend. Ainsi, il influe en vue de limiter les budgets
alloués par l’État aux centres de planification familiale et aux campagnes de prévention et
d’information sur les moyens de contraception, affectant par conséquent les politiques de santé
publique. Le but de leurs actions est de consacrer les fonds à des campagnes de sensibilisation
contre l’avortement et de mettre en place des projets « pro-vie » (ex. intervention dans les
écoles pour inciter aux méthodes de contraception naturelle, visionnage de vidéos sur
l’avortement…). Outre-Atlantique, le terme « pro-life » englobe un courant de pensée qui
privilégie certaines des valeurs conservatrices américaines : anti-avortement, anti-mariage gay,
anti-euthanasie mais aussi l’abstinence jusqu’au mariage. Il s’oppose à « pro-choice ». Voici
deux illustrations :
o
En 2004, la Conférence épiscopale américaine a fait du lobbying auprès du
Congrès américain et obtenu que soient supprimés du Plan d’urgence pour
32
33
Voir définition dans le glossaire p.36-37
Source des données : Wikipédia, Lobbying
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l’aide au Sida du président américain, des services essentiels de planification
familiale visant la prévention de la transmission mère-enfant du VIH.
o
Le mariage gay, autorisé en Californie depuis mai 2008, a été interdit à la
suite d'un vote qui s'est déroulé le 4 novembre, jour de l'élection présidentielle
américaine. Depuis, les militants homosexuels font campagne contre l'Église
mormone et son lobby, accusés d'avoir pesé de tout leur poids politique et
financier pour faire passer cette interdiction, en dépensant près de 15 millions
de dollars dans une campagne pour « protéger le mariage » 34 .
En outre, le lobby catholique exerce son pouvoir dans un autre domaine : en 2005 au Canada,
ce lobby avait incité le gouvernement à reconduire une clause dérogatoire qui permet
l’enseignement de la religion catholique dans les écoles publiques du Québec. Ainsi avait été
autorisé le contournement de la « Charte des droits et libertés de la personne », une loi
libérale, pluraliste, laïque et donc neutre à l'encontre de toutes les religions. À noter
qu’actuellement, presque toutes les confessions chrétiennes de l’Union européenne sont
représentées à Bruxelles et le nombre de bureaux d’Église ayant pour mission d’assurer la
liaison avec les institutions de l’Union est en augmentation constante.
•
Le lobby juif, auquel le terme « pro-israélien » est souvent préféré 35 , est une expression
utilisée pour qualifier le poids de la communauté juive et/ou pro-israélienne au sein des
décisions politiques aux États-Unis : ce lobby international serait un pilier du soutien à l’État
d’Israël dans tous les registres (économique, financier, politique, médiatique, diplomatique,
militaire). Il serait piloté par et depuis Israël. La puissance de ce lobby s’explique car d’une
part, le principe de lobbying est encouragé outre-Atlantique, et d’autre part, car il réunit les
conditions nécessaires à son infiltration : une solidarité active envers Israël, des masses
votantes et militantes et des fonds considérables. Il alimente certains fantasmes, comme le fait
qu’il contrôlerait les finances mondiales par le biais d’agents situés dans toutes les capitales du
monde, pour le compte d’Israël, des Juifs eux-mêmes, et pour des raisons de politique
intérieure américaine. Pour illustration, pendant les vingt-cinq dernières années, l’AIPAC 36 a
œuvré à torpiller les efforts des présidents américains pour la paix au Moyen-Orient. La
domination légendaire de ce groupe de pression belliciste sur la politique extérieure
américaine est en train de régresser, à la faveur de la montée en puissance d’un lobby créé il y
34
Source : http://mormonsfor8.com/
Un juif n’est pas forcément sioniste et un sioniste n’est pas forcément juif. Beaucoup de juifs américains sont
contre le lobby sioniste, d’autres en revanche, non juifs, comme la Christian Evangelicals, le soutiennent corps
et âme.
36
L’AIPAC (American Israel Public Affairs Commitee), créé en 1951 à Washington, dispose d’un budget de 80
millions US$ et d’une vaste influence dans les milieux politiques et les centres de décisions américains. Chargé
d'influencer le Congrès, il est considéré par ses détracteurs comme l'instrument qui a forgé pendant des
décennies la politique étrangère américaine au Proche-Orient.
35
Pauline Vettier
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Année universitaire 2008/2009
a un an, pro-paix et moins convaincu du risque de disparition d'Israël : J Street 37 . Il souhaite
donner la parole à la majorité de la communauté juive américaine libérale et ouverte qui est
contre la guerre d’Irak et mettre fin à l’influence de l’AIPAC sur la politique étrangère
américaine, qui la tient pour responsable du prolongement du conflit au Moyen-Orient.
Fig.7 – Symboles de J Street et de l’AIPAC
La parution en ligne en mars 2006 d’une étude universitaire de plus de 80 pages intitulée «The
Israel Lobby and U. S. Foreign Policy » 38 , réalisée par deux spécialistes de sciences politiques, John J.
Mearsheimer et Stephen M. Walt de l’université John F. Kennedy de Harvard, a permis de lever le
voile et de forcer à un débat public sur un tabou national. Ces Professeurs jusque-là peu engagés dans
les polémiques sur le Proche-Orient et jouissant d’un grand prestige estiment que le soutien des ÉtatsUnis à Israël n'est pas fondé sur des raisons stratégiques, mais s'explique par la pression des lobbies
juifs de droite, des groupes chrétiens fondamentalistes et des néo-conservateurs favorables aux idées
sionistes.
Toutefois, l’influence et l’ampleur de tels lobbies religieux sur le gouvernement américain est
à modérer et à remettre dans le contexte. En effet, les lobbies les plus influents ne sont pas liés au
« grand capital » ou aux grandes entreprises comme on l’imagine souvent de manière simpliste en
Europe. Le philosophe, écrivain et journaliste français Jean-François Revel dans son essai
« L’obsession anti-américaine » 39 , rappelle qu’« exercent une influence beaucoup plus forte sur le
pouvoir fédéral le lobby des personnes retraitées (AARP), celui des agriculteurs, redoutable dans tous
les pays développés, celui de l’Association américaine des employés des États, des comtés et des
municipalités, ou encore celui de l’Association des hôtels et villégiatures, sans oublier le lobby du
port d’armes [la National Rifle Association]. »
Il reste à savoir en quoi la politique américaine serait différente si les lobbies - notamment religieux,
n’existaient pas ?
Après avoir décrit l’influence des mouvements religieux dans le domaine de la politique,
observons-la dans celui du commerce.
37
À sa création en avril 2008, J Street était constituée de trois personnes et d’un petit budget. Il est parvenu à
attirer cent co-parrains du « Congress » et table sur une augmentation de son budget pour atteindre US$ 3
millions pendant sa deuxième année. Son nom est une référence aux racines juives de ses membres et à la rue
‘K’ de Washington, qui constitue l’épicentre de la vaste industrie d’incitation américaine (et est aussi le fief de
l’AIPAC !).
38
« Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine »
39
Aux éditions Plon, 2002
Pauline Vettier
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31. Master 1 EIPP
Année universitaire 2008/2009
C. Les mouvements religieux et leurs influences dans le commerce
Comme nous allons le voir, le lien entre religions et commerce est fondé et ancestral. De fait,
dans certains cas, le religieux fait directement l’objet de commerce. Trois exemples illustrent ces
propos : le commerce réalisé autour d’un livre saint, de pèlerinages religieux et d’alimentation
conforme aux exigences religieuses.
Quel est le premier livre qui soit sorti des presses de Gutenberg en 1452-55, le livre le plus
vendu au monde, le livre traduit dans le plus de langues, le plus grand best seller de tous les temps ?
La Bible ! En effet, toutes catégories et époques confondues, ses ventes on été estimées entre 2.5
milliards 40 et plus de 6 milliards d’exemplaires 41 . Au 31 décembre 2007, la Bible, en totalité ou en
partie, avait été traduite en 2.479 langues ou dialectes 42 ; 95 % des êtres humains ont désormais accès
à la Bible dans une langue qu’ils comprennent. À ce jour, on estime à 40 millions le nombre de bibles
distribuées chaque année, dont 280 000 en France. Aucun ouvrage à travers le monde n'a jamais fait
l’objet d’un tirage aussi important et constant au fil des siècles. Une grande partie de cette diffusion est
due aux distributions par les Églises ou les sociétés bibliques. D’après une étude de 2008 43 , 75 % des
Américains, 38 % des Polonais et 21 % des Français déclarent avoir lu au moins un passage de la
Bible au cours de l’année passée. Plus de la moitié des Français ne possèdent pas de Bible chez eux,
contre 15 % des Polonais et 7 % des Américains 44 .
D’autre part, les pèlerinages sont l’une des plus vieilles formes de migration touristique qui se
produise encore de nos jours. L'histoire des pèlerinages est aussi longue que celle de l'histoire des
religions. Aujourd’hui, le tourisme religieux fait partie intégrante de l’industrie du tourisme, dont il
constitue une importante source de revenus : les pèlerinages sont pratiqués dans toutes les religions par
des millions de pèlerins chaque année, et ce depuis des centenaires. Ils génèrent beaucoup de frais et
de dépenses, à travers les déplacements (avion, train, car, voiture…), l’hôtellerie et la restauration, les
frais d’agence si le pèlerinage est réservé par un organisme, sans oublier les achats d’objets religieux
ou de ‘souvenirs’ effectués par les pèlerins sur place ou en amont (livres, tapis de prière, chapelets,
effigies, statues, vêtements, bijoux…) et les dons et offrandes dont les montants s’élèvent en millions
de dollars sur les différents sites de pèlerinages. De nombreuses agences de voyages sont d’ailleurs
spécialisées dans ce type de tourisme aujourd’hui, comme Pilgrimage Travel & Tours et Mission
Travel Group en Australie, Blue Heart Travel au Royaume-Unis, Travel Tyme Pilgrimages et
40
41
42
Business week : “The Bible (2.5 billion copies sold)”, 18-07-2005
The Top 10 of Everything 2002 d’Russell Ash “The ten bestselling books of all time”
Source : l’Alliance Biblique Française, http://www.la-bible.net/page.php?ref=RAPPORTABU2
Étude réalisée pour le compte de la Fédération biblique catholique internationale dans neuf pays, intitulée
« Une lecture des Écritures dans certains pays » et éditée en 2008
44
Delphine de Mallevoüe et Hervé Yannou, « La France mauvaise élève pour la connaissance de la Bible », dans
Le Figaro du 28-04-2008
43
Pauline Vettier
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32. Master 1 EIPP
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Renaissance Pilgrimages aux États-Unis, Autre Voyage et Terre Entière en France... Le pèlerinage
peut aussi constituer une importante source de développement pour une région : c'est la présence de
Lourdes qui a fait rapidement de Pau un aéroport international.
Les principaux lieux de pèlerinage sont 45 :
•
pour les bouddhistes, l'arbre de la Bodhi (Bodh-Gaya, Inde) : c'est sous son feuillage que
Bouddha, le fondateur du bouddhisme, a atteint la Bodhi, l'Eveil ou connaissance suprême.
C’est l’un des quatre lieux saints concernant les faits historiques liés à la vie de Gautama
Bouddha et 100.000 pèlerins et touristes y convergent chaque année ;
•
pour les hindous, Allahabad, une ville qui se trouve au confluent de deux fleuves sacrés de
l'hindouisme : la Yamuna et le Gange. Tous les douze ans un grand pèlerinage s’y tient : en
2001, 70 millions de personnes se sont succédées sur les rives du Gange en trois semaines ;
•
pour les juifs, le concept de pèlerinage n'existant pas. On ne peut parler de tourisme religieux
juif au sens strict du terme, mais de tourisme juif lié à l'identité juive, qui se traduit par la
quête de l'histoire et de l’identité du peuple juif, la visite des lieux qui ont marqué son histoire
et qui jouent un rôle symbolique très important, comme le Mur des Lamentations à Jérusalem.
Chaque année 110.000 passagers partent de France vers Israël, dont 80% sont juifs ;
•
pour les musulmans, le pèlerinage à La Mecque en Arabie Saoudite - le hajj - est l'un des cinq
piliers de l'islam. Tous les musulmans aptes devraient si possible le faire au moins une fois
dans leur vie. En moyenne, la Mecque est visitée annuellement par plus de 800.000 pèlerins
étrangers et par 1 million d'habitants de l'Arabie saoudite (en 2004 : 2.1 millions de pèlerins
dont 1.5 millions venus de l’étranger et 620.000 de l’intérieur du Royaume) ;
•
les principaux pèlerinages chrétiens sont : Jérusalem et la Terre Sainte, c’est-à-dire Israël et
Palestine (les plus anciennes descriptions de pèlerinage en Terre Sainte remontent au
IVe siècle), Rome et le Vatican (environ 30 millions de pèlerins par an), Guadalupe au
Mexique (10 à 20 millions de pèlerins par an), le pèlerinage de Lourdes (environ 6 millions de
pèlerins par an), Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne (4 et 8 millions de pèlerins et
touristes chaque année, sachant que le nombre maximum de pèlerins arrivés à Compostelle à
pied, à cheval ou en vélo a été de 200.000 en 2004).
Enfin, le religieux fait également l’objet de commerce dans l’exemple suivant : en pleine
croissance, le créneau du halal 46 attise aujourd’hui la convoitise des industries agroalimentaires et de
45
Source des données : « Le Tourisme religieux en France, en Europe et dans le Monde » sur
http://geotourweb.com/nouvelle_page_133.htm
Pauline Vettier
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33. Master 1 EIPP
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la grande distribution. Ainsi, Socopa, Doux, Duc, Soviba ou Charal ont créé leur département halal,
aménagé leurs abattoirs aux normes, abattent les bêtes en présence de sacrificateurs agréés et de
vétérinaires, et fournissent en viande halal les enseignes de la grande distribution (Carrefour, Super U,
Géant casino, Auchan, Leclerc…). En France, les gammes estampillées halal se sont considérablement
étoffées depuis le milieu des années 1990, en viandes (ovins, bovins et volailles) mais surtout en plats
cuisinés (charcuteries, foie gras, sandwichs, paella, pizza, moussaka etc.).
L’enjeu ? Un marché juteux et en pleine croissance, comme l’illustrent ces chiffres et données [6] : il
y a quatre à cinq millions de musulmans en France, dont trois à quatre millions de consommateurs
potentiels ; il s’agit donc d’un marché estimé, au minimum, à deux milliards d’euros et qui ne génère
pas moins de soixante millions d’euros par an pour les œuvres caritatives musulmanes. La
consommation de produits halals serait en progression de 15% par an depuis 1998 et 9.000 boucheries
musulmanes en France, pour la plupart situées en région parisienne et dans le sud-est du pays, auraient
la ‘mainmise’ sur le marché du halal. Les boucheries musulmanes traditionnelles du pays contrôlent
80% des ventes de viande halal en volume, les 20% restant étant couvert par la grande distribution.
Seules trois mosquées sont habilitées par l’État depuis les années 1990 à délivrer des cartes de
sacrificateur religieux : la Grande mosquée de Paris, la mosquée de Lyon et celle d’EvryCourcouronne. Mais l’absence d’une réglementation spécifique sur les logos halals et d’un cahier des
charges précis est déplorée tant par la répression des fraudes que par les consommateurs. Ainsi, des
opérateurs et des certificateurs privés prolifèrent, libérés du joug religieux et profitant du flou
juridique, donnant naissance à des marques comme Islamondial, Isladélice, Médina Halal…
Fig.8 – Campagne Sodeb’O « Développez vos ventes avec l’offre de sandwiches Halal »
Source : http://www.sandwichshows.com/
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Voir définition dans le glossaire p.36-37
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De la même façon, Beurger King Muslim, Mak d'hal, Boum Burger, Dixy Chicken, Kool halal
sont autant de chaînes de restauration rapide qui se sont récemment infiltrées dans une brèche du
marché jusqu’alors non exploité : proposer une carte de produits halals uniquement. Les buts
recherchés sont nombreux : satisfaire les besoins de la clientèle, concurrencer Mac Donald’s sur le
terrain de la restauration rapide, mettre en place d’un réseau de franchisés, jouer la carte
communautaire avec d'autres restaurants, employer des personnes subissant une discrimination sur le
marché de l’emploi (dont les femmes portant un foulard), concurrencer la restauration kasher qui a de
l'avance sur la restauration halal tant par le nombre de ses restaurants (plus de 230 en région
parisienne), que par solidarité communautaire contre le géant américain.
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Année universitaire 2008/2009
CONCLUSION
Qu’il soit dû à un « choc des civilisations » ou à l’actualisation des enjeux religieux en
contexte de modernité avancée, le phénomène religieux est (re)devenu un élément clé de la
compréhension et des solutions possibles aux grandes questions des relations internationales
contemporaines, notamment parce qu’il constitue un excellent indicateur des processus de
mondialisation à l’œuvre, évoluant au cœur de la géopolitique et de l’actualité internationale où il
élargit toujours plus ses champs de manifestation.
Si l’humanitaire moderne est avant tout laïc et apolitique, au service d’une cause universelle,
les mouvements religieux s’y sont invités, répondant à leur devoir d’aide à autrui à travers la mise en
place d’ONG confessionnelles, auxquels ils s’apparentent par des similitudes et desquels ils se
distinguent dans certains cas. L’évolution des ONGc comme actrices du système international, en
parallèle à la hausse des enjeux mondiaux liés à la globalisation, s’est répercutée sur la sphère
humanitaire : utilisation de ces organisations comme outil d’influence du groupe religieux auquel elles
appartiennent, stratégies de conversion religieuse et de prosélytisme, préférence de certaines
populations à traiter dans des situations critiques, « politisation » de leur activité caritative …
De même, les mouvements religieux, souvent à travers les lobbies, tentent de s’imposer par
tous les moyens dans des domaines stratégiques tels que la politique, la finance et l’économie ou
encore le commerce. Leur présence et leur influence croissantes ont provoqué une transformation de la
dynamique religieuse dans la sphère publique, qui se répercute sur les institutions, y compris celles des
pays laïcs : en France par exemple, les politiques de reconnaissance et le dialogue interreligieux sont
plus que jamais à l’ordre du jour de l’agenda politico-juridique. Les mouvements religieux exercent
donc bel et bien des influences géo-économiques importantes à l’échelle planétaire, dont les
résonnances et les implications se retrouvent sur la scène internationale.
« Toutes les religions se valent et sont également bonnes si les gens qui les professent sont
d'honnêtes gens », disait Frédéric II le Grand en 1740 dans Réponse à une question du directeur des
cultes. Si la globalisation a permis de renforcer la proximité, les rapports et la coopération
interethnique entre les différentes communautés, le dialogue culturel juste et non biaisé, lui, est resté à
la marge, laissant parfois s’installer une distorsion de l’image des religions. Serait-ce donc un des
éléments à changer pour maintenir la paix dans le processus de globalisation en cours ?
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