Pathologie respiratoire. agents bactériens impliqués dans les bpi des bovins
1. Se former / COURS /
PATHOLOGIE RESPIRATOIRE
Agents bactériens impliqués
dans les BPI des bovins
Les pasteurelles (Mannheimia haemolytica et Pasteurella multocida) et
les mycoplasmes (Mycoplasma bovis) sont les principaux agents bactériens
impliqués dans les affections de l’appareil respiratoire profond des bovins.
par Alain Douart
Médecine des animaux
d’élevage, ENVN,Atlanpole La
Chantrerie, BP 40706, 44307
Nantes Cedex 03
es bronchopneumonies infectieuses
(BPI) des jeunes bovins relèvent le plus
souvent d’une étiologie complexe où
interagissent de manière séquentielle
et synergique trois types de facteurs :
❶ des facteurs prédisposants : anatomie de
l’appareil respiratoire, immaturité physiolo-gique
et fonctionnelle de l’appareil respiratoire
des jeunes bovins, en particulier dans les races
dites “viandeuses” ;
❷ des facteurs favorisants, qui agissent soit en
augmentant les risques de contamination des
animaux, soit en diminuant leurs moyens de
défense générale ou locale ;
❸ des agents microbiens, qui, même s’ils ne
peuvent pas le plus souvent agir isolément,
restent les éléments indispensables des attein-tes
de l’appareil respiratoire profond des bovins.
Les agents microbiens impliqués dans ces
bronchopneumonies sont de nature virale
(VRSB, virus PI3, coronavirus, BVDV, BHV1,
etc.) ou bactérienne. De très nombreuses
espèces bactériennes peuvent être isolées de
lésions pulmonaires lors d’évolution de BPI.
Celles-ci sont responsables de la gravité des
lésions, du passage à la chronicité et de l’appa-rition
de non-valeurs économiques. Les
bactéries les plus fréquemment isolées des
poumons de bovins malades sont des pasteu-relles
: Mannheimia haemolytica et Pasteurella
multocida. D’autres bactéries sont également
isolées, entre autres des mycoplasmes
(Mycoplasma bovis), des corynébactéries
(Arcanobacterium pyogenes), des salmonelles
(Salmonella Typhimurium) et une autre bactérie
de la famille des Pasteurellacae, Haemophilus
somnus(1).
Les pasteurelles
Les pasteurelles sont à l’évidence, par leur
fréquence d’isolement (l’essentiel des souches
bactériennes isolées lors de troubles respira-toires
chez les jeunes bovins appartient à l’une
des deux espèces bactériennes citées) et l’impor-tance
de leur pouvoir pathogène, les bactéries
qui méritent le plus d’attention. Les pasteurel-les
sont des hôtes normaux du nasopharynx des
bovins, où elles vivent en germes commensaux
chez nombre d’entre eux, sous forme de flore
26 Le Point Vétérinaire / N° 231 / Décembre 2002 /
Résistance de Mannheimia
haemolytica dans le milieu extérieur
Milieu Résistance
dominée. Le veau se contamine très tôt après
sa naissance, sans doute par contact nez à nez
avec sa mère.
1. Mannheimia haemolytica
Mannheimia haemolytica est la pasteurelle
réputée la plus pathogène chez les bovins (voir
l’ENCADRÉ “De Pasteurella à Mannheimia”).
Cependant, même s’il semble exister des
souches de M. haemolytica dont le pouvoir
pathogène est suffisant pour qu’elles soient des
agents pathogènes primaires, le plus souvent,
la “pasteurellose” est secondaire, soit à une
primo-infection virale ou mycoplasmique, soit
à tout autre facteur d’agression des systèmes
de défense de l’animal (stress, ambiance
délétère).
D’une manière générale, l’administration de
M. haemolytica par voie nasale chez des
animaux sains est peu probante : les bactéries
qui pénètrent jusqu’au poumon sont rapide-ment
éliminées (90 % en quatre heures), avec
tout au plus l’apparition d’une fièvre transitoire
et d’une infiltration neutrophilique discrète du
poumon. Le “shunt” des premières voies
respiratoires permet une reproduction plus
aisée des lésions pulmonaires de pasteurellose.
Au bilan, M. haemolytica, sans satisfaire pleine-ment
à la rigueur des postulats de Koch,
apparaît néanmoins comme un agent pathogène
majeur.
Mannheimia haemolytica est un parasite ou un
commensal obligatoire des bovins et des ovins.
Toutes les souches sont isolées chez les bovins
et chez les ovins. La bactérie n’est pas retrouvée
dans le milieu extérieur, sauf lorsque celui-ci
est contaminé par un animal excréteur. Sa
Même s’ils ne peuvent L
pas le plus souvent agir
isolément, les agents microbi-ens
sont les éléments essen-tiels
des bronchopneumonies
infectieuses des jeunes bovins.
Parmi les bactéries, les pas-teurelles
sont celles qui sont
le plus fréquemment isolées.
Deux espèces jouent un rôle
particulièrement important :
Mannheimia haemolytica et
Pasteurella multocida. Les
sérotypes 1 et 6 de M. hae-molytica
(PhA1, PhA6) possè-dent
de nombreux facteurs de
virulence. La leucotoxine joue
un rôle pathogène détermi-nant
et est un support impor-tant
de l’immunité. Des myco-plasmes
sont fréquemment
isolés des poumons de bovins
atteints de troubles respira-toires.
Les différentes espèces
isolées ne possèdent pas le
même pouvoir pathogène.
Parmi les mycoplasmes fré-quemment
isolés, certains ne
possèdent pas de pouvoir
pathogène ou génèrent tout
au plus une infection subcli-nique.
Seul M. bovis possède
un réel pouvoir pathogène.
Des formes pulmonaires de
salmonellose atteignent
essentiellement les veaux de
boucherie, en élevage inten-sif.
Salmonella Typhimurium
est le sérovar le plus couram-ment
isolé.
u
Résumé
Plan de travail en bois 1 heure
Paille à 20 °C 24 heures
Paille à 4 °C 48 heures
Eau à 20 °C 3 jours
Eau à 4 °C 7 jours
2. De Pasteurella à Mannheimia
! Au sein de l’ex-espèce bactérienne
Pasteurella haemolytica, trois biotypes
(“bioviars”) étaient reconnus :
- le biotype A pour les souches fermen-tant
- le biotype T pour les souches fermentant
le tréhalose, mais pas l’arabinose ;
- un troisième biotype réunissant les
souches n’appartenant ni au biotype A, ni
au biotype T.
! Par taxonomie numérique, il a été montré
que les souches des biotypes A et T sont
distinctes, d’où la proposition, faite en
1990, d’appeler les souches tréhalose-positives
(biotype T) Pasteurella trehalosi
et celle, faite en 1999, de dénommer les
souches appartenant au biotype A
Mannheimia haemolytica, terme qui doit
être maintenant utilisé.
D’autres études (hybridation ADN-ARN)
tendent à rapprocher Pasteurella haemoly-tica
d’un autre genre de la famille des
Pasteurellacae, le genre Actinobacillus (les
genres Pasteurella et Actinobacillus sont
en effet très proches, aussi est-il particu-lièrement
intéressant de comparer les
facteurs de pathogénicité d’Actinobacillus
pleuropneumoniae, agent pathogène du
porc, à ceux de M. haemolytica).
! Le biotype A (Mannheimia haemolytica)
constitue le biotype le plus important en
pathologie respiratoire des bovins. Chez
le mouton, le biotype A (Mannheimia
haemolytica) est largement impliqué dans
les problèmes respiratoires (pneumonie
enzootique) et le biotype T (Pasteurella
trehalosi) est responsable de la pasteurel-lose
septicémique.
(1) Haemophilus somnus,
bactérie de la famille des
Pasteurellacae, est reconnue
de première importance
dans les feed-lots d’Amérique
du Nord. Il n’est pas
exceptionnel de l’isoler
dans la mesure où certaines
précautions sont prises
par le laboratoire.
ATTENTION
• Le biosérotype A1
de M. haemolytica
est le plus souvent isolé
lors d’atteinte respiratoire
profonde.
• Le biosérotype A2
est le plus fréquemment
isolé du nasopharynx
des animaux sains.
• Le biosérotype A6
est de plus en plus souvent
isolé des poumons
pathologiques de bovins.
!
/ N° 231 / Décembre 2002 / Le Point Vétérinaire 27
résistance dans le milieu extérieur est faible.
Elle est augmentée par le froid ou l’humidité
(voir le TABLEAU “Résistance de Mannheimia
haemolytica dans le milieu extérieur”).
Par hémagglutination passive, il est possible de
définir dix-sept sérotypes au sein de l’ex-espèce
Pasteurella haemolytica. Il existe une corréla-tion
entre les biotypes et les sérotypes : les
sérotypes 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 16 et 19
appartiennent au biotype A, c’est-à-dire à
l’actuelle espèce Mannheimia haemolytica.
Certains sérotypes (notamment les sérotypes 1
et 2) sont des hôtes normaux des voies respira-toires.
Cependant, M. haemolytica (et ses séroty-pes
1 et 2) ne constitue pas la flore dominante
des premières voies respiratoires, et est souvent
difficile à isoler à partir d’écouvillonnages
nasaux pratiqués chez des animaux en bonne
santé.
Le sérotype 2 est le plus fréquemment isolé du
nasopharynx des animaux sains. Le sérotype 1
a été pendant longtemps le plus souvent isolé
lors d’atteinte respiratoire profonde, d’où le
terme de pasteurellose à Mannheimia haemoly-tica
1 (Pasteurella haemolytica A1). Le sérotype
6 est également isolé de plus en plus fréquem-ment
depuis quelques années.
! Le sérotype 1 (ex-Pasteurella haemolytica A1)
• Facteurs de virulence de Mannheimia
haemolytica 1 (PhA1)
Mannheimia haemolytica 1 tire son pouvoir
pathogène de multiples facteurs de virulence.
Les souches isolées de matériel pathologique
possèdent en particulier :
- des fimbriae (ou pili), qui permettent, semble-t-
il, une adhésion au niveau des voies respira-toires
supérieures, facilitant la colonisation de
l’épithélium pulmonaire ;
- un polysaccharide de capsule (dont la
composition chimique varie selon les séroty-pes).
La capsule, volumineuse chez les souches
isolées de matériel pathologique, permet l’atta-chement
aux cellules épithéliales et est chimio-tactique
pour les polynucléaires neutrophiles,
tout en s’opposant à la phagocytose (diminu-tion
de l’ingestion, résistance à la bactéricidie).
Elle s’oppose également à l’action lytique du
complément.
Les fimbriae et le matériel capsulaire sont
fortement représentés lorsque les bactéries sont
en phase de multiplication ;
- le LPS, qui, localement, via l’activation de la
voie alterne du complément, la stimulation de
la synthèse de cytokines (IL-1b, TNFa, IL-8) et
la stimulation de la synthèse des métabolites
de l’acide arachidonique par les macrophages,
provoque une inflammation avec infiltration
cellulaire, notamment par des neutrophiles. Le
rôle du LPS, dans le chimiotactisme des neutro-philes,
donc dans la genèse des lésions, est
important. Il ne semble pas cependant que,
dans le cadre particulier des pasteurelloses
respiratoires, il ait des effets systémiques
majeurs, à moins d’une rupture de l’intégrité de
la muqueuse respiratoire ;
- des protéines de membrane (Outer Membrane
Protein, OMP), qui inhibent la phagocytose des
l’arabinose mais pas le tréhalose ;
neutrophiles et la lyse des bactéries ingérées.
Mannheimia haemolytica 1 sécrète de nombreu-ses
enzymes (protéases, neuraminidases), qui
peuvent faciliter la colonisation des muqueu-ses,
ainsi qu’une leucotoxine.
La leucotoxine de M. haemolytica est une
exotoxine thermolabile, classée parmi les “repeat
in the structural toxin” (RTX) en raison de sa
structure. Elle est produite seulement par la
bactérie métaboliquement active (pendant la
phase exponentielle de la croissance
bactérienne).
La leucotoxine est chimiotactique pour les
leucocytes (et particulièrement pour les polynu-cléaires
neutrophiles), ce qui induit un recrute-ment
cellulaire et, secondairement, une
aggravation des lésions pulmonaires.
En effet, la leucotoxine est une cytolysine qui,
en formant des pores dans les membranes des
cellules cibles (uniquement macrophages,
leucocytes, thrombocytes des ruminants) ou
par apoptose, entraîne leur destruction et la
libération de nombreuses substances phlogo-gènes
(enzymes protéolytiques, radicaux libres
oxygénés, eicosanoïdes, histamine). À moindre
dose, elle favorise la dégranulation des polynu-cléaires
neutrophiles, ainsi que l’agrégation et
l’activation des plaquettes (avec thrombose
vasculaire et exsudation fibrineuse). Elle
provoque une importante réaction inflamma-toire
locale (oedème et dépôt de fibrine).
L’importance de la leucotoxine est mise en
évidence par l’existence de mutants bactériens
incapables de synthétiser cette toxine et qui,
expérimentalement, sont moins pathogènes
pour les bovins.
• Pathogénie de l’infection
à Mannheimia haemolytica 1 (PhA1)
L’expression du pouvoir pathogène de Mannhei-mia
haemolytica 1 est conditionnée par une
première multiplication locale (dans le
nasopharynx) des germes (donc par leur
augmentation dans les sécrétions), concomi-tante
d’une altération des mécanismes de
défense de l’appareil respiratoire. La rupture
d’équilibre entre les bactéries commensales et !!
3. Se former / COURS /
l’hôte trouve son origine dans les stress de
transport (“shipping fever”), les regroupements
d’animaux (“crowding disease”) (PHOTO 1), les
mauvaises conditions climatiques ou les
brusques changements d’alimentation. Les
infections respiratoires virales ou mycoplas-miques
constituent d’autres facteurs favorisants
dont l’importance est prouvée expérimentale-ment
par l’obtention plus aisée de lésions
pulmonaires typiques chez les animaux soumis
à un brusque changement climatique ou préala-blement
inoculés avec un virus respiratoire.
Grâce à ses facteurs d’attachement (pili, capsule
en particulier), Mannheimia haemolytica 1
adhère à l’épithélium, et ce d’autant plus facile-ment
qu’un agent pathogène primaire (viral par
exemple) a lésé préalablement la muqueuse.
L’ensemencement secondaire de l’appareil
respiratoire profond, par inhalation d’aérosols
infectieux, conduit à la maladie. L’inflamma-tion
qui résulte de la multiplication du germe
dans le poumon s’accompagne d’un afflux
massif de polynucléaires neutrophiles. Ceux-ci,
ainsi que les cellules de l’immunité spécifique
cellulaire (lymphocytes, macrophages alvéolai-res)
sont détruits par la leucotoxine sécrétée
alors par Mannheimia haemolytica 1 en phase
de pleine multiplication. Cela favorise la
multiplication bactérienne, de même que la
libération des enzymes intracellulaires exacerbe
la réponse inflammatoire.
De cette réaction suicidaire (par réaction
inflammatoire incontrôlée) résultent les lésions
typiques de pneumonie broncho-alvéolaire
fibrineuse ou fibrinohémorragique avec
présence de foyers de nécrose (PHOTO 2).
La localisation préférentielle des lésions est, pour
des raisons anatomiques, cranioventrale. Le tiers
antéroventral du poumon est préférentiellement
atteint. Les lésions pulmonaires sont
symétriques, largement exsudatives et fibrineu-ses
(PHOTO 3), ce qui les distingue des lésions
d’origine virale. Elles sont souvent accompagnées
de lésions de pleurésie fibrineuse, ce qui entraîne
des adhérences entre lobes ou entre plèvres. Les
ganglions médiastinaux sont hypertrophiés et
succulents. Après section des lobes pulmonaires
atteints, la coupe révèle un aspect hétérogène dû
à des zones hémorragiques, à des zones de
nécrose et à des zones de consolidation. La
nécrose de coagulation est la lésion la plus
caractéristique de la pasteurellose à Mannhei-mia
haemolytica. Les foyers de nécrose sont
rouge sombre, à contours irréguliers, strictement
limités par un liseré blanchâtre. Les lésions
inflammatoires sont prédominantes, et sont
mises en évidence par la présence d’un exsudat
sérofibrineux dans les espaces interlobulaires et
celle d’une pleurésie fibrineuse. À la pression, les
bronches laissent sourdre du liquide, muqueux
ou purulent, voire hémorragique (présence de
caillots). L’analyse histologique confirme la
nature inflammatoire des lésions et permet de
décrire des lésions caractéristiques (avec une
zone centrale nécrotique entourée d’une couche
dense de cellules à l’aspect particulier, dites
“cellules en grains d’avoine”, ou oat-cells).
• Immunité
Dans le poumon sain, la cellule de défense la
plus importante est le macrophage alvéolaire
qui assure, avec les anticorps opsonisants, la
première ligne de défense.
L’immunité spécifique envers Mannheimia
haemolyticaa est dirigée contre la leucotoxine,
les antigènes de capsule et les autres antigènes
de surface.
La leucotoxine est un support essentiel de
l’immunité. La capacité de résistance des
animaux à la pasteurellose à Mannheimia
haemolytica est corrélée à leur titre en anticorps
circulants qui neutralisent la leucotoxine. La
classe d’anticorps qui semble la plus active est
celle des IgG, cet isotype étant prédominant
dans le poumon, par passage des anticorps du
sérum lors d’inflammation pulmonaire. Les IgA
(immunité locale) semblent peu efficaces. S’ils
sont nécessaires à la protection, les anticorps
antileucotoxine ne sont cependant pas
suffisants. Ainsi, les anticorps recombinants
antileucotoxine seuls ne protègent pas contre
une épreuve virulente expérimentale. Même si
la résistance à une exposition expérimentale est
largement corrélée au titre en anticorps neutra-lisant
la leucotoxine, présents dans le sérum,
28 Le Point Vétérinaire / N° 231 / Décembre 2002 /
!!
PHOTO 1. La mise en lot des jeunes bovins est un facteur
favorisant de l’expression des pasteurelloses.
Cliché : A. Douart
PHOTO 2. Lésions de pneumonie fibrinohémorragique
avec présence de foyers de nécrose.
Cliché : A. Douart
ATTENTION
• La leucotoxine
est un support important
de l’immunité contre
M. haemolytica.
• Les anticorps
antileucotoxine
de M. haemolytica A1
protègent contre
la leucotoxine
des autres sérotypes.
!
4. Classification physiopathologique
des troubles respiratoires des bovins
/ N° 231 / Décembre 2002 / Le Point Vétérinaire 29
d’autres antigènes, en particulier des antigènes
de surface de la bactérie, participent cependant
à l’apparition d’une immunité protectrice.
La leucotoxine n’est jamais produite en grande
quantité par l’animal sain. M. haemolytica n’est
alors qu’une bactérie commensale, “dominée”,
de la flore normale du nasopharynx et
n’exprime pas ou peu ses capacités de synthèse
de la leucotoxine. Les animaux qui n’ont pas
été atteints d’une infection de l’appareil respira-toire
profond par Mannheimia haemolytica
n’ont donc que fort peu d’anticorps antileuco-toxine,
le site majeur de la réponse immune
étant le poumon. Les animaux “naturellement”
immunisés ont probablement fait l’objet d’une
infection pulmonaire subclinique, laquelle a
induit une réponse immune à ce niveau.
Les anticorps anticapsule complètent l’action
des anticorps antileucotoxine, en favorisant
l’opsonisation, sous la protection d’une neutra-lisation
de la leucotoxine.
Les fimbriae, seuls, induisent une protection
incomplète, mais participent à la protection
conférée par les vaccins mis sur le marché au
cours des dernières années.
Ceux-ci, réalisés à partir d’un surnageant de
culture en phase logarithmique de croissance
contenant des fimbriae, du matériel capsulaire
et de la leucotoxine, induisent la production
d’un ensemble d’anticorps agglutinants, opsoni-sants,
anticapsulaires et neutralisant la toxine.
Les anticorps dirigés contre le LPS n’ont aucune
efficacité pour protéger les animaux d’une
infection expérimentale. C’est pourquoi les
organismes bactériens (et le LPS) ont été
éliminés des derniers vaccins commercialisés,
ce qui supprime nombre d’effets secondaires
défavorables.
! Les autres sérovars
Le sérotype 6 est de plus en plus souvent isolé
des poumons pathologiques de bovins, qu’il
s’agisse de veaux ou de broutards.
La comparaison des groupages capsulaires
réalisés, dans la première moitié des années
1990, par hémagglutination passive, au Labora-toire
national de pathologie bovine (actuelle-ment
Afssa-Lyon) sur les souches françaises
d’origine bovine montrait que, chez les bovins,
le sérotype A1 de Pasteurella haemolytica
prédominait très nettement. Un bilan récent
réalisé sur soixante-cinq isolats issus de bovins
d’origine française, reçus entre 1997 et 2000 et
typés à l’Afssa-Lyon, montre qu’au cours de ces
dernières années le sérotype 6 a progressé
notablement, le pourcentage de souches A6
devenant proche de celui des souches A1. Selon
J.-L. Martel, directeur de l’Afssa-Lyon, deux
points doivent être précisés : d’une part, de
nombreuses souches (environ un tiers) ne sont
pas typables par hémagglutination passive ;
d’autre part, les souches typées n’ont pas été
collectées dans le cadre d’études épidémiolo-giques
spécifiques et, en conséquence, les
résultats obtenus ne sont qu’une indication de
la fréquence relative de certains groupes
capsulaires en pathologie.
Toutefois, pour les souches d’origine bovine
reçues au laboratoire de Lyon, les critères de
recrutement étaient similaires au cours des
périodes antérieures (isolements dans un
contexte pathologique et, en général, sélection
des souches résistantes aux antibiotiques) et la
progression du type A6 reflète une réelle
tendance épidémiologique.
D’autres études étayent ces résultats. Ainsi, 48 %
des cent douze souches isolées chez des bovins
malades par lavage broncho-alvéolaire, entre
1991 et 1998 en Europe (principalement en
France), appartiennent au sérotype A6, contre
44 % pour le sérotype A1.
Ce phénomène est constaté également dans les
quelques rares pays où le typage capsulaire est
réalisé. Au Royaume-Uni, le sérotype A6
représente 32 % des isolements pour la période
!!
PHOTO 3. Les lésions pulmonaires lors de bronchopneumonie infectieuse
sont symétriques, exsudatives et fibrineuses. Elles intéressent surtout le tiers
antéroventral du poumon.
Cliché : A. Douart
Selon P. Lekeux, les bronchopneumonies
infectieuses peuvent être scindées en
quatre stades cliniques, selon la sévérité
de la maladie, les mécanismes physiopa-thologiques
mis en oeuvre et le niveau de
réversibilité.
! Le stade 1 décrit la maladie subclinique.
Les mécanismes de défense physiolo-giques
fonctionnent alors de manière
adéquate. La prolifération bactérienne est
contrôlée sans réaction inflammatoire
significative. Il n’y a pas ou peu de dysfonc-tionnement
pulmonaire, les symptômes
sont discrets.
! Le stade 2 correspond à la maladie
clinique compensée. Les différents
mécanismes mis en jeu tendent à limiter
l’atteinte fonctionnelle chez l’animal
malade. La résultante de ces processus
est la correction des perturbations des
échanges gazeux. À ce stade, la réaction
inflammatoire et les adaptations fonction-nelles
induites par la prolifération
bactérienne sont bénéfiques. Il n’y a pas
lieu de les inhiber systématiquement.
! Le stade 3 est la maladie clinique
décompensée. La réponse de l’animal
malade à l’agression bactérienne tend à
aggraver le déficit fonctionnel. L’animal est
plus affecté par ces dysfonctionnements
et par les lésions induites par la réponse
inflammatoire que par les agents pathogè-nes
eux-mêmes. Pour éviter une issue
défavorable, il convient de contrôler les
réponses inflammatoires excessives et les
adaptations fonctionnelles inadéquates.
! Le stade 4 est la maladie clinique irréver-sible.
Les lésions pulmonaires, induites par
les agents pathogènes ou la réponse
inflammatoire, menacent le niveau de
performance de l’animal et même sa survie.
Cette classification permet d’ajuster le
schéma thérapeutique (utilisation ou non
des anti-infectieux, des anti-inflammatoi-res
et des modificateurs de la fonction
respiratoire) et le devenir de l’animal
malade (réforme ou traitement) selon les
désordres qu’il subit. Elle relève de l’appré-ciation
d’indicateurs pertinents (lactates
sanguins, saturation de l’hémoglobine en
oxygène), qui, seuls, permettent de situer
l’animal malade soumis à l’examen clinique
dans l’un ou l’autre stade.
5. Se former / COURS /
Points forts
! Les bactéries les plus
fréquemment isolées des
poumons pathologiques de
bovins sont des pasteurelles.
! Les pasteurelles
sont des hôtes habituels
du nasopharynx des bovins,
où elles vivent en germes
commensaux.
! La rupture d’équilibre entre
les bactéries commensales
et l’hôte trouve son origine
dans le stress de transport,
les regroupements d’animaux,
les mauvaises conditions
climatiques ou les brusques
changements d’alimentation.
! La “pasteurellose”
fait fréquemment suite
à une primo-infection virale
ou mycoplasmique.
! La résistance
des pasteurelles dans
le milieu extérieur est faible.
! P. multocida A3 est de plus
en plus fréquemment isolé
des poumons de bovins.
! En raison de leur
croissance plus rapide
que celle des espèces
pathogènes, M. bovirhinis,
arginini, et bovigenitalium,
et Acholeplasma laidlawii
constituent souvent une gêne
au diagnostic.
! M. dispar et Ureaplasma
diversum ne sont que
des agents pathogènes
initiateurs occasionnels.
! M. bovis possède
un pouvoir pathogène
et immunodépresseur,
ainsi qu’une activité invasive
et septicémique.
! Les formes pulmonaires de
salmonellose chez les veaux
de boucherie peuvent être
extrêmement contagieuses.
1993-1997, contre seulement 3 % lors des quatre
années précédentes. Aux États-Unis, 27 % des
cent vingt-quatre souches typées en 1996, qui
proviennent de veaux morts de maladie respira-toire,
appartiennent au sérotype A6 (60 % au
sérotype A1).
Le pouvoir pathogène de ces souches semble
aussi important que celui des souches de
sérotype 1. Les mécanismes pathogéniques sont
les mêmes que ceux mis en oeuvre par les
souches de sérotype 1.
Les différents sérotypes de Mannheimia
haemolytica produisent une leucotoxine. La
leucotoxine n’est pas spécifique du sérotype.
Ainsi, les anticorps antileucotoxine de Mannhei-mia
haemolytica 1 protègent contre celles des
autres sérotypes, même si les anticorps dirigés
contre les facteurs capsulaires, spécifiques du
sérotype, ont aussi une réelle importance dans
la protection contre les pasteurelles.
2. Pasteurella multocida
Des données relativement anciennes montraient
qu’environ un tiers des pasteurelles isolées des
poumons de bovins appartenaient à l’espèce
Pasteurella multocida, au type capsulaire A, au
type somatique 3 (P. multocida A3). Une
première étude, menée chez des veaux de
boucherie à partir d’aspirations transtrachéa-les
par Six, a montré que P. multocida était la
bactérie la plus fréquemment isolée chez les
animaux atteints de troubles respiratoires. Un
bilan national, effectué récemment à partir des
données du Résabo(2), montre qu’au cours des
dernières années les fréquences relatives des
souches de P. multocida et de M. haemolytica se
sont inversées, P. multocida occupant aujour-d’hui
la première place devant M. haemolytica
en régression dans les prélèvements patholo-giques.
Cette évolution coïncide avec l’arrivée
sur le marché des vaccins de nouvelle généra-tion
qui ne comportent pas la valence Pasteu-rella
multocida.
Les souches de Pasteurella multocida isolées
chez les bovins sont dépourvues de pili et ne
produisent pas de toxine, différant ainsi de
celles du porc (coresponsable de la rhinite
atrophique) qui appartiennent au type D.
Leur pouvoir pathogène apparaît moins
important que celui de M. haemolytica. Le
facteur de pathogénicité essentiel semble le LPS.
Cependant, alors que celui-ci joue un rôle
important dans la protection contre la pasteu-rellose
aviaire, il semble moins efficace dans la
protection contre les infections à P. multocida
dans les autres espèces (y compris l’espèce
bovine). Les études concernant P. multocida sont
moins avancées que celles effectuées sur
M. haemolytica, mais nul doute que l’importance
réelle des pneumopathies à P. multocida favori-sera
les recherches sur cette espèce bactérienne.
Les mycoplasmes
Des mycoplasmes sont fréquemment isolés des
poumons pathologiques de bovins. Les différen-tes
espèces en cause ne possèdent pas toutes le
même pouvoir pathogène.
M. bovirhinis, M. arginini, M. bovigenitalium et
Acholeplasma laidlawii sont fréquemment isolés,
mais ne possèdent pas de pouvoir pathogène
expérimental. Ils constituent cependant une
gêne au diagnostic car, de croissance plus aisée
et plus rapide que les espèces réputées pathogè-nes,
ils empêchent fréquemment leur isolement
et, par conséquence, leur implication dans les
phénomènes pathologiques.
M. disparcomme Ureaplasma diversum sont aussi
fréquemment isolés des lésions. Expérimentale-ment,
ils génèrent au plus une infection subcli-nique
et doivent donc être considérés comme des
agents pathogènes occasionnels, qui participent
à l’initiation des problèmes respiratoires.
Si l’on fait abstraction de M. mycoides mycoides
SC, agent de la péripneumonie contagieuse
bovine (PPCB), M. bovis reste le seul
mycoplasme réellement et fréquemment
impliqué dans les problèmes respiratoires des
jeunes bovins. Six, à partir d’aspirations transtra-chéales,
l’isole fréquemment chez le veau de
boucherie atteint de troubles respiratoires (44 %
des prélèvements positifs). D’après Le Grand, en
élevage allaitant et selon les régions, le pourcen-tage
de troupeaux contenant au moins un animal
séropositif varie de 28 à 90 %. Son pouvoir
pathogène semble réel : doué de contagiosité, il
adhère aux épithéliums et altère les mécanismes
de transport mucociliaire. Un certain pouvoir
immunodépresseur s’ajoute à ces facteurs de
pathogénicité, ce qui favorise la genèse de lésions
de pneumonie interstitielle. À cette action
pathogène au niveau de l’appareil respiratoire
s’ajoute un réel pouvoir invasif et septicémique
qui explique la fréquence des atteintes articu-laires,
à la suite des problèmes respiratoires.
Dans l’état actuel des connaissances, il est
cependant difficile de préciser le rôle de
M. bovis en pathologie respiratoire des bovins ;
à ce jour, son activité directe n’est pas
démontrée, en revanche, son rôle d’initiateur
et de potentialisateur est largement admis. Il
est fréquemment isolé en association avec
d’autres agents pathogènes, des Pasteurelles en
particulier.
Le genre Salmonella
Les formes pulmonaires de salmonellose
atteignent pour l’essentiel les veaux de bouche-rie,
en élevage intensif. Elles font suite à une
dissémination par voie sanguine, constituant
une complication respiratoire des formes entéri-tiques
typiques, ou bien elles sont liées à une
contamination par voie aérienne (les paramèt-res
d’ambiance, notamment le fort degré
hygrométrique, favorisent la survie des
salmonelles dans les aérosols) et peuvent évoluer
alors en l’absence de diarrhée. Ces formes
pulmonaires sont extrêmement contagieuses.
Le sérovar le plus couramment isolé est le
sérovar Typhimurium.
30 Le Point Vétérinaire / N° 231 / Décembre 2002 /
!!
(2) Résabo : Réseau
de surveillance de la
résistance aux antibiotiques
des bactéries pathogènes
pour les bovins, devenu
aujourd’hui “Résapath”
(voir l’article “La salmonellose
chez les ruminants”,
par J.-L. Martel. Point Vét.
2001;32(221):34).
La bibliographie de cet article
est consultable
sur le site www.planete-vet.com
Rubrique formation