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Laetitia EM
MR2 Gouvernance Economique
L’intelligence
économique à la
française : forces,
faiblesses, perspectives
Sciences Po
Vendredi 22 août 2008
2 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
I Qu’est ce que l’intelligence économique ?
A. Définitions
1) L’aide à la décision
2) Utilisation et protection de ces informations
3) Ethique de l’intelligence économique
B. Utilités et coûts de l’intelligence économique pour l’Etat
C. Utilités et coûts de l’intelligence économique pour l’entreprise
1) Objectifs
2) Une mise en place progressive dont les coûts sont proportionnels aux
besoins en information, et donc à la taille, de l’entreprise
II Le « modèle français » en d’intelligence économique en concurrence avec d’autres modèles
A. Le modèle américain
1) Un dispositif IE au service du principe du Homeland Security
2) Le rôle actif des services de renseignement
3) La maîtrise de l’information à l’échelle globale
B. Les modèles asiatiques
1) Le Japon
2) La Chine
C. Un modèle français ?
1) Qui s’occupe d’intelligence économique en France ?
2) Une dépendance de fait vis-à-vis des firmes anglo-saxonnes
3) Une influence sur les réglementations insuffisante
III Réformes à envisager
A. Au niveau de l’Etat
1) Enseignement
2) Décentralisation
3) L’Union Européenne
B. Dans les entreprises
C. Une meilleure interaction entre le public et le privé
3 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
Dans un monde globalisé et en constante mutation, l’expression « guerre économique »
n’a jamais autant trouvé sa place. Afin de se donner les moyens de lutter au mieux, certains
pays se sont dotés de dispositifs spécifiques, au cœur desquels se trouve souvent l’intelligence
économique. Outil de gouvernance, de compétitivité, d’influence, elle permet le contrôle de
l’information, ressource clé dans l’économie aujourd’hui.
Si ces enjeux ont été compris relativement tôt par la plupart des puissances, cela n’est
pas le cas pour la France. Face à des modèles solidement établis, rodés, le dispositif mis en place
par la France est-il adapté à la compétition internationale ? C’est ce que cet article tentera de
percer. Son originalité réside dans le fait de croiser les visions du secteur public et des
entreprises, le tout dans une perspective internationale et comparative.
Après avoir explicité le rôle de l’intelligence économique pour l’Etat et les entreprises,
nous comparerons différents modèles d’intelligence économique (Etats-Unis, Japon, Chine), afin
de mettre en lumière quelles reformes devraient être mises en place.
III QQQuuu’’’eeesssttt ccceee qqquuueee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee ???
AAA... DDDéééfffiiinnniiitttiiiooonnnsss
La définition retenue par la Commission européenne dans son guide destiné aux PME1
est la suivante : « L’intelligence économique est un ensemble de concepts, méthodes et outils
qui unifient toutes les actions coordonnées de recherche, acquisition, traitement, stockage et
diffusion d’information pertinente pour des entreprises considérées individuellement ou en
réseaux, dans le cadre d’une stratégie partagée. » Elle est « le processus de transformer des
informations en connaissance stratégique. »
La définition la plus complète reste celle du rapport Martre2
: « L’intelligence
économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de
traitement et de distribution, en vue de son exploitation de l’information utile aux acteurs
économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de
protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures
1
Intelligence économique, un guide pour débutants et praticiens, Commission européenne, programme
CETISME
2
Intelligence économique et stratégie des entreprises, par le Commissariat du Plan, La Documentation
Française, 1994
4 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
conditions de délais et de coûts. L’information utile est celle dont ont besoin les différents
niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité pour élaborer et mettre en œuvre de
façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par
l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces
actions, au sein de l’entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une
vision partagée des objectifs de l’entreprise. »
Alain Juillet, Haut Responsable de l’Intelligence Economique, les résume de la manière
suivante3
: « L’intelligence économique est un mode de gouvernance dont l’objet est la maîtrise
de l’information stratégique et qui a pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’économie et
des entreprises. »
Ces définitions mettent en lumière les principales caractéristiques de l’intelligence
économique : l’analyse de l’information afin qu’elle éclaire le processus de décision ; la
protection de ces informations utiles ; l’aspect légal et éthique de la profession.
111))) LLL’’’aaaiiidddeee ààà lllaaa dddéééccciiisssiiiooonnn
L’information est d’un accès bien plus aisé qu’auparavant, si bien qu’entreprises et
administrations se retrouvent souvent face à une masse importante de données, qu’il convient
de classifier et d’analyser afin d’éclairer le processus de prise de décision. Le but est que les
informations significatives, utiles parviennent aux personnes concernées le moment opportun.
On distingue habituellement quatre types d’information ouverte : la mémoire (environ 90% de
l’information) ; les informations provenant des médias et des firmes ; les réunions ; les foires et
expositions. Ces informations, une fois traitées et analysées, doivent être protégées, d’attaques
potentielles provenant de concurrents ou de hackers. La révélation de ces informations pourrait
entraîner la dégradation de la compétitivité de l’entreprise (perte d’un avantage compétitif), de
son image. Près des ¾ des dirigeants considèrent que la principale finalité de l’intelligence
économique est l’aide à la prise de décision. Ce schéma provient du guide CETISME cité supra. Il
explicite le processus par lequel les donnés deviennent intelligence, guidant la prise de décision.
3
Alain Juillet cité en 2005 dans L’intelligence économique appliquée à la direction des systèmes
d’information, rapport du CIGREF
5 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
222))) UUUtttiiillliiisssaaatttiiiooonnn eeettt ppprrrooottteeeccctttiiiooonnn dddeee ccceeesss iiinnnfffooorrrmmmaaatttiiiooonnnsss
S’en tenir à l’aide à la décision serait mettre de côté l’autre rôle de l’intelligence
économique : l’analyse de l’information pertinente a également pour but d’élaborer des
stratégies d’attaque ou de défense. C’est grâce à cette seconde fonction qu’une entreprise peut
réellement tenter d’influencer son environnement (manipulation de l’information, rumeurs sur
des concurrents, rapprochement des sphères publiques décisionnelles, etc.).
La contre-intelligence économique s’impose afin de protéger ces informations, véritable
capital immatériel de l’entreprise. D’après Besson et Possin (Du renseignement à l’intelligence
économique, Dunod) : « Avant de bâtir une défense, l’entreprise doit utiliser toutes les
6 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
possibilités offertes par le droit, pour mettre a l’abri son patrimoine intellectuel et industriel (…).
Une bonne maitrise des possibilités offertes par la loi est un préalable indispensable à toute
politique de défense. Contrairement à leurs concurrentes japonaises ou anglo-saxonnes, les
entreprises françaises hésitent à recourir au brevet. Créatrices et innovantes, les entreprises
françaises se protègent moins bien que leurs concurrentes. Les possibilités offertes par l’Institut
national de la propriété intellectuelle ne sont pas utilisées à plein. » Plus de 50% des fuites
constatées ont une origine humaine, certains employés, anciens ou actuels, ayant pêché par
négligence. Les actionnaires peuvent également être une source de fuite de l’information.
L’entreprise doit donc être particulièrement vigilante et se doter d’un système de protection des
informations efficace.
333))) EEEttthhhiiiqqquuueee dddeee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee
L’intelligence économique se distingue du knowledge management (basé uniquement
sur l’information interne à l’entreprise) et du business intelligence (logiciels gérant des données
quantitatives). Contrairement à une opinion largement répandue, il convient également de la
différentier de l’espionnage industriel. L’intelligence économique se limite aux sources ouvertes
et reste dans un cadre strictement légal. La SCIP (Society of Competitive Intelligence
Professionnals, Etats-Unis) a d’ailleurs fourni un cadre éthique à la profession :
1. S’efforcer en permanence de gagner le respect et la reconnaissance de la profession.
2. Respecter toutes les législations en vigueur, qu’elles soient nationales ou internationales.
3. Indiquer avec précision toutes les informations pertinentes, y compris son identité à
l’entreprise à laquelle on appartient, avant toute interview.
4. Respecter scrupuleusement toute demande de confidentialité de l’information.
5. Eviter tout conflit d’intérêt dans l’exécution de ses obligations.
6. Fournir dans le cadre de l’exécution de ses obligations des conseils et conclusions réalistes
et honnêtes.
7. Appliquer le présent code d’éthique au sein de son entreprise, avec les sociétés extérieures
et dans l’ensemble de la profession.
8. Appliquer loyalement les politiques, les objectifs et directives de son entreprise.
7 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
Il convient également de souligner la naissance de la Fépie (Fédération des Professionnels de
l’Intelligence Economique), dirigée par l’Amiral Pierre Lacoste. D’après son site internet4
, elle
vise à « améliorer la transparence des activités de la profession afin de sensibiliser l’opinion, les
administrations et les entreprises, en leur faisant prendre conscience de la valeur ajoutée
apportée par leurs métiers » et à « adhérer à une charte d’éthique garante de la moralité et de
la respectabilité du métier. »
A présent que nous avons une idée claire de ce qu’est l’intelligence économique, nous allons
voir quelles peuvent en être les utilités, et les coûts, pour l’Etat et pour les entreprises.
BBB... UUUtttiiillliiitttééésss eeettt cccoooûûûtttsss dddeee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee pppooouuurrr lll’’’EEEtttaaattt
D’après le rapport Carayon (2003), « l’intelligence économique devrait être une vraie et
grande politique publique de l’Etat, à l’instar de ce que sont les politiques de santé,
d’environnement ou de fiscalité. » L’intelligence économique est un instrument de politique de
puissance qui, bien maîtrisé, pourrait nous permettre d’asseoir voire d’élargir notre sphère
d’influence. Nous pourrions ainsi peser sur les décisions et réglementations émanant des plus
hautes instances internationales. L’intelligence economique permet également de protéger
notre patrimoine scientifique et industriel, garantissant ainsi une relative indépendance
technologique. Les marchés ne régulant pas de manière optimale l’économie, il est essentiel que
« au niveau d’une nation, l’intelligence économique identifie et active systématiquement les
potentiels de complémentarité des acteurs en vue de l’accroissement de la prospérité nationale
et de la projection de leur influence sur les marchés mondiaux » (Eric Denécé). L’efficacité et la
compétitivité de l’économie française sont en jeu.
Contrairement à d’autres politiques, l’intelligence économique ne nécessite pas
forcement des investissements importants. En effet, elle repose essentiellement sur l’activation
de réseaux (internes et/ou externes), le soutien des pouvoirs publics par des réformes et un
soutien affiché, et un changement d’état d’esprit, qui voudrait qu’on valorise davantage celui
qui partage une information que celui qui n’en fait pas part. Notons cependant le manque de
4
http://www.fepie.com/
8 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
volonté politique qui a prévalu jusque-là (citons par exemple le non renouvellement des
membres du Comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE), placé sous la
responsabilité du Premier Ministre, alors Lionel Jospin, dont le mandat arrivait à échéance en
avril 1998). Il est essentiel que l’Etat ait une politique claire et motivée en matière d’intelligence
économique.
CCC... UUUtttiiillliiitttééésss eeettt cccoooûûûtttsss dddeee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee pppooouuurrr lll’’’eeennntttrrreeeppprrriiissseee
111))) OOObbbjjjeeeccctttiiifffsss
L’intelligence économique est un instrument d’une politique de gouvernance de
l’entreprise visant à en améliorer la compétitivité en augmentant l’efficacité du processus
décisionnel. De même qu’à l’échelle de la nation, le succès de la mise en place de l’intelligence
économique dans une entreprise dépend de la motivation de son dirigeant. La politique qu’il
doit mettre en place doit impliquer chaque employé, les insérer dans des réseaux et diffuser une
culture de partage de l’information au sein de l’entreprise.
Il convient d’expliquer aux employés la stratégie de l’entreprise (dans ses grandes
lignes) afin de susciter leur adhésion et leur collaboration, tout en veillant à la protection de ces
informations vis-à-vis de l’extérieur : « La diffusion doit être adaptée au rôle de chacun dans le
processus. Il est donc important d’encourager le personnel à partager les informations entre les
services, au sein de la hiérarchie, de façon verticale » (guide CETISME). Afin d’encourager cette
communication, des solutions simples peuvent être mises en place : ainsi, organiser des groupes
de travail entre services est un bon moyen pour que des employés peu habitués à se côtoyer et
donc à échanger des informations élaborent des relations, facilitant la communication
horizontale.
222))) UUUnnneee mmmiiissseee eeennn ppplllaaaccceee ppprrrooogggrrreeessssssiiivvveee dddooonnnttt llleeesss cccoooûûûtttsss sssooonnnttt ppprrrooopppooorrrtttiiiooonnnnnneeelllsss aaauuuxxx
bbbeeesssoooiiinnnsss eeennn iiinnnfffooorrrmmmaaatttiiiooonnn,,, eeettt dddooonnnccc ààà lllaaa tttaaaiiilllllleee,,, dddeee lll’’’eeennntttrrreeeppprrriiissseee
L’intelligence économique n’est encore que peu répandue dans les entreprises
françaises. Ses métiers sont peu connus et bénéficient rarement des ressources suffisantes pour
9 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
développer à plein leur activité, alors même que le rapport Carayon préconise que
« l’intelligence économique doit constituer une fonction permanente au sein des entreprises. »
L’intelligence économique restant peu connue des entreprises (seules 29% d’entre elles
ont un budget propre à l’intelligence économique), ses coûts le sont également. Il existe
plusieurs niveaux de mise en œuvre d’un système d’intelligence économique, de nombreuses
mesures n’engagent pas ou peu de capital.
La Commission européenne est à l’origine du projet CETISME (Co-operation to promote
economic and technological intelligence in small and medium-sized enterprises), qui se propose
d’apporter des solutions à l’implantation d’une cellule IE dans les PME. Les régions de Madrid
(Espagne), Lorraine (France), West Midlands (Royaume-Uni) et Toscane (Italie) y ont participé, et
rendu compte de leurs études dans un guide. Celui-ci recense plusieurs solutions peu coûteuses
en personnel et en capital :
Avant même la mise en place d’une cellule d’intelligence économique :
 essuyer le tableau ou retirer les feuilles du paperboard avant de quitter la salle de réunion ;
 passer au crible les présentations et interventions pour s’assurer qu’elles ne contiennent
pas d’information pouvant intéresser un concurrent ;
 sécuriser les documents (fichiers clients et tarifs surtout), les placer en lieu sûr, non
accessible au public ;
 vérifier les communiqués de presse ;
 accompagner en permanence les visiteurs de l’entreprise, qu’ils ne puissent accéder à des
lieux stratégiques ;
 que les employés surveillent leur propos lorsqu’ils sont dans des lieux publics (lounge des
aéroports, par exemple) ;
 mettre en place des panneaux d’affichage, des réunions interservices à intervalles réguliers,
un intranet, abonnement à des revues spécialisées, etc.
 sécuriser l’information électronique.
Lorsque l’entreprise décide de mettre en place une cellule d’intelligence économique :
 Le soutien de la direction : sans une impulsion donnée par les dirigeants, les quelques
bonnes initiatives restent isolées et ont un effet limité ;
10 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
 La formation du personnel : tout le monde doit être encouragé à partager une information
afin qu’elle atteigne les personnes concernées, les aidant ainsi dans le processus
décisionnel. Traditionnellement, les employés français n’ont pas l’habitude de partager les
informations ; c’est pourquoi ils doivent être encouragés. Le recours à un intranet sur lequel
il serait possible de poster anonymement des informations peut s’avérer utile ;
 Une approche d’équipe : tous les secteurs de l’entreprise sont concernes par la mise en
place de l’intelligence économique (ventes, ressources humaines, communication, etc.). Il
faut expliquer aux employés quel rôle ils peuvent jouer dans ce processus, et combien leur
contribution est nécessaire à la réalisation de la stratégie de l’entreprise ;
 La communication : il s’agit d’optimiser le flux d’information via le bon usage de l’e-mail,
intranet, tableaux d’affichage, réunions régulières, bulletins d’information, etc. ;
 Le profil d’un bon animateur : afin d’encadrer le système d’intelligence économique dans
l’entreprise, il convient de designer un bon communicant, et de lui accorder les moyens et le
temps nécessaires à la réalisation de sa mission.
Une fois tout cela mis en place, l’entreprise a plusieurs options pour pérenniser la fonction
intelligence économique. Elle peut choisir d’y consacrer une équipe permanente, chargée de
collecter l’information en permanence afin de constituer des dossiers de suivi et de répondre à
des questions plus ponctuelles ou bien, notamment dans le cas des PME, répartir la fonction
intelligence économique entre plusieurs employés, qui ne renoncent pas pour autant à leur
activité principale. Quelque soit l’option retenue, la « cellule IE » peut être soit une interface
entre la direction générale et les autres secteurs, soit rattachée a un secteur (par exemple, au
marketing), soit avoir des représentants dans chaque secteur (ex. le département finance a son
représentant IE, de même que le département ventes, etc.). Il revient à chaque entreprise de
choisir la modalité qui s’adapte le mieux à sa culture et à son organisation.
L’entreprise doit ensuite déterminer ses besoins en matière d’information. Elle se posera
une ou plusieurs des questions suivantes, suivant sa taille, son marché, son secteur, sa stratégie
de moyen à long terme :
 Quels développements en matière de recherche sont en train de se produire dans mon
secteur ?
 Qui sont mes concurrents ?
11 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
 Où puis-je trouver des partenaires pour développer de nouveaux produits ?
 Comment puis-je élargir ma base de clientèle ?
 Comment évolue le contexte de mon marché ?
 Mon nouveau marché à l’exportation est-il viable ?
 etc.
Les plus petites entreprises n’ont pas forcement les ressources nécessaires pour mobiliser
une équipe sur ces questions, mais doivent pouvoir mettre en place un système à leur niveau.
Une utilisation intelligente de l’internet permet de monitorer son environnement et l’activité
des concurrents : abonnement à des newsletters, veille via Google Alertes, création de groupes
d’échange (Google Groupes, Yahoo !, MSN), l’utilisation de portefeuilles d’actions tels que les
proposent Yahoo ! Finance peut permettre la surveillance d’un concurrent coté en Bourse
(changement de directeur de département, retrait d’un produit du marché, par exemple).
Certaines mesures simples peuvent être prises, comme nous venons de le voir. Il n’est pas
nécessaire de consacrer des moyens financiers importants et de mobiliser une équipe pour faire
de l’intelligence économique. Les mesures évoquées ci-dessus accompagnées de la nomination
d’un responsable IE5
suffisent dans les petites structures. L’essentiel est que l’information soit
accessible au moment opportun par les personnes concernées. Chaque entreprise peut faire de
l’intelligence économique à son niveau.
L’intelligence économique est utile à l’Etat en ce qu’elle est un instrument de gouvernance
au service de la puissance et de l’influence. Elle est également essentielle à l’entreprise car elle
est un outil précieux dans l’aide à la prise de décision, et permet l’élaboration de stratégies,
offensives ou défensives, pour protéger son capital matériel et immatériel, se maintenir ou
conquérir de nouvelles parts de marchés.
5
Ce responsable est recruté en interne dans 90,5% des cas (F. Bournois, 2001). Il est le plus souvent
ingénieur de formation (45%) ou diplômé de gestion (22%), et rattaché au directeur général ou au
directeur de la stratégie.
12 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
IIIIII LLLeee ««« mmmooodddèèèllleee fffrrraaannnçççaaaiiisss »»» eeennn ddd’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee eeennn cccooonnncccuuurrrrrreeennnccceee aaavvveeeccc ddd’’’aaauuutttrrreeesss mmmooodddèèèllleeesss
6
Enjeux pour les Etats-Unis
Enjeux pour les nouvelles
puissances (Chine, Inde,
Brésil, etc.)
Enjeux pour les puissances
historiques (Europe, Russie,
Japon)
Interrogations
Dilemme entre
l’accroissement de
puissance et la
préservation du leadership
Briser la « Pax Americana »
Dilemme entre coopération et
compétition avec les nouvelles
puissances
Stratégie affichée
Promotion du
multilatéralisme
Attractivité et croissance
des marchés
Développer l’innovation et la
compétitivité
Stratégie réelle
Affirmation de
l’unilatéralisme politique
Affirmation en tant que
puissances globales
Développer des relations
économiques avec les nouvelles
puissances
Perspectives
stratégiques
Affaiblir les autres
puissances
Concurrencer les puissances
historiques
Affronter les nouvelles puissances
Après avoir expliqué ce qu’était l’intelligence économique et en avoir montré les
bénéfices, nous allons étudier différents modèles d’intelligence économique : le modèle
américain et deux modèles asiatiques, le japonais et le chinois, afin d’en dégager les grandes
tendances et révéler les lacunes et les forces du dispositif mis en place en France.
AAA... LLLeee mmmooodddèèèllleee aaammmééérrriiicccaaaiiinnn
111))) UUUnnn dddiiissspppooosssiiitttiiifff IIIEEE aaauuu ssseeerrrvvviiiccceee ddduuu ppprrriiinnnccciiipppeee ddduuu HHHooommmeeelllaaannnddd SSSeeecccuuurrriiitttyyy
Les Etats-Unis se sont dotés d’un dispositif efficace et avancé en matière de sécurité
économique. En 1993, le Président Clinton créé le National Economic Council (NEC). Ce centre,
placé sous les ordres de la Maison Blanche, jouit d’une composition interministérielle et
interagence. Son rôle premier est d’informer le président sur les questions économiques. Afin
de fournir les informations utiles aux entreprises, et de les orienter dans l’élaboration d’une
stratégie offensive, une nouvelle agence a vu le jour la même année : le National Counter
6
Harbulot C., Lucas D. (2006), « La main invisible des puissances », Revue Défense nationale
13 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
Intelligence Executive (NCIX). Les entreprises américaines peuvent également compter sur l’aide
de l’Adovcacy Center, rattache au département du Commerce, qui les soutient dans la conquête
de marchés extérieurs. Enfin, le Committee on Foreign Investments in the United States a la
charge d’évaluer si un investissement étranger n’est pas contraire à la sécurité nationale.
Après les attentats du 11 septembre 2001, le principe de Homeland Security (défense
des intérêts nationaux) a permis de réorganiser le dispositif d’intelligence économique et de
collecte de l’information à l’échelle nationale. Ainsi, « la recherche des réseaux de financement
du terrorisme a permis d’inclure le renseignement économique dans les priorités » (Rapport
Carayon). Les agences citées précédemment sont à présent sous la juridiction du Department of
Homeland Security. De plus, « chaque grande entreprise américaine, chaque institution dispose
désormais d’un correspondant ‘Homeland Security’, constituant ainsi un formidable réseau
d’intelligence économique » (ibid). Le droit est également au service de la protection des
entreprises américaines (Super 3017
, par exemple), justifiée par une interprétation lato sensu de
la Homeland Security Policy. De même, le Economic Espionage Act, ou Cohen Act, protège les
entreprises en matière de secret d’affaire ; les contrevenants s’exposent à une amende de 5M$
et/ou à 10 ans de prison. L’amendement Exon-Florio permet au Président d’interdire une fusion
ou une acquisition s’il considère qu’elle menace la sécurité de l’Etat. Ainsi, en août 2005, le
Congrès a empêché l’acquisition de l’américain Unocal par la société pétrolière chinoise Cnooc.
7
1974 : La section 301 du Code Civil des Etats-Unis stipule que, si le Président ou son représentant pour le
commerce (USTR, United States Trade Representative) considère que (A) les droits du pays sont affectés
par un accord commercial, ou (B) que l’acte, la pratique ou la politique d’un Etat étranger (i) viole et porte
atteinte aux droits et bénéfices américains (ii) ou est injustifiable et réduit le commerce américain, il peut
prendre les mesures mentionnées dans la sous-section (C), à savoir : (A) suspension, retrait ou interdiction
de toute réduction commerciale, (B) imposition de droits de douanes ou d’autres restrictions à
l’importation, (C) retrait, limitation ou suspension des bénéfices accordés a cet Etat, (D) négociation d’un
accord portant obligation pour l’Etat en question d’éliminer l’acte, la pratique ou la politique mise en
cause.
1988 : La « super 301 » prévoit que l’USTR se doit de réviser périodiquement les priorités américaines en
matière commerciale et dresser une liste des pratiques commerciales de pays étrangers à éliminer en
priorité, de façon a ce qu’elles affectent le moins possible les exportations nationales.
1988 : La « spéciale 301 » est relative aux droits de propriété intellectuelle. Avant le 30 avril de chaque
année, l’USTR doit identifier les pays étrangers qui n’assurent pas une protection adéquate et effective
des droits de propriété intellectuelle ou un accès juste et équitable aux marches locaux pour les
Américains.
14 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
222))) LLLeee rrrôôôllleee aaaccctttiiifff dddeeesss ssseeerrrvvviiiccceeesss dddeee rrreeennnssseeeiiigggnnneeemmmeeennnttt
La CIA comporte un service économie depuis 1947 : la NSA a mis au point le système de
surveillance mondiale Echelon, qui aurait dévié de ses objectifs strictement militaires depuis le
Homeland Security Act (2002) pour s’orienter vers l’économie. Ces services sont
particulièrement investis dans les secteurs suivants : cabinets de conseil, d’investissement,
d’audit, d’assurance, mais aussi fonds de pension et nouvelles formes d’influence, telles que les
ONG, le lobbying, surtout à destination des administrations internationales. Cela permet aux
Etats-Unis d’infléchir en leur faveur les règles et normes internationales au moment même de
leur création.
In-Q-Tel est le fonds d’investissement de la CIA, créé en 1999. Une idée simple en est à
l’origine : les besoins de la CIA en matière de technologie de l’information sont communs de
70% à 90% avec ceux des grands groupes industriels américains. In-Q-Tel joue un rôle de veille
technologique, et investit essentiellement dans les start-ups travaillant sur l’un des secteurs
suivants : knowledge management et représentation graphique ; recherche d’information ;
sécurité et protection ; diffusion des données ; technologies aérospatiales. Elle se garantit ainsi
le contrôle de leurs innovations, pouvant équiper les agences fédérales et les plus grands
groupes américains. Ce fonds a ainsi investi dans une quarantaine de sociétés, sans dépasser 3
millions de dollars pour chaque firme.
Les besoins de la CIA sont identifiés chaque année par une équipe d’In-Q-Tel, qui sait
dès lors quelles entreprises rechercher en priorité. Les dossiers pour postuler à un financement
In-Q-Tel sont très complets, des spécificités techniques des produits développés jusqu'à la
composition des équipes de recherche. Environ 3200 dossiers lui sont ainsi parvenus, ce qui
constitue une base de données de veille technologique d’une grande valeur.
333))) LLLaaa mmmaaaîîîtttrrriiissseee dddeee lll’’’iiinnnfffooorrrmmmaaatttiiiooonnn ààà lll’’’éééccchhheeelllllleee ggglllooobbbaaallleee
Dans le domaine de la collecte d’information à l’échelle internationale, les Etats-Unis
disposent de deux atouts majeurs : le contrôle de l’Internet8
, et une présence internationale
forte, notamment grâce aux American Presence Posts (APP). Ils ont été mis en place par le
8
Bernard Benhamou : « il existe une dominance invisible des Etats-Unis sur le réseau des réseaux, et cette
situation n’est pas politiquement souhaitable sur le long terme. » Les Etats-Unis sont seuls à diriger l’Icann
(Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).
15 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
National Counter Intelligence Executive (NCIX), et ont pour but de renseigner les entreprises
américaines sur la menace éventuelle d’un pays contre les intérêts américains. Munis de ces
informations, les entreprises peuvent plus facilement conquérir les marchés nationaux. On
compte cinq APP en France : Lyon, Toulouse, Rennes, Lille, Bordeaux. Chaque cellule compte
trois ou quatre personnes parmi lesquelles un diplomate.
Les Etats-Unis disposent donc d’un système sophistiqué et cohérent en matière
d’intelligence économique. L’Etat est fortement impliqué et a su aller à la rencontre des
entreprises et s’adapter à leurs besoins.
BBB... LLLeeesss mmmooodddèèèllleeesss aaasssiiiaaatttiiiqqquuueeesss
111))) LLLeee JJJaaapppooonnn
On a coutume de dire que l’intelligence économique est née au Japon. Dans les années
1950, le MITI (Ministry of International Trade and Industry) et le JETRO (Japan External Trade
Organization) ont organisé une veille a l’échelle mondiale, encourageant de jeunes Japonais à
effectuer une partie de leurs études à l’étranger, puis à mettre les savoir-faire et compétences
acquis en Occident au service de l’économie nationale. Aujourd’hui encore, la veille est une
étape nécessaire préalable à toute conception de produit. C’est presque là un devoir civique de
chaque Japonais, puisque la Constitution de 1868 stipule clairement que les citoyens doivent
« chercher la connaissance dans le monde entier afin de renforcer les fondements du pouvoir
impérial. » Les entreprises n’hésitent pas à ouvrir de nombreux bureaux à l’étranger, à envoyer
des employés dans divers pays pour détecter ce qui pourrait intéresser les firmes japonaises.
Contrairement à d’autres pays, la France en tête, il n’y a jamais eu de distinction entre civil et
militaire dans la collecte d’informations. La veille est l’affaire de tous, pas seulement de
quelques agences de renseignement nationales ou privées.
16 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
222))) LLLaaa CCChhhiiinnneee
La Chine offre un cas bien particulier d’intelligence économique, notamment en raison
de sa tradition politique et de la toute récente ouverture à l’économie de type occidental qui en
résulte. En effet, le capitalisme y est couplé à une forte responsabilité du pouvoir dans la
compétition économique. Avant 1990, la plupart des entreprises appartenaient au pouvoir
central ; il n’y avait donc pas de concurrence entre elles, et donc aucune incitation à mettre en
place un dispositif IE. La Chine ne s’est que peu ouverte aux investissements étrangers afin de
garder un certain contrôle sur ses entreprises et technologies. Début 2006, il était toujours
impossible à un étranger de devenir actionnaire majoritaire d’une entreprise chinoise, la
participation ne pouvant dépasser 20-25% du capital.
Ensuite, la valeur marchande d’une information, de l’immatériel en général, est une
notion encore étrangère à la plupart des Chinois. L’abondance du secteur de la contrefaçon n’en
est que l’aspect le plus visible. Le concept de propriété intellectuelle leur est étranger, et la
législation chinoise en la matière est bien faible : les procédures durent en général trois ans,
période pendant laquelle le produit n’est pas protégé (ce qui est très long dans le secteur des
nouvelles technologies, le produit étant obsolète avant que le procès ait enfin lieu) ; un brevet
peut être remis en cause pendant cinq ans. Certains justifient même ce recours à des pratiques
délinquantes ; comme l’article « It is Right to Pirate Software » (novembre 1999, US-China
Security Review), de Wang Xiaodung, professeur à l’Université de Columbia. Ainsi, « les
dirigeants des entreprises chinoises ont compris l’importance de l’information et du
renseignement sur les concurrents. Ils n’ont pas, pour autant, intégré les règles du marché qui
supposent la propriété ou, à tout le moins, la confidentialité sur des informations qui peuvent
être vitales. » (Damien Bruté de Rémur et Hong Jian Wen). Leur dispositif d’intelligence
économique est encore archaïque. L’une des méthodes de renseignement sur un concurrent la
plus couramment pratiquée est d’y débaucher un ou des employés. Les entreprises ne disposent
souvent pas de responsable de l’information, celle-ci n’est donc pas analysée ou protégée
convenablement. Depuis l’avènement de l’Internet, et du moteur de recherche chinois Baidu qui
permit une alternative à Google, les entreprises recherchent plus volontiers des informations
sur leur environnement. Mais l’information trouvée demeure souvent sous-exploitée, faute de
logiciels et d’employés disposant des compétences adéquates.
17 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
Cependant, la rapide adaptabilité et l’originalité de la pensée chinoise ne doivent pas
être négligées. Le dispositif chinois a été profondément réorganisé au milieu des années 1990. Il
s’est notamment inspiré du MITI japonais, donnant naissance au Mofcom, le ministère du
commerce extérieur. Sa principale fonction est d’accompagner les mutations économiques du
pays afin qu’il se positionne favorablement dans la hiérarchie mondiale. Le Mofcom travaille en
étroite collaboration avec le Guoanbu, le ministère de la sécurité de l’Etat, censé abriter les
services secrets chinois. Geng Huichang, ministre depuis septembre 2007, est un expert reconnu
en matière d’intelligence économique et commerciale, notamment aux Etats-Unis et au Japon.
De plus, la Chine dispose aujourd’hui d’une génération de chercheurs, formés aux Etats-Unis
mais rentrés au pays, développant un modèle chinois d’intelligence économique s’inspirant de
ces deux cultures, pouvant être formulé comme « Prendre la culture chinoise pour base et la
culture occidentale pour instrument » (Zhang Zhidong, 1837-1909).
En moins de quinze ans, la Chine a considérablement modernisé son dispositif de
sécurité économique. Selon Fusion Consulting, cabinet de consultants spécialistes des questions
de renseignement et de stratégie en Asie, le marché du renseignement serait d’environ
800 milliards de dollars, et connaîtrait une croissance de 20% par an.
CCC... UUUnnn mmmooodddèèèllleee fffrrraaannnçççaaaiiisss ???
« En raison de la mondialisation des marchés, du développement des technologies, de
l’imbrication des acteurs, l’Etat n’a plus le monopole ni même toujours l’expertise suffisante à la
promotion et à la défense des intérêts français ».
Rapport Carayon, 2003
La France n’a ni tradition ni dispositif cohérent à l’échelle nationale. Dans les
entreprises, l’intelligence économique est surtout l’apanage des grandes firmes des secteurs
stratégiques (santé, énergie, armement, par exemple). Celles-ci utilisent souvent des anciens
membres des services secrets, de l’armée ou de la police, qui ont certes un savoir-faire, et un
réseau, de qualité, mais qui n’ont pas forcément la meilleure formation pour travailler si proche
de la direction ou de la stratégie d’une société. Pour le reste, la France est assez méfiante à
18 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
l’égard de l’intelligence économique, encore souvent associée à l’espionnage et diverses
barbouzeries. Nos élites ne sont que peu ou mal formées aux mutations de l’économie
internationale, et de ce fait ont du mal à en saisir les enjeux et à prendre les mesures adéquates.
111))) QQQuuuiii sss’’’oooccccccuuupppeee ddd’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee eeennn FFFrrraaannnccceee ???
Le dispositif français de renseignement économique est embryonnaire, éclaté et
insuffisant. La Direction de la Surveillance du Territoire (DST) dépend du Ministère de l’Intérieur,
et a une mission de sécurité économique. Son action est surtout préventive (sensibilisation,
contacts, enquêtes). Elle développe et entretient des partenariats avec le privé, initiative qui
doit être saluée et encouragée. La Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG)
peut également jouer un rôle grâce à sa présence régionale, qui pourrait lui permettre d’être un
interlocuteur privilégié des PME, et ses effectifs. Elle n’est pas ou peu utilisée à des fins
d’intelligence économique. Ces deux entités ont fusionné en 2007, formant à présent la
Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI). Elle comporte 4000 fonctionnaires, dont
3000 policiers, et a la charge de tout ce qui relève de l’intérêt de la nation, intelligence
économique comprise.
La Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) dispose d’excellents moyens
humains, techniques et financiers, remplit des missions de contre-espionnage et de contre-
influence, mais pas spécifiquement d’intelligence économique, alors que ses compétences
pourraient y être utiles. La Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD)
s’intéresse à l’analyse de risques dans les partenariats industriels et commerciaux pour les
entreprises intéressant la défense nationale et aux attaques informatiques. La Délégation
Générale pour l’Armement (DGA) joue principalement un rôle dans la création et l’activation de
réseaux d’information, notamment auprès du secteur privé (« partenariat stratégique ») ; elle
s’occupe également d’actualiser la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD), les
données concernant les principaux acteurs stratégiques du secteur des technologies sont donc à
jour ; enfin, elle assure un rôle de tutelle pour la sécurité des entreprises, tâche essentielle de
l’intelligence économique. La Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN), comme
la nouvelle DCRI grâce à l’héritage de la DCRG, présente sur tout le territoire national, ce qui
représente un atout dans la collecte d’information, notamment concernant les PME. Le SGDN
(Secrétariat General de la Défense Nationale) est chargé de la sécurité des systèmes
19 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
d’information. Cependant, de nombreux logiciels utilisés, même pour des données sensibles,
sont d’origine étrangère, ce qui pose un problème de dépendance. Enfin, le Ministère de
l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi est responsable de la défense économique (cf. circulaire
du 14 février 2002). En octobre 2004, en réponse au rapport Carayon, y a été créée la
Délégation générale de l’intelligence économique. Le rôle de celle-ci est d’informer le
gouvernement et les entreprises en matière de prospective économique, financière, industrielle
ou encore commerciale. D’après le site du ministère, elle doit :
1. Aider le gouvernement à affiner ses choix stratégiques en matière économique,
commerciale et industrielle.
2. Mettre sur pied une veille concurrentielle sur les nations fondée sur une approche
pluridisciplinaire, intégrant à des analyses économiques et financières des remises en
perspective de nature historique, sociologique et culturelle. Cela dans le but de mieux
cerner la stratégie économico-politique des principales nations du globe et les moyens de
toute nature qu’elles mettent en œuvre à cette fin. Cette veille sera également sectorielle,
par marchés et par champs d’activités, afin de prévenir des situations préjudiciables à des
pans entiers de notre économie.
3. Développer les outils permettant aux entreprises de disposer à leur niveau des produits de
cette veille concurrentielle.
4. Anticiper, autant que faire se peut, les événements, les évolutions ou les décisions prises par
des organisations internationales, des gouvernements ou des entreprises étrangères qui
auraient pour effet de nuire aux intérêts économiques et industriels de la France.
5. Proposer aux responsables politiques un éventail de contre-mesures envisageables.
L’information a bien du mal à circuler. Sil est vrai que chaque ministère comprend des
centres de recherche dont l’activité principale est l’anticipation des évolutions scientifiques,
technologiques, économiques ou sociétales, ces centres ne communiquent pas au sein même
des ministères auxquels ils sont rattachés, encore moins entre ministères, ou vers les services du
Premier Ministre ou l’Elysée. L’information recueillie, qui ne manque sans doute pas d’intérêt,
n’a que peu de visibilité. Il n’est pas rare que plusieurs centres travaillent sur les mêmes
questions au même moment en s’ignorant. Il faudrait encourager ces centres à échanger entre
eux pour que cesse ce gaspillage, créer un site internet unique par ministère pour publier les
travaux en cours et récents, encourager des équipes interministérielles, obliger à des mises à
20 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
jours régulières et a des réunions mensuelles pour vérifier l’avancée des travaux et proposer de
nouveaux axes de recherche. Sans cela, l’information est condamnée à être cloisonnée et, de
fait, inutile.
Ainsi, l’intelligence économique est éclatée entre trois ministères (Intérieur, Défense et
Economie), alors qu’aux Etats-Unis la plupart des agences dépendent du Department of
Homeland Security. Il va sans dire que coordonner ces différents services, dispersés et
culturellement différents, pose problème. De plus, le secteur public s’intéresse surtout à la
variable « sécurité » de l’intelligence économique ; les questions de compétitivité et d’influence
restent le plus souvent en suspens. Il serait souhaitable qu’une vraie réflexion ait lieu sur la
réorganisation des compétences. Peut-être le livre blanc sur la défense paru en en juin 2007
apportera-t-il l’impulsion nécessaire : « L’organisation en matière d’intelligence économique
continuera à reposer sur un haut responsable chargé de l’intelligence économique (…) disposant
de correspondants dans les principaux ministères, en particulier les ministères chargés de
l’Economie, de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et européennes, et de
l’Ecologie, de l’Energie, du Développement du territoire et de l’aménagement du territoire. Le
ministère de l’Intérieur assurera, pour sa part, le dispositif territorial placé sous la responsabilité
des préfets. » Si le poste d’Alain Juillet est confirmé, il n’est dit nulle part que ses effectifs vont
être augmentés pour doter la France d’une cellule IE crédible, cohérente et efficace.
En 2006, le Medef a publié un livre blanc sur l’intelligence économique. Ce guide, plus
accessible et pragmatique que celui de la Commission européenne, détaille des propositions
très similaires, que nous ne détaillerons pas ici. En revanche, il recense ce qui constitue la
communauté IE au sens large, offrant une photographie utile de l’intelligence économique en
France, distinguant institutions publiques et entreprises privées. Il existe ainsi une Académie de
l’Intelligence Economique (www.academie-ie.org), organisation assez confidentielle mais qui
permet une certaine centralisation et diffusion de l’information utile (liens internet, rendez-vous
IE en France, notamment). Outre les institutions publiques que nous avons vues plus haut, il
recense un certain nombre de sociétés spécialisées offrant des services relatifs à l’IE. Citons
LexisNexis Analytics (http://www.lexisnexisanalytics.com), spécialiste de Risk Intelligence ; le
groupe GEOS (www.geos.tm.fr), qui dispose d’un important département Intelligence
Economique ; l’Institut Français d’Intelligence Economique (IFIE, www.ifie.net), qui s’occupe
21 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
essentiellement de formation continue ; Iscope (www.iscope.fr), propose un accès à la
plateforme de veille KeyWatch ; ITB (www.itb.fr), pour la formation et le conseil en
compétitivité ; la Cour Saint Nicolas (www.lcsn.fr) propose des formations sur les nouveaux
comportements en entreprise ; LEXSI (www.lexsi.com), acronyme de Laboratoire d’Expertise en
Sécurité Informatique, offre des solutions en matière de protection du patrimoine immatériel ;
Mediaveille (www.mediaveille.com), spécialiste de veille et d’analyse de l’information ; ODI
(www.optimarges.com), qui conseille pour améliorer les performances de l’entreprise sur les
marchés étrangers.
Si la communauté IE en France est éclatée, cette liste montre néanmoins que de
nombreuses initiatives se sont fait jour avec succès dans le secteur privé. Mais cela reste
insuffisant par rapport aux grands cabinets d’Outre-Atlantique, qui ont su séduire et fidéliser les
plus grandes entreprises françaises il y a plusieurs années, posant un sérieux problème de
dépendance.
222))) UUUnnneee dddééépppeeennndddaaannnccceee dddeee fffaaaiiittt vvviiisss---ààà---vvviiisss dddeee fffiiirrrmmmeeesss aaannnggglllooo---sssaaaxxxooonnnnnneeesss
En effet : « les entreprises et les administrations publiques démembrent de plus en plus
de fonctions parfois vitales et stratégiques, autorisant ainsi des entités extérieures à accéder à
leurs secrets : audit, conseil, sécurité/gardiennage, maintenance informatique, assurance,
cabinets de traduction, etc. Cette perméabilité désormais structurelle aux agressions extérieures
constitue une vulnérabilité majeure. Le problème devient réellement stratégique quand on
prend conscience du fait que ces entreprises – comme l’Etat – se trouvent confrontées à une
offre réduite : en nombre, en qualité et en nationalité. A ce titre, la monopolisation par des
sociétés, le plus souvent anglo-saxonnes ou américaines, de certains de ces services constitue
aujourd’hui une véritable dépendance de fait » (rapport Carayon). Ainsi, de grandes entreprises
européennes comme Sanofi-Aventis, L’Oréal, Peugeot, Danone, etc. utilisent les services de
l’américain PricewaterhouseCoopers. Il n’existe pour le moment aucune alternative européenne
crédible face à cet état de fait.
22 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
333))) UUUnnneee iiinnnfffllluuueeennnccceee sssuuurrr llleeesss rrrééégggllleeemmmeeennntttaaatttiiiooonnnsss iiinnnsssuuuffffffiiisssaaannnttteee
Notre dispositif juridique n’est pas aussi protecteur que celui des Etats-Unis (voir plus
haut), sous couvert de Homeland Security. Quelques initiatives sont tout de même à souligner.
L’article L151 relatif aux investissements étrangers prévoit que ceux-ci doivent faire l’objet
d’une autorisation préalable du Trésor s’ils sont « de nature à mettre en cause l’ordre public, la
sécurité publique ou encore la sante publique » ou bien si « dans des activités de recherche, de
production ou de commerce d’armes, de munitions, de poudres, de substances explosives
destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre. » Ces mesures sont très utiles afin de
recueillir des informations sur l’origine de ces investissements. Il est essentiel d’exercer un
contrôle et une surveillance des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.
Cependant, le droit français ignore le secret des affaires, ce qui ne permet pas une
protection efficace du patrimoine, immatériel ou non, des entreprises. La protection juridique
fournie par le droit français devrait être utilisée à plein pour protéger le capital des entreprises,
et devrait durcir les pénalités en matière de violation de secret des affaires, à l’image du Cohen
Act aux Etats-Unis.
A l’inverse des Etats-Unis, la France ne dispose pas d’un instrument équivalent à In-Q-
Tel. Un tel fond pourrait permettre de faire face plus rapidement et plus efficacement aux prises
de participations hostiles sur nos entreprises à intérêt stratégique. Il pourrait également
accorder des fonds aux entreprises de croissance, et pourrait se développer, à terme, a l’échelle
européenne.
La France est également très peu présente dans la formation des normes et
réglementations internationales, ce qu’on appelle aujourd’hui le « droit mou » (soft law). C’est
dans des organismes tels que les think tanks, les fondations, les centres de recherche, les
groupes de réflexion, les colloques, que sont pensés les concepts qui deviendront politique
demain (exemple du concept de Homeland Security aux Etats-Unis).
La France souffre de nombreuses lacunes en matière d’intelligence économique. Les
initiatives sont éclatées et communiquent à peine entre elles. Les rapports Martre et Carayon
offraient de nombreuses recommandations, mais n’ont été que peu écoutés, et le livre blanc sur
23 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
la défense de juin 2008 reste timide sur le sujet. De nombreuses reformes sont à envisager ;
c’est l’objet de notre dernière partie.
IIIIIIIII RRRéééfffooorrrmmmeeesss ààà eeennnvvviiisssaaagggeeerrr
AAA... AAAuuu nnniiivvveeeaaauuu dddeee lll’’’EEEtttaaattt
« Les Etats doivent s’atteler à lutter contre les déloyautés commerciales et développer une
diplomatie économique en direction des Etats qui n’ont pas la même culture de transparence, de
primauté de la règle de droit et du partage équilibre des responsabilités dans la gouvernance
mondiale. »
Bernard Carayon, député du Tarn, 2006
Comme nous l’avons vu auparavant, il est nécessaire que l’impulsion soit donnée par le
haut et s’inscrive dans une perspective interministérielle.
Chaque ministère doit coordonner les activités de recherche qui se concentrent en son
sein, notamment celles relevant de la prospective, puis en assurer le rayonnement, au travers
d’un site internet unique, d’une revue à diffuser au public concerné (administrations, membres
d’associations, entreprises, etc.), par exemple. Sur le même modèle, un point d’entrée unique
aux ressources qu’offre l’Etat en matière d’intelligence économique devrait être créé. Cela
permettrait une meilleure visibilité et une meilleure organisation de l’aide dont peuvent
bénéficier les entreprises.
Le rapport Carayon propose de créer un Conseil National pour la Compétitivité et la
Sécurité Economique, qui regrouperait des experts des secteurs économique et scientifique, et
serait dirigé par le Premier Ministre, que l’exécutif pourrait consulter à loisir sur les questions
relevant de l’intelligence économique. Des reformes urgentes sont à mettre en place.
111))) EEEnnnssseeeiiigggnnneeemmmeeennnttt
Il existe une multitude de formations diplomantes en intelligence économique, mais
aucun classement n’existe. Tantôt dans un département de sciences, tantôt d’économie ou de
gestion, la discipline manque de cohérence. Conscients de cette situation, les employeurs
24 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
potentiels se méfient de ces programmes, souvent jugés peu adaptés aux besoins des
entreprises. Une étude de l’AFDIE (Association Française pour le Développement de
l’Intelligence Economique) a révélé que ces formations accordaient une trop grande importance
à la veille au détriment de l’influence dans leur cursus, et que la majorité des stages qui étaient
proposés aux étudiants avaient une forte connotation marketing. De plus, il est à déplorer que
les grandes écoles formant à la haute fonction publique n’intègrent pas l’intelligence
économique à leur cursus. Cours optionnel à Polytechnique et à l’ENA, une initiative crédible
vient de l’ENSP (Ecole Nationale Supérieure de Police), qui y consacre un module de huit heures.
Les élèves d’HEC sont formés à la veille, mais le cours de protection de l’information reste
optionnel. Quant aux élèves de l’Ecole des Mines, peuvent recevoir un enseignement assez
complet de 25 heures sur la veille, la protection de l’information, et les différents modèles
d’intelligence économiques.
En ce qui concerne la formation continue, le ministère de l’Economie n’y consacre que
des stages de deux ou trois jours principalement axés sur la veille stratégique. La DST propose
également des stages de sensibilisation (environ 30 000 personnes par an). Les sessions de
l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) regroupent des militaires, des hauts
fonctionnaires et des cadres d’entreprise. Des séminaires existent également pour les élèves des
grandes écoles et pour les jeunes. Ce modèle de formation continue et de sensibilisation à la
discipline doit être encouragé.
Les enseignements proposés demeurent de qualité diverse et sont encore souvent jugés
trop théoriques pour le monde de l’entreprise. Des professionnels de l’IE provenant du privé
devraient faire partie des équipes enseignantes, et l’Etat labelliser les formations. Une reforme
de l’enseignement supérieur de l’intelligence économique, qui prendrait en compte les besoins
des entreprises et de la haute fonction publique, permettrait aux étudiants qui y sont formés
d’offrir une alternative crédible aux compétences des grandes sociétés de conseil anglo-
saxonnes. Notre dépendance vis-à-vis d’elles serait moindre, et le patrimoine immatériel des
entreprises leur serait de fait moins accessible.
222))) DDDéééccceeennntttrrraaallliiisssaaatttiiiooonnn
Les initiatives IE en région sont le plus souvent désorganisées et manquent de
cohérence. Si intervention et entraide il y a, elles se font au cas par cas, sans base commune
25 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
fédératrice. Certaines régions ont toutefois mis au point des projets intéressants dont il faut
s’inspirer. En région Midi-Pyrénées, le chargé de mission « défense économique » est
responsable d’une étude en trois volets : encourager la dynamique IE de la région ; recenser les
programmes de veille ; évaluer les formations IE en Midi-Pyrénées. De plus, sur une idée du
préfet, l’ADIT a appuyé la création d’une plate-forme d’informations pour les industries
aéronautiques.
La Basse-Normandie est également en avance par rapport à d’autres régions. Son
programme met l’accent sur la sensibilisation aux questions d’intelligence économique ; les
relations entre le public et le privé ; la valorisation des potentiels de la région ; le rayonnement
de la région. Sont ainsi proposés des sessions de sensibilisation auprès de 300 entreprises ; une
newsletter ScienceTech Basse Normandie (2100 abonnés) ; des universités d’été ; etc.
La région Franche-Comté compte à présent une Agence Régionale d’Intelligence
Economique, dirigée par un cadre issu du privé. Le Nord-Pas-de-Calais s’est doté d’un Comité
pour le Développement de l’Intelligence Economique et Stratégique qui regroupe des
universitaires, des représentants du secteur public et des chefs d’entreprise. La Réunion s’est
dotée d’un Centre d’Intelligence Economique qui a son propre conseil d’administration, où
siègent des chercheurs, des représentants du Conseil régional, de la préfecture, du Conseil
général et des acteurs économiques.
Ces initiatives sont louables mais restent limitées. L’Etat devrait donner les grandes
orientations de la politique d’intelligence économique, tout en laissant aux régions une certaine
marge de manœuvre compte-tenu de leur connaissance du tissu industriel de leur zone. Il faut
faire preuve de rationalité en évitant a tout prix l’éparpillement de technologie dans différents
pôles. Les régions devraient faire appel à leur bon sens, et le pouvoir central pousser à une
meilleure rationalisation de l’organisation des industries. Des Conseils similaires à ceux vus ci-
dessus devraient être mis en place dans chaque région, et aller à la rencontre des entreprises
pour leur proposer leurs services et les convaincre de leur utilité.
333))) LLL’’’UUUnnniiiooonnn eeeuuurrrooopppéééeeennnnnneee
« Les industriels américains sont, eux, dans une logique de guerre économique. (…) Face à eux,
les industriels européens doivent se regrouper pour être en mesure de leur résister »
Michèle Alliot-Marie, alors Ministre de la Défense, Le Monde, 14 juin 2003
26 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
Les autres pays européens sont encore souvent perçus comme des concurrents sur les
marchés internationaux. De plus, sur un plan politique, l’Union européenne peine à mettre en
place une politique commune en matière de relations extérieures et de défense (PESC – PESD).
une culture du partage devrait prévaloir avec nos voisins européens, alliés, avec qui nous
partageons des intérêts politiques et économiques, tant au niveau national qu’international.
L’Union européenne s’est construite par la méthode des « petits pas » chère à Jean
Monnet depuis le traité de Rome de 1957 .Il faudrait garder une approche similaire pour
l’intelligence économique. Les Etats répugnent pour l’instant à réellement créer des structures
d’échange en matière de renseignement. Ils estiment que ce partage d’information pourrait leur
être dommageable. Pourtant c’est en construisant, au fur à mesure et concrètement, sur des
points cruciaux que l’Union Européenne s’est faite comme ce fut le cas auparavant avec le
charbon et l’acier. A l’heure actuelle, il n’y a pas de politique européenne de renseignement,
seulement un échange ponctuel d’informations. Certes, il y a bien par exemple le SitCen
(Situation Center) placé sous l’autorité de Javier Solana, Haut Représentant et Secrétaire
Général du Conseil de l’Union européenne, qui a pour vocation de permettre aux Etats-
membres de partager des informations confidentielles, notamment sur le terrorisme. Mais celui-
ci n’est qu’un embryon, et ne concerne que le renseignement militaire. L’Union européenne
peut et doit se doter d’une politique cohérente en matière d’intelligence économique.
Il faut partir d’initiatives concrètes, de projets existants pour protéger le tissu
économique européen. D’ailleurs, les prémisses d’une logique d’intelligence économique
défensive sont déjà en place. Par exemple, l’Union européenne s’est déjà dotée d’une réelle
stratégie relative à la lutte contre la cybercriminalité (communication de la Commission
européenne «Vers une politique générale en matière de lutte contre la cybercriminalité», 22
mai 2007). La Commission européenne s’occupe de cybercriminalité depuis 2002. Les Etats-
membres doivent inclure dans leur code pénal des peines de prison de 1 à 3 ans en cas
d’attaque, 2 à 5 ans si elle est commise par une organisation criminelle. Dans un but de
meilleure protection d’internet, l’European Network and Information Security Agency (ENISA) a
été créée en 2005. Petit Icann européen, elle permet de s’affranchir quelque peu des attaques
qui pourraient viser les Etats-Unis. L’Union européenne a donc pris en compte le « cyber-
27 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
danger » que ce soit par une « pollution » volontaire d’échanges d’informations ou par des
attaques massives visant les systèmes d'information.
De même, l’Union européenne dispose d’un d’outil intéressant avec sa lutte contre le
blanchiment d’argent. Certes, cette politique européenne a d’abord été mise en place pour
lutter contre le crime et le terrorisme. Toutefois, cela constitue un contrôle des flux financiers
qui pourrait aussi être utilisé afin de prémunir le tissu économique européen, notamment pour
les secteurs stratégiques, d’une déstabilisation par des flux financiers masqués commandités par
des entreprises étrangères ou des Etats. La coopération entre les cellules de renseignement
financier (CRF) des États membres, avec la coordination Europol, pour lutter contre le
blanchiment d’argent, pourrait être étendue à une surveillance des flux financiers autour des
secteurs technologiques sensibles.
Il n’y aurait donc que quelques « petits pas » à franchir. Nous touchons là au cœur d’une
intelligence économique qui ne dit pas son nom, protection de l’information et des flux
financiers.
Dans une situation de frilosité des Etats et de méfiance des entreprises, l’Union
européenne doit se montrer capable d’instaurer une relation de confiance et a les moyens de le
faire afin d’instaurer les prémisses d’une stratégie d’intelligence économique « défensive »
européenne.
BBB... DDDaaannnsss llleeesss eeennntttrrreeeppprrriiissseeesss
40% des entreprises ont une gestion de l’information définie et structurée ; 25% n’ont
qu’une gestion informelle ; 11% n’en ont aucune et ne s’y intéressent pas. Avoir du personnel
dédié a l’information est encore trop souvent considéré comme une perte de temps et d’argent
pour les entreprises. Il y a donc un effort de sensibilisation important à faire de la part de l’Etat.
Les rapports Martre et Carayon ainsi que les récentes orientations décidées par le Président de
la République ont contribué à faire changer ces mentalités. Les PME prennent peu à peu
conscience de l’importance d’investir dans un service de collecte, d’analyse et de diffusion de
l’information.
Les entreprises doivent se doter de services d’intelligence économiques adaptés a leurs
besoins en information. Elles doivent pour cela embaucher du personnel qualifié, capable
28 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
d’analyser de manière pertinente une masse d’information importante, ou faire appel, le cas
échéant, aux structures qui existent dans sa région. Cook and Cook9
a montré que 35% de l’IE
doit être consacré a l’analyse des données ; or, les entreprises consacrent trop de temps à la
collecte, ce qui n’en laisse pas assez pour l’analyse ; l’aide à la décision n’est donc pas aussi
efficace qu’elle devrait l’être. Des professionnels existent ; l’entreprise ne doit pas hésiter à faire
appel à eux.
Il est également souhaitable qu’elles mettent en place des services de collecte
d’information permanents plutôt que de mobiliser du personnel de manière ponctuelle. Cela
viendra alimenter une base de données, constamment enrichie et consultable en permanence.
Des fiches thématiques, ou géothématiques dans le cas d’entreprises internationales, doivent
être régulièrement mises à jour et circuler via une newsletter afin d’être sûr d’atteindre les
personnes qui en ont besoin mais qui n’ont pas le temps ni la compétence de rechercher
l’information. Les décideurs ont besoin de données précises, d’arguments, de
recommandations, de prospective bref, une information analysée, utile, plutôt qu’une masse de
données.
Les informations utiles ont bien du mal à circuler. Dans le système français, celui qui a
l’information est celui qui a le pouvoir, alors que dans le système anglo-saxon, c’est celui qui
partage l’information. En France, les informations stratégiques ont bien du mal à descendre
dans la hiérarchie. Le plus souvent, seule l’équipe dirigeante est bien informée, et n’en fait que
rarement bénéficier les autres départements.
Ce problème culturel sera sans doute le plus long et le plus difficile à résoudre. Les PME
comprennent peu à peu l’importance et l’utilité de l’intelligence économique, et qu’elle n’est
pas uniquement réservée aux grands groupes industriels à vocation stratégique. On peut se
réjouir de cette prise de conscience, et espérer que des efforts seront faits dans le sens d’une
meilleure efficacité de la gestion de l’information. Le secteur public doit cependant maintenir
ses initiatives de sensibilisation afin de toucher la plus grande partie du tissu industriel français.
9
Cook and Cook, “Competitive Intelligence”, Kogan Page, 2000
29 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
CCC... UUUnnneee mmmeeeiiilllllleeeuuurrreee iiinnnttteeerrraaaccctttiiiooonnn eeennntttrrreee llleee pppuuubbbllliiiccc eeettt llleee ppprrriiivvvééé
« La grande majorité des acteurs privés commence à percevoir l’intérêt de l’intelligence
économique. Cependant, le manque de temps et le nombre limité de cadres dans les PME/PMI ne
facilitent pas une initiation à tous les aspects de l’intelligence économique. Par contre, les chefs
d’entreprises participent volontiers aux programmes mis en place dans leur bassin d’emploi,
voire aux expériences engagées dans leur région. Ils restent fortement demandeurs d’une
assistance plus forte de leurs chambres consulaires ainsi que des services des collectivités locales
et de l’état. Ces derniers sont, selon eux, encore trop souvent inaccessibles et sans réelle volonté
de partager l’information. Ils réclament de plus en plus la création d’un véritable ‘point d’entrée’
dans les administrations concernées ».
Rapport Carayon, 2003
Il existe un important problème de communication entre les pouvoirs publics et les
entreprises. Ces dernières reprochent à l’Etat son incompréhension (supposée) de la réalité du
marché, alors qu’elles mêmes n’utilisent pas tous les outils mis à leur disposition par les
pouvoirs publics.
Afin de réduire l’écart qui sépare privé et public, le rapport Carayon propose de rendre
obligatoire pour les hauts fonctionnaires des stages en entreprise. Cela développerait des
relations de travail et de confiance entre ces deux mondes, et le public pourrait ainsi mieux
cerner les besoins et les attentes du privé.
Les rapports Martre et Carayon ont été suivis de peu d’effets, pourtant ils portent en
eux les premières recommandations traçant la voie vers une meilleure interaction entre le
public et le privé. La seule initiative concrète est la création du poste d’Alain Juillet, Haut
Responsable de l’Intelligence Economique (HRIE) au SGDN. Son équipe se contente de missions
d’information et de sensibilisation, et est encore trop réduite pour aller plus loin. Il faudrait donc
renforcer les moyens du Haut Responsable de l’Intelligence Economique, et pourquoi pas le
rattacher directement à la Présidence de la République, et plus particulièrement à M. Bernard
Bajolet, coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République.
Les CCI pourraient aussi jouer un rôle d’interface entre le public et le privé, mais leur
qualité et leurs moyens sont trop disparates d’une CCI à l’autre. Il faudrait donc créer une vraie
30 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
cohérence au niveau des CCI tant dans le discours que dans les moyens pour instaurer un
dialogue privé-public autour de l’IE.
A l’étranger, il faudrait enfin que de vrais responsables IE soient mis en place dans les
représentations diplomatiques françaises. Dans les postes d’expansion économiques, un poste
pourrait être créé avec une personne dédiée à informer les entreprises souhaitant faire des
affaires dans la région concernée. Elle pourrait ainsi être leur interlocuteur privilégié notamment
pour les aider à mieux connaître et comprendre le tissu économique local, en leur offrant, sous
contrôle, un accès aux informations recueillies par l’ensemble des services de l’Etat.
L’interaction entre le monde de l’entreprise et les pouvoirs publics n’existe pas ou peu.
Ces deux mondes construisent leur vision de l’intelligence économique de façon indépendante.
Il faut créer des lieux de rencontre entre le public et le privé, les inciter à échanger des
informations et à coopérer. Il faut renforcer les dispositifs déjà existants tant au niveau national
(Haut Responsable de l’Intelligence Economique, CCI) qu’international (postes d’expansion
économique). Il faut leur donner les moyens d’agir efficacement, leur assigner des missions plus
claires et coordonner le tout vers un objectif précis : mettre sur pieds une politique française
d’intelligence économique.
Or, ce n’est pas le privé qui créera cette interaction, il ne l’utilisera qu’au cas par cas en
fonction de ses besoins conjoncturels. Le but du secteur privé est avant tout le profit, il ne
créera pas une intelligence économique structurée autour d’une vision stratégique nationale et
cohérente.
Les pouvoirs publics devraient aller vers le privé, écouter ses attentes et ses besoins,
construire cette interaction public-privé et ensuite structurer cet ensemble dans une politique
française d’intelligence économique
En conclusion, nous pouvons affirmer que l’intelligence économique joue un rôle très
important. Pour l’Etat, elle est un instrument de gouvernance, d’influence, qui peut
potentiellement assurer la compétitivité du tissu industriel français. Pour les entreprises,
l’intelligence économique éclaire la prise de décision grâce à une analyse utile de la masse
d’information disponible ; cela lui permet ensuite d’élaborer des stratégies de défense ou
d’attaque pour se protéger des concurrents et maintenir sa place sur les marchés.
31 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
Cependant, le dispositif français d’intelligence économique est trop éclatée pour être
cohérent et efficace, et les reformes pour changer cet état de fait n’ont été que trop timides, à
l’inverse d’autres puissances qui ont su s’adapter plus rapidement (Etats-Unis, Japon, Chine, par
exemple).
Une vraie volonté politique doit initier d’importantes reformes afin que la France ne
perde pas son rang sur la scène internationale. Elle doit rechercher des solutions au niveau
européen, s’appuyer sur ce qui existe déjà en matière de lutte contre la cybercriminalité et le
blanchiment d’argent. A terme, il est souhaitable qu’un vrai dispositif IE se mette en place à
Bruxelles, du moins dans son aspect défensif ; ce qui sera impossible sans réelle volonté
politique.
32 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
ANNEXE
1) Schéma du dispositif américain
2) Schéma du dispositif français
3) Schéma du dispositif japonais
Source : Rapport Carayon (2003)
33 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
34 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
35 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives

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  • 1. Laetitia EM MR2 Gouvernance Economique L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Sciences Po Vendredi 22 août 2008
  • 2. 2 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives I Qu’est ce que l’intelligence économique ? A. Définitions 1) L’aide à la décision 2) Utilisation et protection de ces informations 3) Ethique de l’intelligence économique B. Utilités et coûts de l’intelligence économique pour l’Etat C. Utilités et coûts de l’intelligence économique pour l’entreprise 1) Objectifs 2) Une mise en place progressive dont les coûts sont proportionnels aux besoins en information, et donc à la taille, de l’entreprise II Le « modèle français » en d’intelligence économique en concurrence avec d’autres modèles A. Le modèle américain 1) Un dispositif IE au service du principe du Homeland Security 2) Le rôle actif des services de renseignement 3) La maîtrise de l’information à l’échelle globale B. Les modèles asiatiques 1) Le Japon 2) La Chine C. Un modèle français ? 1) Qui s’occupe d’intelligence économique en France ? 2) Une dépendance de fait vis-à-vis des firmes anglo-saxonnes 3) Une influence sur les réglementations insuffisante III Réformes à envisager A. Au niveau de l’Etat 1) Enseignement 2) Décentralisation 3) L’Union Européenne B. Dans les entreprises C. Une meilleure interaction entre le public et le privé
  • 3. 3 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Dans un monde globalisé et en constante mutation, l’expression « guerre économique » n’a jamais autant trouvé sa place. Afin de se donner les moyens de lutter au mieux, certains pays se sont dotés de dispositifs spécifiques, au cœur desquels se trouve souvent l’intelligence économique. Outil de gouvernance, de compétitivité, d’influence, elle permet le contrôle de l’information, ressource clé dans l’économie aujourd’hui. Si ces enjeux ont été compris relativement tôt par la plupart des puissances, cela n’est pas le cas pour la France. Face à des modèles solidement établis, rodés, le dispositif mis en place par la France est-il adapté à la compétition internationale ? C’est ce que cet article tentera de percer. Son originalité réside dans le fait de croiser les visions du secteur public et des entreprises, le tout dans une perspective internationale et comparative. Après avoir explicité le rôle de l’intelligence économique pour l’Etat et les entreprises, nous comparerons différents modèles d’intelligence économique (Etats-Unis, Japon, Chine), afin de mettre en lumière quelles reformes devraient être mises en place. III QQQuuu’’’eeesssttt ccceee qqquuueee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee ??? AAA... DDDéééfffiiinnniiitttiiiooonnnsss La définition retenue par la Commission européenne dans son guide destiné aux PME1 est la suivante : « L’intelligence économique est un ensemble de concepts, méthodes et outils qui unifient toutes les actions coordonnées de recherche, acquisition, traitement, stockage et diffusion d’information pertinente pour des entreprises considérées individuellement ou en réseaux, dans le cadre d’une stratégie partagée. » Elle est « le processus de transformer des informations en connaissance stratégique. » La définition la plus complète reste celle du rapport Martre2 : « L’intelligence économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation de l’information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures 1 Intelligence économique, un guide pour débutants et praticiens, Commission européenne, programme CETISME 2 Intelligence économique et stratégie des entreprises, par le Commissariat du Plan, La Documentation Française, 1994
  • 4. 4 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives conditions de délais et de coûts. L’information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l’entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une vision partagée des objectifs de l’entreprise. » Alain Juillet, Haut Responsable de l’Intelligence Economique, les résume de la manière suivante3 : « L’intelligence économique est un mode de gouvernance dont l’objet est la maîtrise de l’information stratégique et qui a pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’économie et des entreprises. » Ces définitions mettent en lumière les principales caractéristiques de l’intelligence économique : l’analyse de l’information afin qu’elle éclaire le processus de décision ; la protection de ces informations utiles ; l’aspect légal et éthique de la profession. 111))) LLL’’’aaaiiidddeee ààà lllaaa dddéééccciiisssiiiooonnn L’information est d’un accès bien plus aisé qu’auparavant, si bien qu’entreprises et administrations se retrouvent souvent face à une masse importante de données, qu’il convient de classifier et d’analyser afin d’éclairer le processus de prise de décision. Le but est que les informations significatives, utiles parviennent aux personnes concernées le moment opportun. On distingue habituellement quatre types d’information ouverte : la mémoire (environ 90% de l’information) ; les informations provenant des médias et des firmes ; les réunions ; les foires et expositions. Ces informations, une fois traitées et analysées, doivent être protégées, d’attaques potentielles provenant de concurrents ou de hackers. La révélation de ces informations pourrait entraîner la dégradation de la compétitivité de l’entreprise (perte d’un avantage compétitif), de son image. Près des ¾ des dirigeants considèrent que la principale finalité de l’intelligence économique est l’aide à la prise de décision. Ce schéma provient du guide CETISME cité supra. Il explicite le processus par lequel les donnés deviennent intelligence, guidant la prise de décision. 3 Alain Juillet cité en 2005 dans L’intelligence économique appliquée à la direction des systèmes d’information, rapport du CIGREF
  • 5. 5 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives 222))) UUUtttiiillliiisssaaatttiiiooonnn eeettt ppprrrooottteeeccctttiiiooonnn dddeee ccceeesss iiinnnfffooorrrmmmaaatttiiiooonnnsss S’en tenir à l’aide à la décision serait mettre de côté l’autre rôle de l’intelligence économique : l’analyse de l’information pertinente a également pour but d’élaborer des stratégies d’attaque ou de défense. C’est grâce à cette seconde fonction qu’une entreprise peut réellement tenter d’influencer son environnement (manipulation de l’information, rumeurs sur des concurrents, rapprochement des sphères publiques décisionnelles, etc.). La contre-intelligence économique s’impose afin de protéger ces informations, véritable capital immatériel de l’entreprise. D’après Besson et Possin (Du renseignement à l’intelligence économique, Dunod) : « Avant de bâtir une défense, l’entreprise doit utiliser toutes les
  • 6. 6 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives possibilités offertes par le droit, pour mettre a l’abri son patrimoine intellectuel et industriel (…). Une bonne maitrise des possibilités offertes par la loi est un préalable indispensable à toute politique de défense. Contrairement à leurs concurrentes japonaises ou anglo-saxonnes, les entreprises françaises hésitent à recourir au brevet. Créatrices et innovantes, les entreprises françaises se protègent moins bien que leurs concurrentes. Les possibilités offertes par l’Institut national de la propriété intellectuelle ne sont pas utilisées à plein. » Plus de 50% des fuites constatées ont une origine humaine, certains employés, anciens ou actuels, ayant pêché par négligence. Les actionnaires peuvent également être une source de fuite de l’information. L’entreprise doit donc être particulièrement vigilante et se doter d’un système de protection des informations efficace. 333))) EEEttthhhiiiqqquuueee dddeee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee L’intelligence économique se distingue du knowledge management (basé uniquement sur l’information interne à l’entreprise) et du business intelligence (logiciels gérant des données quantitatives). Contrairement à une opinion largement répandue, il convient également de la différentier de l’espionnage industriel. L’intelligence économique se limite aux sources ouvertes et reste dans un cadre strictement légal. La SCIP (Society of Competitive Intelligence Professionnals, Etats-Unis) a d’ailleurs fourni un cadre éthique à la profession : 1. S’efforcer en permanence de gagner le respect et la reconnaissance de la profession. 2. Respecter toutes les législations en vigueur, qu’elles soient nationales ou internationales. 3. Indiquer avec précision toutes les informations pertinentes, y compris son identité à l’entreprise à laquelle on appartient, avant toute interview. 4. Respecter scrupuleusement toute demande de confidentialité de l’information. 5. Eviter tout conflit d’intérêt dans l’exécution de ses obligations. 6. Fournir dans le cadre de l’exécution de ses obligations des conseils et conclusions réalistes et honnêtes. 7. Appliquer le présent code d’éthique au sein de son entreprise, avec les sociétés extérieures et dans l’ensemble de la profession. 8. Appliquer loyalement les politiques, les objectifs et directives de son entreprise.
  • 7. 7 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Il convient également de souligner la naissance de la Fépie (Fédération des Professionnels de l’Intelligence Economique), dirigée par l’Amiral Pierre Lacoste. D’après son site internet4 , elle vise à « améliorer la transparence des activités de la profession afin de sensibiliser l’opinion, les administrations et les entreprises, en leur faisant prendre conscience de la valeur ajoutée apportée par leurs métiers » et à « adhérer à une charte d’éthique garante de la moralité et de la respectabilité du métier. » A présent que nous avons une idée claire de ce qu’est l’intelligence économique, nous allons voir quelles peuvent en être les utilités, et les coûts, pour l’Etat et pour les entreprises. BBB... UUUtttiiillliiitttééésss eeettt cccoooûûûtttsss dddeee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee pppooouuurrr lll’’’EEEtttaaattt D’après le rapport Carayon (2003), « l’intelligence économique devrait être une vraie et grande politique publique de l’Etat, à l’instar de ce que sont les politiques de santé, d’environnement ou de fiscalité. » L’intelligence économique est un instrument de politique de puissance qui, bien maîtrisé, pourrait nous permettre d’asseoir voire d’élargir notre sphère d’influence. Nous pourrions ainsi peser sur les décisions et réglementations émanant des plus hautes instances internationales. L’intelligence economique permet également de protéger notre patrimoine scientifique et industriel, garantissant ainsi une relative indépendance technologique. Les marchés ne régulant pas de manière optimale l’économie, il est essentiel que « au niveau d’une nation, l’intelligence économique identifie et active systématiquement les potentiels de complémentarité des acteurs en vue de l’accroissement de la prospérité nationale et de la projection de leur influence sur les marchés mondiaux » (Eric Denécé). L’efficacité et la compétitivité de l’économie française sont en jeu. Contrairement à d’autres politiques, l’intelligence économique ne nécessite pas forcement des investissements importants. En effet, elle repose essentiellement sur l’activation de réseaux (internes et/ou externes), le soutien des pouvoirs publics par des réformes et un soutien affiché, et un changement d’état d’esprit, qui voudrait qu’on valorise davantage celui qui partage une information que celui qui n’en fait pas part. Notons cependant le manque de 4 http://www.fepie.com/
  • 8. 8 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives volonté politique qui a prévalu jusque-là (citons par exemple le non renouvellement des membres du Comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE), placé sous la responsabilité du Premier Ministre, alors Lionel Jospin, dont le mandat arrivait à échéance en avril 1998). Il est essentiel que l’Etat ait une politique claire et motivée en matière d’intelligence économique. CCC... UUUtttiiillliiitttééésss eeettt cccoooûûûtttsss dddeee lll’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee pppooouuurrr lll’’’eeennntttrrreeeppprrriiissseee 111))) OOObbbjjjeeeccctttiiifffsss L’intelligence économique est un instrument d’une politique de gouvernance de l’entreprise visant à en améliorer la compétitivité en augmentant l’efficacité du processus décisionnel. De même qu’à l’échelle de la nation, le succès de la mise en place de l’intelligence économique dans une entreprise dépend de la motivation de son dirigeant. La politique qu’il doit mettre en place doit impliquer chaque employé, les insérer dans des réseaux et diffuser une culture de partage de l’information au sein de l’entreprise. Il convient d’expliquer aux employés la stratégie de l’entreprise (dans ses grandes lignes) afin de susciter leur adhésion et leur collaboration, tout en veillant à la protection de ces informations vis-à-vis de l’extérieur : « La diffusion doit être adaptée au rôle de chacun dans le processus. Il est donc important d’encourager le personnel à partager les informations entre les services, au sein de la hiérarchie, de façon verticale » (guide CETISME). Afin d’encourager cette communication, des solutions simples peuvent être mises en place : ainsi, organiser des groupes de travail entre services est un bon moyen pour que des employés peu habitués à se côtoyer et donc à échanger des informations élaborent des relations, facilitant la communication horizontale. 222))) UUUnnneee mmmiiissseee eeennn ppplllaaaccceee ppprrrooogggrrreeessssssiiivvveee dddooonnnttt llleeesss cccoooûûûtttsss sssooonnnttt ppprrrooopppooorrrtttiiiooonnnnnneeelllsss aaauuuxxx bbbeeesssoooiiinnnsss eeennn iiinnnfffooorrrmmmaaatttiiiooonnn,,, eeettt dddooonnnccc ààà lllaaa tttaaaiiilllllleee,,, dddeee lll’’’eeennntttrrreeeppprrriiissseee L’intelligence économique n’est encore que peu répandue dans les entreprises françaises. Ses métiers sont peu connus et bénéficient rarement des ressources suffisantes pour
  • 9. 9 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives développer à plein leur activité, alors même que le rapport Carayon préconise que « l’intelligence économique doit constituer une fonction permanente au sein des entreprises. » L’intelligence économique restant peu connue des entreprises (seules 29% d’entre elles ont un budget propre à l’intelligence économique), ses coûts le sont également. Il existe plusieurs niveaux de mise en œuvre d’un système d’intelligence économique, de nombreuses mesures n’engagent pas ou peu de capital. La Commission européenne est à l’origine du projet CETISME (Co-operation to promote economic and technological intelligence in small and medium-sized enterprises), qui se propose d’apporter des solutions à l’implantation d’une cellule IE dans les PME. Les régions de Madrid (Espagne), Lorraine (France), West Midlands (Royaume-Uni) et Toscane (Italie) y ont participé, et rendu compte de leurs études dans un guide. Celui-ci recense plusieurs solutions peu coûteuses en personnel et en capital : Avant même la mise en place d’une cellule d’intelligence économique :  essuyer le tableau ou retirer les feuilles du paperboard avant de quitter la salle de réunion ;  passer au crible les présentations et interventions pour s’assurer qu’elles ne contiennent pas d’information pouvant intéresser un concurrent ;  sécuriser les documents (fichiers clients et tarifs surtout), les placer en lieu sûr, non accessible au public ;  vérifier les communiqués de presse ;  accompagner en permanence les visiteurs de l’entreprise, qu’ils ne puissent accéder à des lieux stratégiques ;  que les employés surveillent leur propos lorsqu’ils sont dans des lieux publics (lounge des aéroports, par exemple) ;  mettre en place des panneaux d’affichage, des réunions interservices à intervalles réguliers, un intranet, abonnement à des revues spécialisées, etc.  sécuriser l’information électronique. Lorsque l’entreprise décide de mettre en place une cellule d’intelligence économique :  Le soutien de la direction : sans une impulsion donnée par les dirigeants, les quelques bonnes initiatives restent isolées et ont un effet limité ;
  • 10. 10 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives  La formation du personnel : tout le monde doit être encouragé à partager une information afin qu’elle atteigne les personnes concernées, les aidant ainsi dans le processus décisionnel. Traditionnellement, les employés français n’ont pas l’habitude de partager les informations ; c’est pourquoi ils doivent être encouragés. Le recours à un intranet sur lequel il serait possible de poster anonymement des informations peut s’avérer utile ;  Une approche d’équipe : tous les secteurs de l’entreprise sont concernes par la mise en place de l’intelligence économique (ventes, ressources humaines, communication, etc.). Il faut expliquer aux employés quel rôle ils peuvent jouer dans ce processus, et combien leur contribution est nécessaire à la réalisation de la stratégie de l’entreprise ;  La communication : il s’agit d’optimiser le flux d’information via le bon usage de l’e-mail, intranet, tableaux d’affichage, réunions régulières, bulletins d’information, etc. ;  Le profil d’un bon animateur : afin d’encadrer le système d’intelligence économique dans l’entreprise, il convient de designer un bon communicant, et de lui accorder les moyens et le temps nécessaires à la réalisation de sa mission. Une fois tout cela mis en place, l’entreprise a plusieurs options pour pérenniser la fonction intelligence économique. Elle peut choisir d’y consacrer une équipe permanente, chargée de collecter l’information en permanence afin de constituer des dossiers de suivi et de répondre à des questions plus ponctuelles ou bien, notamment dans le cas des PME, répartir la fonction intelligence économique entre plusieurs employés, qui ne renoncent pas pour autant à leur activité principale. Quelque soit l’option retenue, la « cellule IE » peut être soit une interface entre la direction générale et les autres secteurs, soit rattachée a un secteur (par exemple, au marketing), soit avoir des représentants dans chaque secteur (ex. le département finance a son représentant IE, de même que le département ventes, etc.). Il revient à chaque entreprise de choisir la modalité qui s’adapte le mieux à sa culture et à son organisation. L’entreprise doit ensuite déterminer ses besoins en matière d’information. Elle se posera une ou plusieurs des questions suivantes, suivant sa taille, son marché, son secteur, sa stratégie de moyen à long terme :  Quels développements en matière de recherche sont en train de se produire dans mon secteur ?  Qui sont mes concurrents ?
  • 11. 11 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives  Où puis-je trouver des partenaires pour développer de nouveaux produits ?  Comment puis-je élargir ma base de clientèle ?  Comment évolue le contexte de mon marché ?  Mon nouveau marché à l’exportation est-il viable ?  etc. Les plus petites entreprises n’ont pas forcement les ressources nécessaires pour mobiliser une équipe sur ces questions, mais doivent pouvoir mettre en place un système à leur niveau. Une utilisation intelligente de l’internet permet de monitorer son environnement et l’activité des concurrents : abonnement à des newsletters, veille via Google Alertes, création de groupes d’échange (Google Groupes, Yahoo !, MSN), l’utilisation de portefeuilles d’actions tels que les proposent Yahoo ! Finance peut permettre la surveillance d’un concurrent coté en Bourse (changement de directeur de département, retrait d’un produit du marché, par exemple). Certaines mesures simples peuvent être prises, comme nous venons de le voir. Il n’est pas nécessaire de consacrer des moyens financiers importants et de mobiliser une équipe pour faire de l’intelligence économique. Les mesures évoquées ci-dessus accompagnées de la nomination d’un responsable IE5 suffisent dans les petites structures. L’essentiel est que l’information soit accessible au moment opportun par les personnes concernées. Chaque entreprise peut faire de l’intelligence économique à son niveau. L’intelligence économique est utile à l’Etat en ce qu’elle est un instrument de gouvernance au service de la puissance et de l’influence. Elle est également essentielle à l’entreprise car elle est un outil précieux dans l’aide à la prise de décision, et permet l’élaboration de stratégies, offensives ou défensives, pour protéger son capital matériel et immatériel, se maintenir ou conquérir de nouvelles parts de marchés. 5 Ce responsable est recruté en interne dans 90,5% des cas (F. Bournois, 2001). Il est le plus souvent ingénieur de formation (45%) ou diplômé de gestion (22%), et rattaché au directeur général ou au directeur de la stratégie.
  • 12. 12 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives IIIIII LLLeee ««« mmmooodddèèèllleee fffrrraaannnçççaaaiiisss »»» eeennn ddd’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee eeennn cccooonnncccuuurrrrrreeennnccceee aaavvveeeccc ddd’’’aaauuutttrrreeesss mmmooodddèèèllleeesss 6 Enjeux pour les Etats-Unis Enjeux pour les nouvelles puissances (Chine, Inde, Brésil, etc.) Enjeux pour les puissances historiques (Europe, Russie, Japon) Interrogations Dilemme entre l’accroissement de puissance et la préservation du leadership Briser la « Pax Americana » Dilemme entre coopération et compétition avec les nouvelles puissances Stratégie affichée Promotion du multilatéralisme Attractivité et croissance des marchés Développer l’innovation et la compétitivité Stratégie réelle Affirmation de l’unilatéralisme politique Affirmation en tant que puissances globales Développer des relations économiques avec les nouvelles puissances Perspectives stratégiques Affaiblir les autres puissances Concurrencer les puissances historiques Affronter les nouvelles puissances Après avoir expliqué ce qu’était l’intelligence économique et en avoir montré les bénéfices, nous allons étudier différents modèles d’intelligence économique : le modèle américain et deux modèles asiatiques, le japonais et le chinois, afin d’en dégager les grandes tendances et révéler les lacunes et les forces du dispositif mis en place en France. AAA... LLLeee mmmooodddèèèllleee aaammmééérrriiicccaaaiiinnn 111))) UUUnnn dddiiissspppooosssiiitttiiifff IIIEEE aaauuu ssseeerrrvvviiiccceee ddduuu ppprrriiinnnccciiipppeee ddduuu HHHooommmeeelllaaannnddd SSSeeecccuuurrriiitttyyy Les Etats-Unis se sont dotés d’un dispositif efficace et avancé en matière de sécurité économique. En 1993, le Président Clinton créé le National Economic Council (NEC). Ce centre, placé sous les ordres de la Maison Blanche, jouit d’une composition interministérielle et interagence. Son rôle premier est d’informer le président sur les questions économiques. Afin de fournir les informations utiles aux entreprises, et de les orienter dans l’élaboration d’une stratégie offensive, une nouvelle agence a vu le jour la même année : le National Counter 6 Harbulot C., Lucas D. (2006), « La main invisible des puissances », Revue Défense nationale
  • 13. 13 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Intelligence Executive (NCIX). Les entreprises américaines peuvent également compter sur l’aide de l’Adovcacy Center, rattache au département du Commerce, qui les soutient dans la conquête de marchés extérieurs. Enfin, le Committee on Foreign Investments in the United States a la charge d’évaluer si un investissement étranger n’est pas contraire à la sécurité nationale. Après les attentats du 11 septembre 2001, le principe de Homeland Security (défense des intérêts nationaux) a permis de réorganiser le dispositif d’intelligence économique et de collecte de l’information à l’échelle nationale. Ainsi, « la recherche des réseaux de financement du terrorisme a permis d’inclure le renseignement économique dans les priorités » (Rapport Carayon). Les agences citées précédemment sont à présent sous la juridiction du Department of Homeland Security. De plus, « chaque grande entreprise américaine, chaque institution dispose désormais d’un correspondant ‘Homeland Security’, constituant ainsi un formidable réseau d’intelligence économique » (ibid). Le droit est également au service de la protection des entreprises américaines (Super 3017 , par exemple), justifiée par une interprétation lato sensu de la Homeland Security Policy. De même, le Economic Espionage Act, ou Cohen Act, protège les entreprises en matière de secret d’affaire ; les contrevenants s’exposent à une amende de 5M$ et/ou à 10 ans de prison. L’amendement Exon-Florio permet au Président d’interdire une fusion ou une acquisition s’il considère qu’elle menace la sécurité de l’Etat. Ainsi, en août 2005, le Congrès a empêché l’acquisition de l’américain Unocal par la société pétrolière chinoise Cnooc. 7 1974 : La section 301 du Code Civil des Etats-Unis stipule que, si le Président ou son représentant pour le commerce (USTR, United States Trade Representative) considère que (A) les droits du pays sont affectés par un accord commercial, ou (B) que l’acte, la pratique ou la politique d’un Etat étranger (i) viole et porte atteinte aux droits et bénéfices américains (ii) ou est injustifiable et réduit le commerce américain, il peut prendre les mesures mentionnées dans la sous-section (C), à savoir : (A) suspension, retrait ou interdiction de toute réduction commerciale, (B) imposition de droits de douanes ou d’autres restrictions à l’importation, (C) retrait, limitation ou suspension des bénéfices accordés a cet Etat, (D) négociation d’un accord portant obligation pour l’Etat en question d’éliminer l’acte, la pratique ou la politique mise en cause. 1988 : La « super 301 » prévoit que l’USTR se doit de réviser périodiquement les priorités américaines en matière commerciale et dresser une liste des pratiques commerciales de pays étrangers à éliminer en priorité, de façon a ce qu’elles affectent le moins possible les exportations nationales. 1988 : La « spéciale 301 » est relative aux droits de propriété intellectuelle. Avant le 30 avril de chaque année, l’USTR doit identifier les pays étrangers qui n’assurent pas une protection adéquate et effective des droits de propriété intellectuelle ou un accès juste et équitable aux marches locaux pour les Américains.
  • 14. 14 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives 222))) LLLeee rrrôôôllleee aaaccctttiiifff dddeeesss ssseeerrrvvviiiccceeesss dddeee rrreeennnssseeeiiigggnnneeemmmeeennnttt La CIA comporte un service économie depuis 1947 : la NSA a mis au point le système de surveillance mondiale Echelon, qui aurait dévié de ses objectifs strictement militaires depuis le Homeland Security Act (2002) pour s’orienter vers l’économie. Ces services sont particulièrement investis dans les secteurs suivants : cabinets de conseil, d’investissement, d’audit, d’assurance, mais aussi fonds de pension et nouvelles formes d’influence, telles que les ONG, le lobbying, surtout à destination des administrations internationales. Cela permet aux Etats-Unis d’infléchir en leur faveur les règles et normes internationales au moment même de leur création. In-Q-Tel est le fonds d’investissement de la CIA, créé en 1999. Une idée simple en est à l’origine : les besoins de la CIA en matière de technologie de l’information sont communs de 70% à 90% avec ceux des grands groupes industriels américains. In-Q-Tel joue un rôle de veille technologique, et investit essentiellement dans les start-ups travaillant sur l’un des secteurs suivants : knowledge management et représentation graphique ; recherche d’information ; sécurité et protection ; diffusion des données ; technologies aérospatiales. Elle se garantit ainsi le contrôle de leurs innovations, pouvant équiper les agences fédérales et les plus grands groupes américains. Ce fonds a ainsi investi dans une quarantaine de sociétés, sans dépasser 3 millions de dollars pour chaque firme. Les besoins de la CIA sont identifiés chaque année par une équipe d’In-Q-Tel, qui sait dès lors quelles entreprises rechercher en priorité. Les dossiers pour postuler à un financement In-Q-Tel sont très complets, des spécificités techniques des produits développés jusqu'à la composition des équipes de recherche. Environ 3200 dossiers lui sont ainsi parvenus, ce qui constitue une base de données de veille technologique d’une grande valeur. 333))) LLLaaa mmmaaaîîîtttrrriiissseee dddeee lll’’’iiinnnfffooorrrmmmaaatttiiiooonnn ààà lll’’’éééccchhheeelllllleee ggglllooobbbaaallleee Dans le domaine de la collecte d’information à l’échelle internationale, les Etats-Unis disposent de deux atouts majeurs : le contrôle de l’Internet8 , et une présence internationale forte, notamment grâce aux American Presence Posts (APP). Ils ont été mis en place par le 8 Bernard Benhamou : « il existe une dominance invisible des Etats-Unis sur le réseau des réseaux, et cette situation n’est pas politiquement souhaitable sur le long terme. » Les Etats-Unis sont seuls à diriger l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).
  • 15. 15 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives National Counter Intelligence Executive (NCIX), et ont pour but de renseigner les entreprises américaines sur la menace éventuelle d’un pays contre les intérêts américains. Munis de ces informations, les entreprises peuvent plus facilement conquérir les marchés nationaux. On compte cinq APP en France : Lyon, Toulouse, Rennes, Lille, Bordeaux. Chaque cellule compte trois ou quatre personnes parmi lesquelles un diplomate. Les Etats-Unis disposent donc d’un système sophistiqué et cohérent en matière d’intelligence économique. L’Etat est fortement impliqué et a su aller à la rencontre des entreprises et s’adapter à leurs besoins. BBB... LLLeeesss mmmooodddèèèllleeesss aaasssiiiaaatttiiiqqquuueeesss 111))) LLLeee JJJaaapppooonnn On a coutume de dire que l’intelligence économique est née au Japon. Dans les années 1950, le MITI (Ministry of International Trade and Industry) et le JETRO (Japan External Trade Organization) ont organisé une veille a l’échelle mondiale, encourageant de jeunes Japonais à effectuer une partie de leurs études à l’étranger, puis à mettre les savoir-faire et compétences acquis en Occident au service de l’économie nationale. Aujourd’hui encore, la veille est une étape nécessaire préalable à toute conception de produit. C’est presque là un devoir civique de chaque Japonais, puisque la Constitution de 1868 stipule clairement que les citoyens doivent « chercher la connaissance dans le monde entier afin de renforcer les fondements du pouvoir impérial. » Les entreprises n’hésitent pas à ouvrir de nombreux bureaux à l’étranger, à envoyer des employés dans divers pays pour détecter ce qui pourrait intéresser les firmes japonaises. Contrairement à d’autres pays, la France en tête, il n’y a jamais eu de distinction entre civil et militaire dans la collecte d’informations. La veille est l’affaire de tous, pas seulement de quelques agences de renseignement nationales ou privées.
  • 16. 16 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives 222))) LLLaaa CCChhhiiinnneee La Chine offre un cas bien particulier d’intelligence économique, notamment en raison de sa tradition politique et de la toute récente ouverture à l’économie de type occidental qui en résulte. En effet, le capitalisme y est couplé à une forte responsabilité du pouvoir dans la compétition économique. Avant 1990, la plupart des entreprises appartenaient au pouvoir central ; il n’y avait donc pas de concurrence entre elles, et donc aucune incitation à mettre en place un dispositif IE. La Chine ne s’est que peu ouverte aux investissements étrangers afin de garder un certain contrôle sur ses entreprises et technologies. Début 2006, il était toujours impossible à un étranger de devenir actionnaire majoritaire d’une entreprise chinoise, la participation ne pouvant dépasser 20-25% du capital. Ensuite, la valeur marchande d’une information, de l’immatériel en général, est une notion encore étrangère à la plupart des Chinois. L’abondance du secteur de la contrefaçon n’en est que l’aspect le plus visible. Le concept de propriété intellectuelle leur est étranger, et la législation chinoise en la matière est bien faible : les procédures durent en général trois ans, période pendant laquelle le produit n’est pas protégé (ce qui est très long dans le secteur des nouvelles technologies, le produit étant obsolète avant que le procès ait enfin lieu) ; un brevet peut être remis en cause pendant cinq ans. Certains justifient même ce recours à des pratiques délinquantes ; comme l’article « It is Right to Pirate Software » (novembre 1999, US-China Security Review), de Wang Xiaodung, professeur à l’Université de Columbia. Ainsi, « les dirigeants des entreprises chinoises ont compris l’importance de l’information et du renseignement sur les concurrents. Ils n’ont pas, pour autant, intégré les règles du marché qui supposent la propriété ou, à tout le moins, la confidentialité sur des informations qui peuvent être vitales. » (Damien Bruté de Rémur et Hong Jian Wen). Leur dispositif d’intelligence économique est encore archaïque. L’une des méthodes de renseignement sur un concurrent la plus couramment pratiquée est d’y débaucher un ou des employés. Les entreprises ne disposent souvent pas de responsable de l’information, celle-ci n’est donc pas analysée ou protégée convenablement. Depuis l’avènement de l’Internet, et du moteur de recherche chinois Baidu qui permit une alternative à Google, les entreprises recherchent plus volontiers des informations sur leur environnement. Mais l’information trouvée demeure souvent sous-exploitée, faute de logiciels et d’employés disposant des compétences adéquates.
  • 17. 17 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Cependant, la rapide adaptabilité et l’originalité de la pensée chinoise ne doivent pas être négligées. Le dispositif chinois a été profondément réorganisé au milieu des années 1990. Il s’est notamment inspiré du MITI japonais, donnant naissance au Mofcom, le ministère du commerce extérieur. Sa principale fonction est d’accompagner les mutations économiques du pays afin qu’il se positionne favorablement dans la hiérarchie mondiale. Le Mofcom travaille en étroite collaboration avec le Guoanbu, le ministère de la sécurité de l’Etat, censé abriter les services secrets chinois. Geng Huichang, ministre depuis septembre 2007, est un expert reconnu en matière d’intelligence économique et commerciale, notamment aux Etats-Unis et au Japon. De plus, la Chine dispose aujourd’hui d’une génération de chercheurs, formés aux Etats-Unis mais rentrés au pays, développant un modèle chinois d’intelligence économique s’inspirant de ces deux cultures, pouvant être formulé comme « Prendre la culture chinoise pour base et la culture occidentale pour instrument » (Zhang Zhidong, 1837-1909). En moins de quinze ans, la Chine a considérablement modernisé son dispositif de sécurité économique. Selon Fusion Consulting, cabinet de consultants spécialistes des questions de renseignement et de stratégie en Asie, le marché du renseignement serait d’environ 800 milliards de dollars, et connaîtrait une croissance de 20% par an. CCC... UUUnnn mmmooodddèèèllleee fffrrraaannnçççaaaiiisss ??? « En raison de la mondialisation des marchés, du développement des technologies, de l’imbrication des acteurs, l’Etat n’a plus le monopole ni même toujours l’expertise suffisante à la promotion et à la défense des intérêts français ». Rapport Carayon, 2003 La France n’a ni tradition ni dispositif cohérent à l’échelle nationale. Dans les entreprises, l’intelligence économique est surtout l’apanage des grandes firmes des secteurs stratégiques (santé, énergie, armement, par exemple). Celles-ci utilisent souvent des anciens membres des services secrets, de l’armée ou de la police, qui ont certes un savoir-faire, et un réseau, de qualité, mais qui n’ont pas forcément la meilleure formation pour travailler si proche de la direction ou de la stratégie d’une société. Pour le reste, la France est assez méfiante à
  • 18. 18 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives l’égard de l’intelligence économique, encore souvent associée à l’espionnage et diverses barbouzeries. Nos élites ne sont que peu ou mal formées aux mutations de l’économie internationale, et de ce fait ont du mal à en saisir les enjeux et à prendre les mesures adéquates. 111))) QQQuuuiii sss’’’oooccccccuuupppeee ddd’’’iiinnnttteeelllllliiigggeeennnccceee ééécccooonnnooommmiiiqqquuueee eeennn FFFrrraaannnccceee ??? Le dispositif français de renseignement économique est embryonnaire, éclaté et insuffisant. La Direction de la Surveillance du Territoire (DST) dépend du Ministère de l’Intérieur, et a une mission de sécurité économique. Son action est surtout préventive (sensibilisation, contacts, enquêtes). Elle développe et entretient des partenariats avec le privé, initiative qui doit être saluée et encouragée. La Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG) peut également jouer un rôle grâce à sa présence régionale, qui pourrait lui permettre d’être un interlocuteur privilégié des PME, et ses effectifs. Elle n’est pas ou peu utilisée à des fins d’intelligence économique. Ces deux entités ont fusionné en 2007, formant à présent la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI). Elle comporte 4000 fonctionnaires, dont 3000 policiers, et a la charge de tout ce qui relève de l’intérêt de la nation, intelligence économique comprise. La Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) dispose d’excellents moyens humains, techniques et financiers, remplit des missions de contre-espionnage et de contre- influence, mais pas spécifiquement d’intelligence économique, alors que ses compétences pourraient y être utiles. La Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD) s’intéresse à l’analyse de risques dans les partenariats industriels et commerciaux pour les entreprises intéressant la défense nationale et aux attaques informatiques. La Délégation Générale pour l’Armement (DGA) joue principalement un rôle dans la création et l’activation de réseaux d’information, notamment auprès du secteur privé (« partenariat stratégique ») ; elle s’occupe également d’actualiser la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD), les données concernant les principaux acteurs stratégiques du secteur des technologies sont donc à jour ; enfin, elle assure un rôle de tutelle pour la sécurité des entreprises, tâche essentielle de l’intelligence économique. La Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN), comme la nouvelle DCRI grâce à l’héritage de la DCRG, présente sur tout le territoire national, ce qui représente un atout dans la collecte d’information, notamment concernant les PME. Le SGDN (Secrétariat General de la Défense Nationale) est chargé de la sécurité des systèmes
  • 19. 19 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives d’information. Cependant, de nombreux logiciels utilisés, même pour des données sensibles, sont d’origine étrangère, ce qui pose un problème de dépendance. Enfin, le Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi est responsable de la défense économique (cf. circulaire du 14 février 2002). En octobre 2004, en réponse au rapport Carayon, y a été créée la Délégation générale de l’intelligence économique. Le rôle de celle-ci est d’informer le gouvernement et les entreprises en matière de prospective économique, financière, industrielle ou encore commerciale. D’après le site du ministère, elle doit : 1. Aider le gouvernement à affiner ses choix stratégiques en matière économique, commerciale et industrielle. 2. Mettre sur pied une veille concurrentielle sur les nations fondée sur une approche pluridisciplinaire, intégrant à des analyses économiques et financières des remises en perspective de nature historique, sociologique et culturelle. Cela dans le but de mieux cerner la stratégie économico-politique des principales nations du globe et les moyens de toute nature qu’elles mettent en œuvre à cette fin. Cette veille sera également sectorielle, par marchés et par champs d’activités, afin de prévenir des situations préjudiciables à des pans entiers de notre économie. 3. Développer les outils permettant aux entreprises de disposer à leur niveau des produits de cette veille concurrentielle. 4. Anticiper, autant que faire se peut, les événements, les évolutions ou les décisions prises par des organisations internationales, des gouvernements ou des entreprises étrangères qui auraient pour effet de nuire aux intérêts économiques et industriels de la France. 5. Proposer aux responsables politiques un éventail de contre-mesures envisageables. L’information a bien du mal à circuler. Sil est vrai que chaque ministère comprend des centres de recherche dont l’activité principale est l’anticipation des évolutions scientifiques, technologiques, économiques ou sociétales, ces centres ne communiquent pas au sein même des ministères auxquels ils sont rattachés, encore moins entre ministères, ou vers les services du Premier Ministre ou l’Elysée. L’information recueillie, qui ne manque sans doute pas d’intérêt, n’a que peu de visibilité. Il n’est pas rare que plusieurs centres travaillent sur les mêmes questions au même moment en s’ignorant. Il faudrait encourager ces centres à échanger entre eux pour que cesse ce gaspillage, créer un site internet unique par ministère pour publier les travaux en cours et récents, encourager des équipes interministérielles, obliger à des mises à
  • 20. 20 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives jours régulières et a des réunions mensuelles pour vérifier l’avancée des travaux et proposer de nouveaux axes de recherche. Sans cela, l’information est condamnée à être cloisonnée et, de fait, inutile. Ainsi, l’intelligence économique est éclatée entre trois ministères (Intérieur, Défense et Economie), alors qu’aux Etats-Unis la plupart des agences dépendent du Department of Homeland Security. Il va sans dire que coordonner ces différents services, dispersés et culturellement différents, pose problème. De plus, le secteur public s’intéresse surtout à la variable « sécurité » de l’intelligence économique ; les questions de compétitivité et d’influence restent le plus souvent en suspens. Il serait souhaitable qu’une vraie réflexion ait lieu sur la réorganisation des compétences. Peut-être le livre blanc sur la défense paru en en juin 2007 apportera-t-il l’impulsion nécessaire : « L’organisation en matière d’intelligence économique continuera à reposer sur un haut responsable chargé de l’intelligence économique (…) disposant de correspondants dans les principaux ministères, en particulier les ministères chargés de l’Economie, de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et européennes, et de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement du territoire et de l’aménagement du territoire. Le ministère de l’Intérieur assurera, pour sa part, le dispositif territorial placé sous la responsabilité des préfets. » Si le poste d’Alain Juillet est confirmé, il n’est dit nulle part que ses effectifs vont être augmentés pour doter la France d’une cellule IE crédible, cohérente et efficace. En 2006, le Medef a publié un livre blanc sur l’intelligence économique. Ce guide, plus accessible et pragmatique que celui de la Commission européenne, détaille des propositions très similaires, que nous ne détaillerons pas ici. En revanche, il recense ce qui constitue la communauté IE au sens large, offrant une photographie utile de l’intelligence économique en France, distinguant institutions publiques et entreprises privées. Il existe ainsi une Académie de l’Intelligence Economique (www.academie-ie.org), organisation assez confidentielle mais qui permet une certaine centralisation et diffusion de l’information utile (liens internet, rendez-vous IE en France, notamment). Outre les institutions publiques que nous avons vues plus haut, il recense un certain nombre de sociétés spécialisées offrant des services relatifs à l’IE. Citons LexisNexis Analytics (http://www.lexisnexisanalytics.com), spécialiste de Risk Intelligence ; le groupe GEOS (www.geos.tm.fr), qui dispose d’un important département Intelligence Economique ; l’Institut Français d’Intelligence Economique (IFIE, www.ifie.net), qui s’occupe
  • 21. 21 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives essentiellement de formation continue ; Iscope (www.iscope.fr), propose un accès à la plateforme de veille KeyWatch ; ITB (www.itb.fr), pour la formation et le conseil en compétitivité ; la Cour Saint Nicolas (www.lcsn.fr) propose des formations sur les nouveaux comportements en entreprise ; LEXSI (www.lexsi.com), acronyme de Laboratoire d’Expertise en Sécurité Informatique, offre des solutions en matière de protection du patrimoine immatériel ; Mediaveille (www.mediaveille.com), spécialiste de veille et d’analyse de l’information ; ODI (www.optimarges.com), qui conseille pour améliorer les performances de l’entreprise sur les marchés étrangers. Si la communauté IE en France est éclatée, cette liste montre néanmoins que de nombreuses initiatives se sont fait jour avec succès dans le secteur privé. Mais cela reste insuffisant par rapport aux grands cabinets d’Outre-Atlantique, qui ont su séduire et fidéliser les plus grandes entreprises françaises il y a plusieurs années, posant un sérieux problème de dépendance. 222))) UUUnnneee dddééépppeeennndddaaannnccceee dddeee fffaaaiiittt vvviiisss---ààà---vvviiisss dddeee fffiiirrrmmmeeesss aaannnggglllooo---sssaaaxxxooonnnnnneeesss En effet : « les entreprises et les administrations publiques démembrent de plus en plus de fonctions parfois vitales et stratégiques, autorisant ainsi des entités extérieures à accéder à leurs secrets : audit, conseil, sécurité/gardiennage, maintenance informatique, assurance, cabinets de traduction, etc. Cette perméabilité désormais structurelle aux agressions extérieures constitue une vulnérabilité majeure. Le problème devient réellement stratégique quand on prend conscience du fait que ces entreprises – comme l’Etat – se trouvent confrontées à une offre réduite : en nombre, en qualité et en nationalité. A ce titre, la monopolisation par des sociétés, le plus souvent anglo-saxonnes ou américaines, de certains de ces services constitue aujourd’hui une véritable dépendance de fait » (rapport Carayon). Ainsi, de grandes entreprises européennes comme Sanofi-Aventis, L’Oréal, Peugeot, Danone, etc. utilisent les services de l’américain PricewaterhouseCoopers. Il n’existe pour le moment aucune alternative européenne crédible face à cet état de fait.
  • 22. 22 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives 333))) UUUnnneee iiinnnfffllluuueeennnccceee sssuuurrr llleeesss rrrééégggllleeemmmeeennntttaaatttiiiooonnnsss iiinnnsssuuuffffffiiisssaaannnttteee Notre dispositif juridique n’est pas aussi protecteur que celui des Etats-Unis (voir plus haut), sous couvert de Homeland Security. Quelques initiatives sont tout de même à souligner. L’article L151 relatif aux investissements étrangers prévoit que ceux-ci doivent faire l’objet d’une autorisation préalable du Trésor s’ils sont « de nature à mettre en cause l’ordre public, la sécurité publique ou encore la sante publique » ou bien si « dans des activités de recherche, de production ou de commerce d’armes, de munitions, de poudres, de substances explosives destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre. » Ces mesures sont très utiles afin de recueillir des informations sur l’origine de ces investissements. Il est essentiel d’exercer un contrôle et une surveillance des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Cependant, le droit français ignore le secret des affaires, ce qui ne permet pas une protection efficace du patrimoine, immatériel ou non, des entreprises. La protection juridique fournie par le droit français devrait être utilisée à plein pour protéger le capital des entreprises, et devrait durcir les pénalités en matière de violation de secret des affaires, à l’image du Cohen Act aux Etats-Unis. A l’inverse des Etats-Unis, la France ne dispose pas d’un instrument équivalent à In-Q- Tel. Un tel fond pourrait permettre de faire face plus rapidement et plus efficacement aux prises de participations hostiles sur nos entreprises à intérêt stratégique. Il pourrait également accorder des fonds aux entreprises de croissance, et pourrait se développer, à terme, a l’échelle européenne. La France est également très peu présente dans la formation des normes et réglementations internationales, ce qu’on appelle aujourd’hui le « droit mou » (soft law). C’est dans des organismes tels que les think tanks, les fondations, les centres de recherche, les groupes de réflexion, les colloques, que sont pensés les concepts qui deviendront politique demain (exemple du concept de Homeland Security aux Etats-Unis). La France souffre de nombreuses lacunes en matière d’intelligence économique. Les initiatives sont éclatées et communiquent à peine entre elles. Les rapports Martre et Carayon offraient de nombreuses recommandations, mais n’ont été que peu écoutés, et le livre blanc sur
  • 23. 23 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives la défense de juin 2008 reste timide sur le sujet. De nombreuses reformes sont à envisager ; c’est l’objet de notre dernière partie. IIIIIIIII RRRéééfffooorrrmmmeeesss ààà eeennnvvviiisssaaagggeeerrr AAA... AAAuuu nnniiivvveeeaaauuu dddeee lll’’’EEEtttaaattt « Les Etats doivent s’atteler à lutter contre les déloyautés commerciales et développer une diplomatie économique en direction des Etats qui n’ont pas la même culture de transparence, de primauté de la règle de droit et du partage équilibre des responsabilités dans la gouvernance mondiale. » Bernard Carayon, député du Tarn, 2006 Comme nous l’avons vu auparavant, il est nécessaire que l’impulsion soit donnée par le haut et s’inscrive dans une perspective interministérielle. Chaque ministère doit coordonner les activités de recherche qui se concentrent en son sein, notamment celles relevant de la prospective, puis en assurer le rayonnement, au travers d’un site internet unique, d’une revue à diffuser au public concerné (administrations, membres d’associations, entreprises, etc.), par exemple. Sur le même modèle, un point d’entrée unique aux ressources qu’offre l’Etat en matière d’intelligence économique devrait être créé. Cela permettrait une meilleure visibilité et une meilleure organisation de l’aide dont peuvent bénéficier les entreprises. Le rapport Carayon propose de créer un Conseil National pour la Compétitivité et la Sécurité Economique, qui regrouperait des experts des secteurs économique et scientifique, et serait dirigé par le Premier Ministre, que l’exécutif pourrait consulter à loisir sur les questions relevant de l’intelligence économique. Des reformes urgentes sont à mettre en place. 111))) EEEnnnssseeeiiigggnnneeemmmeeennnttt Il existe une multitude de formations diplomantes en intelligence économique, mais aucun classement n’existe. Tantôt dans un département de sciences, tantôt d’économie ou de gestion, la discipline manque de cohérence. Conscients de cette situation, les employeurs
  • 24. 24 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives potentiels se méfient de ces programmes, souvent jugés peu adaptés aux besoins des entreprises. Une étude de l’AFDIE (Association Française pour le Développement de l’Intelligence Economique) a révélé que ces formations accordaient une trop grande importance à la veille au détriment de l’influence dans leur cursus, et que la majorité des stages qui étaient proposés aux étudiants avaient une forte connotation marketing. De plus, il est à déplorer que les grandes écoles formant à la haute fonction publique n’intègrent pas l’intelligence économique à leur cursus. Cours optionnel à Polytechnique et à l’ENA, une initiative crédible vient de l’ENSP (Ecole Nationale Supérieure de Police), qui y consacre un module de huit heures. Les élèves d’HEC sont formés à la veille, mais le cours de protection de l’information reste optionnel. Quant aux élèves de l’Ecole des Mines, peuvent recevoir un enseignement assez complet de 25 heures sur la veille, la protection de l’information, et les différents modèles d’intelligence économiques. En ce qui concerne la formation continue, le ministère de l’Economie n’y consacre que des stages de deux ou trois jours principalement axés sur la veille stratégique. La DST propose également des stages de sensibilisation (environ 30 000 personnes par an). Les sessions de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) regroupent des militaires, des hauts fonctionnaires et des cadres d’entreprise. Des séminaires existent également pour les élèves des grandes écoles et pour les jeunes. Ce modèle de formation continue et de sensibilisation à la discipline doit être encouragé. Les enseignements proposés demeurent de qualité diverse et sont encore souvent jugés trop théoriques pour le monde de l’entreprise. Des professionnels de l’IE provenant du privé devraient faire partie des équipes enseignantes, et l’Etat labelliser les formations. Une reforme de l’enseignement supérieur de l’intelligence économique, qui prendrait en compte les besoins des entreprises et de la haute fonction publique, permettrait aux étudiants qui y sont formés d’offrir une alternative crédible aux compétences des grandes sociétés de conseil anglo- saxonnes. Notre dépendance vis-à-vis d’elles serait moindre, et le patrimoine immatériel des entreprises leur serait de fait moins accessible. 222))) DDDéééccceeennntttrrraaallliiisssaaatttiiiooonnn Les initiatives IE en région sont le plus souvent désorganisées et manquent de cohérence. Si intervention et entraide il y a, elles se font au cas par cas, sans base commune
  • 25. 25 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives fédératrice. Certaines régions ont toutefois mis au point des projets intéressants dont il faut s’inspirer. En région Midi-Pyrénées, le chargé de mission « défense économique » est responsable d’une étude en trois volets : encourager la dynamique IE de la région ; recenser les programmes de veille ; évaluer les formations IE en Midi-Pyrénées. De plus, sur une idée du préfet, l’ADIT a appuyé la création d’une plate-forme d’informations pour les industries aéronautiques. La Basse-Normandie est également en avance par rapport à d’autres régions. Son programme met l’accent sur la sensibilisation aux questions d’intelligence économique ; les relations entre le public et le privé ; la valorisation des potentiels de la région ; le rayonnement de la région. Sont ainsi proposés des sessions de sensibilisation auprès de 300 entreprises ; une newsletter ScienceTech Basse Normandie (2100 abonnés) ; des universités d’été ; etc. La région Franche-Comté compte à présent une Agence Régionale d’Intelligence Economique, dirigée par un cadre issu du privé. Le Nord-Pas-de-Calais s’est doté d’un Comité pour le Développement de l’Intelligence Economique et Stratégique qui regroupe des universitaires, des représentants du secteur public et des chefs d’entreprise. La Réunion s’est dotée d’un Centre d’Intelligence Economique qui a son propre conseil d’administration, où siègent des chercheurs, des représentants du Conseil régional, de la préfecture, du Conseil général et des acteurs économiques. Ces initiatives sont louables mais restent limitées. L’Etat devrait donner les grandes orientations de la politique d’intelligence économique, tout en laissant aux régions une certaine marge de manœuvre compte-tenu de leur connaissance du tissu industriel de leur zone. Il faut faire preuve de rationalité en évitant a tout prix l’éparpillement de technologie dans différents pôles. Les régions devraient faire appel à leur bon sens, et le pouvoir central pousser à une meilleure rationalisation de l’organisation des industries. Des Conseils similaires à ceux vus ci- dessus devraient être mis en place dans chaque région, et aller à la rencontre des entreprises pour leur proposer leurs services et les convaincre de leur utilité. 333))) LLL’’’UUUnnniiiooonnn eeeuuurrrooopppéééeeennnnnneee « Les industriels américains sont, eux, dans une logique de guerre économique. (…) Face à eux, les industriels européens doivent se regrouper pour être en mesure de leur résister » Michèle Alliot-Marie, alors Ministre de la Défense, Le Monde, 14 juin 2003
  • 26. 26 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Les autres pays européens sont encore souvent perçus comme des concurrents sur les marchés internationaux. De plus, sur un plan politique, l’Union européenne peine à mettre en place une politique commune en matière de relations extérieures et de défense (PESC – PESD). une culture du partage devrait prévaloir avec nos voisins européens, alliés, avec qui nous partageons des intérêts politiques et économiques, tant au niveau national qu’international. L’Union européenne s’est construite par la méthode des « petits pas » chère à Jean Monnet depuis le traité de Rome de 1957 .Il faudrait garder une approche similaire pour l’intelligence économique. Les Etats répugnent pour l’instant à réellement créer des structures d’échange en matière de renseignement. Ils estiment que ce partage d’information pourrait leur être dommageable. Pourtant c’est en construisant, au fur à mesure et concrètement, sur des points cruciaux que l’Union Européenne s’est faite comme ce fut le cas auparavant avec le charbon et l’acier. A l’heure actuelle, il n’y a pas de politique européenne de renseignement, seulement un échange ponctuel d’informations. Certes, il y a bien par exemple le SitCen (Situation Center) placé sous l’autorité de Javier Solana, Haut Représentant et Secrétaire Général du Conseil de l’Union européenne, qui a pour vocation de permettre aux Etats- membres de partager des informations confidentielles, notamment sur le terrorisme. Mais celui- ci n’est qu’un embryon, et ne concerne que le renseignement militaire. L’Union européenne peut et doit se doter d’une politique cohérente en matière d’intelligence économique. Il faut partir d’initiatives concrètes, de projets existants pour protéger le tissu économique européen. D’ailleurs, les prémisses d’une logique d’intelligence économique défensive sont déjà en place. Par exemple, l’Union européenne s’est déjà dotée d’une réelle stratégie relative à la lutte contre la cybercriminalité (communication de la Commission européenne «Vers une politique générale en matière de lutte contre la cybercriminalité», 22 mai 2007). La Commission européenne s’occupe de cybercriminalité depuis 2002. Les Etats- membres doivent inclure dans leur code pénal des peines de prison de 1 à 3 ans en cas d’attaque, 2 à 5 ans si elle est commise par une organisation criminelle. Dans un but de meilleure protection d’internet, l’European Network and Information Security Agency (ENISA) a été créée en 2005. Petit Icann européen, elle permet de s’affranchir quelque peu des attaques qui pourraient viser les Etats-Unis. L’Union européenne a donc pris en compte le « cyber-
  • 27. 27 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives danger » que ce soit par une « pollution » volontaire d’échanges d’informations ou par des attaques massives visant les systèmes d'information. De même, l’Union européenne dispose d’un d’outil intéressant avec sa lutte contre le blanchiment d’argent. Certes, cette politique européenne a d’abord été mise en place pour lutter contre le crime et le terrorisme. Toutefois, cela constitue un contrôle des flux financiers qui pourrait aussi être utilisé afin de prémunir le tissu économique européen, notamment pour les secteurs stratégiques, d’une déstabilisation par des flux financiers masqués commandités par des entreprises étrangères ou des Etats. La coopération entre les cellules de renseignement financier (CRF) des États membres, avec la coordination Europol, pour lutter contre le blanchiment d’argent, pourrait être étendue à une surveillance des flux financiers autour des secteurs technologiques sensibles. Il n’y aurait donc que quelques « petits pas » à franchir. Nous touchons là au cœur d’une intelligence économique qui ne dit pas son nom, protection de l’information et des flux financiers. Dans une situation de frilosité des Etats et de méfiance des entreprises, l’Union européenne doit se montrer capable d’instaurer une relation de confiance et a les moyens de le faire afin d’instaurer les prémisses d’une stratégie d’intelligence économique « défensive » européenne. BBB... DDDaaannnsss llleeesss eeennntttrrreeeppprrriiissseeesss 40% des entreprises ont une gestion de l’information définie et structurée ; 25% n’ont qu’une gestion informelle ; 11% n’en ont aucune et ne s’y intéressent pas. Avoir du personnel dédié a l’information est encore trop souvent considéré comme une perte de temps et d’argent pour les entreprises. Il y a donc un effort de sensibilisation important à faire de la part de l’Etat. Les rapports Martre et Carayon ainsi que les récentes orientations décidées par le Président de la République ont contribué à faire changer ces mentalités. Les PME prennent peu à peu conscience de l’importance d’investir dans un service de collecte, d’analyse et de diffusion de l’information. Les entreprises doivent se doter de services d’intelligence économiques adaptés a leurs besoins en information. Elles doivent pour cela embaucher du personnel qualifié, capable
  • 28. 28 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives d’analyser de manière pertinente une masse d’information importante, ou faire appel, le cas échéant, aux structures qui existent dans sa région. Cook and Cook9 a montré que 35% de l’IE doit être consacré a l’analyse des données ; or, les entreprises consacrent trop de temps à la collecte, ce qui n’en laisse pas assez pour l’analyse ; l’aide à la décision n’est donc pas aussi efficace qu’elle devrait l’être. Des professionnels existent ; l’entreprise ne doit pas hésiter à faire appel à eux. Il est également souhaitable qu’elles mettent en place des services de collecte d’information permanents plutôt que de mobiliser du personnel de manière ponctuelle. Cela viendra alimenter une base de données, constamment enrichie et consultable en permanence. Des fiches thématiques, ou géothématiques dans le cas d’entreprises internationales, doivent être régulièrement mises à jour et circuler via une newsletter afin d’être sûr d’atteindre les personnes qui en ont besoin mais qui n’ont pas le temps ni la compétence de rechercher l’information. Les décideurs ont besoin de données précises, d’arguments, de recommandations, de prospective bref, une information analysée, utile, plutôt qu’une masse de données. Les informations utiles ont bien du mal à circuler. Dans le système français, celui qui a l’information est celui qui a le pouvoir, alors que dans le système anglo-saxon, c’est celui qui partage l’information. En France, les informations stratégiques ont bien du mal à descendre dans la hiérarchie. Le plus souvent, seule l’équipe dirigeante est bien informée, et n’en fait que rarement bénéficier les autres départements. Ce problème culturel sera sans doute le plus long et le plus difficile à résoudre. Les PME comprennent peu à peu l’importance et l’utilité de l’intelligence économique, et qu’elle n’est pas uniquement réservée aux grands groupes industriels à vocation stratégique. On peut se réjouir de cette prise de conscience, et espérer que des efforts seront faits dans le sens d’une meilleure efficacité de la gestion de l’information. Le secteur public doit cependant maintenir ses initiatives de sensibilisation afin de toucher la plus grande partie du tissu industriel français. 9 Cook and Cook, “Competitive Intelligence”, Kogan Page, 2000
  • 29. 29 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives CCC... UUUnnneee mmmeeeiiilllllleeeuuurrreee iiinnnttteeerrraaaccctttiiiooonnn eeennntttrrreee llleee pppuuubbbllliiiccc eeettt llleee ppprrriiivvvééé « La grande majorité des acteurs privés commence à percevoir l’intérêt de l’intelligence économique. Cependant, le manque de temps et le nombre limité de cadres dans les PME/PMI ne facilitent pas une initiation à tous les aspects de l’intelligence économique. Par contre, les chefs d’entreprises participent volontiers aux programmes mis en place dans leur bassin d’emploi, voire aux expériences engagées dans leur région. Ils restent fortement demandeurs d’une assistance plus forte de leurs chambres consulaires ainsi que des services des collectivités locales et de l’état. Ces derniers sont, selon eux, encore trop souvent inaccessibles et sans réelle volonté de partager l’information. Ils réclament de plus en plus la création d’un véritable ‘point d’entrée’ dans les administrations concernées ». Rapport Carayon, 2003 Il existe un important problème de communication entre les pouvoirs publics et les entreprises. Ces dernières reprochent à l’Etat son incompréhension (supposée) de la réalité du marché, alors qu’elles mêmes n’utilisent pas tous les outils mis à leur disposition par les pouvoirs publics. Afin de réduire l’écart qui sépare privé et public, le rapport Carayon propose de rendre obligatoire pour les hauts fonctionnaires des stages en entreprise. Cela développerait des relations de travail et de confiance entre ces deux mondes, et le public pourrait ainsi mieux cerner les besoins et les attentes du privé. Les rapports Martre et Carayon ont été suivis de peu d’effets, pourtant ils portent en eux les premières recommandations traçant la voie vers une meilleure interaction entre le public et le privé. La seule initiative concrète est la création du poste d’Alain Juillet, Haut Responsable de l’Intelligence Economique (HRIE) au SGDN. Son équipe se contente de missions d’information et de sensibilisation, et est encore trop réduite pour aller plus loin. Il faudrait donc renforcer les moyens du Haut Responsable de l’Intelligence Economique, et pourquoi pas le rattacher directement à la Présidence de la République, et plus particulièrement à M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République. Les CCI pourraient aussi jouer un rôle d’interface entre le public et le privé, mais leur qualité et leurs moyens sont trop disparates d’une CCI à l’autre. Il faudrait donc créer une vraie
  • 30. 30 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives cohérence au niveau des CCI tant dans le discours que dans les moyens pour instaurer un dialogue privé-public autour de l’IE. A l’étranger, il faudrait enfin que de vrais responsables IE soient mis en place dans les représentations diplomatiques françaises. Dans les postes d’expansion économiques, un poste pourrait être créé avec une personne dédiée à informer les entreprises souhaitant faire des affaires dans la région concernée. Elle pourrait ainsi être leur interlocuteur privilégié notamment pour les aider à mieux connaître et comprendre le tissu économique local, en leur offrant, sous contrôle, un accès aux informations recueillies par l’ensemble des services de l’Etat. L’interaction entre le monde de l’entreprise et les pouvoirs publics n’existe pas ou peu. Ces deux mondes construisent leur vision de l’intelligence économique de façon indépendante. Il faut créer des lieux de rencontre entre le public et le privé, les inciter à échanger des informations et à coopérer. Il faut renforcer les dispositifs déjà existants tant au niveau national (Haut Responsable de l’Intelligence Economique, CCI) qu’international (postes d’expansion économique). Il faut leur donner les moyens d’agir efficacement, leur assigner des missions plus claires et coordonner le tout vers un objectif précis : mettre sur pieds une politique française d’intelligence économique. Or, ce n’est pas le privé qui créera cette interaction, il ne l’utilisera qu’au cas par cas en fonction de ses besoins conjoncturels. Le but du secteur privé est avant tout le profit, il ne créera pas une intelligence économique structurée autour d’une vision stratégique nationale et cohérente. Les pouvoirs publics devraient aller vers le privé, écouter ses attentes et ses besoins, construire cette interaction public-privé et ensuite structurer cet ensemble dans une politique française d’intelligence économique En conclusion, nous pouvons affirmer que l’intelligence économique joue un rôle très important. Pour l’Etat, elle est un instrument de gouvernance, d’influence, qui peut potentiellement assurer la compétitivité du tissu industriel français. Pour les entreprises, l’intelligence économique éclaire la prise de décision grâce à une analyse utile de la masse d’information disponible ; cela lui permet ensuite d’élaborer des stratégies de défense ou d’attaque pour se protéger des concurrents et maintenir sa place sur les marchés.
  • 31. 31 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives Cependant, le dispositif français d’intelligence économique est trop éclatée pour être cohérent et efficace, et les reformes pour changer cet état de fait n’ont été que trop timides, à l’inverse d’autres puissances qui ont su s’adapter plus rapidement (Etats-Unis, Japon, Chine, par exemple). Une vraie volonté politique doit initier d’importantes reformes afin que la France ne perde pas son rang sur la scène internationale. Elle doit rechercher des solutions au niveau européen, s’appuyer sur ce qui existe déjà en matière de lutte contre la cybercriminalité et le blanchiment d’argent. A terme, il est souhaitable qu’un vrai dispositif IE se mette en place à Bruxelles, du moins dans son aspect défensif ; ce qui sera impossible sans réelle volonté politique.
  • 32. 32 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives ANNEXE 1) Schéma du dispositif américain 2) Schéma du dispositif français 3) Schéma du dispositif japonais Source : Rapport Carayon (2003)
  • 33. 33 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
  • 34. 34 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives
  • 35. 35 L’intelligence économique à la française : forces, faiblesses, perspectives