Art in Detail_The Raft of the Medusa by GÉRICAULT, Théodore
Le chantier de l'Hermione à Rochefort
1. TEXTE : LAURENT BLANCHON / PHOTOS : ASSOCIATION HERMIONE - LA FAYETTE / D.R (SAUF MENTION).
La Fayette attend son Hermione
À Rochefort (Charente-
Maritime), le chantier
de reconstruction
de L’Hermione, la frégate
de la Liberté avec laquelle
le marquis de La Fayette a
rejoint en 1780 les insurgents
d’Amérique, continue d’avan-cer
en bravant les difficultés
techniques et financières.
Et invite à une plongée
dans la fabuleuse
histoire de la Marine
française. Reportage.
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2. En 1779,
sur l’arsenal
de Rochefort,
la construction
de L’Hermione
avait pris six
mois. Sa réplique,
gigantesque Lego
de 400 000
pièces, débutée
en 1997, devrait
s’achever
en 2011... 14 ans
après !
Du fait de la longueur du chantier,
et pour éviter que le chêne ne travaille,
on a effectué le bordage de carène
(peau extérieure de la coque) et le
vaigrage (peau intérieure) à clairvoie
(une planche sur deux). Ce n’est que
dans un deuxième temps que les
charpentiers ont dû insérer
les planches intermédiaires,
préalablement étuvées pour leur donner
la juste courbure.
Cette opération est effectuée à la masse
(notre photo). Une frégate comme
L’Hermione, longue comme deux terrains
de tennis, est constituée
de 1 200 mètres cubes de chêne...
soit, avec le déchet, environ
2 000 arbres !
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3. Et s’il revenait, avec sa frêle redingote bleue bardée
de galons, sa perruque de noble blanc et ses petits
mocassins à boucles ? « Comment? questionnerait-il
d’un ton fâcheux, ma frégate n’est point encore
prête ? » En quittant sa Haute-Loire natale, Marie
Joseph Gilbert Mortier, marquis de La Fayette, s’enquérait-il, en
cette fin du XVIIIe siècle, du défi technologique que constituait la
fabrication d’un navire de guerre ? Sans doute pas plus qu’on ne
s’extasie, aujourd’hui, sur les secrets de fabrication d’une auto-mobile.
Pour lui, L’Hermione n’était autre qu’un moyen de trans-port
qui devait voguer, en trente-huit jours de traversée,
jusqu’aux Amériques où, avec ors et trompettes, il devait annon-cer
aux insurgents américains en lutte pour leur indépendance le
soutien officiel du roi de France1.
En 1779, la fabrication de L’Hermione, « courte » frégate de
45 mètres de long armée de 26 canons tirant des boulets de 12 li-vres,
légère, maniable, rapide, appareillée pour l’étrange mission
d’un jeune homme noble et millionnaire de 23 ans tout droit sorti
de son Massif central, avait pris moins de sept mois. Dans l’arse-nal
de Rochefort (Charente-Maritime), bâti un siècle plus tôt et
non sans mal par Louis XIV sur les conseils éclairés de son in-tendant
Jean-Baptiste Colbert, on lui consacra toute l’énergie de
milliers d’ouvriers et celle, décuplée, de quelques centaines de
pensionnaires du bagne. Mais la construction de sa réplique, elle,
aura pris quatorze ans. Débuté en 1997, le chantier pharaonique
de reconstruction à l’identique de celle que l’on surnomme « la
frégate de la Liberté » devrait s’achever, aux dernières estima-tions,
en 2011.
« Pour les valeurs qu’elle porte »
De son arsenal calé entre la Charente et un mur d’enceinte qui le
sépare de la ville, Rochefort a su préserver et restaurer quelques
bâtiments, dont l’emblématique Corderie royale (lire encadrés).
Mais des 550 navires fabriqués et entretenus ici durant deux siè-cles
et demi, la Marine nationale n’en a conservé aucun. D’où la
folle idée qui émergea au début des années 1990 de tenter une re-construction
dans cette ville de 27000 habitants frappée de dés-industrialisation
et qui sombrait dans un marasme économique et
social. Pourquoi avoir porté le choix sur L’Hermione, qui n’est ni
le plus imposant 2 ni le plus documenté 3 de tousces navires ?
« Pour les valeurs qu’elle porte », répond Maryse Vital, déléguée
générale de l’association Hermione – La Fayette qui mène le pro-jet.
« C’est aussi un bateau chargé d’histoire malgré une fin peu
glorieuse4, et qui abrita un congrès américain. »
Emmenés par l’écrivain et académicien Erik Orsenna, digne suc-cesseur
du Rochefortais Pierre Loti, et par Benedict Donnelly,
fils d’un citoyen américain qui a débarqué en Normandie, soute-nus
par le maire d’alors, Jean-Louis Frot, qui, contre vents et ma-rées,
avait porté le projet de restauration de la Corderie, une poi-gnée
de passionnés issus du Centre international de la mer créent
l’association Hermione – La Fayette en 1992. Cinq ans plus tard,
le 4 juillet 1997 — tout un symbole —, on pose officiellement la
quille de L’Hermione, acte de naissance de la nouvelle frégate.
La mise à l’eau est alors programmée pour 2007.
Pour l’étanchéité, le bateau (ci-dessus, les bordées ; ci-contre,
le pont gaillard) est calfaté, comme à l’époque, à l’étoupe
de chanvre, rebus de matière qui ne pouvait servir à la fabrication de
cordage. Au-dessus, un panel d’outils.
Fin 2009. Cachée sous un grand chapiteau blanc enserré dans une
« forme de radoub5 », grande fosse construite en pierre jadis uti-lisée
pour réparer et entretenir la coque des navire, L’Hermione
prend forme. Le chantier, gouverné par un comité technique
composé d’experts et d’ingénieurs de la marine6, affiche quatre
ans de retard. Il avance, cahin-caha, à la faveur des levées de
fonds, sans toutefois subir de temps morts.
Destination
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Le pont gaillard en 2007, à l’époque de son calfatage. Il est aujourd’hui
terminé et n’attend plus que les mâts et le gréement.
La pomme de touline est utilisée pour lester les cordages.
Dans des formes plus ovales, elle est aussi là pour protéger la coque à
quai. Elle était réalisée par les mateloteurs à la Corderie royale.
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4. Sur le pont gaillard, la partie supérieure
de la frégate, on a installé les poulies
qui maintiendront les cordages du gréement.
Tous les éléments métalliques ont été réalisés
dans l’atelier de ferronnerie.
Le pont de batterie en 2008, vide de tout
aménagement. C’est le deuxième niveau
de la frégate. Depuis, on a installé ici les
cabines (démontables en cas de branle-bas de
combat) du marquis de La Fayette, de son
adjoint, du commandant et de son adjoint ; le
corps des quatre pompes chargées d’évacuer
l’eau qui s’infiltre en cale.
Quand aux 26 canons, ils devraient
prochainement rejoindre leur sabord,
ces petites fenêtres carrées découpées
dans la coque. L’équipage vivait en dessous de
ce niveau, sur le faux-pont, qui abritait
les cabines des officiers et les hamacs
des matelots.
Les cales de l’Hermione. Outre les vivres, elles
accueilleront tous les équipements modernes
de la frégate, et notamment deux moteurs
diesel. Une indispensable entorse à la réalité
historique pour d’évidentes raisons
de sécurité.
Combien
ça coûte ?
20MILLIONS D’EUROS.
Tel est le montant
de la facture totale
de la reconstruction de L’Hermione.
« Dix fois moins qu’un bateau
de la Coupe de l’America, 50 fois
moins qu’une de nos frégates
modernes », relativise Jean-Marie
Ballu
dans son ouvrage L’Hermione,
l’aventure de sa reconstruction (éd.
du Gerfaut, juin 2007). Les
250000 visiteurs
qui se pressent chaque année à
l’entrée du chantier (le quatrième
site le plus visité de la région
Poitou-Charentes derrière le
Futuroscope, l’aquarium
de La Rochelle et le zoo
de La Palmyre) financent,
par leur billet, 40 % du chantier.
Les 60 % restants sont apportés
par les subventions (40 %)
et les mécènes (20 %). Au mois
d’octobre dernier, la société Moët-
Hennessy (groupe LVMH),
en organisant un dîner de solidarité
à l’ambassade de France
à Washington, a permis de récolter
100000 dollars. Une association
des amis américains de
L’Hermione, présidée par un ancien
ambassadeur
des États-Unis en France, prépare
le financement du voyage inaugural.
Enfin, l’association Hermione –
La Fayette compte 5000 adhérents
qui, par leur cotisation (25 euros),
contribuent aussi au financement
du projet.
La reconstruction de L’Hermione
a été placée, en fin d’année
dernière, sous le haut patronage
de la présidence de la République.
« Une caution, commente Maryse
Vital, qui nous permettra, sans
Le mateloteur tresse les noeuds
des affûts de canon. Une fois le canon
fixé sur son socle, chaque pièce pèsera
près de deux tonnes.
Les noeuds permettront l’usage
de poulies pour leur déplacement
et sont indispensables à leur arrimage.
Au temps de l’arsenal, le matelotage
était une des compétences spécifiques
de la Corderie royale.
Un des etambrais de la frégate, ouverture ronde dans laquelle viendra s’emboîter, pour celle-ci,
le mât de beaupré qui se situe à l’avant de la frégate.
Le forgeron travaille le cerclage de la partie supérieure du grand cabestan, ce grand treuil installé au
centre du bateau pour les travaux de force, comme le remontage de l’ancre, qui mobilise
80 personnes.
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