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MAVERICK ET ABUS
DE POSITION DOMINANTE
26 mars 2015 I Free, Paris
Maxime Lombardini
Directeur général d'Iliad
A
u début des années 2000, le
marché français des télécoms
était dominé par un acteur
ultrapuissant. Aujourd’hui s’y affrontent
quatre acteurs en bonne santé globa-
lement, même si l’un d’entre eux l’est
moins, essentiellement en raison du
choix il y a dix ans d’abandonner le
marché de la téléphonie fixe).
La couverture mobile, notamment pour
la 4G, est bonne en France : les obliga-
tions de couverture sont élevées, les
prix assez bas. La pénétration du
numérique est très bonne alors qu’In-
ternet suscitait à l’origine plutôt de la
méfiance.
Ce succès est dû à une régulation
volontariste et à la présence d’un
maverick qui a essayé de se poser de
manière agressive en termes de prix et
de simplicité des offres : Free a
aujourd’hui 16 millions de clients avec
seulement quatre offres. Free a réalisé
des investissements progressivement :
l’entreprise a commencé avec des
offres de gros, et puis a rapidement
construit son réseau, travail qui
continue aujourd’hui, notamment avec
la fibre. L’obtention de la quatrième
licence télécom était vitale au vu de la
nécessité d’une intégration des offres
fixe-mobile. Les bénéfices de la
concurrence sur le marché mobile en
ont été très importants. Il y a trois ans,
certains économistes prévoyaient un
effondrement des investissements en
raison de l’entrée d’un nouvel opéra-
teur. Cela ne s’est pas produit, l’inves-
tissement est au plus haut. Si la 4G
s’est développée aussi vite (70 % de la
population couverte en dix-huit mois),
c’est grâce à la concurrence induite par
ce changement. Par ailleurs, l’emploi
direct dans le secteur est stabilisé
depuis 2009.
Le marché a toujours besoin d’être
accompagné, surtout en cette période
où la migration vers la fibre nécessite
beaucoup d’investissements. Toute-
fois, ça n’est pas un problème d’argent
pour les opérateurs : le cash flow pour
investir est là. Il n’est pas nécessaire
d’augmenter les prix. Il faut en revanche
rééquilibrer les portefeuilles de
fréquences basses, qui sont déséquili-
brés. Les trois concurrents « historiques »
disposent de portefeuilles de
fréquences importants, acquises à
l’abri de la concurrence (c’est à partir
de l’attribution des licences 3G que
l’État a fait payer les licences) jusqu’en
2010. Les quinze dernières années
sont marquées par la réussite de l’ou-
verture à la concurrence, mais il faut
rester vigilant car le retour en arrière
peut être rapide.
PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015)
L’ENTRÉE D’UN MAVERICK SUR LE MARCHÉ
FRANÇAIS DES TÉLÉCOMS
LESQUINZEDERNIÈRESANNÉES
SONTMARQUÉESPARLARÉUSSITE
DEL’OUVERTUREÀLACONCURRENCE,
MAISILFAUTRESTERVIGILANTCAR
LERETOURENARRIÈREPEUTÊTRE
RAPIDE“
PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015)
Étienne Pfister
Chef économiste de l'Autorité
de la concurrence
L
e concept de maverick (ou de
franc-tireur) a d’abord été
exploré en droit des concen-
trations. Les Lignes directrices de
l’Autorité de la concurrence sur le
contrôle des concentrations font
référence à deux reprises à ce
concept. D’une part, le maverick fait
échec à la coordination tacite entre
acteurs. D’autre part, certains opéra-
teurs, même de petite taille, peuvent
jouer un rôle essentiel dans le maintien
et l’animation de la concurrence :
même avec une faible part de marché,
l’influence d’un acteur sur la concur-
rence peut être forte. Ainsi, le rachat
d’une entreprise disposant de faibles
parts de marché peut avoir un impact
réel sur la concurrence si cette cible
joue un rôle important dans l’anima-
tion de la concurrence sur le marché
concerné. À l’inverse, des opérations
peuvent être plus facilement accep-
tées si un maverick est présent sur le
marché.
La définition du maverick se fonde
principalement sur son agressivité
commerciale. En premier lieu, l’entre-
prise doit avoir manifesté sa volonté
de développer ses parts de marché,
par exemple en menant une stratégie
de prix bas sur le long terme, et pas
seulement à court terme lors d’opéra-
tions commerciales isolées, matière
première), ou en proposant de
nouveaux services ou un nouveau
modèle économique. En second lieu,
le maverick doit pouvoir déployer cette
agressivité sur une part de marché
suffisamment importante. En résumé,
un maverick doit avoir une place sur le
marché forte ou appelée à se déve-
lopper, et une stratégie commerciale
agressive. Le plus souvent, la présence
d’un maverick sur un marché s’analyse
en le comparant aux acteurs en place,
révélant ainsi fréquemment la relative
inertie de ces derniers.
Par définition, un maverick remet en
cause et bouleverse de manière
significative la coordination tacite entre
les acteurs en place, et donc une
possible position dominante collective.
Quid d’une éventuelle position domi-
nante individuelle ? Il est important,
lorsque l’on appréhende la pression
concurrentielle exercée par un
maverick, d’évaluer sa capacité à se
développer : toute entreprise dyna-
mique n’est pas nécessairement à
même de concurrencer à suffisam-
ment court terme des entreprises bien
établies. Enfin, si l’on admet que les
grandes entreprises, dont les coûts
sont fréquemment plus faibles,
peuvent plus facilement mettre en
œuvre des stratégies de prix agres-
sives, force est alors de considérer
que l’entrée d’un maverick agressif sur
le marché trahit le pouvoir de marché
des grandes entreprises présentes,
dont les prix sont significativement
supérieurs à leurs coûts.
Le dommage causé par un abus de
position dominante est évalué en
comparant la situation issue des
pratiques à celle qui eût prévalu en
leur absence. Dès lors, la présence
d’un maverick ayant un effet particu-
lièrement bénéfique pour la concur-
rence, son éviction constitue un
facteur aggravant du dommage. Mais
la notion de maverick a-t-elle une
pertinence pour la qualification même
d’abus de position dominante ? Elle
peut être utile pour la hiérarchisation
des dossiers. En revanche, lorsque le
test du concurrent aussi efficace est
appliqué, une difficulté survient :
souvent, comme il n’est pas encore
suffisamment développé, le maverick
peine à être aussi efficace que le
dominant. La Communication de la
Commission sur l’application de l’ar-
ticle 82 aux pratiques d'éviction
abusives des entreprises dominantes
précise donc que, dans certains cas, il
faut déterminer si un concurrent
aujourd’hui moins efficace pourrait, au
terme de sa croissance potentielle,
devenir plus efficace. Toutefois la juris-
prudence sur ce point est mince.
MAVERICK : CONCEPT ET UTILITÉ DE LA NOTION
L’ENTRÉED’UNMAVERICK
AGRESSIFSURLEMARCHÉ
TRAHITFRÉQUEMMENTLE
MANQUEDEDYNAMISMEDES
ENTREPRISESPRÉSENTES“
PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015)
Olivier Fréget
Avocat associé, Cabinet Fréget –
Tasso de Panafieu
L
a légitimité du droit de la
concurrence repose sur la
conviction que le marché
permet une meilleure satisfaction des
besoins des consommateurs et alloca-
tion des ressources que la planification
car il est « plastique » voire même que
toute régulation a priori qui prétendrait
en restaurer le fonctionnement. Cette
plasticité et capacité continuelles de
s’adapter exigent l’apparition de
nouveaux entrants qui viennent
remettre en cause « l’ordre établi ».
Sauvegarder le potentiel de perturba-
tion, de disruption sur le marché de ces
acteurs lorsqu’il est mis en cause par
des comportements collectifs (oligo-
poles exerçant une position dominante
collective) ou individuels est ainsi
fondamental. Certes, on entend
souvent dire que le droit de la concur-
rence ne doit pas protéger les concur-
rents, mais la concurrence elle-même.
Dans la perspective d’un droit de la
concurrence modernisé, le maverick
est cependant le « bon » concurrent à
sauvegarder lorsqu’il est en butte à des
comportements abusifs. Si rien n’est
fait pour protéger les contestataires,
alors il faudra par la suite réguler davan-
tage et faire intervenir la puissance
publique pour rétablir la concurrence
sur le marché avec plus de risques
encore sur le fonctionnement même de
la concurrence.
Même si d’ailleurs un maverick échoue, il
a pu jouer un rôle dans l’établissement
de conditions meilleures de concurrence
sur un marché : il peut avoir apporté de
l’information sur le marché, notamment
sur la possibilité de développer un autre
modèle économique sur ce marché, ou
sur les coûts du dominant. Ne pas
sauvegarder un maverick au prétexte
qu’une « bonne rivalité » sur le marché
bénéficie au consommateur peut ainsi
finalement revenir à prendre le risque de
laisser subsister des structures de coûts
inefficientes… qui lui seront défavorables.
La question se pose néanmoins de savoir
comment on peut sauvegarder les mave-
ricks et quel test permet de le faire sans
priver les entreprises dominantes de leur
droit de s’adapter. L’innovation peut venir
des entreprises dominantes et il ne s’agit
pas de choisir l’un contre l’autre mais que
les deux puissent exprimer leur potentiel.
Face aux nouveaux entrants, les entre-
prises dominantes ne sont pas de cette
seule circonstance privée en effet de tout
droit de réaction ! Outre le respect de leurs
droits procéduraux en cas de mise en
cause, elles ont le droit de préparer et de
s’adapter à la situation créée par le nouvel
entrant, par la qualité de leurs produits,
défendre leur image si elle est mise en
cause, utiliser leurs capacités marketing...
Les mavericks sont nécessairement la
cible potentielle de nombreux comporte-
ments d’éviction : pratiques non tarifaires
(préemption de leurs capacités d’appro-
visionnements, etc.), capture réglemen-
taire, édiction de barrières à l’entrée au
moyen de lobbying que l’on ne saurait
toutes analyser dans le cadre de cette
conférence. Il nous semble que les
pratiques tarifaires sont les plus intéres-
santes à envisager, c’est-à-dire, soit
lorsque l’entreprise dominante s’auto-
applique des conditions différentes de
celles qu’elle applique à ses concurrents,
soit lorsqu’elle consent à un sacrifice de
ses profits pour « priver d’air » son jeune
concurrent. Faire alors la distinction entre
l’adaptation normale par une baisse de
prix légitime provoqué par une entrée et
une baisse de prix visant à évincer peut
être une tâche délicate.
Schématiquement, la Communication de
la Commission sur ses priorités en
matière d’abus d’éviction fournit à cet
égard trois tests possibles. Tout d’abord
deux tests de prédation « en dessous
des coûts » : celui du concurrent hypo-
thétique aussi efficace (on s’intéresse là
avant tout à la cohérence du comporte-
ment de l’entreprise dominante
lorsqu’elle ouvre son réseau à de
nouveaux entrants. On cherche à savoir
si l’entreprise couvre tous ses coûts en
prenant en compte ceux qu’elle impose
à ses concurrents et celui du concurrent
hypothétique raisonnablement aussi
efficace. Ce second test est plus
compliqué à mettre en œuvre : on iden-
tifie les économies d’échelle et autres
avantages procurés par la position
dominante (ce qui requiert habituellement
qu’une régulation sectorielle fournisse à
travers un comptabilité réglementaire et
des modèles de coûts des informations
opposables à l’entreprise dominante). Ce
dernier test permet notamment permet
d’accorder une relative protection à des
concurrents temporairement moins effi-
caces que l’entreprise dominante.
Le troisième test mesure les éventuels
sacrifices de profit consentis par les
entreprises dominantes : on examine la
rationalité de leur comportement pour
vérifier s’il n’y pas de prédation «
au-dessus des coûts ». Il requiert des
situations dans lesquelles l’entreprise a
une alternative, par exemple, celle de
vendre sur un marché autre que le
marché où le maverick entre avec un
profit supérieur. Elle préfère alors néan-
moins renoncer à ses profits sur cet autre
marché pour faire des pertes relatives sur
celui où la concurrence s’intensifie afin
d’évincer un concurrent agressif mais
plus fragile qu’elle.
Dans ces trois tests, la rentabilité propre
du maverick n’est pas directement prise
en compte. Seuls ses coûts peuvent
intervenir mais à la marge, comme
approximation de ceux du dominant
lorsque ceux-ci ne sont pas disponible.
Cela s’explique notamment par le fait que
l’objet de ces trois tests n’est d’ailleurs
pas de protéger tel ou telle entreprise
spécifique ou de « choisir le gagnant ». Il
est de permettre l’entrée de toute entre-
prise hypothétique qui serait aussi
efficace que l’entreprise dominante,
éventuellement après neutralisation des
effets de la dominance de cette dernière.
De cette manière, en comparant le
comportement de l’entreprise dominante
de manière théorique par rapport à ce
qu’elle aurait vraisemblablement du
adopter comme comportement, si elle
n’était pas dominante, on peut protéger
des concurrents temporairement moins
efficaces de l’adaptation éventuellement
brutale d’une ou des entreprises domi-
nantes au changement de leur contexte,
sans priver celles-ci de toute possibilité
d’adaptation licite.
« MAVERICK » ET ABUS DE POSITION DOMINANTE :
ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION JURIDIQUE
PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015)
Conceptiongraphique:YvesBuliard:www.yvesbuliard.fr
Benoît Durand
Économiste, RBB Economics
M
ême s’il n’existe pas de défi-
nition précise du concept de
maverick dans la littérature
économique, ce concept apparait lors
de l’évaluation des risques de collusion
sur les marchés oligopolistiques. Sur
ces marchés, il existe toujours un
risque de collusion, et ce risque est
d’autant plus important si les acteurs
sont peu nombreux. Cependant,
même si ces les concurrents ne sont
que deux ou trois, il n’est pas évident
pour eux de se mettre d’accord sur un
prix supraconcurrentiel : chaque entre-
prise conserve un intérêt à se placer
juste en dessous de ce prix afin de
maintenir des marges élevées tout en
acquérant des parts de marché
supplémentaires. En outre, la collusion
implique de se mettre d’accord non
seulement sur une politique commune,
mais aussi sur les moyens à mettre en
place afin de s’assurer que tous les
participants la respecte (il s’agit de
décourager les comportements
déviants en les détectant et en les
sanctionnant).
La coordination peut émerger, plus ou
moins efficacement (répartition peu
claire des parts de marché, détection
imparfaite des entreprises déviant de
l’équilibre collusif, mécanismes punitifs
peu crédibles…). Certaines entreprises
peuvent alors tirer profit de ces failles
pour mettre en péril la collusion. C’est
le cas du maverick, qui a intérêt à
dévier, en cherchant une autre ligne
que celle, tacite ou explicite, que la
collusion incite à adopter. Le maverick
est donc celui qui empêche les autres
de mettre en œuvre la politique qui
devrait bénéficier à tous les acteurs de
la collusion. Dans la mesure où une
collusion « réussie » rend possibles des
prix de monopoles ou au minimum
supérieurs aux prix de concurrence,
l’arrivée d’un maverick sur le marché
peut théoriquement avoir un impact
énorme.
Comment identifier un maverick ? Peu
d’auteurs ont tenté de répondre à cette
question. Baker a proposé trois pistes
dans un article de référence publié en
2002. Est d’abord envisagée une
analyse des comportements tarifaires
de l’entreprise visée relativement au
reste du marché (l’entreprise est-elle à
l’origine de baisses de prix ? Refuse-t-
elle de suivre les hausses de prix des
autres acteurs, ce qui révèle un
comportement tarifaire déviant?).
Ensuite, une analyse des chocs peut
être utile (si l’entreprise est un maverick,
une variation de ses coûts aura un
impact sur le prix de marché mais une
variation des coûts des autres acteurs
restera sans conséquence sur les prix
pratiqués par le maverick). Enfin, Baker
propose une identification et une
évaluation des facteurs pouvant a priori
expliquer le comportement d’un franc-
tireur (de faibles coûts d’expansion, un
excédent de capacité, la possibilité de
dissimuler toute expansion de produc-
tion, une vision de court terme, une
part de marché faible qui incite à
baisser les prix car elle induit une perte
en volume faible mais laisse espérer
l’acquisition de parts de marché
supplémentaires).
Deux méthodes sont envisageables
pour éliminer un maverick : l’acquisition
(une entreprise leader acquière le
maverick et change sa politique tari-
faire) ou l’exclusion. L’exclusion d’un
maverick implique généralement une
collusion tacite ou explicite entre les
autres acteurs du marché, si bien
qu’on peut parler d’un abus de position
dominante collective. Ces pratiques
abusives consistent à interdire l’accès
aux entrants, ou de pousser une
entreprise à sortir du marché. Un
exemple en est fourni par l’affaire
Cewal (1992) : des compagnies appar-
tenant à une même conférence
maritime (Cewal) ont mis en place une
stratégie dite des « navires de combat ».
Elles ont en effet programmé des
navires destinés à naviguer aux mêmes
dates, sur la même route et à des tarifs
identiques ou plus bas que ceux prati-
qués par les compagnies non membres
du Cewal (les entrants). Les pertes de
revenus liées à cette stratégie étaient
réparti entre tous les membres du
Cewal. En effet, les prix pratiqués par
ces « navires de combat » étaient infé-
rieurs aux tarifs habituels, ces pratiques
décourageaient complètement les
entrants d’entrer sur le marché en leur
ôtant tout espoir de réaliser les profits
espérés sur la base des tarifs de la
conférence.
ÉTIENNE PFISTER
Il existe plusieurs types de mavericks.
Certains compriment les coûts pour
faire baisser les prix. D’autres intro-
duisent un nouveau modèle écono-
mique. Certains combinent ces deux
aspects. D’autres encore s’appuient
sur des infrastructures développées
sur d’autres marchés pour entrer et
gagner de la part de marché sur des
marchés connexes. D’autres enfin
profitent seulement de la libéralisation
de secteurs réglementés pour entrer et
conquérir de la part de marché.
OLIVIER FRÉGET
Le deuxième cas est-il vraiment un
maverick ? N’est-ce pas simplement
justement un nouvel entrant ? Les
entreprises qui se renouvellent en
permanence peuvent-elles rester des
mavericks ?
BENOÎT DURAND
Tout nouvel entrant n’est pas pas
forcément un maverick. Bien entendu,
un nouvel entrant contribue à faire
baisser les prix, mais le maverick est
celui qui fait baisser les prix d’un niveau
supraconcurrentiel à un niveau concur-
rentiel. En pratique c’est très difficile à
mesurer.
ÉTIENNE PFISTER
Le maverick est une entreprise entrante
avec du potentiel de développement et
une incitation à diminuer les prix exis-
tants. Même absente à un moment
donné, elle est en mesure d’entrer sur
un marché si les opérateurs présents
commencent à se coordonner pour
augmenter les prix.
« MAVERICK » ET ABUS DE POSITION DOMINANTE :
UNE PERSPECTIVE ÉCONOMIQUE
ILEXISTEDEUXMÉTHODES
POURÉLIMINERUNMAVERICK
:L’ACQUISITION
(L’ENTREPRISELEADER
ACQUIÈRELEMAVERICKET
CHANGESAPOLITIQUE
TARIFAIRE)OUL’EXCLUSION“

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Conférence Maverick abus_de_position_dominante_26mars2015

  • 1. MAVERICK ET ABUS DE POSITION DOMINANTE 26 mars 2015 I Free, Paris Maxime Lombardini Directeur général d'Iliad A u début des années 2000, le marché français des télécoms était dominé par un acteur ultrapuissant. Aujourd’hui s’y affrontent quatre acteurs en bonne santé globa- lement, même si l’un d’entre eux l’est moins, essentiellement en raison du choix il y a dix ans d’abandonner le marché de la téléphonie fixe). La couverture mobile, notamment pour la 4G, est bonne en France : les obliga- tions de couverture sont élevées, les prix assez bas. La pénétration du numérique est très bonne alors qu’In- ternet suscitait à l’origine plutôt de la méfiance. Ce succès est dû à une régulation volontariste et à la présence d’un maverick qui a essayé de se poser de manière agressive en termes de prix et de simplicité des offres : Free a aujourd’hui 16 millions de clients avec seulement quatre offres. Free a réalisé des investissements progressivement : l’entreprise a commencé avec des offres de gros, et puis a rapidement construit son réseau, travail qui continue aujourd’hui, notamment avec la fibre. L’obtention de la quatrième licence télécom était vitale au vu de la nécessité d’une intégration des offres fixe-mobile. Les bénéfices de la concurrence sur le marché mobile en ont été très importants. Il y a trois ans, certains économistes prévoyaient un effondrement des investissements en raison de l’entrée d’un nouvel opéra- teur. Cela ne s’est pas produit, l’inves- tissement est au plus haut. Si la 4G s’est développée aussi vite (70 % de la population couverte en dix-huit mois), c’est grâce à la concurrence induite par ce changement. Par ailleurs, l’emploi direct dans le secteur est stabilisé depuis 2009. Le marché a toujours besoin d’être accompagné, surtout en cette période où la migration vers la fibre nécessite beaucoup d’investissements. Toute- fois, ça n’est pas un problème d’argent pour les opérateurs : le cash flow pour investir est là. Il n’est pas nécessaire d’augmenter les prix. Il faut en revanche rééquilibrer les portefeuilles de fréquences basses, qui sont déséquili- brés. Les trois concurrents « historiques » disposent de portefeuilles de fréquences importants, acquises à l’abri de la concurrence (c’est à partir de l’attribution des licences 3G que l’État a fait payer les licences) jusqu’en 2010. Les quinze dernières années sont marquées par la réussite de l’ou- verture à la concurrence, mais il faut rester vigilant car le retour en arrière peut être rapide. PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015) L’ENTRÉE D’UN MAVERICK SUR LE MARCHÉ FRANÇAIS DES TÉLÉCOMS LESQUINZEDERNIÈRESANNÉES SONTMARQUÉESPARLARÉUSSITE DEL’OUVERTUREÀLACONCURRENCE, MAISILFAUTRESTERVIGILANTCAR LERETOURENARRIÈREPEUTÊTRE RAPIDE“
  • 2. PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015) Étienne Pfister Chef économiste de l'Autorité de la concurrence L e concept de maverick (ou de franc-tireur) a d’abord été exploré en droit des concen- trations. Les Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence sur le contrôle des concentrations font référence à deux reprises à ce concept. D’une part, le maverick fait échec à la coordination tacite entre acteurs. D’autre part, certains opéra- teurs, même de petite taille, peuvent jouer un rôle essentiel dans le maintien et l’animation de la concurrence : même avec une faible part de marché, l’influence d’un acteur sur la concur- rence peut être forte. Ainsi, le rachat d’une entreprise disposant de faibles parts de marché peut avoir un impact réel sur la concurrence si cette cible joue un rôle important dans l’anima- tion de la concurrence sur le marché concerné. À l’inverse, des opérations peuvent être plus facilement accep- tées si un maverick est présent sur le marché. La définition du maverick se fonde principalement sur son agressivité commerciale. En premier lieu, l’entre- prise doit avoir manifesté sa volonté de développer ses parts de marché, par exemple en menant une stratégie de prix bas sur le long terme, et pas seulement à court terme lors d’opéra- tions commerciales isolées, matière première), ou en proposant de nouveaux services ou un nouveau modèle économique. En second lieu, le maverick doit pouvoir déployer cette agressivité sur une part de marché suffisamment importante. En résumé, un maverick doit avoir une place sur le marché forte ou appelée à se déve- lopper, et une stratégie commerciale agressive. Le plus souvent, la présence d’un maverick sur un marché s’analyse en le comparant aux acteurs en place, révélant ainsi fréquemment la relative inertie de ces derniers. Par définition, un maverick remet en cause et bouleverse de manière significative la coordination tacite entre les acteurs en place, et donc une possible position dominante collective. Quid d’une éventuelle position domi- nante individuelle ? Il est important, lorsque l’on appréhende la pression concurrentielle exercée par un maverick, d’évaluer sa capacité à se développer : toute entreprise dyna- mique n’est pas nécessairement à même de concurrencer à suffisam- ment court terme des entreprises bien établies. Enfin, si l’on admet que les grandes entreprises, dont les coûts sont fréquemment plus faibles, peuvent plus facilement mettre en œuvre des stratégies de prix agres- sives, force est alors de considérer que l’entrée d’un maverick agressif sur le marché trahit le pouvoir de marché des grandes entreprises présentes, dont les prix sont significativement supérieurs à leurs coûts. Le dommage causé par un abus de position dominante est évalué en comparant la situation issue des pratiques à celle qui eût prévalu en leur absence. Dès lors, la présence d’un maverick ayant un effet particu- lièrement bénéfique pour la concur- rence, son éviction constitue un facteur aggravant du dommage. Mais la notion de maverick a-t-elle une pertinence pour la qualification même d’abus de position dominante ? Elle peut être utile pour la hiérarchisation des dossiers. En revanche, lorsque le test du concurrent aussi efficace est appliqué, une difficulté survient : souvent, comme il n’est pas encore suffisamment développé, le maverick peine à être aussi efficace que le dominant. La Communication de la Commission sur l’application de l’ar- ticle 82 aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes précise donc que, dans certains cas, il faut déterminer si un concurrent aujourd’hui moins efficace pourrait, au terme de sa croissance potentielle, devenir plus efficace. Toutefois la juris- prudence sur ce point est mince. MAVERICK : CONCEPT ET UTILITÉ DE LA NOTION L’ENTRÉED’UNMAVERICK AGRESSIFSURLEMARCHÉ TRAHITFRÉQUEMMENTLE MANQUEDEDYNAMISMEDES ENTREPRISESPRÉSENTES“
  • 3. PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015) Olivier Fréget Avocat associé, Cabinet Fréget – Tasso de Panafieu L a légitimité du droit de la concurrence repose sur la conviction que le marché permet une meilleure satisfaction des besoins des consommateurs et alloca- tion des ressources que la planification car il est « plastique » voire même que toute régulation a priori qui prétendrait en restaurer le fonctionnement. Cette plasticité et capacité continuelles de s’adapter exigent l’apparition de nouveaux entrants qui viennent remettre en cause « l’ordre établi ». Sauvegarder le potentiel de perturba- tion, de disruption sur le marché de ces acteurs lorsqu’il est mis en cause par des comportements collectifs (oligo- poles exerçant une position dominante collective) ou individuels est ainsi fondamental. Certes, on entend souvent dire que le droit de la concur- rence ne doit pas protéger les concur- rents, mais la concurrence elle-même. Dans la perspective d’un droit de la concurrence modernisé, le maverick est cependant le « bon » concurrent à sauvegarder lorsqu’il est en butte à des comportements abusifs. Si rien n’est fait pour protéger les contestataires, alors il faudra par la suite réguler davan- tage et faire intervenir la puissance publique pour rétablir la concurrence sur le marché avec plus de risques encore sur le fonctionnement même de la concurrence. Même si d’ailleurs un maverick échoue, il a pu jouer un rôle dans l’établissement de conditions meilleures de concurrence sur un marché : il peut avoir apporté de l’information sur le marché, notamment sur la possibilité de développer un autre modèle économique sur ce marché, ou sur les coûts du dominant. Ne pas sauvegarder un maverick au prétexte qu’une « bonne rivalité » sur le marché bénéficie au consommateur peut ainsi finalement revenir à prendre le risque de laisser subsister des structures de coûts inefficientes… qui lui seront défavorables. La question se pose néanmoins de savoir comment on peut sauvegarder les mave- ricks et quel test permet de le faire sans priver les entreprises dominantes de leur droit de s’adapter. L’innovation peut venir des entreprises dominantes et il ne s’agit pas de choisir l’un contre l’autre mais que les deux puissent exprimer leur potentiel. Face aux nouveaux entrants, les entre- prises dominantes ne sont pas de cette seule circonstance privée en effet de tout droit de réaction ! Outre le respect de leurs droits procéduraux en cas de mise en cause, elles ont le droit de préparer et de s’adapter à la situation créée par le nouvel entrant, par la qualité de leurs produits, défendre leur image si elle est mise en cause, utiliser leurs capacités marketing... Les mavericks sont nécessairement la cible potentielle de nombreux comporte- ments d’éviction : pratiques non tarifaires (préemption de leurs capacités d’appro- visionnements, etc.), capture réglemen- taire, édiction de barrières à l’entrée au moyen de lobbying que l’on ne saurait toutes analyser dans le cadre de cette conférence. Il nous semble que les pratiques tarifaires sont les plus intéres- santes à envisager, c’est-à-dire, soit lorsque l’entreprise dominante s’auto- applique des conditions différentes de celles qu’elle applique à ses concurrents, soit lorsqu’elle consent à un sacrifice de ses profits pour « priver d’air » son jeune concurrent. Faire alors la distinction entre l’adaptation normale par une baisse de prix légitime provoqué par une entrée et une baisse de prix visant à évincer peut être une tâche délicate. Schématiquement, la Communication de la Commission sur ses priorités en matière d’abus d’éviction fournit à cet égard trois tests possibles. Tout d’abord deux tests de prédation « en dessous des coûts » : celui du concurrent hypo- thétique aussi efficace (on s’intéresse là avant tout à la cohérence du comporte- ment de l’entreprise dominante lorsqu’elle ouvre son réseau à de nouveaux entrants. On cherche à savoir si l’entreprise couvre tous ses coûts en prenant en compte ceux qu’elle impose à ses concurrents et celui du concurrent hypothétique raisonnablement aussi efficace. Ce second test est plus compliqué à mettre en œuvre : on iden- tifie les économies d’échelle et autres avantages procurés par la position dominante (ce qui requiert habituellement qu’une régulation sectorielle fournisse à travers un comptabilité réglementaire et des modèles de coûts des informations opposables à l’entreprise dominante). Ce dernier test permet notamment permet d’accorder une relative protection à des concurrents temporairement moins effi- caces que l’entreprise dominante. Le troisième test mesure les éventuels sacrifices de profit consentis par les entreprises dominantes : on examine la rationalité de leur comportement pour vérifier s’il n’y pas de prédation « au-dessus des coûts ». Il requiert des situations dans lesquelles l’entreprise a une alternative, par exemple, celle de vendre sur un marché autre que le marché où le maverick entre avec un profit supérieur. Elle préfère alors néan- moins renoncer à ses profits sur cet autre marché pour faire des pertes relatives sur celui où la concurrence s’intensifie afin d’évincer un concurrent agressif mais plus fragile qu’elle. Dans ces trois tests, la rentabilité propre du maverick n’est pas directement prise en compte. Seuls ses coûts peuvent intervenir mais à la marge, comme approximation de ceux du dominant lorsque ceux-ci ne sont pas disponible. Cela s’explique notamment par le fait que l’objet de ces trois tests n’est d’ailleurs pas de protéger tel ou telle entreprise spécifique ou de « choisir le gagnant ». Il est de permettre l’entrée de toute entre- prise hypothétique qui serait aussi efficace que l’entreprise dominante, éventuellement après neutralisation des effets de la dominance de cette dernière. De cette manière, en comparant le comportement de l’entreprise dominante de manière théorique par rapport à ce qu’elle aurait vraisemblablement du adopter comme comportement, si elle n’était pas dominante, on peut protéger des concurrents temporairement moins efficaces de l’adaptation éventuellement brutale d’une ou des entreprises domi- nantes au changement de leur contexte, sans priver celles-ci de toute possibilité d’adaptation licite. « MAVERICK » ET ABUS DE POSITION DOMINANTE : ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION JURIDIQUE
  • 4. PRÉSENTATIONS ET PHOTOS CONSULTABLES SUR LE SITE DE LA REVUE CONCURRENCES (SÉMINAIRES > 26 MARS 2015) Conceptiongraphique:YvesBuliard:www.yvesbuliard.fr Benoît Durand Économiste, RBB Economics M ême s’il n’existe pas de défi- nition précise du concept de maverick dans la littérature économique, ce concept apparait lors de l’évaluation des risques de collusion sur les marchés oligopolistiques. Sur ces marchés, il existe toujours un risque de collusion, et ce risque est d’autant plus important si les acteurs sont peu nombreux. Cependant, même si ces les concurrents ne sont que deux ou trois, il n’est pas évident pour eux de se mettre d’accord sur un prix supraconcurrentiel : chaque entre- prise conserve un intérêt à se placer juste en dessous de ce prix afin de maintenir des marges élevées tout en acquérant des parts de marché supplémentaires. En outre, la collusion implique de se mettre d’accord non seulement sur une politique commune, mais aussi sur les moyens à mettre en place afin de s’assurer que tous les participants la respecte (il s’agit de décourager les comportements déviants en les détectant et en les sanctionnant). La coordination peut émerger, plus ou moins efficacement (répartition peu claire des parts de marché, détection imparfaite des entreprises déviant de l’équilibre collusif, mécanismes punitifs peu crédibles…). Certaines entreprises peuvent alors tirer profit de ces failles pour mettre en péril la collusion. C’est le cas du maverick, qui a intérêt à dévier, en cherchant une autre ligne que celle, tacite ou explicite, que la collusion incite à adopter. Le maverick est donc celui qui empêche les autres de mettre en œuvre la politique qui devrait bénéficier à tous les acteurs de la collusion. Dans la mesure où une collusion « réussie » rend possibles des prix de monopoles ou au minimum supérieurs aux prix de concurrence, l’arrivée d’un maverick sur le marché peut théoriquement avoir un impact énorme. Comment identifier un maverick ? Peu d’auteurs ont tenté de répondre à cette question. Baker a proposé trois pistes dans un article de référence publié en 2002. Est d’abord envisagée une analyse des comportements tarifaires de l’entreprise visée relativement au reste du marché (l’entreprise est-elle à l’origine de baisses de prix ? Refuse-t- elle de suivre les hausses de prix des autres acteurs, ce qui révèle un comportement tarifaire déviant?). Ensuite, une analyse des chocs peut être utile (si l’entreprise est un maverick, une variation de ses coûts aura un impact sur le prix de marché mais une variation des coûts des autres acteurs restera sans conséquence sur les prix pratiqués par le maverick). Enfin, Baker propose une identification et une évaluation des facteurs pouvant a priori expliquer le comportement d’un franc- tireur (de faibles coûts d’expansion, un excédent de capacité, la possibilité de dissimuler toute expansion de produc- tion, une vision de court terme, une part de marché faible qui incite à baisser les prix car elle induit une perte en volume faible mais laisse espérer l’acquisition de parts de marché supplémentaires). Deux méthodes sont envisageables pour éliminer un maverick : l’acquisition (une entreprise leader acquière le maverick et change sa politique tari- faire) ou l’exclusion. L’exclusion d’un maverick implique généralement une collusion tacite ou explicite entre les autres acteurs du marché, si bien qu’on peut parler d’un abus de position dominante collective. Ces pratiques abusives consistent à interdire l’accès aux entrants, ou de pousser une entreprise à sortir du marché. Un exemple en est fourni par l’affaire Cewal (1992) : des compagnies appar- tenant à une même conférence maritime (Cewal) ont mis en place une stratégie dite des « navires de combat ». Elles ont en effet programmé des navires destinés à naviguer aux mêmes dates, sur la même route et à des tarifs identiques ou plus bas que ceux prati- qués par les compagnies non membres du Cewal (les entrants). Les pertes de revenus liées à cette stratégie étaient réparti entre tous les membres du Cewal. En effet, les prix pratiqués par ces « navires de combat » étaient infé- rieurs aux tarifs habituels, ces pratiques décourageaient complètement les entrants d’entrer sur le marché en leur ôtant tout espoir de réaliser les profits espérés sur la base des tarifs de la conférence. ÉTIENNE PFISTER Il existe plusieurs types de mavericks. Certains compriment les coûts pour faire baisser les prix. D’autres intro- duisent un nouveau modèle écono- mique. Certains combinent ces deux aspects. D’autres encore s’appuient sur des infrastructures développées sur d’autres marchés pour entrer et gagner de la part de marché sur des marchés connexes. D’autres enfin profitent seulement de la libéralisation de secteurs réglementés pour entrer et conquérir de la part de marché. OLIVIER FRÉGET Le deuxième cas est-il vraiment un maverick ? N’est-ce pas simplement justement un nouvel entrant ? Les entreprises qui se renouvellent en permanence peuvent-elles rester des mavericks ? BENOÎT DURAND Tout nouvel entrant n’est pas pas forcément un maverick. Bien entendu, un nouvel entrant contribue à faire baisser les prix, mais le maverick est celui qui fait baisser les prix d’un niveau supraconcurrentiel à un niveau concur- rentiel. En pratique c’est très difficile à mesurer. ÉTIENNE PFISTER Le maverick est une entreprise entrante avec du potentiel de développement et une incitation à diminuer les prix exis- tants. Même absente à un moment donné, elle est en mesure d’entrer sur un marché si les opérateurs présents commencent à se coordonner pour augmenter les prix. « MAVERICK » ET ABUS DE POSITION DOMINANTE : UNE PERSPECTIVE ÉCONOMIQUE ILEXISTEDEUXMÉTHODES POURÉLIMINERUNMAVERICK :L’ACQUISITION (L’ENTREPRISELEADER ACQUIÈRELEMAVERICKET CHANGESAPOLITIQUE TARIFAIRE)OUL’EXCLUSION“