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En couverture

Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé,
57 ans, marié, 11 enfants, Avocat-Professeur,
Honorable Député à l’Assemblée nationale gabonaise,
Président du Parti gabonais du Progrès (P.G.P.)
Candidat du P.G.P. à l’élection présidentielle de décembre 93.
Préface: Le sens d’un combat
          Dans les pages qui suivent, oeuvre de la jeune et dynamique
équipe du journal «LE PROGRESSISTE», le lecteur prendra plus ample
connaissance de la très riche personnalité du Président du Parti
Gabonais du Progrès (P.G.P.), Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé,
Avocat-Professeur, combattant de la liberté de la première heure.
          De réputation nationale et internationale, homme simple,
homme de principes dont la rigueur effraie tous les fossoyeurs des
libertés, Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé étonne par la précocité de son
amour pour J’intérêt général, pour les libertés syndicales et politiques et
son sens inné de l’organisation comme moyen de parvenir au triomphe
des idéaux qui l’ont inspiré et t’inspirent dans sa lutte contre les forces de
régression sociale.
          Comme le lecteur s’en apercevra. la vie de Me Agondjo-Okawé
est marquée par la constance d’un combat commencé très tôt, comme
élève puis comme étudiant et enfin comme avocat et professeur. Il aurait
pu, comme beaucoup de ses camarades. choisir la voie de
l’enrichissement facile par l’entrée dans l’appareil d’État où sévissent la
concussion et la corruption. Beaucoup de ses anciens camarades sont
aujourd’hui milliardaires. Le premier avocat gabonais aurait pu suivre
cette pente qui a mis aujourd’hui le Gabon par terre. Il a choisi la voie
difficile de l’honneur, de la dignité et de la défense de la justice sociale.
Constance d’un combat qui lui a fait connaître les affres de la prison et
les tracasseries de toutes sortes.
          Les Gabonaises et les Gabonais se souviennent aussi du rôle
éminent joué par le parti de Me Agondjo-Okawé et sous sa direction
pour l’instauration en 1990, au cours de la Conférence Nationale, cours
de la Conférence, du multipartisme intégral et immédiat arraché de haute
lutte au Parti Démocratique Gabon (P.D.G.) et son Président fondateur
Omar Bongo. C’est aussi Me Agondjo-Okawé qui, contre vents et marées
réussira à sauvegarder le P.G.P. dont la liquidation était programmée
par le pouvoir après l’ignoble assassinant du Premier Secrétaire Général
du Parti Joseph Rendjambé.
          Fin stratège, il réussira à implanter et à consolider à l’intérieur
et à l’extérieur du territoire, le P.G.P. qui est aujourd’hui une force
politique incontournable sur l’échiquier politique gabonais. C’est cet
homme que le Congrès Extraordinaire du P.G.P. a choisi pour mener aux
côtés de ses pairs de la Coordination de l’Opposition Démocratique
(C.O.D.) la lutte pour l’alternance en vue du changement réel le 5
décembre 1993.
          Les militantes et les militants du P.G.P. ont fait le bon choix.
Puisse Je peuple gabonais le confirmer pour l’établissement d’un État de
droit et le triomphe des libertés.

                         Benoît Mouity-Nzamba, Vice-Président du P.G.P.
CHAPITRE I

       *

   ENFANCE

   SCOLARITÉ

ET VIE FAMILIALE
L’enfance

Les conditions de la naissance
         Pierre-Louis Agondjo-Okawé est né le 30 décembre 1936 dans
une petite localité appelée Awouta (on parle d’Omboué par commodité),
située loin de son propre village du nom de Kongo dans le Fernan-Vaz.
Cette naissance qui intervient hors de Kongo, son village ancestral,
survient peu après les difficultés obstétricales successives rencontrées
par sa mère, Madame Anina Germaine, qui a perdu au cours de ses
précédentes maternités deux garçons jumeaux morts à leur naissance,
puis un autre garçon qui est également décédé peu après l’accouchement.
         À la suite de ces malheurs répétés, la sœur aînée de sa grand-
mère, Madame Etombé z’Olago qui avait une amie, Madame
Ogandag’Olindi,       spécialiste   de  tradigynécologie      (gynécologie
traditionnelle), décide d’emmener sa nièce dès les premiers mois de la
grossesse du futur Agondjo chez cette femme, habitant le village
d’Awouta, à quinze minutes de pirogue du village Kongo. Elle soigna
alors sa mère à l’aide d’herbes, jusqu’à la naissance du jeune Agondjo,
qui signifie en Nkomi herbes ou l’enfant qui naît grâce aux herbes. En
effet, matin et soir, sa mère devait manger des herbes hachées pour son
traitement. Utilisé en médecine moderne, il interdit tout rapport sexuel.
         Ce 30 décembre 1936, maman Anina Germaine accouche à
Awouta d’un enfant de sexe masculin. Chez les Nkomi, le premier enfant
qui naît dans ces conditions porte trois types de noms: Agondjo,
Ogandaga, lnango ou Nango, pour rappeler l’arbuste qui participe à cette
médecine, Ogandag’igondjo, inango ou nango étant le médicament ou
l’enfant qui naît grâce à une médication. L’enfant qui suit le premier né
s’appelle Akendengué, ce qui veut dire en Nkomi le deuxième enfant né
grâce à cette médication. Akendengué vient de okendé kendé, qui signifie
«nous sommes tranquilles» ou «]a tranquillité».
         En effet, Pierre-Louis Agondjo-Okawé a un frère du nom
d’Akendengué Maur qui vit à Ouagadougou (Burkina Faso) né au cours
du même séjour auprès de la praticienne Ogandag’Olindi, et ce n’est
qu’après cette deuxième naissance que la mère et les deux enfants
regagnèrent le village de Kongo. Le troisième enfant est généralement
dénommé Avouelé, qui vient de vouelé vouelé, et qui signifie «merci» en
Nkomi. Après la naissance du troisième enfant, on reprend le cycle
normal des noms. Revenu dans son village, le jeune Agondjo vit avec ses



                                    6
grands-parents maternels car entre temps ses parents ont divorcé et sa
mère a épousé Charles Ping, un Chinois. De ce second mariage est né un
enfant de sexe masculin, Jean Ping qui aurait été appelé Avouelé si sa
naissance était intervenue au village, mais qui porta le nom de son père.

L’enfance au village
          Resté au village avec sa grand-mère qui rendit sa naissance
possible, le jeune Agondjo-Okawé, comme les autres enfants de son âge,
commence à s’initier aux premières notions de culture traditionnelle,
c’est-à-dire à appartenir à des sociétés initiatiques de son âge, à jouer du
tam-tam, à apprendre à tâter les cordes de la cithare, etc. De temps en
temps, il va vivre avec sa grand-mère paternelle habitant un autre
quartier du village.
          Jusqu’à l’âge de dix ans, il grandit donc au village, élevé
essentiellement par des femmes qui le couvrent de leur affection. Au
cours de cette période, il a un penchant pour ce qui est intellectuel, sans
qu’il en mesure la portée réelle. Le dessin est la première chose qui
frappe son imagination. Par suite, tout dessin relatif à la broderie dans le
village (napperons, taies d’oreillers, etc ... ) lui est confié. Il lui est même
arrivé de dessiner un jeu de cartes complet en reproduisant les
illustrations des rois, des dames et des valets.



                             La scolarité
Les études primaires

        Un fait inattendu va modifier le cours normal de sa vie. Un jour
d’octobre 1946, M. Ayouné Jean Rémy arrive à Kongo. Il est apparenté à
Agondjo par son père du clan Adjéna, clan paternel de la mère de Me
Agondjo, et par sa mère du clan Avandji, clan des grands-parents
d’Olago-Vandji arrière-grand-père maternelle de Me Agondjo. Une des
tantes d’Ayouné épousait aussi Olago-Vandji. Par cette affiliation, M.
Ayouné est l’oncle de Me Agondjo, du côté maternel. Il trouve le jeune
Agondjo en train de dessiner. Fasciné, il demande si le jeune garçon
fréquente une école.




                                       7
On lui répond que non. Il s’énerve et dit qu’on l’emmène dès le
lendemain à l’école Sainte-Anne du Fernan-Vaz. Il charge alors l’un de
ses oncles, Martin Rendjago, de l’y conduire avec un de ses cousins un
peu plus âgé que lui, douze ou treize ans environ.
          C’est ainsi que le 27 octobre 1946, il rentre à l’école de Sainte-
Anne du Fernan-Vaz. Son entrée tardive à l’école est dûe pour l’époque à
son jeune âge. Rappelons qu’à cette date il n’est âgé que de dix ans. Il est
alors classé dans la catégorie des petits, par opposition à la catégorie
des moyens (14-16 ans) et des grands (17-20 ans). Tous les élèves sont
logés à l’internat, il n’y a pas d’externat Les petits doivent avoir des
protecteurs qui les gardent des brimades des moyens et des grands
fréquentant la section de menuiserie. A cette préoccupation s’ajoute un
handicap, la distance qui sépare le village de Kongo de l’école Sainte-
Anne. Il faut la parcourir en deux ou trois heures de navigation en
pirogue et à la rame. Enfin le voilà tout de même à l’école et quand il
arrive à Sainte-Anne, il est précédé d’une certaine réputation d’enfant
intello., d’enfant prodige. Il y avait sept classes à l’école, du débutant
jusqu’en C.M.2. Parmi les petits il y a, entre autres, le futur Professeur
Kombila Pierre André et ses frères et Hervo Akendengué Augustin.
          Il s’y inscrit et dans cette classe, il ne passe que les trois mois du
premier trimestre. Après les vacances de Noël, la direction de l’école
décide de l’admettre en C.P.l. Dans cette classe, il occupe les premiêres
places du début jusqu’à la fin de l’année. Il passe normalement en C.P.2
et, à nouveau il domine ses condisciples en occupant toujours les
premières places. C’est ainsi que lors des dernières compositions, on
décide de le faire participer aux examens de fin d’année avec les C.E.1.
pour l’admission en C.E.2. Il prend part à ces examens et en sort
deuxième. Il passe au C.E.2., sans avoir fait le C.E.l.. Ses maîtres à
l’époque avaient pour noms Julien Mbourou, l’ancien député, au cours
débutant et Rémy Ogoula en C.E.1.
          En arrivant à Sainte-Anne, le jeune Agondjo fait la
connaissance de l’abbé Augustin Eléwanyet, Galoa de Lambaréné
originaire d’Ashouka et du même clan que son père M. Okawé. Il le prend
en affection. Quand arrivent les vacances de l’année 1946-1947, l’abbé
Augustin Eléwanyet décide que le jeune Agondjo ne partira pas dans son
village auprès de ses parents; il estime que cet enfant, brillant élève, une
fois reparti au village, va s’initier au bwiti et à d’autres pratiques
traditionnelles condamnables; il risque ainsi de perdre le bénéfice des
études. Il fait comprendre aux parents que l’enfant restera à la mission et
que pour le voir, ils devront venir à Sainte-Anne.


                                       8
Le jeune Agondjo passa donc toutes ses vacances à l’internat, en
particulier au campement de pêche de Mboumba où les petits
s’occupaient à rechercher du poisson tandis que les grands péchaient à la
senne.
           Au cours des vacances de l’année scolaire 47-48, l’abbé Augustin
Eléwanyet est affecté à Oyem. Il décide naturellement d’emmener
Agondjo avec lui et demande l’autorisation à ses parents. Ces derniers
adoptent des attitudes contrastées. Tandis que sa mère et son oncle
paternel (à la place de son père absent de Kongo) donnent leur accord,
ses grands-parents sont plutôt réservés. Ces hésitations n’empêcheront
pas le jeune Agondjo de suivre l’abbé Augustin à Oyem. A l’internat, il
s’adapte facilement à son nouveau milieu social et apprend rapidement
le fang qu’il parle parfaitement par la suite grâce à ses amis d’école. Sa
première composition de l’année scolaire 48-49 à Oyem est
catastrophique dans toutes les matières. Il est classé dernier pour la
première fois depuis le début de ses études primaires.
           Il se reprend vite et cravache dur pour rattraper son retard et
comble rapidement ses lacunes dans toutes les matières, sauf en calcul
où il obtient des notes en dents de scie. A la dernière composition de la
même année, il est classé premier et passe en C.M.1 L’année suivante,
l’abbé Eléwanyet est affecté à Bitam et le jeune Agondjo repart avec lui
dans cette ville. Sur le plan scolaire, il n’éprouve plus que quelques
difficultés en calcul.
           Quand il termine le C.M.1 à Bitam, l’abbé Augustin Eléwanyet
décide de l’envoyer au Séminaire Saint-Jean de Libreville, contre son gré.
Il le lui dit à la veille de son départ. Il est inscrit en C.M.2 à l’École Mont-
Fort. Au Séminaire Saint-Jean où il est pensionnaire, il fait la
connaissance de Paul Malékou, Julien Mezui, Michel Abessolo, Martin
Alihanga, Lazare Digombé, Ngoua Noël, etc. A la fin de l’année scolaire
il passe le concours d’entrée en sixième au collège Bessieux en même
temps que Mba Ndong Marc, le seul condisciple qui a réellement rivalisé
avec lui, de telle sorte que quand il était premier, Mba Ndong Marc était
deuxième et inversement, de la classe de sixième jusqu’en terminale. II
restera encore au Séminaire une année. Ne supportant pas le régime
alimentaire imposé par cette institution, il tombe malade.
           A sa sortie d’hôpital, il rechute et quitte le Séminaire tout en
poursuivant ses études secondaires au collège Bessieux. Il y rencontre,
entre autres Jules Bourdès Ogouliguendé, Nyalendo Jean-Paul et Ndouna
Dépénaud. Ce dernier interrompra ses études en classe de seconde pour
préparer une carrière administrative dans une école de Brazzaville.


                                       9
1                                         2




         1 - Pierre-Louis Agondjo-Okawé, élève de
        3e au collège-Bessieux en 1955.

        2 - Avec Jules Bourdès-Ogouliguendé
        à Lille, en 1961.


        3 - Deux étudiants gabonais dans les rues
        de Lille en 1961, Paul Malékou et Pierre-
        Louis Agondjo-Okawé (en lunettes).
3
Outre ces derniers, Agondjo note la présence d’Abiaghe Angoué,
l’actuel gouverneur de l’Ogooué-Maritime qu’il rattrape en classe de
cinquième alors que plus tard arrivent à Bessieux Oyé Mba, Rendjambé
Joseph, Essongué Michel, Rémondo Max, Rédombo Ernest, Ayo Barro
et Damas Ozimo Claude, etc. Le collège Bessieux ne possédant pas de
classes terminales à cette époque, il quitte l’établissement pour le lycée
Félix Éboué, actuel lycée national Léon Mba, après avoir collectionné la
majorité des prix.
         Au cours de l’année scolaire 1957-1958 éclate la grève au lycée
Félix Éboué. Tous les établissements secondaires de Libreville ferment
pendant trois mois. Cette grève, liée au problème de la mauvaise
alimentation des internes, va provoquer une contre-grève de la majeure
partie du corps professoral du lycée, de telle sorte qu’en fin d’année, les
épreuves du baccalauréat étant corrigées à Bordeaux en France, le lycée
n’eut qu’un seul élève admis au baccalauréat et en série sciences
expérimentales, tous les autres élèves étant «recalés» dans Ies autres
séries.

Le cursus universitaire
         En fin d’année scolaire 1958-1959, Pierre-Louis Agondjo-Okawé
obtient avec la plupart de ses condisciples son baccalauréat, série
philosophie, et s’envole pour la France pour poursuivre ses études
supérieures. Comme à cette époque les étudiants gabonais se concentrent
dans les trois académies de Paris, Lille et Poitiers, il s’inscrit à la
Faculté de Droit et Sciences Économiques de Lille et Mba Ndong Marc à
celle des Lettres de la même ville en même temps que Mintsa Mi Owono,
Owono Nguéma, Nguéma Isaac, Malékou Paul, Rémondo Max, Nzé
Emmanuel, Nzé Samuel, Bourdès Ogouliguendé, etc. Cette colonie
estudiantine gabonaise retrouve à Lille des anciens étudiants comme
Michel Abessolo, Nang Ekamkam et Julien Mezui. Les autres bacheliers
de l’époque dont Michel Antchouet, Bouma Maurice et Emmanuel
Sipamio Berre sont acheminés sur l’Université de Poitiers. Dès sa
première année universitaire 1959-1960, il est lauréat de la Faculté de
Droit et Sciences Économiques de Lille (le lauréat est celui qui est le
premier d’un concours primé par une médaille). Il passe normalement en
deuxième année avec mention passable et, vers la fin de cette deuxième
année, il a des problèmes avec les autorités gabonaises qui lui
reprochent son activisme politique et qui par suite lui suppriment la
bourse.



                                    11
C’est le début des ennuis politiques. Exaspéré par cette mesure qu’il
trouve injuste, il déclare au Président Léon Mba que désormais il
réussira ses examens avec au moins la mention assez bien, ce qu’il
réalise, tout en travaillant comme surveillant au lycée technique
d’Armentières, à 40 kilomètres de Lille.
          A la fin de la quatrième année, il prépare simultanément le
Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (C.A.P.A.) et deux
diplômes d’études supérieures (D.E.S.) en Histoire du Droit qu’il obtient
avec mention très bien et celui de Droit privé. Il bat ainsi un record
depuis la fondation de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques
de Lille. Sur les conseils de son Professeur de Droit, M. Pierre Legendre,
Pierre-Louis Agondjo-Okawé monte à Paris au cours de l’année
universitaire 1965-1966 pour préparer le concours d’agrégation d’Histoire
du Droit.
          Le voilà donc à Paris sans bourse. Son premier réflexe est de
trouver du travail. Dans le même temps il s’inscrit à l’agrégation à
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il obtient une aide du Centre
National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.) pour un travail de
recherche ponctuel qui lui permettra de suivre en attendant l’avis sur son
dossier d’Assistant dans le département d’Histoire du Droit. L’année
suivante, sa demande est agréée. Il devient ainsi l’Assistant du
Professeur Michel Alliot de cette célèbre l’Université parisienne, dans la
section d’Histoire du Droit et dans la sous-section d’Anthropologie
juridique.
          Il faut préciser que le Professeur Michel Alliot qui a enseigné un
peu partout en Afrique, notamment à Dakar et à Madagascar, est
l’ancien recteur de l’Académie de Versailles. Aujourd’hui à la retraite, il
reste responsable du Laboratoire d’Anthropologie Juridique dont son
ancien assistant Pierre-Louis Agondjo est actuellement l’un des
membres.
          Issu d’une grande famille dont il est l’aîné, Pierre-Louis Agondjo
perd son père M. Okawé, mort par accident du travail en 1965, alors qu’il
est encore étudiant en France. Sa mère, alors brouillée avec Charles
Ping, vit seule avec sa grand-mère et tous les autres membres de la
famille. Sous la pression de ses enfants, maman Anina se réconcilie
avec Charles Ping. Chez les Nkomi qui relèvent du matriarcat comme les
Punu, les Massango et bien d’autres ethnies du Gabon, le chef de famille
est le frère de la mère. Mais le jeune Agondjo n’a pas d’oncle utérin, c’est
donc le frère de sa grand-mère qui est le chef de la famille. Il s’agit
d’Ilougou Pierre; mais celui-ci meurt en 1966 et le jeune Agondjo en tant
qu’aîné devient automatiquement chef et seul responsable de la famille.


                                    12
Cette situation le dissuade de poursuivre la préparation de son
concours d’agrégation en Histoire du Droit. Il décide de ne se consacrer
qu’à son doctorat en Droit. En 1967, il soutient sa thèse de doctorat en
Droit intitulée «Structures parentales gabonaises et développement» avec
la mention très bien, les félicitations du jury et le prix de thèse (thèse à
imprimer), d’autant que pour mieux s’imprégner de la notion de
coutumes, il avait suivi à la Sorbonne des cours de sciences religieuses,
de linguistique, de sociologie, d’ethnologie et d’anthropologie. Pendant
qu’il enseigne à Panthéon-Sorbonne, étant titulaire du C.A.P.A., il prête
en septembre 1967, au Palais de Justice de Paris, le serment de l’Ordre
des Avocats. C’est aussi au cours de cette même année que meurt le
Président Léon Mba à l’Hôpital Claude-Bernard à Paris. Il effectue son
stage d’Avocat au cabinet du Professeur de Droit Denis Bredin, Avocat à
la Cour d’Appel de Paris. Il. s’inscrit également, à l’Institut d’Études
Judiciaires de Paris dont il obtient le diplôme. Le 10 août 1968, il décide
enfin de rentrer définitivement au Gabon, malgré les ennuis qui 1’y
attendent pour s’occuper de sa famille. Il revient au pays avec deux
professions, celle d’Avocat et celle d’Enseignant. Le Gabon n’a pas
encore d’Université. Il postule donc un agrément au Gabon en qualité
d’Avocat-Professeur puis, en tant qu’Enseignant, il sollicite les
Universités de Yaoundé et de Brazzaville, à la seule condition de
bénéficier de quinze jours d’autorisation d’absence par mois pour sc
rendre au Gabon. Cette condition rejetée par les autorités rectorales de
Yaoundé est acceptée par celles de Brazzaville, dans le cadre de la
F.E.S.A.C., (Fondation de l’Enseignement Supérieur en Afrique
Centrale).
         Me Agondjo se rappelle toujours son séjour universitaire
français. En particulier, il garde un souvenir impérissable et
impressionnant des événements de mai 1968, événements qu’il a vécus et
qui furent pour lui des moments historiques au cours desquels il prit
conscience de l’extraordinaire force que possède une foule en colère. Il ne
fut donc pas étonné par l’ampleur des événements qui ont secoué la ville
de Port-Gentil en 1990. En se rappelant son cursus universitaire en
France, il mesure l’effort accompli depuis ce 27 octobre 1946 où, pour la
première fois, il rentre à l’école de Sainte-Anne du Fernan-Vaz, ne
connaissant aucun mot de français, n’ayant pour seul bagage
linguistique que le nkomi, langue qu’il maîtrise parfaitement et qui lui a
permis de s’intéresser un peu plus tard à la linguistique, et qui reste pour
lui un outil de travail dans ses recherches historiques et
anthropologiques.



                                    13
Il en vient aussi à justifier sa vocation pour le Droit à une suite de
circonstances dont l’influence fut décisive dans son devenir. C’est d’abord
son enfance au village où il vit auprès de ses grands-parents, tous grands
chefs coutumiers. Il baigne donc dans le milieu de la chefferie, de la
justice, du Droit et du pouvoir, le milieu des trancheurs de litiges, les
juristes (lkambi).
         Ce milieu va, très tôt, marquer le jeune Agondjo par l’amour du
Droit, le refus de l’injustice et de l’oppression. Car le milieu des chefs,
c’est aussi celui de la politique, de la résistance à l’oppression coloniale.
Son arrière-grand-père maternel, Olago-Vandji était l’un des chefs
supérieurs des Nkomi et sera successivement remplacé par ses enfants
Ilougou y’Olago et Ndouani y’Olago, tous classés dans la lignée des
chefs récalcitrants du village Kongo. Entre 9 et 10 ans, le jeune Agondjo
est marqué par deux événements, dont l’un se produit au village Awouta,
et l’autre à Kongo. À Awouta, la fille du chef Nkala yi Nkoma, du nom
d’Evouandénoréma, actuellement à Omboué, est agressée par un
milicien. Elle n’hésitera pas à boxer ce milicien.
         L’autre événement aura lieu à Kongo et opposera M. Ziza yi
Mboza, oncle du jeune Agondjo, à un milicien qui sera roué de coups par
le sieur Ziza, l’intello. du village qui n’accepte pas l’oppression coloniale.
Mais si à Awouta le jeune Agondjo assiste en spectateur, à Kongo, il
participera à sa manière à l’action contre le milicien, en s’emparant de
sa chéchia qu’il transformera en ballon de football. Pour lui, la situation
coloniale est vécue à travers les actes répressifs des miliciens et la
résistance multiforme des villageois contre ces agissements.
         Me Agondjo cite également son professeur de philosophie au
lycée Félix      Éboué. Un personnage qui semble avoir joué un rôle
important dans le choix de sa filière. Lorsqu’il lui rendait les meilleures
copies de philosophie, son professeur lui faisait remarquer son style et
son raisonnement de juriste. Mais ces influences n’auraient pas eu de
prise définitive sans son propre choix. Il se disait qu’en choisissant les
études de Droit, il ferait en quelque sorte un retour aux sources, à la
coutume qui lie les membres d’un groupe sociolinguistique, la famille,
avec le respect des traditions. Ce rôle que sa famille joue dans sa vie
politique et professionnelle est très important.




                                     14
La vie familiale

La famille stricto sensu

         Quand Me Agondjo parle de sa famille, il change de ton et même
d’attitude. Il prend un air grave et détendu. Sa famille, affirme-t-il sans
détours, est l’élément régulateur de sa vie et en tant que tel, elle lui est
indispensable à tout moment. Il sait ce qu’il dit, lui qui, marié depuis 1961
est actuellement père de onze enfants.
         Membre d’une nombreuse famille dont il est l’aîné, Me Agondjo
est imprégné des traditions des grandes familles. Il est okambi. Régi par
la tradition matrilinéaire qui le sépare très tôt de son père par le divorce
de ses parents, il souffre beaucoup de n’avoir pas grandi auprès de son
père Okawé qu’il ne rencontra qu’à l’âge de quatorze ans. Cet état de
choses a consolidé sa conviction à rester entouré des siens. Il œuvre en
ce sens pour éviter les mêmes frustrations à ses enfants. Aujourd’hui,
quand l’Anthropologue Pierre-Louis Agondjo-Okawé nous expose son
expérience familiale, son propos se situe délibérément au-delà de son
cercle familiale pour englober sa dimension d’homme d’État.
         En l’occurrence, il fait la distinction entre la famille stricto sensu
et la famille lato sensu. La famille stricto sensu, c’est celle du type
occidental, essentiellement composée du père, de la mère et des enfants,
par opposition à la famille africaine plus large. La femme, dans le
premier cas, joue le rôle de gestionnaire du foyer conjugal. C’est elle qui
s’occupe des enfants à la maison quand le mari est absent. Madame
Agondjo Okawé, née Ngowé Joséphine, qui a accepté pour le meilleur et
pour le pire, en 1961, de prendre pour époux Pierre-Louis Agondjo-
Okawé, serment dénié par bon nombre de femmes dans certaines
circonstances, mène une vie pieuse auprès de celui qu’elle a aimé.
         Elle a toujours été présente dans les moments difficiles, quand il
était étudiant sans bourse ou quand son mari était en prison au Gabon.
Elle a lutté de force inégale avec le pouvoir pour obtenir l’hospitalisation
et de meilleures conditions de détention pour son époux, sans oublier
leur séjour à Brazzaville où en l’absence de son mari, elle a supporté la
tension de plusieurs tentatives de coups d’État. Les uns diront qu’il a eu
de la chance, les autres penseront qu’il a tiré un bon lot de loterie.
         Dotée d’une sensibilité inimaginable et d’un sens d’équité
remarquable, Madame Agondjo Joséphine combat comme son mari
l’arbitraire et l’injustice sous toutes ses formes.


                                      15
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1 - Avec Jean Ping, son frère, à Port-Gentil, en 1953
2 - Avec ses parents maternels au quartier Grand village, à Port-Gentil
en 1955
3 - Madame Agondjo, alors fiancée, en 1956
4 - M. et Mme Agondjo après la naissance de leur fille aînée , Idjoruba,
à Lille en 1964.
La famille, c’est aussi les frères et les rapports qu’il entretient
avec ces derniers, en particulier avec Jean Ping, son frère utérin, mais
adversaire politique parce qu’il est membre du P.D.G. et de surcroît
ministre d’un système qu’il combat. Me Agondjo reconnaît volontiers que
son frère Ping représente pour lui à la fois son malheur et son bonheur.
         Son malheur parce que certains de ses adversaires politiques se
servent de son frère, en tant que gendre du Président Bongo, pour
échafauder de faux scénarios qui ne cadrent pas avec la réalité. Ils
ignorent que la politique est comparable à une société initiatique à
l’instar du mouiri ou du ndjembé. Ici, les notions de paternité et de
fraternité perdent leur sens usuel et cèdent la place au code initiatique qui
bouleverse les hiérarchies parentales. Dans ce type de société, le petit-fils
par exemple, parce qu’il est le premier initié, dirige son grand-père. Mais
dès qu’ils sortent de ce cadre, les hiérarchies parentales reprennent
automatiquement leurs droits. On peut évoquer le décès de leur grand-
mère pour illustrer ce qui vient d’être dit, décès au cours duquel Me
Agondjo et Jean Ping se sont tous deux retrouvés réunis pour les
obsèques. Après l’inhumation, chacun est reparti rejoindre sa famille
politique.
         Mais pour Me Agondjo, Jean Ping c’est aussi son bonheur, tout
simplement parce qu’il est son frère et qu’il le restera pour la vie. Dans
cette situation, Me Agondjo n’est ni le. premier, ni le seul à avoir un
parent appartenant à un Parti au pouvoir autre que le sien. Le Président
du P.G.P. évoque pour convaincre, le temps où Léon Mba était
l’adversaire politique de Jean Hilaire Aubame le cas de Luc Ivanga,
actuellement membre du Rassemblement National des Bûcherons
(R.N.B.). Alors que ce dernier militait dans le Bloc Démocratique
Gabonais (B.D.G.), son frère Adiahénot était membre de l’Union
Démocratique et Socialiste Gabonaise (U.D.S.G.) que présidait Jean
Hilaire Aubame. Luc Ivanga ne fut jamais considéré comme un faux
opposant.
         Point n’est besoin de citer des situations identiques observables
de nos jours, tant elles sont nombreuses. L’important en politique,
explique Me Agondjo, ce n’est pas ce que les gens disent de vous, mais ce
sont les actes concrets qui sont posés et qui différencient les hommes
politiques d’une même nation. Il le prouve en montrant qu’aux dernières
élections législatives, Jean Ping avait été battu par un candidat du P.G.P.
que lui-même avait soutenu. la démocratie étant la respect des opinions
d’autrui, Me Agondjo applique cette règle dans ses rapports avec Jean
Ping.



                                     17
Il en résulte que tout en étant l’adversaire politique de son frère,
Me Agondjo respecte ses opinions politiques, même s’il ne les partage
pas. Toutes les allégations relatives à ce sujet sont donc des arguments
de propagande politicienne. Ils visent à masquer la réalité. Car la réalité
est connue de tout le monde. Aucun des détracteurs de Me Agondjo n’est
en mesure de montrer en quoi son frère en tant que gendre de Bongo
favoriserait sa propre situation. L’on comprend pourquoi cette
propagande a pour but de détourner l’opinion des vrais questions qu’elle
doit se poser justement sur les rapports passés et actuels de bon nombre
d’hommes politiques gabonais avec le fondateur du système
monolithique gabonais. En effet, il est de notoriété publique que certains
«opposants de circonstance» ont été reçus et nourris par Bongo et
d’autres logés dans des hôtels de la place par celui qu’ils n’osent plus
nommer aujourd’hui. Voilà qui relève du vécu des Gabonais et qui devait
faire scandale, mais que l’on s’empresse de passer sous silence.
         A ce propos, Me Agondjo souhaite qu’au cours de cette
campagne électorale, tous les candidats à la présidence de la
République, y compris le candidat naturel du P.D.G., évoquent au cours
d’un débat télévisé leur parcours politique pour éclairer l’opinion
nationale sur la part prise par les uns et les autres dans la lutte contre le
système monolithique de la Rénovation et donc dans l’avènement du
multipartisme au Gabon.


La famille lato sensu
         Mais la vie familiale ne s’arrête pas à la famille stricto sensu, ni
à son clan des Ananga, elle s’étend aussi aux clans frères des Aziza,
Anionga, Aryaguè, Azèguè, Adjavi, Asono, Azandi, aux clans des
grands-parents et arrière-grands-parents des Adjéna, Ilongo, Ekamamu,
Akasoviba, Asavu, Adjuba, Anuva, Agambo, Ayirui, Ndiwa, Agendjé.
Un proverbe nkomi dit qu’un noble (Awontché) doit avoir au moins
quinze clans, ce qui lui permet d’y baigner comme un poisson dans l’eau,
de les assister ou d’en être assisté, de faire jouer la fraternité et la
solidarité parentale à chaque instant.
         La famille, c’est aussi la correspondance des clans cités ci-
dessus dans les autres ethnies : dans la Nyanga, Me Agondjo est petit-
fils dans les villages Bagambu (Agambo), dans l’Ogooué-Lolo, les
Magamba sont ses grands-parents comme dans les villages Lumbu les
Musanda (Adjéna) ou Punu les Bayéma. Il est fils dans les villages Fang
du clan Yengwi (Avemba) etc. C’est ainsi qu’il est le petit-fils de Mouity-
Nzamba, de Mbou-Yembi, de feu Moutsinga Paul, de feu Cyprien Moung

uengui

                                     18
Mounguengui, neveu de Madame Maganga-Moussavou, de Moun-Gou-
Ngou Christian, fils de Mengome Atome, cousin de Ndong-Allogho ou
des enfants Ondo, entre autres. Il profite de ses connaissances
ethnologiques pour développer ses relations familiales extra-ethniques
en tant qu’être détribalisé, en tant que Gabonais fier d’être partout au
Gabon chez lui, à l’aise. Car la famille pour Me Agondjo, c’est aussi ceux
des siens qui sont maintenant ailleurs, soit dans d’autres localités du
Gabon, soit dans d’autres ethnies myéné. Il a ainsi une partie de sa
famille chez les Galoa à Latnbaréné, ce sont les Ndjawé, les Rossatanga,
les Okawé, les Révangué, les Capito, les Fanguinonvény, etc. Une autre
partie se trouve à Libreville, les Aguékaza, notamment ceux de Nomba.
Le nom Okoka que portait son grand-père maternel et celui d’ Angandiet
que portait son oncle sont d’origine Aguékaza.
          C’est pourquoi Ambaye Olivier était son oncle. Lorsqu’il quitte le
séminaire, il habite Nombakélé, chez sa grande tante Ngwè-Nanga, sœur
du vieux Obélembia et grand-mère de Madame Anguilé Gustave et de la
veuve Owassango. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Gustave
Anguilé, mari de sa cousine, alors éminence grise des divers
gouvernements Léon Mba, en sa qualité de ministre des Finances. Cette
famille descend d’Onanguiromba, frère d’Olago-Vandji du village
Kongo. En raison de la distance entre le colIège Bessieux et Nombakélé,
il vit à Nkembo chez la cousine de sa mère, Madame Rémondo, mère de
mère de M. Rémondo Max, qui le considère en toutes circonstances
comme l’aîné des enfants du foyer Rémondo, de la quatrième jusqu’en
terminale. La famille, c’est enfin tous ceux qui ont contribué à sa
naissance comme les clans Akori et Arondoma du village Awouta. La
famille d’Ogandag’Olindi est ainsi liée à la sienne par la
tradigynécologie. Il en est de même de la famille Attipoé qui a aussi
contribué à Port-Gentil, LibreviIle et Bitam à son éducation d’adolescent
Sa dernière famille est naturellement le P.G.P. Il considère les militants
de son Parti un peu comme ses parents au-delà de ceux qui le sont
effectivement par le lien du sang ou du clan.
          Ainsi, la famille, dans le sens où le vit quotidiennement Me
Agondjo transcende-t-elle l’idée que l’on s’en fait traditionnellement.
Puisant ses racines dans le clan géniteur, ce lieu de l’imprégnation
culturelle, elle jaillit des carcans et des préjugés ethniques et
régionalistes tissés par la force de l’habitude pour éclater aux
dimensions de la nation, une et indivisible. C’est ici que pour l’homme
politique qu’est le président du P.G.P., la famille devient l’un des cadres
où se conforte sa raison d’être et d’agir pour l’intérêt général qui, depuis
sa prime jeunesse, a décidé Me Agondjo-Okawé à se mettre debout pour
un long itinéraire syndical et politique.



                                    19
La fidélité en amitié
L’Honorable Pierre-Louis Agondjo-Okawé, Député du P.G.P.
lors de l’enterrement du Député suppléant Paul Moutsinga,
en compagnie de Benoît Mouity-Nzamba, Vice-Président du
P.G.P.
CHAPITRE II


           ¤

ITINÉRAIRE SYNDICAL

   ET POLITIQUE




      21
L’engagement


         Dans le vécu de Me Agondjo, l’action syndicale et l’engagement
politique sont les deux facettes d’un même combat. Ils trouvent leur
origine dans la situation de l’Afrique, du Gabon en particulier et partant
des Gabonais auprès desquels Me Agondjo n’a jamais cessé de se battre
pour l’indépendance, la justice sociale et les libertés fondamentales. Ici,
itinéraire syndical et politique du militant et histoire de l’Afrique et du
Gabon se confondent pour donner sa véritable dimension à la
personnalité de Me Agondjo, personnalité façonnée par un engagement
de première heure et sans discontinuité jusqu’à ce jour.

Le militant révolutionnaire
         En effet, Pierre-Louis Agondjo-Okawé pose ses premiers actes
politiques en 1958 au Gabon lors du référendum, mais c’est en France
avec le syndicalisme étudiant que ses élans politiques trouvent leurs
racines, syndicalisme qui suscite une réaction violente du pouvoir. A
cause de son militantisme, Me Agondjo déjà redouté par le pouvoir,
échappe à une arrestation pendant qu’il se trouve à Lille. Cette
arrestation se justifie aussi par ses activités dans le M.G.A.P.
(Mouvement Gabonais d’Action Populaire), parti politique clandestin
dans lequel militait aussi Nzoghé Nguéma. Me Agondjo s’exile en
Suisse où il reste trois mois à rechercher un statut de réfugié politique.
N’eut été ses professeurs français, séduits par son intelligence pour
s’étonner qu’un de leurs étudiants abandonne ses études, Me Agondjo
aurait, comme Ondo-Nzé et Ndong-Obiang, séjourné en prison sous le
Président Léon Mba.
         Devenu une machine lourde et sans vie, le M.G.A.P. est dissout et
donne naissance au P.G.T. (Parti Gabonais du Travail) à la tête duquel
on retrouve Me Agondjo. Le P.G.T. mène alors un travail clandestin
grâce à ses structures disséminées sur le territoire national gabonais,
sous l’impulsion de certains de ses membres dont le retour au Gabon
avait été recommandé par le Parti.




                                    22
Avec la fin d’études en France d’un nombre élevé de ses
militants, ce Parti perd peu à peu de sa vitalité et s’essouffle. Ses
objectifs alors inspirés par la ligne de la Fédération des Étudiants
d’Afrique Noire en France (F.E.A.N.F.) dont certains membres avaient
pour noms, Owono Nguéma, Lemboumba Lépandou, Feu Paul
Moukambi, etc., allaient de «l’intégration des intellectuels au sein des
masses» à «la prise du pouvoir par les voies légales».
          En tant que syndicaliste, représentant les étudiants gabonais en
France membres de l’Association Générale des Étudiants du Gabon
(A.G.E.G.), les activités de Pierre-Louis Agondjo-Okawé consistaient,
entre autres, à se rendre de temps en temps au Gabon pour assister à la
Commission des bourses afin de défendre les intérêts de ses condisciples
vivant en France. Ces voyages étaient payés par le gouvernement
gabonais. Les syndicats avaient alors non seulement un aspect
corporatiste, mais aussi politique. Ils s’étaient ralliés aux partis
politiques révolutionnaires africains dont la préoccupation était
l’indépendance ou soutenaient leur ligne politique. D’où le qualificatif de
révolutionnaire qui se justifiait par les actes qu’i1s posaient.
          C’est ainsi que les étudiants gabonais, sur l’appel de la
F.E.A.N.F., ont mandaté certains de leurs camarades au Gabon pour la
campagne en faveur du NON au référendum gaulliste. Quand Me Pierre-
Louis Agondjo-Okawé rentre au Gabon en 1968, l’A.G.E.G. existe encore.
          Mais elle est déjà minée par l’existence de deux courants
opposés. Le courant «entriste» dont Jules Bourdès Ogouliguendé et un
peu plus tard Ndémezo’o, seront les apologistes patentés. Les tenants de
cette tendance étaient favorables à l’idée de rentrer dans le système
Bongo avec pour dessein de le transformer de l’intérieur. Ndémézo’o
pour sa part prit comme prétexte la thèse maoïste dite des «Trois
mondes» pour justifier son entrée officielle dans le P.D.G. Selon lui, la
Chine aidait le Gabon à lutter contre les menaces du révisionnisme et du
social-impérialisme soviétique. Et comme pour Ndémézo’o le Parti
Communiste chinois représentait la révolution dans le monde, les
révolutionnaires gabonais ne pouvaient que soutenir Bongo et le P.D.G.
A l’opposé se trouvaient ceux qui, comme Me Agondjo, pensaient, et le
présent leur en donne raison, que pour mieux combattre un système, il
fallait lutter en dehors de celui-ci. Phagocytée et infiltrée par les agents
du pouvoir, l’A.G.E.G. placée sous la houlette de Ndémézo’o était
condamnée à l’éclatement et à la désintégration après le retour au Gabon
des ténors dont Me Agondjo.



                                    23
L’expérience devait montrer que Ndémézo’o était chargé par Bongo de
liquider cette association jugée trop révolutionnaire par le pouvoir, à un
moment où tout ne procédait que de la volonté de Bongo.

La lutte pour l’indépendance réelle
         En 1960, année de l’indépendance du Gabon, Me Agondjo est en
France. Cet événement n’arrive pas sans provoquer une vive réaction des
étudiants gabonais. C’est que l’indépendance des colonies françaises en
Afrique est posée depuis 1958 par les intellectuels africains. Mais la
métropole écarte toute idée allant dans ce sens, objectant leur manque
d’expérience dans de nombreux domaines, dont celui de l’économie et de
l’industrie, ces secteurs devant rester l’apanage de la France, comme
l’affirmaient certains pendant le référendum de 1958. Cette
argumentation se heurtera à une contradiction majeure de la part des
intellectuels africains quand, deux années plus tard, l’indépendance fut
accordée. Les syndicats gabonais en l’occurrence s’interrogeront sut ce
revirement soudain de la part de la France.
         Il est clair qu’en deux ans les colonies n’avaient pas rattrapé
leurs insuffisances. Les intellectuels avaient compris qu’il ne s’agissait
là que d’une indépendance factice. Pierre-Louis Agondjo-Okawé était de
ceux qui voulaient une indépendance réelle, au contraire de Léon Mba et
d’Aubame qui la souhaitaient sous la forme décidée par la métropole,
c’est-à-dire favorable à la consolidation de la mai mise de la France dont
l’empire colonial se trouvait en ébullition. Car ce n’est pas de gaieté de
cœur que De Gaulle décide de l’indépendance de l’Afrique. Il se rend à
l’évidence que l’autorité française dans les colonies s’était fragilisée.
         Ainsi, au Cameroun voisin, il y avait à cette époque Oume Nyobé
à la tête de l’Union du Peuple Camerounais (U.P.C.) qui, dans une
guérilla sans concessions, exigeait l’indépendance du Cameroun. Il en
était de même au Togo et à Madagascar, ces mouvements venaient après
ceux d’Algérie et surtout après la terrible défaite française dans la
cuvette de Dien Bien Phu en Indochine. De Gaulle, tirant les leçons de cet
échec avait amorcé des négociations secrètes qui aboutiront aux accords
d’Evian. D’une intelligence remarquable, visionnaire à souhait, De
Gaulle voulait préserver les intérêts à long terme de la France dans le
contexte des rivalités Est-ouest. Il lui fallait trouver le moyen de «reculer
pour mieux y sauter». Lorsqu’il est rappelé au pouvoir en 1958, c’est en
réalité à une Algérie française qu’il songe, d’où cette célèbre phrase qui
lui est attribuée : «L’Algérie sera française aujourd’hui et toujours» .




                                     24
De fait, son premier voyage en Algérie est du type impérialiste. Aux
prises avec la réalité des colonies, il est gagné par des sentiments plus
subtiles.
         Dans cette circonstance, la Guinée aura été un élément
catalyseur dans le changement d’attitude de De Gaulle. A cette époque
Sékou Touré, visiblement anti-impérialiste déclarait: «je préfère être un
chien efflanqué et libre que d’être un chien gras avec une corde au cou».
Devant cette réalité dans les colonies, De Gaulle crée la Communauté
franco-africaine. Cette organisation qui ne durera que le temps d’un feu
de paille. Les colonies deviennent indépendantes en association avec la
France, ce qui fera dire aux intellectuels africains syndicalistes qu’il
s’agissait d’une indépendance qui n’en était pas une, la France
continuant à diriger les colonies sous le verni d’une pseudo-
indépendance.
         Léon Mba pourtant opposé à l’indépendance accepte néanmoins
le poste de Président de la République. La réaction des révolutionnaires
gabonais est vive. Ils n’hésitent pas à lancer des propos du genre «M.
Léon Mba, vous êtes Président avec les attributs, sur le plan
international d’un chef État, mais le véritable chef État c’est
l’Ambassadeur de France.» En effet la situation du Gabon n’aura pas
évolué d’un iota. Pour preuve Bongo prend la tête du pays sans avoir été
élu par le peuple gabonais, ni avoir été désigné par Léon Mba qui, à
l’époque, agonisait. Les derniers moments de vie de cet homme
historique furent à la fois tristes et pitoyables. La salle dans laquelle il
fut interné ressemblait à une véritable forteresse. Même ses femmes n’en
avaient pas accès. Deux Gabonais auront ce privilège : Bongo et Rawiri.
Eux seuls auront vécu ce qui s’était réellement passé. Ils en conservent
jalousement le secret face à l’histoire et sur la base d’une confiance entre
les deux hommes.
         La salle, interdite au reste des Gabonais était pourtant
accessible aux Français dont la présence régulière ne fait l’ombre
d’aucun doute, en particulier une certaine Madame Gorne, en sa qualité
de maîtresse de Léon Mba, dit-on. La version officielle donnée de la mort
du premier Président du Gabon est tellement entourée de zones d’ombre
que ses enfants ne semblent pas en être convaincus.




                                    25
L’on sait par exemple que Léon Mba avait des comptes en Suisse.
Curieusement, ses enfants ne sont jamais rentrés en possession de cet
argent épargné dans les banques de ce pays. On pense que la seule qui en
connaissait les numéros est Madame Gorne qui s’en est probablement
appropriée. Me Agondjo, pour cette affaire, sera d’ailleurs consulté par
les parents du défunt. Il est donc permis d’avancer que l’indépendance du
Gabon, pour ne parler que de ce pays, est «une indépendance octroyée».
Voilà pourquoi la France exploite en toute liberté les richesses du
Gabon. D’où la présence au pouvoir de Bongo dont le rôle déterminant se
résume à préserver les intérêts de la France. Mais le caractère de
l’indépendance du Gabon ne suffit pas à expliquer la mainmise de la
France sur le Gabon.

La France choisit Bongo

         Les origines géographiques de Bongo constituent aussi un
élément moteur ayant guidé les Français dans le choix de cet homme.
Franceville d’où est issu Bongo regorge des minerais fort cotés en bourse
à l’époque, dont certains comme l’uranium et le manganèse seront
classés stratégiques dans les Accords de Coopération. Tournée vers le
Congo voisin sous régime communiste et donc sous influence de l’ex-
U.R.S.S, Franceville se trouve au centre d’une région que la métropole
considère comme un point faible capable d’entraîner tout le Gabon dans
le giron soviétique. La France met Bongo à la tête de ce pays en espérant
qu’une fois au pouvoir, il détournera l’attention des habitants de la
capitale altogovéenne de culture congolaise (d’où les noms des quartiers
comme Babembé, Poto Poto; des habitudes vestimentaires, notamment
chez les femmes marquées par le port du pagne et l’usage de la langue
munu kutuba) vers le reste du Gabon. D’ailleurs Me Agondjo qui a
longtemps séjourné au Congo, lorsqu’il entreprend en 1971 un voyage à
Franceville, est fortement frappé par la manière dont vivent les habitants
de cette ville. Il ne trouve aucune différence entre eux et les Congolais. Le
choix de Bongo, le moins crédible de tous les "hommes politiques
gabonais issus de la région, s’explique aussi par le fait qu’il était
manipulable. Ce qui ne pouvait pas être le cas d’Amogho, d’une maturité
politique évidente et alors très contestataire aux yeux des Français qui
l’ont connu lors de son passage au Haut Conseil de l’Afrique Équatoriale
Française (A.E.F.).




                                     26
Des hommes et des idées
                      en Afrique Centrale


L’échec de la Fédération centrafricaine
Amogho y siégeait (au Haut Conseil de l’A.E.F.) aux côtés de
Barthélémy Boganda, Président de cette institution. Ce fervent
«Centrafricain» dont l’aura était suffisamment forte, était l’homme d’État
en Afrique Centrale le plus représentatif des aspirations africaines. Il
connaissait notamment le sort réservé aux Africains. On peut croire que,
clairvoyant et révolutionnaire, Boganda était l’homme dont l’Afrique
avait besoin. D’aucuns pensent que cet homme était le Krumah d’Afrique
Centrale. Originaire d’Oubangui-Chari, actuel Centrafrique (ainsi baptisé
en raison des visées centrafricanistes de Boganda), Barthélémy Boganda
lance l’idée des États-Unis d’Afrique Centrale qui, malheureusement, se
heurte à l’opposition de certains Africains dont les Gabonais. Le Gabon
bénéficiait alors d’un prestige lié à la possession d’immenses ressources
minérales, mais aussi d’une tradition de pourvoyeuse de ressources aux
autres pays de l’A.E.F. à ses dépens, ce qui faisait dire que le Gabon était
«la vache à lait» de l’A.E.F. De plus, les Gabonais étaient conscients de
leur taux de croissance démographique relativement faible comparé aux
autres pays de la région. Ils ne pouvaient donc pas être favorables à
l’idée pourtant noble de ce grand homme historique que fut Boganda .

Le foisonnement démocratique gabonais
         Si De Gaulle n’avait pas institué au Gabon cette «indépendance
octroyée», ce subterfuge soutenu par ceux qu’on appelait à l’époque «les
laquais de l’impérialisme» ou «les chiens rampants», la démocratie
amorcée au cours des années soixante, grâce au pluralisme politique,
aurait atteint des proportions contraires à l’actuelle démocratie
balbutiante. Avant que Bongo n’instaure le Parti unique en 1968, le Gabon
voit surgir des partis politiques animés par des personnages au charisme
certain. Parmi ceux-ci, le Bloc Démocratique Gabonais (B.D.G.) fondé
par Gondjout et Léon Mba.




                                    27
Ce dernier fut un moment considéré par la France et les forces
économiques comme un révolutionnaire. Le B.D.G. était de fait rattaché
au R.D.A. qui partageait le programme communiste, sauf l’idéologie sur
l’athéisme. Le peuple gabonais foncièrement animiste, partageait mal
les vues communistes sur l’aspect philosophique, notamment le
matérialisme dialectique. Le R.D.A. militait à l’origine en faveur de
l’émancipation de l’Afrique Noire, ce qui avait donné à Léon Mba une
image de communiste. Aubame quant à lui était l’homme des milieux
chrétiens. Son Parti, l’Union Démocratique Socialiste Gabonaise
(U.D.S.G.), professait un socialisme chrétien. Il siégeait à l’Assemblée
nationale française aux côtés du Mouvement Républicain Populaire
(M.R.P.), Parti essentiellement chrétien.
         Le Parti de l’Union Nationale Gabonaise (PUNGA) de René
Paul Souzatte, qui arrive un peu plus tard professe, du moins sur le plan
théorique, une idéologie socialisante. Quand ce Parti s’établit, le
socialisme d’Aubame et de Léon Mba n’est plus qu’une vue de l’esprit. Le
PUNGA arrive donc à point nommé et va donner une bouffée d’oxygène à
ces deux aînés visiblement en perte de vitesse. Léon Mba qui est pourtant
considéré par la France comme révolutionnaire perd peu à peu sa fibre
militante et se retrouve dans le camp des impérialistes. Devant ce
revirement idéologique, la métropole ne voit plus en lui «Le diable
communiste». Léon Mba devient ainsi l’homme des forestiers qui le
mèneront au pouvoir. Les forestiers étaient alors très puissants en raison
de l’exploitation du bois qui, à cette époque, était la première richesse du
pays sinon sa principale activité économique comme l’est le pétrole de
nos jours. Ainsi’, Léon Mba devenu l’homme des forestiers se retrouve
face à une dissidence menée par Jean Hilaire Aubame et René Paul
Souzatte. Il s’insurge désormais contre toute rébellion naissante,
notamment celle de certains de ses compagnons de lutte anti-
impérialiste. René Paul Souzatte sera arrêté et jeté en prison, tandis que
le PUNGA disparaissai t.
         Lorsque Jean Hilaire Aubame s’allie à Gondjout, une alliance
contre nature au demeurant, Léon Mba devient encore plus autoritaire.
Son poste de Président à l’Assemblée aidant, Gondjout utilise la voie
parlementaire en faveur d’une motion de censure. Elle est adoptée à la
fois par les hommes favorables à Aubame et par une fraction du B.D.G.
en vue de renverser Léon Mba. Quand ce dernier l’apprend, sa réaction
est brutale. Outre qu’il en informe ses amis français qui lui conseillent un
coup État constitutionnel, il fait arrêter Gondjout et ses complices qui
échouent en prison.



                                    28
Contre toute attente, Léon Mba, soucieux d’une certaine unité nationale,
met à ses côtés Aubame qui devient Ministre des Affaires Étrangères. En
fait, Léon Mba croit avoir pulvérisé toute la rébellion pour gouverner en
paix. Mais il trouve Aubame encore plus encombrant. Les rapports entre
les deux hommes sont de plus en plus tendus. Aubame est finalement
démis de ses fonctions gouvernementales. Quelques années après, c’est
le putsch de 1964 au cours duquel plusieurs Gabonais furent tués par les
forces françaises venues rétablir Léon Mba au pouvoir.

L’autoritarisme appelle la révolte
          Quand éclate ce putsch, Me Agondjo est en France depuis 1959.
Il fait partie des jeunes gabonais qui voient un signe avant-coureur du
changement politique manqué en 1960. Mais quand la France décide de
remettre Léon Mba au pouvoir, tous les espoirs suscités par ce putsch
volent en éclats. Dans les conditions de l’époque, les révolutionnaires
gabonais en France ne comprendront pas une telle attitude de la part de
la France. Car ce putsch n’était rien d’autre qu’un dépôt légal d’un
Président par l’armée nationale. Il s’agissait donc d’une affaire intérieure
au Gabon. Même si certains voyaient derrière ce putsch la main
américaine, on ne peut pas dire que le contraire aurait dissuadé les
Français d’intervenir. De Gaulle n’avait jamais accepté qu’on ébranle ce
qu’il avait mis en place.
          Me Agondjo à cette époque est à Lille et ne descend à Paris que
lorsqu’il apprend la nouvelle. A peine arrivé à la Gare du Nord, il est
ébloui par le grand titre du journal Le Monde : «Le coup État maté au
Gabon». Il s’écroule en sanglots. Voilà qui lui permet de mesurer la
dimension de l’indépendance arrachée au colonisateur qui forge la
conscience, nationale par rapport à l’indépendance obtenue par les
Gabonais. Les étudiants gabonais, venus de partout convergent alors à
Paris qui devient le temps de l’événement le lieu d’une sorte d’État-major.
Tous les particularismes ethno-régionalistes s’estompent pour faire
place à un happening centré sur une préoccupation commune les
plongeant dans une vive émotion. Visiblement impuissants devant cette
triste affaire, les étudiants n’avaient rien d’autre à faire que remplir des
sceaux de larmes destinées à leurs frères qui avaient payé de leur vie la
tentative de renverser le pouvoir.




                                    29
Le parcours du combattant


Dans le mouvement associatif
         Il commence avec Joseph Rendjambé qui est entré au collège
Bessieux peu après son aîné Pierre-Louis Agondjo Okawé, et qui se
retrouve pendant ses vacances scolaires avec lui à Omboué, aux côtés de
René Paul Souzatte, pour faire campagne contre le OUI au référendum
de 1958. Trois pays du Continent africain avaient voté pour le NON à
cette occasion : la Guinée, le Niger et en troisième position le Gabon.
Mais dans ce dernier cas, le OUI l’a finalement emporté. Cet échec était
lié au revirement de Jean Hilaire Aubame en faveur du OUI et ce, malgré
le désaveu de certains membres de son Parti dont Messieurs Simost,
Nkombé et Otando.
         La présence remarquée de Me Agondjo pendant cette période de
la vie politique du Gabon attire l’attention des autorités qui commencent
à s’intéresser aux activités du jeune lycéen. C’est aussi en cette année
1958 qu’il se lance dans l’action syndicale et associative. Il est tour à tour
Président de l’Union des Jeunes du Fernan-Vaz (U.J.F.), membre du
bureau de l’Association des Élèves des Établissements Secondaires du
Gabon, puis Secrétaire Général, chargé de l’implantation de
l’Organisation de Coopération Intellectuelle (O.G.A.C.I.), le paysage
politique national étant dominé par l’action de trois grands partis
politiques dont le B.D.G., l’U.D.S.G. et le PUNGA déjà présentés.
         Dès sa première année d’études universitaires à Lille, il est élu
au Comité exécutif de l’Association Générale des Étudiants du Gabon
(A.G.E.G.). Il est membre de la F.E.A.N.F. aux côtés de Henri Lopez
(Congolais) du Dr Baroum (Tchadien), de Alpha Condé de Guinée, de
Dieng Amadi du Sénégal, de Pouzère de Centrafrique et de Dossou de
l’actuel Bénin, etc. Il approfondira sa formation syndicale en participant
aux travaux de différentes commissions des congrès organisés par cette
fédération. Chargé par l’A.G.E.G. d’une mission de sensibilisation
pendant ses vacances à Port-Gentil et à Omboué en 1961, il publie dès
son retour en France un compte-rendu dans la revue «L’Étudiant du
Gabon», qui lui vaut la suppression de sa bourse.
         Quand il rentre en août 1968 au pays, les libertés syndicales et
politiques sont bâillonnées. Il n’existe qu’une seule cellule syndicale, la
Confédération Syndicale Gabonaise (COSYGA) et le Parti Démocratique
Gabonais (P.D.G.) qui sont des structures institutionnalisées de l’État.



                                     30
Ce parcours syndical qui achève aussi sa formation politique le conduit
une fois au Gabon à la création d’associations qui ont pour but
l’éducation et la formation des jeunes. C’est ainsi qu’il participe avec
beaucoup d’autres ressortissants de la localité à la création de l’Amicale
d’Etimboué (AMETI), dont la première manifestation significative est la
célébration du centenaire du Fernan-Vaz, au cours de laquelle les
membres de l’amicale évoquent l’histoire de la résistance des habitants à
la pénétration française dans le département.
         A l’Université où il est enseignant, il aide, aux côtes de
Rendjambé, les étudiants à créer une organisation de défense de leurs
intérêts placée sous la présidence de Nzoghé Anselme. Les autorités
politiques qui suivent les activités de cette organisation arrêtent les
membres du bureau exécutif et les professeurs supposés être les
instigateurs. Pierre-Louis Agondjo-Okawé et Joseph Rendjambé sont de
ceux-là.
         Il fut un temps où le Gabon et le Congo ne présentaient aucune
différence. L’un se disait capitaliste et l’autre communiste. Mais quant au
fond c’était les mêmes régimes monolithiques, jusqu’à la phraséologie :
«Comité central» ici, «Comité Central» là-bas; «Bureau politique» et
«Camarade» se retrouvaient chez l’un comme chez l’autre. Le Congo sur
le plan démocratique n’était pas une référence. Les contacts de Me
Agondjo avec la société congolaise étant multiformes, il se réjouissait de
rencontrer au Congo ses frères d’armes de la F.E.A.N.F. ou de l’A.G.E.G.

Entre Libreville et Brazzaville,
l’expérience congolaise
         L’expérience congolaise était pour lui bénéfique car elle lui avait
permis d’examiner l’application de la théorie marxiste sur le terrain. Il
faut dire que son expérience congolaise, au-delà d’un intérêt intellectuel,
fut douloureuse à cause des putschs manqués, le premier s’étant produit
alors qu’il séjournait au Gabon et sa famille au Congo. Ce putsch qui
conduira certains durs du régime à l’exil, tel Me Moudiléno-Massengo
qui, pendant le putsch, se réfugiera chez Me Agondjo dont le domicile
était proche. Il sera obligé de s’exiler en France. Établi dans ce pays
comme Avocat depuis lors, son mutisme étonne face à l’évolution
politique dont son pays est l’objet.




                                    31
Me Agondjo vécut des moments forts particulièrement rudes. Par
exemple il fut fortement bouleversé quand, rentré au Congo, il trouva une
amie dont le mari, M. Matchokota qui occupait alors de hautes fonctions,
était devenue veuve. Le pouvoir avait fait découper son mari en
morceaux. Me Agondjo juge cette période comme une phase trouble de
l’histoire du Congo. Malgré tous ces drames, il fut tout aussi surpris sur
le plan des loisirs par rapport au Gabon.
           Ainsi les Congolais commençaient à danser à sept heures du
matin et cela pouvait durer jusqu’au lendemain. Le Congo pour lui était
un drôle de pays. On lui apprit que tout ce qu’il avait vu jusque-là n’était
rien comparé à l’époque de Fulbert Youlou. L’expérience congolaise fut
enrichissante sur certains points, notamment en raison des
contradictions inter-ethniques dont résultaient la grande coupure entre le
Nord et le Sud, coupure que l’on retrouve partout, avec au Sud le
leadership des Lari réfractaires à l’hégémonie des Mbochi du Nord. Le
Congo étant une fenêtre sur l’autre rive a permis à Me Agondjo d’avoir
une vision large sur le Zaïre. Tous ces contacts lui ont permis de tirer des
enseignements utiles pour le Gabon.
           Me Agondjo allait au Gabon tous les quinze jours pour travailler
à son cabinet d’Avocat. Ce genre d’activité était supposé être un
laboratoire propice à la contestation et ne pouvait à n’en point douter que
provoquer une levée de boucliers de la part du pouvoir. Malgré tout, il ne
s’était jamais mis à l’idée que la création de son cabinet pouvait
constituer une menace pour l’autorité de l’État. Il ne pouvait déjà pas
l’ouvrir, car il était alors stagiaire chez Me Julien.
           Le jeune avocat voyageait à ses frais entre Brazzaville et
Libreville. C’est d’ailleurs dans le souci d’alléger ses frais de transport
qu’il s’inscrira à la Faculté de Lettres pour bénéficier du tarif préférentiel
auquel avaient Droit les étudiants. Me Agondjo jouissait d’une
autonomie financière vis-à-vis de l’État gabonais.
           En dépit de ses distances avec le pouvoir, Bongo le fera
convoquer à plusieurs reprises pour lui tenir des propos du genre «Tu ne
me fais pas peur ... C’est pas parce que tu es le premier avocat de ce pays
(...) il paraît que tu me traites d’ignare ... » Me Agondjo en conclut qu’il
était l’objet d’une campagne de délation alimentée de rapports
compromettant qui étaient l’œuvre d’avocats français qui voyaient d’un
mauvais œil l’installation d’un concurrent autochtone. Ce fut en
particulier le cas de Me Vannoni alors Doyen des avocats du Gabon, qui
se trouvait être aussi l’avocat de l’État gabonais et du Président de la
République.



                                     32
Du reste les rapports entre M Agondjo et Me Vannoni seront des plus
orageux jusqu’à la retraite de ce dernier.

L’universitaire novateur
Lorsque Me Agondjo rentre en 1968, il n’y a pas d’Université au Gabon.
Mais il y a ce qu’on appelait à l’époque la F.E.S.AC. (Fondation de
l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale) qui avait vu le jour
quelques temps plus tard. Les Instituts et Facultés étaient concentrés à
Brazzaville. Il postule donc une place d’enseignant. Quand le Gabon
décide de mettre sur pied cette Fondation, au départ «École de Droit et de
Sciences Économiques» qui deviendra par la suite la Faculté de Droit,
principale structure universitaire baptisée «L’École de Droit de
Libreville», Me Agondjo s’installe à LibreviIle. Mis au fait des
performances du jeune universitaire Pierre-Louis Agondjo-Okawé par
les autorités universitaires congolaises, le corps enseignant librevillois
lui réserve un accueil bien mérité. Il faut préciser que si les performances
au Congo du jeune enseignant ont conquis le giron universitaire
gabonais, c’est à cause d’un cours très célèbre qu’il introduira dans les
programmes de la F.E.S.A.C . Le succès qu’arrache ce cours est tel que,
une fois au Gabon, Me Agondjo recevra, de temps en temps la visite de
certains universitaires congolais qui venaient pour se donner tout
l’outillage nécessaire.
          Ce cours portait sur l’histoire des institutions et des faits
sociaux. Un cours qui posera des problèmes sans précédent et qui de nos
jours a connu une révision qui le transformera en cours d’Anthropologie
juridique. C’est en 1970 qu’il enseigne pour la première fois au Gabon.
Avec Nguéma Isaac, il introduit une innovation à la Faculté de Droit de
Libreville. Nguéma Isaac était un de ses condisciples à Lille et passera
comme Agondjo par le Laboratoire d’Anthropologie Juridique de cette
Université. Très liés par le destin, les deux hommes auront le même
Directeur de thèse avant de se retrouver comme enseignants dans la
même Faculté. Le tandem décide donc de fonder à la Faculté une section
de Droit traditionnel à côté de celle de Droit privé et public qui seule
existait à cette époque.
          La nouvelle Section de Droit traditionnel donnait des cours mi-
traditionnels, mi-anthropologiques et même sociologiques. L’opportunité
de cette section trouve sa raison dans les mutations sociologiques du
Gabon.




                                    33
Notons que l’Université du Gabon, une fois créée, se trouvait sous la
tutelle de l’Université de Nancy en France. C’est ainsi que chaque fin
d’année académique, l’Université de Nancy déléguait un Professeur qui
venait superviser les examens, et la relation était parfaite tant que rien ne
l’ébranlait. C’est à la fin de l’année 1971 que Me Agondjo entame
réellement son parcours du combattant, véritable chemin de croix, qui
commence notamment avec un rapport cinglant de la part du spécialiste
de Nancy. Ce dernier supportait mal que le cours français soit remplacé
par un cours d’histoire des institutions africaines. Ce qui avait valu à Me
Agondjo l’image d’antifrançais et son expulsion de l’Université qui, à
l’époque, avait Owono Nguéma pour recteur.
         Les autorités universitaires de Libreville embarrassés devant
l’idée de réintroduire le cours français dans les programmes et conserver
ou retirer simplement le cours litigieux, décidèrent de mettre à la place
un cours de Droit musulman. On dépêchera donc de France un
spécialiste dans ce domaine. Bongo s’étant converti à l’islam, le cours de
Droit musulman trouvait sa justification. Ce cours sera dispensé
jusqu’en 1976. Entre temps, Me Agondjo est jeté en prison et il y restera
jusqu’à cette date qui sera aussi celle de sa réintégration en Faculté de
Droit de Libreville. En effet, la même année, il lui sera proposé un poste
de Ministre qu’il refusera. Une deuxième offre lui sera faite en ligne
droite avec son profil. Il est donc nommé Doyen de la Faculté de Droit de
Libreville. A peine est-il installé au décanat qu’il réintroduit le cours de
Droit traditionnel. Il l’enseigne jusqu’à nos jours.

Le doyen rigoureux
Dans ses fonctions de Doyen, Me Agondjo incarne la rigueur. Pourtant,
en 1979, deux événements vont marquer sa vie. Le premier se produit
alors que Jean Boniface Assélé est Ministre de l’Éducation nationale et
de l’Enseignement Supérieur. A l’Université des partiels sont organisés.
Le chef de la scolarité a pour nom Soka, grand militant tapageur et zélé
du P.D.G. Au matin, tous les étudiants attendent que commencent les
examens. Quand Me Agondjo arrive, il est surpris de constater que rien
n’a été fait du côté du chef de la scolarité à qui revenait le devoir
d’organiser matériellement les examens et qui dit-on, était parti pour
l’aéroport accueillir Bongo, en espérant que les examens seraient
reportés au lendemain. Me Agondjo, dans sa grandeur d’homme de
rigueur, mit tout en place pour permettre aux étudiants de composer.




                                     34
Et cela fut fait malgré le retard observé. Tout comme Madame Ibinga
Mangwangu alors Secrétaire Général de la Faculté de Droit et Sciences
économiques, il ne cache pas sa rage contre cette dérive idolâtrique du
chef de la scolarité. Ce dernier, interpellé et réprimandé par le Doyen
Agondjo, cherche à se venger. Il s’arme d’un rapport de quatre pages
dans lequel figure toute une série de mensonges contre lesquels Me
Agondjo et Madame Ibinga s’inscrivent en faux. A la suite de ce rapport
le Président Bongo prend un décret disposant que, dorénavant, tout le
corps enseignant serait à l’aéroport à son départ comme à son arrivée,
décret qu’il s’empresse de retirer, dissuadé par Me Agondjo qui n’hésite
pas à relever le caractère impertinent de ce décret susceptible de
provoquer des troubles à l’université.
         C’est au cours de l’année 1979 que se produit le deuxième
incident. Ndouna Dépénaud vient d’être assassiné. La peur hante tous les
esprits. L’air du temps est très morose. Un soir, des individus en
uniforme et encagoulé investissent très tard dans la nuit le bureau du
Doyen Agondjo. La scène se passe sous le regard craintif d’un veilleur de
nuit à qui, après constat, il sera demandé de conduire les inconnus au
domicile de Me Agondjo. Malgré les menaces, le gardien dira ne pas
connaître le domicile de Me Agondjo. Informé le lendemain, Me Agondjo
foncera Droit chez Assélé son ministre de tutelle et chef de la Police. Ce
dernier va commencer par organiser sa protection en mettant à sa
disposition des tireurs d’élite autour lui, à l’Université et à son domicile.
Alertés, ses parents vont débarquer à libreville pour «remettre la vie
d’Agondjo» entre les mains du chef de l’État, donc de le rendre
responsable de tout ce qui pouvait lui arriver. La réponse fut l’expulsion
de Me Agondjo du décanat.
         Ultime étape du parcours du combattant avant les
présidentielles, la lutte pour la survie du Parti Gabonais du Progrès
(P.G.P.), dont la liquidation était programmée par le pouvoir aussitôt
après sa fondation.

La création du P.G.P.
         Il convient de rappeler d’abord que la création du P.G.P. est une
œuvre commune. Elle se déroule aussi bien à Libreville qu’à Port-Gentil.
En effet, le document de politique intérieur voit le jour dans la capitale
gabonaise et sera adopté dans l’Ogooué-Maritime. Cette première
ébauche est signée de Pierre-Louis Agondjo-Okawé qui bénéficiera un
peu plus tard de la confiance de ses pairs pour présider aux destinées de
la nouvelle structure politique.


                                     35
Hommage à Joseph Rendjambé
La marche de la Coordination de l’Opposition Démocratique (C.O.D.)
à l’occasion du premier anniversaire de la mort du premier Secrétaire
Général du Parti Progressiste Gabonais (P.G.P.)
Nan Nguéma, Nan Békalé, Joseph Rendjambé et Aganga
Akélaguelo s’attélèrent à l’élaboration minutieuse des documents de
politique économique, sociale, culturelle et étrangère. La Constitution de
ce dossier aboutit à la naissance du P.G.P. et à l’installation d’un bureau
le 10 mars 1990, après le dépôt légal du dossier au Ministère de
l’Administration du Territoire.
         À la suite d’un bref séjour à Port-Gentil, Me Agondjo se
rapproche des associations politiques adolescentes et en fin stratège met
au point avec elles le Front Uni des Associations et Partis Politiques de
l’Opposition (F.U.A.P.O.). Dans un premier temps, ce front estompe les
craintes des uns et des autres. Sous cette bannière, les partis et
associations arriveront sereins à la Conférence Nationale et balayeront
d’un revers de la main l’idée du R.S.D.G. Me Agondjo évoque avec
émotion le rôle joué par Rendjambé à cette assemblée.
         La mort de ce dernier demeure un mystère pour le Président du
P.G.P., une perte énorme pour le P.G.P. Joseph Rendjambé était en effet
une personnalité disposant d’une longue expérience politique et de
connaissances dans des domaines variés. Il était dynamique et possédait
un sens de l’organisation irréprochable . Aussi sa précieuse contribution
à l’édification de la Conférence Nationale laisse des souvenirs
inoubliables dans la mémoire de ses concitoyens.
         Comme toute structure vi,vante, le Parti Gabonais Gabonais du
Progrès a connu des divergences. Les premières sont nées de l’existence
au sein du Parti d’une tendance favorable à une politique libérale
impliquant (la privatisation totale de l’économie. Elle était alors
soutenue par Marc Nan Nguéma. L’autre tendance, proche d’une
économie de marché pouvant sauvegarder le parapublic, était développée
par Agondjo et Rendjambé .
         Au cours de l’année 93, une nouvelle raison de divergences est
apparue au sein du Parti en liaison avec le courant du Pari. Quand nous
nous étonnons de l’absence des ténors de ce courant au Congrès
Extraordinaire de juillet 93 et lui demandons si ces militants étaient
exclus du Parti, Me Agondjo répond par la négative et éclaire notre
lanterne sur la question. Le Pari, explique-t-il, n’a été exclu par aucune
instance du P.G.P., c’est tout le sens de la conférence de presse du P.G.P.
du 10 février 1993. Le Pari s’est marginalisé lui-même. Il avait des griefs
contre le Parti, des griefs de trois ordres.




                                    37
Certains étaient justifiés. Par exemple les membres de ce courant
reprochaient au Parti de ne pas peaufiner son image de marque et de ne
pas se préoccuper des problèmes de communication au sein du Parti.
Sur ce point, ils avaient raison et le Parti le leur avait fait comprendre.
          D’autres griefs relevaient de la compétence du Congrès et de la
base, en l’occurrence les problèmes du tribalisme et de la géopolitique.
Ils estimaient que le Bureau du Parti avait été mal formé au Congrès
parce qu’on avait trop tenu compte des considérations régionales et
ethniques alors qu’il ne fallait tenir compte, selon eux, que de la
compétence et de la valeur des membres du Bureau.
          Il y avait également le problème des courants. Le Pari est un
courant reconnu comme tel depuis le dernier congrès Ordinaire après
des débats houleux. Mais ce n’est pas le Pari qui pose ce problème
aujourd’hui, c’est une frange du Pari. Il y a des Parieurs qui sont restés
dans le Parti, ils n’ont pas suivi les ténors du courant. Le Parti a estimé
qu’il fallait les laisser agir malgré l’étiquette de staliniens purs et durs
qu’on lui colle. Le problème sera réglé lors du prochain Congrès
Ordinaire du Parti. Aujourd’hui le débat théorique sur les courants paraît
évacué. De fait, dans la pratique, le courant du Pari aura démontré les
limites de cette formule dans l’état actuel des mentalités. Cette
expérience se révèle donc utile dans la mesure où elle aura permis non
seulement au P.G.P., mais aussi aux autres partis, de réf1échi sur la
notion de courant et de son fonctionnement. Comme quoi, l’expérience en
valait la peine et le P.G.P. est fier de l’avoir initiée dans l’intérêt bien
compris de la démocratie pluraliste au Gabon.
          Confronté à l’adversité, Me Agondjo sait désormais que sa
propre survie n’a d’intérêt que si elle est utile au Gabon et aux Gabonais.
Au-delà de ses compatriotes, les perspectives de son engagement sont
toujours restées ouvertes sur tout ce qui, de part le monde, en Afrique
plus spécialement où la démocratie se fraye un chemin étroit, lutte pour
les mêmes idéaux que lui. Le Bâtonnier Agondjo s’emploie ainsi dans la
défense des faibles avec enthousiasme et abnégation, servi en cela par sa
foi en l’avenir et son immense compétence.




                                    38
L’Avocat des causes perdues


Homme politique de renommée nationale et internationale, brillant
Professeur d’Université, Anthropologue et Spécialiste du Droit
Traditionnel et membre de plusieurs Organismes internationaux, Pierre-
Louis Agondjo-Okawé qui préside avec dynamisme et altruisme aux
destinées de la première force de l’Opposition gabonaise est un Avocat
émérite. Il l’a démontré, au péril de sa vie, en plusieurs circonstances
dont nous ne retenons que les plus saillantes.

Le procès de Madame veuve Mba Germain
Sa première plaidoirie politique eut lieu en 1971 lors du procès de
Madame veuve Mba Germain, victime d’une chasse à l’homme organisée
par les Services secrets de Bongo. Une affaire qui fera grand bruit dans
l’opinion nationale et internationale, au point que le pouvoir tentera de
galvauder le procès pour calmer les ébullitions. A cette époque, se mêler
d’une histoire qui entame directement l’autorité de l’exécutif relevait, à ne
point douter, de la pure témérité. Me Agondjo qui est constitué partie
civile par la famille du défunt accepte de plaider gracieusement pour la
veuve qui fait l’objet de plusieurs tortures morales et physiques de la part
du pouvoir. Elle avait été emprisonnée pour outrage au Président de la
République. Et pourtant, elle n’avait fait que réclamer le cadavre de son
mari.
         En dépit des menaces de mort et la campagne d’intimidation
orchestrées contre sa personne, le jeune avocat qu’il est alors s’engage
coûte que coûte à plaider pour des raisons fondamentales .
         Au-delà de Madame veuve Mba Germain, il voit d’abord la
justice et les libertés et en toile de fond sa situation de premier avocat
gabonais. Car pour lui, certaines personnes doivent payer de leur vie
pour la survie d’autrui. Toutefois, sa détermination à défendre ce cas
dépassera aussi les injonctions des notables de l’Ogooué-Maritime qui
s’y opposeront «Qu’espérez-vous réussir face à la puissance de Bongo, au
lieu de postuler un poste au gouvernement, afin d’aider toute la province
Vous préférez lutter contre lui par simple orgueil» lui avaient-ils clamé
la veille du procès. Au terme d’une plaidoirie anthologique, il démontera
les écheveaux dressés par le pouvoir dont il prouvera aussi la culpabilité
dans l’assassinat de Mba Germain.




                                     39
1 - Me Agondjo, l’Avocat dans ses œuvres




         2 - La rentrée judiciaire ,
         au fond à gauche on reconnaît
         Pierre Fanguinovény ,
         Me Agondjo (1er plan à droite)
Cet acte de courage fera de lui une légende et atteindra au paroxysme de
sa profession. Mais le pouvoir, machiavélique, ne le lui pardonnera pas.
Il est accusé d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État. L’an 1972, il est
arrêté, jugé et condamné à huit ans de travaux forcés.

L’avocat sans frontières
         Plusieurs années plus tard, le courage et l’abnégation qui
l’animent à reculer les limites de l’impossible le conduisent à Abidjan en
1992. Là-bas, il sera l’avocat de Laurent Barbeau, homme politique
ivoirien, avec qui il entretenait des rapports très limités. Le fait le plus
marquant est qu’ils sont tous deux idéalistes, défenseurs de la justice, de
la liberté et de la démocratie en Afrique. Leurs adversaires respectifs
sont Houphouêt-Boigny et Omar Bongo.
         Barbeau, figure emblématique du paysage politique ivoirien,
détenteur du doctorat d’histoire-géographie, éprouve une passion folle
pour le barreau et regrette parfois de n’y avoir pas fait carrière. L’un et
l’autre emprisonnés, humiliés puis exilés, semblent avoir une destinée
conjointe qui se résume dans ces mots : Justice sociale et courage. Une
fois rendu dans la salle d’audience du Tribunal d’Abidjan, Me Agondjo
est choqué et indigné quand il remarque que quatre de ses collègues
députés sont enchaînés et menottes aux poignets. Alors il déclare
d’entrée de jeu devant le Juge unique et l’assistance qu’il avait effectué le
déplacement de Libreville à Abidjan non seulement pour défendre ses
collègues députés, professeurs et syndicalistes, mais aussi ses
compatriotes.
         En effet dans le lot des conjurés se trouvaient le mari d’une
Gabonaise et l’épouse (première journaliste de Côte d’Ivoire), d’un
médecin gabonais en service au Centre Hospitalier Universitaire
d’Ajamé. Ce dernier est en effet originaire de Lambaréné dans le Centre-
ouest du Gabon. Le batonnier Pierre-Louis Agondjo-Okawé défendait là
des combattants de la liberté. Cette action était bénévole, puis que les
titres de transport étaient à sa charge. En revanche, “pour tout l’or du
monde”, martèle-t-il, il n’aurait jamais défendu un dictateur comme
Moussa Traoré. Il avait d’ailleurs décliné l’offre d’aller défendre le frère
de Sassou Nguesso, l’ancien Président de la République Populaire du
Congo.




                                     41
Le temps de la réflexion
Défendre les libertés, c’est ce qu’il fait lorsqu’il réapparaît lors du procès
qui opposa le journal “Misamu” aux députés du Parti Démocratique
Gabonais (P.D.G.) de la province du Haut-Ogooué. Il était reproché à
cette publication d’avoir diffamé ces messieurs. Cette plaidoirie sera la
dernière du genre. Une disposition du Code électoral stipule qu’un
député-Avocat (il est le seul dans ce cas à l’Assemblée nationale) n’a
plus le droit de plaider devant la la chambre administrative sur les délits
de presse, une mesure discriminatoire prise dans le but inavoué de régler
des comptes avec lui.
         De toute évidence, pour Me Agondjo, il y a des procès que l’on
perd mais dont on est tout de même satisfait ) pour le travail accompli
qui se manifeste par les réactions du public. L’avocat plaide parfois tout
en sachant que son client n’obtiendra pas gain de cause, car certaines
sentences sont connues d’avance. C’est le cas des procès Mamboundou et
Moubandjo. Alors qu’une sorte d’anachronisme s’était installé, ces
procès se révéleront intéressants. Ils ont lieu alors que le Gabon est entré
dans le multipartisme. Les faits reprochés aux accusés datent de
l’époque du monopartisme. Ils auraient pu être relégués aux calendes
grecs ou simplement annulés. Car la privation de la liberté amène le
peuple à disposer d’un seul moyen légitime pour évincer le régime en
place: le coup d’État. L’histoire démontrera par exemple que l’affaire
Moubandjo était dépourvue de sens dans la mesure où tous les concernés
ont été victimes de duperies: Moubandjo, Bongo et l’État gabonais.
         Quant au procès Mamboundou, il aura été encore plus instructif
dans la mesure où il a révélé la pratique de la torture au Gabon, le
caractère irrégulier de la procédure pénale entreprise en raison de
l’intrusion des services secrets qui n’ont jamais comparu lors des
audiences Me Agondjo n’a jamais cédé face aux pressions indirectes
qu’il subissait de la part du pouvoir à travers les membres de sa famille
ou certains de ses amis. Chaque fois, il évoque son épouse qui, comme
lui, n’admet pas l’injustice et l’arbitraire et qui lui est d’un soutien non
négligeable lors de nombreux affrontements avec le pouvoir. Le temps et
l’habitude feront prendre du plaisir à sa progéniture.
         Ses parents au contraire s’inquiètent de son avenir, ils songent
toujours aux représailles du régime pouvant engendrer son élimination
physique. D’ailleurs il a longtemps été emprisonné et en est sorti malade;
sa mère a frôlé la folie, ne pouvant supporter les sévices subis par son
fils aîné. Bien que certains juges aient été étudiants de Me Agondjo, ce
dernier sait ôter sa veste d’enseignant devant la Cour. Car l’avocat doit
une certaine déférence au Juge qui, en retour, lui doit aussi du respect.


                                     42
A la suite d’un procès gagné ou perdu, il estime que l’essentiel
est qu’il dise «J’ai bien fait mon travail». Une conscience professionnelle
paisible, indifférente aux humeurs de l’auditoire. Car selon lui, l’avocat
n’est pas payé pour le résultat, mais pour le travail accompli. On l’aura
compris, Me Agondjo est un homme de principes. C’est à n’en pas douter
ce qui le différencie plus encore de toutes les personnalités de sa
génération, en particulier des autres candidats aux élections de
décembre 1993.




                     Opinion sur les hommes



        Au cours de son parcours du combattant, Me Agondjo a
rencontré des hommes politiques gabonais acteurs de la vie politique
passé ou récente. Il en parle avec le souci de tirer les uns de l’oubli et la
volonté de se situer par rapport à d’autres.

Paul-Marie Yembi
         Paul-Marie Yembi a injustement été présenté comme un bouffon.
Cet homme historique que les gabonais connaissent peu ou presque pas
mérite plus d’égards que certains ministres gabonais aujourd’hui. Il est
fort regrettable que l’on juge Yembi non pas sur la base d’une valeur
intrinsèque, mais sur la manière dont il parlait le français. Le Président
du P.G.P. reste sensible au sort dont cet homme est l’objet.
         Il estime qu’on peut être éminent penseur, intelligent ou savant
dans sa langue maternelle. La maîtrise du français ne conférant pas un
rang de mérite intellectuel, il serait donc souhaitable que les Gabonais
réhabilitent Paul-Marie Yembi dans sa grandeur d’homme politique
historique, car Paul-Marie Yembi était très enraciné et méritait mieux
que le sort qui lui est réservé.




                                     43
René Paul Souzatte
         De René Paul Souzatte, personne n’en parle, hormis le P.G.P. qui
essaie d’exhumer ce grand acteur de l’histoire politique du Gabon. Sa
petite fille a témoigné sa gratitude au Président du P.G.P. lors d’une
rencontre à Paris. Il n’est pas évident que le pouvoir actuel puisse
réhabiliter ce grand homme. Pour preuve la collection “Mémorial du
Gabon” qui aurait pu devenir un repère et un outil historique voire une
vitrine pour la nouvelle génération, brille plutôt par des contrevérités
d’une vacuité certaine. Elle est tellement truffée de mensonges qu’on s’en
voudrait d’y figurer.

Jean Hilaire Aubame
         Me Agondjo qui était trop jeune à l’époque de la grande activité
politique de Jean Hilaire Aubame n’a pas eu de rapports avec l’un des
acteurs du putsch de février 1964. Lorsque Jean Hilaire Aubame sort de
prison et se rend en France, il reçoit la visite d’un jeune étudiant
gabonais très contestataire qui déplore ce qui lui était arrivé. Pierre-
Louis Agondjo-Okawé n’était déjà plus loin de son retour au Gabon.

Omar Bongo
Malgré la dérive totalitaire dont Bongo est l’incarnation, il reste
néanmoins le beau-père du Président du P.G.P. en ce sens que son frère
Ping a eu deux enfants avec sa fille. Étant l’aîné de la famille à laquelle
Ping appartient, la tradition gabonaise voudrait que Me Agondjo soit le
gendre et Bongo le beau-père, d’où ses rapports au demeurant
antinomiques en raison même de la nature des deux hommes. En effet,
Me Agondjo n’a jamais eu de rapports normaux de gendre à beau-père
avec Bongo. Les rapports politiques très conflictuels ont contribué à les
éloigner l’un de l’autre. Me Agondjo préfère du reste ce type de rapports
non possessifs. On entend souvent dire dans le milieu présidentiel
qu’Agondjo serait un antitéké. certains pensent même que si Ping
n’épouse pas la fille de Bongo c’est à cause de son mépris pour les gens
du Haut-Ogooué. Ce procès d’intention bien curieux relève probablement
d’une fausse compréhension des choses dans ce milieu qui ne se fait pas
à l’idée que Me Agondjo combat un système politique incarné, par Bongo
et non une ethnie.



                                    44
Jean-Jacques Bouckavel
        Cet homme a marqué son époque. Membre de l’Assemblée de
l’Union Française aux côtes de Paul Gondjout, sénateur et de ]. H.
Aubame député, il transitera par le P.D.G. qui l’a pressé comme un citron
jusqu’à son dernier jus avant de s’en débarrasser. Une théorie bien
connue des milieux pédégistes et qui marche très bien. Certains lutteurs
gabonais ou présumés tels en ont fait les frais.

Mba Abessole et Nzoghé Nguéma
         Les rapports de Me Agondjo et Nzoghé Nguéma se situent à
deux niveaux. Ils auront des rapports militants dans le M.G.AP. et dans
le P.G.T. Car les deux hommes commencent à lutter en France. Il y a
néanmoins une complicité idéologique qui a survécu jusqu’à nos jours,
notamment dans le F.U.AP.O. et dans la C.O.D. Ils entretiendront par la
suite des rapports amicaux. Mba Abessole en revanche n’a pas eu de
liens avec le Président du P.G.P., bien que les deux hommes se soient
retrouvés au collège Bessieux. C’est en France, un été, qu’il rencontre
Mba Abessole accompagné de Max Anicet Koumba, l’un et l’autre étant
très liés à l’époque. Les trois hommes échangent des propos dans un
café. Les rapports entre Me Agondjo et Mba Abessole sont très
conflictuels, non pas tant en raison de leur nature opposée, mais des
divergences entre leurs deux partis sur l’approche des problèmes
gabonais.

Mihindou Mi Nzamba
         Mihindou Mi Nzamba est le client de Me Agondjo, n’en déplaise
à certains. «Je défends le Droit et la justice et non les individus» se plaît à
dire Me Agondjo. Lorsqu’il prend en main la défense de cet homme,
Mihindou est déjà à son troisième emprisonnement, en raison de ses
démêlés avec le pouvoir. Il sera toujours défendu autant que de besoin.
Mais Me Agondjo regrette néanmoins le fait que son client ait posé
certains actes.

Jules Bourdès Ogouliguendé
        Jules Bourdès Ogouliguendé et Pierre-Louis Agondjo-Okawé
étaient des amis. Ils se retrouvent d’abord au collège Bessieux, puis à
Lille.



                                      45
Ogouliguendé était pour Me Agondjo plus qu’un frère et il est resté en
France malgré les divergences politique entre eux, divergences nées dans
les milieux révolutionnaires gabonais en France.
         Le retour au Gabon de plusieurs révolutionnaires dans un tel
système (le système Bongo) bien qu’à dessein, n’aura contribué qu’à les
avilir, en ce sens qu’ils seront broyés par un système qu’ils étaient
supposés combattre. Rentrés au bercail, Me Agondjo Okawé et
Ogouliguendé sont restés chacun sur sa position. Ogouliguendé est
rentré dans le système.
         Me Agondjo reconnaît malgré tout que cet homme est l’un des
rares gabonais à avoir conservé sa rigueur d’analyse. II n’hésitait pas à
exprimer son désaccord quand c’était nécessaire. II a donc conservé ses,
convictions idéologiques tout en servant le pouvoir et s’est enfoncé
jusqu’au point de non retour. Actuellement cet homme est en dissidence
avec le pouvoir. Mais il aurait été souhaitable qu’il posât cet acte bien
avant la Conférence nationale, car après celle-ci, tout le monde pouvait
parler librement, sans prendre beaucoup de risques. Aujourd’hui poule,
mouton et lion se retrouvent dans le même parc.

Pouzère
        C’est dans la F.E.A.N.F. que Me Agondjo fait la connaissance de
Pouzère à l’époque militant de l’Union des Étudiants Centrafricains
(U.J.E.C.), Section de la F.E.AN.F. En France, les deux hommes
partagent le même espace résidentiel avant de se retrouver au Gabon,
d’abord à l’Université de Libreville , puis au sein du barreau. Ils se
partagent le cabinet de Me Agondjo. Pouzère va jouer un rôle
déterminant lorsque Me Agondjo s’envole pour Bangui apporter une
contribution militante à Abel Ngoumba.

Oyé Mba
Oyé Mba quant à lui a utilisé ses anciennes relations scolaires et
universitaires dans l’Opposition pour rencontrer Me Agondjo. L’entrevue
dura deux heures. De cet échange de vues, il ressort des conceptions
divergentes sur la fonction de Premier Ministre. Oyé Mba déclara sur le
champ qu’il était légaliste, de nature calme et sereine, sous-entendu que
Me Agondjo était un homme agité.




                                   46
Les deux hommes se quittèrent sur un constat de désaccord. Le leader du
P.G.P. avait cru cependant qu’Oyé Mba demeurerait un technocrate, mais
il se détrompa très rapidement à la suite des événements de Ntoum. C’est
l’occasion de faire un sort à l’idée selon laquelle Me Agondjo peut
devenir «Premier Ministre de Bongo» après un éventuel échec à l’élection
présidentielle de décembre 1993. Rien n’est moins sûr. Pour deux raisons,
l’une politique et l’autre constitutionnelle.
          Dans le premier cas, il doit obtenir l’aval de son Parti et celui
des autres forces de l’Opposition réelle. La formation d’un gouvernement
d’Union nationale au sortir des législatives de 1990 en est une parfaite
illustration. Une frange de l’Opposition avait émis le vœu d’entrer dans
le gouvernement, mais il n’en fut rien car la majorité ne le voulait pas. En
particulier Me Agondjo et Mba Abessole refusèrent officiellement leur
participation parce que ce gouvernement était contraire à l’esprit de la
Conférence Nationale, même si par la suite, Mba Abessole envoya tout
de même Madame Cécile Nkama et réclama la Primature à Bongo par
lettre. Aussi paraît-il nécessaire d’éclairer l’opinion sur cette question
d’importance capitale.
          En effet, dans le second cas, «Me Agondjo Premier Ministre de
Bongo», signifierait qu’il aurait été battu dans une élection uninominale
et dans ce cas de figure, la Constitution stipule clairement qu’il faut
attendre dix-huit mois avant de prétendre à une quelconque nomination.
Il en découle que cette perspective relève d’une vue de l’esprit. Si les
candidats du Rassemblement National des Bûcherons (R.N.B.) et du
Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.) restaient les seuls postulants au
second tour des élections présidentielles, il n’y aurait qu’à appliquer la
charte de la C.O.D., c’est-à-dire que le meilleur gagne. Cette situation, qui
est de plus en plus envisageable au P.G.P., se nomme «Gagner dès le
premier tour», c’est-à-dire battre Bongo dès le 5 décembre.




                                     47
Me Agondjo au meeting de la C.O.D.
au Stade annexe le 8 septembre 1990.
(Au second plan, assis à droite l’Honorable
Mbou -Yembi, le leader historique du F.A.R.,
Forum Africain de la Reconstruction).




                     
La lutte pour la transparence
aux élections de décembre 1993

                     




Signature des actes établissant le COPEL
CHAPITRE III

           *

 BILAN ET PERSPECTIVES

D’UN HOMME DE PRINCIPES
Me Agondjo est un homme de principes. De ce point de vue, il force
l’admiration, y compris celle de ses adversaires les plus acharnés. Pour
eux comme pour les Gabonais auprès de qui il brigue aujourd’hui les
suffrages, le Président du P.G.P. a démontré sa capacité à parler sans
détours et à tenir ses engagements. Il rassure ainsi ses alliés de la C.O.D.
tout en effarouchant ses adversaires pour qui la vérité n’est pas toujours
bonne à dire et qui changent d’opinion comme la girouette tourne au vent.
Dans la pratique, Me Agondjo, en homme politique responsable désireux
de voir réussir l’expérience démocratique gabonaise, sait en arriver au
compromis sans se compromettre.
         Depuis la Conférence nationale plus encore qu’auparavant, alors
que le régime monolithique imposait partout le black-out, l’opinion
nationale et internationale a appris à mieux connaître et à vérifier le
comportement de cette personnalité qui ne laisse personne indifférent.
         Placé avec son parti au centre de tous les événements marquants
du Gabon et ce sans éclIpse et surtout du côté de ceux qui luttent pour la
paix, la justice et les libertés fondamentales, Me Agondjo envisage avec
sérénité l’échéance présidentielle. Fidèle aux fondements de son action,
Me Agondjo nous livre son jugement sur les événements et sur les
hommes qui les ont accompagnés avec la franchise que chacun se plaît à
lui reconnaître.
         Seul le souci pour la démocratie peut motiver un tel exercice
auquel chaque candidat devait souscrire pour la clarté du débat
démocratique.


                  Les relations avec le R.N.B.
                   ou la pomme de discorde



        Les relations entre le leader du R.N.B. (Paul Mba Abessole) et
celui du P.G.P. (Me Agondjo) ne sont pas au beau fixe avant et pendant
la Conférence Nationale (mars-avril 1990). Depuis lors de nouvelles
raisons de discorde sont apparues. La Conférence Nationale avait été
convoquée sur le plan endogène et exogène en raison de la dégradation
progressive du tissu économique et social. La crise mondiale et les
événements de l’Est ayant sonné le glas des États européens, avaient
engendré la Conférence Nationale du Bénin, la première du genre.




                                    50
Biographie de P.l.ag.o déc. 1993
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Biographie de P.l.ag.o déc. 1993

  • 1.
  • 2. En couverture Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé, 57 ans, marié, 11 enfants, Avocat-Professeur, Honorable Député à l’Assemblée nationale gabonaise, Président du Parti gabonais du Progrès (P.G.P.) Candidat du P.G.P. à l’élection présidentielle de décembre 93.
  • 3.
  • 4.
  • 5.
  • 6. Préface: Le sens d’un combat Dans les pages qui suivent, oeuvre de la jeune et dynamique équipe du journal «LE PROGRESSISTE», le lecteur prendra plus ample connaissance de la très riche personnalité du Président du Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.), Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé, Avocat-Professeur, combattant de la liberté de la première heure. De réputation nationale et internationale, homme simple, homme de principes dont la rigueur effraie tous les fossoyeurs des libertés, Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé étonne par la précocité de son amour pour J’intérêt général, pour les libertés syndicales et politiques et son sens inné de l’organisation comme moyen de parvenir au triomphe des idéaux qui l’ont inspiré et t’inspirent dans sa lutte contre les forces de régression sociale. Comme le lecteur s’en apercevra. la vie de Me Agondjo-Okawé est marquée par la constance d’un combat commencé très tôt, comme élève puis comme étudiant et enfin comme avocat et professeur. Il aurait pu, comme beaucoup de ses camarades. choisir la voie de l’enrichissement facile par l’entrée dans l’appareil d’État où sévissent la concussion et la corruption. Beaucoup de ses anciens camarades sont aujourd’hui milliardaires. Le premier avocat gabonais aurait pu suivre cette pente qui a mis aujourd’hui le Gabon par terre. Il a choisi la voie difficile de l’honneur, de la dignité et de la défense de la justice sociale. Constance d’un combat qui lui a fait connaître les affres de la prison et les tracasseries de toutes sortes. Les Gabonaises et les Gabonais se souviennent aussi du rôle éminent joué par le parti de Me Agondjo-Okawé et sous sa direction pour l’instauration en 1990, au cours de la Conférence Nationale, cours de la Conférence, du multipartisme intégral et immédiat arraché de haute lutte au Parti Démocratique Gabon (P.D.G.) et son Président fondateur Omar Bongo. C’est aussi Me Agondjo-Okawé qui, contre vents et marées réussira à sauvegarder le P.G.P. dont la liquidation était programmée par le pouvoir après l’ignoble assassinant du Premier Secrétaire Général du Parti Joseph Rendjambé. Fin stratège, il réussira à implanter et à consolider à l’intérieur et à l’extérieur du territoire, le P.G.P. qui est aujourd’hui une force politique incontournable sur l’échiquier politique gabonais. C’est cet homme que le Congrès Extraordinaire du P.G.P. a choisi pour mener aux côtés de ses pairs de la Coordination de l’Opposition Démocratique (C.O.D.) la lutte pour l’alternance en vue du changement réel le 5 décembre 1993. Les militantes et les militants du P.G.P. ont fait le bon choix. Puisse Je peuple gabonais le confirmer pour l’établissement d’un État de droit et le triomphe des libertés. Benoît Mouity-Nzamba, Vice-Président du P.G.P.
  • 7. CHAPITRE I * ENFANCE SCOLARITÉ ET VIE FAMILIALE
  • 8. L’enfance Les conditions de la naissance Pierre-Louis Agondjo-Okawé est né le 30 décembre 1936 dans une petite localité appelée Awouta (on parle d’Omboué par commodité), située loin de son propre village du nom de Kongo dans le Fernan-Vaz. Cette naissance qui intervient hors de Kongo, son village ancestral, survient peu après les difficultés obstétricales successives rencontrées par sa mère, Madame Anina Germaine, qui a perdu au cours de ses précédentes maternités deux garçons jumeaux morts à leur naissance, puis un autre garçon qui est également décédé peu après l’accouchement. À la suite de ces malheurs répétés, la sœur aînée de sa grand- mère, Madame Etombé z’Olago qui avait une amie, Madame Ogandag’Olindi, spécialiste de tradigynécologie (gynécologie traditionnelle), décide d’emmener sa nièce dès les premiers mois de la grossesse du futur Agondjo chez cette femme, habitant le village d’Awouta, à quinze minutes de pirogue du village Kongo. Elle soigna alors sa mère à l’aide d’herbes, jusqu’à la naissance du jeune Agondjo, qui signifie en Nkomi herbes ou l’enfant qui naît grâce aux herbes. En effet, matin et soir, sa mère devait manger des herbes hachées pour son traitement. Utilisé en médecine moderne, il interdit tout rapport sexuel. Ce 30 décembre 1936, maman Anina Germaine accouche à Awouta d’un enfant de sexe masculin. Chez les Nkomi, le premier enfant qui naît dans ces conditions porte trois types de noms: Agondjo, Ogandaga, lnango ou Nango, pour rappeler l’arbuste qui participe à cette médecine, Ogandag’igondjo, inango ou nango étant le médicament ou l’enfant qui naît grâce à une médication. L’enfant qui suit le premier né s’appelle Akendengué, ce qui veut dire en Nkomi le deuxième enfant né grâce à cette médication. Akendengué vient de okendé kendé, qui signifie «nous sommes tranquilles» ou «]a tranquillité». En effet, Pierre-Louis Agondjo-Okawé a un frère du nom d’Akendengué Maur qui vit à Ouagadougou (Burkina Faso) né au cours du même séjour auprès de la praticienne Ogandag’Olindi, et ce n’est qu’après cette deuxième naissance que la mère et les deux enfants regagnèrent le village de Kongo. Le troisième enfant est généralement dénommé Avouelé, qui vient de vouelé vouelé, et qui signifie «merci» en Nkomi. Après la naissance du troisième enfant, on reprend le cycle normal des noms. Revenu dans son village, le jeune Agondjo vit avec ses 6
  • 9. grands-parents maternels car entre temps ses parents ont divorcé et sa mère a épousé Charles Ping, un Chinois. De ce second mariage est né un enfant de sexe masculin, Jean Ping qui aurait été appelé Avouelé si sa naissance était intervenue au village, mais qui porta le nom de son père. L’enfance au village Resté au village avec sa grand-mère qui rendit sa naissance possible, le jeune Agondjo-Okawé, comme les autres enfants de son âge, commence à s’initier aux premières notions de culture traditionnelle, c’est-à-dire à appartenir à des sociétés initiatiques de son âge, à jouer du tam-tam, à apprendre à tâter les cordes de la cithare, etc. De temps en temps, il va vivre avec sa grand-mère paternelle habitant un autre quartier du village. Jusqu’à l’âge de dix ans, il grandit donc au village, élevé essentiellement par des femmes qui le couvrent de leur affection. Au cours de cette période, il a un penchant pour ce qui est intellectuel, sans qu’il en mesure la portée réelle. Le dessin est la première chose qui frappe son imagination. Par suite, tout dessin relatif à la broderie dans le village (napperons, taies d’oreillers, etc ... ) lui est confié. Il lui est même arrivé de dessiner un jeu de cartes complet en reproduisant les illustrations des rois, des dames et des valets. La scolarité Les études primaires Un fait inattendu va modifier le cours normal de sa vie. Un jour d’octobre 1946, M. Ayouné Jean Rémy arrive à Kongo. Il est apparenté à Agondjo par son père du clan Adjéna, clan paternel de la mère de Me Agondjo, et par sa mère du clan Avandji, clan des grands-parents d’Olago-Vandji arrière-grand-père maternelle de Me Agondjo. Une des tantes d’Ayouné épousait aussi Olago-Vandji. Par cette affiliation, M. Ayouné est l’oncle de Me Agondjo, du côté maternel. Il trouve le jeune Agondjo en train de dessiner. Fasciné, il demande si le jeune garçon fréquente une école. 7
  • 10. On lui répond que non. Il s’énerve et dit qu’on l’emmène dès le lendemain à l’école Sainte-Anne du Fernan-Vaz. Il charge alors l’un de ses oncles, Martin Rendjago, de l’y conduire avec un de ses cousins un peu plus âgé que lui, douze ou treize ans environ. C’est ainsi que le 27 octobre 1946, il rentre à l’école de Sainte- Anne du Fernan-Vaz. Son entrée tardive à l’école est dûe pour l’époque à son jeune âge. Rappelons qu’à cette date il n’est âgé que de dix ans. Il est alors classé dans la catégorie des petits, par opposition à la catégorie des moyens (14-16 ans) et des grands (17-20 ans). Tous les élèves sont logés à l’internat, il n’y a pas d’externat Les petits doivent avoir des protecteurs qui les gardent des brimades des moyens et des grands fréquentant la section de menuiserie. A cette préoccupation s’ajoute un handicap, la distance qui sépare le village de Kongo de l’école Sainte- Anne. Il faut la parcourir en deux ou trois heures de navigation en pirogue et à la rame. Enfin le voilà tout de même à l’école et quand il arrive à Sainte-Anne, il est précédé d’une certaine réputation d’enfant intello., d’enfant prodige. Il y avait sept classes à l’école, du débutant jusqu’en C.M.2. Parmi les petits il y a, entre autres, le futur Professeur Kombila Pierre André et ses frères et Hervo Akendengué Augustin. Il s’y inscrit et dans cette classe, il ne passe que les trois mois du premier trimestre. Après les vacances de Noël, la direction de l’école décide de l’admettre en C.P.l. Dans cette classe, il occupe les premiêres places du début jusqu’à la fin de l’année. Il passe normalement en C.P.2 et, à nouveau il domine ses condisciples en occupant toujours les premières places. C’est ainsi que lors des dernières compositions, on décide de le faire participer aux examens de fin d’année avec les C.E.1. pour l’admission en C.E.2. Il prend part à ces examens et en sort deuxième. Il passe au C.E.2., sans avoir fait le C.E.l.. Ses maîtres à l’époque avaient pour noms Julien Mbourou, l’ancien député, au cours débutant et Rémy Ogoula en C.E.1. En arrivant à Sainte-Anne, le jeune Agondjo fait la connaissance de l’abbé Augustin Eléwanyet, Galoa de Lambaréné originaire d’Ashouka et du même clan que son père M. Okawé. Il le prend en affection. Quand arrivent les vacances de l’année 1946-1947, l’abbé Augustin Eléwanyet décide que le jeune Agondjo ne partira pas dans son village auprès de ses parents; il estime que cet enfant, brillant élève, une fois reparti au village, va s’initier au bwiti et à d’autres pratiques traditionnelles condamnables; il risque ainsi de perdre le bénéfice des études. Il fait comprendre aux parents que l’enfant restera à la mission et que pour le voir, ils devront venir à Sainte-Anne. 8
  • 11. Le jeune Agondjo passa donc toutes ses vacances à l’internat, en particulier au campement de pêche de Mboumba où les petits s’occupaient à rechercher du poisson tandis que les grands péchaient à la senne. Au cours des vacances de l’année scolaire 47-48, l’abbé Augustin Eléwanyet est affecté à Oyem. Il décide naturellement d’emmener Agondjo avec lui et demande l’autorisation à ses parents. Ces derniers adoptent des attitudes contrastées. Tandis que sa mère et son oncle paternel (à la place de son père absent de Kongo) donnent leur accord, ses grands-parents sont plutôt réservés. Ces hésitations n’empêcheront pas le jeune Agondjo de suivre l’abbé Augustin à Oyem. A l’internat, il s’adapte facilement à son nouveau milieu social et apprend rapidement le fang qu’il parle parfaitement par la suite grâce à ses amis d’école. Sa première composition de l’année scolaire 48-49 à Oyem est catastrophique dans toutes les matières. Il est classé dernier pour la première fois depuis le début de ses études primaires. Il se reprend vite et cravache dur pour rattraper son retard et comble rapidement ses lacunes dans toutes les matières, sauf en calcul où il obtient des notes en dents de scie. A la dernière composition de la même année, il est classé premier et passe en C.M.1 L’année suivante, l’abbé Eléwanyet est affecté à Bitam et le jeune Agondjo repart avec lui dans cette ville. Sur le plan scolaire, il n’éprouve plus que quelques difficultés en calcul. Quand il termine le C.M.1 à Bitam, l’abbé Augustin Eléwanyet décide de l’envoyer au Séminaire Saint-Jean de Libreville, contre son gré. Il le lui dit à la veille de son départ. Il est inscrit en C.M.2 à l’École Mont- Fort. Au Séminaire Saint-Jean où il est pensionnaire, il fait la connaissance de Paul Malékou, Julien Mezui, Michel Abessolo, Martin Alihanga, Lazare Digombé, Ngoua Noël, etc. A la fin de l’année scolaire il passe le concours d’entrée en sixième au collège Bessieux en même temps que Mba Ndong Marc, le seul condisciple qui a réellement rivalisé avec lui, de telle sorte que quand il était premier, Mba Ndong Marc était deuxième et inversement, de la classe de sixième jusqu’en terminale. II restera encore au Séminaire une année. Ne supportant pas le régime alimentaire imposé par cette institution, il tombe malade. A sa sortie d’hôpital, il rechute et quitte le Séminaire tout en poursuivant ses études secondaires au collège Bessieux. Il y rencontre, entre autres Jules Bourdès Ogouliguendé, Nyalendo Jean-Paul et Ndouna Dépénaud. Ce dernier interrompra ses études en classe de seconde pour préparer une carrière administrative dans une école de Brazzaville. 9
  • 12. 1 2 1 - Pierre-Louis Agondjo-Okawé, élève de 3e au collège-Bessieux en 1955. 2 - Avec Jules Bourdès-Ogouliguendé à Lille, en 1961. 3 - Deux étudiants gabonais dans les rues de Lille en 1961, Paul Malékou et Pierre- Louis Agondjo-Okawé (en lunettes). 3
  • 13. Outre ces derniers, Agondjo note la présence d’Abiaghe Angoué, l’actuel gouverneur de l’Ogooué-Maritime qu’il rattrape en classe de cinquième alors que plus tard arrivent à Bessieux Oyé Mba, Rendjambé Joseph, Essongué Michel, Rémondo Max, Rédombo Ernest, Ayo Barro et Damas Ozimo Claude, etc. Le collège Bessieux ne possédant pas de classes terminales à cette époque, il quitte l’établissement pour le lycée Félix Éboué, actuel lycée national Léon Mba, après avoir collectionné la majorité des prix. Au cours de l’année scolaire 1957-1958 éclate la grève au lycée Félix Éboué. Tous les établissements secondaires de Libreville ferment pendant trois mois. Cette grève, liée au problème de la mauvaise alimentation des internes, va provoquer une contre-grève de la majeure partie du corps professoral du lycée, de telle sorte qu’en fin d’année, les épreuves du baccalauréat étant corrigées à Bordeaux en France, le lycée n’eut qu’un seul élève admis au baccalauréat et en série sciences expérimentales, tous les autres élèves étant «recalés» dans Ies autres séries. Le cursus universitaire En fin d’année scolaire 1958-1959, Pierre-Louis Agondjo-Okawé obtient avec la plupart de ses condisciples son baccalauréat, série philosophie, et s’envole pour la France pour poursuivre ses études supérieures. Comme à cette époque les étudiants gabonais se concentrent dans les trois académies de Paris, Lille et Poitiers, il s’inscrit à la Faculté de Droit et Sciences Économiques de Lille et Mba Ndong Marc à celle des Lettres de la même ville en même temps que Mintsa Mi Owono, Owono Nguéma, Nguéma Isaac, Malékou Paul, Rémondo Max, Nzé Emmanuel, Nzé Samuel, Bourdès Ogouliguendé, etc. Cette colonie estudiantine gabonaise retrouve à Lille des anciens étudiants comme Michel Abessolo, Nang Ekamkam et Julien Mezui. Les autres bacheliers de l’époque dont Michel Antchouet, Bouma Maurice et Emmanuel Sipamio Berre sont acheminés sur l’Université de Poitiers. Dès sa première année universitaire 1959-1960, il est lauréat de la Faculté de Droit et Sciences Économiques de Lille (le lauréat est celui qui est le premier d’un concours primé par une médaille). Il passe normalement en deuxième année avec mention passable et, vers la fin de cette deuxième année, il a des problèmes avec les autorités gabonaises qui lui reprochent son activisme politique et qui par suite lui suppriment la bourse. 11
  • 14. C’est le début des ennuis politiques. Exaspéré par cette mesure qu’il trouve injuste, il déclare au Président Léon Mba que désormais il réussira ses examens avec au moins la mention assez bien, ce qu’il réalise, tout en travaillant comme surveillant au lycée technique d’Armentières, à 40 kilomètres de Lille. A la fin de la quatrième année, il prépare simultanément le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (C.A.P.A.) et deux diplômes d’études supérieures (D.E.S.) en Histoire du Droit qu’il obtient avec mention très bien et celui de Droit privé. Il bat ainsi un record depuis la fondation de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Lille. Sur les conseils de son Professeur de Droit, M. Pierre Legendre, Pierre-Louis Agondjo-Okawé monte à Paris au cours de l’année universitaire 1965-1966 pour préparer le concours d’agrégation d’Histoire du Droit. Le voilà donc à Paris sans bourse. Son premier réflexe est de trouver du travail. Dans le même temps il s’inscrit à l’agrégation à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il obtient une aide du Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.) pour un travail de recherche ponctuel qui lui permettra de suivre en attendant l’avis sur son dossier d’Assistant dans le département d’Histoire du Droit. L’année suivante, sa demande est agréée. Il devient ainsi l’Assistant du Professeur Michel Alliot de cette célèbre l’Université parisienne, dans la section d’Histoire du Droit et dans la sous-section d’Anthropologie juridique. Il faut préciser que le Professeur Michel Alliot qui a enseigné un peu partout en Afrique, notamment à Dakar et à Madagascar, est l’ancien recteur de l’Académie de Versailles. Aujourd’hui à la retraite, il reste responsable du Laboratoire d’Anthropologie Juridique dont son ancien assistant Pierre-Louis Agondjo est actuellement l’un des membres. Issu d’une grande famille dont il est l’aîné, Pierre-Louis Agondjo perd son père M. Okawé, mort par accident du travail en 1965, alors qu’il est encore étudiant en France. Sa mère, alors brouillée avec Charles Ping, vit seule avec sa grand-mère et tous les autres membres de la famille. Sous la pression de ses enfants, maman Anina se réconcilie avec Charles Ping. Chez les Nkomi qui relèvent du matriarcat comme les Punu, les Massango et bien d’autres ethnies du Gabon, le chef de famille est le frère de la mère. Mais le jeune Agondjo n’a pas d’oncle utérin, c’est donc le frère de sa grand-mère qui est le chef de la famille. Il s’agit d’Ilougou Pierre; mais celui-ci meurt en 1966 et le jeune Agondjo en tant qu’aîné devient automatiquement chef et seul responsable de la famille. 12
  • 15. Cette situation le dissuade de poursuivre la préparation de son concours d’agrégation en Histoire du Droit. Il décide de ne se consacrer qu’à son doctorat en Droit. En 1967, il soutient sa thèse de doctorat en Droit intitulée «Structures parentales gabonaises et développement» avec la mention très bien, les félicitations du jury et le prix de thèse (thèse à imprimer), d’autant que pour mieux s’imprégner de la notion de coutumes, il avait suivi à la Sorbonne des cours de sciences religieuses, de linguistique, de sociologie, d’ethnologie et d’anthropologie. Pendant qu’il enseigne à Panthéon-Sorbonne, étant titulaire du C.A.P.A., il prête en septembre 1967, au Palais de Justice de Paris, le serment de l’Ordre des Avocats. C’est aussi au cours de cette même année que meurt le Président Léon Mba à l’Hôpital Claude-Bernard à Paris. Il effectue son stage d’Avocat au cabinet du Professeur de Droit Denis Bredin, Avocat à la Cour d’Appel de Paris. Il. s’inscrit également, à l’Institut d’Études Judiciaires de Paris dont il obtient le diplôme. Le 10 août 1968, il décide enfin de rentrer définitivement au Gabon, malgré les ennuis qui 1’y attendent pour s’occuper de sa famille. Il revient au pays avec deux professions, celle d’Avocat et celle d’Enseignant. Le Gabon n’a pas encore d’Université. Il postule donc un agrément au Gabon en qualité d’Avocat-Professeur puis, en tant qu’Enseignant, il sollicite les Universités de Yaoundé et de Brazzaville, à la seule condition de bénéficier de quinze jours d’autorisation d’absence par mois pour sc rendre au Gabon. Cette condition rejetée par les autorités rectorales de Yaoundé est acceptée par celles de Brazzaville, dans le cadre de la F.E.S.A.C., (Fondation de l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale). Me Agondjo se rappelle toujours son séjour universitaire français. En particulier, il garde un souvenir impérissable et impressionnant des événements de mai 1968, événements qu’il a vécus et qui furent pour lui des moments historiques au cours desquels il prit conscience de l’extraordinaire force que possède une foule en colère. Il ne fut donc pas étonné par l’ampleur des événements qui ont secoué la ville de Port-Gentil en 1990. En se rappelant son cursus universitaire en France, il mesure l’effort accompli depuis ce 27 octobre 1946 où, pour la première fois, il rentre à l’école de Sainte-Anne du Fernan-Vaz, ne connaissant aucun mot de français, n’ayant pour seul bagage linguistique que le nkomi, langue qu’il maîtrise parfaitement et qui lui a permis de s’intéresser un peu plus tard à la linguistique, et qui reste pour lui un outil de travail dans ses recherches historiques et anthropologiques. 13
  • 16. Il en vient aussi à justifier sa vocation pour le Droit à une suite de circonstances dont l’influence fut décisive dans son devenir. C’est d’abord son enfance au village où il vit auprès de ses grands-parents, tous grands chefs coutumiers. Il baigne donc dans le milieu de la chefferie, de la justice, du Droit et du pouvoir, le milieu des trancheurs de litiges, les juristes (lkambi). Ce milieu va, très tôt, marquer le jeune Agondjo par l’amour du Droit, le refus de l’injustice et de l’oppression. Car le milieu des chefs, c’est aussi celui de la politique, de la résistance à l’oppression coloniale. Son arrière-grand-père maternel, Olago-Vandji était l’un des chefs supérieurs des Nkomi et sera successivement remplacé par ses enfants Ilougou y’Olago et Ndouani y’Olago, tous classés dans la lignée des chefs récalcitrants du village Kongo. Entre 9 et 10 ans, le jeune Agondjo est marqué par deux événements, dont l’un se produit au village Awouta, et l’autre à Kongo. À Awouta, la fille du chef Nkala yi Nkoma, du nom d’Evouandénoréma, actuellement à Omboué, est agressée par un milicien. Elle n’hésitera pas à boxer ce milicien. L’autre événement aura lieu à Kongo et opposera M. Ziza yi Mboza, oncle du jeune Agondjo, à un milicien qui sera roué de coups par le sieur Ziza, l’intello. du village qui n’accepte pas l’oppression coloniale. Mais si à Awouta le jeune Agondjo assiste en spectateur, à Kongo, il participera à sa manière à l’action contre le milicien, en s’emparant de sa chéchia qu’il transformera en ballon de football. Pour lui, la situation coloniale est vécue à travers les actes répressifs des miliciens et la résistance multiforme des villageois contre ces agissements. Me Agondjo cite également son professeur de philosophie au lycée Félix Éboué. Un personnage qui semble avoir joué un rôle important dans le choix de sa filière. Lorsqu’il lui rendait les meilleures copies de philosophie, son professeur lui faisait remarquer son style et son raisonnement de juriste. Mais ces influences n’auraient pas eu de prise définitive sans son propre choix. Il se disait qu’en choisissant les études de Droit, il ferait en quelque sorte un retour aux sources, à la coutume qui lie les membres d’un groupe sociolinguistique, la famille, avec le respect des traditions. Ce rôle que sa famille joue dans sa vie politique et professionnelle est très important. 14
  • 17. La vie familiale La famille stricto sensu Quand Me Agondjo parle de sa famille, il change de ton et même d’attitude. Il prend un air grave et détendu. Sa famille, affirme-t-il sans détours, est l’élément régulateur de sa vie et en tant que tel, elle lui est indispensable à tout moment. Il sait ce qu’il dit, lui qui, marié depuis 1961 est actuellement père de onze enfants. Membre d’une nombreuse famille dont il est l’aîné, Me Agondjo est imprégné des traditions des grandes familles. Il est okambi. Régi par la tradition matrilinéaire qui le sépare très tôt de son père par le divorce de ses parents, il souffre beaucoup de n’avoir pas grandi auprès de son père Okawé qu’il ne rencontra qu’à l’âge de quatorze ans. Cet état de choses a consolidé sa conviction à rester entouré des siens. Il œuvre en ce sens pour éviter les mêmes frustrations à ses enfants. Aujourd’hui, quand l’Anthropologue Pierre-Louis Agondjo-Okawé nous expose son expérience familiale, son propos se situe délibérément au-delà de son cercle familiale pour englober sa dimension d’homme d’État. En l’occurrence, il fait la distinction entre la famille stricto sensu et la famille lato sensu. La famille stricto sensu, c’est celle du type occidental, essentiellement composée du père, de la mère et des enfants, par opposition à la famille africaine plus large. La femme, dans le premier cas, joue le rôle de gestionnaire du foyer conjugal. C’est elle qui s’occupe des enfants à la maison quand le mari est absent. Madame Agondjo Okawé, née Ngowé Joséphine, qui a accepté pour le meilleur et pour le pire, en 1961, de prendre pour époux Pierre-Louis Agondjo- Okawé, serment dénié par bon nombre de femmes dans certaines circonstances, mène une vie pieuse auprès de celui qu’elle a aimé. Elle a toujours été présente dans les moments difficiles, quand il était étudiant sans bourse ou quand son mari était en prison au Gabon. Elle a lutté de force inégale avec le pouvoir pour obtenir l’hospitalisation et de meilleures conditions de détention pour son époux, sans oublier leur séjour à Brazzaville où en l’absence de son mari, elle a supporté la tension de plusieurs tentatives de coups d’État. Les uns diront qu’il a eu de la chance, les autres penseront qu’il a tiré un bon lot de loterie. Dotée d’une sensibilité inimaginable et d’un sens d’équité remarquable, Madame Agondjo Joséphine combat comme son mari l’arbitraire et l’injustice sous toutes ses formes. 15
  • 18. 1 2 3 4 1 - Avec Jean Ping, son frère, à Port-Gentil, en 1953 2 - Avec ses parents maternels au quartier Grand village, à Port-Gentil en 1955 3 - Madame Agondjo, alors fiancée, en 1956 4 - M. et Mme Agondjo après la naissance de leur fille aînée , Idjoruba, à Lille en 1964.
  • 19. La famille, c’est aussi les frères et les rapports qu’il entretient avec ces derniers, en particulier avec Jean Ping, son frère utérin, mais adversaire politique parce qu’il est membre du P.D.G. et de surcroît ministre d’un système qu’il combat. Me Agondjo reconnaît volontiers que son frère Ping représente pour lui à la fois son malheur et son bonheur. Son malheur parce que certains de ses adversaires politiques se servent de son frère, en tant que gendre du Président Bongo, pour échafauder de faux scénarios qui ne cadrent pas avec la réalité. Ils ignorent que la politique est comparable à une société initiatique à l’instar du mouiri ou du ndjembé. Ici, les notions de paternité et de fraternité perdent leur sens usuel et cèdent la place au code initiatique qui bouleverse les hiérarchies parentales. Dans ce type de société, le petit-fils par exemple, parce qu’il est le premier initié, dirige son grand-père. Mais dès qu’ils sortent de ce cadre, les hiérarchies parentales reprennent automatiquement leurs droits. On peut évoquer le décès de leur grand- mère pour illustrer ce qui vient d’être dit, décès au cours duquel Me Agondjo et Jean Ping se sont tous deux retrouvés réunis pour les obsèques. Après l’inhumation, chacun est reparti rejoindre sa famille politique. Mais pour Me Agondjo, Jean Ping c’est aussi son bonheur, tout simplement parce qu’il est son frère et qu’il le restera pour la vie. Dans cette situation, Me Agondjo n’est ni le. premier, ni le seul à avoir un parent appartenant à un Parti au pouvoir autre que le sien. Le Président du P.G.P. évoque pour convaincre, le temps où Léon Mba était l’adversaire politique de Jean Hilaire Aubame le cas de Luc Ivanga, actuellement membre du Rassemblement National des Bûcherons (R.N.B.). Alors que ce dernier militait dans le Bloc Démocratique Gabonais (B.D.G.), son frère Adiahénot était membre de l’Union Démocratique et Socialiste Gabonaise (U.D.S.G.) que présidait Jean Hilaire Aubame. Luc Ivanga ne fut jamais considéré comme un faux opposant. Point n’est besoin de citer des situations identiques observables de nos jours, tant elles sont nombreuses. L’important en politique, explique Me Agondjo, ce n’est pas ce que les gens disent de vous, mais ce sont les actes concrets qui sont posés et qui différencient les hommes politiques d’une même nation. Il le prouve en montrant qu’aux dernières élections législatives, Jean Ping avait été battu par un candidat du P.G.P. que lui-même avait soutenu. la démocratie étant la respect des opinions d’autrui, Me Agondjo applique cette règle dans ses rapports avec Jean Ping. 17
  • 20. Il en résulte que tout en étant l’adversaire politique de son frère, Me Agondjo respecte ses opinions politiques, même s’il ne les partage pas. Toutes les allégations relatives à ce sujet sont donc des arguments de propagande politicienne. Ils visent à masquer la réalité. Car la réalité est connue de tout le monde. Aucun des détracteurs de Me Agondjo n’est en mesure de montrer en quoi son frère en tant que gendre de Bongo favoriserait sa propre situation. L’on comprend pourquoi cette propagande a pour but de détourner l’opinion des vrais questions qu’elle doit se poser justement sur les rapports passés et actuels de bon nombre d’hommes politiques gabonais avec le fondateur du système monolithique gabonais. En effet, il est de notoriété publique que certains «opposants de circonstance» ont été reçus et nourris par Bongo et d’autres logés dans des hôtels de la place par celui qu’ils n’osent plus nommer aujourd’hui. Voilà qui relève du vécu des Gabonais et qui devait faire scandale, mais que l’on s’empresse de passer sous silence. A ce propos, Me Agondjo souhaite qu’au cours de cette campagne électorale, tous les candidats à la présidence de la République, y compris le candidat naturel du P.D.G., évoquent au cours d’un débat télévisé leur parcours politique pour éclairer l’opinion nationale sur la part prise par les uns et les autres dans la lutte contre le système monolithique de la Rénovation et donc dans l’avènement du multipartisme au Gabon. La famille lato sensu Mais la vie familiale ne s’arrête pas à la famille stricto sensu, ni à son clan des Ananga, elle s’étend aussi aux clans frères des Aziza, Anionga, Aryaguè, Azèguè, Adjavi, Asono, Azandi, aux clans des grands-parents et arrière-grands-parents des Adjéna, Ilongo, Ekamamu, Akasoviba, Asavu, Adjuba, Anuva, Agambo, Ayirui, Ndiwa, Agendjé. Un proverbe nkomi dit qu’un noble (Awontché) doit avoir au moins quinze clans, ce qui lui permet d’y baigner comme un poisson dans l’eau, de les assister ou d’en être assisté, de faire jouer la fraternité et la solidarité parentale à chaque instant. La famille, c’est aussi la correspondance des clans cités ci- dessus dans les autres ethnies : dans la Nyanga, Me Agondjo est petit- fils dans les villages Bagambu (Agambo), dans l’Ogooué-Lolo, les Magamba sont ses grands-parents comme dans les villages Lumbu les Musanda (Adjéna) ou Punu les Bayéma. Il est fils dans les villages Fang du clan Yengwi (Avemba) etc. C’est ainsi qu’il est le petit-fils de Mouity- Nzamba, de Mbou-Yembi, de feu Moutsinga Paul, de feu Cyprien Moung uengui 18
  • 21. Mounguengui, neveu de Madame Maganga-Moussavou, de Moun-Gou- Ngou Christian, fils de Mengome Atome, cousin de Ndong-Allogho ou des enfants Ondo, entre autres. Il profite de ses connaissances ethnologiques pour développer ses relations familiales extra-ethniques en tant qu’être détribalisé, en tant que Gabonais fier d’être partout au Gabon chez lui, à l’aise. Car la famille pour Me Agondjo, c’est aussi ceux des siens qui sont maintenant ailleurs, soit dans d’autres localités du Gabon, soit dans d’autres ethnies myéné. Il a ainsi une partie de sa famille chez les Galoa à Latnbaréné, ce sont les Ndjawé, les Rossatanga, les Okawé, les Révangué, les Capito, les Fanguinonvény, etc. Une autre partie se trouve à Libreville, les Aguékaza, notamment ceux de Nomba. Le nom Okoka que portait son grand-père maternel et celui d’ Angandiet que portait son oncle sont d’origine Aguékaza. C’est pourquoi Ambaye Olivier était son oncle. Lorsqu’il quitte le séminaire, il habite Nombakélé, chez sa grande tante Ngwè-Nanga, sœur du vieux Obélembia et grand-mère de Madame Anguilé Gustave et de la veuve Owassango. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Gustave Anguilé, mari de sa cousine, alors éminence grise des divers gouvernements Léon Mba, en sa qualité de ministre des Finances. Cette famille descend d’Onanguiromba, frère d’Olago-Vandji du village Kongo. En raison de la distance entre le colIège Bessieux et Nombakélé, il vit à Nkembo chez la cousine de sa mère, Madame Rémondo, mère de mère de M. Rémondo Max, qui le considère en toutes circonstances comme l’aîné des enfants du foyer Rémondo, de la quatrième jusqu’en terminale. La famille, c’est enfin tous ceux qui ont contribué à sa naissance comme les clans Akori et Arondoma du village Awouta. La famille d’Ogandag’Olindi est ainsi liée à la sienne par la tradigynécologie. Il en est de même de la famille Attipoé qui a aussi contribué à Port-Gentil, LibreviIle et Bitam à son éducation d’adolescent Sa dernière famille est naturellement le P.G.P. Il considère les militants de son Parti un peu comme ses parents au-delà de ceux qui le sont effectivement par le lien du sang ou du clan. Ainsi, la famille, dans le sens où le vit quotidiennement Me Agondjo transcende-t-elle l’idée que l’on s’en fait traditionnellement. Puisant ses racines dans le clan géniteur, ce lieu de l’imprégnation culturelle, elle jaillit des carcans et des préjugés ethniques et régionalistes tissés par la force de l’habitude pour éclater aux dimensions de la nation, une et indivisible. C’est ici que pour l’homme politique qu’est le président du P.G.P., la famille devient l’un des cadres où se conforte sa raison d’être et d’agir pour l’intérêt général qui, depuis sa prime jeunesse, a décidé Me Agondjo-Okawé à se mettre debout pour un long itinéraire syndical et politique. 19
  • 22. La fidélité en amitié L’Honorable Pierre-Louis Agondjo-Okawé, Député du P.G.P. lors de l’enterrement du Député suppléant Paul Moutsinga, en compagnie de Benoît Mouity-Nzamba, Vice-Président du P.G.P.
  • 23. CHAPITRE II ¤ ITINÉRAIRE SYNDICAL ET POLITIQUE 21
  • 24. L’engagement Dans le vécu de Me Agondjo, l’action syndicale et l’engagement politique sont les deux facettes d’un même combat. Ils trouvent leur origine dans la situation de l’Afrique, du Gabon en particulier et partant des Gabonais auprès desquels Me Agondjo n’a jamais cessé de se battre pour l’indépendance, la justice sociale et les libertés fondamentales. Ici, itinéraire syndical et politique du militant et histoire de l’Afrique et du Gabon se confondent pour donner sa véritable dimension à la personnalité de Me Agondjo, personnalité façonnée par un engagement de première heure et sans discontinuité jusqu’à ce jour. Le militant révolutionnaire En effet, Pierre-Louis Agondjo-Okawé pose ses premiers actes politiques en 1958 au Gabon lors du référendum, mais c’est en France avec le syndicalisme étudiant que ses élans politiques trouvent leurs racines, syndicalisme qui suscite une réaction violente du pouvoir. A cause de son militantisme, Me Agondjo déjà redouté par le pouvoir, échappe à une arrestation pendant qu’il se trouve à Lille. Cette arrestation se justifie aussi par ses activités dans le M.G.A.P. (Mouvement Gabonais d’Action Populaire), parti politique clandestin dans lequel militait aussi Nzoghé Nguéma. Me Agondjo s’exile en Suisse où il reste trois mois à rechercher un statut de réfugié politique. N’eut été ses professeurs français, séduits par son intelligence pour s’étonner qu’un de leurs étudiants abandonne ses études, Me Agondjo aurait, comme Ondo-Nzé et Ndong-Obiang, séjourné en prison sous le Président Léon Mba. Devenu une machine lourde et sans vie, le M.G.A.P. est dissout et donne naissance au P.G.T. (Parti Gabonais du Travail) à la tête duquel on retrouve Me Agondjo. Le P.G.T. mène alors un travail clandestin grâce à ses structures disséminées sur le territoire national gabonais, sous l’impulsion de certains de ses membres dont le retour au Gabon avait été recommandé par le Parti. 22
  • 25. Avec la fin d’études en France d’un nombre élevé de ses militants, ce Parti perd peu à peu de sa vitalité et s’essouffle. Ses objectifs alors inspirés par la ligne de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (F.E.A.N.F.) dont certains membres avaient pour noms, Owono Nguéma, Lemboumba Lépandou, Feu Paul Moukambi, etc., allaient de «l’intégration des intellectuels au sein des masses» à «la prise du pouvoir par les voies légales». En tant que syndicaliste, représentant les étudiants gabonais en France membres de l’Association Générale des Étudiants du Gabon (A.G.E.G.), les activités de Pierre-Louis Agondjo-Okawé consistaient, entre autres, à se rendre de temps en temps au Gabon pour assister à la Commission des bourses afin de défendre les intérêts de ses condisciples vivant en France. Ces voyages étaient payés par le gouvernement gabonais. Les syndicats avaient alors non seulement un aspect corporatiste, mais aussi politique. Ils s’étaient ralliés aux partis politiques révolutionnaires africains dont la préoccupation était l’indépendance ou soutenaient leur ligne politique. D’où le qualificatif de révolutionnaire qui se justifiait par les actes qu’i1s posaient. C’est ainsi que les étudiants gabonais, sur l’appel de la F.E.A.N.F., ont mandaté certains de leurs camarades au Gabon pour la campagne en faveur du NON au référendum gaulliste. Quand Me Pierre- Louis Agondjo-Okawé rentre au Gabon en 1968, l’A.G.E.G. existe encore. Mais elle est déjà minée par l’existence de deux courants opposés. Le courant «entriste» dont Jules Bourdès Ogouliguendé et un peu plus tard Ndémezo’o, seront les apologistes patentés. Les tenants de cette tendance étaient favorables à l’idée de rentrer dans le système Bongo avec pour dessein de le transformer de l’intérieur. Ndémézo’o pour sa part prit comme prétexte la thèse maoïste dite des «Trois mondes» pour justifier son entrée officielle dans le P.D.G. Selon lui, la Chine aidait le Gabon à lutter contre les menaces du révisionnisme et du social-impérialisme soviétique. Et comme pour Ndémézo’o le Parti Communiste chinois représentait la révolution dans le monde, les révolutionnaires gabonais ne pouvaient que soutenir Bongo et le P.D.G. A l’opposé se trouvaient ceux qui, comme Me Agondjo, pensaient, et le présent leur en donne raison, que pour mieux combattre un système, il fallait lutter en dehors de celui-ci. Phagocytée et infiltrée par les agents du pouvoir, l’A.G.E.G. placée sous la houlette de Ndémézo’o était condamnée à l’éclatement et à la désintégration après le retour au Gabon des ténors dont Me Agondjo. 23
  • 26. L’expérience devait montrer que Ndémézo’o était chargé par Bongo de liquider cette association jugée trop révolutionnaire par le pouvoir, à un moment où tout ne procédait que de la volonté de Bongo. La lutte pour l’indépendance réelle En 1960, année de l’indépendance du Gabon, Me Agondjo est en France. Cet événement n’arrive pas sans provoquer une vive réaction des étudiants gabonais. C’est que l’indépendance des colonies françaises en Afrique est posée depuis 1958 par les intellectuels africains. Mais la métropole écarte toute idée allant dans ce sens, objectant leur manque d’expérience dans de nombreux domaines, dont celui de l’économie et de l’industrie, ces secteurs devant rester l’apanage de la France, comme l’affirmaient certains pendant le référendum de 1958. Cette argumentation se heurtera à une contradiction majeure de la part des intellectuels africains quand, deux années plus tard, l’indépendance fut accordée. Les syndicats gabonais en l’occurrence s’interrogeront sut ce revirement soudain de la part de la France. Il est clair qu’en deux ans les colonies n’avaient pas rattrapé leurs insuffisances. Les intellectuels avaient compris qu’il ne s’agissait là que d’une indépendance factice. Pierre-Louis Agondjo-Okawé était de ceux qui voulaient une indépendance réelle, au contraire de Léon Mba et d’Aubame qui la souhaitaient sous la forme décidée par la métropole, c’est-à-dire favorable à la consolidation de la mai mise de la France dont l’empire colonial se trouvait en ébullition. Car ce n’est pas de gaieté de cœur que De Gaulle décide de l’indépendance de l’Afrique. Il se rend à l’évidence que l’autorité française dans les colonies s’était fragilisée. Ainsi, au Cameroun voisin, il y avait à cette époque Oume Nyobé à la tête de l’Union du Peuple Camerounais (U.P.C.) qui, dans une guérilla sans concessions, exigeait l’indépendance du Cameroun. Il en était de même au Togo et à Madagascar, ces mouvements venaient après ceux d’Algérie et surtout après la terrible défaite française dans la cuvette de Dien Bien Phu en Indochine. De Gaulle, tirant les leçons de cet échec avait amorcé des négociations secrètes qui aboutiront aux accords d’Evian. D’une intelligence remarquable, visionnaire à souhait, De Gaulle voulait préserver les intérêts à long terme de la France dans le contexte des rivalités Est-ouest. Il lui fallait trouver le moyen de «reculer pour mieux y sauter». Lorsqu’il est rappelé au pouvoir en 1958, c’est en réalité à une Algérie française qu’il songe, d’où cette célèbre phrase qui lui est attribuée : «L’Algérie sera française aujourd’hui et toujours» . 24
  • 27. De fait, son premier voyage en Algérie est du type impérialiste. Aux prises avec la réalité des colonies, il est gagné par des sentiments plus subtiles. Dans cette circonstance, la Guinée aura été un élément catalyseur dans le changement d’attitude de De Gaulle. A cette époque Sékou Touré, visiblement anti-impérialiste déclarait: «je préfère être un chien efflanqué et libre que d’être un chien gras avec une corde au cou». Devant cette réalité dans les colonies, De Gaulle crée la Communauté franco-africaine. Cette organisation qui ne durera que le temps d’un feu de paille. Les colonies deviennent indépendantes en association avec la France, ce qui fera dire aux intellectuels africains syndicalistes qu’il s’agissait d’une indépendance qui n’en était pas une, la France continuant à diriger les colonies sous le verni d’une pseudo- indépendance. Léon Mba pourtant opposé à l’indépendance accepte néanmoins le poste de Président de la République. La réaction des révolutionnaires gabonais est vive. Ils n’hésitent pas à lancer des propos du genre «M. Léon Mba, vous êtes Président avec les attributs, sur le plan international d’un chef État, mais le véritable chef État c’est l’Ambassadeur de France.» En effet la situation du Gabon n’aura pas évolué d’un iota. Pour preuve Bongo prend la tête du pays sans avoir été élu par le peuple gabonais, ni avoir été désigné par Léon Mba qui, à l’époque, agonisait. Les derniers moments de vie de cet homme historique furent à la fois tristes et pitoyables. La salle dans laquelle il fut interné ressemblait à une véritable forteresse. Même ses femmes n’en avaient pas accès. Deux Gabonais auront ce privilège : Bongo et Rawiri. Eux seuls auront vécu ce qui s’était réellement passé. Ils en conservent jalousement le secret face à l’histoire et sur la base d’une confiance entre les deux hommes. La salle, interdite au reste des Gabonais était pourtant accessible aux Français dont la présence régulière ne fait l’ombre d’aucun doute, en particulier une certaine Madame Gorne, en sa qualité de maîtresse de Léon Mba, dit-on. La version officielle donnée de la mort du premier Président du Gabon est tellement entourée de zones d’ombre que ses enfants ne semblent pas en être convaincus. 25
  • 28. L’on sait par exemple que Léon Mba avait des comptes en Suisse. Curieusement, ses enfants ne sont jamais rentrés en possession de cet argent épargné dans les banques de ce pays. On pense que la seule qui en connaissait les numéros est Madame Gorne qui s’en est probablement appropriée. Me Agondjo, pour cette affaire, sera d’ailleurs consulté par les parents du défunt. Il est donc permis d’avancer que l’indépendance du Gabon, pour ne parler que de ce pays, est «une indépendance octroyée». Voilà pourquoi la France exploite en toute liberté les richesses du Gabon. D’où la présence au pouvoir de Bongo dont le rôle déterminant se résume à préserver les intérêts de la France. Mais le caractère de l’indépendance du Gabon ne suffit pas à expliquer la mainmise de la France sur le Gabon. La France choisit Bongo Les origines géographiques de Bongo constituent aussi un élément moteur ayant guidé les Français dans le choix de cet homme. Franceville d’où est issu Bongo regorge des minerais fort cotés en bourse à l’époque, dont certains comme l’uranium et le manganèse seront classés stratégiques dans les Accords de Coopération. Tournée vers le Congo voisin sous régime communiste et donc sous influence de l’ex- U.R.S.S, Franceville se trouve au centre d’une région que la métropole considère comme un point faible capable d’entraîner tout le Gabon dans le giron soviétique. La France met Bongo à la tête de ce pays en espérant qu’une fois au pouvoir, il détournera l’attention des habitants de la capitale altogovéenne de culture congolaise (d’où les noms des quartiers comme Babembé, Poto Poto; des habitudes vestimentaires, notamment chez les femmes marquées par le port du pagne et l’usage de la langue munu kutuba) vers le reste du Gabon. D’ailleurs Me Agondjo qui a longtemps séjourné au Congo, lorsqu’il entreprend en 1971 un voyage à Franceville, est fortement frappé par la manière dont vivent les habitants de cette ville. Il ne trouve aucune différence entre eux et les Congolais. Le choix de Bongo, le moins crédible de tous les "hommes politiques gabonais issus de la région, s’explique aussi par le fait qu’il était manipulable. Ce qui ne pouvait pas être le cas d’Amogho, d’une maturité politique évidente et alors très contestataire aux yeux des Français qui l’ont connu lors de son passage au Haut Conseil de l’Afrique Équatoriale Française (A.E.F.). 26
  • 29. Des hommes et des idées en Afrique Centrale L’échec de la Fédération centrafricaine Amogho y siégeait (au Haut Conseil de l’A.E.F.) aux côtés de Barthélémy Boganda, Président de cette institution. Ce fervent «Centrafricain» dont l’aura était suffisamment forte, était l’homme d’État en Afrique Centrale le plus représentatif des aspirations africaines. Il connaissait notamment le sort réservé aux Africains. On peut croire que, clairvoyant et révolutionnaire, Boganda était l’homme dont l’Afrique avait besoin. D’aucuns pensent que cet homme était le Krumah d’Afrique Centrale. Originaire d’Oubangui-Chari, actuel Centrafrique (ainsi baptisé en raison des visées centrafricanistes de Boganda), Barthélémy Boganda lance l’idée des États-Unis d’Afrique Centrale qui, malheureusement, se heurte à l’opposition de certains Africains dont les Gabonais. Le Gabon bénéficiait alors d’un prestige lié à la possession d’immenses ressources minérales, mais aussi d’une tradition de pourvoyeuse de ressources aux autres pays de l’A.E.F. à ses dépens, ce qui faisait dire que le Gabon était «la vache à lait» de l’A.E.F. De plus, les Gabonais étaient conscients de leur taux de croissance démographique relativement faible comparé aux autres pays de la région. Ils ne pouvaient donc pas être favorables à l’idée pourtant noble de ce grand homme historique que fut Boganda . Le foisonnement démocratique gabonais Si De Gaulle n’avait pas institué au Gabon cette «indépendance octroyée», ce subterfuge soutenu par ceux qu’on appelait à l’époque «les laquais de l’impérialisme» ou «les chiens rampants», la démocratie amorcée au cours des années soixante, grâce au pluralisme politique, aurait atteint des proportions contraires à l’actuelle démocratie balbutiante. Avant que Bongo n’instaure le Parti unique en 1968, le Gabon voit surgir des partis politiques animés par des personnages au charisme certain. Parmi ceux-ci, le Bloc Démocratique Gabonais (B.D.G.) fondé par Gondjout et Léon Mba. 27
  • 30. Ce dernier fut un moment considéré par la France et les forces économiques comme un révolutionnaire. Le B.D.G. était de fait rattaché au R.D.A. qui partageait le programme communiste, sauf l’idéologie sur l’athéisme. Le peuple gabonais foncièrement animiste, partageait mal les vues communistes sur l’aspect philosophique, notamment le matérialisme dialectique. Le R.D.A. militait à l’origine en faveur de l’émancipation de l’Afrique Noire, ce qui avait donné à Léon Mba une image de communiste. Aubame quant à lui était l’homme des milieux chrétiens. Son Parti, l’Union Démocratique Socialiste Gabonaise (U.D.S.G.), professait un socialisme chrétien. Il siégeait à l’Assemblée nationale française aux côtés du Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.), Parti essentiellement chrétien. Le Parti de l’Union Nationale Gabonaise (PUNGA) de René Paul Souzatte, qui arrive un peu plus tard professe, du moins sur le plan théorique, une idéologie socialisante. Quand ce Parti s’établit, le socialisme d’Aubame et de Léon Mba n’est plus qu’une vue de l’esprit. Le PUNGA arrive donc à point nommé et va donner une bouffée d’oxygène à ces deux aînés visiblement en perte de vitesse. Léon Mba qui est pourtant considéré par la France comme révolutionnaire perd peu à peu sa fibre militante et se retrouve dans le camp des impérialistes. Devant ce revirement idéologique, la métropole ne voit plus en lui «Le diable communiste». Léon Mba devient ainsi l’homme des forestiers qui le mèneront au pouvoir. Les forestiers étaient alors très puissants en raison de l’exploitation du bois qui, à cette époque, était la première richesse du pays sinon sa principale activité économique comme l’est le pétrole de nos jours. Ainsi’, Léon Mba devenu l’homme des forestiers se retrouve face à une dissidence menée par Jean Hilaire Aubame et René Paul Souzatte. Il s’insurge désormais contre toute rébellion naissante, notamment celle de certains de ses compagnons de lutte anti- impérialiste. René Paul Souzatte sera arrêté et jeté en prison, tandis que le PUNGA disparaissai t. Lorsque Jean Hilaire Aubame s’allie à Gondjout, une alliance contre nature au demeurant, Léon Mba devient encore plus autoritaire. Son poste de Président à l’Assemblée aidant, Gondjout utilise la voie parlementaire en faveur d’une motion de censure. Elle est adoptée à la fois par les hommes favorables à Aubame et par une fraction du B.D.G. en vue de renverser Léon Mba. Quand ce dernier l’apprend, sa réaction est brutale. Outre qu’il en informe ses amis français qui lui conseillent un coup État constitutionnel, il fait arrêter Gondjout et ses complices qui échouent en prison. 28
  • 31. Contre toute attente, Léon Mba, soucieux d’une certaine unité nationale, met à ses côtés Aubame qui devient Ministre des Affaires Étrangères. En fait, Léon Mba croit avoir pulvérisé toute la rébellion pour gouverner en paix. Mais il trouve Aubame encore plus encombrant. Les rapports entre les deux hommes sont de plus en plus tendus. Aubame est finalement démis de ses fonctions gouvernementales. Quelques années après, c’est le putsch de 1964 au cours duquel plusieurs Gabonais furent tués par les forces françaises venues rétablir Léon Mba au pouvoir. L’autoritarisme appelle la révolte Quand éclate ce putsch, Me Agondjo est en France depuis 1959. Il fait partie des jeunes gabonais qui voient un signe avant-coureur du changement politique manqué en 1960. Mais quand la France décide de remettre Léon Mba au pouvoir, tous les espoirs suscités par ce putsch volent en éclats. Dans les conditions de l’époque, les révolutionnaires gabonais en France ne comprendront pas une telle attitude de la part de la France. Car ce putsch n’était rien d’autre qu’un dépôt légal d’un Président par l’armée nationale. Il s’agissait donc d’une affaire intérieure au Gabon. Même si certains voyaient derrière ce putsch la main américaine, on ne peut pas dire que le contraire aurait dissuadé les Français d’intervenir. De Gaulle n’avait jamais accepté qu’on ébranle ce qu’il avait mis en place. Me Agondjo à cette époque est à Lille et ne descend à Paris que lorsqu’il apprend la nouvelle. A peine arrivé à la Gare du Nord, il est ébloui par le grand titre du journal Le Monde : «Le coup État maté au Gabon». Il s’écroule en sanglots. Voilà qui lui permet de mesurer la dimension de l’indépendance arrachée au colonisateur qui forge la conscience, nationale par rapport à l’indépendance obtenue par les Gabonais. Les étudiants gabonais, venus de partout convergent alors à Paris qui devient le temps de l’événement le lieu d’une sorte d’État-major. Tous les particularismes ethno-régionalistes s’estompent pour faire place à un happening centré sur une préoccupation commune les plongeant dans une vive émotion. Visiblement impuissants devant cette triste affaire, les étudiants n’avaient rien d’autre à faire que remplir des sceaux de larmes destinées à leurs frères qui avaient payé de leur vie la tentative de renverser le pouvoir. 29
  • 32. Le parcours du combattant Dans le mouvement associatif Il commence avec Joseph Rendjambé qui est entré au collège Bessieux peu après son aîné Pierre-Louis Agondjo Okawé, et qui se retrouve pendant ses vacances scolaires avec lui à Omboué, aux côtés de René Paul Souzatte, pour faire campagne contre le OUI au référendum de 1958. Trois pays du Continent africain avaient voté pour le NON à cette occasion : la Guinée, le Niger et en troisième position le Gabon. Mais dans ce dernier cas, le OUI l’a finalement emporté. Cet échec était lié au revirement de Jean Hilaire Aubame en faveur du OUI et ce, malgré le désaveu de certains membres de son Parti dont Messieurs Simost, Nkombé et Otando. La présence remarquée de Me Agondjo pendant cette période de la vie politique du Gabon attire l’attention des autorités qui commencent à s’intéresser aux activités du jeune lycéen. C’est aussi en cette année 1958 qu’il se lance dans l’action syndicale et associative. Il est tour à tour Président de l’Union des Jeunes du Fernan-Vaz (U.J.F.), membre du bureau de l’Association des Élèves des Établissements Secondaires du Gabon, puis Secrétaire Général, chargé de l’implantation de l’Organisation de Coopération Intellectuelle (O.G.A.C.I.), le paysage politique national étant dominé par l’action de trois grands partis politiques dont le B.D.G., l’U.D.S.G. et le PUNGA déjà présentés. Dès sa première année d’études universitaires à Lille, il est élu au Comité exécutif de l’Association Générale des Étudiants du Gabon (A.G.E.G.). Il est membre de la F.E.A.N.F. aux côtés de Henri Lopez (Congolais) du Dr Baroum (Tchadien), de Alpha Condé de Guinée, de Dieng Amadi du Sénégal, de Pouzère de Centrafrique et de Dossou de l’actuel Bénin, etc. Il approfondira sa formation syndicale en participant aux travaux de différentes commissions des congrès organisés par cette fédération. Chargé par l’A.G.E.G. d’une mission de sensibilisation pendant ses vacances à Port-Gentil et à Omboué en 1961, il publie dès son retour en France un compte-rendu dans la revue «L’Étudiant du Gabon», qui lui vaut la suppression de sa bourse. Quand il rentre en août 1968 au pays, les libertés syndicales et politiques sont bâillonnées. Il n’existe qu’une seule cellule syndicale, la Confédération Syndicale Gabonaise (COSYGA) et le Parti Démocratique Gabonais (P.D.G.) qui sont des structures institutionnalisées de l’État. 30
  • 33. Ce parcours syndical qui achève aussi sa formation politique le conduit une fois au Gabon à la création d’associations qui ont pour but l’éducation et la formation des jeunes. C’est ainsi qu’il participe avec beaucoup d’autres ressortissants de la localité à la création de l’Amicale d’Etimboué (AMETI), dont la première manifestation significative est la célébration du centenaire du Fernan-Vaz, au cours de laquelle les membres de l’amicale évoquent l’histoire de la résistance des habitants à la pénétration française dans le département. A l’Université où il est enseignant, il aide, aux côtes de Rendjambé, les étudiants à créer une organisation de défense de leurs intérêts placée sous la présidence de Nzoghé Anselme. Les autorités politiques qui suivent les activités de cette organisation arrêtent les membres du bureau exécutif et les professeurs supposés être les instigateurs. Pierre-Louis Agondjo-Okawé et Joseph Rendjambé sont de ceux-là. Il fut un temps où le Gabon et le Congo ne présentaient aucune différence. L’un se disait capitaliste et l’autre communiste. Mais quant au fond c’était les mêmes régimes monolithiques, jusqu’à la phraséologie : «Comité central» ici, «Comité Central» là-bas; «Bureau politique» et «Camarade» se retrouvaient chez l’un comme chez l’autre. Le Congo sur le plan démocratique n’était pas une référence. Les contacts de Me Agondjo avec la société congolaise étant multiformes, il se réjouissait de rencontrer au Congo ses frères d’armes de la F.E.A.N.F. ou de l’A.G.E.G. Entre Libreville et Brazzaville, l’expérience congolaise L’expérience congolaise était pour lui bénéfique car elle lui avait permis d’examiner l’application de la théorie marxiste sur le terrain. Il faut dire que son expérience congolaise, au-delà d’un intérêt intellectuel, fut douloureuse à cause des putschs manqués, le premier s’étant produit alors qu’il séjournait au Gabon et sa famille au Congo. Ce putsch qui conduira certains durs du régime à l’exil, tel Me Moudiléno-Massengo qui, pendant le putsch, se réfugiera chez Me Agondjo dont le domicile était proche. Il sera obligé de s’exiler en France. Établi dans ce pays comme Avocat depuis lors, son mutisme étonne face à l’évolution politique dont son pays est l’objet. 31
  • 34. Me Agondjo vécut des moments forts particulièrement rudes. Par exemple il fut fortement bouleversé quand, rentré au Congo, il trouva une amie dont le mari, M. Matchokota qui occupait alors de hautes fonctions, était devenue veuve. Le pouvoir avait fait découper son mari en morceaux. Me Agondjo juge cette période comme une phase trouble de l’histoire du Congo. Malgré tous ces drames, il fut tout aussi surpris sur le plan des loisirs par rapport au Gabon. Ainsi les Congolais commençaient à danser à sept heures du matin et cela pouvait durer jusqu’au lendemain. Le Congo pour lui était un drôle de pays. On lui apprit que tout ce qu’il avait vu jusque-là n’était rien comparé à l’époque de Fulbert Youlou. L’expérience congolaise fut enrichissante sur certains points, notamment en raison des contradictions inter-ethniques dont résultaient la grande coupure entre le Nord et le Sud, coupure que l’on retrouve partout, avec au Sud le leadership des Lari réfractaires à l’hégémonie des Mbochi du Nord. Le Congo étant une fenêtre sur l’autre rive a permis à Me Agondjo d’avoir une vision large sur le Zaïre. Tous ces contacts lui ont permis de tirer des enseignements utiles pour le Gabon. Me Agondjo allait au Gabon tous les quinze jours pour travailler à son cabinet d’Avocat. Ce genre d’activité était supposé être un laboratoire propice à la contestation et ne pouvait à n’en point douter que provoquer une levée de boucliers de la part du pouvoir. Malgré tout, il ne s’était jamais mis à l’idée que la création de son cabinet pouvait constituer une menace pour l’autorité de l’État. Il ne pouvait déjà pas l’ouvrir, car il était alors stagiaire chez Me Julien. Le jeune avocat voyageait à ses frais entre Brazzaville et Libreville. C’est d’ailleurs dans le souci d’alléger ses frais de transport qu’il s’inscrira à la Faculté de Lettres pour bénéficier du tarif préférentiel auquel avaient Droit les étudiants. Me Agondjo jouissait d’une autonomie financière vis-à-vis de l’État gabonais. En dépit de ses distances avec le pouvoir, Bongo le fera convoquer à plusieurs reprises pour lui tenir des propos du genre «Tu ne me fais pas peur ... C’est pas parce que tu es le premier avocat de ce pays (...) il paraît que tu me traites d’ignare ... » Me Agondjo en conclut qu’il était l’objet d’une campagne de délation alimentée de rapports compromettant qui étaient l’œuvre d’avocats français qui voyaient d’un mauvais œil l’installation d’un concurrent autochtone. Ce fut en particulier le cas de Me Vannoni alors Doyen des avocats du Gabon, qui se trouvait être aussi l’avocat de l’État gabonais et du Président de la République. 32
  • 35. Du reste les rapports entre M Agondjo et Me Vannoni seront des plus orageux jusqu’à la retraite de ce dernier. L’universitaire novateur Lorsque Me Agondjo rentre en 1968, il n’y a pas d’Université au Gabon. Mais il y a ce qu’on appelait à l’époque la F.E.S.AC. (Fondation de l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale) qui avait vu le jour quelques temps plus tard. Les Instituts et Facultés étaient concentrés à Brazzaville. Il postule donc une place d’enseignant. Quand le Gabon décide de mettre sur pied cette Fondation, au départ «École de Droit et de Sciences Économiques» qui deviendra par la suite la Faculté de Droit, principale structure universitaire baptisée «L’École de Droit de Libreville», Me Agondjo s’installe à LibreviIle. Mis au fait des performances du jeune universitaire Pierre-Louis Agondjo-Okawé par les autorités universitaires congolaises, le corps enseignant librevillois lui réserve un accueil bien mérité. Il faut préciser que si les performances au Congo du jeune enseignant ont conquis le giron universitaire gabonais, c’est à cause d’un cours très célèbre qu’il introduira dans les programmes de la F.E.S.A.C . Le succès qu’arrache ce cours est tel que, une fois au Gabon, Me Agondjo recevra, de temps en temps la visite de certains universitaires congolais qui venaient pour se donner tout l’outillage nécessaire. Ce cours portait sur l’histoire des institutions et des faits sociaux. Un cours qui posera des problèmes sans précédent et qui de nos jours a connu une révision qui le transformera en cours d’Anthropologie juridique. C’est en 1970 qu’il enseigne pour la première fois au Gabon. Avec Nguéma Isaac, il introduit une innovation à la Faculté de Droit de Libreville. Nguéma Isaac était un de ses condisciples à Lille et passera comme Agondjo par le Laboratoire d’Anthropologie Juridique de cette Université. Très liés par le destin, les deux hommes auront le même Directeur de thèse avant de se retrouver comme enseignants dans la même Faculté. Le tandem décide donc de fonder à la Faculté une section de Droit traditionnel à côté de celle de Droit privé et public qui seule existait à cette époque. La nouvelle Section de Droit traditionnel donnait des cours mi- traditionnels, mi-anthropologiques et même sociologiques. L’opportunité de cette section trouve sa raison dans les mutations sociologiques du Gabon. 33
  • 36. Notons que l’Université du Gabon, une fois créée, se trouvait sous la tutelle de l’Université de Nancy en France. C’est ainsi que chaque fin d’année académique, l’Université de Nancy déléguait un Professeur qui venait superviser les examens, et la relation était parfaite tant que rien ne l’ébranlait. C’est à la fin de l’année 1971 que Me Agondjo entame réellement son parcours du combattant, véritable chemin de croix, qui commence notamment avec un rapport cinglant de la part du spécialiste de Nancy. Ce dernier supportait mal que le cours français soit remplacé par un cours d’histoire des institutions africaines. Ce qui avait valu à Me Agondjo l’image d’antifrançais et son expulsion de l’Université qui, à l’époque, avait Owono Nguéma pour recteur. Les autorités universitaires de Libreville embarrassés devant l’idée de réintroduire le cours français dans les programmes et conserver ou retirer simplement le cours litigieux, décidèrent de mettre à la place un cours de Droit musulman. On dépêchera donc de France un spécialiste dans ce domaine. Bongo s’étant converti à l’islam, le cours de Droit musulman trouvait sa justification. Ce cours sera dispensé jusqu’en 1976. Entre temps, Me Agondjo est jeté en prison et il y restera jusqu’à cette date qui sera aussi celle de sa réintégration en Faculté de Droit de Libreville. En effet, la même année, il lui sera proposé un poste de Ministre qu’il refusera. Une deuxième offre lui sera faite en ligne droite avec son profil. Il est donc nommé Doyen de la Faculté de Droit de Libreville. A peine est-il installé au décanat qu’il réintroduit le cours de Droit traditionnel. Il l’enseigne jusqu’à nos jours. Le doyen rigoureux Dans ses fonctions de Doyen, Me Agondjo incarne la rigueur. Pourtant, en 1979, deux événements vont marquer sa vie. Le premier se produit alors que Jean Boniface Assélé est Ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement Supérieur. A l’Université des partiels sont organisés. Le chef de la scolarité a pour nom Soka, grand militant tapageur et zélé du P.D.G. Au matin, tous les étudiants attendent que commencent les examens. Quand Me Agondjo arrive, il est surpris de constater que rien n’a été fait du côté du chef de la scolarité à qui revenait le devoir d’organiser matériellement les examens et qui dit-on, était parti pour l’aéroport accueillir Bongo, en espérant que les examens seraient reportés au lendemain. Me Agondjo, dans sa grandeur d’homme de rigueur, mit tout en place pour permettre aux étudiants de composer. 34
  • 37. Et cela fut fait malgré le retard observé. Tout comme Madame Ibinga Mangwangu alors Secrétaire Général de la Faculté de Droit et Sciences économiques, il ne cache pas sa rage contre cette dérive idolâtrique du chef de la scolarité. Ce dernier, interpellé et réprimandé par le Doyen Agondjo, cherche à se venger. Il s’arme d’un rapport de quatre pages dans lequel figure toute une série de mensonges contre lesquels Me Agondjo et Madame Ibinga s’inscrivent en faux. A la suite de ce rapport le Président Bongo prend un décret disposant que, dorénavant, tout le corps enseignant serait à l’aéroport à son départ comme à son arrivée, décret qu’il s’empresse de retirer, dissuadé par Me Agondjo qui n’hésite pas à relever le caractère impertinent de ce décret susceptible de provoquer des troubles à l’université. C’est au cours de l’année 1979 que se produit le deuxième incident. Ndouna Dépénaud vient d’être assassiné. La peur hante tous les esprits. L’air du temps est très morose. Un soir, des individus en uniforme et encagoulé investissent très tard dans la nuit le bureau du Doyen Agondjo. La scène se passe sous le regard craintif d’un veilleur de nuit à qui, après constat, il sera demandé de conduire les inconnus au domicile de Me Agondjo. Malgré les menaces, le gardien dira ne pas connaître le domicile de Me Agondjo. Informé le lendemain, Me Agondjo foncera Droit chez Assélé son ministre de tutelle et chef de la Police. Ce dernier va commencer par organiser sa protection en mettant à sa disposition des tireurs d’élite autour lui, à l’Université et à son domicile. Alertés, ses parents vont débarquer à libreville pour «remettre la vie d’Agondjo» entre les mains du chef de l’État, donc de le rendre responsable de tout ce qui pouvait lui arriver. La réponse fut l’expulsion de Me Agondjo du décanat. Ultime étape du parcours du combattant avant les présidentielles, la lutte pour la survie du Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.), dont la liquidation était programmée par le pouvoir aussitôt après sa fondation. La création du P.G.P. Il convient de rappeler d’abord que la création du P.G.P. est une œuvre commune. Elle se déroule aussi bien à Libreville qu’à Port-Gentil. En effet, le document de politique intérieur voit le jour dans la capitale gabonaise et sera adopté dans l’Ogooué-Maritime. Cette première ébauche est signée de Pierre-Louis Agondjo-Okawé qui bénéficiera un peu plus tard de la confiance de ses pairs pour présider aux destinées de la nouvelle structure politique. 35
  • 38. Hommage à Joseph Rendjambé La marche de la Coordination de l’Opposition Démocratique (C.O.D.) à l’occasion du premier anniversaire de la mort du premier Secrétaire Général du Parti Progressiste Gabonais (P.G.P.)
  • 39. Nan Nguéma, Nan Békalé, Joseph Rendjambé et Aganga Akélaguelo s’attélèrent à l’élaboration minutieuse des documents de politique économique, sociale, culturelle et étrangère. La Constitution de ce dossier aboutit à la naissance du P.G.P. et à l’installation d’un bureau le 10 mars 1990, après le dépôt légal du dossier au Ministère de l’Administration du Territoire. À la suite d’un bref séjour à Port-Gentil, Me Agondjo se rapproche des associations politiques adolescentes et en fin stratège met au point avec elles le Front Uni des Associations et Partis Politiques de l’Opposition (F.U.A.P.O.). Dans un premier temps, ce front estompe les craintes des uns et des autres. Sous cette bannière, les partis et associations arriveront sereins à la Conférence Nationale et balayeront d’un revers de la main l’idée du R.S.D.G. Me Agondjo évoque avec émotion le rôle joué par Rendjambé à cette assemblée. La mort de ce dernier demeure un mystère pour le Président du P.G.P., une perte énorme pour le P.G.P. Joseph Rendjambé était en effet une personnalité disposant d’une longue expérience politique et de connaissances dans des domaines variés. Il était dynamique et possédait un sens de l’organisation irréprochable . Aussi sa précieuse contribution à l’édification de la Conférence Nationale laisse des souvenirs inoubliables dans la mémoire de ses concitoyens. Comme toute structure vi,vante, le Parti Gabonais Gabonais du Progrès a connu des divergences. Les premières sont nées de l’existence au sein du Parti d’une tendance favorable à une politique libérale impliquant (la privatisation totale de l’économie. Elle était alors soutenue par Marc Nan Nguéma. L’autre tendance, proche d’une économie de marché pouvant sauvegarder le parapublic, était développée par Agondjo et Rendjambé . Au cours de l’année 93, une nouvelle raison de divergences est apparue au sein du Parti en liaison avec le courant du Pari. Quand nous nous étonnons de l’absence des ténors de ce courant au Congrès Extraordinaire de juillet 93 et lui demandons si ces militants étaient exclus du Parti, Me Agondjo répond par la négative et éclaire notre lanterne sur la question. Le Pari, explique-t-il, n’a été exclu par aucune instance du P.G.P., c’est tout le sens de la conférence de presse du P.G.P. du 10 février 1993. Le Pari s’est marginalisé lui-même. Il avait des griefs contre le Parti, des griefs de trois ordres. 37
  • 40. Certains étaient justifiés. Par exemple les membres de ce courant reprochaient au Parti de ne pas peaufiner son image de marque et de ne pas se préoccuper des problèmes de communication au sein du Parti. Sur ce point, ils avaient raison et le Parti le leur avait fait comprendre. D’autres griefs relevaient de la compétence du Congrès et de la base, en l’occurrence les problèmes du tribalisme et de la géopolitique. Ils estimaient que le Bureau du Parti avait été mal formé au Congrès parce qu’on avait trop tenu compte des considérations régionales et ethniques alors qu’il ne fallait tenir compte, selon eux, que de la compétence et de la valeur des membres du Bureau. Il y avait également le problème des courants. Le Pari est un courant reconnu comme tel depuis le dernier congrès Ordinaire après des débats houleux. Mais ce n’est pas le Pari qui pose ce problème aujourd’hui, c’est une frange du Pari. Il y a des Parieurs qui sont restés dans le Parti, ils n’ont pas suivi les ténors du courant. Le Parti a estimé qu’il fallait les laisser agir malgré l’étiquette de staliniens purs et durs qu’on lui colle. Le problème sera réglé lors du prochain Congrès Ordinaire du Parti. Aujourd’hui le débat théorique sur les courants paraît évacué. De fait, dans la pratique, le courant du Pari aura démontré les limites de cette formule dans l’état actuel des mentalités. Cette expérience se révèle donc utile dans la mesure où elle aura permis non seulement au P.G.P., mais aussi aux autres partis, de réf1échi sur la notion de courant et de son fonctionnement. Comme quoi, l’expérience en valait la peine et le P.G.P. est fier de l’avoir initiée dans l’intérêt bien compris de la démocratie pluraliste au Gabon. Confronté à l’adversité, Me Agondjo sait désormais que sa propre survie n’a d’intérêt que si elle est utile au Gabon et aux Gabonais. Au-delà de ses compatriotes, les perspectives de son engagement sont toujours restées ouvertes sur tout ce qui, de part le monde, en Afrique plus spécialement où la démocratie se fraye un chemin étroit, lutte pour les mêmes idéaux que lui. Le Bâtonnier Agondjo s’emploie ainsi dans la défense des faibles avec enthousiasme et abnégation, servi en cela par sa foi en l’avenir et son immense compétence. 38
  • 41. L’Avocat des causes perdues Homme politique de renommée nationale et internationale, brillant Professeur d’Université, Anthropologue et Spécialiste du Droit Traditionnel et membre de plusieurs Organismes internationaux, Pierre- Louis Agondjo-Okawé qui préside avec dynamisme et altruisme aux destinées de la première force de l’Opposition gabonaise est un Avocat émérite. Il l’a démontré, au péril de sa vie, en plusieurs circonstances dont nous ne retenons que les plus saillantes. Le procès de Madame veuve Mba Germain Sa première plaidoirie politique eut lieu en 1971 lors du procès de Madame veuve Mba Germain, victime d’une chasse à l’homme organisée par les Services secrets de Bongo. Une affaire qui fera grand bruit dans l’opinion nationale et internationale, au point que le pouvoir tentera de galvauder le procès pour calmer les ébullitions. A cette époque, se mêler d’une histoire qui entame directement l’autorité de l’exécutif relevait, à ne point douter, de la pure témérité. Me Agondjo qui est constitué partie civile par la famille du défunt accepte de plaider gracieusement pour la veuve qui fait l’objet de plusieurs tortures morales et physiques de la part du pouvoir. Elle avait été emprisonnée pour outrage au Président de la République. Et pourtant, elle n’avait fait que réclamer le cadavre de son mari. En dépit des menaces de mort et la campagne d’intimidation orchestrées contre sa personne, le jeune avocat qu’il est alors s’engage coûte que coûte à plaider pour des raisons fondamentales . Au-delà de Madame veuve Mba Germain, il voit d’abord la justice et les libertés et en toile de fond sa situation de premier avocat gabonais. Car pour lui, certaines personnes doivent payer de leur vie pour la survie d’autrui. Toutefois, sa détermination à défendre ce cas dépassera aussi les injonctions des notables de l’Ogooué-Maritime qui s’y opposeront «Qu’espérez-vous réussir face à la puissance de Bongo, au lieu de postuler un poste au gouvernement, afin d’aider toute la province Vous préférez lutter contre lui par simple orgueil» lui avaient-ils clamé la veille du procès. Au terme d’une plaidoirie anthologique, il démontera les écheveaux dressés par le pouvoir dont il prouvera aussi la culpabilité dans l’assassinat de Mba Germain. 39
  • 42. 1 - Me Agondjo, l’Avocat dans ses œuvres 2 - La rentrée judiciaire , au fond à gauche on reconnaît Pierre Fanguinovény , Me Agondjo (1er plan à droite)
  • 43. Cet acte de courage fera de lui une légende et atteindra au paroxysme de sa profession. Mais le pouvoir, machiavélique, ne le lui pardonnera pas. Il est accusé d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État. L’an 1972, il est arrêté, jugé et condamné à huit ans de travaux forcés. L’avocat sans frontières Plusieurs années plus tard, le courage et l’abnégation qui l’animent à reculer les limites de l’impossible le conduisent à Abidjan en 1992. Là-bas, il sera l’avocat de Laurent Barbeau, homme politique ivoirien, avec qui il entretenait des rapports très limités. Le fait le plus marquant est qu’ils sont tous deux idéalistes, défenseurs de la justice, de la liberté et de la démocratie en Afrique. Leurs adversaires respectifs sont Houphouêt-Boigny et Omar Bongo. Barbeau, figure emblématique du paysage politique ivoirien, détenteur du doctorat d’histoire-géographie, éprouve une passion folle pour le barreau et regrette parfois de n’y avoir pas fait carrière. L’un et l’autre emprisonnés, humiliés puis exilés, semblent avoir une destinée conjointe qui se résume dans ces mots : Justice sociale et courage. Une fois rendu dans la salle d’audience du Tribunal d’Abidjan, Me Agondjo est choqué et indigné quand il remarque que quatre de ses collègues députés sont enchaînés et menottes aux poignets. Alors il déclare d’entrée de jeu devant le Juge unique et l’assistance qu’il avait effectué le déplacement de Libreville à Abidjan non seulement pour défendre ses collègues députés, professeurs et syndicalistes, mais aussi ses compatriotes. En effet dans le lot des conjurés se trouvaient le mari d’une Gabonaise et l’épouse (première journaliste de Côte d’Ivoire), d’un médecin gabonais en service au Centre Hospitalier Universitaire d’Ajamé. Ce dernier est en effet originaire de Lambaréné dans le Centre- ouest du Gabon. Le batonnier Pierre-Louis Agondjo-Okawé défendait là des combattants de la liberté. Cette action était bénévole, puis que les titres de transport étaient à sa charge. En revanche, “pour tout l’or du monde”, martèle-t-il, il n’aurait jamais défendu un dictateur comme Moussa Traoré. Il avait d’ailleurs décliné l’offre d’aller défendre le frère de Sassou Nguesso, l’ancien Président de la République Populaire du Congo. 41
  • 44. Le temps de la réflexion Défendre les libertés, c’est ce qu’il fait lorsqu’il réapparaît lors du procès qui opposa le journal “Misamu” aux députés du Parti Démocratique Gabonais (P.D.G.) de la province du Haut-Ogooué. Il était reproché à cette publication d’avoir diffamé ces messieurs. Cette plaidoirie sera la dernière du genre. Une disposition du Code électoral stipule qu’un député-Avocat (il est le seul dans ce cas à l’Assemblée nationale) n’a plus le droit de plaider devant la la chambre administrative sur les délits de presse, une mesure discriminatoire prise dans le but inavoué de régler des comptes avec lui. De toute évidence, pour Me Agondjo, il y a des procès que l’on perd mais dont on est tout de même satisfait ) pour le travail accompli qui se manifeste par les réactions du public. L’avocat plaide parfois tout en sachant que son client n’obtiendra pas gain de cause, car certaines sentences sont connues d’avance. C’est le cas des procès Mamboundou et Moubandjo. Alors qu’une sorte d’anachronisme s’était installé, ces procès se révéleront intéressants. Ils ont lieu alors que le Gabon est entré dans le multipartisme. Les faits reprochés aux accusés datent de l’époque du monopartisme. Ils auraient pu être relégués aux calendes grecs ou simplement annulés. Car la privation de la liberté amène le peuple à disposer d’un seul moyen légitime pour évincer le régime en place: le coup d’État. L’histoire démontrera par exemple que l’affaire Moubandjo était dépourvue de sens dans la mesure où tous les concernés ont été victimes de duperies: Moubandjo, Bongo et l’État gabonais. Quant au procès Mamboundou, il aura été encore plus instructif dans la mesure où il a révélé la pratique de la torture au Gabon, le caractère irrégulier de la procédure pénale entreprise en raison de l’intrusion des services secrets qui n’ont jamais comparu lors des audiences Me Agondjo n’a jamais cédé face aux pressions indirectes qu’il subissait de la part du pouvoir à travers les membres de sa famille ou certains de ses amis. Chaque fois, il évoque son épouse qui, comme lui, n’admet pas l’injustice et l’arbitraire et qui lui est d’un soutien non négligeable lors de nombreux affrontements avec le pouvoir. Le temps et l’habitude feront prendre du plaisir à sa progéniture. Ses parents au contraire s’inquiètent de son avenir, ils songent toujours aux représailles du régime pouvant engendrer son élimination physique. D’ailleurs il a longtemps été emprisonné et en est sorti malade; sa mère a frôlé la folie, ne pouvant supporter les sévices subis par son fils aîné. Bien que certains juges aient été étudiants de Me Agondjo, ce dernier sait ôter sa veste d’enseignant devant la Cour. Car l’avocat doit une certaine déférence au Juge qui, en retour, lui doit aussi du respect. 42
  • 45. A la suite d’un procès gagné ou perdu, il estime que l’essentiel est qu’il dise «J’ai bien fait mon travail». Une conscience professionnelle paisible, indifférente aux humeurs de l’auditoire. Car selon lui, l’avocat n’est pas payé pour le résultat, mais pour le travail accompli. On l’aura compris, Me Agondjo est un homme de principes. C’est à n’en pas douter ce qui le différencie plus encore de toutes les personnalités de sa génération, en particulier des autres candidats aux élections de décembre 1993. Opinion sur les hommes Au cours de son parcours du combattant, Me Agondjo a rencontré des hommes politiques gabonais acteurs de la vie politique passé ou récente. Il en parle avec le souci de tirer les uns de l’oubli et la volonté de se situer par rapport à d’autres. Paul-Marie Yembi Paul-Marie Yembi a injustement été présenté comme un bouffon. Cet homme historique que les gabonais connaissent peu ou presque pas mérite plus d’égards que certains ministres gabonais aujourd’hui. Il est fort regrettable que l’on juge Yembi non pas sur la base d’une valeur intrinsèque, mais sur la manière dont il parlait le français. Le Président du P.G.P. reste sensible au sort dont cet homme est l’objet. Il estime qu’on peut être éminent penseur, intelligent ou savant dans sa langue maternelle. La maîtrise du français ne conférant pas un rang de mérite intellectuel, il serait donc souhaitable que les Gabonais réhabilitent Paul-Marie Yembi dans sa grandeur d’homme politique historique, car Paul-Marie Yembi était très enraciné et méritait mieux que le sort qui lui est réservé. 43
  • 46. René Paul Souzatte De René Paul Souzatte, personne n’en parle, hormis le P.G.P. qui essaie d’exhumer ce grand acteur de l’histoire politique du Gabon. Sa petite fille a témoigné sa gratitude au Président du P.G.P. lors d’une rencontre à Paris. Il n’est pas évident que le pouvoir actuel puisse réhabiliter ce grand homme. Pour preuve la collection “Mémorial du Gabon” qui aurait pu devenir un repère et un outil historique voire une vitrine pour la nouvelle génération, brille plutôt par des contrevérités d’une vacuité certaine. Elle est tellement truffée de mensonges qu’on s’en voudrait d’y figurer. Jean Hilaire Aubame Me Agondjo qui était trop jeune à l’époque de la grande activité politique de Jean Hilaire Aubame n’a pas eu de rapports avec l’un des acteurs du putsch de février 1964. Lorsque Jean Hilaire Aubame sort de prison et se rend en France, il reçoit la visite d’un jeune étudiant gabonais très contestataire qui déplore ce qui lui était arrivé. Pierre- Louis Agondjo-Okawé n’était déjà plus loin de son retour au Gabon. Omar Bongo Malgré la dérive totalitaire dont Bongo est l’incarnation, il reste néanmoins le beau-père du Président du P.G.P. en ce sens que son frère Ping a eu deux enfants avec sa fille. Étant l’aîné de la famille à laquelle Ping appartient, la tradition gabonaise voudrait que Me Agondjo soit le gendre et Bongo le beau-père, d’où ses rapports au demeurant antinomiques en raison même de la nature des deux hommes. En effet, Me Agondjo n’a jamais eu de rapports normaux de gendre à beau-père avec Bongo. Les rapports politiques très conflictuels ont contribué à les éloigner l’un de l’autre. Me Agondjo préfère du reste ce type de rapports non possessifs. On entend souvent dire dans le milieu présidentiel qu’Agondjo serait un antitéké. certains pensent même que si Ping n’épouse pas la fille de Bongo c’est à cause de son mépris pour les gens du Haut-Ogooué. Ce procès d’intention bien curieux relève probablement d’une fausse compréhension des choses dans ce milieu qui ne se fait pas à l’idée que Me Agondjo combat un système politique incarné, par Bongo et non une ethnie. 44
  • 47. Jean-Jacques Bouckavel Cet homme a marqué son époque. Membre de l’Assemblée de l’Union Française aux côtes de Paul Gondjout, sénateur et de ]. H. Aubame député, il transitera par le P.D.G. qui l’a pressé comme un citron jusqu’à son dernier jus avant de s’en débarrasser. Une théorie bien connue des milieux pédégistes et qui marche très bien. Certains lutteurs gabonais ou présumés tels en ont fait les frais. Mba Abessole et Nzoghé Nguéma Les rapports de Me Agondjo et Nzoghé Nguéma se situent à deux niveaux. Ils auront des rapports militants dans le M.G.AP. et dans le P.G.T. Car les deux hommes commencent à lutter en France. Il y a néanmoins une complicité idéologique qui a survécu jusqu’à nos jours, notamment dans le F.U.AP.O. et dans la C.O.D. Ils entretiendront par la suite des rapports amicaux. Mba Abessole en revanche n’a pas eu de liens avec le Président du P.G.P., bien que les deux hommes se soient retrouvés au collège Bessieux. C’est en France, un été, qu’il rencontre Mba Abessole accompagné de Max Anicet Koumba, l’un et l’autre étant très liés à l’époque. Les trois hommes échangent des propos dans un café. Les rapports entre Me Agondjo et Mba Abessole sont très conflictuels, non pas tant en raison de leur nature opposée, mais des divergences entre leurs deux partis sur l’approche des problèmes gabonais. Mihindou Mi Nzamba Mihindou Mi Nzamba est le client de Me Agondjo, n’en déplaise à certains. «Je défends le Droit et la justice et non les individus» se plaît à dire Me Agondjo. Lorsqu’il prend en main la défense de cet homme, Mihindou est déjà à son troisième emprisonnement, en raison de ses démêlés avec le pouvoir. Il sera toujours défendu autant que de besoin. Mais Me Agondjo regrette néanmoins le fait que son client ait posé certains actes. Jules Bourdès Ogouliguendé Jules Bourdès Ogouliguendé et Pierre-Louis Agondjo-Okawé étaient des amis. Ils se retrouvent d’abord au collège Bessieux, puis à Lille. 45
  • 48. Ogouliguendé était pour Me Agondjo plus qu’un frère et il est resté en France malgré les divergences politique entre eux, divergences nées dans les milieux révolutionnaires gabonais en France. Le retour au Gabon de plusieurs révolutionnaires dans un tel système (le système Bongo) bien qu’à dessein, n’aura contribué qu’à les avilir, en ce sens qu’ils seront broyés par un système qu’ils étaient supposés combattre. Rentrés au bercail, Me Agondjo Okawé et Ogouliguendé sont restés chacun sur sa position. Ogouliguendé est rentré dans le système. Me Agondjo reconnaît malgré tout que cet homme est l’un des rares gabonais à avoir conservé sa rigueur d’analyse. II n’hésitait pas à exprimer son désaccord quand c’était nécessaire. II a donc conservé ses, convictions idéologiques tout en servant le pouvoir et s’est enfoncé jusqu’au point de non retour. Actuellement cet homme est en dissidence avec le pouvoir. Mais il aurait été souhaitable qu’il posât cet acte bien avant la Conférence nationale, car après celle-ci, tout le monde pouvait parler librement, sans prendre beaucoup de risques. Aujourd’hui poule, mouton et lion se retrouvent dans le même parc. Pouzère C’est dans la F.E.A.N.F. que Me Agondjo fait la connaissance de Pouzère à l’époque militant de l’Union des Étudiants Centrafricains (U.J.E.C.), Section de la F.E.AN.F. En France, les deux hommes partagent le même espace résidentiel avant de se retrouver au Gabon, d’abord à l’Université de Libreville , puis au sein du barreau. Ils se partagent le cabinet de Me Agondjo. Pouzère va jouer un rôle déterminant lorsque Me Agondjo s’envole pour Bangui apporter une contribution militante à Abel Ngoumba. Oyé Mba Oyé Mba quant à lui a utilisé ses anciennes relations scolaires et universitaires dans l’Opposition pour rencontrer Me Agondjo. L’entrevue dura deux heures. De cet échange de vues, il ressort des conceptions divergentes sur la fonction de Premier Ministre. Oyé Mba déclara sur le champ qu’il était légaliste, de nature calme et sereine, sous-entendu que Me Agondjo était un homme agité. 46
  • 49. Les deux hommes se quittèrent sur un constat de désaccord. Le leader du P.G.P. avait cru cependant qu’Oyé Mba demeurerait un technocrate, mais il se détrompa très rapidement à la suite des événements de Ntoum. C’est l’occasion de faire un sort à l’idée selon laquelle Me Agondjo peut devenir «Premier Ministre de Bongo» après un éventuel échec à l’élection présidentielle de décembre 1993. Rien n’est moins sûr. Pour deux raisons, l’une politique et l’autre constitutionnelle. Dans le premier cas, il doit obtenir l’aval de son Parti et celui des autres forces de l’Opposition réelle. La formation d’un gouvernement d’Union nationale au sortir des législatives de 1990 en est une parfaite illustration. Une frange de l’Opposition avait émis le vœu d’entrer dans le gouvernement, mais il n’en fut rien car la majorité ne le voulait pas. En particulier Me Agondjo et Mba Abessole refusèrent officiellement leur participation parce que ce gouvernement était contraire à l’esprit de la Conférence Nationale, même si par la suite, Mba Abessole envoya tout de même Madame Cécile Nkama et réclama la Primature à Bongo par lettre. Aussi paraît-il nécessaire d’éclairer l’opinion sur cette question d’importance capitale. En effet, dans le second cas, «Me Agondjo Premier Ministre de Bongo», signifierait qu’il aurait été battu dans une élection uninominale et dans ce cas de figure, la Constitution stipule clairement qu’il faut attendre dix-huit mois avant de prétendre à une quelconque nomination. Il en découle que cette perspective relève d’une vue de l’esprit. Si les candidats du Rassemblement National des Bûcherons (R.N.B.) et du Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.) restaient les seuls postulants au second tour des élections présidentielles, il n’y aurait qu’à appliquer la charte de la C.O.D., c’est-à-dire que le meilleur gagne. Cette situation, qui est de plus en plus envisageable au P.G.P., se nomme «Gagner dès le premier tour», c’est-à-dire battre Bongo dès le 5 décembre. 47
  • 50. Me Agondjo au meeting de la C.O.D. au Stade annexe le 8 septembre 1990. (Au second plan, assis à droite l’Honorable Mbou -Yembi, le leader historique du F.A.R., Forum Africain de la Reconstruction).  La lutte pour la transparence aux élections de décembre 1993  Signature des actes établissant le COPEL
  • 51. CHAPITRE III * BILAN ET PERSPECTIVES D’UN HOMME DE PRINCIPES
  • 52. Me Agondjo est un homme de principes. De ce point de vue, il force l’admiration, y compris celle de ses adversaires les plus acharnés. Pour eux comme pour les Gabonais auprès de qui il brigue aujourd’hui les suffrages, le Président du P.G.P. a démontré sa capacité à parler sans détours et à tenir ses engagements. Il rassure ainsi ses alliés de la C.O.D. tout en effarouchant ses adversaires pour qui la vérité n’est pas toujours bonne à dire et qui changent d’opinion comme la girouette tourne au vent. Dans la pratique, Me Agondjo, en homme politique responsable désireux de voir réussir l’expérience démocratique gabonaise, sait en arriver au compromis sans se compromettre. Depuis la Conférence nationale plus encore qu’auparavant, alors que le régime monolithique imposait partout le black-out, l’opinion nationale et internationale a appris à mieux connaître et à vérifier le comportement de cette personnalité qui ne laisse personne indifférent. Placé avec son parti au centre de tous les événements marquants du Gabon et ce sans éclIpse et surtout du côté de ceux qui luttent pour la paix, la justice et les libertés fondamentales, Me Agondjo envisage avec sérénité l’échéance présidentielle. Fidèle aux fondements de son action, Me Agondjo nous livre son jugement sur les événements et sur les hommes qui les ont accompagnés avec la franchise que chacun se plaît à lui reconnaître. Seul le souci pour la démocratie peut motiver un tel exercice auquel chaque candidat devait souscrire pour la clarté du débat démocratique. Les relations avec le R.N.B. ou la pomme de discorde Les relations entre le leader du R.N.B. (Paul Mba Abessole) et celui du P.G.P. (Me Agondjo) ne sont pas au beau fixe avant et pendant la Conférence Nationale (mars-avril 1990). Depuis lors de nouvelles raisons de discorde sont apparues. La Conférence Nationale avait été convoquée sur le plan endogène et exogène en raison de la dégradation progressive du tissu économique et social. La crise mondiale et les événements de l’Est ayant sonné le glas des États européens, avaient engendré la Conférence Nationale du Bénin, la première du genre. 50