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ZONE FRANC, POUR UNE EMANCIPATION AU BENEFICE DE TOUS1
(AVRIL 2018)
RESUME
La coopération de la France avec l’Afrique se distingue par l’appui qu’elle déploie dans
deux domaines régaliens : la défense, d’une part, et la monnaie, de l’autre. Ce type d’appui
est apprécié au sud du Sahara, car l’Etat y demeure une forme politique encore jeune et parfois
menacée. La défense, la monnaie, il s’agit là de domaines de souveraineté. Dès lors, il faut
dissiper tout soupçon de néocolonialisme. En matière de défense, depuis la fin de la guerre
froide, diplomates et militaires ont mis un soin particulier à responsabiliser les acteurs locaux
et à inscrire les interventions françaises dans un cadre transparent, validé par la communauté
internationale.
Il en va différemment des affaires monétaires : la Zone franc est restée un sujet tabou. A la
crainte, parfois justifiée, d’une spéculation contre le franc CFA s’ajoute l’axiome plus
contestable selon lequel critiquer les modalités de la coopération reviendrait à attaquer son
principe même. Il faudrait l’accepter ou la rejeter en bloc. Le débat est ainsi limité à sa plus
simple expression.
Une avancée s’est produite en 2017. Durant l’été, la Zone franc a fait l’objet d’une
contestation publique, émanant de la société civile et, notamment, d’experts africains. A
l’automne, le président de la République française s’est publiquement déclaré ouvert à des
propositions de réformes émanant des responsables africains. Parallèlement, les discussions
s’intensifient sur l’intégration économique et monétaire du continent africain, notamment en
Afrique de l’Ouest
Pour que cette avancée porte ses fruits, il faut échapper à deux tentations.
La première serait une réforme de la Zone franc limitée aux symboles. Certes, ces derniers
sont peu défendables, à commencer par le nom même de franc CFA. Le franc est une devise
française que la France a elle-même abandonnée. Le sigle CFA vient de … « Colonies
françaises d’Afrique » (termes ensuite remplacés, à sigle inchangé, par ceux de « Communauté
financière africaine » en Afrique de l’ouest et de « Coopération financière en Afrique » en
Afrique centrale).
Mais s’en tenir à une réforme des symboles constituerait une terrible occasion manquée au
regard des défis qui attendent la Zone. Des mutations économiques et sociales majeures se
profilent pour les prochaines décennies : la population africaine doublera d’ici à 2050,
1 Je tiens à remercier Dominique Bocquet pour l’ensemble de ses commentaires et conseils lors de la rédaction de ce
texte. Ses compétences techniques comme son intime connaissance de la réalité africaine m’ont été extrêmement
précieux. Il reste, bien entendu, que je suis seul responsable des opinions émises dans cette note.
2
l’urbanisation s’imposera largement entrainant des mouvements de population massifs et
l’insertion dans les échanges internationaux sera transformée. Héritage colonial, le clivage entre
Afrique francophone et anglophone ne constituera plus une délimitation économique pertinente
(même s’il persistera comme réalité culturelle). La coopération monétaire doit être réformée
pour affronter ces défis.
L’autre erreur serait de confondre ces transformations avec une remise en cause de la
stabilité des changes, à laquelle les pays concernés sont, à juste titre, attachés.
Fort justement, le débat économique rend aujourd’hui mieux justice aux taux de changes
stables, notamment pour les monnaies du monde en développement, souvent en proies à la
spéculation. Mais pour assurer la stabilité des changes, il existe une vaste étendue de choix
possibles.
C’est dans cet esprit que cette étude s’attache à détailler les mécanismes de la Zone franc
et à en cerner les changements nécessaires.
Elle identifie les quatre points-clés d’une réforme.
- Les règles de décision doivent être mises en cohérence avec le régime de change censé
caractériser la Zone. Ce régime est celui de changes stables mais ajustables. Il peut
parfaitement fonctionner en Afrique dès lors qu’une garantie extérieure sert de paratonnerre
contre la spéculation. Mais il ne saurait se confondre avec une rigidité absolue, empêchant toute
modification même en cas de circonstances exceptionnelles. Or tel est, en pratique, la situation
résultant des règles de décision en vigueur, héritées du passé.
- Les mécanismes de convergence doivent être renforcés. La Zone franc est composée
d’unions monétaires africaines (UEMOA et CEMAC) qui, comme la Zone euro, sont elles-
mêmes formées d’Etats nationaux détenant les principaux instruments non monétaires de la
politique économique (en particulier, la politique budgétaire). Dans une telle configuration, la
convergence économique est cruciale pour garantir la réussite de l’union monétaire. Tous
continents confondus, cet aspect est toujours, initialement, sous-estimé. Malgré de réels efforts,
en particulier en Afrique de l’Ouest, les mécanismes de convergence souffrent de lacunes
spécifiques à la Zone franc, à la fois au sein des unions monétaires et dans l’agencement de leur
relation avec la France. Ceci engendre une logique perdant-perdant. Pour le pays garant, elle
entraîne un risque financier mal contrôlé (et appelé à grandir avec le temps) ; pour la partie
africaine, elle engendre une dépendance récurrente vis-à-vis du garant.
- Marqué par l’empreinte du passé, le périmètre de la Zone franc doit être adapté aux
réalités économiques actuelles. Malgré l’adhésion de la Guinée équatoriale à la CEMAC et
celle de la Guinée-Bissau à l’UEMOA, les contours restent marqués par les clivages hérités de
la colonisation, notamment entre Afrique francophone et Afrique anglophone. Ceci est
manifeste dans le cas du Ghana, quasiment enclavé dans la Zone franc mais séparé de ses
voisins par la monnaie, alors même que son économie est, localement, la première. Un
élargissement dans cette direction constituerait une novation historique majeure. Mais il est
impossible à réaliser tant que les deux préalables évoqués ci-dessus n’auront pas connu de
réponse.
- La coopération monétaire doit apporter aux pays concernés une plus grande ouverture
au monde. La stabilité financière, la maitrise de l’inflation et le lien avec une grande monnaie
internationale sont des acquis des unions monétaires africaines qui doivent être mieux reconnus,
3
par l’Union européenne et par le reste du monde. Or les relations de concertation organisées
autour de la coopération monétaire sont étroitement confinées à la France. Il est normal qu’un
lien institutionnel particulier soit établi entre le pays garant et ses partenaires africains. Mais il
est dommage qu’aucune relation organisée ne relie ces derniers à la Banque centrale européenne
et aux pays de la Zone euro.
C’est la BCE (et non le Trésor français ou la Banque de France) qui fixe les taux appelés à
représenter un plancher pour les taux directeurs africains de la Zone franc. De même, l’avantage
que la stabilité du taux de change CFA-euro procure aux entreprises n’est en rien réservé aux
entreprises françaises : il bénéficie, à égalité, à toutes les entreprises de la Zone euro. Renoncer
par avance à un soutien plus net à la Zone franc des autres pays européens constitue une autre
perte d’opportunité.
Accessoirement – et contrairement à une idée reçue, c’est aux termes des Traités l’Union
européenne qui est compétente en matière d’accords de change, non point ses Etats membres
(aussi engagés soient-ils dans la coopération financière avec l’Afrique).
*
* *
A partir de ces constats, cette étude définit un ensemble d’orientations et de propositions pour
l’avenir.
Le nom de la monnaie, le lieu de fabrication des billets et les formes pratiques de la garantie
sont des enjeux identitaires. Un consensus peut facilement se dégager pour s’en remettre, sur
ces aspects, aux choix de la partie africaine.
Mais, au-delà, il est urgent de moderniser la Zone franc pour la préparer aux perspectives
économiques et démographiques du continent : modifier les règles de décision pour permettre
une souveraineté africaine collective, instaurer une convergence effective, fondement d’une
solidité monétaire endogène, relancer l’intégration régionale, ouvrir la coopération monétaire
sur de nouveaux interlocuteurs et partenaires et, enfin, faire de l’élargissement et de la
modernisation du dispositif un levier pour mobiliser la communauté internationale et les
investisseurs privés en faveur de l’Afrique.
C’est en réformant cette coopération unique au monde que l’on mettra les acquis qu’elle
représente au service du développement de l’Afrique.

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  • 1. ZONE FRANC, POUR UNE EMANCIPATION AU BENEFICE DE TOUS1 (AVRIL 2018) RESUME La coopération de la France avec l’Afrique se distingue par l’appui qu’elle déploie dans deux domaines régaliens : la défense, d’une part, et la monnaie, de l’autre. Ce type d’appui est apprécié au sud du Sahara, car l’Etat y demeure une forme politique encore jeune et parfois menacée. La défense, la monnaie, il s’agit là de domaines de souveraineté. Dès lors, il faut dissiper tout soupçon de néocolonialisme. En matière de défense, depuis la fin de la guerre froide, diplomates et militaires ont mis un soin particulier à responsabiliser les acteurs locaux et à inscrire les interventions françaises dans un cadre transparent, validé par la communauté internationale. Il en va différemment des affaires monétaires : la Zone franc est restée un sujet tabou. A la crainte, parfois justifiée, d’une spéculation contre le franc CFA s’ajoute l’axiome plus contestable selon lequel critiquer les modalités de la coopération reviendrait à attaquer son principe même. Il faudrait l’accepter ou la rejeter en bloc. Le débat est ainsi limité à sa plus simple expression. Une avancée s’est produite en 2017. Durant l’été, la Zone franc a fait l’objet d’une contestation publique, émanant de la société civile et, notamment, d’experts africains. A l’automne, le président de la République française s’est publiquement déclaré ouvert à des propositions de réformes émanant des responsables africains. Parallèlement, les discussions s’intensifient sur l’intégration économique et monétaire du continent africain, notamment en Afrique de l’Ouest Pour que cette avancée porte ses fruits, il faut échapper à deux tentations. La première serait une réforme de la Zone franc limitée aux symboles. Certes, ces derniers sont peu défendables, à commencer par le nom même de franc CFA. Le franc est une devise française que la France a elle-même abandonnée. Le sigle CFA vient de … « Colonies françaises d’Afrique » (termes ensuite remplacés, à sigle inchangé, par ceux de « Communauté financière africaine » en Afrique de l’ouest et de « Coopération financière en Afrique » en Afrique centrale). Mais s’en tenir à une réforme des symboles constituerait une terrible occasion manquée au regard des défis qui attendent la Zone. Des mutations économiques et sociales majeures se profilent pour les prochaines décennies : la population africaine doublera d’ici à 2050, 1 Je tiens à remercier Dominique Bocquet pour l’ensemble de ses commentaires et conseils lors de la rédaction de ce texte. Ses compétences techniques comme son intime connaissance de la réalité africaine m’ont été extrêmement précieux. Il reste, bien entendu, que je suis seul responsable des opinions émises dans cette note.
  • 2. 2 l’urbanisation s’imposera largement entrainant des mouvements de population massifs et l’insertion dans les échanges internationaux sera transformée. Héritage colonial, le clivage entre Afrique francophone et anglophone ne constituera plus une délimitation économique pertinente (même s’il persistera comme réalité culturelle). La coopération monétaire doit être réformée pour affronter ces défis. L’autre erreur serait de confondre ces transformations avec une remise en cause de la stabilité des changes, à laquelle les pays concernés sont, à juste titre, attachés. Fort justement, le débat économique rend aujourd’hui mieux justice aux taux de changes stables, notamment pour les monnaies du monde en développement, souvent en proies à la spéculation. Mais pour assurer la stabilité des changes, il existe une vaste étendue de choix possibles. C’est dans cet esprit que cette étude s’attache à détailler les mécanismes de la Zone franc et à en cerner les changements nécessaires. Elle identifie les quatre points-clés d’une réforme. - Les règles de décision doivent être mises en cohérence avec le régime de change censé caractériser la Zone. Ce régime est celui de changes stables mais ajustables. Il peut parfaitement fonctionner en Afrique dès lors qu’une garantie extérieure sert de paratonnerre contre la spéculation. Mais il ne saurait se confondre avec une rigidité absolue, empêchant toute modification même en cas de circonstances exceptionnelles. Or tel est, en pratique, la situation résultant des règles de décision en vigueur, héritées du passé. - Les mécanismes de convergence doivent être renforcés. La Zone franc est composée d’unions monétaires africaines (UEMOA et CEMAC) qui, comme la Zone euro, sont elles- mêmes formées d’Etats nationaux détenant les principaux instruments non monétaires de la politique économique (en particulier, la politique budgétaire). Dans une telle configuration, la convergence économique est cruciale pour garantir la réussite de l’union monétaire. Tous continents confondus, cet aspect est toujours, initialement, sous-estimé. Malgré de réels efforts, en particulier en Afrique de l’Ouest, les mécanismes de convergence souffrent de lacunes spécifiques à la Zone franc, à la fois au sein des unions monétaires et dans l’agencement de leur relation avec la France. Ceci engendre une logique perdant-perdant. Pour le pays garant, elle entraîne un risque financier mal contrôlé (et appelé à grandir avec le temps) ; pour la partie africaine, elle engendre une dépendance récurrente vis-à-vis du garant. - Marqué par l’empreinte du passé, le périmètre de la Zone franc doit être adapté aux réalités économiques actuelles. Malgré l’adhésion de la Guinée équatoriale à la CEMAC et celle de la Guinée-Bissau à l’UEMOA, les contours restent marqués par les clivages hérités de la colonisation, notamment entre Afrique francophone et Afrique anglophone. Ceci est manifeste dans le cas du Ghana, quasiment enclavé dans la Zone franc mais séparé de ses voisins par la monnaie, alors même que son économie est, localement, la première. Un élargissement dans cette direction constituerait une novation historique majeure. Mais il est impossible à réaliser tant que les deux préalables évoqués ci-dessus n’auront pas connu de réponse. - La coopération monétaire doit apporter aux pays concernés une plus grande ouverture au monde. La stabilité financière, la maitrise de l’inflation et le lien avec une grande monnaie internationale sont des acquis des unions monétaires africaines qui doivent être mieux reconnus,
  • 3. 3 par l’Union européenne et par le reste du monde. Or les relations de concertation organisées autour de la coopération monétaire sont étroitement confinées à la France. Il est normal qu’un lien institutionnel particulier soit établi entre le pays garant et ses partenaires africains. Mais il est dommage qu’aucune relation organisée ne relie ces derniers à la Banque centrale européenne et aux pays de la Zone euro. C’est la BCE (et non le Trésor français ou la Banque de France) qui fixe les taux appelés à représenter un plancher pour les taux directeurs africains de la Zone franc. De même, l’avantage que la stabilité du taux de change CFA-euro procure aux entreprises n’est en rien réservé aux entreprises françaises : il bénéficie, à égalité, à toutes les entreprises de la Zone euro. Renoncer par avance à un soutien plus net à la Zone franc des autres pays européens constitue une autre perte d’opportunité. Accessoirement – et contrairement à une idée reçue, c’est aux termes des Traités l’Union européenne qui est compétente en matière d’accords de change, non point ses Etats membres (aussi engagés soient-ils dans la coopération financière avec l’Afrique). * * * A partir de ces constats, cette étude définit un ensemble d’orientations et de propositions pour l’avenir. Le nom de la monnaie, le lieu de fabrication des billets et les formes pratiques de la garantie sont des enjeux identitaires. Un consensus peut facilement se dégager pour s’en remettre, sur ces aspects, aux choix de la partie africaine. Mais, au-delà, il est urgent de moderniser la Zone franc pour la préparer aux perspectives économiques et démographiques du continent : modifier les règles de décision pour permettre une souveraineté africaine collective, instaurer une convergence effective, fondement d’une solidité monétaire endogène, relancer l’intégration régionale, ouvrir la coopération monétaire sur de nouveaux interlocuteurs et partenaires et, enfin, faire de l’élargissement et de la modernisation du dispositif un levier pour mobiliser la communauté internationale et les investisseurs privés en faveur de l’Afrique. C’est en réformant cette coopération unique au monde que l’on mettra les acquis qu’elle représente au service du développement de l’Afrique.