1. 3 janvier 2012
Débat animé par Mathilde Farine, Valère Gogniat et Frédéric Lelièvre
« La BCE créera l’événement de 2012 »
L’euro peut-il survivre? La croissance va-t-elle repartir? Où peut-on encore investir?
Trois spécialistes de l’économie échangent leurs vues sur ce qui se prépare cette année.
Il y a une année dans ces colonnes, plusieurs chroniqueurs des pages Finance du Temps débat-
taient de l’avenir de l’euro. Ils voyaient l’Europe aller encore «très longtemps de crise en crise».
Douze mois plus tard, le tabou d’un redimensionnement de la zone euro est tombé.
Pour les investisseurs, le principe du placement sans risque, incarné jusque-là par le AAA des
Etats développés, ne tient plus.
Pour se projeter en 2012, nous avons cette fois réuni, le 13 décembre dernier,
Jean-Pierre Béguelin , chroniqueur au Temps et ancien économiste en chef de Pictet & Cie,
Michel Juvet, directeur de la recherche et associé de Bordier & Cie,
et Fabrizio Quirighetti, chef économiste de la banque Syz & Co.
Le Temps: A quoi ressemblera la zone euro dans M.J.: C’est tout l’enjeu. Les décisions du dernier
douze mois? sommet (ndlr: du 9 décembre) vont dans la bonne
direction. Deux résolutions subtiles ont été prises
Fabrizio Quirighetti: Elle prendra la même forme sans que les marchés ne s’en rendent compte. En
qu’aujourd’hui, mais elle sera plus intégrée. Les premier lieu, la décision de mettre 200 milliards
rôles seront mieux définis, notamment celui de la d’euros dans le Fonds monétaire international
Banque centrale européenne (BCE). Je ne crois pas (FMI) par les banques centrales d’Europe. Les pays
à un éclatement. émergents qui souhaitent avoir plus de pouvoir au
sein du FMI devront également amener davantage
Michel Juvet: Je m’attends à une zone euro mul- de capitaux. C’est très important dans le cadre d’un
tidimensionnelle. La rupture avec l’Angleterre est éventuel sauvetage de la zone euro. La deuxième
extrêmement importante et signale le début d’une
subtilité a trait à la BCE. On lui reproche d’être en
zone euro qui sera probablement plus petite et séparée
retard en ne rachetant pas des montants illimités de
de l’Union européenne. Je crois aussi à une sortie
de la Grèce en 2012. Leur situation est intenable. dette souveraine. En revanche, elle prête de manière
illimitée aux banques, ce qui élimine leur problème
F.Q.: Une sortie de la zone euro serait peut-être la de financement. Et leur permet d’arrêter de vendre
meilleure solution pour la Grèce, mais les gouver- les obligations des Etats en difficulté, ce qui peut
stabiliser le marché obligataire.
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nements veulent éviter un précédent. Il pourrait y
avoir des retraits massifs des dépôts bancaires et on
craindrait une contagion. Il faut renforcer la structure Jean-Pierre Béguelin: Mais personne ne contrôle
pour laisser sortir un pays plus tard. plus vraiment la situation. Rappelons cependant que
la résistance des monnaies ou la capacité à subir de
M.J.: Une sortie de la Grèce ne sera pas le résultat l’austérité sont toujours plus grandes qu’on ne le
d’un choix, mais d’une incapacité à mettre en place croit. On peut donc se retrouver dans un an dans la
les décisions budgétaires proposées. même situation qu’aujourd’hui comme on peut voir
la France prendre le même chemin que l’Italie. Je
– Comment éviter que cela se produise sans crains surtout que les exigences en fonds propres
secousse majeure sur les marchés, sans contagion supplémentaires pour les banques forcent celles-
à d’autres pays? ci à réduire drastiquement leurs prêts en Europe,
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2. 3 janvier 2012
émasculant de facto la BCE. En outre, les banques acheter de la dette italienne à 6%: le rêve du banquier
n’achèteront sans doute pas beaucoup plus de titres en temps normal… Mais combien devront-elles alors
d’Etat, mais tout dépendra des notations et du coût immobiliser du capital? Ce sera cher, d’autant que
en fonds propres de tels achats. Dans ces conditions, tous les Etats vont perdre leur triple A.
nous sommes partis pour une récession profonde. Si
la zone euro voit son produit intérieur brut (PIB) se – L’accord de décembre ne prévoit-il pourtant pas
contracter de 2% en 2012, ce qui semble optimiste, que la participation du secteur privé sera limitée
une suite de faillites bancaires s’ensuivra. Sans à la Grèce?
changement de politique macroŽconomique dans
le courant de l’année, la question ne sera plus de J.-P.B.: L’accord dit seulement qu’il n’y aura pas de
savoir ce que deviendra l’euro, mais si l’UE survivra. décote «volontaire» en cas de problèmes. Ou que l’on
se fiera aux règles du FMI, une organisation féroce
– Qu’est-ce qui doit changer? qui prête en exigeant d’être remboursée la première.
Tout le monde ne peut pas être traité comme cela.
J.-P.B.: L’Europe est déjà en récession et personne
ne voit la croissance reprendre rapidement. Dans F.Q.: Et rien ne garantit que les banques ne doivent pas
une telle situation, il y a deux solutions: laisser les participer en cas de problème en Italie par exemple.
stabilisateurs automatiques jouer, ce qui implique
davantage de déficits et une relance de l’économie J.-P.B.: Elles n’auront pas besoin d’accepter
ou se retrouver dans la situation du Japon des années volontairement une décote, comme dans le cas de
1990, mais ce pays avait alors au moins laissé filer son la Grèce, pour éviter de déclencher les CDS (ndlr:
déficit. En essayant de combler en vitesse le trou de des assurances contre le défaut du débiteur). C’est
finances publiques, l’Europe court à la catastrophe. le seul élément garanti.
Espérons qu’un changement d’attitude interviendra
avec la hausse du chômage en Allemagne et qu’on F.Q.: Cela signifie seulement que tous les créditeurs
prendra alors des mesures budgétaires. Lesquelles? seront traités de la même manière.
On ne sait. Pour le moment, la nouvelle version de
Maastricht inclut un déficit de 0,5% du PIB structurel, M.J.: En fait, cela signifie que les dettes européennes
mais qui définit le structurel? seront traitées comme les dettes africaines au Club
de Paris. Sauf qu’il s’appellera peut-être «Club de
F.Q.: Il y a tout de même une grande différence avec Francfort».
le Japon. Les banques japonaises avaient des crédits
hypothécaires pourris, tandis que les banques euro- – La BCE est-elle encore utile?
péennes détiennent des dettes souveraines.
F.Q.: La vraie question aujourd’hui est de savoir
M.J.: C’est justement pour cette raison que je ne si elle va sortir le «bazooka», c’est-à-dire racheter
crois pas vraiment à un assèchement du crédit. Tout massivement de la dette des pays en difficulté pour
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dépend de la façon dont on anticipe l’évolution des éviter que les écarts de rendement ne se creusent
dettes souveraines, mais si nécessaire, on trouvera de manière excessive. C’est la seule institution qui
un moyen de les valoriser différemment qu’au prix peut agir rapidement.
du marché afin que les banques n’absorbent pas
M.J.: Les marchés décideront et la BCE cédera à la
immédiatement les pertes dans leurs bilans.
pression. Même si ce n’est pas forcément la meilleure
J.-P.B.: L’Europe est folle, car elle étrangle ses solution. Il y a douze mois, les politiciens européens
banques en exigeant d’augmenter à 9% leur ratio n’étaient pas au courant du dixième des problèmes.
de fonds propres en quelques trimestres. Bien sûr, Aujourd’hui, ils sont conscients des enjeux. Ils ne
les banques peuvent emprunter à la BCE à 1% pour peuvent pas laisser les choses s’effondrer. Ils ont mis
en place une feuille de route pour les ajustements
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budgétaires, mais les risques de mise en place sont J.-P.B.: C’est probable, mais j’ai peur. Elle est très
gigantesques au point que les marchés ne voudront bien intervenue sur le marché interbancaire, mais
pas attendre, ce qui poussera la BCE à agir au elle prend encore des décisions peu sensées, comme
printemps. celle de monter ses taux directeurs en avril dernier.
Elle a l’air d’être fondamentalement divisée et son
F.Q.: La BCE le fait déjà, mais à reculons, ce qui drame aujourd’hui est son président italien – Mario
est regrettable car elle perd de sa crédibilité. Si elle Draghi – qui devra paraître plus royaliste que le roi.
continue sur cette lancée, à coups de 10 milliards par Or, la conjoncture devra être extrêmement mauvaise
semaine, et si les problèmes continuent pendant trois pour convaincre les Allemands qu’il faut agir. Quand,
ans, elle se retrouvera peut-être avoir racheté 10% de par exemple, la BNS est intervenue en septembre,
la dette des Etats en difficulté sans le moindre effet. tout le monde la soutenait. Sans cet appui, c’est
Alors que si elle adoptait une attitude plus crédible, très difficile pour une banque centrale de sortir des
comme la Banque nationale suisse (BNS) dans le cas sentiers battus.
du taux de change franc/euro, en déclarant acheter les
obligations d’Etat dès que les taux d’intérêt dépassent – D’après les sondages, une partie grandissante
un certain niveau, elle serait plus efficace. Cela lui de la population souhaite le retour aux monnaies
éviterait d’agir toujours en réaction au marché. Elle nationales. Est-ce envisageable?
n’arrive pas à contenir le feu, elle se laisse déborder.
M.J.: Cela entraînerait un gigantesque choc de bilan
– Y a-t-il un risque que le feu devienne tel que la pour les banques. Les dévaluations, hors Allemagne,
BCE ne puisse plus agir? seraient telles que toutes leurs créances vers les
«PIIGS» (ndlr: Portugal, Irlande, Italie, Grèce et
J.-P.B.: Ce serait possible si elle attendait que l’Italie Espagne), plus 500 milliards de dollars pour les
fasse défaut. banques allemandes, seraient détruites. De plus, dans
quelle monnaie traiterait-on les dettes souveraines
M.J.: Mais l’Italie ne fera pas défaut, elle n’est pas libellées en euros? En monnaie locale? Ce serait
insolvable. Elle peut en revanche sortir de l’euro. l’équivalent d’un défaut de paiement. Aucun doute
qu’à court terme, c’est un remède pire que le mal.
F.Q.: Tout le monde pensait l’an dernier que les taux Marine Le Pen et les autres qui suggèrent de revenir
d’intérêt allaient augmenter. Si l’on imagine qu’un au franc français sont des démagogues. C’est un
taux normal se situe à 5%, l’écart n’est que de deux non-sens économique: le franc va immédiatement se
points de pourcentage avec la situation actuelle. Sur déprécier et perdre peut-être 30 à 40% de sa valeur.
un an de refinancement, cela correspond à 0,4% du Immédiatement après, l’inflation reviendra et il
PIB. Il reste un peu de temps à l’Italie pour retourner faudra renégocier la dette française qui est en euros.
la situation.
J.-P.B.: Il faut distinguer le choc de l’effet à long
J.-P.B.: Cela peut aussi déraper rapidement. L’Italie terme, et le choc toucherait d’abord les banques.
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est la seule en Europe à avoir émis massivement de Mais il est possible d’y voir un avantage: rééquilibrer
la dette à court terme. Je ne dis pas qu’elle va faire les compétitivités relatives à l’intérieur de la zone
faillite. Mais si la BCE hésite trop, c’est un risque. grâce aux ré- ou aux dévaluations des monnaies.
Actuellement, on ne sait pas comment corriger ces
M.J.: C’est un problème de confiance. Dans ce type écarts de compétitivité à moins d’augmenter les
de situation, il faut amener une solution qui est plus salaires en Allemagne ou les diminuer encore au sud
importante que celle qu’attend le marché. La BCE de l’Europe. Un certain nombre de pays pourraient
le fera, ce sera l’événement de 2012. quitter la zone euro, tandis que le reste se regrouperait
autour de l’Allemagne, l’euro devenant un «D-euro».
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4. 3 janvier 2012
« Le luxe vit une bulle,
comme l’immobilier en 2007 »
Malgré l’intervention de la Banque nationale,
l’économie helvétique est rattrapée par la crise économique
Le Temps: Ces deux derniers mois, les prévisions – Qu’en est-il du risque de déflation?
de croissance pour la Suisse en 2012 ont été radi-
calement revues. De 2% prévus, on table désormais M.J.: La déflation importée que l’on est en train de
plutôt sur une progression du PIB de 0,5%. Que vivre n’a-t-elle pas un côté positif pour la consomma-
s’est-il passé? tion? Les salaires nominaux ne vont pas progresser,
contrairement aux salaires réels, grâce à la force
M.J.: Comme les agences de notation, les écono- du franc. On l’observe dans les habits, la grande
mistes sont en retard. consommation ou l’électronique, qui baissent. Le
pouvoir d’achat du consommateur suisse s’améliore.
F.Q.: Davantage que les chiffres, la tendance importe:
nous allons vers un ralentissement lié à la crise J.-P.B.: J’ai un peu de doute. Il faut tenir compte de
européenne. De manière générale, on a sous-estimé l’augmentation des coûts de la santé. Dans la mesure
l’impact du renforcement du franc. L’effet du taux où les salaires ne s’adaptent pas, on aura plutôt une
de change se matérialise avec un certain retard. consommation stabilisée.
M.J.: Cette incapacité des économistes à anticiper M.J.: Il est quand même important de souligner
m’énerve. Tout le monde avait relativement bien que nous ne sommes pas dans une déflation de type
perçu l’effet du franc. Cet été, les gens disaient: «Face espagnol due à des purs phénomènes internes.
à l’appréciation du franc, plutôt que de baisser les
salaires, il faut travailler plus.» Mais c’est la crise J.-P.B.: Mais cela peut venir!
de la demande européenne et le «travailler moins»
qu’il fallait anticiper. – La BNS peut-elle ou doit-elle encore agir? Doit-
elle relever le taux plancher à 1,20 franc pour 1
– Dans ce cas, pourquoi croire les nouvelles pré- euro?
visions?
F.Q.: Ce serait tout le contraire d’une mesure cré-
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J.-P.B.: Personne n’ose s’engager au point d’annoncer dible. Elle prendrait des risques énormes pour pas
une récession, même si elle est visible (ndlr: depuis grand-chose.
ce débat, le KOF l’a fait). La Suisse devient petit
à petit le 17e Land allemand et les chiffres sont de M.J.: C’est un problème philosophique…
plus en plus mauvais en Allemagne.
– Pour les industriels, le problème n’a rien de
M.J.: Le luxe va aussi souffrir. Ce secteur vit une philosophique!
bulle, comme celle de l’immobilier en 2007.
M.J.: Il faut être capable de faire le lien entre les
J.-P.B.: L’ensemble des sous-traitances européennes problèmes micro¬économiques et la macroécono-
vis-à-vis de l’Allemagne vont souffrir violemment. mie. C’est une vraie question philosophique parce
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que l’on peut se demander si la Suisse a rejoint un présidentielle française ne débouche pas sur une
ex-système monétaire européen? Doit-on dévaluer ou remise en question des traités signés précédemment
réévaluer en permanence notre monnaie en fonction et que l’intégration progresse, la BNS pourra réduire
de l’euro? Si on fixe un deuxième plancher, cela ses interventions. Je pense qu’elle intervient en ce
signifie que notre monnaie n’est plus soumise aux moment. Car l’on devrait voir le franc suisse monter
règles du marché. Ce serait un changement fonda- dans la situation actuelle. Elle n’est pas intervenue
mental. Pour cette raison, il serait problématique jusqu’à présent grâce à l’effet psychologique.
que la BNS réévalue le taux plancher.
J.-P.B.: Elle devrait changer le plancher seulement
– Qu’elle le fasse ou non, nous sommes de facto si la situation devenait catastrophique, soit une
très liés à l’euro… récession de 5% du PIB ou pire. En rentrant dans
une logique de relèvement, elle ne s’en sortira plus!
M.J.: Il y a une différence entre faire un effort face
à une surévaluation gigantesque et changer systé- F.Q.: Il n’est pas certain qu’un éclatement de l’euro
matiquement le taux, quitte à revenir en arrière en provoque un tel afflux de capitaux. Cela revient à
cas de mécontentement. Quoi qu’il en soit, le taux imaginer un individu qui a peur d’un attentat terro-
plancher restera encore, en tout cas jusqu’à l’élection riste dans une pièce et se réfugie derrière la fenêtre.
présidentielle française qui sera un élément pivot de En cas de déflagration en Europe, il y aurait une
toute la problématique des dettes européennes. Si cela récession catastrophique en Suisse.
se passe bien, c’est-à-dire si le résultat de l’élection
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« Il existe d’autres actifs
aussi intéressants que le cash »
Le prix des actions des grandes multinationales de qualité paraît abordable
Le Temps: Reste-t-il des placements sans risques? les bonnes entreprises traversent les crises. Un bon
refuge est par définition bon marché. Ce n’est pas
F.Q.: Le matelas! En tout cas en Suisse, puisqu’il tout à fait le cas de l’or…
n’y aura pas d’inflation. Au-delà, c’est très difficile à
dire. Certains pièges peuvent cependant être évités. F.Q.: Je crains quand même que l’on rentre dans
L’actif le plus décorrélé est le dollar. Même l’or un schéma à la japonaise, c’est-à-dire que cela ne
risque d’être corrélé avec les matières premières en reste pas cher très longtemps. La dette des Etats
cas de crise, comme en 2008… émergents est à mon avis un piège. C’est une bulle.
Le rendement d’une obligation égyptienne à dix
M.J.: Ce qui montre que détenir de l’or dans son ans en dollars est actuellement de 6,5%. Les clients
coffre ne sert à rien. Mieux vaut garder des liquidi- l’imaginent à 10 ou 12%. Les marchés jugent donc
tés, même si elles perdent de la valeur. Que peut-on la dette égyptienne moins risquée que l’Italie! Le
faire d’un lingot? L’or n’est plus un réflexe sécurité. raisonnement vaut pour le Nigeria, la République
dominicaine ou l’Uruguay en raison des perspectives
J.-P.B.: Le G20 de Cannes a déterminé quelles de croissance. Mais il faut se demander si on est
banques étaient «trop grandes pour faire faillite». récompensé pour le risque pris. Aujourd’hui, c’est
On peut désormais mettre l’argent dans ces banques certainement le cas avec des grandes entreprises qui
sans inquiétude…?! payent des dividendes.
F.Q.: Les obligations dites sûres ne rapportent rien, – Quelles autres réflexions vous inspire cette année
ou pire, elles coûtent. Le cash, au moins, n’a pas de 2011?
rendement négatif.
M.J.: Il est important de rappeler le rôle de vigie
J.-P.B.: Il existe d’autres actifs intéressants: des qu’ont eu les marchés en 2011. On les a beaucoup
actions de grandes sociétés sans risques. La grande critiqués mais ils ont permis de pousser le monde
discussion pour les placements c’est: actions ou non? politique à réagir. Par ailleurs, je m’inquiète qu’après
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avoir attaqué le capitalisme financier, on s’attaque
M.J.: La vraie question est la suivante: y a-t-il un actif au capitalisme non financier. C’est-à-dire que l’on
refuge? Certaines obligations d’entreprises valent se mette à augmenter les impôts des entreprises, qui
la qualité des Etats, notamment dans les marchés n’ont pas provoqué la crise économique. Ce point
émergents. Mais elles sont chères, et il faut prendre de vue est de plus en plus banalisé.
en compte le risque de taux d’intérêt et de devises.
C’est vrai qu’aujourd’hui, la bourse et les actions J.-P.B.: Ces personnes n’ont-elles pas raison? Au vu
sont intéressantes: leurs valorisations sont basses. des masses de cash des grandes sociétés, ce pourrait
Elles peuvent peut-être encore baisser de 20% mais être une bonne façon de redistribuer les richesses.
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M.J.: De les redistribuer, oui. Mais cela n’en créerait M.J.: Les autorités américaines ont apprécié leur
pas d’autres… bulle d’actifs pour cette raison. Sachant que les
salaires n’augmenteraient pas, elles ont tablé sur la
J.-P.B.: Elles ont déjà été créées. hausse des actifs pour faire progresser la richesse
des ménages. Or c’était une illusion d’optique et
M.J.: Mais nous avons encore besoin d’en créer. il faudra bien se pencher sur cette problématique.
J.-P.B.: Actuellement, les entreprises ne redistri- F.Q.: Indépendamment de la crise, aujourd’hui se
buent pas une partie de leurs bénéfices. Qu’elles ne pose la question des acquis sociaux de l’après-guerre.
le fassent pas pendant une période parce qu’elles On est en train de les remettre en question. Les Etats-
veulent investir est normal. Mais cela fait des années Unis et l’Europe vivent au-dessus de leurs moyens.
qu’elles ne les redistribuent pas ou peu. Elles pour- Les politiques devront expliquer que la retraite devra
raient augmenter leurs dividendes. En réalité, on être repoussée à 70 ans, voire plus, que les sociétés
baisse leurs impôts, elles font des bénéfices et elles devront être taxées davantage et qu’il y aura moins
accumulent des liquidités. C’est certainement un d’acquis sociaux. C’est la mauvaise nouvelle de ces
problème non seulement d’équité, mais d’équilibre prochaines années.
macroéconomique.
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8. 3 janvier 2012
« L’économie mondiale ressemble
à une immense toile d’araignée» »
L’Europe va subir une récession, pas les Etats-Unis.
Les pays émergents vont connaître un fléchissement du rythme de leur croissance
Le Temps: La récession en Europe semble inéluc- aussi bénéficient de taux très bas, alors qu’ils ont
table. La croissance viendra-t-elle des Etats-Unis perdu leur triple A bien avant.
où le chômage commence à reculer?
M.J.: A la différence de l’Europe, l’Amérique a mis
F.Q.: La croissance sera meilleure aux Etats-Unis en place des coupes budgétaires automatiques…
qu’en Europe, mais ce ne sera pas un relais de
croissance pour le reste du monde. L’investissement J.-P.B.: Vous y croyez?
reste dynamique, mais la consommation se montre
encore très faible. Une légère amélioration du mar- M.J.: Oui, pour 2013, et cela peut expliquer les taux
ché du travail est possible mais sans réelle reprise. d’intérêt bas. Cela vient aussi de la politique de la
L’immobilier constitue le seul éventuel élément de Réserve fédérale américaine qui rachète des bons
surprise en 2012 ou en 2013. Il va finir par redé- du trésor. Plus que de la croissance, je m’inquiète
marrer. Dans ce contexte, une croissance de 1,5% à d’une nouvelle baisse de la note souveraine. Nous
2% est envisageable, sachant qu’un nuage menace: entrons aussi dans une année électorale, ce que les
la question du déficit américain devra être abordée agences de notation n’aiment pas. Elles n’arrivent
dans les 18 prochains mois. pas non plus à maîtriser la situation et considèrent le
flou politique comme un risque majeur… Cela dit,
J.-P.B.: On peut espérer une croissance modeste. Mais on parle peu du désendettement important du secteur
deux risques existent: le processus budgétaire peut privé aux Etats-Unis. Le consommateur américain
être exceptionnellement violent et le prix du pétrole a fait un énorme effort. On peut donc tabler sur une
monter brusquement avec le risque géopolitique qui consommation raisonnable. La croissance va pro-
revient. Par ailleurs, dans quelle mesure les varia- bablement ralentir au premier trimestre sous l’effet
tions de la production industrielle de 2011 ont-elles de la récession européenne.
été dictées par le tremblement de terre japonais? La
reprise observée après l’été ne constitue-t-elle qu’un J.-P.B.: Faut-il désormais craindre que si l’Europe
rattrapage? C’est là une inconnue. éternue, les Etats-Unis attrapent la grippe?
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– Les Etats-Unis ont perdu leur triple A et la ques- M.J.: L’effet est indirect: le marché européen est
tion de la dette se pose à eux aussi avec acuité, important pour la Chine, tandis que les marchés émer-
mais ils empruntent toujours moins cher, c’est un gents comptent pour les exportations américaines.
paradoxe… Sans oublier les effets psychologiques.
F.Q.: Ils ont la chance d’avoir la monnaie de réfé- F.Q.: Il devient difficile de déterminer ce genre
rence dans les échanges mondiaux et les actifs les d’effet. L’économie mondiale ressemble à une
plus liquides. Les obligations restent moins risquées immense toile d’araignée. Si on coupe un ou deux
que les actions, donc les Américains bénéficient de fils, tout le reste peut tenir, mais si vous envoyez
la «folle» course à la qualité. Cela dit, les Japonais un choc violent dans la toile, on ne sait pas ce qui
va se passer.
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9. 3 janvier 2012 – Une nouvelle baisse de la note aux Etats-Unis tit fortement et ses déficits courants financés par les
aurait-elle de l’importance? capitaux étrangers flottants sont très importants. Une
sortie abrupte de ces capitaux pourrait provoquer un
J.-P.B.: Non. Les agences de notation se discréditent événement du type de la crise asiatique de 1997. Du
extrêmement vite. Le triple A disparaît en août et, côté russe, le problème politique est réel et le pays
trois jours plus tard, le Trésor emprunte moins cher dépend encore trop des prix du gaz. En outre, les
que jamais. Les agences vont simplement devenir investisseurs comprennent enfin que la Chine n’a
inutiles pour les dettes souveraines. Les Japonais rien à voir avec un eldorado, mais avec une énorme
n’y attachent d’ailleurs aucune importance. Et ils bulle de crédit. L’immobilier craque et les collec-
ont raison. tivités publiques se sont fortement endettées pour
investir dans de l’immobilier inutilisable. La seule
M.J.: Faudrait-il noter les banques centrales? La bonne nouvelle vient en effet des immenses réserves
question du «trop grand pour faillite» les concerne- de la Banque centrale chinoise qui permettront de
t-elle? boucher les énormes trous du secteur bancaire.
Enfin, l’inflation structurelle qui vient des salaires
J.-P.B.: Non, puisqu’elles peuvent créer de la mon- et non du prix des matières premières grandit vite.
naie indéfiniment. L’offre étant contrôlée, des goulets d’étranglements
se forment et aucun ajustement n’est possible. On
M.J.: Et comme elles le font toutes, nous avons une se dirige vers une incapacité à gérer le problème de
guerre des monnaies… l’inflation qui rappelle les pays occidentaux dans
les années 1970. En conséquence, les marges des
J.-P.B.: Je n’en suis pas sûr. S’il y a quelque chose
entreprises vont souffrir et la croissance engendrera
de curieux en ce moment, c’est bien la stabilité des
des rentabilités plus faibles.
monnaies.
– Et le Brésil stagne…
– La dynamique des pays émergents sera-t-elle
suffisante pour soutenir la croissance mondiale? F.Q.: Le Brésil ressemble aux Etats-Unis. C’est
l’émergent le plus mature. La croissance est tirée
F.Q.: Elle sera suffisante pour avoir une croissance
par la consommation et le crédit. Le contrôle de
décente, c’est-à-dire supérieure à 3%. Les émergents
l’inflation est essentiel pour permettre des taux bas
devraient croître de 6%, emmenés par la Chine.
pour que cela continue. On risque de voir le même
phénomène qu’aux Etats-Unis lorsque l’inflation a
– Faut-il s’inquiéter de la situation en Chine, où le
été vaincue à la fin des années 1980.
ralentissement intervient et une bulle immobilière
menace?
– L’inflation sera-t-elle un enjeu en 2012?
F.Q.: C’est une casserole supplémentaire à surveiller.
J.-P.B.: Absolument pas dans les pays développés.
B OR DIE R & C IE
Les émergents vont ralentir. Dans ces conditions,
Mais la Chine, au moins, a une marge de manœuvre
l’inflation devrait reculer.
budgétaire et monétaire et peut absorber des pertes
dans le système bancaire.
F.Q.: C’est vrai. Mais on peut craindre une mauvaise
inflation liée au prix du pétrole. Les Américains
M.J.: Les pays émergents ne sont pas un moteur pour
hésitent à lancer un nouveau programme d’assou-
les pays développés. En solde net, on souffre plutôt
plissement quantitatif parce qu’à terme cela n’a plus
de la croissance de ces régions! Surtout, le terme
d’effet sur l’économie. En revanche, cela affecte les
BRIC (ndlr: Brésil, Russie, Inde et Chine) cache une
matières premières, qui progressent, et donc sur le
immense confusion. L’Inde est en grosse difficulté:
consommateur qui voit son pouvoir d’achat diminuer.
l’inflation est élevée, sa production industrielle ralen-
Débat avec la participation de Michel Juvet - Le Temps du 3 janvier 2012 9/9
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