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L’adoption de l’intelligence artificielle à
l’échelle à l’épreuve des modèles
d’organisation traditionnels
Karima BENNIA
MBA Management de l’Intelligence Artificielle
Promotion 2019/2020
Thèse Professionnelle
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INSTITUT LEONARD DE VINCI
THESE PROFESSIONNELLE
Présentée pour l’obtention du diplôme de :
MBA MANAGEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Par
KARIMA BENNIA
L’intelligence artificielle à l’échelle à l’épreuve des
modèles d’organisation traditionnels
Date de soutenance : 23 juillet 2020
Directeur de Thèse : Joachim MASSIAS
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A mes très chers parents, pour leurs sacrifices et leurs leçons de vie,
A Moh, mon compagnon de route et à nos 3 chenapans, pour leur tendre et indéfectible
soutien,
A mon clan du Petit Etang, pour tous les moments de décompression.
(…et aussi à Sheryl, Michelle et Queen B pour leurs discours inspirants !)
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REMERCIEMENTS
Cette thèse professionnelle sanctionne 9 mois d’une formation infiniment instructive et
enrichissante, et ce parcours d’apprenant n’aurait pas été possible sans le concours de
plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma gratitude.
Je voudrais tout d’abord adresser toute ma reconnaissance à Joachim MASSIAS, Directeur
du MBA pour m’avoir permis de suivre cette formation et qui, par ses connaissances, sa
patience, sa disponibilité, ses judicieux conseils a contribué à alimenter ma réflexion et mener
à bien ce travail.
J’adresse également mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et
toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questionnements et qui, par leurs
discours, leurs écrits et leurs critiques constructives ont guidé mes réflexions.
Mes remerciements les plus sincères à Pierre LACAZE, Dirigeant de Synchrone et Cédric
HIVERT, DSI pour m’avoir permis de réaliser ce MBA en parallèle de mon activité
professionnelle.
J’exprime également toute ma gratitude à Jean-Baptiste HUEBER pour ses précieux conseils
et son soutien dans ma démarche de reprise d’étude.
Je voudrais enfin exprimer ma reconnaissance envers mes amis et collègues (Permanents et
de passage du 6è étage de la rue Scribe !) qui m’ont apporté leurs encouragements tout au
long de ma période de formation.
Sans oublier, ma famille proche et élargie pour leur soutien moral tout au long de ces 9 mois.
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RESUME DE LA THESE PROFESSIONNELLE
L’Intelligence Artificielle (IA) est abondamment présentée comme un puissant levier de
performances pour les entreprises. Son apport est comparé à l’impact de l’arrivée de
l’électricité. On observe que finalement son adoption est très lente et que peu de cas d’usage
d’utilisation massive et à l’échelle existent. Au final, l’IA transforme les entreprises mais pas
de manière aussi rapide et significative que les experts l’imaginaient. Plusieurs hypothèses
peuvent expliquer cela :
 Absence de data structurée et/ou non adoption des technologies qui rendent possible
l’IA : plateformes de développement, puissance informatique, stockage de données…;
 Barrière de la confiance/explicabilité ;
 Barrières culturelles et organisationnelles.
Nous démontrerons à travers cette thèse professionnelle que les barrières culturelles et
organisationnelles sont particulièrement critiques et rédhibitoires à une adoption de l’IA à
l’échelle et que la typologie de modèles d’organisation impacte fortement le potentiel de se
transformer en entreprise AI & Data-Driven. Les entreprises héritières du taylorisme et néo-
taylorisme sont particulièrement désavantagées dans ce processus, de par le fait que leur
mode de management et leur structure organisationnelle ont favorisé l’émergence d’obstacles
s’inscrivant en opposition aux prérequis d’une IA à l’échelle. Sont-elles pour autant
condamnées à se transformer radicalement pour s’adapter à accueillir favorablement ces
technologies ? Notre ambition est de démontrer que ces entreprises pourront tirer profit du
potentiel de l’IA sans sacrifier leur intégrité et leur stabilité. Pour cela, il s’agira d’introduire de
nouvelles pratiques et un ensemble de mesures opérationnelles susceptibles de constituer,
pour ces entreprises, une première étape dans la longue route qui les conduira au statut
d’entreprise d’AI Driven.
Mots Clés : Intelligence Artificielle à l’échelle, Entreprises Data-Driven, AI-Driven, modèles
organisationnels, néo-taylorisme.
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Table des matières
INTRODUCTION..................................................................................................................................... 6
1 PARTIE I / L’ADOPTION DE L’IA PAR LES ENTREPRISES : UNE MATURITE A GEOMETRIE
VARIABLE ............................................................................................................................................ 10
1.1 LES « USINES » A POCS .................................................................................................... 11
1.2 LES ADEPTES DE PROJETS D’IA A L’ECHELLE MAIS HYPERSPECIALISES ET
SILOTES ........................................................................................................................................... 12
1.3 LES ENTREPRISES AI-DRIVEN.......................................................................................... 13
1.3.1 Une forte culture de la donnée................................................................................... 13
1.3.2 Une libération des données........................................................................................ 13
1.3.3 Un leaderphip « symphonique » ................................................................................ 14
1.3.4 La place réservée aux « Analytics Translators » ..................................................... 14
1.4 VERS UN NOUVEAU PARADOXE DE SOLOW ? .............................................................. 15
2 PARTIE II / COMMENT LES RESSORTS SOCIOLOGIQUES ET ORGANISATIONNELS DES
ENTREPRISES NEO-TAYLORIENNES S’ERIGENT COMME OBSTACLES A L’EMERGENCE D’UN
MODELE D’ORGANISATION AI-DRIVEN ?........................................................................................ 18
2.1 DU TAYLORISME AU NEO TAYLORISME ......................................................................... 18
2.2 DE LA SILOTATION DES ORGANISATIONS... .................................................................. 20
2.3 … A LA STRUCTURATION DES POUVOIRS DANS L’ENTREPRISE .............................. 21
2.4 L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET LA PRISE DE DECISION : VERS UNE REMISE EN
CAUSE DE LA TOUTE-PUISSANCE DES MANAGERS ET DES EXPERTS ................................ 22
2.4.1 Le devenir des Managers et Experts à l’heure de l’avènement de l’IA dans le
processus de prises de décisions............................................................................................. 25
2.4.2 Les manifestations plus ou moins subtiles de la résistance au changement ...... 28
2.5 LES ENTREPRISES « LIBEREES » : UN TERRAIN PLUS FAVORABLE A UNE
DIFFUSION MASSIVE ET INTEGREE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SEIN DES
ORGANISATIONS ? ......................................................................................................................... 30
3 PARTIE III : COMMENT LES ENTREPRISES STRUCTUREES AUTOUR DE MODELES
D’ORGANISATION TRADITIONNELS PEUVENT SE PREPARER A LA MONTEE EN PUISSANCE
DE L’IA ?............................................................................................................................................... 33
3.1 UN LEADERSHIP DE HAUT NIVEAU.................................................................................. 34
3.2 CULTURE DES DONNEES ET CULTURE DU RISQUE ..................................................... 36
3.2.1 Favoriser la Culture de la Donnée ............................................................................. 37
3.2.2 Encourager la culture du Risque ............................................................................... 39
3.3 ORGANISATION : DIFFUSER SANS SE DISPERSER....................................................... 40
3.4 PEOPLE : CONTENIR LES PHENOMENES DE RESISTANCE ET FAVORISER
L’ADOPTION MASSIVE DE NOUVEAUX MODE DE TRAVAIL..................................................... 43
4 CONCLUSION............................................................................................................................... 48
5 BILIOGRAPHIE ET ENTRETIENS ............................................................................................... 51
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INTRODUCTION
L’intelligence Artificielle (IA) a depuis ces dernières années souvent été associée au terme
Révolution. « Révolution : Changement brusque, d'ordre économique, moral, culturel, qui se
produit dans une société » d’après le Larousse. Plus qu’un simple progrès d’ordre
technologique, on a prêté –et on prête toujours - aux technologies d’intelligence artificielle des
vertus de transformation profonde, majeure, structurelle de nos organisations, de notre culture
et de notre société dans des domaines très variés : agriculture, santé, logistique, éducation,
travail….
De sa première évocation en 1956, à la Conférence de Dartmouth, à aujourd’hui, le terme
« intelligence artificielle » a longtemps alimenté des fantasmes, liés d’avantage à son potentiel
et sa puissance technologique imaginée, qu’à la réalité des faits. Le chemin n’aura pas été
aussi linéaire et sans encombre annoncé, les limites technologiques persistantes auront
conduit à des décennies de faux départs et d’attente non satisfaites.
Aujourd’hui, des barrières semblent tombées. La digitalisation croissante et exponentielle de
l’ensemble de la société depuis les 20 dernières années a permis de constituer des quantités
astronomiques de données exploitables, indispensables pour faire carburer les technologies
d’IA. Cette digitalisation conjuguée aux progrès technologiques des infrastructures de calcul
et aux sophistications d’algorithmes existants, a conduit l’intelligence artificielle vers un nouvel
âge d’or, qui, cette fois, semble réaliste et durable.
Il est vrai que les technologies d’Intelligence artificielle sont démocratisées et irriguent notre
quotidien mais d’une façon beaucoup plus insidieuse que présagée. Les cas d’usage les plus
étendus s’inscrivent d’avantage dans le registre de l’innovation incrémentale que dans un réel
mouvement de rupture ou de disruption, tel qu’il est décrit abondamment dans la littérature.
L’IA se niche ainsi dans la base des technologies utilisées pour le streaming musical ou vidéo
(Spotify, Netflix…), les services livraison, la plupart des réseaux sociaux, la reconnaissance
d’image ou encore la saisie semi-automatique, mais n’aura finalement pas révolutionné les
sociétés et les modes de vie, sinon les améliorer à la marge.
Qu’en est-il de l’appropriation de l’IA par le monde économique et industriel ? Pendant
longtemps, l’IA a été vendue comme une « formule magique » permettant de résoudre les
problèmes de productivité et de compétitivité des entreprises, avec à la clé, un gain potentiel
chiffré en milliards. Les technologies d’IA devaient prendre le relais de l’électricité comme
déclencheur d’une nouvelle « révolution industrielle ». Dans cet exercice périlleux de tirer des
enseignements de leçons tirées du passé, il s’avère que, par bien des aspects, la « troisième
révolution industrielle » résultant de l’électrification et la mécanisation et celle que le monde
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industriel et économique est censé connaitre actuellement ne sont pas comparables. Au-delà
de la nature des progrès technologiques engendrés, c’est la fulgurance de leur apport respectif
à l’amélioration des performances des organisations, qui laisse conclure que même si des
mécanismes se sont reproduits de manière similaire, des disparités manifestes persistent
toutefois. Plusieurs raisons évidentes à cela que nous allons tenter d’expliciter.
Tout d’abord, l’intelligence artificielle est une Technologie à Usage Multiples (TUP) qui
présente des contours flous : polysémique, complexe à appréhender pour les novices, sujette
à des interprétations subjectives, englobant des technologies disparates (Computeur Vision,
Natural Language Processing, Classification). Cette complexité rend difficile l’identification par
tout un chacun des cas d’usages pouvant être industrialisés.
Par ailleurs, l’Intelligence Artificielle d’aujourd’hui est précédée par des récits imaginaires
(d’Alan Turing à Ray Kurzweil en passant par Isaac Asimov), des fantasmes évoquant la fin
de la souveraineté de l’Homme sur la machine. L’intelligence artificielle fait peur et avec elle
la crainte de la concrétisation de mythes ancrés dans la croyance populaire : mécanisation
des activités tertiaires, remplacement des humains par des « robots » menant à un chômage
de masse, asservissement de l’homme par la machine…
En troisième lieu, nous citons les difficultés de sa mise en application. L’une des plus grandes
erreurs commises a été de considérer que les technologies d’IA étaient des technologies
prêtes à l’emploi avec des résultats immédiats. Cette croyance ne peut persister de par la
complexité des technologies employées, des infrastructures techniques nécessaires, et de la
nécessité d’un changement de paradigme profond des cultures et organisations des
entreprises. Il en résulte que l’écart entre les entreprises qui croient au potentiel de
transformation par l'IA et celles qui mettent réellement en œuvre une stratégie d'IA à large
échelle ne sera pas rapidement comblé.
Cependant, nous restons convaincus du réel potentiel de l’IA dans la promotion des
performances des entreprises et nous persistons à l’intégrer chaque année aux menus des
divers plans stratégiques annuels des entreprises. Pourquoi ? Parce que des exemples
concrets d’entreprise ayant réussi faire carburer leur activité avec des technologies d’IA
existent. Ces entreprises s’appellent AMAZON, ALIBABA, NETFLIX et ont résolu avec réussite
la difficile équation d’irriguer de façon cohérente et intégrée des technologies d’intelligence
artificielle à tous les échelons de leur organisation. Leurs performances économiques sont
sans appel comparées à leurs concurrents historiques faisant usage de technologies et savoirs
plus traditionnels. La question à se poser est pourquoi, ces exemples d’entreprises sont-ils
des cas si rares, alors que les gains potentiels de telles stratégies peuvent s’avérer
8 sur 52
incommensurable. On assiste alors à un vrai « paradoxe de l’IA ». Ce paradoxe est
relativement simple à expliquer mais reste complexe à résoudre.
Partons d’un constat. Les tentatives sont nombreuses de récolter les fruits des technologies
d’IA, mais les entreprises trébuchent lors du passage du démonstrateur au stade de mise à
l’échelle. La transformation digitale inhérente s’avère alors plus légère, constituée d’outils et
d’effets d’annonce, de méthodes innovantes mais verticales, et qui ne concerne qu’un nombre
restreints de services ou départements comme l’IT ou encore les services marketing. Les
conséquences de ces tentatives non transformées ne sont pas négligeables. Certains
craignent que ces efforts infructueux viennent saper la révolution de l’IA à ses débuts. Pour
les plus pessimistes, une entrée dans un nouvel hiver de l’IA, se présage tant les frustrations
sont immenses entre les promesses et la capacité à les concrétiser. La dernière étude publiée
en février 2020 par le cabinet PWC1
donne corps à cette théorie puisque selon ce dernier,
l’intelligence artificielle à haute dose n’est pas la priorité des entreprises américaines.
Seulement 4% des dirigeants prévoient de déployer l’I.A. à grande échelle au sein de leur
entreprise en 2020. C’était 20% en 2019.
Alors pourquoi est-ce si compliqué ?
Il ne s’agit pas d’une question de maturité technologique mais d’un problème de méthodes et
de stratégie. Les entreprises ont obéi à la double injonction d’experts et de spécialistes,
d’amasser de la donnée et d’être agiles et rapides. Or, il ne s’agit pas uniquement de cela.
Bien qu’essentielles au succès de l'IA, les données internes ne sont pas le Saint Graal. Par
ailleurs, il ne suffit pas non plus d'être agile et rapide : la flexibilité et la vitesse sont importantes,
mais ce ne sont pas des excuses pour s'engager dans une marche aléatoire à travers les
déserts de l'IA. Le réel avantage concurrentiel ne peut s’obtenir que si les projets pointent dans
une direction spécifique clairement identifiée et s’accompagnent d’une évolution (voire
transformation !) de la culture et du fonctionnement des organisations. Les entreprises qui
auront franchi ce stade seront celles qui tireront le mieux parti des promesses des
technologies d’IA. C’est ce que nous tenterons de démontrer à travers cette thèse
professionnelle.
En préambule, il nous a paru opportun de dresser un état des lieux de la maturité des
entreprises vis-à-vis des technologies d’IA et d’expliciter dans quelle typologie de
configuration, l’IA est à même de tenir toutes ses promesses. Cette partie nous permettra
notamment de démontrer l’importance de l’impact des modes d’organisation des entreprises
dans le succès d’une mise en œuvre de l’IA à grande échelle. Dans un second temps, nous
1 Rapport « 2020 AI Predictions », Price Waterhouse Coopers (PWC), février 2020
https://www.pwc.com/us/en/services/consulting/library/artificial-intelligence-predictions-2020.html
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apporterons des éclairages d’ordre sociologique et philosophique permettant d’expliquer les
raisons pour lesquelles les entreprises traditionnelles à l’héritage taylorien auront le plus de
mal à se convertir à une adoption massive et à l’échelle de l’IA, contrairement aux entreprises
avec des fonctionnements plus collaboratifs, en réseau, ou réticulaires. Enfin dans une 3ème
partie, nous discuterons des approches méthodologiques et des enjeux des évolutions
organisationnelles auxquelles les entreprises traditionnelles devront faire face pour favoriser
une utilisation de l’IA à large échelle.
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1 PARTIE I / L’ADOPTION DE L’IA PAR LES ENTREPRISES : UNE
MATURITE A GEOMETRIE VARIABLE
L’intelligence artificielle se définit comme l’ensemble des technologies permettant à des
machines de réaliser des tâches intellectuelles traditionnellement réalisées par des humains.
Ces technologies permettent ainsi de reproduire des schémas cognitifs simples comme la
vision, la compréhension d’un texte ou d’un discours, ou déceler des schémas dans
d’immenses volumes de données et d’en interpréter le sens.
Longtemps basée sur la mise en œuvre de systèmes experts (ou intelligence artificielle
symbolique »), l’IA a pris un nouveau tournant ces dernières années grâce à l’effet conjugué
de l’explosion des données et des performances des infrastructures de calcul. Désormais, on
parle d’une intelligence artificielle connexionniste reposant essentiellement sur la capacité
d’apprentissage des algorithmes. C’est grâce à l’apprentissage qu’un système intelligent
capable d’exécuter une tâche peut améliorer ses performances avec l’expérience. C’est grâce
à l’apprentissage qu’il pourra apprendre à exécuter de nouvelles tâches et acquérir de
nouvelles compétences.
L’adoption au sein de l’entreprise de technologies d’intelligence artificielle sont hautement
perturbatrices pour les lignes de métier et implique une transformation en profondeur des
méthodes de travail avec un impact non négligeable sur l’emploi. Cependant, en dépit de ces
défis couteux et risqués, les entreprises, soumises à des contextes concurrentiels rendus
plus aigus par les acteurs du numérique notamment, se trouvent contraintes de les intégrer à
leur processus opérationnels, sous peine de perdre la bataille de la compétitivité, voire de
jouer leur survie.
Aujourd’hui, la plupart des entreprises ont a minima entendu parler de l’IA et s’y intéresse en
réalisant de la veille ou en l’expérimentant. Des cas d’usage font foison dans un large pan de
l’économie : industrie, télécoms, éducation, commerce, banque, santé, transport, assurance,
sécurité, droit. Les entreprises se distinguent cependant sur leur degré de maturité d’adoption
de ces technologies.
En tenant compte de la diversité des cas d’usage d’IA mis en œuvre au sein de la société et
le succès d’une transformation à l’échelle (ou industrialisation), on peut aisément classer ces
entreprise en 4 grandes catégories présentées dans le schéma ci-dessous :
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Figure 1 Les 4 niveaux de maturité des entreprises face à la mise en œuvre de l'IA dans leur organisation
Il faut savoir que la plupart des entreprises mènent des essais ponctuels ou n’utilisent l’IA que
dans un seul processus métier. En effet, alors que la gouvernance d'entreprise en général, et
les DSI en particulier, se hâtent d'annoncer leurs plans de mise en œuvre de l'IA et comment
cela transformera leurs entreprises au cours des prochaines années, certaines statistiques
montrent que, bien que la reconnaissance de la nécessité d'une adoption à grande échelle de
l'IA soit omniprésente, la volonté d’agir est loin derrière. Ce constat s’explique notamment par
le fait que les entreprises peinent à convertir leur projet pilote en programmes étendus à toute
l’entreprise mais aussi à passer des enjeux mineurs (ex : amélioration de la segmentation
client à de grands défis (ex : optimisation de toute l’expérience client).
Comment expliquer que cette phase soit si difficile à franchir ? Nous avons fait le choix de
donner des premiers éléments de réponse en décrivant les spécificités des trois catégories
d’entreprises s’intéressant à l’IA, en termes de fonctionnement et d’organisation. Un focus
plus approfondi sera réalisé sur les entreprises « AI-Driven » afin de saisir les facteurs clés de
succès leur ayant permis de réussir là où toutes les autres ont échoué.
1.1 LES « USINES » A POCS
Ces dernières années, beaucoup d’entreprises ont expérimenté des projets d’IA. Entre la
réelle volonté de tirer profit d’hypothétiques progrès de ces technologies et celle de faire de
l’"IA washing » à pure visée marketing, peu importe la volonté réelle, les projets finissaient
toujours en Proof of Concept (POCs) ou démonstrateurs. Ces entreprises ont souvent les
12 sur 52
technologies d’IA avec un modèle basé sur un « hub d’IA », créé pour l’occasion ou géré par
le Département Innovation ou la DSI.
Ces Hub d’IA sont constitués généralement d’une équipe centralisée d'ingénieurs en
intelligence artificielle et de spécialistes de l'apprentissage automatique (data scientists). A
travers une remontée métier ou l’identification par cette équipe de cas d’usage à expérimenter,
ils établissent une liste de projets d’IA à concrétiser et les priorisent. Les POCs sont toujours
menés en silos. Cependant, comme la plupart des cas d'utilisation d'entreprise l'ont montré, le
simple fait d'avoir un centre de distribution ne suffit pas pour déployer efficacement et intégrer
l'intelligence artificielle à grande échelle dans l'entreprise, étant donné qu'il est presque
impossible pour plusieurs équipes et départements d'adopter une approche « plug and play »
de leurs initiatives en matière d’IA. Les causes d’un échec d’une mise à l’échelle de ces projets
d’IA sont multiples. On recense le manque d’une réelle volonté des Directions de déployer ces
technologies fortement perturbatrices, la complexité de dissoudre les verrous d’incompatibilité
entre les technologies d’IA et les réalités du terrain ou encore la résistance au changement de
corps de métier, insuffisamment préparés à subir de tels bouleversements dans leur quotidien.
1.2 LES ADEPTES DE PROJETS D’IA A L’ECHELLE MAIS HYPERSPECIALISES
ET SILOTES
Ils sont le fruit d’une appropriation croissante des technologies d’IA par les entreprises et la
mise à disposition par les fournisseurs de solutions fiables et à l’utilisation intuitive. Ce sont
ces projets qui sont mis en avant lors de colloques spécialisés pour témoigner de
l’appropriation croissante des technologies d’IA par les entreprises (ex : Djingo, le conseiller
virtuel ou chatbot d’Orange Bank, ou encore la solution de traitement automatisé de mails
par la solution WATSON déployée au sein du Crédit Mutuel) . Les facteurs clés de succès de
tels projets résident notamment dans la maturité des technologies utilisées, l’intégration d’une
forte expertise métier tout au long du projet et un sponsoring de haut niveau. Cependant, ces
succès ne préfigurent pas que d’autres arriveront. En effet, ces projets sont l’aboutissement
d’initiatives souvent personnelles de managers intéressés par les technologies d’IA mais
dédiées à un domaine particulier. Ces projets ne se sont pas intégrés à une stratégie
d’entreprise globale de promotion de l’intelligence artificielle au sein de l’organisation et
s’organise en silos. De par l’inexistence d’une méthodologie et d’un cadre, et d’une
organisation en silos, ces initiatives, certes louables, sont difficilement transposables à
d’autres services ou départements. Sans réel sponsor et d’éléments moteurs ailleurs dans
l’organisation, la diffusion de l’IA par cette approche reste hautement hypothétique.
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1.3 LES ENTREPRISES AI-DRIVEN
Ce sont les entreprises qui ont le mieux compris les immenses opportunités offertes par les
technologies d’IA et qui ont adopté les mesures techniques et organisationnelles permettant
d’en maximiser le profit. Car, soyons clairs les réels gains de compétitivité promis par l’IA, ne
peuvent être apportés que par une IA utilisée à grande échelle et qui brise les initiatives
simplement cloisonnées.
Ces entreprises se distinguent notamment par le fait qu’elles utilisent l’IA dans l’ensemble de
leur processus d’entreprise (marketing, commerce, finance, ressources humaines…), du cœur
de leur métier et de leur chaine de valeur jusqu’aux services considérés comme support. Elles
s’avèrent particulièrement efficaces dans cet exercice grâce à une transformation de leur façon
de travailler et de leur processus de prise de décision2
, qui s’appuie désormais quasi
exclusivement sur l’exploitation des données. Au-delà de cette distinction, ces entreprises se
caractérisent par des particularités communes en termes de culture et d’organisation, comme
exposé ci-dessous.
1.3.1 Une forte culture de la donnée
Rares sur le marché, les entreprises « AI-Driven » se singularisent par le fait qu’elles sont
« digital natives » (Amazon, Alibaba, Google Facebook…) et ont, entre autres, établi leur
structure et leur organisation autour de l’exploitation des données. Cette culture de la donnée
est avant tout une question de personnes et de processus. L’avantage des entreprises « Digital
Natives » est de ne pas avoir été contraintes de faire évoluer un modèle d’organisation pour
l’adapter à un nouveau mode de fonctionnement, ni de réaliser un couteux changement de
culture et de mindset de leurs collaborateurs.
Car c’est bien là que le bât blesse pour les entreprises plus traditionnelles ! Alors qu’elles
s’essaient à l’exploitation optimisée de données par de l’IA, elles se heurtent à l’absence de
cette culture de la donnée, indispensable pour tirer profit des technologies d’IA et les intégrer
dans les processus d’analyse et de prise de décision. Et malgré les discours marketing
ambiant, une culture basée sur les données ne peut pas être achetée ou fabriquée- elle doit
être entretenue et développée.
1.3.2 Une libération des données
L’adoption d’une culture des données serait vaine sans une libération de celles-ci. Qu’entend
t-on par libération de la donnée ? Il s’agit d’une mise à disposition dans un modèle de libre-
service de données fiables à un plus grand nombre d’utilisateurs. Chez Amazon, on appelle
2 Shrestha R, Ben-Menahem S, Organizational Decision-Making Structures in the Age of Artifcial
Intelligence , California Management Review, Aout 2019
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cela le « Hill Climbing3
» : il s’agit d’une philosophie qui institutionnalise la découverte, le
questionnement et l’expérimentation des données. Cela suppose et exige que tout le monde
ait accès à la donnée et à des outils pour tester leurs idées et leur intuition, indépendamment
du statut ou de l’ancienneté. Ainsi, avec l’accent mis sur les données et une autonomie
concédée à chaque salarié de réaliser ses propres expérimentations, et les réaliser aussi
souvent et rapidement que souhaité, l’innovation est rapide et d’énormes gains sont alors
possibles.
1.3.3 Un leaderphip « symphonique »
La culture de la donnée n’est pas suffisante en soi sans l’existence d’une ligne directrice
incarnée sur l’orientation à lui donner et un alignement stratégique de tous les départements.
Cette stratégie et les conséquences qui en découlent doivent être clairement définies et
communiquées à tous. Au sein des entreprises AI-Driven, tout se décide au plus haut et les
leaders orchestrent des organisations collaboratives4
. Traditionnellement, les cadres
supérieurs de la direction - PDG et chefs des opérations, informatique, RH, marketing, etc. -
ne sont pas connus pour collaborer étroitement sur des initiatives impliquant des innovations
technologiques. Mais au sein des entreprises AI Driven, ces différents organes travaillent
ensemble pour établir des priorités, déterminer les implications pour les architectures
technologiques et les compétences humaines, et évaluer les implications pour des fonctions
clés telles que le marketing ou encore la chaîne d'approvisionnement.
1.3.4 La place réservée aux « Analytics Translators »
Soyons clairs, les projets d’intelligence artificielle ne sont pas des projets digitaux comme les
autres. Les méthodes de conduite du changement utilisées traditionnellement dans les projets
de transformation digitale ne peuvent se translater ou être adaptées d’une façon triviale dans
ce genre de projet car les technologies d’Intelligence artificielle ne s’érigent pas comme de
simples outils de support/confort des activités de l’entreprise. Ils en impactent en profondeur
les process de prise décision et intrinsèquement le fonctionnement de l’entreprise et son
essence. Aux traditionnelles questions de la stratégie et de la culture, s’ajoute désormais celui
de la technologie. Et comme pour la plupart des projets technologiques, le problème ne réside
pas dans la technologie elle-même, mais plutôt dans la compréhension de la meilleure façon
de l'utiliser pour générer de la valeur.
3 Selinger David, « Data Driven: What Amazon's Jeff Bezos Taught Me About Running a
Company »,Entrepreneur Europe, 2014 (https://www.entrepreneur.com/article/237326)
4 Davenport T, Foutty J« How AI Is Transforming the Organization », MIT Sloan Management Review,
Éditeur MIT Press, 2020, p.7
15 sur 52
De ce fait, il est primordial que les projets d’IA soient motivés et conduits par des individus
alliant l’expertise technique des sciences des données à l’expertise du domaine et la maitrise
opérationnelle intégrée à l’entreprise. Fountaine et al (2019)5
désigne ces personnes par le
terme d’ « Analytics Advisors » ou traducteurs d’ « analytics ».
Cette catégorie de spécialistes forme une catégorie d’experts pluridisciplinaires, jouant un rôle
dans la traduction de problèmes métier en solutions analytiques avancées et dans
l’identification des obstacles. Ils font le lien entre le domaine technique (data scientists / data
engineers) et les métiers opérationnels. Ils ont pour mission de veiller à ce que les applications
d’IA répondent aux besoins de l’entreprise et que leur adoption s’effectue sans heurts.
Impliqués très tôt dans le processus de développement et de mise en œuvre des projets, et
immergés au sein des métiers, ils peuvent interroger les utilisateurs finaux, observer et étudier
leurs méthodes de travail pour diagnostiquer des cas d’usage et régler les problèmes.
Une véritable transformation en une organisation axée sur les données nécessite que toute
personne en mesure de reconnaître et d'exploiter des opportunités d'analyse, ait, au moins,
un certain niveau de formation en « traduction ». Nous reviendrons dans notre troisième partie,
aux questions soulevées par ces « Analytics Advisors » et comment convertir les
cadres/experts des organisations traditionnelles à ces nouveaux métiers en discutant
notamment des compétences qu’ils devront maitriser.
1.4 VERS UN NOUVEAU PARADOXE DE SOLOW ?
En dépit d'avoir passé plus de 5 ans à la pointe de la transformation numérique, l'intelligence
artificielle continue de se cacher dans l'ombre des projets d’expérimentation ou d’initiatives
individuelles et fragmentées, excluant de facto le large éventail de l'organisation entière de
tirer parti d'un outil aussi puissant.
Alors pourquoi faire carburer les entreprises à l’IA reste-il l’apanage d’entreprises par essence
numérique et de création récente?
Deux études, l’une du cabinet PWC6
et l’autre du cabinet NewVantage Partners7
, ont
démontré que, malgré les évolutions récentes en termes d’IA, rien ne laisse augurer d’un
enthousiasme croissant de la part des Directions, d’aller vers plus d’IA. Selon l’étude de
NewVantage Partners, 72% des participants au sondage ont ainsi déclaré que leurs
organisations n'avaient pas encore forgé une culture des données. De plus, le pourcentage de
5 Fountaine T., McCarthy B, « Faire Carburer l’entreprise à l’intelligence artificielle », HBR France,
janvier 2020, p39
6 Rapport « 2020 AI Predictions », Price Waterhouse Coopers (PWC), février 2020
https://www.pwc.com/us/en/services/consulting/library/artificial-intelligence-predictions-2020.html
7 Rapport « Big Data and AI Executive Survey 2020 », New Vantage Partners, janvier 2020
16 sur 52
répondants qui ont indiqué avoir «créé une organisation axée sur les données» a diminué à
31% en 2019, contre 32,4% en 2018 et 37,1% en 2017. Au lieu de voir une plus grande
transformation numérique, nous assistons à une régression numérique décevante. Pour aller
plus en profondeur, l'étude susmentionnée indique que les principaux défis mentionnés pour
devenir une entreprise AI-Driven étaient les personnes (62,5%) et les processus (30,0%) – et
non pas la technologie (seulement 7,5%). Par ailleurs, il semble dans les faits que les initiatives
se heurtent à d’importantes barrières culturelles et organisationnelles. Ce phénomène est
relativement compréhensible car développer une culture demande du temps et des efforts plus
conséquents qu’une simple acculturation à de nouvelles technologies.
Finalement, nous sommes face à une concrétisation de Paradoxe de Solow, du nom du Nobel
d’économie Robert Solow, qui, en 1987 déclarait que « Vous pouvez voir des ordinateurs
partout, sauf dans les statistiques de productivité". A cette époque, Robert Solow évoquait les
nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En d'autres termes, le
progrès technique apporté par les nouvelles technologies de l'information et de la
communication n'avait pas eu autant d'impact sur l'ensemble de l'économie que les
précédentes révolutions industrielles, qui ont, elles, dégagé d'importants gisements de
productivité, eux-mêmes à l'origine de longs cycles de croissance. Les études auront démontré
que l’informatisation améliore significativement la productivité globale des facteurs
uniquement si elle s'accompagne d'une réorganisation de la production. Cette
complémentarité entre innovation technologique et organisationnelle a été l’une de clé de la
réussite de la nouvelle économie. L’objectif de ces innovations organisationnelles a été
d’adopter des pratiques de travail qui ont valorisé les potentialités des NTIC.
La comparaison d’un entre l’avènement des NTIC et de l’IA est alors tentante. On peut alors
émettre l’hypothèse que les entreprises pourraient extraire des gains de productivité de leurs
investissements massifs en intelligence artificielle... à condition de modifier leur organisation.
Les entreprises AI-Driven l’ont bien compris et leur mode de fonctionnement très organique
(réticulaire, en réseau, collaboratif) et axé sur la donnée leur donne une sérieuse longueur
d’avance et un avantage sur les entreprises dont les organisations sont héritées d’une
approche plus taylorienne : pyramidales, hierarchisées, et silotées.
Dans la prochaine partie, nous tenterons d’expliciter par le prisme sociologique et
philosophique, les difficultés auxquelles se confronteront les entreprises basées sur des
modèles d’organisation traditionnels pour adopter les technologies d’IA à très grande échelle.
Nous démontrerons notamment que les pré-requis organisationnels nécessaires à l’atteinte
de cet objectif (supposant une culture de la donnée et la libération de cette dernière) se
heurteront à des mouvements de résistance au changement inédits, issus des populations de
17 sur 52
Managers et d’Experts notamment, qui questionneront légitimement le devenir de leur valeur
et de leur pouvoir dans de nouvelles formes d’organisation AI-Driven.
18 sur 52
2 PARTIE II / COMMENT LES RESSORTS SOCIOLOGIQUES ET
ORGANISATIONNELS DES ENTREPRISES NEO-TAYLORIENNES
S’ERIGENT COMME OBSTACLES A L’EMERGENCE D’UN
MODELE D’ORGANISATION AI-DRIVEN ?
Cette partie sera consacrée à la présentation d’un cadre théorique permettant de comprendre
en quoi les organisations tayloriennes ou néo-tayloriennes, dont les fondements reposent sur
les reliquats de l'Organisation Scientifique du Travail (OST) et son héritage, ne constituent pas
un terrain favorable à une adoption étendue de l’intelligence artificielle. Cet exposé n’a
nullement l’ambition de constituer une étude approfondie et exhaustive de l’histoire du
Taylorisme et de ses évolutions. Nous nous arrêterons raisonnablement à l’énonciation de
grands principes pouvant supporter notre propos.
2.1 DU TAYLORISME AU NEO TAYLORISME
Tout d’abord, nous précisons que nous allons davantage évoquer les entreprises relevant du
néo-taylorisme, car il faut être réaliste, la plupart des organisations d’inspiration taylorienne
ont entamé un changement dans leur mode de fonctionnement depuis plusieurs décennies.
Pour rappel, le taylorisme se définit comme une méthode de travail qui préconise une
Organisation Scientifique du Travail (OST) grâce à une analyse détaillée des modes et
techniques de production (gestes, rythmes, cadences, …)8
. L’objectif affiché est d’aboutir à
une augmentation de la productivité grâce à notamment à :
● la maîtrise du processus de production ;
● une division verticale du travail à savoir la séparation stricte entre travail manuel et
travail intellectuel ou, en d’autres termes, une séparation stricte entre le travail de
conception et le travail d’exécution. Un bureau des méthodes dirigé par des experts
en organisation est chargé de la préparation scientifique du travail ;
● une division horizontale du travail, c’est-à-dire une parcellisation maximale des tâches
entre les différents postes de travail, où chaque ouvrier effectue quelques gestes
élémentaires délimités et répétitifs.
Concernant ce dernier aspect, notons que si cette parcellisation a entraîné des gains de
production, elle a surtout permis de dépouiller les ouvriers de leurs connaissances métiers et
les mettre aux mains de l’employeur, renversant ainsi le rapport de force de l’assymétrie des
connaissances et l’expertise. A partir de ce moment, c’est l’employeur qui dicte les règles de
production, les ouvriers dépouillés deviennent des exécutants de tâches simples et répétitives.
8 Bernoux Philippe, Sociologie des Organisations, Collection Points « Essais », p . 63
19 sur 52
Ce point est particulièrement intéressant à souligner car, comme nous le verrons plus tard,
l’adoption d’outils d’intelligence artificielle dans les processus de prise de décision notamment,
sera susceptible de reproduire les mêmes effets sur, cette fois une population de décideurs
Managers et/ou Experts.
Ayant fait ses preuves de l’autre côté de l’Atlantique, le taylorisme s’est progressivement
installé en France de 1910 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il connut son essor
dans les années 50 et 60 avant de connaître une violente remise en question à l’issue grandes
grèves de 1968 et au début des années 70, contre le travail à la chaîne et les cadences
infernales.
Le patronat se saisit alors d’une double interrogation en s’appuyant sur les cercles d’experts
de la sociologie des organisations. Comment faire pour que les ouvriers travaillent selon les
intérêts de l’employeur c'est-à-dire de la manière la plus rentable possible et avec le moins de
résistance possible ? Par ailleurs, le taylorisme est un système qui a fait ses preuves, mais
comment l’adapter tout en en effaçant les aspects les plus humiliants au niveau humain ?
Les réflexions menées ont conduit à l’émergence de nouveaux courants, regroupés au sein
du terme « néo-taylorisme ». L’objectif premier demeure inchangé à savoir produire plus à
moindre coût. Cependant, à ce leitmotiv principal, s’ajoute la nécessité d’acquérir plus de
flexibilité, d’adopter une production du « juste à temps » et tirer profit des nouvelles
technologies notamment l’essor de l’informatique.
Le néo-taylorisme se caractérise notamment par l’effacement du rôle des collectifs de travail
au profit d’un renforcement par l’individualisation, des objectifs de performance, des entretiens
d’évaluation, de la rémunération9
. L’heure est désormais à l’autonomie des équipes et des
individus et il est préconisé que les problèmes d’organisation du travail se règlent par la
communication, le dialogue et la responsabilisation plutôt que par des mesures coercitives et
autoritaires. Ces nouvelles méthodes de gestion favorisent l’avènement d’une organisation
en silos où le travail devient opaque des organes de Direction Générale. Tout est laissé entre
les mains d’une nouvelle strate de direction intermédiaire (direction financière, direction
marketing, direction commerciale etc) bénéficiant de responsabilité, liberté, marge de
manœuvre et autonomie de leur service. On assiste dans le même temps à un relâchement
du mode prescriptif du travail à la chaîne ou sur poste.
C’est notamment sur ces fondements entre autres qu’ont pu émerger de nouvelles approches
telles que le « lean management ». Ce nouveau modèle est issu des usines de Toyota, au
9
Chennoufi Wassim, le néo-taylorisme comme une doctrine durable de l’organisation du travail,
L’Héritage de F.W. Taylor : Cent ans de Management, Journée d’étude du 21 mars 2015, p85
20 sur 52
sein desquelles, chacun des salariés est transformé en centre d’autocontrôle et fait preuve
d’une autonomie d’action pour être rentable suivant les critères de l’entreprise. Le corollaire
d’une telle démarche est l’émergence de la toute-puissance des procédures, process,
« bonnes pratiques » décidées en haut lieu et à laquelle le travailleur doit de plus en plus se
conformer.
2.2 DE LA SILOTATION DES ORGANISATIONS...
Mais revenons au phénomène de silotation, conséquence d’un abandon progressif d’un
taylorisme dur. Pour commencer, il est à noter que les silos peuvent avoir des origines
diverses10
, conduisant à une compartimentation des métiers et donc de la data. On distingue
alors :
- des silos dits structurels avec des applications spécifiques et optimisées pour des métiers
définis,
- des silos plus d’orientation politiques avec des métiers pas toujours enclins à partager leurs
données, car sources de connaissances et donc de pouvoir.
Comme nous l’avions indiqué en amont, cette silotation a éloigné les Directions Générales de
l’entreprise d’une connaissance approfondie de telle sorte qu’elles ont abandonné la maîtrise
de certains facteurs de prévision/prévisibilité indispensables au pilotage de l’activité de
l’entreprise à des Managers et/ou Experts, leur conférant ainsi un pouvoir légitimement
reconnu de tous.
Dans son ouvrage référence « Le phénomène Bureaucratique », Michel Crozier11
nous
explique ainsi que « les possibilités de prévision qui constituent un élément si important de la
lutte pour le pouvoir ne dépendent pas seulement des exigences de la technologie ; elles
dépendent aussi et souvent dans une large mesure de la façon dont les informations
nécessaires sont distribuées. En pratique, dans toutes les grandes organisations, les
membres de l’organisation disposent d’information donc de possibilité de prédiction et
donc finalement de possibilité de contrôle et de pouvoir, simplement du fait de leur place
dans la pyramide hiérarchique ».
Toujours d’après M. CROZIER, cette influence est tirée d’un contrôle d’une incertitude (un
problème de fonctionnement de l’organisation dont les solutions ne sont connues que par un
10
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/de-lentreprise-en-silos-a-lentreprise-plateforme-
bienvenue-dans-lere-de-lentreprise-intelligente-1010175
11
Crozier M., Le phénomène Bureaucratique, collection Essais Points, p.201.
21 sur 52
petit nombre), encore faut-il que cette incertitude soit cruciale et pertinente du point de vue du
fonctionnement de l’organisation. A partir de ces situations d’incertitudes qui exigent
l’intervention humaine, deux types de pouvoirs auront donc tendance à se développer : le
pouvoir hiérarchique (formel) et le pouvoir de l’expert qui est plus informel. Nous
explicitons dans les paragraphes suivants les particularités de ces deux pouvoirs.
2.3 … A LA STRUCTURATION DES POUVOIRS DANS L’ENTREPRISE
Le pouvoir de l’Expert se décrit, d’après M. Crozier (p. 202), comme « le pouvoir dont un
individu dispose du fait de sa capacité personnelle à contrôler une certaine source d’incertitude
affectant le fonctionnement de l’organisation ». Cet expert (informaticien, comptable, fiscaliste,
directeur commercial…) peut imposer sa loi à celui qui a besoin de ses services. Il est le seul
à pouvoir traiter le problème et peut user et abuser de la rareté de sa compétence. Pour ce
faire, cet expert détient souvent une information de valeur, qui permet de savoir mieux et avant
les autres la manière dont les choses vont se passer ou la manière de traiter un problème. On
se réfère à son opinion et on acquiesce de sa prise de décision, eut égard à son expertise,
quitte à ce que cette décision ne trouve pas de fondement rationnel et ne se fonde que sur
l’intuition de cet expert.
Le pouvoir hiérarchique fonctionnel correspond, pour sa part, « au pouvoir dont certains
individus disposent, du fait de leur fonction dans l’organisation, pour contrôler le pouvoir de
l’expert et à la limite y suppléer ».
Concernant l’équilibre des pouvoirs, Crozier (p.203) nous précise qu’il n’est pas immuable
dans le temps et nous offre l’éclairage suivant : “Si nous cherchons à déterminer l’origine
fonctionnelle objective des influences qui s’exercent au sein d’un système d’organisation, nous
pouvons conclure qu’à la longue le pouvoir ultime, le pouvoir d’arbitrage et d’orientation tendra
à être associé au type d’incertitude dont la vie de l’organisation dépend le plus. La
prééminence successive des experts financiers, des techniciens de production, des
spécialistes du marketing et des spécialistes du contrôle budgétaire dans les grandes
organisations en témoigne. Chaque vague d’experts a eu son heure en fonction des difficultés
que les organisations devaient résoudre pour survivre. Aussitôt que les progrès de l’OST ou
de la connaissance des phénomènes économiques ont permis de de faire des prévisions
rationnelles dans le milieu considéré, le pouvoir du groupe dont c’était le rôle de se charger a
tendu à décroitre”.
Plus loin, il précise que “les experts s’efforceront de résister, de sauvegarder leurs secrets
professionnels et leurs tours de main mais contrairement à la croyance commune,
l’accélération du changement qui caractérise notre époque leur rend beaucoup plus difficile
22 sur 52
qu’autrefois de résister à la rationalisation et tout compte fait, le pouvoir de négociation de
l’expert en tant qu'individu aurait plutôt tendance à diminuer”.
Ce dernier propos introduit avec une certaine acuité la suite de notre démonstration. Comme
vu en première partie, les entreprises AI-Driven se caractérisent notamment par une mise en
oeuvre industrielle des technologies d’intelligence artificielle dans des problématiques
notamment d’aide à la décision ou de prises de décision. Jusque-là, cette discipline était le
pré-carré des Experts et Managers et constituait l’assise de leur pouvoir. Voir l’intelligence
artificielle entrer en jeu dans cette discipline, nous fait glisser irrésistiblement vers ce que
Danièle Linhard définissait comme une “dépossession de leur connaissance métier”12
, pour
les mettre non pas aux mains des employeurs comme cela a été le cas pour les ouvriers, mais
des outils d’intelligence artificielle. Le rapport de force peut ainsi être renversé !
2.4 L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET LA PRISE DE DECISION : VERS UNE
REMISE EN CAUSE DE LA TOUTE-PUISSANCE DES MANAGERS ET DES
EXPERTS
Dans les paragraphes suivants, nous allons tenter d’expliquer comment l’intelligence artificielle
peut bouleverser les équilibres de pouvoirs dans les entreprises. Comme nous l’avons vu au
chapitre précédent, l’une des promesses des technologies d’IA dans le gain de productivité
des entreprises est de s’ériger comme un outil puissant de prise de décisions.
Le processus de prise de décision (plus connu sous le terme anglophone de de decision-
making) se définit comme un processus cognitif dont la conséquence est un choix entre
diverses alternatives. Plus concrètement, d’après Allain (2013)13
« ce processus correspond
au fait d’effectuer un choix entre plusieurs modalités d’actions possibles lors de la confrontation
à un problème, le but étant de le résoudre en traduisant le choix fait en un comportement (en
une séquence d’action). Elle implique un certain nombre d’opérations distinctes : la définition
de l’objet (ce sur quoi porte la réflexion et portera la décision), la recherche, l’analyse et
l’organisation des informations utiles, l’élaboration et l’évaluation d’hypothèses de décisions
en prenant en particulier appui sur des connaissances et/ou des expériences antérieures, le
choix d’une hypothèse de décision et sa mise en œuvre ».
Dans une situation naturelle, il a été démontré que les experts n'ont pas le temps de générer
plusieurs options et qu’un modèle analytique de la prise de décision ne reflète pas la
12 Laurent Aucher & Frédérique Barnier, « L’entreprise de dépossession. Entretien avec Danièle Linhart
», La Vie des idées , 22 mai 2015. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-entreprise-de-
depossession-3054.htm
13
Allain Philippe, « La prise de décision : aspects théoriques, neuro-anatomie et évaluation », Revue
de neuropsychologie, 2013/2 (Volume 5), p. 69-81. DOI : 10.3917/rne.052.0069. URL :
https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2013-2-page-69.htm
23 sur 52
complexité des situations naturelles (Kobus, et al. 200114
). Klein (1997)15
pour sa part, montre
que dans des conditions où le temps manque, les informations sont ambiguës, les buts non
clairement définis et les conditions changeantes les experts n'effectuent pas de comparaison
formelle entre diverses options mais font appel à leur expérience et leur intuition pour
générer une solution satisfaisante. Dans une situation naturelle, les experts sont capables de
prendre des décisions rapidement et de manière satisfaisante, car ils apparient les
caractéristiques de la situation avec une situation générique. Pour aller plus loin, Van
Hoorebeke et al. (2008) 16
nous amène à considérer “que les émotions sont parties intégrantes
de la prise de décision, hypothèse préalablement démontrée par les sciences en neurologie”.
De ce fait, la rationalité de beaucoup de décisions prises au sein de l’entreprise pose question !
C’est là que la pertinence d'utiliser l’intelligence artificielle dans le processus de prise de
décision prend toute sa dimension. Pour rappel, l’intelligence artificielle a pour ambition
première de reproduire le processus cognitif de l’humain. De ce fait, il apparaît légitime de
s’interroger sur son utilisation comme dispositif d’aide à la décision/prise de décision.
Shrestha (2019), dans son article17
publié dans le HBR, nous offre une lecture intéressante
des spécificités de la prise de décisions par l’humain et par la machine et démontre que
l'utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle introduit un nouvel ensemble de défis à ce
problème séculaire.
En synthétisant des modèles robustes à partir de grands ensembles de données couplées aux
algorithmes d'apprentissage automatique, l’IA permet la création de nouvelles informations et
prévisions (à condition que l'avenir puisse être assez bien prédit par les données existantes).
On aboutit alors à la promesse de décisions rapides, précises, reproductibles et à faible coût,
avec une qualité proche de l'intelligence humaine.
Toujours dans sa publication, Shrestha identifie les particularités de la prise de décision
humaine et basée sur l'IA selon cinq facteurs de contingence clés:
● la spécificité de l'espace de recherche de décision ;
● l’interprétabilité du processus et du résultat de la prise de décision ;
● la taille de l'ensemble alternatif ;
14
Kobus, D., Proctor, S., & Holste, S. (2001). Effects of experience and uncertainty during
dynamic decision making. International Journal of Industrial Ergonomics , 28 (5), 275-290.
15
Klein, G. (1997). The recognition-primed decision (RPD) model: Looking back, looking
forward. Dans C. Zsambok, & G. Klein, Naturalistic decision making (pp. 285-292). Lawrence
Erlbaum.
16
Van Hoorebeke, Delphine. « L'émotion et la prise de décision », Revue française de gestion, vol. 182,
no. 2, 2008, pp. 33-44.
17
Organizational Decision-Making Structures in the Age of Artifcial Intelligence
24 sur 52
● la vitesse de prise de décision ;
● et enfin la reproductibilité.
Nous allons expliciter brièvement des 5 facteurs qui permettent ensuite d’établir un comparatif
entre les 2 modes de prises de décision:
 Spécificité de l’espace de recherche de décision : Parce que les algorithmes d’IA
prennent des décisions basées sur l’optimisation informatique, «l’espace» dans lequel
la décision est recherchée doit être soigneusement spécifié et restreint en termes de
fonction objective ;
 Interprétabilité : l’utilisation d’algorithme de machine/deep learning ne permet pas, à
date, d’aboutir à une explication de la façon dont l’IA arrive à sa décision. Les décideurs
humains peuvent en revanche expliciter les étapes de leur raisonnement et fournir des
justifications pour lesquelles ils ont pris une certaine décision. Cependant, même si ces
explications ou les récits des processus décisionnels peuvent être plus
compréhensibles, ils ne sont pas toujours exacts, véridiques ou complets. En effet, il
existe des preuves solides que les décideurs humains sont enclins à fournir des
comptes rendus rétrospectifs déformés des situations et des décisions et à maintenir
des biais qui sont relativement inaccessibles.
 Taille de jeu de donnée: Parce que les algorithmes basés sur l’IA utilisent une
recherche automatisée du meilleur modèle d’ajustement, ils peuvent être utilisés pour
évaluer le même ensemble de fonctions objectives de manière uniforme et cohérente
sur des millions d’alternatives. A ce jeu, l’humain ne peut rivaliser, étant limité par les
performances cognitives du cerveau.
 Vitesse de prise de décision : Aujourd’hui, les progrès technologiques ont permis
l'avènement d'infrastructureS de calcul permettant de réaliser des calculs complexes à
la base de processus de décision à une vitesse quasi instantanée. Pour illustration,
cette fonctionnalité algorithmique a eu un grand impact sur la prise de décision dans
des contextes à grande vitesse, comme le trading de devises à haute fréquence. En
revanche, la nécessité de prendre des décisions rapides peut être préjudiciable aux
résultats de la prise de décision humaine. Sous une pression temporelle élevée, les
décideurs utilisent souvent des heuristiques pour surestimer ou ignorer volontairement
certaines informations et en ignorer d’autres, ce qui conduit à un compromis entre la
précision et la vitesse.
 Reproductibilité : Les algorithmes d’IA suivent des processus de décision standards
et non ambigus – mais relativement inflexibles – qui fournissent des résultats cohérents
avec des entrées cohérentes. La prise de décision humaine, en revanche, implique
une variance inter et intra-individuelle de l’expérience, des modèles d’attention, des
25 sur 52
émotions et du traitement de l’information qui influencent le type d’informations que les
individus consultent, encodent et récupèrent lorsqu’ils prennent des décisions. La
reproduction des résultats s’avère alors problématique.
Cette analyse permet de dresser un comparatif entre les 2 modes de process de décision
(Humain/ Machine) selon ces 5 facteurs :
Conditions de
Prise de Décision
Process de décision Machine Process de Décision Humain
Spécificité de
l'espace de
recherche de
décision
Nécessite un espace de recherche de
décision bien spécifié avec des
fonctions d'objectif spécifiques.
Est en mesure de traiter d’un espace de
recherche de décision mal défini.
Interpretabilité
La complexité des algorithmes peut
rendre difficile l'interprétation du
processus de décision et des
résultats.
Les décisions sont explicables et
interprétables, bien que vulnérables et
perméables aux biais
Taille du jeu de
données
Peut traiter de très grands jeux de
données
Capacité limitée à évaluer uniformément un
grand jeu de données
Vitesse de prise
décision
Comparativement rapide.
Compromis limité entre vitesse et
précision.
Relativement lent.
Haut compromis entre vitesse et précision.
Reproductibilité
Le processus décisionnel et les
résultats sont hautement
reproductibles en raison de la
procédure de calcul standard.
La réplicabilité est vulnérable aux facteurs
inter et intra-individuels tels que les
différences d'expérience, d'attention, de
contexte et d'état émotionnel du décideur.
Figure 2 Comparatif des modes de process de décision par l’homme et par la machine
La question qui s’inscrit naturellement à la suite de cette analyse est le devenir de la prise de
décision humaine face aux outils d’intelligence artificielle. Le corollaire de ce questionnement
est le devenir de la place des Managers/ Experts au sein des organisations et l’évolution du
pouvoir et de l’influence qui leur sont conférés. .
2.4.1 Le devenir des Managers et Experts à l’heure de l’avènement de l’IA dans
le processus de prises de décisions
Yann Ferguson18
, sociologue, nous donne des éléments de réponse à cette question. Selon
lui, les interactions hommes / IA aboutiront à 4 configurations de combinaisons en fonction du
degré de transfert (dépossession !) de la connaissance entre l’homme et l’IA et la criticité de
18
Ferguson, Yann. « 1. Ce que l’intelligence artificielle fait de l’homme au travail. Visite
sociologique d’une entreprise », François Dubet éd., Les mutations du travail. La Découverte,
2019, pp. 23-42.
26 sur 52
la finalité de la décision. La criticité peut être, déterminée par les critères suivants : Quel est
l’impact, notamment humain, si je me trompe ? La décision est-elle réversible ?
Pour Yann Ferguson, on distinguera 4 configurations de complémentarité Homme/Machine
aboutissant à 4 nouveaux statuts d’employés : l’Homme remplacé, l’Homme Dominé, l’Homme
Augmenté et l’Homme Ré-humanisé. Les paragraphes ci-dessous reviennent sur la définition
de chacune de ces configurations.
L’Homme remplacé, correspond à la situation où l’intelligence artificielle assure de façon
autonome des tâches qui étaient auparavant prises en charge par des salariés. Ces tâches
présentent souvent un très haut degré de répétitivité et ne relèvent pas d’un niveau de criticité
élevé. Elles peuvent consister, à titre d’exemple à répondre à des questions récurrentes de
façon automatisée (chatbot), détecter par Computer Vision des défauts sur des pièces
fabriquées en série….Pour Yann Ferguson, cette configuration “ne supprime pas d’emplois
pour autant”. En effet, délestés de tâches répétitives à faible valeur ajoutée, les employés
peuvent alors s’investir sur des tâches plus complexes et à plus forte valeur ajoutée;
L’Homme Dominé : On serait tenté de rapprocher par réflexe inconscient ou pas cette
configuration du “mythe de Frankenstein”, qui reste la parabole de référence sur les dangers
du progrès scientifique, à savoir que l’avènement d’”algorithmes supposant la construction
d’une intelligence artificielle forte, c’est-à-dire dotée d’un libre arbitre, d’une conscience de soi
et d’une intelligence -générale”19
. Cette théorie n’a pour le moment aucune base théorique.
Pour le sociologue, l’IA peut en revanche nourrir une « domination-rationalisation » plus
insidieuse : parce que la machine saura interpréter une quantité phénoménale de données,
au-delà des limites humaines, elle pourra être amenée à déposséder les hommes de leur
expertise. Toujours d’après le sociologue, « Cette collaboration déséquilibrée entre l’homme
et la machine intelligente pourrait atteindre l’engagement au travail. Si le programme réussit
mieux que lui, comment ne pas tomber dans l’écueil d’une délégation totale qui ressemble à
une soumission à la décision automatique ? ».
L’Homme augmenté : cette configuration répond à la définition d’une amélioration
significative de l’expertise de l’Homme grâce à des outils d'intelligence artificielle. Dans l’article
sus-mentionné, le sociologue précise que : “L’« Homme augmenté » développerait donc des
modes de complémentarité « capacitante » avec l’IA avec pour conséquence :
19
“Mutations du travail : les différents profils de l’intelligence artificielle”, LE MONDE, 23/11/2018
27 sur 52
● « Une délégation croissante à l’IA des compétences techniques et des connaissances
associées ;
● des compétences analytiques et de résolution de problèmes renforcées chez l’homme
● un temps libéré par l’IA qui entraîne un renforcement des aspects relationnels de
l’emploi. »
L’Homme ré-humanisé : Configuration distincte ou conséquence naturelle des 3
configurations évoquées en amont ? La question est légitime car quoi qu’il en soit l’Homme
délesté de tâches automatiques ou bénéficiant d’outils optimisant ses performances sera
amené à s’investir sur des tâches que le sociologue qualifie “de plus dignes de son
humanité”.”L’IA rencontrerait enfin l’homme sur sa singularité” et le travailleur de demain aura
le loisir d’explorer davantage ses compétences de créativité, d’adaptation, d’intuition,
d’imagination, d'initiative, et de prise de risques.
Pour recentrer notre propos sur le devenir des Managers et des Experts, il apparaît que
l'incursion de l’IA dans les processus de prise de décision pourrait aboutir indirectement à une
remise en question de leur légitimité, leur influence et leur pouvoir. Ces craintes sont fondées
et peuvent prendre les formes ci-dessous :
● De la toute-puissance des Experts/Manager à l’ “Homme Dominé” : En perte
d’influence voire remis en question par des outils d’intelligence artificielle plus
performants en termes de prévision, les Experts/Managers risquent de subir la
décentralisation du processus décisionnel voire la réduction des niveaux hiérarchiques
pouvant leur être préjudiciable. On généralisera alors le passage d’un processus
décisionnel basé sur l'expérience voire l’intuition, à un processus décisionnel de terrain
basé sur les données ;
● La nécessaire explicabilité du processus de prise de décision
humaine....révélatrice les biais : La création d’algorithme d’aide à la décision
reposera, comme tout algorithme d’intelligence artificielle, sur une base
d’apprentissage. Cet apprentissage s’effectuera sur un historique de cas et situations
et s’attachera à analyser le raisonnement des experts afin de le “programmer”
informatiquement. Cette phase d’audit peut s’avérer difficile à vivre et susceptible de
révéler au grand jour les biais dont les experts faisaient usage. Pour illustrer cette
hypothèse, nous pouvons citer le cas d’Amazon et son outil d’IA de recrutement. Le
géant américain avait entrepris d’automatiser la présélection de CVs dans le cadre des
processus de recrutement. « Ils voulaient littéralement que ce soit un moteur dans
lequel on met 100 CV et il ressort les cinq meilleurs en vue de leur recrutement 20
». La
20 « Quand le logiciel de recrutement d'Amazon discrimine les femmes », LES ECHOS, 13 octobre 2018
28 sur 52
conception de l’outil a nécessité une phase d’audit auprès des Experts en recrutement
de la société afin de comprendre leur raisonnement de prise de décision et d’identifier
les critères orientant leur décision de retenir ou écarter un candidat. L'algorithme ainsi
développé a par la suite été entraîné sur un corpus de CV reçus par le groupe sur une
période de dix ans.
La mise en œuvre opérationnelle de l’outil a alors démontré que l’outil privilégiait les
candidatures d’hommes au détriment des femmes manouvre que l’on pourrait qualifier de
discrimination sexiste. A qui la faute ? D’aucuns, friands de théories les plus farfelues sur
l'intelligence artificielle désigneront la responsabilité de l’intelligence artificielle ! Or à y regarder
de plus près, l’algorithme n’a fait que reproduire un résultat lié à ce qu’il avait lui-même appris
à partir du corpus d’apprentissage : au cours des 10 dernières années les candidatures
hommes étaient quasi-systématiquement privilégiées vs les candidatures femmes. Les
Experts en recrutement avaient omis sciemment ou inconsciemment de préciser ce critère de
sélection, particulièrement inavouable, aux concepteurs de l’algorithme et ce biais s’était
naturellement vu répété et amplifié par l’outil. Ce que nous démontre ce cas spécifique est que
le transfert du raisonnement cognitif d’un expert vers un outil d’intelligence artificielle
représente une réelle menace d’une “mise à nu” de leur process de prise de décision, jusque-
là masqué par la légitimité de leur expérience et de leur intuition. En ce sens, leur crainte d’une
ingérence de l’intelligence artificielle dans leurs affaires courantes est particulièrement fondée
et ne fera que motiver et renforcer leur résistance au changement.
2.4.2 Les manifestations plus ou moins subtiles de la résistance au
changement
Intéressons-nous désormais à la façon dont pourrait se manifester cette résistance au sein
des organisations. Dans cet exercice, la distinction entre managers et experts nous paraît
nécessaire, car les managers, du fait de leur statut auront, comme nous expliciterons, un
comportement moins libre, du fait de leur statut de relais de décisions venues d'”en haut”.
Les décisions de transformation d’une entreprise vers une mise en œuvre étendue de
l’intelligence artificielle est conduite généralement sous l’impulsion de la direction générale. Le
plus souvent, une organisation centrale sera instaurée (Centre d’expertise) chargée de diffuser
à large échelle la culture de la data, l'expérimentation et l’industrialisation de l’intelligence
artificielle. Les Managers et les Experts auront peu de latitude de se dresser contre cette
dynamique mais le feront avec les moyens dont ils disposent encore, à savoir le pouvoir et
surtout leur influence.
Le Manager, pour commencer, par réflexe dans ce type d’organisation va se présenter comme
ouvert au changement car, d’après Yann Ferguson, “dans la dichotomie des représentations
29 sur 52
collectives le manager est celui qui amène le changement et les résistants sont les résistants
de base”21
. Thibaud Brière, Philosophe, évoque pour sa part une certaine ”hypocrisie
organisationnelle22
”. Contraint par son statut de relais de décisions managériales, il ne pourra
exprimer de façon manifeste et ostensible son opposition et son inquiétude à l’adoption de
solutions d’intelligence artificielle dans les processus de prises de décision. Ses marques
d’opposition seront plus subtiles : absence de fluidité dans la coopération, rétention de
données, communication de données erronées...Alors qu’il lui est demandé d’être
officiellement partie prenante des projets, ils s'érigeront, comme Yann Ferguson les qualifie,
en “parties trainantes du projet”.
Concernant l’Expert, sa position sera moins équivoque face à la l’introduction d’outils qu’il aura
contribué à construire et susceptible à terme de le remplacer. Bien qu’on lui aura introduit les
outils d’intelligence artificielle comme ayant le pouvoir de les « augmenter”, cette catégorie
d’employés pourrait rejeter l’idée qu’une machine puisse faire mieux qu’eux et ignorer les
recommandations formulées par un outil d’IA pour les aider dans leur quotidien. D’autant plus
si ce dernier, en perpétuel apprentissage, fournit dans un premier temps des résultats moins
convaincants qu’attendus. Ce comportement est notamment connu sous le nom d’’aversion
aux algorithmes et a été caractérisé par une étude 23
menée par des chercheurs de l’Université
de Pennsylvanie. Ces chercheurs ont démontré qu’une partie de la résistance à l’utilisation
d’algorithmes prédictifs provient, en partie, d'une plus grande intolérance aux erreurs des
algorithmes que des humains. Ainsi, les gens vont perdre plus rapidement confiance en un
algorithme qu’en un Expert humain après les avoir vu faire la même erreur. De de fait, en cas
de mise en œuvre d’outil d’aide à la décision imparfait, le risque est de taille que l’Expert, joue
de son pouvoir et son influence pour diffuser cette aversion aux algorithmes et ainsi s’ériger
en un obstacle à l’adoption d’approches similaires. Cette déconvenue n’est pas à négliger
tant la probabilité d’erreurs de prévisions par l’outil existe, comme elle l’est dans pratiquement
toutes les tâches de prévision.
Nous avons jusque-là tenté d’expliciter, comment, de par leur modèle d’organisation, les
entreprises héritières des pratiques tayloriennes ou néo-tayloriennes, ne constituaient pas des
terrains favorables pour permettre une évolution vers des schémas d’organisations AI-Driven.
L’un des écueils est qu’au-delà d’une absence de culture de la donnée, ces organisations sont
intrinsèquement gangrenées par des luttes d’influence et de pouvoir d’une catégorie de leurs
salariés de haut rang. Leur pouvoir de nuisance est réel et il pourra venir saper les efforts des
21 Entretien avec Yann Ferguson, 08/04/2020
22 Entretien avec Tibaud Brière, 06/04/2020
23
Dietvorst, B., Simmons, J. P., & Massey, C. (2015). Algorithm Aversion: People Erroneously Avoid
Algorithms after Seeing Them Err.,Journal of Experimental Psychology: General, 144 (1), 114-126
30 sur 52
organisations à une adoption massive de l’intelligence artificielle dans les processus de prise
de décision.
2.5 LES ENTREPRISES « LIBEREES » : UN TERRAIN PLUS FAVORABLE A
UNE DIFFUSION MASSIVE ET INTEGREE DE L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE AU SEIN DES ORGANISATIONS ?
A partir de ce constat, nous pouvons légitimement présumer que les entreprises qui se seront
affranchies de la strate de « management intermédiaire » voire de “baronnie”, ont un
avantage substantiel dans leur volonté d’évoluer vers un modèle d’organisation AI Driven. Ce
type d’entreprises existe et elles ont fait le choix, d’après D. Linhardt24
, d’un “salariat de
confiance”, une nouvelle phase dans l’abandon des modes de management taylorien.
Ces organisations se présentent comme des alternatives radicales à une Organisation
Scientifique du Travail : réticulaires, démocratiques, participatives, matricielles et adeptes des
pyramides hiérarchiques inversées.
Certaines des entreprises représentant ce courant sont plus connues sous le terme popularisé
par Isaac Getz dans son ouvrage, Liberté et Cie25
, d'entreprises libérées. Ces entreprises sont
gouvernées par des « patrons libérateurs » et ces derniers se reconnaissent dans le fait,
toujours selon D. Linhardt, “qu’il faut faire confiance aux salariés pour qu’ils déploient le travail
réel efficace, nécessaire et ajusté”. Ce qui importe, pour ces managers critiques, “c’est de
permettre aux travailleurs de gérer, réguler eux-mêmes leur travail, pour s’y sentir à l’aise et y
être plus efficaces. Ils veulent faire toute sa place au travail réel car il est adapté aux situations
de travail qui sont de plus en plus fluctuantes et imprévisibles. Ils veulent miser sur la fluidité,
l’agilité, ne pas laisser les prescriptions rigidifier les capacités d’adaptation et la réactivité. Ils
veulent aussi que les salariés de base prennent en charge d’autres missions auparavant
réservées à l’encadrement intermédiaire, ou aux fonctions supports”.
Le postulat de la libération des entreprises est alors clair : « les salariés savent mieux faire sur
le terrain que leur hiérarchie et leur direction”. Les modes d’organisation évoluent en
conséquence de façon à ce qu’ils puissent “s’auto manager, s’auto motiver, s’auto diriger,
s’auto contrôler et s’auto discipliner. Ils le feront individuellement et au sein d’équipes
pluridisciplinaires qui seront le cœur de l’entreprise”.
Le corollaire de cette large autonomie et responsabilisation conférée au salarié est que les
organes de direction de ces entreprises libérées “se pass[ent] de nombreux cadres,
notamment des cadres de proximité et cadres intermédiaires ainsi que de certaines fonctions
24
LINHART, Danièle. LES FORMES MODERNES DE L’EMPRISE MANAGERIALE. Educ. Soc.
[online]. 2019, vol.40 [cited 2020-06-14], e0219374
25 GETZ, Isaac, CARNEY, Brian M. Liberté & Cie. Paris : Flammarion, 2016
31 sur 52
supports, sans pour autant tomber dans l’anarchie [...] . Le courant des « entreprises libérées
» opère ainsi un déplacement : il se détourne d’une partie des cadres notamment
intermédiaires (qu’elles éliminent) pour tenter de retrouver avec tous les salariés une relation
de confiance basée sur une délégation de parcelles d’autonomie en contrepartie d’une loyauté
totale”.
Si nous nous référons aux valeurs des entreprises numériques performantes énoncées en
partie 1 de cette thèse, à de leurs pratiques (expérimentation rapide, auto-organisation, prise
de décision basée sur les données…) , il semblerait, que dans la course à la mise au profit de
l’IA, les entreprises de type “libéré” aient acquis un certain avantage. Il est cependant à
souligner qu’au-delà du fait de s'être affranchies des castes de managers encombrants et des
experts réfractaires, les entreprises libérées possèdent d’autres atouts susceptibles de
conférer un terrain favorable à la diffusion de l’IA. En effet, lorsque l’IA est adoptée dans
l’ensemble d’une entreprise, les algorithmes permettent aux employés de tous les échelons
d’améliorer leur propre jugement ou leur intuition et de fournir de meilleures réponses que
celles des humains ou des machines seules. Mais cette approche ne peut fonctionner que si
les collaborateurs font confiance aux suggestions des algorithmes et ont le sentiment d’être
habilités à prendre des décisions, ce qui signifie qu’il faut un nécessaire abandon de la
traditionnelle approche descendante, de favoriser les approches “test and learn”, et d’autoriser
le droit à l’erreur. En effet si un salarié doit consulter son supérieur avant d’agir dans le sens
du partage ou de l’exploitation de donnée, cela réfrénera irrémédiablement une utilisation
fluide de l’IA dans les affaires courantes des organisations.
Cependant, rappelons qu’une culture d’entreprise libérée ne constitue pas le seul facteur
favorisant une évolution vers une entreprise dite AI-Driven. Elle en constitue, certes un terreau
favorable, mais il sera incontournable d’avoir au préalable diffusé une culture de la donnée et
de faire preuve d’un leadership puissant en ce sens.
A l’issue de cette partie, devons-nous conclure que les entreprises néo-tayloriennes sont
condamnées à ne tirer profit de l’IA qu’à travers d’initiatives éclatées dans différents silos ?
Sont-elles contraintes à révolutionner la façon dont les personnes et les organisations
interagissent, réinventer leurs industries et briser le pouvoir des portiers enracinés ? En
d’autres termes à transformer leur organisation et ainsi transcender le Paradoxe de Solow ?
Dans la prochaine partie, nous nous baserons sur l’idée selon laquelle développer une culture
prête pour accueillir l’IA ne signifie pas supprimer tout ce qui est bon dans la culture d'une
entreprise traditionnelle. La transformation pourra se faire sans sacrifier l’intégrité et la stabilité
des entreprises. Au lieu de cela, il s’agira d’introduire de nouvelles pratiques tout en affinant
d’autres. Nous proposerons ainsi un ensemble de mesures opérationnelles et intégrées
32 sur 52
susceptibles de constituer, pour ces entreprises, une roadmap pragmatique et opérationnelle
dans la longue route qui les conduira au statut d’entreprise d’AI Driven.
33 sur 52
3 PARTIE III : COMMENT LES ENTREPRISES STRUCTUREES
AUTOUR DE MODELES D’ORGANISATION TRADITIONNELS
PEUVENT SE PREPARER A LA MONTEE EN PUISSANCE DE L’IA
?
Nous avons démontré tout au long des chapitres précédents, que la mutation des grandes
organisations traditionnelles en acteurs AI-Driven, relevait d’un challenge particulièrement
complexe. Nous avons identifié trois enjeux auxquels ces entreprises devront être confrontées
à savoir :
● Favoriser une adoption massive de l’IA en dépit des fantasmes qui y sont associés et
d’un défaut avéré de compétences nécessaires à la mise en œuvre de ces
technologies ;
● Assurer la maîtrise de zones de résistances fortes, potentiellement souvent nichées
dans les hautes sphères de la pyramide hiérarchique;
● Nécessité de gérer à la fois le temps court pour l'expérimentation, et le temps long pour
construire patiemment un nouveau modèle, car le temps est nécessaire pour faire
évoluer les hommes et leurs métiers.
Ce serait une erreur de considérer qu’il suffirait de se doter d’une armée de data scientists
expérimentés pour résoudre les problématiques basées sur la donnée, car dans la plupart des
entreprises qui ne sont pas, par essence, numériques, les mentalités et les façons de travailler
traditionnelles vont à l’encontre de celle requises par l’intelligence artificielle. Le changement
doit être plus profond.
Cela explique pourquoi, beaucoup de grands groupes ayant montré un intérêt à évoluer vers
une plus grande utilisation de l’intelligence artificielle dans leurs process échouent à la diffuser
massivement et faire perdurer son utilisation dans le temps. Ces entreprises ont commis le
péché de considérer l’IA comme un simple objet technologique, comme en témoignent leurs
choix de déploiement de datalake ou l’embauche massive de data scientists/data engineers
alors qu’il n’existe pas de stratégie globale, tout au plus, des cas d’usages isolés.
Alors, quelles options s’offrent aux entreprises pour entreprendre un changement profond vers
de nouveaux modes de travail AI & Data-Driven sans bouleverser leurs fondamentaux ?
Pour répondre à cette question, nous nous inspirons des propositions d’Hervé Baculard, de
KEA PARTNERS, qui identifie quatre modalités pour la promotion et l’ancrage de nouvelles
34 sur 52
méthodologies de travail potentiellement perturbatrices26
au sein d’entreprises empruntant des
modèles d’organisations traditionnels. Ces différentes modalités peuvent être combinées
dans l’espace et dans le temps. Dans notre cas d’espèce, elles se déclinent comme suit :
● Racheter un acteur déjà orienté AI et Data-Driven et l’absorber pour changer l’ADN de
l’ensemble de l’organisation ;
● Engager le fer en interne en surinvestissant dans la technologie et en recrutant une
masse critique de collaborateurs déjà acculturés à l’importance de la donnée. Cette
masse critique doit être suffisante pour faire bouger les lignes ;
● Créer à côté du core business une fabrique de nouveaux usages et business et
essaimer par osmose et en continu ;
● Multiplier et faire rayonner les initiatives pour acculturer l’entreprise à un mindset data-
driven.
Dans la proposition de transformation que nous présenterons ci- après, nous avons fait le
choix d’activer les 3 derniers leviers. Leur mise en oeuvre opérationnelle servira de base pour
une évolution en profondeur de l’organisation et une mutation des collaborateurs et elle
s’appuiera sur 4 leviers suivants, dont nous détaillerons les fondations ci-après :
● Un Leadership et Sponsoring du projet de transformation de très haut niveau,
engageant le Dirigeant en personne ;
● L’émergence d’une Culture de la Donnée et d’une Culture du Risque ;
● La mise en place d’une Organisation dédiée, en limitant l’impact sur les fondamentaux
de la structure et l’organisation d’origine;
● Et enfin, un traitement particulier des freins humains (People) de la résistance au
changement.
3.1 UN LEADERSHIP DE HAUT NIVEAU
Le handicap majeur auquel seront confrontées les entreprises traditionnelles lors de leur
volonté d’une appropriation massive des technologies d’intelligence artificielle, pourrait être la
défiance non exprimée de la part de leur salariés, toutes strates confondues, à l’égard de l’IA.
L’IA est une technologie aux usages multiples, techniquement complexe à appréhender. Les
cas d’usage ne sont pas triviaux et surtout, elle est entourée de fantasmes liée à médiatisation
à outrance et déformante : mythe de la singularité, impact sur l’emploi etc. Dans ce contexte
26
Hervé BACULARD, La transformation socio-digitale, La Revue, KEA PARTNERS, juillet 2019
35 sur 52
défavorable comment faire adhérer les troupes à l’adoption massive et durable de cette
technologie ?
Un des premiers réflexes pourrait être de convoquer le sentiment d’urgence. Face à
l'émergence de nouveaux acteurs bouleversant les configurations concurrentielles, l’entreprise
est confrontée à un dilemme : se transformer ou mourir. L’IA se dresse alors comme l’un des
principaux leviers de cette transformation nécessaire. Cette stratégie est à double tranchant :
si trop souvent invoqué par le passé tel un épouvantail, cet argument pourrait avoir perdu de
sa superbe. Par ailleurs, le côté alarmiste pourrait freiner l’élan d’enthousiasme et de volonté
que nécessite cette transformation. L’IA serait alors vue comme une obligation contraignante
et la motivation nécessaire à son adoption serait émoussée.
Pour explorer d’autres options, intéressons-nous au Leadership d’entreprises AI-Driven
existantes. Dans un article publié dans le MIT Sloan Management Review, Davenport T. et
Foutty J.(2018)27
liste les points communs des Dirigeants ayant transformé leur entreprise en
organisation AI & Data-Driven. Ces points communs sont listés ci-dessous :
● Ils sont technophiles et comprennent le fonctionnement des technologies d’intelligence
artificielle ;
● Ils établissent des objectifs clairs quant à l’utilisation des technologies d’IA;
● Ils fixent un niveau d'ambition approprié;
● Leur vision quant à l’utilisation de l’IA va au-delà des pilotes et des POCs;
● Ils ont conscience de la nécessité d'embarquer leurs collaborateurs dans une nouvelle
aventure et de leur expliquer les impacts futurs tant sur leur savoir-faire que sur leur
façon de travailler;
● Ils mettent les moyens en œuvre pour obtenir les données nécessaires ;
● ils orchestrent des organisations collaboratives.
Au-delà de ces attributs, il s’avère que ces leaders appliquent au quotidien ces principes, ne
s’arrêtant pas à énoncer de bonnes pratiques, préconisations et recommandations.
“L'exemplarité n’est pas une façon d’influencer les autres, c’est la seule”, disait Albert
Schweitzer. De ce fait, pour revenir à notre proposition, les dirigeants doivent être intimement
convaincus de la nécessité de s’appuyer sur les données pour orienter leurs décisions et
mettre en œuvre cette croyance afin d’amorcer le développement d’une culture axée sur la
27
T.DAVENPORT, J. FOUTTY, AI Driven Leadership, MIT Sloan Management Review, August 10,
2018
36 sur 52
donnée. Leurs décisions devront être prises à l’aune des analyses de données et en
miroir, ils devront exiger de leurs collaborateurs qu’ils en fassent de même. .
Le second levier du ressort du dirigeant pour la diffusion des technologies d’IA au sein de son
organisation est de s’ériger comme un puissant relais de diffusion des initiatives prises au
sein de son organisation relatives à l’exploitation des data grâce à l’IA. Cette reconnaissance
publique de telles initiatives devraient encourager d’autres services/collaborateurs à s’engager
dans cette voie.
L’un des corollaires est que le leader porteur de cette stratégie de transformation s’adresse
directement à ses collaborateurs quelle que soit leur place dans l’organisation. Ce
contournement des strates intermédiaires permettra notamment la diffusion de messages
uniformes, non soumis à quelque interprétation ou déformation inopportune de la part des
Managers et préjudiciable à la bonne dynamique de transformation de la société.
Enfin, il sera indispensable, pour aller au-delà des POCs et des initiatives dispersées, qu’une
vision écosystémique de l’utilisation de l’IA et des données au sein de l’entreprise soit
clairement affichée par le Dirigeant. Cette vision se matérialisera, entre autre, par une
organisation dédiée dont nous détaillerons les modalités plus en aval.
3.2 CULTURE DES DONNEES ET CULTURE DU RISQUE
Par définition, le changement de culture au sein d’une entreprise consiste à changer l’état
d’esprit collectif des collaborateurs et de faire évoluer leurs certitudes et convictions intimes
afin d’impacter durablement les façons de collaborer et de travailler.
Dans notre cas présent, l’obstacle à franchir est monumental, tant les croyances entourant
l’IA s'érigent comme un frein plutôt qu’un catalyseur dans l’adoption d’un nouveau mindset et
de nouvelles pratiques. L’un des premiers écueils à éviter est de recourir à une approche
“techno-push”, où la transformation est poussée par la technologie et qui, d’après Yann
Ferguson28
, a pour conséquence de “confondre la fin et le moyen”. Si, pour des questions
d’image et de marketing, il peut sembler séduisant de tout focaliser sur l’Intelligence artificielle,
on s’éloigne du réel objectif de la transformation qui s’avère être une optimisation de
l’exploitation de la donnée par des outils d’intelligence artificielle. Cette erreur n’est pas sans
risque. En effet, une approche techno-push aboutirait à “faire de l’IA pour faire de l’IA” et ainsi
à conduire, comme c’est souvent le cas, à une dispersion d’initiatives disséminées dans des
silos distincts, sans réelle valeur ajoutée et sans aucune logique de synergie. L’IA serait alors
28
Entretien avec Yann Ferguson du 08/04/2020
37 sur 52
considérée, à juste titre, comme un levier de transformation mais sans objectif clair donné à
son utilisation, l’impact sur les organisations sera plus que limité.
De ce fait, il apparaît alors indispensable de faire la distinction entre une meilleure exploitation
de la donnée (finalité) et l’intelligence artificielle qui n’est que l’outil, dès l’évocation d’un futur
programme de transformation. D’aucuns seraient même enclins, à bannir volontairement le
terme d’intelligence artificielle, afin de se défaire rapidement des fantasmes pouvant freiner
son adoption. Du discours fondateur du dirigeant aux initiatives lancées dans les différents
services, l’adage selon lequel la transformation doit passer par une meilleure exploitation des
données devra s’ériger comme le fil conducteur de la stratégie de transformation.
Évoquons désormais la stratégie de changement de culture. Elle devra aborder deux volets
distincts : favoriser la Culture de la Donnée et encourager la Culture du Risque
3.2.1 Favoriser la Culture de la Donnée
La première étape pourrait s’apparenter à une réelle opération de déminage. La
positionnement doit être clair : “Oui, nous allons utiliser massivement des outils d’intelligence
artificielle pour permettre une meilleure exploitation de nos données ! Mais, nous nous
engageons à que son utilisation soit raisonnée !”
A cet égard, il apparaît nécessaire de concrétiser ce positionnement en érigeant un cadre
transparent et intelligible d’utilisation des technologies d’intelligence artificielle, spécifiant
notamment :
● l’objectif (meilleure exploitation des données) ;
● le niveau d’ambition;
● les frontières éthiques (ex : impact emploi, impacts humains...);
● les conséquences RSE.
Cette concrétisation peut prendre la forme d’une “Charte Ethique” ou d’un “Code de bonne
conduite” et résulter d’une rédaction collaborative. Ce travail peut permettre d’exorciser les
craintes inconscientes, collectives et non exprimées liées à l’Intelligence artificielle.
Au-delà du fait de conjurer les craintes de chacun, ce travail collectif permettra également
d’être le premier jalon de l’engagement des collaborateurs dans cette transformation où
chacun d’entre eux devra jouer sa partition dans ce projet commun.
Les premières pierres ainsi posées, il s’agira ensuite d’amorcer le mouvement et de l’inscrire
dans la réalité. Quels cas d’usages privilégier pour commencer ? Encore une fois, il s’avèrera
38 sur 52
crucial de ne pas négliger cette phase. Même couchées sur papier, les craintes relatives à l’IA
peuvent demeurer vivaces dans l’inconscient de certains esprits réfractaires.
La logique voudrait que l’on se concentre sur des “Quick Wins”, ces projets faciles à mettre en
œuvre et donnant rapidement un résultat probant. Cela reste l'une des meilleures tactiques de
conduite du changement, tant la prise de conscience par les employés des avantages
tangibles de l'exploitation des données par l’IA, rendront particulièrement inaudibles les
arguments sous-tendant la résistance au changement. D’autres critères, autre que la rapidité
de mise en œuvre des projets doivent rentrer en compte si l’on souhaite faire une pierre deux
coups à savoir, faire la démonstration des apports de l’IA tout en dissipant les craintes qui lui
sont liées et qui peuvent freiner son expansion.
A cette fin, nous proposons la grille CSNA (Confort/Soulagement/Nouveaux services
/Augmentation) de priorisation suivante :
● Projet d’IA de “Confort” : Ces projets n’ont pas vocation à permettre des gains de
productivité. Nous nous plaçons dans de l’IA “non marchande”, qui apporte un service
“de confort” nouveau pour les collaborateurs. Au delà de la simple illustration de
l’apport potentiellement positif de l’intelligence artificielle, ces projets permettront
notamment de dissiper cette image de l’IA comme un objet compétiteur de l’Homme.
A titre d’exemple, cette stratégie est employée pour favoriser l’acceptation des
technologies d’IA par les usagers de smartphones. Ces derniers sont pourvoyeurs de
nombreux services basées sur de l’IA, dans lesquels les usagers trouvent un intérêt
précieux : photographie, réalité virtuelle, reconnaissance vocale, de visage,
d'empreintes, d’iris, amélioration de l’enregistrement sonore…Aujourd’hui, peu de
personnes s'insurgent de l’imposante présence de l’IA dans leur outil du quotidien.
Même les plus réfractaires, s'autorisent l’usage de filtres avant d’envoyer leur selfie via
SnapChat ! Au sein des organisations, cette IA de confort peut se matérialiser par des
applications telles que celles développées par l’entreprise COMEET, dont le but est de
favoriser les échanges entre collègues ou offrir des services tels que prévoir le temps
d’attente au Restaurant d’entreprises en fonction des horaires d’ouverture de
l’établissement;
● Projet d’IA de “Soulagement” : Les projets pouvant ensuite être expérimentés seront
ceux qui permettront de résoudre des “points de douleur” clairement exprimés par les
collaborateurs, et d’alléger ces derniers de tâches à faible valeur ajoutée dont ils
souhaitent se défaire. Au-delà de la simple acceptation, ces projets peuvent faire l’objet
d’un enthousiasme certain. On peut citer à titre d’exemple, les solutions de détection
automatique de défaut sur une ligne de production, les assistants conversationnels (ou
39 sur 52
chatbots permettant d’éluder une bonne partie de questions récurrentes et ainsi
d’alléger la charge des services clients), le rapprochement de documents comptables,
l’OCRisation de documents… Toutefois, il faudra être vigilant sur le fait qu’il n’y a qu’un
impact mineur sur l’emploi et que la finalité des projets reste éthiquement acceptable ;
● Projets d’’IA de “Nouveaux services” : Nous rentrons désormais dans l’IA dite
“marchande”, créant de la valeur pour la société au point de la rendre plus compétitive.
Ces solutions devront se concentrer sur les tâches que les humains ne peuvent pas
faire mieux que la machine, mais toujours sans impact sur l’emploi, puisque ces
services n’existaient pas jusqu’alors ! On peut citer à titre d’exemple les processus de
détection de fraude dans les banques ou encore les algorithmes de recommandation
utilisées sur les plateformes tels que Netflix (films/séries) ou Amazon (produits de
grande consommation). Sur ces thématiques, l’IA sera infiniment plus puissante que
l’Humain, qui, pour des raisons de limitations cognitives et physiologiques ne pourra
jamais concurrencer la machine (puissance et vitesse de calcul) ;
● Projets d’IA “Augmentante (Substituante ?”) : Enfin, dans l’hypothèse où les
initiatives précédentes seront couronnées de succès, l’entreprise pourra
raisonnablement décider d’expérimenter des projets susceptibles de lui conférer un
avantage concurrentiel et/ou avec un impact non négligeable sur l’emploi (destruction
ou transformation). Ces projets pourront concerner les processus de prise de décision
et aboutiront à des configurations d’Homme Augmenté/Homme Remplacé. A titre
d’illustration, on pourra évoquer les algorithmes de recrutement de nouveaux
collaborateurs, les outils de trading à haute fréquence ou encore l’utilisation de l’IA
dans les activités de Crédit Scoring, destinées à évaluer le risque emprunteur et par
conséquent d’attribuer ou non un crédit. Jusque-là, ces tâches étaient réalisées par
l’Homme. Les outils d’IA ne viennent que renforcer leur performance mais ont toutefois
le potentiel dans certains cas de se substituer à leur utilisateur.
Pour finir, nous soulignons qu’il reste important de commencer les expérimentations dans le
Département ou la Business Unit qui a le plus de sens afin de se doter d’éléments de
démonstration de l’apport de l’IA dans la chaîne de valeur de l’entreprise.
3.2.2 Encourager la culture du Risque
Comme présenté en amont de ce chapitre, le changement de culture doit aborder aussi bien
l’infusion la culture de la donnée (que nous venons d’évoquer), qu’en parallèle, encourager la
prise d’initiatives et donc une culture du risque.
These professionnelle : l'adoption de l'intelligence artificielle à l'échelle à l'épreuve des modèles d'organisation traditionnels
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  • 1. L’adoption de l’intelligence artificielle à l’échelle à l’épreuve des modèles d’organisation traditionnels Karima BENNIA MBA Management de l’Intelligence Artificielle Promotion 2019/2020 Thèse Professionnelle
  • 2. 1 sur 52 INSTITUT LEONARD DE VINCI THESE PROFESSIONNELLE Présentée pour l’obtention du diplôme de : MBA MANAGEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE Par KARIMA BENNIA L’intelligence artificielle à l’échelle à l’épreuve des modèles d’organisation traditionnels Date de soutenance : 23 juillet 2020 Directeur de Thèse : Joachim MASSIAS
  • 3. 2 sur 52 A mes très chers parents, pour leurs sacrifices et leurs leçons de vie, A Moh, mon compagnon de route et à nos 3 chenapans, pour leur tendre et indéfectible soutien, A mon clan du Petit Etang, pour tous les moments de décompression. (…et aussi à Sheryl, Michelle et Queen B pour leurs discours inspirants !)
  • 4. 3 sur 52 REMERCIEMENTS Cette thèse professionnelle sanctionne 9 mois d’une formation infiniment instructive et enrichissante, et ce parcours d’apprenant n’aurait pas été possible sans le concours de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma gratitude. Je voudrais tout d’abord adresser toute ma reconnaissance à Joachim MASSIAS, Directeur du MBA pour m’avoir permis de suivre cette formation et qui, par ses connaissances, sa patience, sa disponibilité, ses judicieux conseils a contribué à alimenter ma réflexion et mener à bien ce travail. J’adresse également mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questionnements et qui, par leurs discours, leurs écrits et leurs critiques constructives ont guidé mes réflexions. Mes remerciements les plus sincères à Pierre LACAZE, Dirigeant de Synchrone et Cédric HIVERT, DSI pour m’avoir permis de réaliser ce MBA en parallèle de mon activité professionnelle. J’exprime également toute ma gratitude à Jean-Baptiste HUEBER pour ses précieux conseils et son soutien dans ma démarche de reprise d’étude. Je voudrais enfin exprimer ma reconnaissance envers mes amis et collègues (Permanents et de passage du 6è étage de la rue Scribe !) qui m’ont apporté leurs encouragements tout au long de ma période de formation. Sans oublier, ma famille proche et élargie pour leur soutien moral tout au long de ces 9 mois.
  • 5. 4 sur 52 RESUME DE LA THESE PROFESSIONNELLE L’Intelligence Artificielle (IA) est abondamment présentée comme un puissant levier de performances pour les entreprises. Son apport est comparé à l’impact de l’arrivée de l’électricité. On observe que finalement son adoption est très lente et que peu de cas d’usage d’utilisation massive et à l’échelle existent. Au final, l’IA transforme les entreprises mais pas de manière aussi rapide et significative que les experts l’imaginaient. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela :  Absence de data structurée et/ou non adoption des technologies qui rendent possible l’IA : plateformes de développement, puissance informatique, stockage de données…;  Barrière de la confiance/explicabilité ;  Barrières culturelles et organisationnelles. Nous démontrerons à travers cette thèse professionnelle que les barrières culturelles et organisationnelles sont particulièrement critiques et rédhibitoires à une adoption de l’IA à l’échelle et que la typologie de modèles d’organisation impacte fortement le potentiel de se transformer en entreprise AI & Data-Driven. Les entreprises héritières du taylorisme et néo- taylorisme sont particulièrement désavantagées dans ce processus, de par le fait que leur mode de management et leur structure organisationnelle ont favorisé l’émergence d’obstacles s’inscrivant en opposition aux prérequis d’une IA à l’échelle. Sont-elles pour autant condamnées à se transformer radicalement pour s’adapter à accueillir favorablement ces technologies ? Notre ambition est de démontrer que ces entreprises pourront tirer profit du potentiel de l’IA sans sacrifier leur intégrité et leur stabilité. Pour cela, il s’agira d’introduire de nouvelles pratiques et un ensemble de mesures opérationnelles susceptibles de constituer, pour ces entreprises, une première étape dans la longue route qui les conduira au statut d’entreprise d’AI Driven. Mots Clés : Intelligence Artificielle à l’échelle, Entreprises Data-Driven, AI-Driven, modèles organisationnels, néo-taylorisme.
  • 6. 5 sur 52 Table des matières INTRODUCTION..................................................................................................................................... 6 1 PARTIE I / L’ADOPTION DE L’IA PAR LES ENTREPRISES : UNE MATURITE A GEOMETRIE VARIABLE ............................................................................................................................................ 10 1.1 LES « USINES » A POCS .................................................................................................... 11 1.2 LES ADEPTES DE PROJETS D’IA A L’ECHELLE MAIS HYPERSPECIALISES ET SILOTES ........................................................................................................................................... 12 1.3 LES ENTREPRISES AI-DRIVEN.......................................................................................... 13 1.3.1 Une forte culture de la donnée................................................................................... 13 1.3.2 Une libération des données........................................................................................ 13 1.3.3 Un leaderphip « symphonique » ................................................................................ 14 1.3.4 La place réservée aux « Analytics Translators » ..................................................... 14 1.4 VERS UN NOUVEAU PARADOXE DE SOLOW ? .............................................................. 15 2 PARTIE II / COMMENT LES RESSORTS SOCIOLOGIQUES ET ORGANISATIONNELS DES ENTREPRISES NEO-TAYLORIENNES S’ERIGENT COMME OBSTACLES A L’EMERGENCE D’UN MODELE D’ORGANISATION AI-DRIVEN ?........................................................................................ 18 2.1 DU TAYLORISME AU NEO TAYLORISME ......................................................................... 18 2.2 DE LA SILOTATION DES ORGANISATIONS... .................................................................. 20 2.3 … A LA STRUCTURATION DES POUVOIRS DANS L’ENTREPRISE .............................. 21 2.4 L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET LA PRISE DE DECISION : VERS UNE REMISE EN CAUSE DE LA TOUTE-PUISSANCE DES MANAGERS ET DES EXPERTS ................................ 22 2.4.1 Le devenir des Managers et Experts à l’heure de l’avènement de l’IA dans le processus de prises de décisions............................................................................................. 25 2.4.2 Les manifestations plus ou moins subtiles de la résistance au changement ...... 28 2.5 LES ENTREPRISES « LIBEREES » : UN TERRAIN PLUS FAVORABLE A UNE DIFFUSION MASSIVE ET INTEGREE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SEIN DES ORGANISATIONS ? ......................................................................................................................... 30 3 PARTIE III : COMMENT LES ENTREPRISES STRUCTUREES AUTOUR DE MODELES D’ORGANISATION TRADITIONNELS PEUVENT SE PREPARER A LA MONTEE EN PUISSANCE DE L’IA ?............................................................................................................................................... 33 3.1 UN LEADERSHIP DE HAUT NIVEAU.................................................................................. 34 3.2 CULTURE DES DONNEES ET CULTURE DU RISQUE ..................................................... 36 3.2.1 Favoriser la Culture de la Donnée ............................................................................. 37 3.2.2 Encourager la culture du Risque ............................................................................... 39 3.3 ORGANISATION : DIFFUSER SANS SE DISPERSER....................................................... 40 3.4 PEOPLE : CONTENIR LES PHENOMENES DE RESISTANCE ET FAVORISER L’ADOPTION MASSIVE DE NOUVEAUX MODE DE TRAVAIL..................................................... 43 4 CONCLUSION............................................................................................................................... 48 5 BILIOGRAPHIE ET ENTRETIENS ............................................................................................... 51
  • 7. 6 sur 52 INTRODUCTION L’intelligence Artificielle (IA) a depuis ces dernières années souvent été associée au terme Révolution. « Révolution : Changement brusque, d'ordre économique, moral, culturel, qui se produit dans une société » d’après le Larousse. Plus qu’un simple progrès d’ordre technologique, on a prêté –et on prête toujours - aux technologies d’intelligence artificielle des vertus de transformation profonde, majeure, structurelle de nos organisations, de notre culture et de notre société dans des domaines très variés : agriculture, santé, logistique, éducation, travail…. De sa première évocation en 1956, à la Conférence de Dartmouth, à aujourd’hui, le terme « intelligence artificielle » a longtemps alimenté des fantasmes, liés d’avantage à son potentiel et sa puissance technologique imaginée, qu’à la réalité des faits. Le chemin n’aura pas été aussi linéaire et sans encombre annoncé, les limites technologiques persistantes auront conduit à des décennies de faux départs et d’attente non satisfaites. Aujourd’hui, des barrières semblent tombées. La digitalisation croissante et exponentielle de l’ensemble de la société depuis les 20 dernières années a permis de constituer des quantités astronomiques de données exploitables, indispensables pour faire carburer les technologies d’IA. Cette digitalisation conjuguée aux progrès technologiques des infrastructures de calcul et aux sophistications d’algorithmes existants, a conduit l’intelligence artificielle vers un nouvel âge d’or, qui, cette fois, semble réaliste et durable. Il est vrai que les technologies d’Intelligence artificielle sont démocratisées et irriguent notre quotidien mais d’une façon beaucoup plus insidieuse que présagée. Les cas d’usage les plus étendus s’inscrivent d’avantage dans le registre de l’innovation incrémentale que dans un réel mouvement de rupture ou de disruption, tel qu’il est décrit abondamment dans la littérature. L’IA se niche ainsi dans la base des technologies utilisées pour le streaming musical ou vidéo (Spotify, Netflix…), les services livraison, la plupart des réseaux sociaux, la reconnaissance d’image ou encore la saisie semi-automatique, mais n’aura finalement pas révolutionné les sociétés et les modes de vie, sinon les améliorer à la marge. Qu’en est-il de l’appropriation de l’IA par le monde économique et industriel ? Pendant longtemps, l’IA a été vendue comme une « formule magique » permettant de résoudre les problèmes de productivité et de compétitivité des entreprises, avec à la clé, un gain potentiel chiffré en milliards. Les technologies d’IA devaient prendre le relais de l’électricité comme déclencheur d’une nouvelle « révolution industrielle ». Dans cet exercice périlleux de tirer des enseignements de leçons tirées du passé, il s’avère que, par bien des aspects, la « troisième révolution industrielle » résultant de l’électrification et la mécanisation et celle que le monde
  • 8. 7 sur 52 industriel et économique est censé connaitre actuellement ne sont pas comparables. Au-delà de la nature des progrès technologiques engendrés, c’est la fulgurance de leur apport respectif à l’amélioration des performances des organisations, qui laisse conclure que même si des mécanismes se sont reproduits de manière similaire, des disparités manifestes persistent toutefois. Plusieurs raisons évidentes à cela que nous allons tenter d’expliciter. Tout d’abord, l’intelligence artificielle est une Technologie à Usage Multiples (TUP) qui présente des contours flous : polysémique, complexe à appréhender pour les novices, sujette à des interprétations subjectives, englobant des technologies disparates (Computeur Vision, Natural Language Processing, Classification). Cette complexité rend difficile l’identification par tout un chacun des cas d’usages pouvant être industrialisés. Par ailleurs, l’Intelligence Artificielle d’aujourd’hui est précédée par des récits imaginaires (d’Alan Turing à Ray Kurzweil en passant par Isaac Asimov), des fantasmes évoquant la fin de la souveraineté de l’Homme sur la machine. L’intelligence artificielle fait peur et avec elle la crainte de la concrétisation de mythes ancrés dans la croyance populaire : mécanisation des activités tertiaires, remplacement des humains par des « robots » menant à un chômage de masse, asservissement de l’homme par la machine… En troisième lieu, nous citons les difficultés de sa mise en application. L’une des plus grandes erreurs commises a été de considérer que les technologies d’IA étaient des technologies prêtes à l’emploi avec des résultats immédiats. Cette croyance ne peut persister de par la complexité des technologies employées, des infrastructures techniques nécessaires, et de la nécessité d’un changement de paradigme profond des cultures et organisations des entreprises. Il en résulte que l’écart entre les entreprises qui croient au potentiel de transformation par l'IA et celles qui mettent réellement en œuvre une stratégie d'IA à large échelle ne sera pas rapidement comblé. Cependant, nous restons convaincus du réel potentiel de l’IA dans la promotion des performances des entreprises et nous persistons à l’intégrer chaque année aux menus des divers plans stratégiques annuels des entreprises. Pourquoi ? Parce que des exemples concrets d’entreprise ayant réussi faire carburer leur activité avec des technologies d’IA existent. Ces entreprises s’appellent AMAZON, ALIBABA, NETFLIX et ont résolu avec réussite la difficile équation d’irriguer de façon cohérente et intégrée des technologies d’intelligence artificielle à tous les échelons de leur organisation. Leurs performances économiques sont sans appel comparées à leurs concurrents historiques faisant usage de technologies et savoirs plus traditionnels. La question à se poser est pourquoi, ces exemples d’entreprises sont-ils des cas si rares, alors que les gains potentiels de telles stratégies peuvent s’avérer
  • 9. 8 sur 52 incommensurable. On assiste alors à un vrai « paradoxe de l’IA ». Ce paradoxe est relativement simple à expliquer mais reste complexe à résoudre. Partons d’un constat. Les tentatives sont nombreuses de récolter les fruits des technologies d’IA, mais les entreprises trébuchent lors du passage du démonstrateur au stade de mise à l’échelle. La transformation digitale inhérente s’avère alors plus légère, constituée d’outils et d’effets d’annonce, de méthodes innovantes mais verticales, et qui ne concerne qu’un nombre restreints de services ou départements comme l’IT ou encore les services marketing. Les conséquences de ces tentatives non transformées ne sont pas négligeables. Certains craignent que ces efforts infructueux viennent saper la révolution de l’IA à ses débuts. Pour les plus pessimistes, une entrée dans un nouvel hiver de l’IA, se présage tant les frustrations sont immenses entre les promesses et la capacité à les concrétiser. La dernière étude publiée en février 2020 par le cabinet PWC1 donne corps à cette théorie puisque selon ce dernier, l’intelligence artificielle à haute dose n’est pas la priorité des entreprises américaines. Seulement 4% des dirigeants prévoient de déployer l’I.A. à grande échelle au sein de leur entreprise en 2020. C’était 20% en 2019. Alors pourquoi est-ce si compliqué ? Il ne s’agit pas d’une question de maturité technologique mais d’un problème de méthodes et de stratégie. Les entreprises ont obéi à la double injonction d’experts et de spécialistes, d’amasser de la donnée et d’être agiles et rapides. Or, il ne s’agit pas uniquement de cela. Bien qu’essentielles au succès de l'IA, les données internes ne sont pas le Saint Graal. Par ailleurs, il ne suffit pas non plus d'être agile et rapide : la flexibilité et la vitesse sont importantes, mais ce ne sont pas des excuses pour s'engager dans une marche aléatoire à travers les déserts de l'IA. Le réel avantage concurrentiel ne peut s’obtenir que si les projets pointent dans une direction spécifique clairement identifiée et s’accompagnent d’une évolution (voire transformation !) de la culture et du fonctionnement des organisations. Les entreprises qui auront franchi ce stade seront celles qui tireront le mieux parti des promesses des technologies d’IA. C’est ce que nous tenterons de démontrer à travers cette thèse professionnelle. En préambule, il nous a paru opportun de dresser un état des lieux de la maturité des entreprises vis-à-vis des technologies d’IA et d’expliciter dans quelle typologie de configuration, l’IA est à même de tenir toutes ses promesses. Cette partie nous permettra notamment de démontrer l’importance de l’impact des modes d’organisation des entreprises dans le succès d’une mise en œuvre de l’IA à grande échelle. Dans un second temps, nous 1 Rapport « 2020 AI Predictions », Price Waterhouse Coopers (PWC), février 2020 https://www.pwc.com/us/en/services/consulting/library/artificial-intelligence-predictions-2020.html
  • 10. 9 sur 52 apporterons des éclairages d’ordre sociologique et philosophique permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles les entreprises traditionnelles à l’héritage taylorien auront le plus de mal à se convertir à une adoption massive et à l’échelle de l’IA, contrairement aux entreprises avec des fonctionnements plus collaboratifs, en réseau, ou réticulaires. Enfin dans une 3ème partie, nous discuterons des approches méthodologiques et des enjeux des évolutions organisationnelles auxquelles les entreprises traditionnelles devront faire face pour favoriser une utilisation de l’IA à large échelle.
  • 11. 10 sur 52 1 PARTIE I / L’ADOPTION DE L’IA PAR LES ENTREPRISES : UNE MATURITE A GEOMETRIE VARIABLE L’intelligence artificielle se définit comme l’ensemble des technologies permettant à des machines de réaliser des tâches intellectuelles traditionnellement réalisées par des humains. Ces technologies permettent ainsi de reproduire des schémas cognitifs simples comme la vision, la compréhension d’un texte ou d’un discours, ou déceler des schémas dans d’immenses volumes de données et d’en interpréter le sens. Longtemps basée sur la mise en œuvre de systèmes experts (ou intelligence artificielle symbolique »), l’IA a pris un nouveau tournant ces dernières années grâce à l’effet conjugué de l’explosion des données et des performances des infrastructures de calcul. Désormais, on parle d’une intelligence artificielle connexionniste reposant essentiellement sur la capacité d’apprentissage des algorithmes. C’est grâce à l’apprentissage qu’un système intelligent capable d’exécuter une tâche peut améliorer ses performances avec l’expérience. C’est grâce à l’apprentissage qu’il pourra apprendre à exécuter de nouvelles tâches et acquérir de nouvelles compétences. L’adoption au sein de l’entreprise de technologies d’intelligence artificielle sont hautement perturbatrices pour les lignes de métier et implique une transformation en profondeur des méthodes de travail avec un impact non négligeable sur l’emploi. Cependant, en dépit de ces défis couteux et risqués, les entreprises, soumises à des contextes concurrentiels rendus plus aigus par les acteurs du numérique notamment, se trouvent contraintes de les intégrer à leur processus opérationnels, sous peine de perdre la bataille de la compétitivité, voire de jouer leur survie. Aujourd’hui, la plupart des entreprises ont a minima entendu parler de l’IA et s’y intéresse en réalisant de la veille ou en l’expérimentant. Des cas d’usage font foison dans un large pan de l’économie : industrie, télécoms, éducation, commerce, banque, santé, transport, assurance, sécurité, droit. Les entreprises se distinguent cependant sur leur degré de maturité d’adoption de ces technologies. En tenant compte de la diversité des cas d’usage d’IA mis en œuvre au sein de la société et le succès d’une transformation à l’échelle (ou industrialisation), on peut aisément classer ces entreprise en 4 grandes catégories présentées dans le schéma ci-dessous :
  • 12. 11 sur 52 Figure 1 Les 4 niveaux de maturité des entreprises face à la mise en œuvre de l'IA dans leur organisation Il faut savoir que la plupart des entreprises mènent des essais ponctuels ou n’utilisent l’IA que dans un seul processus métier. En effet, alors que la gouvernance d'entreprise en général, et les DSI en particulier, se hâtent d'annoncer leurs plans de mise en œuvre de l'IA et comment cela transformera leurs entreprises au cours des prochaines années, certaines statistiques montrent que, bien que la reconnaissance de la nécessité d'une adoption à grande échelle de l'IA soit omniprésente, la volonté d’agir est loin derrière. Ce constat s’explique notamment par le fait que les entreprises peinent à convertir leur projet pilote en programmes étendus à toute l’entreprise mais aussi à passer des enjeux mineurs (ex : amélioration de la segmentation client à de grands défis (ex : optimisation de toute l’expérience client). Comment expliquer que cette phase soit si difficile à franchir ? Nous avons fait le choix de donner des premiers éléments de réponse en décrivant les spécificités des trois catégories d’entreprises s’intéressant à l’IA, en termes de fonctionnement et d’organisation. Un focus plus approfondi sera réalisé sur les entreprises « AI-Driven » afin de saisir les facteurs clés de succès leur ayant permis de réussir là où toutes les autres ont échoué. 1.1 LES « USINES » A POCS Ces dernières années, beaucoup d’entreprises ont expérimenté des projets d’IA. Entre la réelle volonté de tirer profit d’hypothétiques progrès de ces technologies et celle de faire de l’"IA washing » à pure visée marketing, peu importe la volonté réelle, les projets finissaient toujours en Proof of Concept (POCs) ou démonstrateurs. Ces entreprises ont souvent les
  • 13. 12 sur 52 technologies d’IA avec un modèle basé sur un « hub d’IA », créé pour l’occasion ou géré par le Département Innovation ou la DSI. Ces Hub d’IA sont constitués généralement d’une équipe centralisée d'ingénieurs en intelligence artificielle et de spécialistes de l'apprentissage automatique (data scientists). A travers une remontée métier ou l’identification par cette équipe de cas d’usage à expérimenter, ils établissent une liste de projets d’IA à concrétiser et les priorisent. Les POCs sont toujours menés en silos. Cependant, comme la plupart des cas d'utilisation d'entreprise l'ont montré, le simple fait d'avoir un centre de distribution ne suffit pas pour déployer efficacement et intégrer l'intelligence artificielle à grande échelle dans l'entreprise, étant donné qu'il est presque impossible pour plusieurs équipes et départements d'adopter une approche « plug and play » de leurs initiatives en matière d’IA. Les causes d’un échec d’une mise à l’échelle de ces projets d’IA sont multiples. On recense le manque d’une réelle volonté des Directions de déployer ces technologies fortement perturbatrices, la complexité de dissoudre les verrous d’incompatibilité entre les technologies d’IA et les réalités du terrain ou encore la résistance au changement de corps de métier, insuffisamment préparés à subir de tels bouleversements dans leur quotidien. 1.2 LES ADEPTES DE PROJETS D’IA A L’ECHELLE MAIS HYPERSPECIALISES ET SILOTES Ils sont le fruit d’une appropriation croissante des technologies d’IA par les entreprises et la mise à disposition par les fournisseurs de solutions fiables et à l’utilisation intuitive. Ce sont ces projets qui sont mis en avant lors de colloques spécialisés pour témoigner de l’appropriation croissante des technologies d’IA par les entreprises (ex : Djingo, le conseiller virtuel ou chatbot d’Orange Bank, ou encore la solution de traitement automatisé de mails par la solution WATSON déployée au sein du Crédit Mutuel) . Les facteurs clés de succès de tels projets résident notamment dans la maturité des technologies utilisées, l’intégration d’une forte expertise métier tout au long du projet et un sponsoring de haut niveau. Cependant, ces succès ne préfigurent pas que d’autres arriveront. En effet, ces projets sont l’aboutissement d’initiatives souvent personnelles de managers intéressés par les technologies d’IA mais dédiées à un domaine particulier. Ces projets ne se sont pas intégrés à une stratégie d’entreprise globale de promotion de l’intelligence artificielle au sein de l’organisation et s’organise en silos. De par l’inexistence d’une méthodologie et d’un cadre, et d’une organisation en silos, ces initiatives, certes louables, sont difficilement transposables à d’autres services ou départements. Sans réel sponsor et d’éléments moteurs ailleurs dans l’organisation, la diffusion de l’IA par cette approche reste hautement hypothétique.
  • 14. 13 sur 52 1.3 LES ENTREPRISES AI-DRIVEN Ce sont les entreprises qui ont le mieux compris les immenses opportunités offertes par les technologies d’IA et qui ont adopté les mesures techniques et organisationnelles permettant d’en maximiser le profit. Car, soyons clairs les réels gains de compétitivité promis par l’IA, ne peuvent être apportés que par une IA utilisée à grande échelle et qui brise les initiatives simplement cloisonnées. Ces entreprises se distinguent notamment par le fait qu’elles utilisent l’IA dans l’ensemble de leur processus d’entreprise (marketing, commerce, finance, ressources humaines…), du cœur de leur métier et de leur chaine de valeur jusqu’aux services considérés comme support. Elles s’avèrent particulièrement efficaces dans cet exercice grâce à une transformation de leur façon de travailler et de leur processus de prise de décision2 , qui s’appuie désormais quasi exclusivement sur l’exploitation des données. Au-delà de cette distinction, ces entreprises se caractérisent par des particularités communes en termes de culture et d’organisation, comme exposé ci-dessous. 1.3.1 Une forte culture de la donnée Rares sur le marché, les entreprises « AI-Driven » se singularisent par le fait qu’elles sont « digital natives » (Amazon, Alibaba, Google Facebook…) et ont, entre autres, établi leur structure et leur organisation autour de l’exploitation des données. Cette culture de la donnée est avant tout une question de personnes et de processus. L’avantage des entreprises « Digital Natives » est de ne pas avoir été contraintes de faire évoluer un modèle d’organisation pour l’adapter à un nouveau mode de fonctionnement, ni de réaliser un couteux changement de culture et de mindset de leurs collaborateurs. Car c’est bien là que le bât blesse pour les entreprises plus traditionnelles ! Alors qu’elles s’essaient à l’exploitation optimisée de données par de l’IA, elles se heurtent à l’absence de cette culture de la donnée, indispensable pour tirer profit des technologies d’IA et les intégrer dans les processus d’analyse et de prise de décision. Et malgré les discours marketing ambiant, une culture basée sur les données ne peut pas être achetée ou fabriquée- elle doit être entretenue et développée. 1.3.2 Une libération des données L’adoption d’une culture des données serait vaine sans une libération de celles-ci. Qu’entend t-on par libération de la donnée ? Il s’agit d’une mise à disposition dans un modèle de libre- service de données fiables à un plus grand nombre d’utilisateurs. Chez Amazon, on appelle 2 Shrestha R, Ben-Menahem S, Organizational Decision-Making Structures in the Age of Artifcial Intelligence , California Management Review, Aout 2019
  • 15. 14 sur 52 cela le « Hill Climbing3 » : il s’agit d’une philosophie qui institutionnalise la découverte, le questionnement et l’expérimentation des données. Cela suppose et exige que tout le monde ait accès à la donnée et à des outils pour tester leurs idées et leur intuition, indépendamment du statut ou de l’ancienneté. Ainsi, avec l’accent mis sur les données et une autonomie concédée à chaque salarié de réaliser ses propres expérimentations, et les réaliser aussi souvent et rapidement que souhaité, l’innovation est rapide et d’énormes gains sont alors possibles. 1.3.3 Un leaderphip « symphonique » La culture de la donnée n’est pas suffisante en soi sans l’existence d’une ligne directrice incarnée sur l’orientation à lui donner et un alignement stratégique de tous les départements. Cette stratégie et les conséquences qui en découlent doivent être clairement définies et communiquées à tous. Au sein des entreprises AI-Driven, tout se décide au plus haut et les leaders orchestrent des organisations collaboratives4 . Traditionnellement, les cadres supérieurs de la direction - PDG et chefs des opérations, informatique, RH, marketing, etc. - ne sont pas connus pour collaborer étroitement sur des initiatives impliquant des innovations technologiques. Mais au sein des entreprises AI Driven, ces différents organes travaillent ensemble pour établir des priorités, déterminer les implications pour les architectures technologiques et les compétences humaines, et évaluer les implications pour des fonctions clés telles que le marketing ou encore la chaîne d'approvisionnement. 1.3.4 La place réservée aux « Analytics Translators » Soyons clairs, les projets d’intelligence artificielle ne sont pas des projets digitaux comme les autres. Les méthodes de conduite du changement utilisées traditionnellement dans les projets de transformation digitale ne peuvent se translater ou être adaptées d’une façon triviale dans ce genre de projet car les technologies d’Intelligence artificielle ne s’érigent pas comme de simples outils de support/confort des activités de l’entreprise. Ils en impactent en profondeur les process de prise décision et intrinsèquement le fonctionnement de l’entreprise et son essence. Aux traditionnelles questions de la stratégie et de la culture, s’ajoute désormais celui de la technologie. Et comme pour la plupart des projets technologiques, le problème ne réside pas dans la technologie elle-même, mais plutôt dans la compréhension de la meilleure façon de l'utiliser pour générer de la valeur. 3 Selinger David, « Data Driven: What Amazon's Jeff Bezos Taught Me About Running a Company »,Entrepreneur Europe, 2014 (https://www.entrepreneur.com/article/237326) 4 Davenport T, Foutty J« How AI Is Transforming the Organization », MIT Sloan Management Review, Éditeur MIT Press, 2020, p.7
  • 16. 15 sur 52 De ce fait, il est primordial que les projets d’IA soient motivés et conduits par des individus alliant l’expertise technique des sciences des données à l’expertise du domaine et la maitrise opérationnelle intégrée à l’entreprise. Fountaine et al (2019)5 désigne ces personnes par le terme d’ « Analytics Advisors » ou traducteurs d’ « analytics ». Cette catégorie de spécialistes forme une catégorie d’experts pluridisciplinaires, jouant un rôle dans la traduction de problèmes métier en solutions analytiques avancées et dans l’identification des obstacles. Ils font le lien entre le domaine technique (data scientists / data engineers) et les métiers opérationnels. Ils ont pour mission de veiller à ce que les applications d’IA répondent aux besoins de l’entreprise et que leur adoption s’effectue sans heurts. Impliqués très tôt dans le processus de développement et de mise en œuvre des projets, et immergés au sein des métiers, ils peuvent interroger les utilisateurs finaux, observer et étudier leurs méthodes de travail pour diagnostiquer des cas d’usage et régler les problèmes. Une véritable transformation en une organisation axée sur les données nécessite que toute personne en mesure de reconnaître et d'exploiter des opportunités d'analyse, ait, au moins, un certain niveau de formation en « traduction ». Nous reviendrons dans notre troisième partie, aux questions soulevées par ces « Analytics Advisors » et comment convertir les cadres/experts des organisations traditionnelles à ces nouveaux métiers en discutant notamment des compétences qu’ils devront maitriser. 1.4 VERS UN NOUVEAU PARADOXE DE SOLOW ? En dépit d'avoir passé plus de 5 ans à la pointe de la transformation numérique, l'intelligence artificielle continue de se cacher dans l'ombre des projets d’expérimentation ou d’initiatives individuelles et fragmentées, excluant de facto le large éventail de l'organisation entière de tirer parti d'un outil aussi puissant. Alors pourquoi faire carburer les entreprises à l’IA reste-il l’apanage d’entreprises par essence numérique et de création récente? Deux études, l’une du cabinet PWC6 et l’autre du cabinet NewVantage Partners7 , ont démontré que, malgré les évolutions récentes en termes d’IA, rien ne laisse augurer d’un enthousiasme croissant de la part des Directions, d’aller vers plus d’IA. Selon l’étude de NewVantage Partners, 72% des participants au sondage ont ainsi déclaré que leurs organisations n'avaient pas encore forgé une culture des données. De plus, le pourcentage de 5 Fountaine T., McCarthy B, « Faire Carburer l’entreprise à l’intelligence artificielle », HBR France, janvier 2020, p39 6 Rapport « 2020 AI Predictions », Price Waterhouse Coopers (PWC), février 2020 https://www.pwc.com/us/en/services/consulting/library/artificial-intelligence-predictions-2020.html 7 Rapport « Big Data and AI Executive Survey 2020 », New Vantage Partners, janvier 2020
  • 17. 16 sur 52 répondants qui ont indiqué avoir «créé une organisation axée sur les données» a diminué à 31% en 2019, contre 32,4% en 2018 et 37,1% en 2017. Au lieu de voir une plus grande transformation numérique, nous assistons à une régression numérique décevante. Pour aller plus en profondeur, l'étude susmentionnée indique que les principaux défis mentionnés pour devenir une entreprise AI-Driven étaient les personnes (62,5%) et les processus (30,0%) – et non pas la technologie (seulement 7,5%). Par ailleurs, il semble dans les faits que les initiatives se heurtent à d’importantes barrières culturelles et organisationnelles. Ce phénomène est relativement compréhensible car développer une culture demande du temps et des efforts plus conséquents qu’une simple acculturation à de nouvelles technologies. Finalement, nous sommes face à une concrétisation de Paradoxe de Solow, du nom du Nobel d’économie Robert Solow, qui, en 1987 déclarait que « Vous pouvez voir des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité". A cette époque, Robert Solow évoquait les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En d'autres termes, le progrès technique apporté par les nouvelles technologies de l'information et de la communication n'avait pas eu autant d'impact sur l'ensemble de l'économie que les précédentes révolutions industrielles, qui ont, elles, dégagé d'importants gisements de productivité, eux-mêmes à l'origine de longs cycles de croissance. Les études auront démontré que l’informatisation améliore significativement la productivité globale des facteurs uniquement si elle s'accompagne d'une réorganisation de la production. Cette complémentarité entre innovation technologique et organisationnelle a été l’une de clé de la réussite de la nouvelle économie. L’objectif de ces innovations organisationnelles a été d’adopter des pratiques de travail qui ont valorisé les potentialités des NTIC. La comparaison d’un entre l’avènement des NTIC et de l’IA est alors tentante. On peut alors émettre l’hypothèse que les entreprises pourraient extraire des gains de productivité de leurs investissements massifs en intelligence artificielle... à condition de modifier leur organisation. Les entreprises AI-Driven l’ont bien compris et leur mode de fonctionnement très organique (réticulaire, en réseau, collaboratif) et axé sur la donnée leur donne une sérieuse longueur d’avance et un avantage sur les entreprises dont les organisations sont héritées d’une approche plus taylorienne : pyramidales, hierarchisées, et silotées. Dans la prochaine partie, nous tenterons d’expliciter par le prisme sociologique et philosophique, les difficultés auxquelles se confronteront les entreprises basées sur des modèles d’organisation traditionnels pour adopter les technologies d’IA à très grande échelle. Nous démontrerons notamment que les pré-requis organisationnels nécessaires à l’atteinte de cet objectif (supposant une culture de la donnée et la libération de cette dernière) se heurteront à des mouvements de résistance au changement inédits, issus des populations de
  • 18. 17 sur 52 Managers et d’Experts notamment, qui questionneront légitimement le devenir de leur valeur et de leur pouvoir dans de nouvelles formes d’organisation AI-Driven.
  • 19. 18 sur 52 2 PARTIE II / COMMENT LES RESSORTS SOCIOLOGIQUES ET ORGANISATIONNELS DES ENTREPRISES NEO-TAYLORIENNES S’ERIGENT COMME OBSTACLES A L’EMERGENCE D’UN MODELE D’ORGANISATION AI-DRIVEN ? Cette partie sera consacrée à la présentation d’un cadre théorique permettant de comprendre en quoi les organisations tayloriennes ou néo-tayloriennes, dont les fondements reposent sur les reliquats de l'Organisation Scientifique du Travail (OST) et son héritage, ne constituent pas un terrain favorable à une adoption étendue de l’intelligence artificielle. Cet exposé n’a nullement l’ambition de constituer une étude approfondie et exhaustive de l’histoire du Taylorisme et de ses évolutions. Nous nous arrêterons raisonnablement à l’énonciation de grands principes pouvant supporter notre propos. 2.1 DU TAYLORISME AU NEO TAYLORISME Tout d’abord, nous précisons que nous allons davantage évoquer les entreprises relevant du néo-taylorisme, car il faut être réaliste, la plupart des organisations d’inspiration taylorienne ont entamé un changement dans leur mode de fonctionnement depuis plusieurs décennies. Pour rappel, le taylorisme se définit comme une méthode de travail qui préconise une Organisation Scientifique du Travail (OST) grâce à une analyse détaillée des modes et techniques de production (gestes, rythmes, cadences, …)8 . L’objectif affiché est d’aboutir à une augmentation de la productivité grâce à notamment à : ● la maîtrise du processus de production ; ● une division verticale du travail à savoir la séparation stricte entre travail manuel et travail intellectuel ou, en d’autres termes, une séparation stricte entre le travail de conception et le travail d’exécution. Un bureau des méthodes dirigé par des experts en organisation est chargé de la préparation scientifique du travail ; ● une division horizontale du travail, c’est-à-dire une parcellisation maximale des tâches entre les différents postes de travail, où chaque ouvrier effectue quelques gestes élémentaires délimités et répétitifs. Concernant ce dernier aspect, notons que si cette parcellisation a entraîné des gains de production, elle a surtout permis de dépouiller les ouvriers de leurs connaissances métiers et les mettre aux mains de l’employeur, renversant ainsi le rapport de force de l’assymétrie des connaissances et l’expertise. A partir de ce moment, c’est l’employeur qui dicte les règles de production, les ouvriers dépouillés deviennent des exécutants de tâches simples et répétitives. 8 Bernoux Philippe, Sociologie des Organisations, Collection Points « Essais », p . 63
  • 20. 19 sur 52 Ce point est particulièrement intéressant à souligner car, comme nous le verrons plus tard, l’adoption d’outils d’intelligence artificielle dans les processus de prise de décision notamment, sera susceptible de reproduire les mêmes effets sur, cette fois une population de décideurs Managers et/ou Experts. Ayant fait ses preuves de l’autre côté de l’Atlantique, le taylorisme s’est progressivement installé en France de 1910 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il connut son essor dans les années 50 et 60 avant de connaître une violente remise en question à l’issue grandes grèves de 1968 et au début des années 70, contre le travail à la chaîne et les cadences infernales. Le patronat se saisit alors d’une double interrogation en s’appuyant sur les cercles d’experts de la sociologie des organisations. Comment faire pour que les ouvriers travaillent selon les intérêts de l’employeur c'est-à-dire de la manière la plus rentable possible et avec le moins de résistance possible ? Par ailleurs, le taylorisme est un système qui a fait ses preuves, mais comment l’adapter tout en en effaçant les aspects les plus humiliants au niveau humain ? Les réflexions menées ont conduit à l’émergence de nouveaux courants, regroupés au sein du terme « néo-taylorisme ». L’objectif premier demeure inchangé à savoir produire plus à moindre coût. Cependant, à ce leitmotiv principal, s’ajoute la nécessité d’acquérir plus de flexibilité, d’adopter une production du « juste à temps » et tirer profit des nouvelles technologies notamment l’essor de l’informatique. Le néo-taylorisme se caractérise notamment par l’effacement du rôle des collectifs de travail au profit d’un renforcement par l’individualisation, des objectifs de performance, des entretiens d’évaluation, de la rémunération9 . L’heure est désormais à l’autonomie des équipes et des individus et il est préconisé que les problèmes d’organisation du travail se règlent par la communication, le dialogue et la responsabilisation plutôt que par des mesures coercitives et autoritaires. Ces nouvelles méthodes de gestion favorisent l’avènement d’une organisation en silos où le travail devient opaque des organes de Direction Générale. Tout est laissé entre les mains d’une nouvelle strate de direction intermédiaire (direction financière, direction marketing, direction commerciale etc) bénéficiant de responsabilité, liberté, marge de manœuvre et autonomie de leur service. On assiste dans le même temps à un relâchement du mode prescriptif du travail à la chaîne ou sur poste. C’est notamment sur ces fondements entre autres qu’ont pu émerger de nouvelles approches telles que le « lean management ». Ce nouveau modèle est issu des usines de Toyota, au 9 Chennoufi Wassim, le néo-taylorisme comme une doctrine durable de l’organisation du travail, L’Héritage de F.W. Taylor : Cent ans de Management, Journée d’étude du 21 mars 2015, p85
  • 21. 20 sur 52 sein desquelles, chacun des salariés est transformé en centre d’autocontrôle et fait preuve d’une autonomie d’action pour être rentable suivant les critères de l’entreprise. Le corollaire d’une telle démarche est l’émergence de la toute-puissance des procédures, process, « bonnes pratiques » décidées en haut lieu et à laquelle le travailleur doit de plus en plus se conformer. 2.2 DE LA SILOTATION DES ORGANISATIONS... Mais revenons au phénomène de silotation, conséquence d’un abandon progressif d’un taylorisme dur. Pour commencer, il est à noter que les silos peuvent avoir des origines diverses10 , conduisant à une compartimentation des métiers et donc de la data. On distingue alors : - des silos dits structurels avec des applications spécifiques et optimisées pour des métiers définis, - des silos plus d’orientation politiques avec des métiers pas toujours enclins à partager leurs données, car sources de connaissances et donc de pouvoir. Comme nous l’avions indiqué en amont, cette silotation a éloigné les Directions Générales de l’entreprise d’une connaissance approfondie de telle sorte qu’elles ont abandonné la maîtrise de certains facteurs de prévision/prévisibilité indispensables au pilotage de l’activité de l’entreprise à des Managers et/ou Experts, leur conférant ainsi un pouvoir légitimement reconnu de tous. Dans son ouvrage référence « Le phénomène Bureaucratique », Michel Crozier11 nous explique ainsi que « les possibilités de prévision qui constituent un élément si important de la lutte pour le pouvoir ne dépendent pas seulement des exigences de la technologie ; elles dépendent aussi et souvent dans une large mesure de la façon dont les informations nécessaires sont distribuées. En pratique, dans toutes les grandes organisations, les membres de l’organisation disposent d’information donc de possibilité de prédiction et donc finalement de possibilité de contrôle et de pouvoir, simplement du fait de leur place dans la pyramide hiérarchique ». Toujours d’après M. CROZIER, cette influence est tirée d’un contrôle d’une incertitude (un problème de fonctionnement de l’organisation dont les solutions ne sont connues que par un 10 https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/de-lentreprise-en-silos-a-lentreprise-plateforme- bienvenue-dans-lere-de-lentreprise-intelligente-1010175 11 Crozier M., Le phénomène Bureaucratique, collection Essais Points, p.201.
  • 22. 21 sur 52 petit nombre), encore faut-il que cette incertitude soit cruciale et pertinente du point de vue du fonctionnement de l’organisation. A partir de ces situations d’incertitudes qui exigent l’intervention humaine, deux types de pouvoirs auront donc tendance à se développer : le pouvoir hiérarchique (formel) et le pouvoir de l’expert qui est plus informel. Nous explicitons dans les paragraphes suivants les particularités de ces deux pouvoirs. 2.3 … A LA STRUCTURATION DES POUVOIRS DANS L’ENTREPRISE Le pouvoir de l’Expert se décrit, d’après M. Crozier (p. 202), comme « le pouvoir dont un individu dispose du fait de sa capacité personnelle à contrôler une certaine source d’incertitude affectant le fonctionnement de l’organisation ». Cet expert (informaticien, comptable, fiscaliste, directeur commercial…) peut imposer sa loi à celui qui a besoin de ses services. Il est le seul à pouvoir traiter le problème et peut user et abuser de la rareté de sa compétence. Pour ce faire, cet expert détient souvent une information de valeur, qui permet de savoir mieux et avant les autres la manière dont les choses vont se passer ou la manière de traiter un problème. On se réfère à son opinion et on acquiesce de sa prise de décision, eut égard à son expertise, quitte à ce que cette décision ne trouve pas de fondement rationnel et ne se fonde que sur l’intuition de cet expert. Le pouvoir hiérarchique fonctionnel correspond, pour sa part, « au pouvoir dont certains individus disposent, du fait de leur fonction dans l’organisation, pour contrôler le pouvoir de l’expert et à la limite y suppléer ». Concernant l’équilibre des pouvoirs, Crozier (p.203) nous précise qu’il n’est pas immuable dans le temps et nous offre l’éclairage suivant : “Si nous cherchons à déterminer l’origine fonctionnelle objective des influences qui s’exercent au sein d’un système d’organisation, nous pouvons conclure qu’à la longue le pouvoir ultime, le pouvoir d’arbitrage et d’orientation tendra à être associé au type d’incertitude dont la vie de l’organisation dépend le plus. La prééminence successive des experts financiers, des techniciens de production, des spécialistes du marketing et des spécialistes du contrôle budgétaire dans les grandes organisations en témoigne. Chaque vague d’experts a eu son heure en fonction des difficultés que les organisations devaient résoudre pour survivre. Aussitôt que les progrès de l’OST ou de la connaissance des phénomènes économiques ont permis de de faire des prévisions rationnelles dans le milieu considéré, le pouvoir du groupe dont c’était le rôle de se charger a tendu à décroitre”. Plus loin, il précise que “les experts s’efforceront de résister, de sauvegarder leurs secrets professionnels et leurs tours de main mais contrairement à la croyance commune, l’accélération du changement qui caractérise notre époque leur rend beaucoup plus difficile
  • 23. 22 sur 52 qu’autrefois de résister à la rationalisation et tout compte fait, le pouvoir de négociation de l’expert en tant qu'individu aurait plutôt tendance à diminuer”. Ce dernier propos introduit avec une certaine acuité la suite de notre démonstration. Comme vu en première partie, les entreprises AI-Driven se caractérisent notamment par une mise en oeuvre industrielle des technologies d’intelligence artificielle dans des problématiques notamment d’aide à la décision ou de prises de décision. Jusque-là, cette discipline était le pré-carré des Experts et Managers et constituait l’assise de leur pouvoir. Voir l’intelligence artificielle entrer en jeu dans cette discipline, nous fait glisser irrésistiblement vers ce que Danièle Linhard définissait comme une “dépossession de leur connaissance métier”12 , pour les mettre non pas aux mains des employeurs comme cela a été le cas pour les ouvriers, mais des outils d’intelligence artificielle. Le rapport de force peut ainsi être renversé ! 2.4 L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET LA PRISE DE DECISION : VERS UNE REMISE EN CAUSE DE LA TOUTE-PUISSANCE DES MANAGERS ET DES EXPERTS Dans les paragraphes suivants, nous allons tenter d’expliquer comment l’intelligence artificielle peut bouleverser les équilibres de pouvoirs dans les entreprises. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, l’une des promesses des technologies d’IA dans le gain de productivité des entreprises est de s’ériger comme un outil puissant de prise de décisions. Le processus de prise de décision (plus connu sous le terme anglophone de de decision- making) se définit comme un processus cognitif dont la conséquence est un choix entre diverses alternatives. Plus concrètement, d’après Allain (2013)13 « ce processus correspond au fait d’effectuer un choix entre plusieurs modalités d’actions possibles lors de la confrontation à un problème, le but étant de le résoudre en traduisant le choix fait en un comportement (en une séquence d’action). Elle implique un certain nombre d’opérations distinctes : la définition de l’objet (ce sur quoi porte la réflexion et portera la décision), la recherche, l’analyse et l’organisation des informations utiles, l’élaboration et l’évaluation d’hypothèses de décisions en prenant en particulier appui sur des connaissances et/ou des expériences antérieures, le choix d’une hypothèse de décision et sa mise en œuvre ». Dans une situation naturelle, il a été démontré que les experts n'ont pas le temps de générer plusieurs options et qu’un modèle analytique de la prise de décision ne reflète pas la 12 Laurent Aucher & Frédérique Barnier, « L’entreprise de dépossession. Entretien avec Danièle Linhart », La Vie des idées , 22 mai 2015. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-entreprise-de- depossession-3054.htm 13 Allain Philippe, « La prise de décision : aspects théoriques, neuro-anatomie et évaluation », Revue de neuropsychologie, 2013/2 (Volume 5), p. 69-81. DOI : 10.3917/rne.052.0069. URL : https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2013-2-page-69.htm
  • 24. 23 sur 52 complexité des situations naturelles (Kobus, et al. 200114 ). Klein (1997)15 pour sa part, montre que dans des conditions où le temps manque, les informations sont ambiguës, les buts non clairement définis et les conditions changeantes les experts n'effectuent pas de comparaison formelle entre diverses options mais font appel à leur expérience et leur intuition pour générer une solution satisfaisante. Dans une situation naturelle, les experts sont capables de prendre des décisions rapidement et de manière satisfaisante, car ils apparient les caractéristiques de la situation avec une situation générique. Pour aller plus loin, Van Hoorebeke et al. (2008) 16 nous amène à considérer “que les émotions sont parties intégrantes de la prise de décision, hypothèse préalablement démontrée par les sciences en neurologie”. De ce fait, la rationalité de beaucoup de décisions prises au sein de l’entreprise pose question ! C’est là que la pertinence d'utiliser l’intelligence artificielle dans le processus de prise de décision prend toute sa dimension. Pour rappel, l’intelligence artificielle a pour ambition première de reproduire le processus cognitif de l’humain. De ce fait, il apparaît légitime de s’interroger sur son utilisation comme dispositif d’aide à la décision/prise de décision. Shrestha (2019), dans son article17 publié dans le HBR, nous offre une lecture intéressante des spécificités de la prise de décisions par l’humain et par la machine et démontre que l'utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle introduit un nouvel ensemble de défis à ce problème séculaire. En synthétisant des modèles robustes à partir de grands ensembles de données couplées aux algorithmes d'apprentissage automatique, l’IA permet la création de nouvelles informations et prévisions (à condition que l'avenir puisse être assez bien prédit par les données existantes). On aboutit alors à la promesse de décisions rapides, précises, reproductibles et à faible coût, avec une qualité proche de l'intelligence humaine. Toujours dans sa publication, Shrestha identifie les particularités de la prise de décision humaine et basée sur l'IA selon cinq facteurs de contingence clés: ● la spécificité de l'espace de recherche de décision ; ● l’interprétabilité du processus et du résultat de la prise de décision ; ● la taille de l'ensemble alternatif ; 14 Kobus, D., Proctor, S., & Holste, S. (2001). Effects of experience and uncertainty during dynamic decision making. International Journal of Industrial Ergonomics , 28 (5), 275-290. 15 Klein, G. (1997). The recognition-primed decision (RPD) model: Looking back, looking forward. Dans C. Zsambok, & G. Klein, Naturalistic decision making (pp. 285-292). Lawrence Erlbaum. 16 Van Hoorebeke, Delphine. « L'émotion et la prise de décision », Revue française de gestion, vol. 182, no. 2, 2008, pp. 33-44. 17 Organizational Decision-Making Structures in the Age of Artifcial Intelligence
  • 25. 24 sur 52 ● la vitesse de prise de décision ; ● et enfin la reproductibilité. Nous allons expliciter brièvement des 5 facteurs qui permettent ensuite d’établir un comparatif entre les 2 modes de prises de décision:  Spécificité de l’espace de recherche de décision : Parce que les algorithmes d’IA prennent des décisions basées sur l’optimisation informatique, «l’espace» dans lequel la décision est recherchée doit être soigneusement spécifié et restreint en termes de fonction objective ;  Interprétabilité : l’utilisation d’algorithme de machine/deep learning ne permet pas, à date, d’aboutir à une explication de la façon dont l’IA arrive à sa décision. Les décideurs humains peuvent en revanche expliciter les étapes de leur raisonnement et fournir des justifications pour lesquelles ils ont pris une certaine décision. Cependant, même si ces explications ou les récits des processus décisionnels peuvent être plus compréhensibles, ils ne sont pas toujours exacts, véridiques ou complets. En effet, il existe des preuves solides que les décideurs humains sont enclins à fournir des comptes rendus rétrospectifs déformés des situations et des décisions et à maintenir des biais qui sont relativement inaccessibles.  Taille de jeu de donnée: Parce que les algorithmes basés sur l’IA utilisent une recherche automatisée du meilleur modèle d’ajustement, ils peuvent être utilisés pour évaluer le même ensemble de fonctions objectives de manière uniforme et cohérente sur des millions d’alternatives. A ce jeu, l’humain ne peut rivaliser, étant limité par les performances cognitives du cerveau.  Vitesse de prise de décision : Aujourd’hui, les progrès technologiques ont permis l'avènement d'infrastructureS de calcul permettant de réaliser des calculs complexes à la base de processus de décision à une vitesse quasi instantanée. Pour illustration, cette fonctionnalité algorithmique a eu un grand impact sur la prise de décision dans des contextes à grande vitesse, comme le trading de devises à haute fréquence. En revanche, la nécessité de prendre des décisions rapides peut être préjudiciable aux résultats de la prise de décision humaine. Sous une pression temporelle élevée, les décideurs utilisent souvent des heuristiques pour surestimer ou ignorer volontairement certaines informations et en ignorer d’autres, ce qui conduit à un compromis entre la précision et la vitesse.  Reproductibilité : Les algorithmes d’IA suivent des processus de décision standards et non ambigus – mais relativement inflexibles – qui fournissent des résultats cohérents avec des entrées cohérentes. La prise de décision humaine, en revanche, implique une variance inter et intra-individuelle de l’expérience, des modèles d’attention, des
  • 26. 25 sur 52 émotions et du traitement de l’information qui influencent le type d’informations que les individus consultent, encodent et récupèrent lorsqu’ils prennent des décisions. La reproduction des résultats s’avère alors problématique. Cette analyse permet de dresser un comparatif entre les 2 modes de process de décision (Humain/ Machine) selon ces 5 facteurs : Conditions de Prise de Décision Process de décision Machine Process de Décision Humain Spécificité de l'espace de recherche de décision Nécessite un espace de recherche de décision bien spécifié avec des fonctions d'objectif spécifiques. Est en mesure de traiter d’un espace de recherche de décision mal défini. Interpretabilité La complexité des algorithmes peut rendre difficile l'interprétation du processus de décision et des résultats. Les décisions sont explicables et interprétables, bien que vulnérables et perméables aux biais Taille du jeu de données Peut traiter de très grands jeux de données Capacité limitée à évaluer uniformément un grand jeu de données Vitesse de prise décision Comparativement rapide. Compromis limité entre vitesse et précision. Relativement lent. Haut compromis entre vitesse et précision. Reproductibilité Le processus décisionnel et les résultats sont hautement reproductibles en raison de la procédure de calcul standard. La réplicabilité est vulnérable aux facteurs inter et intra-individuels tels que les différences d'expérience, d'attention, de contexte et d'état émotionnel du décideur. Figure 2 Comparatif des modes de process de décision par l’homme et par la machine La question qui s’inscrit naturellement à la suite de cette analyse est le devenir de la prise de décision humaine face aux outils d’intelligence artificielle. Le corollaire de ce questionnement est le devenir de la place des Managers/ Experts au sein des organisations et l’évolution du pouvoir et de l’influence qui leur sont conférés. . 2.4.1 Le devenir des Managers et Experts à l’heure de l’avènement de l’IA dans le processus de prises de décisions Yann Ferguson18 , sociologue, nous donne des éléments de réponse à cette question. Selon lui, les interactions hommes / IA aboutiront à 4 configurations de combinaisons en fonction du degré de transfert (dépossession !) de la connaissance entre l’homme et l’IA et la criticité de 18 Ferguson, Yann. « 1. Ce que l’intelligence artificielle fait de l’homme au travail. Visite sociologique d’une entreprise », François Dubet éd., Les mutations du travail. La Découverte, 2019, pp. 23-42.
  • 27. 26 sur 52 la finalité de la décision. La criticité peut être, déterminée par les critères suivants : Quel est l’impact, notamment humain, si je me trompe ? La décision est-elle réversible ? Pour Yann Ferguson, on distinguera 4 configurations de complémentarité Homme/Machine aboutissant à 4 nouveaux statuts d’employés : l’Homme remplacé, l’Homme Dominé, l’Homme Augmenté et l’Homme Ré-humanisé. Les paragraphes ci-dessous reviennent sur la définition de chacune de ces configurations. L’Homme remplacé, correspond à la situation où l’intelligence artificielle assure de façon autonome des tâches qui étaient auparavant prises en charge par des salariés. Ces tâches présentent souvent un très haut degré de répétitivité et ne relèvent pas d’un niveau de criticité élevé. Elles peuvent consister, à titre d’exemple à répondre à des questions récurrentes de façon automatisée (chatbot), détecter par Computer Vision des défauts sur des pièces fabriquées en série….Pour Yann Ferguson, cette configuration “ne supprime pas d’emplois pour autant”. En effet, délestés de tâches répétitives à faible valeur ajoutée, les employés peuvent alors s’investir sur des tâches plus complexes et à plus forte valeur ajoutée; L’Homme Dominé : On serait tenté de rapprocher par réflexe inconscient ou pas cette configuration du “mythe de Frankenstein”, qui reste la parabole de référence sur les dangers du progrès scientifique, à savoir que l’avènement d’”algorithmes supposant la construction d’une intelligence artificielle forte, c’est-à-dire dotée d’un libre arbitre, d’une conscience de soi et d’une intelligence -générale”19 . Cette théorie n’a pour le moment aucune base théorique. Pour le sociologue, l’IA peut en revanche nourrir une « domination-rationalisation » plus insidieuse : parce que la machine saura interpréter une quantité phénoménale de données, au-delà des limites humaines, elle pourra être amenée à déposséder les hommes de leur expertise. Toujours d’après le sociologue, « Cette collaboration déséquilibrée entre l’homme et la machine intelligente pourrait atteindre l’engagement au travail. Si le programme réussit mieux que lui, comment ne pas tomber dans l’écueil d’une délégation totale qui ressemble à une soumission à la décision automatique ? ». L’Homme augmenté : cette configuration répond à la définition d’une amélioration significative de l’expertise de l’Homme grâce à des outils d'intelligence artificielle. Dans l’article sus-mentionné, le sociologue précise que : “L’« Homme augmenté » développerait donc des modes de complémentarité « capacitante » avec l’IA avec pour conséquence : 19 “Mutations du travail : les différents profils de l’intelligence artificielle”, LE MONDE, 23/11/2018
  • 28. 27 sur 52 ● « Une délégation croissante à l’IA des compétences techniques et des connaissances associées ; ● des compétences analytiques et de résolution de problèmes renforcées chez l’homme ● un temps libéré par l’IA qui entraîne un renforcement des aspects relationnels de l’emploi. » L’Homme ré-humanisé : Configuration distincte ou conséquence naturelle des 3 configurations évoquées en amont ? La question est légitime car quoi qu’il en soit l’Homme délesté de tâches automatiques ou bénéficiant d’outils optimisant ses performances sera amené à s’investir sur des tâches que le sociologue qualifie “de plus dignes de son humanité”.”L’IA rencontrerait enfin l’homme sur sa singularité” et le travailleur de demain aura le loisir d’explorer davantage ses compétences de créativité, d’adaptation, d’intuition, d’imagination, d'initiative, et de prise de risques. Pour recentrer notre propos sur le devenir des Managers et des Experts, il apparaît que l'incursion de l’IA dans les processus de prise de décision pourrait aboutir indirectement à une remise en question de leur légitimité, leur influence et leur pouvoir. Ces craintes sont fondées et peuvent prendre les formes ci-dessous : ● De la toute-puissance des Experts/Manager à l’ “Homme Dominé” : En perte d’influence voire remis en question par des outils d’intelligence artificielle plus performants en termes de prévision, les Experts/Managers risquent de subir la décentralisation du processus décisionnel voire la réduction des niveaux hiérarchiques pouvant leur être préjudiciable. On généralisera alors le passage d’un processus décisionnel basé sur l'expérience voire l’intuition, à un processus décisionnel de terrain basé sur les données ; ● La nécessaire explicabilité du processus de prise de décision humaine....révélatrice les biais : La création d’algorithme d’aide à la décision reposera, comme tout algorithme d’intelligence artificielle, sur une base d’apprentissage. Cet apprentissage s’effectuera sur un historique de cas et situations et s’attachera à analyser le raisonnement des experts afin de le “programmer” informatiquement. Cette phase d’audit peut s’avérer difficile à vivre et susceptible de révéler au grand jour les biais dont les experts faisaient usage. Pour illustrer cette hypothèse, nous pouvons citer le cas d’Amazon et son outil d’IA de recrutement. Le géant américain avait entrepris d’automatiser la présélection de CVs dans le cadre des processus de recrutement. « Ils voulaient littéralement que ce soit un moteur dans lequel on met 100 CV et il ressort les cinq meilleurs en vue de leur recrutement 20 ». La 20 « Quand le logiciel de recrutement d'Amazon discrimine les femmes », LES ECHOS, 13 octobre 2018
  • 29. 28 sur 52 conception de l’outil a nécessité une phase d’audit auprès des Experts en recrutement de la société afin de comprendre leur raisonnement de prise de décision et d’identifier les critères orientant leur décision de retenir ou écarter un candidat. L'algorithme ainsi développé a par la suite été entraîné sur un corpus de CV reçus par le groupe sur une période de dix ans. La mise en œuvre opérationnelle de l’outil a alors démontré que l’outil privilégiait les candidatures d’hommes au détriment des femmes manouvre que l’on pourrait qualifier de discrimination sexiste. A qui la faute ? D’aucuns, friands de théories les plus farfelues sur l'intelligence artificielle désigneront la responsabilité de l’intelligence artificielle ! Or à y regarder de plus près, l’algorithme n’a fait que reproduire un résultat lié à ce qu’il avait lui-même appris à partir du corpus d’apprentissage : au cours des 10 dernières années les candidatures hommes étaient quasi-systématiquement privilégiées vs les candidatures femmes. Les Experts en recrutement avaient omis sciemment ou inconsciemment de préciser ce critère de sélection, particulièrement inavouable, aux concepteurs de l’algorithme et ce biais s’était naturellement vu répété et amplifié par l’outil. Ce que nous démontre ce cas spécifique est que le transfert du raisonnement cognitif d’un expert vers un outil d’intelligence artificielle représente une réelle menace d’une “mise à nu” de leur process de prise de décision, jusque- là masqué par la légitimité de leur expérience et de leur intuition. En ce sens, leur crainte d’une ingérence de l’intelligence artificielle dans leurs affaires courantes est particulièrement fondée et ne fera que motiver et renforcer leur résistance au changement. 2.4.2 Les manifestations plus ou moins subtiles de la résistance au changement Intéressons-nous désormais à la façon dont pourrait se manifester cette résistance au sein des organisations. Dans cet exercice, la distinction entre managers et experts nous paraît nécessaire, car les managers, du fait de leur statut auront, comme nous expliciterons, un comportement moins libre, du fait de leur statut de relais de décisions venues d'”en haut”. Les décisions de transformation d’une entreprise vers une mise en œuvre étendue de l’intelligence artificielle est conduite généralement sous l’impulsion de la direction générale. Le plus souvent, une organisation centrale sera instaurée (Centre d’expertise) chargée de diffuser à large échelle la culture de la data, l'expérimentation et l’industrialisation de l’intelligence artificielle. Les Managers et les Experts auront peu de latitude de se dresser contre cette dynamique mais le feront avec les moyens dont ils disposent encore, à savoir le pouvoir et surtout leur influence. Le Manager, pour commencer, par réflexe dans ce type d’organisation va se présenter comme ouvert au changement car, d’après Yann Ferguson, “dans la dichotomie des représentations
  • 30. 29 sur 52 collectives le manager est celui qui amène le changement et les résistants sont les résistants de base”21 . Thibaud Brière, Philosophe, évoque pour sa part une certaine ”hypocrisie organisationnelle22 ”. Contraint par son statut de relais de décisions managériales, il ne pourra exprimer de façon manifeste et ostensible son opposition et son inquiétude à l’adoption de solutions d’intelligence artificielle dans les processus de prises de décision. Ses marques d’opposition seront plus subtiles : absence de fluidité dans la coopération, rétention de données, communication de données erronées...Alors qu’il lui est demandé d’être officiellement partie prenante des projets, ils s'érigeront, comme Yann Ferguson les qualifie, en “parties trainantes du projet”. Concernant l’Expert, sa position sera moins équivoque face à la l’introduction d’outils qu’il aura contribué à construire et susceptible à terme de le remplacer. Bien qu’on lui aura introduit les outils d’intelligence artificielle comme ayant le pouvoir de les « augmenter”, cette catégorie d’employés pourrait rejeter l’idée qu’une machine puisse faire mieux qu’eux et ignorer les recommandations formulées par un outil d’IA pour les aider dans leur quotidien. D’autant plus si ce dernier, en perpétuel apprentissage, fournit dans un premier temps des résultats moins convaincants qu’attendus. Ce comportement est notamment connu sous le nom d’’aversion aux algorithmes et a été caractérisé par une étude 23 menée par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie. Ces chercheurs ont démontré qu’une partie de la résistance à l’utilisation d’algorithmes prédictifs provient, en partie, d'une plus grande intolérance aux erreurs des algorithmes que des humains. Ainsi, les gens vont perdre plus rapidement confiance en un algorithme qu’en un Expert humain après les avoir vu faire la même erreur. De de fait, en cas de mise en œuvre d’outil d’aide à la décision imparfait, le risque est de taille que l’Expert, joue de son pouvoir et son influence pour diffuser cette aversion aux algorithmes et ainsi s’ériger en un obstacle à l’adoption d’approches similaires. Cette déconvenue n’est pas à négliger tant la probabilité d’erreurs de prévisions par l’outil existe, comme elle l’est dans pratiquement toutes les tâches de prévision. Nous avons jusque-là tenté d’expliciter, comment, de par leur modèle d’organisation, les entreprises héritières des pratiques tayloriennes ou néo-tayloriennes, ne constituaient pas des terrains favorables pour permettre une évolution vers des schémas d’organisations AI-Driven. L’un des écueils est qu’au-delà d’une absence de culture de la donnée, ces organisations sont intrinsèquement gangrenées par des luttes d’influence et de pouvoir d’une catégorie de leurs salariés de haut rang. Leur pouvoir de nuisance est réel et il pourra venir saper les efforts des 21 Entretien avec Yann Ferguson, 08/04/2020 22 Entretien avec Tibaud Brière, 06/04/2020 23 Dietvorst, B., Simmons, J. P., & Massey, C. (2015). Algorithm Aversion: People Erroneously Avoid Algorithms after Seeing Them Err.,Journal of Experimental Psychology: General, 144 (1), 114-126
  • 31. 30 sur 52 organisations à une adoption massive de l’intelligence artificielle dans les processus de prise de décision. 2.5 LES ENTREPRISES « LIBEREES » : UN TERRAIN PLUS FAVORABLE A UNE DIFFUSION MASSIVE ET INTEGREE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SEIN DES ORGANISATIONS ? A partir de ce constat, nous pouvons légitimement présumer que les entreprises qui se seront affranchies de la strate de « management intermédiaire » voire de “baronnie”, ont un avantage substantiel dans leur volonté d’évoluer vers un modèle d’organisation AI Driven. Ce type d’entreprises existe et elles ont fait le choix, d’après D. Linhardt24 , d’un “salariat de confiance”, une nouvelle phase dans l’abandon des modes de management taylorien. Ces organisations se présentent comme des alternatives radicales à une Organisation Scientifique du Travail : réticulaires, démocratiques, participatives, matricielles et adeptes des pyramides hiérarchiques inversées. Certaines des entreprises représentant ce courant sont plus connues sous le terme popularisé par Isaac Getz dans son ouvrage, Liberté et Cie25 , d'entreprises libérées. Ces entreprises sont gouvernées par des « patrons libérateurs » et ces derniers se reconnaissent dans le fait, toujours selon D. Linhardt, “qu’il faut faire confiance aux salariés pour qu’ils déploient le travail réel efficace, nécessaire et ajusté”. Ce qui importe, pour ces managers critiques, “c’est de permettre aux travailleurs de gérer, réguler eux-mêmes leur travail, pour s’y sentir à l’aise et y être plus efficaces. Ils veulent faire toute sa place au travail réel car il est adapté aux situations de travail qui sont de plus en plus fluctuantes et imprévisibles. Ils veulent miser sur la fluidité, l’agilité, ne pas laisser les prescriptions rigidifier les capacités d’adaptation et la réactivité. Ils veulent aussi que les salariés de base prennent en charge d’autres missions auparavant réservées à l’encadrement intermédiaire, ou aux fonctions supports”. Le postulat de la libération des entreprises est alors clair : « les salariés savent mieux faire sur le terrain que leur hiérarchie et leur direction”. Les modes d’organisation évoluent en conséquence de façon à ce qu’ils puissent “s’auto manager, s’auto motiver, s’auto diriger, s’auto contrôler et s’auto discipliner. Ils le feront individuellement et au sein d’équipes pluridisciplinaires qui seront le cœur de l’entreprise”. Le corollaire de cette large autonomie et responsabilisation conférée au salarié est que les organes de direction de ces entreprises libérées “se pass[ent] de nombreux cadres, notamment des cadres de proximité et cadres intermédiaires ainsi que de certaines fonctions 24 LINHART, Danièle. LES FORMES MODERNES DE L’EMPRISE MANAGERIALE. Educ. Soc. [online]. 2019, vol.40 [cited 2020-06-14], e0219374 25 GETZ, Isaac, CARNEY, Brian M. Liberté & Cie. Paris : Flammarion, 2016
  • 32. 31 sur 52 supports, sans pour autant tomber dans l’anarchie [...] . Le courant des « entreprises libérées » opère ainsi un déplacement : il se détourne d’une partie des cadres notamment intermédiaires (qu’elles éliminent) pour tenter de retrouver avec tous les salariés une relation de confiance basée sur une délégation de parcelles d’autonomie en contrepartie d’une loyauté totale”. Si nous nous référons aux valeurs des entreprises numériques performantes énoncées en partie 1 de cette thèse, à de leurs pratiques (expérimentation rapide, auto-organisation, prise de décision basée sur les données…) , il semblerait, que dans la course à la mise au profit de l’IA, les entreprises de type “libéré” aient acquis un certain avantage. Il est cependant à souligner qu’au-delà du fait de s'être affranchies des castes de managers encombrants et des experts réfractaires, les entreprises libérées possèdent d’autres atouts susceptibles de conférer un terrain favorable à la diffusion de l’IA. En effet, lorsque l’IA est adoptée dans l’ensemble d’une entreprise, les algorithmes permettent aux employés de tous les échelons d’améliorer leur propre jugement ou leur intuition et de fournir de meilleures réponses que celles des humains ou des machines seules. Mais cette approche ne peut fonctionner que si les collaborateurs font confiance aux suggestions des algorithmes et ont le sentiment d’être habilités à prendre des décisions, ce qui signifie qu’il faut un nécessaire abandon de la traditionnelle approche descendante, de favoriser les approches “test and learn”, et d’autoriser le droit à l’erreur. En effet si un salarié doit consulter son supérieur avant d’agir dans le sens du partage ou de l’exploitation de donnée, cela réfrénera irrémédiablement une utilisation fluide de l’IA dans les affaires courantes des organisations. Cependant, rappelons qu’une culture d’entreprise libérée ne constitue pas le seul facteur favorisant une évolution vers une entreprise dite AI-Driven. Elle en constitue, certes un terreau favorable, mais il sera incontournable d’avoir au préalable diffusé une culture de la donnée et de faire preuve d’un leadership puissant en ce sens. A l’issue de cette partie, devons-nous conclure que les entreprises néo-tayloriennes sont condamnées à ne tirer profit de l’IA qu’à travers d’initiatives éclatées dans différents silos ? Sont-elles contraintes à révolutionner la façon dont les personnes et les organisations interagissent, réinventer leurs industries et briser le pouvoir des portiers enracinés ? En d’autres termes à transformer leur organisation et ainsi transcender le Paradoxe de Solow ? Dans la prochaine partie, nous nous baserons sur l’idée selon laquelle développer une culture prête pour accueillir l’IA ne signifie pas supprimer tout ce qui est bon dans la culture d'une entreprise traditionnelle. La transformation pourra se faire sans sacrifier l’intégrité et la stabilité des entreprises. Au lieu de cela, il s’agira d’introduire de nouvelles pratiques tout en affinant d’autres. Nous proposerons ainsi un ensemble de mesures opérationnelles et intégrées
  • 33. 32 sur 52 susceptibles de constituer, pour ces entreprises, une roadmap pragmatique et opérationnelle dans la longue route qui les conduira au statut d’entreprise d’AI Driven.
  • 34. 33 sur 52 3 PARTIE III : COMMENT LES ENTREPRISES STRUCTUREES AUTOUR DE MODELES D’ORGANISATION TRADITIONNELS PEUVENT SE PREPARER A LA MONTEE EN PUISSANCE DE L’IA ? Nous avons démontré tout au long des chapitres précédents, que la mutation des grandes organisations traditionnelles en acteurs AI-Driven, relevait d’un challenge particulièrement complexe. Nous avons identifié trois enjeux auxquels ces entreprises devront être confrontées à savoir : ● Favoriser une adoption massive de l’IA en dépit des fantasmes qui y sont associés et d’un défaut avéré de compétences nécessaires à la mise en œuvre de ces technologies ; ● Assurer la maîtrise de zones de résistances fortes, potentiellement souvent nichées dans les hautes sphères de la pyramide hiérarchique; ● Nécessité de gérer à la fois le temps court pour l'expérimentation, et le temps long pour construire patiemment un nouveau modèle, car le temps est nécessaire pour faire évoluer les hommes et leurs métiers. Ce serait une erreur de considérer qu’il suffirait de se doter d’une armée de data scientists expérimentés pour résoudre les problématiques basées sur la donnée, car dans la plupart des entreprises qui ne sont pas, par essence, numériques, les mentalités et les façons de travailler traditionnelles vont à l’encontre de celle requises par l’intelligence artificielle. Le changement doit être plus profond. Cela explique pourquoi, beaucoup de grands groupes ayant montré un intérêt à évoluer vers une plus grande utilisation de l’intelligence artificielle dans leurs process échouent à la diffuser massivement et faire perdurer son utilisation dans le temps. Ces entreprises ont commis le péché de considérer l’IA comme un simple objet technologique, comme en témoignent leurs choix de déploiement de datalake ou l’embauche massive de data scientists/data engineers alors qu’il n’existe pas de stratégie globale, tout au plus, des cas d’usages isolés. Alors, quelles options s’offrent aux entreprises pour entreprendre un changement profond vers de nouveaux modes de travail AI & Data-Driven sans bouleverser leurs fondamentaux ? Pour répondre à cette question, nous nous inspirons des propositions d’Hervé Baculard, de KEA PARTNERS, qui identifie quatre modalités pour la promotion et l’ancrage de nouvelles
  • 35. 34 sur 52 méthodologies de travail potentiellement perturbatrices26 au sein d’entreprises empruntant des modèles d’organisations traditionnels. Ces différentes modalités peuvent être combinées dans l’espace et dans le temps. Dans notre cas d’espèce, elles se déclinent comme suit : ● Racheter un acteur déjà orienté AI et Data-Driven et l’absorber pour changer l’ADN de l’ensemble de l’organisation ; ● Engager le fer en interne en surinvestissant dans la technologie et en recrutant une masse critique de collaborateurs déjà acculturés à l’importance de la donnée. Cette masse critique doit être suffisante pour faire bouger les lignes ; ● Créer à côté du core business une fabrique de nouveaux usages et business et essaimer par osmose et en continu ; ● Multiplier et faire rayonner les initiatives pour acculturer l’entreprise à un mindset data- driven. Dans la proposition de transformation que nous présenterons ci- après, nous avons fait le choix d’activer les 3 derniers leviers. Leur mise en oeuvre opérationnelle servira de base pour une évolution en profondeur de l’organisation et une mutation des collaborateurs et elle s’appuiera sur 4 leviers suivants, dont nous détaillerons les fondations ci-après : ● Un Leadership et Sponsoring du projet de transformation de très haut niveau, engageant le Dirigeant en personne ; ● L’émergence d’une Culture de la Donnée et d’une Culture du Risque ; ● La mise en place d’une Organisation dédiée, en limitant l’impact sur les fondamentaux de la structure et l’organisation d’origine; ● Et enfin, un traitement particulier des freins humains (People) de la résistance au changement. 3.1 UN LEADERSHIP DE HAUT NIVEAU Le handicap majeur auquel seront confrontées les entreprises traditionnelles lors de leur volonté d’une appropriation massive des technologies d’intelligence artificielle, pourrait être la défiance non exprimée de la part de leur salariés, toutes strates confondues, à l’égard de l’IA. L’IA est une technologie aux usages multiples, techniquement complexe à appréhender. Les cas d’usage ne sont pas triviaux et surtout, elle est entourée de fantasmes liée à médiatisation à outrance et déformante : mythe de la singularité, impact sur l’emploi etc. Dans ce contexte 26 Hervé BACULARD, La transformation socio-digitale, La Revue, KEA PARTNERS, juillet 2019
  • 36. 35 sur 52 défavorable comment faire adhérer les troupes à l’adoption massive et durable de cette technologie ? Un des premiers réflexes pourrait être de convoquer le sentiment d’urgence. Face à l'émergence de nouveaux acteurs bouleversant les configurations concurrentielles, l’entreprise est confrontée à un dilemme : se transformer ou mourir. L’IA se dresse alors comme l’un des principaux leviers de cette transformation nécessaire. Cette stratégie est à double tranchant : si trop souvent invoqué par le passé tel un épouvantail, cet argument pourrait avoir perdu de sa superbe. Par ailleurs, le côté alarmiste pourrait freiner l’élan d’enthousiasme et de volonté que nécessite cette transformation. L’IA serait alors vue comme une obligation contraignante et la motivation nécessaire à son adoption serait émoussée. Pour explorer d’autres options, intéressons-nous au Leadership d’entreprises AI-Driven existantes. Dans un article publié dans le MIT Sloan Management Review, Davenport T. et Foutty J.(2018)27 liste les points communs des Dirigeants ayant transformé leur entreprise en organisation AI & Data-Driven. Ces points communs sont listés ci-dessous : ● Ils sont technophiles et comprennent le fonctionnement des technologies d’intelligence artificielle ; ● Ils établissent des objectifs clairs quant à l’utilisation des technologies d’IA; ● Ils fixent un niveau d'ambition approprié; ● Leur vision quant à l’utilisation de l’IA va au-delà des pilotes et des POCs; ● Ils ont conscience de la nécessité d'embarquer leurs collaborateurs dans une nouvelle aventure et de leur expliquer les impacts futurs tant sur leur savoir-faire que sur leur façon de travailler; ● Ils mettent les moyens en œuvre pour obtenir les données nécessaires ; ● ils orchestrent des organisations collaboratives. Au-delà de ces attributs, il s’avère que ces leaders appliquent au quotidien ces principes, ne s’arrêtant pas à énoncer de bonnes pratiques, préconisations et recommandations. “L'exemplarité n’est pas une façon d’influencer les autres, c’est la seule”, disait Albert Schweitzer. De ce fait, pour revenir à notre proposition, les dirigeants doivent être intimement convaincus de la nécessité de s’appuyer sur les données pour orienter leurs décisions et mettre en œuvre cette croyance afin d’amorcer le développement d’une culture axée sur la 27 T.DAVENPORT, J. FOUTTY, AI Driven Leadership, MIT Sloan Management Review, August 10, 2018
  • 37. 36 sur 52 donnée. Leurs décisions devront être prises à l’aune des analyses de données et en miroir, ils devront exiger de leurs collaborateurs qu’ils en fassent de même. . Le second levier du ressort du dirigeant pour la diffusion des technologies d’IA au sein de son organisation est de s’ériger comme un puissant relais de diffusion des initiatives prises au sein de son organisation relatives à l’exploitation des data grâce à l’IA. Cette reconnaissance publique de telles initiatives devraient encourager d’autres services/collaborateurs à s’engager dans cette voie. L’un des corollaires est que le leader porteur de cette stratégie de transformation s’adresse directement à ses collaborateurs quelle que soit leur place dans l’organisation. Ce contournement des strates intermédiaires permettra notamment la diffusion de messages uniformes, non soumis à quelque interprétation ou déformation inopportune de la part des Managers et préjudiciable à la bonne dynamique de transformation de la société. Enfin, il sera indispensable, pour aller au-delà des POCs et des initiatives dispersées, qu’une vision écosystémique de l’utilisation de l’IA et des données au sein de l’entreprise soit clairement affichée par le Dirigeant. Cette vision se matérialisera, entre autre, par une organisation dédiée dont nous détaillerons les modalités plus en aval. 3.2 CULTURE DES DONNEES ET CULTURE DU RISQUE Par définition, le changement de culture au sein d’une entreprise consiste à changer l’état d’esprit collectif des collaborateurs et de faire évoluer leurs certitudes et convictions intimes afin d’impacter durablement les façons de collaborer et de travailler. Dans notre cas présent, l’obstacle à franchir est monumental, tant les croyances entourant l’IA s'érigent comme un frein plutôt qu’un catalyseur dans l’adoption d’un nouveau mindset et de nouvelles pratiques. L’un des premiers écueils à éviter est de recourir à une approche “techno-push”, où la transformation est poussée par la technologie et qui, d’après Yann Ferguson28 , a pour conséquence de “confondre la fin et le moyen”. Si, pour des questions d’image et de marketing, il peut sembler séduisant de tout focaliser sur l’Intelligence artificielle, on s’éloigne du réel objectif de la transformation qui s’avère être une optimisation de l’exploitation de la donnée par des outils d’intelligence artificielle. Cette erreur n’est pas sans risque. En effet, une approche techno-push aboutirait à “faire de l’IA pour faire de l’IA” et ainsi à conduire, comme c’est souvent le cas, à une dispersion d’initiatives disséminées dans des silos distincts, sans réelle valeur ajoutée et sans aucune logique de synergie. L’IA serait alors 28 Entretien avec Yann Ferguson du 08/04/2020
  • 38. 37 sur 52 considérée, à juste titre, comme un levier de transformation mais sans objectif clair donné à son utilisation, l’impact sur les organisations sera plus que limité. De ce fait, il apparaît alors indispensable de faire la distinction entre une meilleure exploitation de la donnée (finalité) et l’intelligence artificielle qui n’est que l’outil, dès l’évocation d’un futur programme de transformation. D’aucuns seraient même enclins, à bannir volontairement le terme d’intelligence artificielle, afin de se défaire rapidement des fantasmes pouvant freiner son adoption. Du discours fondateur du dirigeant aux initiatives lancées dans les différents services, l’adage selon lequel la transformation doit passer par une meilleure exploitation des données devra s’ériger comme le fil conducteur de la stratégie de transformation. Évoquons désormais la stratégie de changement de culture. Elle devra aborder deux volets distincts : favoriser la Culture de la Donnée et encourager la Culture du Risque 3.2.1 Favoriser la Culture de la Donnée La première étape pourrait s’apparenter à une réelle opération de déminage. La positionnement doit être clair : “Oui, nous allons utiliser massivement des outils d’intelligence artificielle pour permettre une meilleure exploitation de nos données ! Mais, nous nous engageons à que son utilisation soit raisonnée !” A cet égard, il apparaît nécessaire de concrétiser ce positionnement en érigeant un cadre transparent et intelligible d’utilisation des technologies d’intelligence artificielle, spécifiant notamment : ● l’objectif (meilleure exploitation des données) ; ● le niveau d’ambition; ● les frontières éthiques (ex : impact emploi, impacts humains...); ● les conséquences RSE. Cette concrétisation peut prendre la forme d’une “Charte Ethique” ou d’un “Code de bonne conduite” et résulter d’une rédaction collaborative. Ce travail peut permettre d’exorciser les craintes inconscientes, collectives et non exprimées liées à l’Intelligence artificielle. Au-delà du fait de conjurer les craintes de chacun, ce travail collectif permettra également d’être le premier jalon de l’engagement des collaborateurs dans cette transformation où chacun d’entre eux devra jouer sa partition dans ce projet commun. Les premières pierres ainsi posées, il s’agira ensuite d’amorcer le mouvement et de l’inscrire dans la réalité. Quels cas d’usages privilégier pour commencer ? Encore une fois, il s’avèrera
  • 39. 38 sur 52 crucial de ne pas négliger cette phase. Même couchées sur papier, les craintes relatives à l’IA peuvent demeurer vivaces dans l’inconscient de certains esprits réfractaires. La logique voudrait que l’on se concentre sur des “Quick Wins”, ces projets faciles à mettre en œuvre et donnant rapidement un résultat probant. Cela reste l'une des meilleures tactiques de conduite du changement, tant la prise de conscience par les employés des avantages tangibles de l'exploitation des données par l’IA, rendront particulièrement inaudibles les arguments sous-tendant la résistance au changement. D’autres critères, autre que la rapidité de mise en œuvre des projets doivent rentrer en compte si l’on souhaite faire une pierre deux coups à savoir, faire la démonstration des apports de l’IA tout en dissipant les craintes qui lui sont liées et qui peuvent freiner son expansion. A cette fin, nous proposons la grille CSNA (Confort/Soulagement/Nouveaux services /Augmentation) de priorisation suivante : ● Projet d’IA de “Confort” : Ces projets n’ont pas vocation à permettre des gains de productivité. Nous nous plaçons dans de l’IA “non marchande”, qui apporte un service “de confort” nouveau pour les collaborateurs. Au delà de la simple illustration de l’apport potentiellement positif de l’intelligence artificielle, ces projets permettront notamment de dissiper cette image de l’IA comme un objet compétiteur de l’Homme. A titre d’exemple, cette stratégie est employée pour favoriser l’acceptation des technologies d’IA par les usagers de smartphones. Ces derniers sont pourvoyeurs de nombreux services basées sur de l’IA, dans lesquels les usagers trouvent un intérêt précieux : photographie, réalité virtuelle, reconnaissance vocale, de visage, d'empreintes, d’iris, amélioration de l’enregistrement sonore…Aujourd’hui, peu de personnes s'insurgent de l’imposante présence de l’IA dans leur outil du quotidien. Même les plus réfractaires, s'autorisent l’usage de filtres avant d’envoyer leur selfie via SnapChat ! Au sein des organisations, cette IA de confort peut se matérialiser par des applications telles que celles développées par l’entreprise COMEET, dont le but est de favoriser les échanges entre collègues ou offrir des services tels que prévoir le temps d’attente au Restaurant d’entreprises en fonction des horaires d’ouverture de l’établissement; ● Projet d’IA de “Soulagement” : Les projets pouvant ensuite être expérimentés seront ceux qui permettront de résoudre des “points de douleur” clairement exprimés par les collaborateurs, et d’alléger ces derniers de tâches à faible valeur ajoutée dont ils souhaitent se défaire. Au-delà de la simple acceptation, ces projets peuvent faire l’objet d’un enthousiasme certain. On peut citer à titre d’exemple, les solutions de détection automatique de défaut sur une ligne de production, les assistants conversationnels (ou
  • 40. 39 sur 52 chatbots permettant d’éluder une bonne partie de questions récurrentes et ainsi d’alléger la charge des services clients), le rapprochement de documents comptables, l’OCRisation de documents… Toutefois, il faudra être vigilant sur le fait qu’il n’y a qu’un impact mineur sur l’emploi et que la finalité des projets reste éthiquement acceptable ; ● Projets d’’IA de “Nouveaux services” : Nous rentrons désormais dans l’IA dite “marchande”, créant de la valeur pour la société au point de la rendre plus compétitive. Ces solutions devront se concentrer sur les tâches que les humains ne peuvent pas faire mieux que la machine, mais toujours sans impact sur l’emploi, puisque ces services n’existaient pas jusqu’alors ! On peut citer à titre d’exemple les processus de détection de fraude dans les banques ou encore les algorithmes de recommandation utilisées sur les plateformes tels que Netflix (films/séries) ou Amazon (produits de grande consommation). Sur ces thématiques, l’IA sera infiniment plus puissante que l’Humain, qui, pour des raisons de limitations cognitives et physiologiques ne pourra jamais concurrencer la machine (puissance et vitesse de calcul) ; ● Projets d’IA “Augmentante (Substituante ?”) : Enfin, dans l’hypothèse où les initiatives précédentes seront couronnées de succès, l’entreprise pourra raisonnablement décider d’expérimenter des projets susceptibles de lui conférer un avantage concurrentiel et/ou avec un impact non négligeable sur l’emploi (destruction ou transformation). Ces projets pourront concerner les processus de prise de décision et aboutiront à des configurations d’Homme Augmenté/Homme Remplacé. A titre d’illustration, on pourra évoquer les algorithmes de recrutement de nouveaux collaborateurs, les outils de trading à haute fréquence ou encore l’utilisation de l’IA dans les activités de Crédit Scoring, destinées à évaluer le risque emprunteur et par conséquent d’attribuer ou non un crédit. Jusque-là, ces tâches étaient réalisées par l’Homme. Les outils d’IA ne viennent que renforcer leur performance mais ont toutefois le potentiel dans certains cas de se substituer à leur utilisateur. Pour finir, nous soulignons qu’il reste important de commencer les expérimentations dans le Département ou la Business Unit qui a le plus de sens afin de se doter d’éléments de démonstration de l’apport de l’IA dans la chaîne de valeur de l’entreprise. 3.2.2 Encourager la culture du Risque Comme présenté en amont de ce chapitre, le changement de culture doit aborder aussi bien l’infusion la culture de la donnée (que nous venons d’évoquer), qu’en parallèle, encourager la prise d’initiatives et donc une culture du risque.