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2. OCTOBRE 2014 FRANCE - AMÉRIQUE 53
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ÉDUCATION
L
a population française aux
États-Unis a augmenté de
35% ces quinze dernières
années. Le profil des Français
qui s’expatrient s’est diversi-
fié. Hier, l’expatriation était
synonyme de foyers aisés
avec des Français détachés par leur entreprise.
Les frais de leur vie quotidienne – logement,
éducation des enfants – étaient le plus souvent
pris en charge par leur employeur. La nouvelle
génération d’expatriés est plus jeune, et plus
précaire : pour eux, les établissements privés
français, à l’enseignement de qualité mais aux
coûts de scolarité exorbitants, ne sont pas tou-
jours une solution envisageable. Soucieux de
l’éducation de leurs enfants, certains Français
ont décidé de prendre les choses en main et de
créer des programmes d’enseignement pour
répondre à leurs propres besoins.
À New York, le mouvement du bilinguisme
dans les écoles publiques a commencé dés 2007,
avec l’ouverture de la première classe d’immer-
Aux États-Unis,
l’avenir de la
langue française
passe par le bilinguisme
De la Californie à la Floride, de l’Utah au Minnesota, l’enseignement
du français n’a cessé de progresser aux États-Unis ces dix dernières an-
nées. Les programmes bilingues français-anglais se multiplient dans les
écoles publiques américaines, grâce à des familles françaises et améri-
caines convaincues des bénéfices du bilinguisme, et avec le soutien de
politiques locales favorables à cet apprentissage.
Gaétan Mathieu
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3. 54 FRANCE - AMÉRIQUE OCTOBRE 2014
sion à Brooklyn. À la rentrée 2014, sept écoles publiques new-
yorkaises dispensent des cours en français et anglais pour des
élèves de primaire1
, ainsi que l'école à Charte (école publique
gratuite gérée par le secteur privé) de Harlem, la NYFACS.
Deux collèges2
proposent également des programmes bilin-
gues depuis la rentrée de 2014. « La crise et la hausse des prix
du loyer à Manhattan conduisent les Français à emménager à
Brooklyn et à s’accommoder des écoles publiques », explique
Fabrice Jaumont, attaché à l'Éducation de l'ambassade de
France à New York.
L’EXPÉRIENCE NEW-YORKAISE
L’école publique de Carroll Gardens, PS 58, est la pionnière
de ce mouvement à New York. Elle a ouvert ses portes grâce à
EFNY (Éducation Française à New York), une association de
parents d'élèves. La méthode en deux temps d’EFNY a fait ses
preuves et sert aujourd’hui de modèle : les parents démontrent
aux directeurs d’école qu’il se trouve suffisamment de familles
intéressées, puis l’ambassade intervient en seconde instance
avec un appui logistique et politique qui rend crédible la de-
mande des parents d’élèves. « Beaucoup de familles françaises
ont constaté que la création
de programmes bilingues por-
tés par des groupes de parents
rencontraient un grand succès
à New York et se sont dit ‘pour-
quoi pas chez moi’ », explique
Fabrice Jaumont.
En partenariat avec The Down-
town/Midtown French-English
Dual-Language Program Pa-
rent Groups – qui regroupe 150
familles, EFNY, et la maternelle
La Petite École –, l’ambassade
de France aux États-Unis a pré-
senté en 2013 une feuille de route
à tous les parents intéressés
par la création de programmes
bilingues. Un document dispo-
nible sur internet et régulière-
ment consulté. « Je reçois des
appels de parents de tous les
États-Unis, et même d’expatriés
français habitant dans d’autres pays étrangers. Des familles
italiennes et japonaises m’ont contacté car elles sont fascinées
par la réussite des programmes bilingues français à New York »,
se réjouit Fabrice Jaumont. « J’essaie de les guider à distance,
en m’adaptant à la logique de chaque État ».
LA CALIFORNIE SUIT LE
MOUVEMENT
Partie de la Côte Est, la vague du bilinguisme dans les écoles
publiques atteint la Californie. À Glendale, dans la ban-
lieue nord-est de Los Angeles, un programme porté par une
mère de famille française, Muriel Gassan, a ouvert en 2012.
Seul établissement à proposer un programme d’immersion
en français dans une école primaire publique de la région,
la Franklin Magnet School attire de nombreux Français de
Los Angeles, qui n’hésitent pas à faire une heure de trajet,
matin et soir, pour conduire leur enfant à l’école. « Avant de
présenter le dossier au district de Glendale, j’ai pris contact
avec parents et enseignants à l’origine des programmes bilin-
gues à New York pour récolter
des conseils », explique Muriel
Gassan. Arrivée en 1998 à Los
Angeles, cette native du Pays
basque a d’abord créé en 2009
l’association Frenchip. Cette
association a regroupé cent cin-
quante parents souhaitant que
leur enfant parle le français et
l’anglais, mais dans l’incapacité
de payer les frais de scolarité
des écoles privées bilingues.
« Auparavant, les parents
voulaient à tout prix suivre le
programme de l’Éducation
nationale française dispensés
par les établissements privés
parce qu’ils envisageaient de
rentrer en France un jour.
Aujourd’hui, ils sont nombreux
à rester aux États-Unis et les
bourses scolaires de l’État
Comment fonctionne un
programme bilingue ?
Il existe différents modèles de
programmes bilingues, parfois
appelés classes d’immersion, aux États-Unis. Ce-
lui de l’Utah et de nombreuses écoles à travers les
États-Unis suit la méthode dite du 50/50, avec la
moitié des cours en anglais et l’autre moitié dans
la langue visée. Il n’y a aucune règle concernant
la langue d’apprentissage de certaines matières.
Dans l’Utah, par exemple, les mathématiques et les
sciences sociales sont enseignées en français en
CE2, puis en anglais en CM1 et CM2. Dans d’autres
programmes, les enfants commencent l’école avec
10 à 20% des matières enseignées dans leur langue
maternelle. Et, plus l’enfant grandit, plus les classes
se déroulant en anglais deviennent importantes,
jusqu’à atteindre 50% du temps d’enseignement.
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5. 56 FRANCE - AMÉRIQUE OCTOBRE 2014
français ne sont plus suffisantes pour inscrire leur enfant dans
leprivé», témoigne Muriel Gassan. Le programme de Glendale
accueille aujourd’hui 72 enfants, dont la moitié sont Français.
Cent cinquante familles sont sur les listes d’attente, preuve de
l’engouement mais également du manque de structures d’ac-
cueil. « Beaucoup de Français habitent dans l’Ouest de Los
Angeles, autour de Santa Monica. Certains d’entre eux ont dé-
ménagé à l’est pour pouvoir inscrire leurs enfants à Glendale.
Il existe maintenant une forte communauté autour de l’école »,
poursuit Muriel Gassan. L’ouverture de ces classes d’immer-
sion gagne toute la région.
Une preschool d’immer-
sion en français, Le Jardin
des enfants, a ouvert ses
portes au printemps 2014
à Glendale. Il s’adresse
aux enfants âgés de deux
ans et demi à cinq ans.
Deux autres programmes
bilingues en preschool
pourraient ouvrir à la ren-
trée 2015 dans l’ouest de
Los Angeles, où la commu-
nauté française est encore
plus dense.
D
ans le New Jer-
sey, le Minne-
sota, le Colo-
rado, l’Alaska,
la Floride, et la Géorgie,
des programmes bilingues
soutenus par des familles
françaises et des consulats
devraient éclore dans les
années à venir. À Arlington,
voisine de Washington D.C.,
Aude Rabault tente de créer
un programme, sur le mo-
dèle de ceux de New York.
« Des familles françaises,
canadiennes, belges, maro-
caines et américaines sont
partantes ». Les motivations
sont les mêmes que dans le
reste des États-Unis. « Pour
moi, le lycée privé Rochambeau (ndlr : À Bethesda, dans la ban-
lieue de Washington D.C.) n’est pas une option : trop cher et je ne
reçois aucune aide de mon employeur pour payer les frais d’ins-
cription. De plus, avec mon mari américain, nous n’envisageons
pas de retourner en France et je ne pense pas qu’il soit indis-
pensable que ma fille de trois ans suive le cursus français. En
revanche, je regretterais qu’elle ne soit pas exposée à la langue
française ailleurs qu’à la maison. Les programmes bilingues me
semblent la solution idéale ».
L’UTAH, NOUVEL ELDORADO DU
BILINGUISME
Les Américains de-
viennent plus nombreux
à percevoir les bienfaits
de l’apprentissage d’une
seconde langue dès le
plus jeune âge. Beaucoup
optent pour l’espagnol
ou le mandarin, mais
le français reste appré-
cié. Pour comprendre cet
engouement récent pour
le bilinguisme aux États-
Unis, il faut se rendre dans
l’Utah, deuxième État où
le nombre d’enfants appre-
nant le français est le plus
élevé du pays, après la
Louisiane. Dans cet État,
plus connu pour sa com-
munauté mormone que
pour ses écoles d’immer-
sion, 3 000 élèves de 5 à
12 ans apprennent chaque
jour le français. Parmi
eux, moins de 10% sont
français. Ces chiffres
étonnants résultent d’une
politique éducative locale.
En 2008, le Sénat de
l’Utah a voté la loi 80 inti-
tulée Critical Languages
Program allouant des
fonds pour l’ouverture de
programmes bilingues
en chinois, espagnol et français. L’objectif était de lancer
100 classes d’immersion pour 30 000 enfants d’ici à 2015.
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ÉDUCATION
À Brooklyn, le bilinguisme
protège la francophonie
À Bed-Stuy, un quartier défavorisé de New York,
la principale de l’école publique PS 3, Kristine
Beecher, a ouvert à la rentrée 2014 un programme
bilingue en Kindergarten (grande section de
maternelle) pour attirer les familles francophones
du quartier. L’école, qui voyait ses inscriptions
baisser année après année, envisage déjà d’ouvrir
un niveau supplémentaire tous les ans, jusqu’au
5th grade (CM2), et d’augmenter ainsi son nombre
d’élèves et son budget. Avant d'ouvrir ce pro-
gramme français, l'école a consulté les parents sur
leur intérêt pour ce type d'apprentissage et sur le
choix de la langue qui devrait être enseignée.
« Nous avons beaucoup d'élèves qui parlent le
bengali, mais ce n'est pas une langue internatio-
nale. Avec une communauté Ouest et Nord-Afri-
caine grandissante à Bed-Stuy, le français s'est
imposé. Ces familles souhaitent que leurs enfants
parlent bien le français lorsqu'ils se rendent dans
leur pays d’origine », affirme Steven Mohney, pro-
fesseur à PS 3. L’ambassade de France, ravie de
l’ouverture de ce programme pour le rayonnement
de la francophonie, a offert au programme
$5 000 pour l’achat de livres en français.
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Objectif atteint dès la rentrée 2014, puisque 118 programmes
bilingues dont 14 en français (ndlr : Plus de la moitié des pro-
grammes sont anglais-espagnol) ont été créés en six ans. « De-
puis 2006, le gouverneur Jon Huntsman souhaitait développer
l’apprentissage du mandarin et de l’arabe, des langues parlées
dans les pays émergents », explique Gregg Roberts, coordinateur
des programmes d’immersion pour le département d’éducation
de l’Utah.
« Légiférer semblait être la meilleure voie pour créer une multi-
tude de programmes bilingues. Au départ, il ne devait y avoir que
le chinois et l’espagnol, mais ayant appris le français à l’école
et étant convaincu que c’est une langue utile, j’ai demandé à ce
qu’on intègre le français à la loi ». Pour Gregg Roberts, le bilin-
guisme est vital à la survie économique de l’Utah, un État qui n’a
aucune frontière avec un pays étranger. « Le projet est d’éduquer
nos enfants pour qu’ils soient compétents dans un monde global.
À l’âge adulte, ils ne seront plus seulement en compétition sur
le marché de l’emploi avec les étudiants californiens ou new-
yorkais mais aussi avec les étudiants chinois et français ». À la
mention des quelques sceptiques des programmes bilingues de
l’Utah qui soutiennent que l’État a voté cette loi dans le seul but
de favoriser le prosélytisme mormon, Gregg Roberts sourit. « Si
cela avait été le cas, on l’aurait fait il y a des dizaines d’années.
L’Église n’a rien à voir avec la création des programmes bilin-
gues. Mais il est certain que la tradition de l’envoi de mission-
naires à travers le monde a permis une meilleure compréhension
des apports du bilinguisme auprès des parents de l’Utah ».
P
our Jean-Claude Duthion, attaché à l'Éducation de l’am-
bassade de France à Washington D.C., l’intérêt réel des
habitants de l’Utah pour les langues étrangères, a faci-
lité le développement des programmes bilingues dans
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7. 58 FRANCE - AMÉRIQUE OCTOBRE 2014
l’État. « Les enjeux sont ceux de l’État, pas ceux d’une com-
munauté religieuse. L’Utah a seulement mis a profit l’expertise
des Mormons sur l’enseignement des langues. Ce n’est pas un
hasard si l’une des meilleurs écoles de langues est Brigham
Young University à Provo ». Selon lui, l’Utah et New York sont
deux États modèles du bilinguisme aux États-Unis, bien que
leur approche soit opposée. « À New York, ce sont des familles
françaises qui ont approché des directeurs d’établissements
publics en leur demandant d’ouvrir des classes bilingues. La
demande venait d’en bas. À l’inverse, dans l’Utah, la demande
vient d’en haut. L’État a compris que le bilinguisme était dé-
terminant pour l’accès des élèves aux grandes universités et à
des emplois compétitifs. Les deux méthodes sont des réussites ».
L’initiative de l’Utah, lancée il y a six ans, fait école aux
États-Unis. Des responsables du département d’Éducation du
Wyoming, de la Caroline du Nord, de l’Arkansas, et de Rhode
Island se sont rendus dans l’Utah pour étudier ces programmes
bilingues et les copier. La Géorgie, un des premiers États à se
renseigner sur ce modèle, a ouvert deux programmes bilingues
en français à Atlanta à la rentrée 2013. Le Delaware a créé
l’an dernier des programmes en chinois et en espagnol. « On
espère que des classes d’immersion en français vont bientôt
ouvrir », précise Jean-Claude Duthion. « Mais il faut prou-
ver à l’État que beaucoup d’échanges économiques se font en
français et qu’il existe un réel intérêt pour les jeunes Améri-
cains à apprendre cette langue ».
LE BILINGUISME AIDE-T-IL À PENSER ?
« Taught English by being taught English ». La proposition
227, adoptée en 1998 par la Californie et toujours en applica-
tion aujourd’hui, visait sans les nommer les programmes bilin-
gues anglais-espagnol. Craignant que les classes d’immersion
en espagnol n’empêchent les immigrés hispanophones de bien
parler l’anglais, l’État avait mis un frein aux programmes
bilingues. Mais, les nombreuses études récentes vantant les
bénéfices du bilinguisme ont remis en cause le maintien de la
loi. Les Californiens devront se prononcer sur sa révocation le
8 novembre 2016, lors du vote pour l’élection présidentielle. Il
est aujourd’hui admis que la flexibilité cognitive des enfants
bilingues développe leur capacité de raisonnement, leur créa-
tivité et leur ouverture d’esprit. Il semble que le cerveau d’un
enfant bilingue soit plus apte à faire plusieurs choses à la fois,
et à mieux hiérarchiser les informations.
T
out comme l’activité physique développe les muscles,
l’apprentissage d’une seconde langue et sa pratique sti-
muleraient-ils la matière grise ? Une étude menée en
2011 sur 450 patients par Ellen Bialystok, professeure
de psychologie de l'Université York, à Toronto, a conclu que le
bilinguisme retardait de trois à cinq ans les symptômes liés à
Alzheimer. « Les patients bilingues ont été capables de mieux
vivre avec la maladie », affirme-t-elle. Une autre étude, conduite
en 2013 par l'Institut Nizam des sciences médicales à Hyderabad
en Inde, et publié dans Neurology en est arrivée aux mêmes
conclusions. « Parler plus d'une langue paraît induire un meilleur
développement de la zone du cerveau responsable du raisonne-
ment et de l'attention, qui pourraient contribuer à protéger les
individus de la démence ».
A
utant de bienfaits que les Américains, pragmatiques,
apprécient. « Dans certains cas, l’intérêt pour le bi-
linguisme en français est lié à la réussite des élèves.
Dans des villes comme Milton, Massachusetts, et
Edina, Minnesota, les programmes bilingues sont proposés
à des communautés de milieux favorisés. Grâce à ces pro-
grammes, de nombreux élèves ont des taux de réussite éle-
vés aux examens et accèdent aux universités les plus cotées
des États-Unis », révèle l’étude Révolution bilingue pour la
communauté francophone de New York de Jane F. Ross, pro-
fesseur à New York University, spécialiste de l’héritage de
la langue française, et Fabrice Jaumont. Selon cette étude, la
réussite scolaire se vérifie à New York, où les écoles bilin-
gues s’adressent à une communauté plus hétérogène. « Bien
que confidentielles [les statistiques] prouvent que les enfants
enrôlés dans ces programmes double langue depuis la grande
section maternelle ont atteint une moyenne de plus de 80%
lors des épreuves d’anglais et de mathématiques, moyenne
deux à trois fois plus élevée que celle des enfants monolingues
scolarisés dans les écoles de New York City ».
LES LIMITES DE L’EXPANSION DU BI-
LINGUISME : MANQUE DE MOYENS
ET DE PROFESSEURS
Optimiste sur l’avenir du français aux États-Unis, l’attaché à
l'Éducation de l'ambassade de France reste mesuré. « Vu de
Paris, on croit que tout le monde veut parler le français aux
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8. OCTOBRE 2014 FRANCE - AMÉRIQUE 59
États-Unis. Après l’article du New York Times sur la révolu-
tion bilingue à New York, la presse française affirmait que la
langue de Molière était à la mode. Ce n’est pas le cas. On ne
s’arrache pas encore des mains les dictionnaires français dans
les librairies ! ». La demande est tout de même exponentielle.
Les listes d’attente pour les programmes bilingues ont atteint
des records en 2014 : 500 familles n’ont pas pu mettre leur en-
fant dans une classe d’immersion en Louisiane, 150 à Glendale,
328 dans le Montgomery County, Maryland.
B
ien des obstacles freinent encore le développement
des classes d’immersion en français. À Los Angeles,
la Richland Avenue Elementary School espérait ou-
vrir un programme bilingue à la rentrée 2014. Mais
le district de Los Angeles a rejeté la demande de l’établisse-
ment, arguant que l’école ne pouvait prouver sa pérennité sur
le long terme. Pour Muriel Gassan, qui a œuvré à l’ouverture
d’un programme bilingue dans la banlieue de Los Angeles,
certains districts sont plus difficiles à convaincre que d’autres.
« À Glendale, il y avait des programmes d’immersion en co-
réen, italien, et allemand. Le district, qui avait l’expérience
des programmes bilingues, était très intéressé par l’ouverture
d’un programme autour d’une nouvelle langue ». Autre dis-
trict difficile, celui de Fairbanks, une ville de 32 000 habitants
dans l’Alaska, où la Française Magali Philip se bat depuis 2012
pour l’ouverture d’une charter school. « Le district de Fair-
banks ne nous a jamais aidés à mobiliser les parents. L’État
d’Alaska avait proposé de nous accorder un budget ridi-
cule si nous n’avions pas au moins 150 élèves, ce qui est un
chiffre impossible à atteindre pour une ville comme Fairbanks.
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9. 60 FRANCE - AMÉRIQUE OCTOBRE 2014
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Je garde espoir que les mentalités des gens sur le bilinguisme
vont évoluer ». Dernière difficulté pour Magali Philip, trouver
un professeur français certifié par l’État d’Alaska. « Quand
vous êtes dans une grande ville, c’est plus facile d’attirer des
professeurs français. Mais en Alaska… La solution serait
qu’une loi soit votée comme en Utah. Cela permettrait l’envoi
de professeurs de France ».
D
e fait, des accords ont été signés avec
les académies de Bordeaux, Grenoble,
Nancy-Metz, Créteil et Poitiers, per-
mettant aux enseignants de ces aca-
démies d’être certifiés pour enseigner
le français dans l’Utah. « L’État a mis
ses réglementations administratives en
cohérence avec sa volonté politique »,
se félicite Jean-Claude Duthion, attaché à l'Éducation de l’am-
bassade de France à Washington D.C. « On ne peut pas aller
la fleur au fusil demander à une administration américaine
de changer sa loi et d’autoriser les professeurs non certifiés
et de forcer un partenariat avec la France. Seule une volonté
politique du département d’éducation de l’État peut faire évo-
luer la loi. Dans le district de Miami Dade, par exemple, des
professeurs non certifiés sont autorisés à enseigner ».
Autre obstacle, la concurrence avec d’autres programmes de
langues. À Fairfax, en Virginie, le programme d’immersion de
l’école élémentaire Herndon va fermer ses portes en 2019, le
temps que les élèves qui suivent actuellement l’enseignement
anglais-français achèvent leur scolarité dans l’établissement.
Le programme sera remplacé par des classes d’immersion en
espagnol, malgré la mobilisation de parents francophones et
américains pour sauver le programme en français. Une déci-
sion prise par la directrice, Ann Gwynn, afin d’adapter l’offre
de son établissement à la demande de la communauté locale.
Les enfants hispanophones, qui comptent pour 40% de la po-
pulation de l’école aujourd’hui, représentaient seulement 2,5%
des élèves inscrits en 1988 lorsque le programme français avait
été lancé. Pour justifier sa décision, la principale s’est appuyée
sur le fait que, lors des neuf dernières années, 46% des élèves
qui ont commencé le programme d’immersion en français ne
l’ont pas poursuivi jusqu’à son terme : plus les élèves avan-
çaient dans leur scolarité, plus les classes se désemplissaient.
Nombreuses sont les villes où le manque de fonds reste le
principal obstacle à l’enseignement bilingue. « Les livres et les
ressources coûtent chers. À PS 58, chaque enfant consomme
cinquante livres par an. En l’absence d’un appui parallèle,
un don, un fonds privé, les budgets des petits villes ne sont
pas suffisants », explique Fabrice Jaumont. « À Brooklyn, on
a pu créer ces programmes parce qu’ils aidaient des écoles
en perte de vitesse, qui fermaient des sections monolingues
parce que des familles partaient. Le programme bilingue ne
remplaçait pas un programme monolingue ». L’ouverture de
nouvelles classes permet d’augmenter le nombre d’élèves dans
une école, et offre la possibilité à l’établissement d’obtenir un
budget plus conséquent du département d’éducation de l’État.
« Avant l’arrivée des programmes bilingues, PS 58 avait 350
élèves. Aujourd’hui, l’école en compte 900 dont 300 inscrits
dans le programme français. Mais il n’est pas toujours facile
de convaincre les directrices que le français reste une langue
utile ». À New York, avec 22 000 enfants francophones, 60
programmes bilingues supplémentaires pourraient être créés
estime Fabrice Jaumont. « Les services culturels de l’ambas-
sade ont levé de l’argent pour acheter des livres, former des
professeurs, organiser des séminaires de formation. Mais il
reste à se tourner vers le privé pour continuer à développer
les classes d’immersion. Il faut des mécènes qui croient au
bilinguisme ».
D
epuis quelques mois, l’attaché à l'Éducation de
l'ambassade de France s’est lancé un nouveau défi :
revitaliser le français dans des régions historique-
ment liées à la France. « La présence francophone
est forte dans le Maine, même si elle est un peu oubliée. Il faut
ramener la nouvelle génération vers le français », précise-t-
il. Il souhaiterait aussi développer des programmes d’immer-
sion en milieu rural à la frontière canadienne. « Je suis allé à
Plattsburgh, au nord de l’État de New York où j’ai vu des Qué-
bécois passer la frontière canadienne, juste pour se rendre
au mall. J’ai vu des clients parler français et des vendeurs
qui ne comprenaient pas et qui répondaient en anglais. Si on
extrapole ce genre de situation, on mesure le potentiel pour le
bilinguisme. Dans cette ville, on voit déjà de nombreux pan-
neaux en français et en anglais. La présence du constructeur
aéronautique canadien Bombardier est aussi un argument
pour développer des programmes d’immersion en français. »
Il reste à convaincre les Américains que le bilinguisme n’est
pas réservé aux immigrés et enfants d’immigrés francophones.
Que l’appui vienne d’un homme politique francophile, ou de
parents américains attachés à apprendre le français à leurs en-
fants, le développement massif de l’enseignement de la langue
française aux États-Unis dépend avant tout des Américains. ■
1. PS 58, PS 84, PS 110, PS 133, PS 20, PS 3, et PS/IS 76 (par ordre
chronologique d'ouverture, de la plus ancienne à la plus récente).
2. MS 51, et MS 256.
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