La French Tech a-t-elle tenu toutes ses promesses ?
1. LaFrenchTech
a-t-elletenu
toutesses
promesses?
enquête
La naissance et l’évolution de la French Tech
racontées par ses ministres
portraits
Une contre-histoire de la start-up nation
témoignages
On a demandé aux entrepreneurs de nous
raconter l’envers du décor
Illustration
Andrea
Mongia
pour
«
Les
Echos
»
décryptage
Devenir une licorne, ça change quoi ?
le match
Pour ou contre le recours
à une levée de fonds
tendance
Pourquoi on aime autant rire
des jeunes pousses
LUNDI 31 MAI 2021 // SUPPLÉMENT GRATUIT AU NUMÉRO 23462 | ISSN 0.153.4831
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2. La French Tech racontée par ses ministres
à
Noter
Fleur
Pellerin
ministre déléguée chargée
des PME, de l’Innovation et
de l’Economie numérique
(05/2012-04/2014).
Axelle Lemaire
secrétaire d’État chargée
du Numérique (04/2014-
09/2016) et de l’Innovation
(09/2016-02/2017).
Mounir
Mahjoubi
secrétaire d’État
chargé du Numérique
(05/2017-04/2019).
Cédric O
secrétaire d’État chargé
du Numérique (04/2019-
07/2020), puis secrétaire
d’État chargé de la
Transition numérique
et des Communications
électroniques
(07/2020-maintenant).
même année, Emmanuel Macron
faitjustementledéplacementàLas
Vegas pour soutenir les start-up
françaises.
En2017,laFrenchTechprendun
tournant clairement politique. Dés-
ormais candidat officiel, le futur
présidentdelaRépubliqueporteles
jeunes pousses jusqu’aux portes de
l’Elysée et fait de la « start-up
nation »unargumentdecampagne.
« Le concept de start-up nation a été
dévoyé,onaétécaricaturéenétantles
chantres d’une start-up nation qu’on
aurait voulu généraliser à tout le
monde, défend Mounir Mahjoubi,
qui a pris les rênes du secrétariat
d’EtatauNumériqueen2017,sousla
nouvelle présidence. Je voulais que
la transformation numérique de
l’Etats’inspiredelaFrenchTechdans
saméthode,safaçond’agirviteetson
agilité.Jevoulaisaussim’assurerque
l’Etatétaitbienauservicedesstart-up
pour croître rapidement et ouvrir le
bassindediversité.»Retourauxfon-
damentaux!
La croissance mais aussi l’inclu-
sion, voilà les deux principaux
chantiers auxquels Mounir Mah-
joubidevaits’atteler,neserait-ceque
pour répondre aux critiques mon-
tantes.«Quandjesuisarrivé,lesfon-
dations de la French Tech avaient été
parfaitementconstruites»,souligne,
bon joueur, cet ancien serial entre-
preneur, qui a cocréé La Ruche qui
dit Oui !. A ce moment-là, la French
Tech commence à reconnaître qu’à
latêtedesstart-upontrouvemajori-
tairementdesjeuneshommes,pari-
siens, blancs, diplômés de grandes
écoles. En 2017, 71 % des entrepre-
neurs ont fait une grande école de
commerceoud’ingénieurs.
Comment infuser un esprit
start-upàlanationetrévolutionner
le quotidien des Français quand les
acteurs ne sont pas à leur image ?
« Sans les femmes, sans les classes
populaires, on se prive de la moitié
des idées. Ce sont des personnes qui
ont autant d’atouts que les autres,
maisquinesontpasforméespourles
mettre en œuvre », souligne l’ancien
ministre, aujourd’hui député de
Paris. Ou qui n’ont pas les reins
assez solides pour prendre ce type
de risques.
la Diversité,
le talon
d’Achille
Il met alors en place le programme
FrenchTechDiversitéfin2017,com-
mencé par sa prédécesseure et dev-
enu le French Tech Tremplin en
2019, sous Cédric O. L’objectif reste
de favoriser l’inclusion dans la tech
et de pousser d’autres profils à
entreprendre, avec aujourd’hui un
budget de 15 millions d’euros sur
deux ans, contre 2 millions d’euros
en2017.
En 2018, Kat Borlongan, quadri-
lingue, multiculturelle, prend la
têtedelamissionFrenchTechavec,
parmi ses priorités, celle d’œuvrer
sur ce volet de la diversité. Le sujet
avance, mais doucement : la part
des start-up fondées par des équi-
pesfémininesoumixtesatteint21%
en2020,soit,toutdemême, quatre
points de plus que l’année précé-
dente, note la dernière étude du
BCGavecSista,uneassociationnée
en 2018 qui agit pour la mixité dans
la tech et les financements.
Reste une ombre au tableau,
selon Mounir Mahjoubi : « Bpi-
france, sous le prétexte de la neutral-
ité bancaire, ne s’engage pas encore
financièrement pour la présence des
femmes et la diversité sociale. Elle ne
fait pas assez d’efforts », clame-t-il
aujourd’hui. Pour sa défense, la
banque publique d'investissement
a tout de même annoncé, le 8 mars
dernier, un « engagement » à desti-
nation des femmes pour veiller à
« l’accroissement des financements
accordés aux femmes » qui créent et
reprennent des entreprises.
Fallait-ilseposerlaquestiondela
diversité dès le début ? « Il ne faud-
rait pas voir 2013 avec les yeux de
2021. Ces questionnements-là n’exis-
taientpasaumomentdel’émergence
de la French Tech. Au début, c’était
uniquement cool, sympathique et
plein de liberté », estime Cédric O.
Mounir Mahjoubi abonde : « Moi-
même, quand j’étais entrepreneur,
j’aimisdutempsàmerendrecompte
que j’étais le seul Arabe et le seul issu
d’un quartier populaire. »
L’autrecritiquequimonte:mon-
ter sa start-up, c’est cool. Et après ?
La France est devenue un terreau
fertile, le dashboard de la French
Tech brandit le chiffre de 20.000
start-up,maiscombiend’entreelles
parviennent vraiment à émerger à
l’international, à trouver les moy-
ens de leurs ambitions ? Fort de ce
constat, Mounir Mahjoubi lance le
Next40, un indice destiné à identi-
fier et valoriser les pépites les plus
prometteuses de la French Tech, la
suite logique des « Pass French
Tech » d’Axelle Lemaire. Ces
mêmes start-up qui emploient, en
2021, près de 37.500 personnes,
dont 26.000 en France, et ont créé,
en 2020, 10.000 nouveaux emplois,
presque la moitié des créations
nettes dans le secteur du numér-
ique.
Lamêmeannée,CédricO,lenou-
veau secrétaire d’Etat aux
manettes, redéfinit l’indice. Alors
quesonprédécesseurvoulaitmêler
potentiel de croissance et impact
positif sur la société, le nouveau
locataire entend recentrer les critè-
res sur le potentiel économique.
Etre valorisé plus de 1 milliard
d’euros, avoir effectué une levée de
fonds supérieure à 100 millions
d’euros ou encore avoir un chiffre
d’affaires minimal de 5 millions
d’euros avec une croissance
annuelle supérieure à 30 % sont
ainsi les conditions pour être éligi-
ble au Next40. Alors que les cri-
tiques montent pour égrener
d’autres modèles de réussite,
l’impact sur l’environnement, lui,
évoluera de son côté avec son pro-
pre indice : le « French Tech
Green20 », dévoilé début mai 2021.
Désormais, la French Tech entre
dans l’ère de la maturité. « Elle sort
de l’adolescence, ce qui signifie avoir
desdroitsmaisaussidesresponsabi-
lités », souligne Axelle Lemaire.
Aujourd’hui, on pardonne moins
d’erreurs aux start-up, et la tech
n’estpasexemptedecritiques:don-
nées personnelles, empreinte
numérique, ubérisation des travai-
lleurs précaires, diversité et, plus
récemment, la question du man-
agement. « Que des gens se revendi-
quentstart-upnationetqueçaagace
l’opinion, surtout dans une période
où la gestion de la crise sanitaire est
questionnée, je comprends. Il y a un
problème d’écart entre un discours
techno béat et un sentiment de
déclassementpartagéparl’ensemble
de la population aujourd’hui »,
estime Fleur Pellerin.
Il serait injuste cependant de ne
pasmentionnerlesélansdesolidar-
ité de la tech française durant la
crise sanitaire (confection de
masques, services gratuits pour les
professionnels en première
ligne, etc.). Mais aussi leur résil-
ience. Combien de pivots voire
d’accélérations ont été constatés à
l’occasion de cette crise ? Dans le
même temps, les start-up utilisent
massivement les prêts garantis par
l’Etat pour passer la tempête Cov-
id-19. Selon le baromètre annuel de
France Digitale et EY, paru en jan-
vier, 83 % des jeunes pousses fran-
çaises y ont souscrit. A l’automne
dernier, l’Etat décide de flécher
7 milliards d’euros du plan de
relance vers le numérique pour
sauver le soldat start-up.
Reste le « génie américain » du
logiciel, difficile à concurrencer,
comme les outils de visioconfér-
ence étrangers (Zoom, Teams,
Hangouts) surconsommés durant
lacrise,maisaussilesréseauxsoci-
auxetlesplateformesdestreaming,
comme Amazon Prime Video ou
Netflix. « Le doute sur les questions
technologiques liées au progrès n’a
jamais été aussi élevé. C’est vrai sur
lesvaccins,la5G.Ilyauneremiseen
question de l’idée de progrès et une
décorrélation entre progrès et inno-
vation qui est nouvelle. Les start-up
sontprisesdanscefeucroisé»,pour-
suit Cédric O.
Les Gafam sont aussi de plus en
plus contestés, chacun se rendant
compte de leur imbrication dans
nos vies et de leur manque de fair-
play, à tout le moins, au vu de leur
diligence en matière d’optimisation
fiscale. Et les alternatives, quand
elles existent, peinent à concurren-
cer les géants. Dernier exemple en
date avec OVHcloud, le seul acteur
européen du cloud computing qui
pèse dans le secteur. Français, qui
plus est. L’Etat a préféré l’américain
Microsoftpourhébergerle« Health
DataHub »,lesdonnéesdesantédes
Français, car il répondait à plus de
critères. S’il est peut-être trop tard
dans certains secteurs, d’autres
comme la santé, la cybersécurité, le
transport ou encore la deeptech
pourraient avoir une carte à jouer.
«Noussommesàlacroiséedeschem-
ins:soitondevientdesprestataireset
des fournisseurs pour des gens qui
auront pris toute la chaîne de valeur,
soit on arrive à regagner un peu de
souverainetédanscertainssecteurs»,
analyseFleurPellerin.
« Start-up con-
tinent » ?
Pour ce faire, il reste un sujet
majeur. Si les jeunes pousses n’ont
plus de problème pour attirer des
investisseurs et se financer, il n’en
est pas tout à fait de même pour les
rachats ou les opérations via des
fonds « late stage », autrement dit
sur de grosses levées de fonds à
l’occasion d’une introduction en
Bourse par exemple. Ce qui amène
des start-up tricolores à préférer la
profondeur du Nasdaq plutôt
qu’Euronext.
« On est dans un monde où les
entreprises qui dominent le monde
ont une vingtaine d’années à peine et
sont américaines (Gafam) ou chi-
noises (BATX). L’Europe court le ris-
que de sortir de l’histoire technolo-
gique et économique, et de ce fait,
démocratique. Si l’on n’est pas capa-
ble de faire émerger des entreprises à
la pointe de l’innovation, alors c’est
l’ensembledenotremodèlequipour-
rait être fragilisé », souligne Cédric
O, qui pense néanmoins que
l’Europe est capable de relever le
défi avec des valeurs propres au
Vieux Continent : une tech plus
humaine, plus protectrice (avec le
RGPD) et plus éthique.
Les plus techno-enthousiastes
estiment que, d’ici à dix ans, la
donne aura bien changé et que les
start-up d’aujourd’hui seront les
prochainsmastodontesduCAC40.
A l’initiative de la France, l’Europe
vient tout juste de lancer le
« Scale-Up Europe » avec un objec-
tif : décliner, malgré les différences
culturelles et réglementaires, une
dynamique French Tech à l’échelle
de l’Europe, avec un accès accru
aux financements et aux talents.
Passer, en somme, de la start-up
nation au start-up continent. n
Camille Wong
@wg_camille
Il était une fois la
French Tech…
qui aurait pu
s ’ a p p e l e r
« quartiers
numériques »,
sourit Fleur Pel-
lerin. « Très français,
imprononçablepourdesAméricains
o u d e s C h i n o i s » , s o u l i g n e
aujourd’hui l’intéressée qui, alors
ministre déléguée au Numérique
sous François Hollande, a lancé en
novembre 2013 ce mouvement des
start-up françaises, destiné à les
promouvoir, les fédérer et les faire
rayonneràl’international.L’expres-
sion,devenueunlabeletmêmeune
marque, n’avait pas manqué de
faire bondir les plus fervents
défenseurs de la langue de Molière.
Mais « French Tech, c’est facile et ça
claque », estime sa créatrice.
Il fallait ensuite une mascotte. Ce
seraunpetitcoqrouge–enorigami
pour éviter de paraître trop arro-
gant. Sans oublier un bras armé
pourinvestirdanscequiallaitdeve-
nir un écosystème : bpifrance, lan-
cée dès fin 2012, accompagne tou-
jourslefinancementetlacroissance
desjeunespousses.
« On n’a pas inventé la tech fran-
çaise, elle existait d’elle-même. Mais
lefaitdelanommerapermisdedon-
ner confiance aux acteurs. En l’insti-
tutionnalisant, on avait peur que la
French Tech ne devienne trop verti-
caleetadministrative,maischacuna
réussi à se l’approprier et à la faire
vivre », confie Fleur Pellerin. C’est le
tempsdesgrandschantiers,oùtout
est à bâtir.
Unedécennieplustard,laFrench
Techabiengrandi.Lesjeunespous-
sestricoloresbattentdesrecordsde
financements avec 5,4 milliards
d’euros de fonds levés en 2020, se
hissant à la deuxième place euro-
péenne(sourceEY).L’attractivitéde
la France n’est plus questionnée. Le
pays affiche, à date, quatorze licor-
nes,cesstart-upvaloriséesàplusde
1 milliard de dollars (contre une
trentaine à Londres, une quinzaine
à Berlin). Les diplômés d’écoles de
commerce, même si tous ne con-
crétisent pas cette aspiration, rêv-
ent plus d’entrepreneuriat que de
banque ou de conseil.
Surtout, la French Tech peut se
targuer de quelques belles réus-
sites:lalicorneDoctolib,ferdelance
de la vaccination contre le Covid, a
égalementrévolutionnénotrefaçon
de consommer la médecine avec
l’explosion de la téléconsultation.
Avant elle, BlaBlaCar avec le covoit-
urage, Deezer dans la musique,
BackMarketdansl’économiecircu-
laire, Too Good to Go ou Yuka dans
l’alimentation. Et bien d’autres
encore, notamment dans des sect-
eurs plus BtoB. Un travail amorcé
sous François Hollande avec Fleur
Pellerin, continué par Axelle Lema-
ire, puis sous Emmanuel Macron
avec Mounir Mahjoubi et, enfin,
CédricO,l’actuelsecrétaired’Etatau
Numérique, qui s’estime sans
détourêtre « lepluschanceux ».
La « révolte
des Pigeons »
Pourtant,c’estpeudirequelespion-
niersontdûsedémener.Eninterne,
Fleur Pellerin avait tendance à être
perçue comme un hurluberlu au
sein de son gouvernement. Un mal
pour un bien, précise l’ancienne
ministre, qui a eu un champ
d’action finalement très libre,
notamment sur le volet de la fiscal-
ité en créant le crédit d’impôt
rechercheouencoreenlançantune
réforme du financement participa-
tif. Autant de nouveaux leviers à
actionnerpouraccélérerlefinance-
ment de l’innovation. Des disposi-
tifs banalisés aujourd’hui, mais
ENQUête Créée en 2013,
la French Tech n’était alors
qu’un mouvement destiné
à rassembler les start-up
françaises. De l’adolescente
à l’adulte responsable,
retour sur son histoire,
avec les témoignages de
ceux qui ont contribué à
la façonner : Fleur Pellerin,
Axelle Lemaire, Mounir
Mahjoubi et Cédric O,
les ministres du Numérique
de la dernière décennie.
ent émus les commentateurs de
l’époque, montrant la France
comme un Etat imprévisible, régu-
lateur et interventionniste. De quoi
effrayer les moins républicains des
Américains. « Cela avait fait grand
bruitdanslaSiliconValley.J’aipassé
beaucoupdetempsauxEtats-Uniset
en Asie à expliquer, à faire la promo-
tiondel’attractivitédelaFrancepour
les investisseurs. On a beaucoup
ramé pour atténuer et mitiger les
conséquences de cette affaire », se
souvientFleurPellerin,aujourd’hui
à la tête de Korelya Capital, son
fondsd’investissement.Etdenuan-
cer : « Avec le recul, ces sujets de sou-
veraineté économique étaient-ils
autant à côté de la plaque que cela ?
Récemment,legouvernementn’est-il
pas intervenu pour empêcher
l’acquisition de Carrefour par le
groupe québécois Couche-Tard ? »
Sur le front international, c’est à
AxelleLemairequ’ondoitaussiune
bonne partie du travail de promo-
tion. Cette ministre franco-cana-
dienne, qui a repris le flambeau de
Fleur Pellerin au pied levé en 2014,
pendant que cette dernière partait
au Commerce extérieur, s’est
assurée de « la mise en orbite de la
FrenchTech».«Letravaildel’ombre
était chronophage : il fallait faire
reconnaître le programme, gagner
lesarbitrages»,sesouvient-elle.Aux
manettes, un cabinet aux couleurs
très start-up : au départ, peu de
hauts fonctionnaires mais des
entrepreneurs,uneavocate,unspé-
cialistedelaprotectiondesdonnées
personnelles… « Le secrétaire d’Etat
généraldugouvernementnousappe-
lait à l’époque “l’alliance des geeks et
du Gosplan” », sourit l’ancienne
ministre, qui fait référence à l’orga-
nisme de l’Union soviétique chargé
de la planification économique.
Elle fait alors la tournée des
grandsévénementstechmondiaux,
des Etats-Unis, à l’Asie en passant
parl’Afrique.ANewYork,ellelance
le festival de la French Tech et la
French Touch Confe
rence avec
FranceDigitalepourfaireconnaître
lespépiteshexagonales.Etmontrer
qu’il existe un génie français,
au-delàdelanationd’ingénieurs.«Il
fallaitchangeruneperceptioncarica-
turaledisantqu’iln’étaitpaspossible
de créer son entreprise en France,
maisilyavaitaussiuneformedepar-
essedelapartdesinvestisseursamér-
icains : tous domiciliés dans la même
zone, avec peu de curiosité à l’égard
des innovations en dehors de chez
eux », estime Axelle Lemaire, qui
lanceen2015leFrenchTechTicket,
puisleFrenchTechVisaen2017,un
programme d’incubation qui faci-
lite l’insertion des entrepreneurs et
destalentsétrangersenFrance.
Mais bientôt, c’est l’inverse qui
dérange : les jeunes pousses d’orig-
ine française comme Dataiku, Dat-
adog ou encore Snowflake Inc., dès
qu’ellesavaientunimportantinves-
tisseur américain, prenaient la
poudre d’escampette outre-Atlan-
tique et créaient de la valeur
ailleurs. « C’était l’une de mes gran-
des inquiétudes. Une année, je ren-
contrais une start-up pour parler de
ses projets de croissance, l’instant
d’après elle avait installé son siège
dans le Delaware à la demande des
investisseurs », poursuit l’ancienne
secrétaire d’Etat, avec une autre
question sous-jacente qui com-
mencesérieusementàseposer:les
start-up sont créatrices d’emplois,
maislestalentscontinuentdeman-
quer à l’appel. La jeune femme
lance alors la Grande Ecole du
numérique, un groupement
d’intérêt public et un label pour
répondre à la demande croissante
de compétences dans ce secteur,
tout en utilisant le numérique
commeunlevierd’insertionprofes-
sionnelle.
Fait rare dans le monde, la
French Tech est donc portée par
l’Etatlui-mêmeetdevientmêmeun
outilpourdynamiserlesterritoires,
notamment au travers de la labelli-
sation des métropoles « French
Tech ».Celles-ciontpermisdecréer
desréseauxenrégion.Aujourd’hui,
le territoire compte 13 capitales
labellisées, 38 communautés
French Tech en France et 48
implantéesdansprèsde100villesà
travers le monde. Le tout, avec une
gouvernance partagée avec les
entrepreneurs. « Ce qui n’était pas
une démarche habituelle pour
l’Etat », souligne l’ex-ministre.
Sans oublier Station F, le plus
grand incubateur de start-up du
monde, qui a certes ouvert en 2017,
mais dont les négociations se sont
amorcéesbienplustôtentreXavier
Niel et la secrétaire d’Etat au
Numériquepouryaccueillirlamis-
sion French Tech et sa trentaine
d’administrations dans un espace
de 1.000 m² au sein de l’incubateur.
« Il a fallu des années pour marier
l’écosystème à l’action publique.
L’idée que les services publics s’ados-
sent aux start-up pour répondre à
leursquestionssociales,fiscales,rela-
tives à leur utilisation des données
était encore très nouvelle », se sou-
vientAxelleLemaire.Asonactif,on
peut également mentionner la loi
pour une République numérique,
aussi appelée « loi Lemaire », qui
lance une politique d’ouverture des
données.C’estd’ailleurslaseuledes
quatre ministres du Numérique à
voir son nom accolé à une loi.
Un enjeu
politique
Dans l’ombre, les relations tendues
avec son ministre de tutelle, un cer-
tain Emmanuel Macron, qui a élu
domicile à Bercy quelques mois
après l’arrivée de l’ancienne dépu-
téedesFrançaisàl’étrangeraugou-
vernement, ne sont un secret pour
personne. Ce dernier veut repren-
dre la main sur la French Tech et le
volet économique du numérique,
avec l’annonce d’une « loi Macron
2»quin’aboutirafinalementpas.La
presse dit même alors que le jeune
ministre aurait tenté, en vain,
d’évincer sa secrétaire d’Etat.
« Le point d’inflexion, c’est le CES
de2016,quandlaFranceestladeuxi-
ème délégation la plus nombreuse
[190 start-up, juste derrière les
Etats-Unis]. On se rend compte que
les Français ont fait quelque chose »,
remarque Cédric O, l’actuel secré-
taire d’Etat au Numérique. Cette
novateurs à l’époque. La deuxième
mesure met par exemple fin au
monopole qu’exerçaient les ban-
ques sur le prêt rémunéré.
Une petite révolution qui ne s’est
pasfaitesanspeine.Lajeuneminis-
tredel’époqueaaussidûfairefaceà
la « révolte des Pigeons ». Derrière
cenomd’oiseau,desentrepreneurs
et capital-risqueurs français avec
comme chef de file Jean-David
Chamboredon.L’objetdesgriefs:la
loi de finances de 2013 portée par le
gouvernement et en particulier la
taxationdesplus-valuesdecession,
susceptible d’« anéantir l’esprit
d’entreprendre » et les start-up. En
quelques mois, le mouvement
fédère 75.000 entrepreneurs en
colère, et la presse s’en émeut.
« François Hollande m’a dit : “Règle-
moi ce problème.” Personne ne vou-
lait s’en mêler, tout le monde voyait
que c’était un nid à ennuis », se sou-
vient Fleur Pellerin, alors envoyée
au casse-pipe.
Dans la foulée, elle lance les pre-
mièresAssisesdel’entrepreneuriat,
et l’Etat annonce des « aménage-
ments » de la réforme fiscale, qui
finissent par convenir aux entre-
preneurs. Du mouvement des
Pigeons naîtra France Digitale, la
plus grande association française
dans la tech, réunissant aujour
-
d’hui plus de 2.000 investisseurs et
entrepreneurs. Lors de son départ,
l’ex-ministre jouira d’un bel hom-
magesurTwitterdelapartdescon-
testataires avec une pluie de #keep-
fleur,quandsasuccesseuregoûtera
à un joyeux #welcomeaxelle.
L’affaire
Dailymotion
Une fois les problèmes « internes »
réglés, c’est le moment de briller à
l’extérieur.En2014,lapremièredél-
égationdelaFrenchTechparticipe,
soudée, au Consumer Electronics
Show (CES) de Las Vegas, avec le
Medef en appui. C’est l’amorce
d’une reconnaissance internation-
aledela«FrenchTouch»etdespre-
miers articles dans la presse étran-
gère. Objectif : prouver que la
France est aussi une terre d’entre-
preneuriat, en vue d’attirer les
investisseurs étrangers. Et c’est peu
dire qu’il y a du boulot !
Une affaire a fait, quelque mois
plus tôt, beaucoup de mal à l’image
de la France : Dailymotion, éclipsé
depuis par YouTube. Arnaud Mon-
tebourg, alors ministre du
Redressement productif, avait
interférépourempêcherlaprisede
participationmajoritairedel’amér-
icain Yahoo! au capital de l’entre-
prise française. « Un fiasco », s’étai-
En
plus
« Conversations
numériques »
C’est à Cédric O, l’actuel
secrétaire d’Etat au
Numérique, que l’on doit,
pour la première fois, l’idée
de retracer l’histoire de la
French Tech à travers ses
ministres du Numérique.
Il l’avait amorcée à
l’occasion de 30 minutes
dédiées au sujet avec
ses « conversations
numériques » sur
Clubhouse, le réseau social
chouchou des acteurs
de la tech, une plateforme
qu’il a découverte,
« comme tout le monde,
il y a quatre mois ».
De gauche à droite
et de haut en bas,
Mounir Mahjoubi,
Fleur Pellerin,
Cédric O et
Axelle Lemaire.
Photos Nicolas Messyasz/Sipa,
Joël Saget/AFP
02/
/Start Lundi 31 mai 2021 Les Echos Les Echos Lundi 31 mai 2021 Start/
/03
3. Portraits Issus des quartiers prioritaires de la ville, en situation de handicap, réfugiés
ou entrepreneuses, ils ont vécu les débuts de la French Tech avec une distance parfois critique.
On a remonté le temps avec eux et fait le point sur les avancées.
Unecontre-histoire
delastart-upnation
« Legoûtdel’aventurechez
lesjeunespasseparde
multiplesexpériences.Lorsque
celle-ciconsisteàentreprendre
pourtransformerlemondeou
son quartier,c’estavant tout
unedémarchepoursetrans-
formersoi-même.Ledévelop-
pementpersonnelest un
facteurmajeurdemotivation
entrepreneuriale.Lesjeunes
entreprenantsseconstruisentà
traversleurprojetetvivent
avecintensitéleursapprentis-
sages.Chaqueproblèmerésolu
est unevictoiresureux-
mêmes.Etleuraventureest de
moinsenmoinssolitaire.
Parmiles5.100jeunestitulaires
dustatutnationald’étudiant
entrepreneuraccompagnés en
2021parleséquipes des pôles
entrepreneuriatétudiant
(Pepite),44%sesont engagés
avecaumoinsunassocié.
Leur aventureestaussiplus
solidaire.Beaucoupvoient
dansl’entrepreneuriat une
manièred’agirencohérence
avecleurvolontéd’êtreacteurs
pourreleverlesenjeux denotre
société.Ilscombinent native-
mentetparconvictionles
dimensionséconomiques,
sociales,environnementaleset
culturelles,etsuscitent l’espoir
devoirémergerdes modèles
d’activitépluséquilibrés.
Pourtant,malgré leurcourage
etleurdétermination,les dix-
huitderniersmoisontété
difficiles.Entraînés àtester leur
offreenmode « lean»en inter
-
actionavec leurmarché, ilsont
vulespotentielsclients reporter
leurdécision. Letemps s’étire et
illeurfauttenirsanstrop
s’endetter,aurisque de compro-
mettreleurcapacité future à
investir.Sil’horizonsanitaire
sembles’éclairciravecla pro-
gressionde lavaccination,la
repriseéconomique, quantà
elle,vaprendredutemps. Le
pireseraitque cesjeunes renon-
cent etn’aillentpasauboutde
leurprojet.Atousles dirigeants
quiontle sentimentque se joue
iciunepartie de lapromesse de
revitalisationde nos territoires,
jeproposedecontacterle Pepite
quileurestproche. Ils pourront
rejoindreceuxquidéjàpropos-
ent dumécénatetsontparten-
airesd’unprogramme ambi-
tieux,ceuxquidonnentdu
tempspourmentorerces jeunes
ouceuxquiproposentdes
collaborationspourexpérimen-
terdenouvellesoffres. Le pro-
predescrisesestde solliciter
notrecapacité collective à yfaire
face.Ilseravaindefaire l’incan-
tationdu« monde de demain »
sionnepermetpasàlajeunesse
entreprenante d’éclore dès
maintenant. »
*Alain Asquin est délégué minis-
tériel à l’Entrepreneuriat étudiant.
Lucile Meunier
Yazen Waked se souvient bien de
l’éclosion de la start-up nation.
QuandilarriveenFranceen2014,il
vient tout juste de quitter la Syrie.
« Je ne savais pas que j’atterrissais
dans un pays avec une telle dyna-
mique. J’ai vu l’écosystème émerger,
et autour de moi, des migrants étai-
ent intéressés par l’entrepreneu-
riat. » Diplômé en droit dans son
pays natal, il apprend la langue
française et s’inscrit en master.
Mais il n’a encore jamais entendu
parler de la French Tech et ne se
sent pas inclus dans l’entrepreneu-
riat, en tant que migrant. C’est
finalement sa rencontre décisive
avec l’incubateur Singa, spécialiste
del’innovationparlamigration,qui
lui mettra le pied à l’étrier dans
l’entrepreneuriat en 2016.
À ce moment-là, le constat est
alarmantdansl’écosystème.Lefon-
dateur d’une start-up est en moy-
enneneuffoissurdixunhommede
40ans,issudesgrandesécolesdans
70 % des cas. Il y a urgence à agir.
Alors que les premières pierres de
laFrenchTechsontposéesfin2013,
il faut attendre trois ans pour qu’un
programme d’égalité des chances
pour l’entrepreneuriat voie le jour.
Danslesmainsdel’ancienministre
du Numérique Mounir Mahjoubi,
le dispositif French Tech Diversité
prendformeen2017avecunbudget
de 2 millions d’euros. Il propose
alors une incubation et une bourse
aux projets les plus méritants.
Malgré la médiatisation de Sta-
tion F et de French Tech Diversité,
les personnes issues des quartiers
prioritaires de la ville n’y voient pas
encore une opportunité. Pourtant,
KatiaetNoëllaauraientpusesentir
concernées. En 2015, à l’inaugura-
tion du plus grand incubateur
d’Europe, les deux entrepreneuses
avaient déjà fondé leur première
entreprise de communication à
Saint-Ouen, de l’autre côté du péri-
phérique parisien : « L’expression
“start-up” nous était inconnue. On
disait juste qu’on avait une boîte.
Noëlla a aussi mis du temps à
accepter ce mot, on ne se sentait pas
représentées par les startuppeurs. »
Depuis 2019, elles développent leur
entreprise Fresh Afrika By KayNo,
récemment incubée à Station F.
Déstigmatiser la diversité
Manifestement, 2 millions d’euros,
c’était trop peu pour faire tomber
les barrières sociales. Fin 2018, le
gouvernement décide d’investir
15 millions d’euros et de changer le
nom de son programme en French
TechTremplin.Untournantenpar-
tie influencé par les nombreux act-
eurs associatifs qui pointent du
doigt le manque de diversité dans
l’entrepreneuriat, comme Sista,
Diversidays, Les Déterminés,
French Tess, etc.
À cette période, il est surtout
question de déstigmatiser la diver-
sité, se souvient Mounira Hamdi,
cofondatrice de l’association Diver-
sidays.« Quandonparledediversité,
on n’a pas de définition claire, donc
ça a longtemps eu une connotation
négative. » Aujourd’hui, on parle
davantage d’inclusion des person-
dre 21 %.
Alors ces entreprises de la diver-
sitésont-ellesnosfutureslicornes ?
Azad Bapir anticipe le prochain
défi : « Le dernier blocage sera le
financement car il y a une grande
reproduction sociale dans ce milieu,
en faveur des hommes en majorité
blancs sortant de grandes écoles. »
90 % des fonds levés en 2020 sont
allés vers des start-up dont les fon-
dateurssont100 %masculins,selon
le dernier baromètre de Sista.
Tout l’enjeu est également de
pousser les femmes et les person-
nes issues de la diversité à entre-
prendre dans les domaines où on
ne les attend pas. Yazen Waked
constate que les migrants se diri-
gent beaucoup vers la restauration
audétrimentdelatech.Aprèsavoir
cofondé une entreprise destinée
aux migrants, il a fondé Infin-Eigh
-
ty, une fintech : « Si j’ai les compé-
tencesetquejen’yvaispas,quiira ?Il
ne faut pas qu’on reste dans les sect-
eurs que la société a créés pour
nous. »
Mais ce n’est pas si simple, expli-
que Déborah Loye, la directrice de
Sista :« Desétudesmontrentquelor-
squ’on est une femme, on est moins
bien reçue si on entreprend dans un
secteur perçu comme non féminin,
alors que ça ne change rien pour les
hommes. »
C’est en quelque sorte ce qui est
arrivé à Montasser Jabrane, fonda-
teur de Handycatch. « Je suis le seul
entrepreneur handicapé qui n’entre-
prend pas dans ce domaine, et je vois
que ça dérange les gens. Sans parler
dufaitque,quandjemebaladeàSta-
tion F, où je suis incubé, les gens me
prennent pour un invité. » Lauréat
de French Tech Tremplin, il prend
ses responsabilités : « Je pense que
c’estaussinotrerôled’oserailleurset
de passer le flambeau à d’autres. »
Des « role models »
encore peu connus
Mais pour cette génération d’entre-
preneurs,leflambeauestrarement
venu d’un « role model ». Parmi les
influences les plus citées se trou-
vent Moussa Camara, le fondateur
des Déterminés, Céline Lazorthes,
la fondatrice de Leetchi, Oussama
Ammar, le fondateur de The Fam-
ily, mais aussi des femmes poli-
tiques, comme la ministre Elisa-
beth Moreno.
Des noms sans doute pas assez
populaires pour inspirer le grand
public, comme peut l’être un Sun-
dar Pichai, CEO de Google. « Ces
structuresoucespersonnesn’ontpas
assez de visibilité, donc toi, en tant
quejeune,tun’espasaucourantque
ça existe », analyse Montasser Jab-
rane. Mais cela a au moins l’avan-
tage de rendre l’entrepreneuriat
plus accessible, ajoute Déborah
Loye. « Si on montre toujours la
numéro deux de Facebook, c’est
hyperintimidant. Il faut donner des
exemples à tous les niveaux de hiér-
archie. »
En attendant que les champions
passentleflambeau,ilfaudrarester
vigilantaprèslacrisesanitaire.Une
étude de la Fondation des femmes
publiée en mars 2021 s’alarme que
leplanderelancedugouvernement
privilégierait les secteurs où les
femmes sont sous-représentées. n
nes qui sont sous-représentées
dansl’écosystème :« Onréécritl’his-
toire derrière le terme “diversité”. On
change de discours en donnant des
chiffres. Par exemple, d’après une
étude publiée en 2019 par McKinsey,
les entreprises avec la plus forte
diversité affichent une rentabilité
supérieure de 36 % par rapport aux
mauvaises élèves en la matière. »
Grâce à leur travail de terrain
dansleszonesprioritaires,cesasso-
ciations ont réussi à toucher des
publics qui n’auraient jamais fran-
chi le cap. Comme Dounia Han-
nach,fondatricedelastart-upAba-
jad et lauréate de French Tech
Tremplin. Fille d’un cheminot syn-
diqué,elleagrandiavecdesapriori
sur l’entrepreneuriat.
La force du réseau
contre l’autocensure
C’est d’abord une rencontre qui lui
ouvre les yeux, quand elle vend sa
première prestation à la start-up
MeetMyMama :« Jesuisalléepour
la première fois à Station F pour les
rencontrer. J’avais des étoiles plein
les yeux en parlant à la cofondatrice
LoubnaKsibi.C’étaitlapremièrefois
quejerencontraisuneentrepreneuse
qui me ressemblait et qui était partie
de rien, comme moi. Sans elle, je n’y
serais pas allée. » Après ce point de
bascule,touts’enchaîne,elleserap-
proche du programme Les Auda-
cieuses : « Ces soutiens m’ont donné
de la légitimité, et j’ai découvert la
force du réseau », conclut-elle.
Bien que l’autocensure reste un
frein à l’entrepreneuriat, « on est en
train de la hacker », résume Azad
Bapir, fondateur de l’association
French Tess, qui œuvre pour la
diversité dans l’écosystème. Même
s’il faut, selon lui, encore accentuer
les actions en zone rurale : « C’est
souvent plus compliqué de faire
50 kilomètres pour rejoindre la ville
laplusproche,alorsquelesbanlieues
parisiennes ont des pôles d’activités
forts. »
Outre l’autocensure, les habit-
ants des quartiers prioritaires de la
villerencontrentd’autresbarrières,
commelemontreuneétudedebpi-
francepubliéeen2020.D’abord,un
« effet de sélection » au stade de
l’immatriculation plus fort
qu’ailleurs. Faute de connaissances
surl’entrepreneuriat(demanderun
prêt à une banque, construire un
business plan, trouver les bons
interlocuteurs),lesporteursdepro-
jet s’appuient sur leur détermina-
tion, mais beaucoup abandonnent
en chemin. Ces quartiers souffrent
aussi d’un manque d’accompagne-
ment à l’entrepreneuriat qui érode
l’optimisme et mène à des projets
entrepreneuriaux de plus petite
taille.
Des changements sont toutefois
à l’œuvre. L’étude de bpifrance
indiqueaussiquedanslesquartiers
prioritairesdelaville,« lesnouvelles
technologies contribuent à la diffu-
sion de modèles entrepreneuriaux et
au dépassement des barrières de
l’origine sociale ».
Selon une étude de Sista, en par-
tenariat avec le BCG et le Conseil
national du numérique, la part des
start-up fondées par des équipes
fémininesoumixtesaaugmentéde
quatre points en un an pour attein-
Dounia Hannach :
« C’était la première
fois que je rencontrais
une entrepreneuse
qui me ressemblait. »
Le fondateur d’une
start-up est en
moyenne neuf fois
sur dix un homme
de 40 ans, issu des
grandes écoles dans
70 % des cas.
De haut en bas :
Noëlla et Katia,
les fondatrices de la start-up
Fresh Afrika By KayNo.
Yazen Waked, fondateur
de la start-up Infin-Eighty.
Dounia Hannach, fondatrice de
la start-up Abajad et lauréate
de French Tech Tremplin.
DR
La tribune
d’Alain Asquin*
«Ilest
urgentde
soutenirles
étudiants
entrepre-
neurs!»
David
Venier
04/
/Start Lundi 31 mai 2021 Les Echos
4.
5. Marion Simon-Rainaud
@Maacls
E
n soirée, quand un
jeune entrepreneur
annonce qu’il monte
sa boîte, son audience
n e m a n q u e p a s
d’exprimersonenthousiasme.Effet
waouhgaranti.« Maisl’egodégonfle
vite quand on passe de l’excitation à
laréalitéd’unestart-up»,souritLau-
rentBonnet,fondateurdeStockoss,
une start-up qui propose des espa-
ces de stockage aux entreprises
depuis 2017. « J’ai refait des tâches,
remplirdestableauxExcelparexem-
ple, que je n’avais pas faites depuis
mes premiers stages ! » Derrière le
portrait rêvé du self-made-man se
cachent de nombreuses galères
auxquelles on ne s’attendait pas et
que l’on doit affronter souvent
seul. « Monter sa boîte, c’est comme
la traversée de l’Atlantique… à la
rame ! Il y a du monde au départ et à
l’arrivée, mais pendant la traversée,
on est tout seul à ramer, témoigne
François Delporte, cofondateur de
Rocambole, une plateforme de lec-
ture en streaming lancée il y a dix-
huit mois. A côté de notre petit
bateau,parfoisonvoitpasserdesfer-
ries où les gens font la fête et trin-
quent au champagne. Ça donne
envie,onmanquedechavirer,maisil
faut tenir le cap ! »
Sa métaphore maritime et soli-
taire fait écho au délit d’impatience
identifié par une autre entrepre-
neuse, Sandra Rey, fondatrice de
Glowee,spécialiséedanslabiolumi-
nescence et créée il y a sept ans :
« C’est un marathon et pas un
sprint ! » Au fil des années, elle s’est
rendu compte que son projet, com-
plètement dépendant de la R&D,
allait prendre plus de temps que
prévu. L’entrepreneuse a appris « à
être résiliente et patiente, en ajustant
[son]calendriersurletempslong ».Il
faut aussi se forcer à prendre du
recul. « Quand on se lance, c’est un
peu les montagnes russes, on oscille
entre des moments d’euphorie totale
et d’effrayants vertiges, se rappelle
avec nostalgie Nicolas Binand,
cofondateur d’exolis, une plate-
forme qui connecte les patients et
leurs soignants, lancée en 2015.
Chaque décision, chaque rendez-
vous, chaque document signé est
alors une immense victoire tandis
qu’unnonouunecritiqueestdrama-
tique. »
En bon capitaine, il faut savoir
s’adapter aux aléas météorologi-
d’offres, est née il y a un an. Parfois,
certains se jettent à l’eau simple-
ment sur une idée, pas un produit :
« Au début, on vendait surtout une
vision,souritSonThierryLy,undes
cinq fondateurs de Didask, un outil
d’e-learning dédié aux soft skills
développé depuis cinq ans. A poste-
riori, je me dis que nous n’avions que
peud’idéessurtousleschallengesqui
nous attendaient. C’est peut-être une
formedenaïvetéquinousaportésles
premièresannées. »
Synonyme de joie et de stress,
avoirrecoursàdesfondsextérieurs
est une des décisions les plus diffi-
ciles à prendre dans le développe-
ment d’une start-up. « D’un seul
coup,notreradeaududébutsetrans-
forme en paquebot, lance François
Delporte, filant la métaphore. C’est
un peu comme si vous viviez au-des-
sus de vos moyens : le piège parfait. »
E n c a d r e r l e s m o d a l i t é s
« quand », « qui », « combien »,
« comment » est une des parades
identifiées par les entrepreneurs
que l’on a interviewés. D’après Fir-
min Zocchetto, un des fondateurs
dePayFit,quidématérialiselesout-
ils RH depuis 2016, « c’est comme
manger pendant une sortie à vélo : il
ne faut pas attendre d’avoir faim
pour avaler une barre de céréales,
sinon ça devient dangereux ». Avec
ses deux associés, et leurs cinq lev-
ées successives dont la dernière, en
mars 2020, s’élevait à 180 millions
d’euros, Firmin Zocchetto dit avoir
réussi à garder « la tête froide », ce
qui leur a permis d’appréhender
« sans pression » le potentiel yo-yo
du cash-flow.
Précisément pour éviter l’écueil
de l’argent qui brûle les doigts,
d’autresdécidentd’attendre« lebon
moment » – tout à fait relatif à leur
rythme de développement. C’est le
cas de l’edtech Didask, qui, après
unelevéede550.000eurosen2017,
vientdelancersadeuxièmelevéede
fonds avec pour objectif 2 millions
d’euros. « Comme la croissance
détermine la valeur d’une start-up,
c’est une véritable partie d’échecs »,
analyse Son Thierry-Ly, son actuel
CEO. Et se tromper peut être fatal.
La levée de fonds doit donc rester
« un moyen et pas devenir une fin en
soi », avertit Paul Jeannest, prési-
dent et fondateur de La Boussole,
une association d’accompagne-
ment des jeunes pousses.
Observateurs comme entrepre-
neurs, tous s’accordent sur un
point : il faut bien choisir ses inves-
tisseurs, s’assurer qu’ils partagent
pour l’entreprise, je suis parti. Ils
m’ont laissé 48 heures. J’en ai pleuré
pendant six mois. »
Éviter les mauvaises surprises
passe aussi par le choix des person-
nes avec qui on choisit de travailler
au quotidien. « Celles et ceux qui
nous rejoignent au début de l’aven-
turesontsouventaussifousquenous,
raconte l’entrepreneur François
Delporte. Alors quand on peut les
rémunérercorrectementetavoirtous
un pull à l’effigie de la start-up, c’est
une grande fierté ! » Au-delà de
l’image cool affichée sur les photos
des équipes, la question du recrute-
ment est complexe : il faut trouver
des profils généralistes et polyval-
ents, des couteaux suisses capables
de comprendre l’ensemble des
problématiques d’une entreprise,
presquedesentrepreneursendeve-
nir, tout en faisant en sorte qu’ils ne
sebrûlentpaslesailes.« Onvaprivi-
légierlesavoir-êtreàl’excellencedans
une tâche », détaille Nicolas Binand,
d’exolis, qui compte aujourd’hui 27
employés.
Mais le chef d’entreprise raconte
aussi ses angoisses : l’énorme
responsabilité à endosser si tout
s’arrête demain, verser tous les sal-
aires à la fin du mois ou encore
mettre fin à une période d’essai le
cas échéant. Les premiers salaires
signent ainsi la fin de l’insouciance
delaphasededémarrage.« Pendant
le confinement, alors qu’on venait
juste de se lancer, je me suis rendu
compte que l’une des deux salariées
n’étaitpasadaptable.J’aidûlaremer-
cier », se souvient la startuppeuse
JessicaNguyen,deFlipNpik.
Des phases « de crise
ou de survie »
Malgrélespulls,lesbaby-footsetles
belles maisons qui font office de
bureaux, cette responsabilité peut
peser sur les relations dans une
même équipe. Même s’il est très
proche de ses équipes, le CEO de
Didask l’admet : « Je n’aurais jamais
le même rapport que les employés
entreeux,jeseraitoujourslepatron,il
y aura toujours une forme de dis-
tance. » Une problématique
d’autant plus vraie dans un monde
detélétravailgénéralisé. « Ilfautêtre
ultra-clair sur ce que tu attends des
autresetmettresonegodecôté »,ana-
lyse de son côté Damien Hontang,
de Thinkeo, qui n’a pas encore de
bureau attitré mais ne veut pas que
le travail à distance soit l’ADN de sa
société.
Si le triptyque lancement-fi-
nancement-recrutement est fulgu-
rant parmi les start-up, qui sont par
définitiondes« entreprisesinnovan-
tes », leur essor est loin d’être « liné-
aire », note le sociologue Michel
Grossetti, dans « Les Start-up, des
entreprises comme les autres ? »,
publié en 2018. Une start-up « passe
souventpardesphasesd’exploration,
voire de crises. Et leur croissance
[s’avère] relativement peu prévisi-
ble », détaille-t-il. Avant d’ajouter :
« L’échec est relatif. Il peut être vécu
comme tel à la suite d’une revente,
d’une liquidation de la société, de la
mise à l’écart d’un des fondateurs ou
encore de facteurs exogènes comme
une maladie. Certaines sociétés con-
tinuent à exister plusieurs années
mais vivotent dans une logique de
survie,etl’objectifdedépartn’estplus
présent. »
Dans cet environnement en per-
pétuel mouvement, la barre est par
conséquent difficile à tenir pour un
entrepreneur entre sa foi dans un
projetetsapeurd’échouer.Ceàquoi
il faut ajouter une autre faculté : la
capacitéàrebondirsiunparamètre
estmalajusté,ousitoutleprojetest
remisencauseparlaconjoncture.Il
faut donc être prêt à tout, même à
rater. Quitte à (mieux) recommen-
cer.
C’est ce que pense Laurent Bon-
net, fondateur de Stockoss : il a
échoué deux fois avant de réussir
avec sa troisième boîte. « J’ai appris
de mes erreurs. » Encore faut-il les
reconnaître. « Je me suis vautré, il
faut le dire, l’accepter. Et ce n’est pas
grave », dédramatise Sylvain Tillon,
entrepreneuretauteurde« 100con-
seils pratiques pour couler sa
boîte ». Après la liquidation de sa
première entreprise puis son évic-
tion de la deuxième, il est passé par
le salariat : « Finalement, les emplo-
yeurs ont valorisé mes expériences
malheureuses. » Mais quand on a le
virusdel’entreprenariat,difficiled’y
échapper. Le serial-entrepreneur
s’est embarqué en 2020 dans une
nouvelle aventure entrepreneuri-
ale : Le Bahut, une école qui forme
au métier de digital learning man-
ager.Pourlepire,etlemeilleur. n
La levée de fonds doit
rester « un moyen
et pas devenir une fin
en soi », avertit Paul
Jeannest (La Boussole).
ques, et vite. L’important est de
menersabarqueenprenantparfois
desrisques.Etenchangeantdecap.
C’est ce qu’a fait la start-up Meda-
dom en 2020, qui est passée des
visites médicales à domicile à la
téléconsultation, trois ans après sa
création. « On devait convaincre
tout le monde de sauter dans le vide
avec nous », se souvient Nathaniel
Bern, un des fondateurs. Effectué
plus de six mois avant la crise sani-
taire, ce choix audacieux d’intégrer
un marché balbutiant a porté ses
fruits à la faveur de la pandémie : la
start-up emploie aujourd’hui 250
personnes et enregistre 300 %
d’activité supplémentaire en 2021.
Pour exister, il faut agir
Le Covid-19 a mis à l’épreuve cette
agilité toute startuppienne. L’année
dernière, le lancement commercial
de FlipNpik, qui connecte les con-
sommateurs locavores aux com-
merces locaux, a été entravé par le
confinement. Au lieu de miser
comme prévu sur leur offre pay-
ante, et après avoir lutté contre de
fortes angoisses, l’équipe a créé gra-
tuitementducontenupourlescom-
merçantsadhérents.« Onestpassés
par des phases de “trous” à la fois de
trésoreriemaisaussidesens,analyse
JessicaNguyen,unedesfondatrices.
C’était dur de motiver l’équipe alors
qu’on faisait un pas en avant, deux
pasenarrière. »
Cette inquiétude, les startup-
peurs la connaissent bien. Selon
KPMG,40%desjeunespoussesnon
accompagnées ne se sont pas révél-
ées en 2020. Les fonds propres de
FlipNpik, grâce aux 2,5 millions
d’euros levés deux ans auparavant,
au moment de la conceptualisation
del’idée,lesontsauvés.
Pourexister,ilfautagir.«Mêmesi
on n’en voit pas le bout, on n’a pas le
droit de baisser les bras, sinon toutes
les personnes autour de nous se
découragent. Sans en avoir con-
science, on définit la jauge de motiva-
tion », observe Damien Hontang,
dont l’entreprise Thinkeo, qui com-
mercialise un logiciel répondant
automatiquement aux appels
Selon KPMG, 40 %
des jeunes pousses
non accompagnées
ne se sont pas révélées
en 2020.
les mêmes valeurs que les porteurs
de projet. « S’entourer des bonnes
personnespourtrouverl’argentmais
aussipourgérerl’après,c’estprimor-
dial»,résumeLaurentBonnet,quia
levé 1 million d’euros en septem-
bre 2019 pour Stockoss. Car ouvrir
son capital représente un risque
important pour une petite struc-
ture. Quand cela se passe mal, c’est
l’entrepreneur qui trinque. Sylvain
Tillon, créateur de la start-up
Tilkee, une solution de partage de
documents depuis 2013, s’est fait
«virerde[sa]propreboîte»cinqans
après son lancement par des inves-
tisseurs.«Unedéfiances’estprogres-
sivementinstalléeentrelesnouveaux
investisseurs et moi : ils trouvaient
que je manquais d’ambition ; moi,
j’étais en désaccord avec leur vision.
Ilsm’ontfaitcomprendrequ’ilfallait
que je m’y conforme ou que je quitte
laboîte.Jenevoulaispasêtreunfrein
TÉMOIGNAGES Derrière l’image des jeunes qui lancent leur société et à qui tout réussit, entreprendre reste une
gageure, et l’échec est plus que jamais répandu. On a demandé aux startuppeurs de nous raconter l’envers du décor.
Monter sa boîte, c’est
comme la traversée
de l’Atlantique… Il y a
du monde au départ
et à l’arrivée, mais
pendant la traversée,
on est tout seul. Photo iStock
LES Chiffres
clés de
la start-up
nation
20.000
C’est le nombre actuel total
de start-up en France.
113%
Taux de croissance des
start-up entre 2016 et 2021.
*D’après l’étude menée en
avril 2021 par l’association
La Boussole et le BCG.
«Mastart-up,majoieetmesgalères»
06/
/Start Lundi 31 mai 2021 Les Echos
6. bilan A la faveur du premier confinement, plusieurs
sociétés ont rendu leurs locaux pour laisser leurs salariés
en distanciel intégral. Après l’euphorie des débuts,
certaines amorcent une marche arrière.
La possibilité de revenir
au bureau plaît surtout
aux jeunes et aux nouvelles
recrues. Photo iStock
Unanaprèsledébutdutélétravail,
lesstart-uprevoientleurcopie
démie et confinés dans des loge-
ments plus petits. « Les journées au
bureau sont consacrées à discuter et
à voir les collègues », ajoute Arnold
Zephir, dont l’entreprise devrait, à
terme, proposer un accord de deux
à trois jours de télétravail par
semaine. « C’est pour donner un
rythmeàlaviedel’entreprise.Maissi
des gens souhaitent rester en total
télétravail, on ne s’y opposera pas »,
précise le cofondateur. En pleine
croissance, sa société devrait grim-
per à 80 collaborateurs d’ici à la fin
del’année.Etlastart-updoitencore
trancher une épineuse question :
faut-il chercher de nouveaux
locaux ? n
Camille Wong
@wg_camille
« Déjà un an… », glisse Julien Loz-
ano, le CEO de Wizi, une plate-
forme de location immobilière
entre particuliers. Une année que
sa dizaine de salariés télétravaille à
100 %, si bien que l’entrepreneur a
sautélepasdèsl’étédernier:rendre
les bureaux. Une transition
d’autantplusétonnantequ’ilétait,à
l’origine, plutôt réticent envers le
travail à distance.
Mais ça, c’était avant le premier
confinement. « On s’est rendu
compte que la situation risquait de
durer. Rapidement, j’ai soulevé la
questiondeslocauxàmescollabora-
teurs et la décision a été unanime »,
se souvient-il.
Dans la foulée, des salariés quit-
tentlacapitalepourBordeauxoula
Bretagne.L’euphorieestàsoncom-
ble. Comme Wizi, plusieurs socié-
tés pour lesquelles le télétravail à
100 % est techniquement possible
renoncent à leurs bureaux dès la
findupremierconfinement.Outre-
Atlantique, les géants de la tech
emboîtent le pas et certains,
commeTwitter,autorisent«letélé-
travail à vie ». Passé l’excitation du
moment, les Gafa se dirigent
aujourd’hui vers un format
hybride. Facebook devrait bientôt
rouvrir (progressivement) ses
bureaux.Googleafixéladateàsep-
tembre 2021.
Chez Wizi, il a vite fallu imposer
des règles : se retrouver au moins
une fois par mois à Paris pour con-
server le lien. « On n’avait pas anti-
cipé le couvre-feu et l’impression
pour certains collaborateurs, sou-
ventlesplusjeunes,qu’ilsnefontque
travailler sans pouvoir sortir »,
explique Julien Lozano. D’où
l’importance, ajoute-t-il, de mettre
en place des routines virtuelles
(sport sur Zoom, séances de
sophrologie, cafés…) et physiques
pour casser l’isolement.
« Mi-mai et début juin 2020,
j’avais mis en place toutes les condi-
tions pour que les salariés revien-
nent… mais personne n’est revenu »,
sourit Emilie Legoff, à la tête de
Troops, une start-up lyonnaise qui
développe un logiciel de gestion
pour les acteurs de l’intérim.
Toutnaturellement,ladécisiona
fini par s’imposer et durant l’été
dernier, la fondatrice a rendu ses
locaux vides, à l’exception de trois
pièces. « Cela fait deux ou trois mois
que les relations commencent à se
tendre », explique aujourd’hui la
cheffe d’entreprise.
Se retrouver régulièrement
tous ensemble
« Les difficultés se font ressentir sur
lalongueur,onnelesperçoitpaslors
des premiers mois. Le management
peut être vécu plus durement à
l’écrit. Certains profils se sentent
isolés, et n’étant à côté physique-
ment, je peux avoir plus de mal à
détecter les signaux faibles », ajoute
la fondatrice. En France, selon un
sondage Harris Interactive réalisé
mi-avril pour le ministère du Tra-
vail, 47 % des actifs qui travaillent à
distance se sentent isolés et 34 %
pensent que le télétravail aug-
mente le stress.
Résultat des courses : de nom-
breuxsalariésdeTroopsserendent
dans les trois pièces de bureaux
encore à Lyon, d’autres ont des for-
faitscoworking.Autreaspectindis-
pensable:seretrouvertouslesdeux
mois,tousensemble,àl’occasionde
séminaires. Le dernier en date ? En
mars, à la montagne. « C’est ce qui
nous tient tous ensemble », précise
Emilie Legoff.
L’entrepreneuse emploie une
cinquantaine de collaborateurs,
dont la moitié a été recrutée en
2020. Le distanciel a été une auba-
inepourelle,unmoyenpourattirer
des talents en dehors de Lyon et de
monter en compétences.
« Ce format est idéal pour trouver
des profils rares, sans faire appel à
des salaires stratosphériques qu’une
jeune société ne peut pas se per-
mettre»,abondeSimonLaurent,de
Havr, une start-up qui développe
des serrures connectées.
L’immobilier, deuxième
poste de dépenses
LeCEO,quin’agardéque60mètres
carrés de bureaux sur les 280 de
départ, compte désormais une
quinzaine de salariés en France,
mais aussi en Croatie, au Portugal,
en Roumanie, en Allemagne et au
Royaume-Uni. Convaincu par le
distanciel, qui permet de gagner en
qualité de vie et d’être plus pro-
ductif, il remarque néanmoins
depuis quelques mois les premiers
effets négatifs du télétravail qu’il
impute à la conjoncture actuelle.
« Je pense qu’un retour à situation
normale va amplifier la tendance du
100 % télétravail. Les gens vont pou-
voir avoir une vie après-boulot : voir
desamis,seremettreausport,s’inve-
stir dans des associations… Et que la
solution du distanciel sera encore
plus appréciée. »
Reste la question financière. Se
débarrasser des bureaux repré-
sente une économie non négligea-
ble, surtout en période de crise.
L’immobilierestsouventconsidéré
comme le deuxième poste de
dépenses des entreprises, juste
après les ressources humaines.
Mais le gain n’est-il pas un
trompe-l’œil ? « Je pense in fine que
celamecoûtepluscherenmatériel:il
a fallu équiper les collaborateurs
pour le télétravail, et les séminaires
aussi sont coûteux. Mais je suis gag-
nantesurlaproductivitéetlamontée
en compétences de mes équipes »,
souligne la fondatrice de Troops,
qui n’exclut pas de reprendre un
jour des bureaux, mais davantage
dans un format hybride et « à la
carte » pour ceux qui le souhaitent.
Même son de cloche du côté de
Wizi, pour qui la solution sans
bureaux est loin d’être définitive-
ment actée.
De son côté, Prevision.io, une
start-up composée surtout de
développeurs, a décidé début 2021
de reprendre des bureaux parisi-
ens. « On a bénéficié de la crise et du
marché de l’immobilier profession-
nel en berne pour trouver des locaux
pas chers et de prestige, bien plus
beaux que nos anciens », souligne
Arnold Zephir, le cofondateur. Un
moyen pour la jeune pousse d’une
cinquantaine de salariés de per-
mettre à quelques-uns de revenir
dans des bureaux et de recréer du
lien social. Une possibilité qui plaît
particulièrement aux jeunes et aux
nouvelles recrues, souvent plus
sujets à l’isolement durant la pan-
Selon un sondage
Harris Interactive,
7 % des actifs qui
travaillent à distance
se sentent isolés
et 34 % pensent
que le télétravail
augmente le stress.
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Les Echos Lundi 31 mai 2021 Start/
/07
7. Camélia Echchihab
«
Culture du burn-out »,
« dorée en externe, tox-
i q u e e n i n t e r n e » ,
« management désas-
treux»…Depuisjanvier,
les témoignages pleuvent sur un
compte Instagram anonyme, suivi
par 186.000 abonnés : « Balance Ta
Start-Up » (BTSU). Ou plutôt « Bal-
ance Ta Scale-Up » ? La moitié des
entreprises épinglées par des
(ex-)salariés ne sont plus vraiment
desjeunespousses:Lydia,Doctolib,
IziworkouencoreSwileontrapide-
ment changé d’échelle, après des
levées de fonds de plusieurs diz-
aines de millions d’euros.
SurlaplupartdespagesLinkedIn
des start-up, on affiche fièrement :
« Hiring ! » (« on embauche »). Car
recruter,c’estcroître,etl’appétitdes
scale-upencapitalhumainestinsa-
tiable. Albert (son nom a été
changé) évolue dans le milieu des
start-up depuis plusieurs années et
peut en témoigner. Il a démarré sa
carrière chez Souscritoo, devenue
ensuite Papernest : c’est alors une
start-up de 25 personnes qui prend
en charge les formalités adminis-
tratives liées aux déménagements.
Lorsqu’il la quitte, trois ans plus
tard, elle en compte près de 300.
Aujourd’hui, elles sont 650 à y être
employées. Il se souvient : « Cer-
taines semaines, je passais 30 à 40 %
de mon temps à recruter, beaucoup
destagiairesquipartaienttouslessix
mois. » Les embauches sont tellem-
enturgentesqu’iln’yapasdetemps
pour des procédures formalisées,
qui souvent, dans ces jeunes struc-
tures,n’ontd’ailleurspasencoreété
mises en place.
Recruter vite
et pas toujours bien
Virgile Raingeard connaît bien la
problématique : il a occupé des
fonctions RH chez Criteo puis chez
Comet, une plateforme de mise en
relation de free-lances IT, avant de
lancer une plateforme de bench-
mark salarial pour les start-up l’an
start-up qui ne font pas correcte-
ment ce travail, embaucher et pro-
mouvoir rapidement entraîne
forcémentdeserreursdecastinget/
ou une pression difficile à sup-
porter pour les nouveaux en poste.
« Tu peux ressentir que les fonda-
teurs n’ont pas de temps à perdre. Ils
sontcontraintsdeprivilégierlesdéci-
sionsquiassurentlasurviedelaboîte
à court ou moyen terme, parfois au
détrimentdecertainesrègles.Entant
qu’employé,tuasbesoind’apprendre
et de progresser vite pour gagner en
autonomie et participer à la crois-
sance»,ajouteAlbert,l’ex-salariéde
Papernest, scale-up qui n’a pour-
tant été que rarement mentionnée
surBTSUetoùilnerègnepas,selon
lui, de mauvaise culture.
Des paillettes au burn-out
Résultat : le turnover est souvent
important. Sur le compte Insta-
gram, certains évoquent même des
ruptures conventionnelles forcées.
Elise Fabing, avocate spécialisée en
droit du travail, gère régulièrement
detelsdossiersetvientdelancerun
podcastpourapprendreànégocier
son départ. « Peu de personnes vont
jusqu’aux prud’hommes, parce que
c’est un petit monde : ils ne veulent
pas “se griller” auprès de futurs
employeurs », regrette-t-elle.
Calquée sur le modèle de la Sili-
con Valley, la « start-up nation »
française se donne une image
familiale où chacun est animé par
une mission et se donne sans
compter ses heures. Sur BTSU, on
peutlire:«Entenduchezchefing:“Si
t’es de gauche, trotskiste, marxiste et
quetuteplainsparcequetufaisplus
de 35 heures, c’est pas la peine de
venir.” » Pour Virgile Raingeard,
cettementalitéesthéritéed’unecul-
ture américaine du « hustle » ou du
«grit»,deuxtermesquiévoquentla
compétitionetl’acharnement:«Ily
adesgensquicherchentça:untravail
où l’on se défonce, dans l’objectif
d’avoir des parts ou de monter leur
propre boîte après. »
Au-delà du déficit de process et
de la culture du dépassement pro-
explique l’entrepreneur. Dans une
entreprise classique, vous avez le
temps de vous adapter, ce sont des
cycles de un ou deux ans. Dans une
scale-up,vousvousretrouvezàgérer
un niveau de complexité beaucoup
plusimportantdansvostâchesdans
un laps de temps extrêmement
court : ça crée de la tension. »
Pourquoilessalariéssetournent-
ilsverslesréseauxsociaux?Pourla
créatriceducompteBTSU,quitient
à garder l’anonymat, c’était inévita-
ble:«Sijen’avaispascréécecompte,
quelqu’un d’autre l’aurait fait. Il y a
tellement de frustration. Ce qui est
très vicieux, c’est la petitesse de l’éco-
système:onapeurdeparler,cartout
le monde se connaît. » Les réactions
des entreprises concernées sont
éloquentes:lamajoritéd’entreelles
a accusé le compte de diffamation.
Après avoir, en mars 2021, annoncé
au«Monde»qu’ilsentamaientune
procédure judiciaire, iziwork a
changé de stratégie. « C’était une
réaction à chaud, admet Mehdi
Tahri.Onadécidédeprendretoutça
comme une opportunité d’améliorer
nos pratiques. On a mis en place dix-
huit ateliers de travail pour écouter
nos salariés, renforcés par un sond-
ageanonymeetundiagnosticappro-
fondimenéparuncabinetindépend-
ant. » La fondatrice du BTSU
conclut : « J’ai eu des retours de
l’interne qui me disent que les choses
sontréellemententraindebouger.»
(Ré)alignement
avec les valeurs
Les scale-up jouissent sans aucun
doute d’une réputation séduisante
en tant que symboles de réussite.
Mais le prestige ne suffit pas tou-
jours à tenir unie une famille qui
s’élargit à vitesse grand V.
Virgile Raingeard est catégor-
ique:«Unecultured’entreprise,çase
construit et ça s’entretient. » Quand
ce RH rejoint en 2018 la start-up
Comet (25 employés à l’époque, 60
deuxansplustard),«iln’yavaitpas
de problème particulier, mais pour
êtresûrsjustementqueçacontinueà
biensepassersurleplanhumain,les
bad buzz Les grosses start-up embauchent à tour de bras, mais les témoignages recueillis sur le compte
Instagram Balance Ta Start-Up épinglent les mêmes dérives concernant les salariés. Faut-il forcément sacrifier
le respect des règles élémentaires du droit du travail pour suivre le chemin des licornes ?
Lacroissanceest-ellel’ennemie
dumanagementdanslesscale-up?
Calquée sur le modèle de la Silicon Valley, la « start-up nation » française se donne une image familiale où chacun est animé par une mission et se donne sans compter ses heures. Photo iStock
fondateurs m’ont recruté comme VP
People. A l’époque, c’était assez
unique ». Ce titre de VP People est
d’ailleursdevenutrèsenvogue.«Ça
réhumanise le terme traditionnel de
ressources humaines », commente
l’ex-salarié.
Mais parfois, ça ne suffit pas.
Chez iziwork, une VP People a bien
été aussi recrutée, avant même le
«badbuzz»causéparBTSU,assure
MehdiTahri.Quoideplusironique
pour un projet qui vise à améliorer
lesconditionsd’accèsautravailque
de se retrouver sous le coup de
telles accusations ? « L’ADN de
notre projet est profondément
humain, se défend le fondateur.
Alors évidemment, le bien-être des
collaborateurs est au cœur de nos
préoccupations. Nous voulons
aujourd’hui réaffirmer les valeurs
du début. Car finalement, nous
employons200personnesquin’étai-
ent pas là il y a un an. »
Pour Mehdi Tahri, les investis-
seurssontaussideplusenplussen-
sibles aux enjeux humains. « Nos
derniers boards ont été focalisés sur
cette question. Nos actionnaires sont
alignés sur notre conviction que le
bien-être au travail est nécessaire à
une croissance pérenne. » Le man-
agementcommeprincipallevierde
résilience… plus facile à dire qu’à
faire. Surtout lorsqu’on attend de
ces scale-up de nous montrer la
voie, d’être des pionniers du
« monde d’après ». Vous avez dit
pression ? n
Sondage auprès
des employés, culture
de la transparence,
revue régulière des
managers, garde-fous
dans les temps de
travail… les leviers
sont nombreux pour
veiller au bien-être
des salariés.
dernier.Ilconstateque«lamajorité
dutemps,pourunpostedemanager,
parexemple,onprendlapersonneen
interne qui est la plus expérimentée
plutôt que de recruter à l’extérieur ».
Etsansavoirtoujoursletempsdela
former au management…
Il y a aussi la cooptation. Et les
chemins tout tracés : de nombreux
consultants issus de gros cabinets
viennentfaireleurdeuxièmepartie
decarrièredanslesscale-up.Cequi
peut poser des problèmes de diver-
sité sociale. Chez Doctolib (1.500
collaborateurs, de 70 à 100 nou-
velles recrues par mois), le prob-
lème est remonté plusieurs fois sur
BTSU – « les promotions sont don-
nées par copinage » – ou encore sur
Glassdoor(siteoùemployésactuels
et anciens employés d’entreprises
évaluent leur environnement de
travaildemanièreanonyme)–«très
peu de diversité au siège : même pro-
fils,mêmeécoles,souventpotesentre
eux ». Doctolib se dit sensible à ces
remontées, mais estime qu’elles ne
reflètent pas les retours plus glob-
aux dont elle dispose (sur les pro-
cess de recrutement ou encore à
partir de l’évaluation régulière par
les collaborateurs). La licorne
assure avoir accompli un travail de
fond pour recenser les compéten-
ces métiers et comportementales
sur l’ensemble des fonctions. « Ce
sont des bases qui nous permettent
de rendre les critères d’embauche
plusobjectifsetquisoutiennentaussi
la mobilité interne et les promo-
tions », nous précise-t-on. Pour les
Les embauches sont
tellement urgentes
qu’il n’y a pas de temps
pour des procédures
formalisées qui
souvent, dans ces
jeunes structures, n’ont
d’ailleurs pas encore
été mises en place.
pre à l’écosystème start-up, la per-
sonnalitédufondateurpeutêtreun
autrefacteurdedérivesmanagéria-
les. Des traits de personnalité tox-
ique chez les « founders » sont évo-
q u é s s u r B T S U. « C e r t a i n s
entrepreneurs ont créé un véritable
culte autour d’eux, à l’instar de Steve
Jobs ou d’Elon Musk. On leur
demanded’êtrecharismatiquespour
lever des fonds, ils sont mis sur un
piédestal, explique Virgile Rain-
geard. Bien sûr, ça dépend des per-
sonnalités. Certains s’en servent
pour humilier… d’autres, au con-
traire, pour inspirer, comme Charles
Thomas, le CEO de Comet. On disait
que le secret du succès de la boîte,
c’était qu’on était tous secrètement
amoureux de lui. »
Les relations entre fondateurs,
managersetsalariésoscillententre
fascinationetautorité.EliseFabing,
avocate, y voit une spécificité du
monde des start-up : « La limite
entre vie professionnelle et privée est
brouillée. L’investissement est dém-
esuré par rapport à la rémunération
etlafichedeposte.Onboitdescoups,
on joue au baby-foot… et il peut ne
pas y avoir de problèmes, mais
quand il y en a, c’est ultra-violent. En
cas de surmenage, on peut avoir
l’impression de manquer de loyauté
enverssonpatron,quiestaussinotre
pote. Il y a une adhésion telle au pro-
jet que le quitter fait mal. »
Sondage auprès des employés,
culture de la transparence, mesure
d’un score d’épanouissement au
travail, revue régulière des manag-
ers, garde-fous dans les temps de
travail… les leviers sont nombreux
pour veiller au bien-être des sala-
riés.
Mehdi Tahri, cofondateur d’izi-
work, scale-up vivement critiquée
sur BTSU, confesse : « On n’a pas
suffisammentécoutélesalertes.»En
2018,iziworknaissaitd’unprojetde
révolutionner le marché de
l’intérim. Le chiffre d’affaires se
multiplie par dix en deux ans. « La
croissance a imposé un rythme très
soutenu de travail et des change-
ments très fréquents d’organisation,
08/
/Start Lundi 31 mai 2021 Les Echos
8. Agathe Wautier, CEO
et cofondatrice
de The Galion Project
La levée de fonds est avant tout
un formidable moyen pour
l’entrepreneur d’obtenir des capi-
taux, sans demande de garantie, à
unstadeoùleprêtbancaireestsou-
vent impossible. Dans bien des cas,
elle offre aussi l’occasion de se pro-
fessionnaliser.Lesinvestisseursexi-
gentunerigueur,notammentàtrav-
ers un conseil d’administration, et
contribuent ainsi à stimuler l’ambi-
tion de l’entrepreneur.
Ceci étant dit, le sujet n’est pas
dogmatique. Par nature, certains
projets nécessitent une levée de
fondscarilssontinnovantsetrequi-
èrent une certaine échelle pour
offrir toute leur valeur. Car qui est
prêt à prendre le risque de financer
une innovation exigeant un inves-
tissement énorme en recherche et
développement (Ynsect) ? Qui est
prêt à soutenir une idée révolution-
nairequin’apasencoresonmarché
(BlaBlaCar) ? Qui est prêt à suivre
un entrepreneur visionnaire qui
s’attaque à des géants d’une indus-
trie (Alan) ? Sans levée de fonds, un
grand nombre de ces sociétés ne
pourraient voir le jour, balayant
ainsi toutes leurs innovations. En
Europe, ce sont plus de 1.200
start-up qui ont été financées grâce
au capital-risque en 2020.
Le vrai sujet n’est pas l’utilité des
levées de fonds mais le manque
d’accompagnement des entrepre-
neurs.Au-delàdudéfipédagogique,
il reste deux enjeux de taille. Pour
l’Europe, celui de donner un maxi-
mum de ressources à ses entrepre-
neurs afin de rester compétitifs sur
lesmarchésinternationaux.Pourle
monde, celui de réussir à rendre le
financement plus inclusif : c’est la
définition du monde de demain qui
estenjeu.
Pouroucontrelerecours
àunelevéedefonds
Thibaut Chary, CEO
et fondateur de Yespark
Les créateurs d’entreprise
voient une levée de fonds
commeunsuccès.Orpourl’évaluer,
on devrait plutôt être focalisé sur la
rentabilité, le bien-être des
employés et d’autres critères sou-
vent oubliés. La levée de fonds ne
doitpasêtreunpassageobligédans
lacroissanced’unestart-up.Deplus
en plus d’entrepreneurs, comme
nous, enfontleconstatetontdécidé
de se développer différemment
grâce, entre autres, aux finance-
ments générés par leur activité. Un
paradoxe existe également : les
start-upquireçoiventlesmeilleures
offressontcellesquienontlemoins
besoinetpourquilepassageàl’éch-
elledeleurmodèleestdémontré.
Dès le départ, Yespark a ancré la
durabilité dans son ADN. Dans
l’absolu, ce n’est pas antinomique
avecunelevéedefonds,maisnepas
y avoir recours nous a obligés à ne
pas nous précipiter et surtout à
maintenir une rentabilité. Nous
avonslaconvictionquefairelescho-
ses avec patience et réflexion per-
met de mieux prévenir l’échec, et le
temps passé à explorer est propor-
tionnelàladurabilitédenoschoix.
Yespark a même refusé à plu-
sieursreprisesdeslevéesdefondset
des rachats par des tiers. Les bud-
gets dont nous disposions en mar-
keting ou en recherche et dévelop-
pement n’ont jamais été illimités, et
c’est tant mieux. Cela a permis de
prendre le temps de sentir le
marché, avant d’investir dans la
durée.Dansunmondeoùleslevées
de fonds attirent la lumière, nous
savons que ne pas y avoir recours
peut être un handicap de crédit ou
de visibilité, mais nous défendons
l’idée que ce n’est pas toujours la
panacée d’une croissance à deux
chiffres. n
Sans levée de
fonds, un grand
nombre de ces
sociétés ne
pourraient voir
le jour, balayant
ainsi toutes
leurs
innovations.
Agathe Wautier
Ne pas avoir
recours [à une
levée de fonds]
nous a obligés à
ne pas nous
précipiter et
surtout à
maintenir une
rentabilité.
THibaud chary
LE MATCH Les startuppeurs savent que boucler une levée de fonds augmente la visibilité médiatique de l’entreprise.
Au-delà de cet aspect, ouvrir son capital est-il toujours utile pour développer l’activité ? Par Florent Vairet
*
Les Echos Lundi 31 mai 2021 Start/
/09
9. doute encore plus fort pour Bla-
BlaCar, l’une des premières start-up
françaisesàavoirobtenulestatutde
licorne. Depuis ce jour de 2015, la
plus si jeune pousse dédiée au
covoiturage a doublé sa valorisa-
tion. Un succès qui n’est pas étran-
geràcetteétapesymbolique,estime
Nicolas Brusson, CEO et cofonda-
teur : « Le fait d’être devenu une
licorne, de lever beaucoup d’argent a
prouvé que BlaBlaCar n’était pas
qu’un projet loufoque de niche. Le
covoiturageestainsidevenuunmode
de transport crédible. Au départ, les
gens ne comprenaient pas que nous
étionsunevraieentreprisederrièrele
site. »
Les levées de fonds successives
ont ainsi permis à la jeune entre-
prise de passer du stade de projet à
celui de véritable société, ambi-
tieuse et internationale. « Quand
nous nous sommes lancés en Inde,
j’aiététrèssurprisdevoirqu’ilyavait
quarantejournalistesànotreconfér-
ence de presse. Ce coup de projecteur
aide à faire un beau lancement dans
nosnouveauxmarchésetàattirerles
premiers utilisateurs », ajoute-t-il.
Aujourd’hui,80%del’usagedeBla-
BlaCarsefaithorsdenosfrontières,
le pari est relevé.
Fierté et médiatisation
Le statut est naturellement une
fierté, pour les dirigeants comme
pour les équipes. « Bien sûr, c’en est
une à titre personnel, reconnaît
Sophie Hersan, cofondatrice de
Vestiaire Collective, devenue la 10e
licorne française en mars 2021,
après avoir levé 178 millions
d’euros. Et ce, d’autant plus que c’est
la première licorne française dans
l’univers de la mode, de surcroît avec
des femmes parmi ses cofondateurs.
Nos salariés étaient également très
fiers, cela crée de l’adhésion autour
du projet et des valeurs de l’entre-
prise. »
En revanche, pas question de se
mettre une pression supplémen-
taire,confirme-t-elle:« Lapression,
onselametdéjàtouslesjours!Forcé-
ment, quand on a des investisseurs,
on a des comptes à rendre. Mais
licorne ou non, nous continuons
d’avancer,leregardtournéversnotre
communauté. »
Pourcertains,c’estd’ailleursplus
la levée de fonds en elle-même que
le statut de licorne qui compte. Flo-
rianDouetteau,cofondateuretCEO
de Dataiku, une plateforme de data
science au service des entreprises,
le voit en tout cas ainsi : « En tant
qu’entreprise de technologie, c’est
donc surtout le fait d’avoir levé un
certain montant qui nous fait entrer
dans le club des 100 ou 150 boîtes de
tech qui comptent dans le monde.
Pour nous, il est nécessaire d’en faire
partie, pour continuer à grandir. »
C’est l’arrivée du fonds d’investisse-
ment d’Alphabet, la maison mère
deGoogle,danssoncapitalquiluia
permis d’atteindre le milliard de
valorisation, en 2019.
Devenir une licorne, c’est aussi
susciter l’intérêt de futurs investis-
seurs,quinevousavaientpasforcé-
ment dans leur ligne de mire, mais
aussi redoubler l’enthousiasme des
premiers investisseurs. « Il ne faut
pas se leurrer, c’est un signal hyper-
positif, en particulier pour les inves-
tisseurs qui nous ont déjà fait confi-
ance », confirme Franck Lheureux,
chief revenue officer d’Ivalua, spé-
cialisée dans les logiciels de sour-
cing et d’achat. Née en 2000, la
société a dépassé le milliard de dol-
lars de valorisation en mai 2019.
En route
pour les décacornes
AutreeffetKissCool:attirerl’atten-
tion des autres scale-up. « C’est un
effetpeut-êtreplusdirectquenousne
l’avions imaginé ; nous avons depuis
signéavecVeepeeouencoreDoctolib.
Cela montre que l’on fait bel et bien
partieintégrantedecetécosystème »,
lance le CRO.
Pour Ivalua, la mayonnaise
prend toujours : l’entreprise reven-
dique 36 % de croissance en 2020,
décryptage Avec l’arrivée de Back Market dans ce club très prisé le 18 mai, on dénombre
désormais quatorze licornes en France, avec trois nouvelles entrées en moins d’un mois. Le Graal
pour bon nombre de jeunes pousses. Mais au fait, qu’apporte cette consécration à ces sociétés ?
Devenirunelicorne,çachangequoi?
avec 700 collaborateurs et quelque
110 millions de dollars de chiffre
d’affaires.
À côté d’une médiatisation
accrue,PierreCasanova,chiefreve-
nue officer de ContentSquare, a
remarqué que sa société attirait
davantage lors de ses recrutements
depuis qu’elle était entrée dans le
club très prisé en 2020 : « Nous voy-
ons deux fois plus de candidats, des
profils souvent plus qualifiés et
mieux renseignés sur l’entreprise, en
particulier en ce qui concerne la par-
tie développement commercial. C’est
un vrai plus en termes de marque
employeur,pourattirerlesmeilleurs
talents. » Résultat, ce spécialiste de
l’UX compte aujourd’hui 850 sala-
riés.
Une notoriété boostée apporte
un « véritable capital sympathie »,
mais pas nécessairement du busi-
ness supplémentaire, nuance le
responsable.
Tous s’accordent sur un point :
pas question de s’arrêter en si bon
chemin. La licorne n’est qu’une
étape, en aucun cas une finalité.
« Au-delà des licornes, ce qu’il faut
maintenant, ce sont des décacornes,
qui pèsent 10-20 milliards de dollars,
et nous n’y sommes pas encore, con-
clut Nicolas Brusson, de BlaBlaCar.
Il y a beaucoup d’investissements
dans la tech française, et c’est très
bien, mais nous avons encore un
retard à combler en Europe. La
bonne nouvelle, c’est que nous avons
toutes les cartes en main pour y
arriver. » De quoi ajouter, à l’avenir,
plusieurs cornes à leurs arcs. n
Une notoriété boostée
apporte un « véritable
capital sympathie »,
mais pas
nécessairement
du business
supplémentaire.
Laura Makary
@laura_makary
C
e printemps, le club
très sélect des licornes
françaisess’estagrandi
rapidement, avec trois
start-up ayant dépassé
le milliard de dollars de valorisa-
tion : Alan fin avril puis Shift Tech-
nology début mai, deux acteurs de
l’assurtech, ainsi que Back Mark,
spécialiste de l’électronique recon-
ditionné, le 18 mai. La presse spé-
cialisée fait régulièrement ses
chouxgrasdeslevéesdefondsXXL,
mais concrètement, qu’est-ce que
cestatutd’animalféeriqueàcornea
apporté à ces jeunes pousses en
hypercroissance ?
Pour l’éditeur de logiciels de ges-
tiondetrésorerieKyriba,lecapaété
franchi en 2019. Son fondateur,
Je a n - L u c R o b e r t , à l a t ê t e
aujourd’hui d’une société de 900
salariés dans le monde, l’a davan-
tagevécucommeuneconfirmation
des acquis que comme une consé-
cration : « Le fait de devenir une
licorne confirme la solidité et la sta-
bilité de l’entreprise, rassure les cli-
ents et renforce notre crédibilité. Cela
prouve que nous avons les moyens
financiers de notre stratégie. Mon
ambition reste néanmoins la même
pour Kyriba : bâtir le leader mondial
dans son domaine. Et le statut de
licorne prouve que le marché croit en
ce que nous proposons. » Une légiti-
mité supplémentaire, en somme,
pour cette société BtoB franco-
américaine. L’impact a été sans
Pour Nicolas Brusson,
« le fait d’être devenu
une licorne, de lever
beaucoup d’argent a
prouvé que BlaBlaCar
n’était pas qu’un projet
loufoque de niche ».
En
pluS
Chrono
des start-up
françaises
devenues licornes
Veepee
Juillet 2007
BlaBlaCar
Septembre 2015
OVH
Août 2016
Deezer
Août 2018
Doctolib
Mars 2019
Ivalua
Mai 2019
Meero
Juin 2019
ContentSquare
Mai 2020
Voodoo
Août 2020
Mirakl
Septembre 2020
Vestiaire
Collective
Mars 2021
Alan
Avril 2021
Shift Technology
Mai 2021
Back Market
Mai 2021
LE BILLET
de Thomas Pons*
«Non,il ne
suffitpas
dele
vouloir
pourle
pouvoir!»
« SurLinkedIn, onentend
souventcettepetite
musique.Cellequi vous expli-
quequelaseulechosequivous
séparedevotrerêve,c’est la
volonté.Toutlemondepeutle
faire,ilsuffitjustedese
motiver!Àtousceux qui
promeuventcegenredemes-
sages,j’aimeraisleuradresser
un mot:« arrêtez ».Carilya
un problèmeaveccemessage.
Soncorollaire.Insidieusement
s’installeuneautremusique,
vachementmoins féeriqueque
lechantdeslicornes.Sitoutle
mondepeutlefaire,qu’enest-il
de ceuxquin’yarrivent pas ?
Cettepressiongénéralisée,
relayéesurlesmédias,les
réseauxsociauxàgrands
coupsd’annoncesdelevéesde
fondsetdeselfiesbling-bling,
ne noustirepasvers lehaut.
Pas tous,entoutcas.Attention,
je ne suispasungrandfande
l’abandonoudulissagevers le
bas.Maisjesuispasséparlà,et
c’estlaraisonpourlaquelle
j’aimeraisvousdire:pardon.
Parcequej’aimoi-mêmeétéun
évangélistedecettesectedes
coachsenrêvesatteignables.
Au coursdemapetiteexpéri-
ence pro(à35ansetjen’ai
changéquehuitfoisdemétier,
rienpourungarsdela Y),j’ai
moi-mêmecréédesboîtes.J’ai
trouvéçacool.Etjemesuis
senti obligéd’enfaireunbou-
quin.Undeceuxpréfacés par
desgrandsentrepreneursqui
n’ontpasloupégrand-chose.
J’aidonnédesconférences
dans desgrandesécolespour
dire querater,c’esttropchou-
ette !Maislaréalité,c’est que
leschosesnesontpasbinaires.
Non, nousnepouvonspastous
toutaccomplir.Non,lefait
d’êtretrèsbontechniquement
ne garantitpasunsuccès
entrepreneurial.Non,onne
peutpastousdevenirBeetho-
ven,ZidaneouDali,simple-
mentparcequ’onle«veut».
Mêmesionleveuttrèstrès
fort ?Oui.Etmêmesic’estce
qu’onaenvied’entendre?
Même.Aussiincroyableque
celapuisseparaître :ça nefait
pasdevousdesgensmoins
bien.Moins«likables» peut-
être. Maiscertainement pas
moinsbien.Cesmots-là,
j’auraisaiméleslireavant de
vouloirembarquer certains de
mespotesdanscesdélires-là.
Parcequeoui,ilyadeséchecs
dont onneserelèvepas.Ou pas
facilement.Aujourd’hui,moiet
mesgrandsdiscours avons
toujoursuneboîte.Maisjesuis
surtoutsalariéàpleintemps
dans unePME.Etjeviscer-
tainementl’expériencelaplus
épanouissantequej’aiconnue
jusque-là.Ilétaittempsqu’une
autremusiquerésonne. »
*Entrepreneur et créateur de la
page CopyPost sur LinkedIn.
10/
/Start Lundi 31 mai 2021 Les Echos
10. Hélaine Lefrançois
« Nous cherchons notre 1er
Content
Manager.Avecdeuxenjeux:dévelop-
per le branding de la marque et créer
un levier inbound pour la Growth. »
Vousn’avezriencompris?«Tucon-
struisetprioriseslaroadmapcontent
en collaboration avec la Head of
Growth, en te basant sur les besoins
de nos cibles et sur le feedback des
équipesGrowthetSalesdanslebutde
générer de l’inbound. » Toujours
pas ?
On vous rassure, nous non plus.
Quand on lit cette offre d’emploi
cryptique, on se croirait dans un
sketch de Karim Duval ou une
chronique de Guillaume Meurice,
deuxhumoristesparmid’autresqui
prennent un malin plaisir à paro-
dier la novlangue de la start-up
nation.Cetteannonce,pourtanttrès
sérieuse, a eu le malheur (ou l’hon-
neur ?) d’être reprise, et donc
moquée, sur le groupe Facebook
privéNeurchidelaflexibilisationdu
télétravail, NdFlex pour les intimes.
« La start-up nation est un puits
d’humour inépuisable », se réjouit
Annaëlle,l’unedesmodératricesde
cette communauté. Ses 142.000
chineurs (« neurchis ») l’abreuvent
de mèmes qui tournent en dérision
lesentreprisessoi-disantflexibleset
innovantes.«Ellesonttoujourstend-
ance à enjoliver les choses. Tu ne vas
pas être RH, mais chasseuse de tal-
ents », parodie l’étudiante.
Vendre du rêve est dans l’ADN de
ces jeunes pousses qui reprennent
les codes des entrepreneurs améri-
cains. Pour convaincre leurs futurs
« talents », clients et investisseurs,
les startuppeurs doivent maîtriser
l’artdu«pitch»,travaillerleur«sto-
rytelling»…etnesontpasàl’abride
dérapages verbaux. « Parfois, le sto-
rytelling est plus affûté que le pro-
duit»,railleDanGeiselhart,l’undes
fondateurs de la newsletter Tech
Trash, qui compte 30.000 abonnés.
Chaque jeudi, ce récapitulatif de
l’actualitédelatech,quiseveut«cri-
tique mais bienveillant », met un
coup de projecteur sur la « bullshit
quote » d’un gourou de la start-up
nationetsuruneinnovationinutile.
« De la gamelle pour chat à la pou-
belle, les start-up mettent de l’IA par-
tout»,citeenexemplelejournaliste.
Chez Tech Trash comme chez
NdFlex, on reconnaît volontiers
qu’ilexistedebonsconcepts,«utiles
à la société », dixit Annaëlle.
Cet humour mordant veut sur-
tout contrebalancer un discours
enchanteur. Tech Trash a été créée
en 2017 « en réaction à une vision
béate des start-up et de la tech, expli-
que son cofondateur. Après la crise
dessubprimes,onaconstruittoutun
récit autour d’une tech réparatrice,
qui pourrait abolir les privilèges.
Mark Zuckerberg était même vu
comme un potentiel président, rap-
pelle-t-il. Le discours critique envers
les Gafa est venu après ».
Lors de sa campagne présiden-
tielle, Emmanuel Macron a con-
tinuéàglorifiercemodèle,enprom-
ettant de faire de la France une
« start-up nation ». En réalité, la
majorité des dispositifs qui souti-
ennentleshérautsdel’innovationa
étémiseenplacesousFrançoisHol-
lande, rappelle la doctorante en
sociologie Marion Flécher.
Maiscecoupdeprojecteursurles
jeunes pousses a marqué « un tour-
nant dans les représentations : on a
commencé à voir un certain cynisme
qui n’était pas là au début »,
remarquelachercheuse,quiacom-
mencé sa thèse sur les start-up en
2017.Lesstart-upseraient-ellesdev-
tendance On se moque des discours des entrepreneurs, de leur usage
compulsif d’anglicismes, des baby-foots… Mais que révèle cet humour ?
À défaut de sauver le monde, les start-up ont développé
un vrai potentiel comique, et ce n’est pas les premiers concernés
qui diront le contraire. Photo Getty Images
Pourquoionaimeautant
riredesjeunespousses
Les startuppeurs et
ceux qui consomment
leurs produits « ont
grandi avec la culture
du détournement
sur Internet », souligne
Monique Dagnaud.
enues des cibles faciles parce
qu’elles sont associées au macron-
isme ? Difficile à dire. Ce qui est sûr,
c’est que les langues se sont déliées,
quelestensionsinhérentesaumod-
èlesontplusfacilementpointéesdu
doigt.
Victime de son succès
Harcèlement, salaire de misère,
horaires extensibles… sur NdFlex,
on rit jaune de l’exploitation des
employés et des abus des CEO pas
aussi « cool » qu’ils en ont l’air. C’est
ce décalage entre l’image renvoyée
etlaréalitéquifaitgrimacer.
«Ilsontinventéuneprécaritécool,
sourit l’humoriste Guillaume Meu-
rice. Le sommet, c’est les happiness
managers.Aulieudedire:“C’estnor-
mal que tu te sentes oppressé”, on
embauche quelqu’un pour que tu
passes plus de temps au travail. Un
peucommesiont’apprenaitàtepas-
serdemangerquandtuas faim.»
C’est«facile»deriredelastart-up
nation, affirme Quentin, un autre
modérateur de NdFlex. Il prend un
exemplepersonnel:lorsd’unentre-
tien d’embauche dans une jeune
pousse, « on m’a parlé du baby-foot
avantmêmedediscutersalaire.Jeme
suis dit : on a dépassé la fiction », se
souvient-il. « La start-up nation est
un concept victime de son succès, qui
parfois devient une caricature d’elle-
même », conclut Annaëlle. À défaut
de sauver le monde, les start-up ont
développé un vrai potentiel
comique,etcen’estpaslespremiers
concernés qui diront le contraire.
Même si leur communauté s’est
élargie, Tech Trash et des groupes
comme NdFlex rassemblent beau-
coupdejeunesquiévoluentdansce
milieu.
Lesstartuppeursetceuxquicon-
sommentleursproduits«ontgrandi
avec la culture du détournement sur
Internet », souligne Monique
Dagnaud, qui brosse le portrait de
cette nouvelle élite culturelle dans
« Générationsurdiplômée.Les20%
qui transforment la France » (avec
Jean-Laurent Cassely). Elle ajoute
que « toute une génération d’humor-
istes en est issue » et plaît à ses pairs.
En prenant l’exemple de Karim
Duval,ellenote:«Onpeutd’ailleurs
surprendredanslafiled’attentedeses
spectacles les discussions de jeunes
consultants ou de chefs de projet qui
sontvenusl’écouter.»
Pas rancunière, la jeune femme
derrière l’offre d’emploi cryptique a
préféréenrirequandelles’estrendu
comptequeNdFlexl’avait«trollée».
SurLinkedIn,elleenamêmeprofité
pour appeler à candidater, « si les
anglicismesnevousfontpaspeur(on
enrigolenous-mêmes)». n
Les Echos Lundi 31 mai 2021 Start/
/11
11. LES BUSINESS MODELS
DE DEMAIN
S’INVENTENT ICI.
À l’EDHEC, nous formons nos étudiants à
réinventer les business models de demain.
Nos programmes EDHEC Entrepreneurs à
Station F Paris, Lille et Nice les accompagnent
dans le développement de leurs projets.
Et pour leur permettre d’aller encore plus
loin, l’EDHEC devient cette année la seule école
en France à être « Global Strategic Partner »
de l’accélérateur SkyDeck de l’Université
de Californie Berkeley. Ainsi, nos jeunes
VWDUWXSV SRXUURQW E«Q«fiFLHU GHV
meilleures ressources mondiales
pour mener à bien leurs projets
de transformation.
*Agissez sur le monde.