L’aéronautique questionne et symbolise toute la problématique et les enjeux de la mobilité sectorielle entre des secteurs aux cycles de croissance économique asynchrones et avec des proximités technologiques importantes et/ou des besoins en compétences similaires.
Que ce soit dans les métiers de la recherche et de la conception, les essais, l’industrialisation et les méthodes, les achats, la logistique, la fabrication et la maintenance, la qualité ou encore les métiers commerciaux, des passerelles se développent, mais à quelles conditions ? Les ingénieurs et cadres des autres secteurs industriels peuvent-ils apporter leurs compétences, leur savoir-faire à l’aéronautique ?
1. – MOBILITÉ
INTERSECTORIELLE :
L’EXEMPLE DE
L’AÉRONAUTIQUE–
LESÉTUDESDEL’EMPLOICADRE
SYNTHÈSE
JUILLET 2016
L’aéronautique questionne et symbolise
toute la problématique et les enjeux de
la mobilité sectorielle entre des
secteurs aux cycles de croissance
économique asynchrones et avec des
proximités technologiques importantes
et/ou des besoins en compétences
similaires.
Que ce soit dans les métiers de la
recherche et de la conception, les
essais, l’industrialisation et les
méthodes, les achats, la logistique, la
fabrication et la maintenance, la
qualité ou encore les métiers
commerciaux, des passerelles se
développent, mais à quelles
conditions ? Les ingénieurs et cadres
des autres secteurs industriels
peuvent-ils apporter leurs
compétences, leur savoir-faire à
l’aéronautique ?
N°2016-34
2. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE2
–DES ENJEUX AUJOURD’HUI
DAVANTAGE CENTRÉS SUR LA
PRODUCTION–
Le marché aéronautique est en développement
croissant depuis plus de six ans, porté par la crois-
sance du trafic mondial et le marché de renouvelle-
ment. La France, l’un des principaux pays à disposer
d’une gamme complète de produits aéronautiques et
spatiaux, a pu s’enorgueillir d’un chiffre d’affaires de
58,3 milliards d’euros en 2015 (entreprises GIFAS).
Les perspectives de croissance sont solides à court et
moyen termes et les analystes s’accordent sur une aug-
mentation probable du trafic aérien aux horizons 2030
et 2050. Cette hausse prévisionnelle du trafic devrait
entraîner une demande toujours plus forte en aéronefs
et équipements aéronautiques pour les entreprises du
secteur.
Les opportunités d’emplois dans le secteur ont donc été
nombreuses, et devraient l’être encore. Entre 2010 et
2015, 26 000 emplois ont été créés en France (soit une
progression de 16 % des effectifs). Sur la seule année
2015, les entreprises adhérentes au GIFAS ont recruté
11 000 personnes, dont 42 % d’ingénieurs et cadres.
Pour 2016, un volume équivalent sera maintenu.
Toutefois, les besoins en recrutement ne
concernent pas tous les segments de l’activité
aéronautique à égale mesure. En effet, ceux-ci fluc-
tuent selon le cycle de production des aéronefs et équi-
pements aéronautiques. Alors que le début des années
2010 a vu l’essor des bureaux d’études et de leurs ingé-
nieurs en conception/recherche, ceux-ci sont au-
jourd’hui moins recherchés. La production aéronautique
étant sur des cycles plutôt longs, de nouveaux pro-
grammes de recherche verront probablement le jour
d’ici cinq à dix ans.
« La politique de recrutement des années 2011 à 2013
s’est beaucoup axée sur le bureau d’études : des ingé-
nieurs, des concepteurs en mécanique, en thermodyna-
mique, etc. Mais les années à venir vont être profondé-
ment différentes, puisqu’on est maintenant assez staffés
sur la partie bureau d’études. On va désormais plus
s’orienter vers des profils en lien avec l’industrialisation
du produit. » (RRH, recruteur aéronautique)
« D’après ce que me disent les gens d’Airbus et de Safran,
les études vont redémarrer d’ici 5 ans, c’est-à-dire quand
on va commencer à re-réfléchir sur l’avion de 2025… »
(Vice-président, établissement de formation continue)
3. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 3
L’essentiel des besoins des entreprises concernent au-
jourd’hui l’industrialisation des produits aéronautiques
précédemment conçus. On parle ainsi de maîtrise des
chaînes logistiques (supply chain), d’automatisation
des chaînes de fabrication et de raccourcissement des
délais de production (« culture du délai ») dans une
maîtrise parfaite de la qualité. Dans les établissements
de formation d’ingénieurs, on s’adapte peu à peu à ce
changement de paradigme.
« Les industriels nous ont dit qu’il fallait qu’on prépare
les ingénieurs débutants un peu plus aux métiers de la
production et un peu moins aux métiers de la concep-
tion. Pour nous, ça n’a pas été une grosse évolution,
parce que nos ingénieurs sont généralistes et sont for-
més et à la conception et à la production. On a juste
modifié un petit peu nos équilibres. » (Directeur, établis-
sement de formation)
–UNE ATTRACTIVITÉ
À CONSOLIDER–
Des difficultés apparaissent bel et bien actuellement
sur le marché du recrutement. Plus qu’une véritable
tension, on parlera d’« exigence accrue » de la part des
recruteurs. La complexité croissante des machines,
l’optimisation en cours de la production, l’apparition de
nouvelles contraintes environnementales et le contexte
de plus en plus internationalisé conduisent en effet à
une hausse des exigences dans les critères de recrute-
ment.
Complexité
croissante
des machines
et progrès
de l’avionique
R&D Industrialisation Qualité
environnement
sécurité (QHSE)
Commercial
et marketing
Optimisation
nécessaire
de la production
Nouvelles
contraintes
environnementales
et exigence
de qualité
Contexte
concurrentiel accru
au niveau mondial
EXIGENCES
DES
ENTREPRISES
COMPÉTENCES
RECHERCHÉES
–Figure 1–
Compétences recherchées selon les exigences des entreprises
4. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE4
Si le secteur reste attractif pour de nombreux candidats,
il n’en demeure pas moins que dans les classements de
tête des entreprises préférées des ingénieurs, figurent
désormais les entreprises de la nouvelle économie qui
recherchent également les mêmes compétences que
celles du secteur aéronautique. Le dernier classement
2015 d’Universum France des entreprises préférées des
ingénieurs fait apparaître des sociétés de service numé-
rique, par exemple Google au 2ème rang des entre-
prises préférées des étudiants ingénieurs et au 4ème
rang pour les ingénieurs expérimentés. La concurrence
pour les profils les plus pointus augmente.
« Il y a des nouvelles fonctions qui sont en train d’appa-
raître. Par rapport à ces nouvelles fonctions, il faut des
nouvelles personnes qui soient formées, comme par
exemple sur l’intelligence artificielle. Or c’est un domaine
qui concerne à la fois le secteur automobile et l’aéronau-
tique. Il y aura donc certainement des bagarres sans
nom pour avoir les meilleurs spécialistes d’un côté ou de
l’autre. » (Expert, pôle de compétitivité)
Dans ce contexte, et pour faire face à la rareté du « can-
didat idéal », certaines entreprises élargissent leurs cri-
tères de recrutement : mobilité interne, importation de
compétences étrangères, augmentation des contrats
d’apprentissage… Une autre solution se présente à eux :
le recrutement de compétences issues de secteurs indus-
triels différents de l’aéronautique.
« Les entreprises, le plus souvent, elles ont du mal à recru-
ter. Et quand elles ont du mal, elles deviennent plus
ouvertes. » (Directeur, établissement de formation)
–LA MOBILITÉ VERS
L’AÉRONAUTIQUE : LES DÉFIS
À RELEVER–
Les compétences transférables sont mises en œuvre lors
du passage d’un poste à un autre, d’une entreprise à
une autre, d’un métier à un autre, d’un secteur à un
autre… Frédéric Lainé précise la définition des compé-
tences transférables dans une note du Centre d’analyse
stratégique : « Les compétences transférables sont d’une
part les compétences liées à un contexte professionnel
particulier mais qui peuvent être utilisées dans un autre
métier ou, au sein d’un même métier, dans un contexte
professionnel différent, et d’autre part celles générale-
ment acquises en dehors de l’activité professionnelle,
mais utiles, voire indispensables, à l’exercice de certains
métiers. »1
.
1. Centre d’analyse stratégique : « La
Note d’analyse – « Compétences
transversales » et « compétences
transférables » : des compétences qui
facilitent les mobilités
professionnelles » (2011).
5. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 5
Les compétences transférables contribueraient à facili-
ter les mobilités professionnelles, notamment les mobi-
lités sectorielles, et donc à sécuriser les parcours profes-
sionnels. Encore faut-il les identifier et les valoriser pour
entrer dans un cheminement de transfert de compé-
tences. Elles relèvent principalement de trois registres :
l’expertise technique, les compétences transversales et
les qualités individuelles. Qu’en est-il de ces compé-
tences transférables dans le cadre d’une mobilité secto-
rielle vers le monde de l’aéronautique ?
L’expertise technique est le préalable à toute
mobilité vers l’aéronautique. La filière aéronau-
tique est marquée par une exigence de qualité totale,
à chaque étape du cycle de production, tant la sureté
des vols et la sécurité des passagers restent la préoccu-
pation majeure. Cet objectif incontournable explique le
niveau de qualification élevé des salariés et la haute
technicité qui leur est demandée.
Certaines certifications techniques sont à ce titre indis-
pensables dans l’exercice de nombreux métiers de
l’aéronautique (travail des métaux, de la mécanique, de
l’électronique, de l’informatique, des matériaux…). C’est
cette maîtrise technique qui constitue dès lors le pre-
mier critère de choix des recruteurs du secteur. Ainsi,
une mobilité sectorielle devra être argumentée avant
tout sur les compétences transférables techniques du
candidat, plutôt que sur ses compétences transversales
ou aptitudes personnelles qui agiront simplement en
complément.
« Il faut quand même avoir des compétences de base
dans la périphérie de l’aéronautique : connaître soit
l’avion, soit un produit dérivé de l’avion, soit les systèmes
d’informations embarqués par exemple. » (Consultante,
ex-recruteur aéronautique)
Connaître le secteur aéronautique : ses maté-
riaux, son vocabulaire et ses enjeux. La connais-
sance approfondie des produits et matériaux utilisés
dans l’aéronautique, et des procédés qui leur sont asso-
ciés (fusion, soudage, thermoformage), constitue inévi-
tablement le premier élément technique à maîtriser.
L’un des défis technologiques les plus importants pour
l’aéronautique des vingt prochaines années concerne
en effet l’amélioration des matériaux. La science des
matériaux, et les experts en recherche et développe-
ment qui lui sont dédiés quel que soit leur secteur, for-
ment dès lors un premier vivier de compétences parti-
culièrement valorisables en aéronautique.
6. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE6
Des spécialistes en amélioration de l’équation poids-
résistance des équipements (via des matériaux compo-
sites ou de nouveaux alliages métalliques au niveau
des structures ou des moteurs), sont ainsi très recher-
chés. La double compétence sur les matières métal et
composite est également précieuse.
L’expertise technique repose également sur un vocabu-
laire spécifique, à apprendre et maîtriser pour com-
prendre et dialoguer avec tous les interlocuteurs du
secteur. Les cadres ayant connu une mobilité ont ainsi
pu évoquer un « choc culturel, avec un vocabulaire spé-
cifique et une codification difficile à assimiler »…
« Pour l’ingénieur, c’est vrai que la différence entre l’aéro-
nautique et l’automobile par exemple n’est pas forcé-
ment très grande sur le plan technique. C’est plus une
question d’adaptation, de vocabulaire. » (Expert, pôle
de compétitivité)
Maîtriser les outils et logiciels de l’avionique.
L’avionique, c’est-à-dire l’ensemble des équipements
électroniques, électriques et informatiques qui rentrent
dans la fabrication et/ou qui aident au pilotage des
avions, prend une place de plus en plus importante au
sein de la filière aéronautique : cockpit avancé, naviga-
tion et gestion du vol, plateformes informatiques et
réseaux embarqués, gestion de l’énergie de bord... Un
enrichissement des compétences dans ces domaines est
attendu.
La maîtrise d’un logiciel ou d’une machine peut alors
constituer une clé de passage pour une mobilité secto-
rielle. La connaissance de ce type d’outil, même très
spécifique à un secteur, peut en effet signifier la faculté
d’adaptation à un nouveau logiciel de même type dans
le secteur aéronautique. De plus, l’évolution actuelle
des nouvelles technologies et l’expansion de logiciels,
langages et outils informatiques communs favorise les
mobilités sectorielles. Dès lors qu’un cadre maîtrise un
outil informatique et/ou un langage de programma-
tion, il devient davantage « employable » par l’aéronau-
tique. Cela concerne par exemple les métiers d’ingé-
nieur électronique de puissance, d’ingénieur calcul,
d’ingénieur systèmes aéronautiques, d’opérateur des
machines à commande numérique, de programmeur
des machines à commande numérique ou d’architecte
logiciel aéronautique…
« Tous les logiciels qu’on utilise en modélisation, en simu-
lation ou en gestion sont les mêmes entre le monde
automobile et le monde aéronautique. Bon il y a
quelques modules spécifiques, car bien sûr on ne dé-
passe pas le mur du son en automobile, mais c’est très
marginal.
7. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 7
À 90 %, ce sont les mêmes codes de calcul. Alors qu’il y
a des secteurs, dans le nucléaire par exemple, où ils sont
habitués à utiliser d’autres codes de calcul. » (Directeur,
établissement de formation)
La dimension technique est également au cœur des
attentes des recruteurs pour les profils commerciaux.
Malgré la dominante commerciale de ces métiers, leur
légitimité sur le terrain passera par une reconnaissance
de leurs compétences techniques.
Savoir appréhender un univers très normé aux
méthodes de production exigeantes. Les besoins
en compétences pour les prochaines années concernent
en premier lieu la production et son optimisation. Or
l’aéronautique présente un contexte et des méthodes
de production qui lui sont propres quant aux notions
de coût, série et qualité. A l’inverse de la production
agroalimentaire ou, dans une moindre mesure, automo-
bile, la production aéronautique se fait en petite/
moyenne série et la contrainte de coût, bien que réelle,
ne peut remettre en question la qualité du produit.
« Le monde de l’aéronautique est quand même resté très
« artisanal ». On fabrique dix rafales par an, c’est vrai-
ment une fabrication particulière, avec beaucoup de
compagnons, etc. » (Directeur, établissement de forma-
tion)
Les cadres de l’aéronautique travaillent dans des entre-
prises où les normes et les contraintes sont draco-
niennes (contrôles, références ISO, certification sur les
matériaux, les produits…). Le cadre en projet de mobi-
lité sectorielle vers l’aéronautique devra donc connaître
ou apprendre ces normes et contraintes de production.
Cependant, ce n’est pas tant la connaissance des
normes en elle-même qui est importante (elle est d’ail-
leurs souvent spécifique au secteur aéronautique et les
entreprises pourront investir dans des formations in-
ternes), mais l’expérience de travailler dans un environ-
nement fortement normé et contraint.
« Évidemment la production répond à des normes et des
process bien spécifiques, mais à partir du moment où
vous avez été amené à travailler dans des environne-
ments très normés, peu importe la norme. » (RRH, recru-
teur aéronautique)
8. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE8
Par ailleurs, les exigences d’un cadre de travail struc-
turé peuvent être fortes. Le secteur de l’aéronautique
est fortement hiérarchisé, impacté par une organisation
très structurée entre donneurs d’ordres et sous-traitants,
et à l’échelle de l’entreprise, par un poids des règles et
de la structure de l’organisation, notamment dans les
grandes entreprises. Dans ces dernières, les périmètres
de responsabilités sont marqués, avec des procédures
laissant peu de place aux initiatives individuelles non
contrôlées. Ce sera moins le cas dans les PME du sec-
teur.
« Il y a énormément de hiérarchie [dans les grandes
entreprises] Parfois, la culture d’entreprise aéronautique
avec ses règles strictes plaît moins. » (Consultante, ex-
recruteur aéronautique)
« C’est vraiment une question de culture. Il y a quand
même des procédures, un process assez bien cadré. Pour
certains, ça peut être vécu comme une contrainte, parce
qu’on n’a pas de marge pour beaucoup de fantaisie et
beaucoup d’initiatives. Pour d’autres, c’est rassurant,
confortable. Ça peut être bien vécu comme ça peut être
mal vécu. » (Directeur, établissement de formation)
Valoriser son expérience de la production en
petite et grande série. Côté séries de production,
l’avion et ses équipements, comme le ferroviaire dans
une moindre mesure, ont cela d’unique qu’ils sont pro-
duits en très petite quantité sur un temps long, auquel
le cadre en mobilité devra s’adapter.
« On connaît bien aussi le secteur ferroviaire. Comme le
dit un de mes administrateurs, un train c’est finalement
un avion qui ne vole pas ! Ce sont à peu près les mêmes
séries entre les TGV et les Airbus, c’est très proche. Donc
je pense que le passage se fait sans trop de souci. »
(Directeur, établissement de formation)
Cependant, l’aéronautique évolue, et passe actuelle-
ment des petites séries « artisanales » à la moyenne
série, du fait de la demande croissante. Le secteur a
donc tout à apprendre d’autres contextes de production
tels que ceux développés au sein du secteur de l’auto-
mobile notamment. Les cadres issus d’autres secteurs
peuvent donc présenter de vraies valeurs ajoutées aux
yeux des recruteurs de l’aéronautique, particulièrement
sensibles à ces nouveaux enjeux en interne. Connaître
et travailler dans un environnement de production in-
dustrielle en série devient en effet une compétence
particulièrement recherchée, qui peut faciliter une
mobilité sectorielle vers l’aéronautique.
9. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 9
« Ce n’est pas un critère discriminant de ne pas venir de
l’aéronautique, et dans le cas précis de l’automobile, c’est
même très valorisant pour nous. Parce que les personnes
qui viennent de l’automobile ont en général connu des
cycles de production beaucoup plus courts, et donc
d’autres types de contraintes temporelles, avec une cer-
taine forme de pression, de rapidité d’exécution, qui pour
nous sont très intéressantes, même si on sera forcément
dans des cycles de production beaucoup plus longs. »
(RRH, recruteur aéronautique)
Au-delà de l’expertise technique du secteur, c’est bien
la capacité à organiser des chaînes de production et à
les optimiser qui est ici recherchée. Les spécialistes de
l’industrialisation et des méthodes, les techniciens de
la qualité et de la logistique, les experts du lean mana-
gement sont tous concernés par cette diversification des
recrutements à venir.
« L’aéronautique est en train de passer de petites séries
à des moyennes séries. Donc ils sont intéressés par le fait
que l’automobile leur passe un petit peu des savoir-faire
qu’eux n’ont pas… » (Expert, pôle de compétitivité)
Valoriser une expérience du management
d’équipe et de projets. Dans une filière qui travaille
beaucoup en mode projet, dans une logique système,
et sur des réalisations d’une grande complexité, les ingé-
nieurs et techniciens supérieurs sont amenés à élargir
leurs compétences relationnelles, en particulier pour
occuper des fonctions de management. Cette capacité
à encadrer et à s’affirmer face à une équipe n’est pas
spécifique au secteur d’activité dans lequel elle est exer-
cée, et peut donc constituer un levier de mobilité vers
l’aéronautique. Elle est d’autant plus attendue que
certaines entreprises du secteur souhaitent renouveler
leurs méthodes de management (par exemple les for-
mations proposées en interne par Airbus à travers leur
Leadership University). Cependant, même si le mana-
gement d’équipe et de projets constitue une passerelle
facilitant les mobilités sectorielles, il pourra rarement
être le seul vecteur de transition vers l’aéronautique.
« Ils nous ont demandé de préparer les ingénieurs diplô-
més avec 10-15 ans d’expérience à la gestion de la com-
plexité des grands projets. C’est vrai qu’on les sensibilise
un petit peu au niveau de la formation initiale, mais il
y a besoin de plus les muscler, parce que c’est très com-
pliqué d’être chef de projet avec 300 ou 400 ingénieurs
sous ses ordres, dans différents pays etc. » (Directeur,
établissement de formation)
10. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE10
« Avec la digitalisation, on passe aux modèles califor-
niens de Google, etc. Ils cherchent des gens qui juste-
ment ne sont pas clonés ‘aéronautique’, qui apportent
cette façon différente de travailler que souhaitent les
directions aujourd’hui. Des gens très leaders, très charis-
matiques, qui vont insuffler le changement. » (Consul-
tante, ex-recruteur aéronautique)
Maîtriser les langues afin d’échanger dans un
environnement de travail international. L’indus-
trie aéronautique et spatiale est fortement internatio-
nalisée. De plus en plus d’entreprises, PME comme
grands groupes, sont ainsi amenées à travailler à l’inter-
national parce qu’elles y sont contraintes par le marché
ou parce que ce sont des filiales de groupes internatio-
naux. Par ailleurs, la majorité des productions aéronau-
tiques concernent aujourd’hui des projets transnatio-
naux. De ce fait, ils se déroulent dans un environnement
multiculturel et polyglotte peu présent dans les autres
secteurs de l’industrie française. La maîtrise d’une
langue étrangère est une compétence transversale as-
sez facilement transférable et souvent indispensable
pour les cadres de l’aéronautique, quel que soit leur
niveau. En dépit de la suprématie de la langue anglaise
dans les conventions officielles, le choix et le contrôle
des composants requièrent des compétences linguis-
tiques dans les services commerciaux et des achats pour
débattre et valider les options techniques dans la
langue du vendeur. Pour cela, les entreprises du secteur
ont besoin de recruter des ingénieurs ou des techniciens
supérieurs capables de dialoguer dans l’anglo-allemand
technique, l’anglo-espagnol technique, l’anglo-italien,
etc. Le multilinguisme, qualité rare en France, devient
une compétence de plus en plus recherchée parmi les
ingénieurs de la filière européenne dont l’excellence
repose sur des contributions croisées entre la plupart
des pays de l’UE.
« Chez Dassault, chez Airbus, on cherche de plus en plus
des gens qui sont capables de négocier des prix, de par-
ler des langues étrangères... Dans l’aéronautique vous
avez l’obligation, quel que soit votre niveau, ouvrier,
technicien ou ingénieur, d’avoir un minimum d’anglais.
Ça, c’est un peu la différence par rapport à l’automobile.
Je me rappelle avoir rencontré des gens de l’automobile
avec qui j’avais insisté beaucoup sur la langue anglaise.
Ils ont dit « Il faudra qu’on s’y mette. ». La langue est un
frein. » (Expert, pôle de compétitivité)
11. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 11
Les aptitudes personnelles : un facteur facilita-
teur pour toute mobilité sectorielle. Les compé-
tences techniques (incontournables) et transversales
(méthodes de production, management, langues étran-
gères…) constituent des passerelles facilitantes pour
changer de secteur d’activité. Il existe néanmoins des
limites liées au contexte d’arrivée particulier qu’est
l’aéronautique auxquelles le candidat devra s’adapter
grâce à ses aptitudes personnelles. Les acteurs du sec-
teur insistent en effet sur l’importance des qualités indi-
viduelles des candidats à la mobilité sectorielle, qualités
liées à la personnalité et au savoir-être (soft skills). La
prise en compte de ces aptitudes personnelles sera en
outre d’autant plus importante aux yeux du recruteur
lors du recrutement d’un cadre issu d’un autre secteur
d’activité que pour un recrutement réalisé au sein
même de l’aéronautique.
Un des facteurs clés du succès d’une mobilité sectorielle
entrante dans l’aéronautique réside dans la capacité
d’adaptation du candidat. Il est essentiel que la per-
sonne soit consciente du changement engendré et sur-
tout qu’elle anticipe le temps d’adaptation au nouveau
secteur qui sera inévitablement nécessaire. L’aéronau-
tique nécessite en effet un temps d’apprentissage des
process, normes et clients qui lui sont propres, qui devra
être le plus court possible en cas de mobilité sectorielle.
« Les personnes issues d’autres secteurs qu’on a intégrées
avaient avant tout une forte capacité d’adaptation. »
(RRH, recruteur aéronautique)
« L’entreprise a parfois du mal à aider le cadre en mobi-
lité. Ça peut être vécu comme un choc, et pour la per-
sonne, et pour l’entreprise. Parfois ça va mener à un
échec. J’ai pu voir quelques expériences de dépression,
où pourtant les gens se sentaient prêts, les deux parties
voulaient jouer le jeu au démarrage, mais il manquait…
pas grand-chose, quelques actions de formation, de
conseil et de coaching, pour lesquelles on n’est pas très
bien outillé en France. » (Directeur, établissement de
formation)
12. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE12
Cette faculté d’adaptation, liée aussi aux aptitudes rela-
tionnelles pour s’intégrer, facilite à la fois le passage
d’un secteur d’activité à celui de l’aéronautique, mais
aussi l’exercice même d’un métier au sein de l’aéronau-
tique. En effet, compte tenu du fonctionnement en
mode projet qui prédomine notamment dans l’ingénie-
rie, les cadres de l’aéronautique doivent être capables
de s’adapter rapidement à ces interlocuteurs internes
et externes, comme aux évolutions technologiques du
secteur.
« À n’importe quel poste dans l’entreprise, sauf quand
vous êtes ouvrier ou technicien, et encore, vous êtes tou-
jours amené à être en contact avec vos clients internes,
avec des fournisseurs, avec des partenaires, avec des
sous-traitants, avec le client… Du coup les compétences
relationnelles sont extrêmement prégnantes, même au
bureau d’études. On essaie de plus en plus de faire la
part belle aux soft skills, notamment tout ce qui est
ouverture, capacité à communiquer, sens du relationnel,
potentiel, savoir-être, etc. » (RRH, recruteur aéronau-
tique)
Être mobile, conscient de la polarisation de
l’emploi dans deux régions. La construction aéro-
nautique française n’est pas représentée uniformément
dans les différents bassins d’emploi français. Si toutes
les régions tentent aujourd’hui de tirer leur épingle du
jeu pour bénéficier des retombées du secteur, l’emploi
est majoritairement concentré dans deux régions. Dans
son « Tour de France de l’aéronautique », L’Usine Nou-
velle démontre comment chaque région française déve-
loppe sa filière aéronautique : entreprises leaders en
Picardie (Aerolia), sous-traitants reconnus dans le
Centre (Daher ou Michelin), spécialités régionales en
Auvergne (la maintenance), pépites high-tech dans le
Limousin (en mécanique de précision notamment) ou
encore nouvelles installations d’usine en Lorraine
(comme Safran à Commercy). Toujours est-il qu’en
2016, deux régions regroupent encore plus de 50 %
des effectifs des entreprises membres du GIFAS : l’Ile-
de-France et l’Occitanie (28 % chacune). Les mobilités
sectorielles peuvent ainsi être encouragées ou freinées
selon la coloration sectorielle de chaque région.
13. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 13
« Pour des raisons historiques, les secteurs industriels ne
sont pas répartis de façon homogène en France. Pour
caricaturer, le monde de l’aéronautique, c’est la région
toulousaine pour Airbus, et c’est la région parisienne
élargie à la Normandie pour Safran et les réacteurs,
Dassault Aviation se partageant entre la région pari-
sienne et la région bordelaise. Ces deux grandes régions
assurent à elles-seules 80 % de la conception et de la
production aéronautique. » (Directeur, établissement de
formation)
« Le cadre qui a fait toute sa carrière dans la sous-
traitance automobile dans l’Est de la France, qui va être
embauché dans le Sud-ouest chez un sous-traitant
Airbus, il va changer complètement de monde. » (Direc-
teur, établissement de formation)
14. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE14
–LA MOBILITÉ VERS
L’AÉRONAUTIQUE : UNE RÉALITÉ
HÉTÉROGÈNE–
La très grande majorité des mobilités observées dans
les CV et trajectoires analysés ont été effectuées dans
la même fonction, occasionnellement avec une aug-
mentation des responsabilités managériales. Les mobi-
lités internes à la filière aéronautique (passage du sous-
traitant au donneur d’ordre) semblent être plus
fréquentes et plus faciles que la mobilité d’autres sec-
teurs industriels vers l’aéronautique. Parmi les mobilités
intersectorielles, la mobilité de l’automobile vers l’aéro-
nautique est celle la plus spontanément mise en avant
par les professionnels du secteur de l’aéronautique ;
d’autres mobilités, en provenance d’autres secteurs in-
dustriels ont pu être observées notamment dans les
fonctions de production industrielle ou connexes à la
production (supply chain, logistique, méthodes…) ren-
dues possible par une forte motivation et des compé-
tences techniques pointues. Quelques exemples
concrets de parcours illustrent le champ des possibles.
Ces derniers pourront permettre aux professionnels de
l’accompagnement de conseiller les cadres en recherche
de mobilité vers le secteur de l’aéronautique, et de don-
ner à voir à ces derniers des trajectoires possibles.
AUTRES INDUSTRIES
(énergie, chimie,
plasturgie...)
INDUSTRIE DU TRANSPORT
(automobile, naval, ferroviaire...)
AÉRONAUTIQUE
DONNEURS D'ORDRES
(constructeurs et équipementiers)
SOUS-TRAITANTS DE RANG 1
(fabricants d'équipements
et ingénierie)
SOUS-TRAITANTS DE RANG 2-3
(PME industrielles)
Schéma des types de mobilités entrantes majeures
15. APEC – MOBILITÉ INTERSECTORIELLE : L’EXEMPLE DE L’AÉRONAUTIQUE 15
16. ASSOCIATION POUR L’EMPLOI
DES CADRES
51 BOULEVARD BRUNE
75689 PARIS CEDEX 14
POUR CONTACTER L’APEC
DU LUNDI AU VENDREDI
DE 9H À 19H
L’étude a été réalisée par le département
études et recherche de l’Apec :
Pilotage de l’étude : Maïmouna Fossorier
Analyse et rédaction : Viviane Deschamps,
Marie Férapie
Maquette : Daniel Le Henry
Direction du département : Pierre Lamblin
www.apec.fr
–
NOTE MÉTHODOLOGIQUE
–
L’étude a été menée à partir de l’exploitation des
bases de données de l’Apec et autres (Trajectoires,
CV), d’entretiens réalisés auprès de cadres ayant ef-
fectué des mobilités intersectorielles vers l’aéronau-
tique et d’experts du secteur de l’aéronautique (RRH
de grandes entreprises, directeurs d’écoles d’ingé-
nieurs, pôles de compétitivité…) au cours de l’année
2016.
–
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
–
• Apec : « Les mobilités sectorielles des cadres et les
compétences transférables » (2013)
• Centre d’analyse stratégique : « La Note d’analyse
– « Compétences transversales » et « compétences
transférables » : des compétences qui facilitent les
mobilités professionnelles » (2011)
• GIFAS : « Situation de l’emploi en 2015 » (2016)
• GIFAS : « Etude sur les besoins prospectifs en res-
sources humaines du secteur aéronautique et spatial »
(2012)
• GIFAS : « Les métiers de l’industrie aéronautique et
spatiale » (2012)
• OPIIEC : « Etude des métiers de la branche dans la
filière aéronautique » (2008)
• L’Usine nouvelle : « Tour de France de l’aéronau-
tique » (2013)
Toutes les études de l’Apec sont disponibles
gratuitement sur le site www.cadres.apec.fr >
rubrique Observatoire de l’emploi
EDOBSA0220–S–07.16
ISBN 978-2-7336-0944-6
0 809 361 212