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ÉCOLE DE PSYCHOLOGUES PRATICIENS
UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE PARIS
23, rue du Montparnasse
75 006 PARIS




                MÉMOIRE-THÈSE DE RECHERCHE
                           en vue de l’obtention du
                     DIPLÔME DE PSYCHOLOGUE



TITRE :

   LE SENTIMENT DE SATISFACTION DES NOUVEAUX PÈRES
                DANS L’EXERCICE DE LEUR PATERNITÉ
                  Comparaison entre deux générations de pÚres



Effectué sous la direction du professeur Castelain-Meunier

Par :                           Christophe PÉNICAUT

Promotion :                     2003

Option :                        Psychopathologie

Date de naissance :             23 mai 1977

Lieu de naissance :             Clamart

Classification informatique :

Famille – Sociologie – Grossesse

Jury de soutenance : Mme Castelain-Meunier – M. Bidoire – M. Sos
                                                             Mention Assez Bien
Paris, le 24 septembre.
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               REMERCIEMENTS


               Je tiens Ă  remercier tout particuliĂšrement Madame
            Castelain-Meunier pour ses conseils éclairés et son écoute
            stimulante, ma femme pour ses commentaires et sa
            patience, mon fils pour m’avoir rendu pùre et pour avoir
            fait naütre en moi l’envie d’entreprendre cette recherche.




                                                                    2
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                                     SOMMAIRE


 SOMMAIRE........................................................................................... 3

 INTRODUCTION.................................................................................. 4
    1. ORIGINE DE LA DÉMARCHE...................................................... 5
    2. EXPOSÉ DE LA PROBLÉMATIQUE ........................................... 8
    3. OBJECTIFS DE RECHERCHE..................................................... 10

 PARTIE THÉORIQUE....................................................................... 12

    1. LA PATERNITÉ : INSTINCT OU CULTURE ?.......................... 14
    2. NOUVELLES FAMILLES ET NOUVEAUX PÈRES ................. 37
  3. À QUOI SERT UN PÈRE ? APPROCHES SOCIOLOGIQUE ET
PSYCHANALYTIQUE .......................................................................... 53
    4. CONCLUSION .............................................................................. 79

 PARTIE PRATIQUE .......................................................................... 81
    1. MÉTHODOLOGIE ........................................................................ 82
    2. RÉSULTATS.................................................................................. 96
    3. CONCLUSION ............................................................................ 105

 BIBLIOGRAPHIE............................................................................. 114

 INDEX D’AUTEURS ........................................................................ 120

 INDEX THÉMATIQUE.................................................................... 122

 TABLE DES MATIÈRES ................................................................. 125

 ANNEXES........................................................................................... 129
    1. DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES ..................................... 130




                                                                                                 3
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       INTRODUCTION




                                                                 4
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1. ORIGINE DE LA DÉMARCHE


    Au cours de ma formation, j’ai Ă©tĂ© sensibilisĂ© Ă  la psychologie gĂ©nĂ©tique, et, dans ce
domaine, Ă  l’importance des relations prĂ©coces des parents avec le nouveau-nĂ©, et mĂȘme
avec le fƓtus. Dans de nombreux ouvrages qui m’ont Ă©tĂ© recommandĂ©s, la mĂšre y est
dĂ©crite Ă  la fois comme Ă©tant la figure d’attachement primaire, le premier objet total,
dans une fusion exclusive avec le nouveau-né, etc. Le pÚre, face à cette cohorte
d’attributs exclusivement maternels, reste apparemment plus ou moins exclu de cette
fusion des premiers temps de la vie du petit d’homme. Lorsque j’ai moi-mĂȘme eu
l’occasion de vivre l’expĂ©rience de la paternitĂ©, il m’est naturellement venu un grand
nombre de questions Ă  l’esprit. J’ai constatĂ© trĂšs rapidement qu’il existait une rĂ©elle
dissymétrie entre le pÚre et la mÚre non seulement dans la littérature, et plus
particuliÚrement la littérature psychanalytique, mais également dans les ouvrages de
vulgarisation destinés aux jeunes parents.


    De maniĂšre presque univoque, on attribue Ă  la mĂšre un rĂŽle quasi omnipotent dans
le dĂ©veloppement du jeune enfant alors que ne revient au pĂšre qu’un rĂŽle de protection
et de sauvegarde de l’intĂ©gritĂ© de la relation mĂšre-enfant, jusqu’à ce qu’il revendique Ă 
nouveau le privilĂšge de l’intimitĂ© de la mĂšre, et impose Ă  l’enfant, Ă  cette occasion, la
loi de l’interdit de l’inceste.


    Afin de préciser mon opinion sur le sujet de la paternité, je me suis documenté à
travers les Ă©crits de Christine Castelain-Meunier, Jean Le Camus, GeneviĂšve Delaisi de
Parseval, Didier Dumas, Guy Corneau, Françoise Hurstel, Jacqueline Kelen, Aldo
Naouri
 Sociologues, psychologues, psychanalystes, pédiatres mais aussi ethnologues,
Ă©thologues et historiens m’ont apportĂ© des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse tangibles.
    Ces lectures m’ont permis de constater que certaines de mes interrogations Ă©taient
fondées, d'autant plus que les débats autour de la paternité battaient leur plein,
notamment entre les sociologues d’un cĂŽtĂ© et les psychanalystes de l’autre. Les thĂšmes
dĂ©battus sont variĂ©s, mais leurs conclusions dĂ©terminantes. Évolue-t-on vers une
meilleure paternitĂ©, plus engagĂ©e et plus concernĂ©e par l’enfant, ou avance-t-on au




                                                                                    5
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contraire vers un Ă©tat dangereux de dĂ©mission du pĂšre ? L’évolution des pĂšres est-elle Ă 
l’origine d’évolutions sociales Ă  plus grande Ă©chelle ?
   Les pathologies propres à la paternité sont peu connues des praticiens : à en croire le
dictionnaire, la couvade serait encore absente de nos sociétés : « Couvade : Ethnol.
Coutume rencontrĂ©e dans certaines sociĂ©tĂ©s oĂč, aprĂšs l’accouchement, c’est le pĂšre qui
tient le rÎle de la mÚre. » (Dictionnaire Larousse, 1998).
   Or, comme nous le verrons plus loin, non seulement elle peut survenir aprĂšs la
naissance, mais aussi à différents moments au cours de la grossesse (v. chapitre 1.4.2.
La couvade, p. 25). De plus, la rĂ©fĂ©rence Ă  l’ethnologie semble exclure la possibilitĂ© de
son occurrence dans nos contrées industrialisées et renvoyer cette manifestation
originale Ă  l’autre bout de la planĂšte. Pour gĂ©nĂ©raliser, GeneviĂšve Delaisi de Parseval
(1981) affirme que « la paternitĂ© semble bien ĂȘtre, en effet, terra incognita dans le
champ d’étude couvert par les sciences humaines ».
   En ce qui concerne le domaine de la clinique, dans la quasi-totalité des écrits de
psychanalyse d’il y a Ă  peine trente ou quarante ans, le pĂšre est Ă©cartĂ© de la fusion
originelle à laquelle, à condition que la mùre l’y autorise, il aura accùs par la suite.
Aussi, comme le soulignent Marie-Christine Lefort et Anne Discour :


           « Les conditions économiques, sociales et culturelles, depuis les
         annĂ©es trente, ont orientĂ© les Ă©tudes psychologiques de l’enfant jeune
         vers une focalisation sur la relation mĂšre-enfant (voir Freud sur les
         principes de l’étayage, et Bowlby sur le besoin vital d’attachement).
         Le pùre n’est que personnage annexe, primitivement accessoire, qui
         n’interviendra qu’à partir de la phase Ɠdipienne dans les thĂ©ories
         psychanalytiques (Lefort M.-C. et Discour A., La place du pĂšre durant
         les trois premiers jours aprĂšs la naissance de l’enfant prĂ©maturĂ©, in
         Marciano, 2003). »


   Bien entendu, je n’envisage pas un instant de contester l’ensemble de ces thĂ©ories,
mĂȘme si d’aucuns plus audacieux, et surtout plus expĂ©rimentĂ©s, s’y sont essayĂ©s,
donnant au pùre une place fondamentale auprùs de l’enfant dùs les premiers jours, avant
sa naissance et mĂȘme avant sa conception (par exemple Dumas, 1999 et 2000 ; Le
Camus, 1999 et 2000 ; Corneau, 1989). Les modĂšles de base ne sont certainement pas Ă 
remettre en cause.

                                                                                    6
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   En revanche, il me semble que le pÚre est parfois exagérément cantonné dans son
rĂŽle d’autoritĂ©, de protecteur, d’unique reprĂ©sentant de la Loi, de garant de la
transmission des valeurs
 alors que nous constatons que, plus que les mentalités, les
pratiques elles-mĂȘmes changent, et notamment la relation du pĂšre Ă  l’enfant, jeune et
moins jeune, ainsi que sa relation Ă  la mĂšre.




                                                                                7
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2. EXPOSÉ DE LA PROBLÉMATIQUE


   Il est vrai que la représentation traditionnelle de la famille a été battue en brÚche
depuis la fin des annĂ©es 60, soit depuis plus d’une gĂ©nĂ©ration. Effectivement, des
configurations familiales avant exceptionnelles ou négligées par les journalistes
prennent le devant de la scĂšne mĂ©diatique. La famille est devenue l’objet de nombreuses
rĂ©flexions, d’études dĂ©mographiques et sociologiques. Elle s’est partiellement
dĂ©sinstitutionnalisĂ©e et son modĂšle s’est largement diversifiĂ©.


   Les médias, notamment les magazines spécialisés affirment que de nombreux points
ont Ă©voluĂ©, en particulier sur le plan de la paternitĂ©. La plupart d’entre eux n’ont pas de
rĂ©el Ă©tayage expĂ©rimental et s’inspire davantage d’observations courantes, mais tous
alimentent l’image du « nouveau pĂšre ». Nous en citerons quelques-uns, sans prĂ©tendre
en dresser une liste exhaustive, tirés de lectures spécialisées, de sites Internet, de
magazines ou journaux traitant de la paternitĂ© ou bien d’observations personnelles :




           Le pùre est plus attentif pendant la grossesse, il s’instruit et se documente au
           sujet de cet événement ;
           Le pÚre est plus présent au domicile, il participe plus aux soins du
           nourrisson ;
           Le pĂšre souhaite prendre part Ă  l’éducation de ses enfants de maniĂšre plus
           concrÚte, en étant plus présent, en partageant des activités avec eux ;
           L’autoritĂ© est davantage rĂ©partie entre les conjoints ;
           La relation que le pùre d’aujourd’hui souhaite avoir avec ses enfants
           correspond de moins en moins Ă  une relation autoritaire mais davantage Ă 
           une relation de coaching ;
           La famille concurrence davantage le travail dans les priorités du pÚre.




                                                                                       8
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    Nous nous sommes interrogés sur la nature et les modalités de la transmission de la
paternitĂ©, de la transmission de ses reprĂ©sentations et de l’image du pĂšre idĂ©al chez les
pĂšres eux-mĂȘmes. On constate aujourd’hui que les pĂšres ont sensiblement modifiĂ© leur
attitude et leurs comportements en ce qui concerne les enfants, mais Ă©galement en ce qui
concerne la mÚre. La réalité de cette évolution a été étudiée à plusieurs reprises déjà1,
aussi nous ne nous y attarderons pas.


    En revanche, nous allons tenter d’apporter davantage de lumiùre sur un autre point.
Les pĂšres tentent toujours de se conformer, plus ou moins consciemment, Ă  un certain
modÚle de paternité. Ce modÚle, cette représentation du pÚre idéal, est constituée, pour
la majeure partie, de ce que le pÚre, enfant, a perçu du rÎle de son propre pÚre. Elle est
trÚs certainement nuancée ou complétée par les substituts parentaux qui ont pu
intervenir à différents moments de la vie du jeune garçon.




    1
        En particulier : CASTELAIN-MEUNIER, C. (1997). La paternité. Paris : PUF, coll. Que sais-je ?.
– CASTELAIN-MEUNIER, C. (2002). La place des hommes et les mĂ©tamorphoses de la famille. Paris :
PUF. – HURSTEL, F. (1996). La dĂ©chirure paternelle. Paris : PUF. – KELEN, J. (1986). Les nouveaux
pùres. Paris : Flammarion. – MODAK, M. et PALAZZO, C. (2002). Les pùres se mettent en quatre !
ResponsabilitĂ©s quotidiennes et modĂšles de paternitĂ©. Lausanne : Cahiers de l’EESP. – SINGLY (de), F.
(1993). Sociologie de la famille contemporaine. Paris : Nathan.


                                                                                                9
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3. OBJECTIFS DE RECHERCHE


    Partant de ces observations et de ces constatations, je me suis posé les questions
suivantes :




              Dans quelle mesure cet idéal a-t-il évolué depuis la génération précédente ?
              Son Ă©volution suit-elle l’évolution manifeste de la paternitĂ© ? Comment a pu
              varier l’écart entre la reprĂ©sentation du pĂšre idĂ©al et la perception du pĂšre
              réel ? Cet écart a-t-il évolué depuis la génération précédente ? A-t-il évolué
              en fonction de la perception de la réalité de la paternité ?


              Comment se constitue la reprĂ©sentation du pĂšre idĂ©al Ă  l’échelle
              individuelle ? Quelle est la part de reproduction inconsciente et d’innovation
              consciente par rapport aux comportements et à l’attitude perçus chez son
              propre pĂšre ? Comment l’évolution de la reprĂ©sentation sociale du bon pĂšre
              influence-t-elle les jeunes pùres aujourd’hui ? Les pùres de la nouvelle
              génération innovent-ils davantage par rapport à leur pÚre que ceux-ci
              n’innovaient par rapport à leur propre pùre ?


              Comment cette évolution de la paternité est-elle perçue par les pÚres eux-
              mĂȘmes ? En sont-ils satisfaits ? Peut-on prĂ©voir une Ă©volution future de la
              paternitĂ© au regard de ce que nous pouvons constater aujourd’hui ?




    Suite Ă  ces interrogations, j’ai choisi d’étudier un aspect de ce problĂšme qui ne me
semble pas avoir Ă©tĂ© traitĂ© jusque lĂ . Quelle est l’évolution du sentiment de satisfaction
du pĂšre dans l’exercice de sa paternitĂ© ? Les pĂšres sont-ils satisfaits de l’évolution dont
ils sont Ă  la fois acteurs et spectateurs ?




                                                                                     10
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   Pour tenter de rĂ©pondre Ă  ces questions, je formulerais l’hypothĂšse que le sentiment
de satisfaction personnelle n’a pas rĂ©ellement diminuĂ© avec le changement des modĂšles
de paternitĂ© entre la gĂ©nĂ©ration des grands-pĂšres d’aujourd’hui et la gĂ©nĂ©ration de leurs
fils devenus pĂšres.
   Partant du principe que les représentations sont indissociables des pratiques et
qu’elles interagissent pour Ă©voluer ensemble, il me semble que l’écart perçu entre le
pĂšre rĂ©el et le pĂšre idĂ©al ne s’est ni agrandi ni resserrĂ©, la satisfaction restant donc
sensiblement inchangée.




                                                                                  11
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PARTIE THÉORIQUE




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    Avant de mettre Ă  l’épreuve l’hypothĂšse de travail que nous avons formulĂ©e, nous
avons parcouru un grand nombre de sources traitant de la paternité sous ses divers
aspects. Cette partie en propose une synthĂšse organisĂ©e qui permettra d’inscrire notre
recherche dans un contexte actualisé et éclairé par des écrits récents.
    Cette Ă©tude bibliographique a Ă©tĂ© effectuĂ©e avec un Ɠil critique et un objectif
précis : exposer les principales recherches et les théories existantes et déterminer leurs
apports et leurs limites.


    Dans une premiÚre partie, nous aborderons la paternité sous un aspect descriptif
gĂ©nĂ©ral. Nous tenterons d’apporter les Ă©lĂ©ments de rĂ©flexion nĂ©cessaires pour mieux
discerner l’aspect culturel et l’aspect universel de ce statut. Pour cela nous tñcherons de
réfléchir aux définitions de la paternité et de la masculinité, puis nous étudierons la
paternité selon les deux axes temporel et spatial : en remontant dans le temps et en
voyageant sur d’autres continents.


    Nous exposerons ensuite les changements de la famille contemporaine qui ont
retenus notre attention soit par leur ampleur soit par leur importance pour le pĂšre,
changements qui semblent converger avec l’émergence d’une nouvelle relation du pĂšre
à l’enfant.


    Enfin nous rapporterons les théories ou les points de vue marquants au sujet du rÎle
et de la fonction du pĂšre au sein de la famille, auprĂšs de ses enfants et auprĂšs de leur
mÚre, mais aussi en ce qui concerne la spécificité de son rÎle par rapport à celui de la
mÚre, en montrant que les modÚles de paternité ont sensiblement évolué.




                                                                                    13
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1. LA PATERNITÉ : INSTINCT OU CULTURE ?


   Le pĂšre n’est pas nĂ©cessairement celui que l’enfant appelle « Papa ». Les
spĂ©cialistes ne s’entendent pas toujours sur les limites et les implications de sa
dĂ©finition. Pourtant, quoi de plus commun qu’un pĂšre ? Nous avons tous intuitivement
une idĂ©e de ce qu’il est, mais lorsque nous sommes confrontĂ©s Ă  l’actualitĂ© de la famille
et Ă  la complexitĂ© des situations qu’elle recouvre, nous commençons Ă  douter de son
évidence et de son universalité.
   Ceux qui tentent d’apporter de la lumiĂšre sur cette dĂ©finition sont ceux qui l’étudient
ou ceux qui travaillent avec lui : ce sont les sociologues, les psychologues, les
psychanalystes, les juristes ou les mĂ©decins. Mais leur vision du pĂšre n’est pas
uniforme, loin s’en faut.


   Qui est le pĂšre ? Quand devient-on pĂšre ? Peut-on avoir plusieurs pĂšres ? Quelle que
soit la maniùre de formuler la question, les cas qui faisaient figure d’exception aux
gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes sont aujourd’hui lĂ©gion : l’augmentation du nombre de
divorces, la généralisation du concubinage, la « recomposition » des familles qui en fait
souvent des familles monoparentales, la généralisation des méthodes contraceptives et
les diverses techniques d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation (AMP)1 – avec la
fĂ©condation in vitro et transplantation d’embryon (FIVETE), l’insĂ©mination artificielle
avec le sperme du conjoint (IAC) ou avec celui d’un donneur anonyme (IAD) – se
gĂ©nĂ©ralisent dans toutes les couches de la population française. L’ensemble de ces
évolutions relativement récentes nous invite à réfléchir aux limites de la définition
courante du pĂšre.




   1
       Anciennement Procréation Médicalement Assistée (PMA).


                                                                                   14
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   1.1. QUELQUES DEFINITIONS

   En étudiant attentivement les définitions de différents dictionnaires, nous pouvons y
déceler certaines lacunes au sujet du pÚre et de la paternité. En effet, sa position de
géniteur est explicite, la responsabilité de sa progéniture est plus ambiguë, alors que les
cas de paternitĂ© plus complexes, comme celle qui est issue de l’AMP, pourtant
envisagée dans le cadre de la loi, sont pour ainsi dire absentes de ces ouvrages de
référence. Ainsi le dictionnaire Le Robert 1 (1999) nous propose la définition suivante :


           « PÚre : Homme qui a engendré, qui a donné naissance à un ou
         plusieurs enfants [
]. Par analogie, celui qui se comporte comme un
         pÚre, est considéré comme un pÚre (nourricier, adoptif, spirituel). »


   Le Petit Larousse IllustrĂ© (1998) reprend, presque dans les mĂȘmes termes cette
partie de la définition, mais y ajoute également :


           « Homme ayant autorité reconnue pour élever un, des enfants au
         sein de la cellule familiale, qu’il les ait ou non engendrĂ©s. Homme qui
         agit en pÚre, qui manifeste des sentiments paternels. »


   Les comportements en question qui permettraient d’ĂȘtre inclus dans la dĂ©finition du
pĂšre, d’ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un pĂšre, ne sont pas prĂ©cisĂ©s davantage
 ce qui ne nous
renseigne pas vraiment sur ce qu’il peut ĂȘtre, en dehors du gĂ©niteur. D’autre part, s’il est
possible d’ĂȘtre pĂšre en se comportant comme un pĂšre, cela souligne une diffĂ©rence entre
deux sortes de pĂšre : le « vrai » et celui qui fait comme si. Enfin peut ĂȘtre pĂšre celui qui
« agit en pĂšre ». Mais que fait-il exactement ? S’occupe-t-il de l’enfant ? L’éduque-t-il ?


   En ce qui concerne la grossesse et la mise au monde des enfants, aucun terme
n’existe pour dĂ©signer ce qu’il se passe du cĂŽtĂ© du pĂšre. Cet aspect n’apparaĂźt qu’à la
dĂ©finition de la maternitĂ© : « [
] Fait de mettre un enfant au monde » (Dictionnaire
Larousse, 1998). L’arrivĂ©e des enfants ne constitue apparemment pas un Ă©lĂ©ment
déterminant de la définition de la paternité.




                                                                                     15
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    Poursuivons la réflexion. Au verbe « engendrer », nous trouvons la définition
suivante : « Se dit de l’homme qui produit un enfant (v. procrĂ©er) ». Le verbe
« produire » trouve ici une signification particuliÚre. Mais il apparaßt assez clairement
que la définition du pÚre est ici réduite à sa seule fonction de géniteur, au
« fournisseur de petite graine ».


    Le mot maternage n’a son Ă©quivalent en Anglais que vers 1940 et n’est apparu
qu’en 1953 en Français. Il est dĂ©fini ainsi dans le Dictionnaire de psychologie :


              « L’ensemble des comportements par lesquels la mĂšre ou la
            personne qui en tient lieu apporte ou tente d’apporter au nourrisson
            les soins maternels et, plus généralement, tout ce qui est indispensable
            à sa survie et à son développement physique et psychique : amour,
            stimulations, maintien, maniement, bain de paroles, etc. (Doron et
            Parot, 1998). »


    On peut entendre par ces lignes que d’autres personnes que la mùre peuvent assurer
le maternage auprĂšs de l’enfant. Cependant, il n’est pas prĂ©cisĂ© ici qui peut « tenir lieu »
de mĂšre, d’oĂč l’on peut dĂ©duire que la personne dispensatrice de maternage importe peu
pour qualifier celui-ci.
    De plus, il ne s’agit que de « comportements ». En aucun cas, par consĂ©quent, le
maternage ne pourrait ĂȘtre prodiguĂ© par une personne interposĂ©e, par une reprĂ©sentation
ou par une image intrapsychique mais uniquement par celui ou celle qui est aux cÎtés de
l’enfant.


    Plus loin dans le mĂȘme dictionnaire, Ă  la dĂ©finition de maternel (Doron et Parot,
1998), on peut lire :


              « Ensemble de soins assurĂ©s par la mĂšre Ă  sa progĂ©niture. [
] la
            femelle [
] assure la plus lourde part du fardeau parental. [
] le
            comportement maternel dans l’espùce humaine s’inscrit dans la
            continuitĂ© des formes et des fonctions qu’on lui connaĂźt chez les
            animaux, particuliĂšrement chez lez mammifĂšres et, plus directement,
            modulé par les diverses traditions culturelles. »

                                                                                       16
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   Il est reconnu que la mĂšre est nettement plus impliquĂ©e que le pĂšre pour s’occuper
de ses petits. Parce que la définition intÚgre nos origines animales, ce « comportement
maternel » possÚde une composante instinctuelle. Toutefois, cette composante est
« modulée » par la culture. On voit ici toute la difficulté de statuer sur cette notion
abstraite, à la fois indispensable à tous les mammifùres afin d’assurer une descendance
aux adultes, mais Ă©galement spĂ©cifique Ă  l’espĂšce humaine en raison de la complexitĂ©
des processus psychiques en jeu.


   Les soins ne sont pas énumérés mais ils nous paraissent plus familiers que les
comportements du pĂšre Ă©voquĂ©s ci-dessus. Le cas oĂč la mĂšre disparaĂźt et oĂč le pĂšre, ou
un autre adulte, assume seul la responsabilitĂ© de sa progĂ©niture n’est pas Ă©voquĂ©. On
peut néanmoins supposer que si celui-ci prodigue ces soins à ses enfants, on dira de son
comportement qu’il est « maternel ». Alors qu’on peut se demander quand les
comportements d’une mĂšre assumant seule la responsabilitĂ© de ses enfants pourraient
ĂȘtre qualifiĂ©s de « paternels », Ă  compter qu’ils puissent l’ĂȘtre.


   La dimension symbolique de la paternité est explicite dans la définition suivante,
également tirée du Dictionnaire de psychologie, (Doron et Parot, 1998) :


            « Paternité : Dans une structure de parenté, la place du pÚre ne
         recouvre    pas    sa   fonction    de   géniteur,   elle   est   marquée
         symboliquement par sa reconnaissance en tant que détenteur de la
         puissance phallique, transmetteur du nom, en position de médiation et
         de séparation du couple mÚre/enfant. La relation pÚre/enfant
         s’instaure sous le signe de l’altĂ©ritĂ©. Pour J. Lacan, le pĂšre est le
         représentant de la loi. »


   De nombreux auteurs font la différence entre diverses paternités, tantÎt
complémentaires, tantÎt en contradiction ou en conflit les unes avec les autres. Tout
d’abord, et le plus souvent citĂ©, c’est le pĂšre biologique, le gĂ©niteur, celui qui transmet
son génome.
   Le pÚre légal est celui qui donne son nom à sa descendance, qui inscrit ses enfants
dans une généalogie, une lignée. Cette paternité est garantie par le mariage dans les

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sociĂ©tĂ©s patrilinĂ©aires. Le pĂšre Ă©ducatif ou affectif est celui qui s’attache aux enfants,
assure leur éducation, les inscrit dans la société. Le pÚre symbolique, cher à la
psychanalyse, est celui qui dit « Non », c’est le sĂ©parateur, le reprĂ©sentant de la Loi.


   Cependant, tous les auteurs ne s’accordent pas parfaitement sur ces catĂ©gories et
nous proposons celles-ci hors de toute affinité théorique particuliÚre. Notons sur ce
point que « la paternité biologique ne coïncide pas obligatoirement avec la paternité
sociale ou éducative » (Delaisi de Parseval, 1981).




   1.2. L’HOMME ET LE MASCULIN

   L’étude des dĂ©finitions du pĂšre et de la paternitĂ© est Ă  croiser avec celles de la
masculinitĂ© et de la virilitĂ©. Le pĂšre peut-il s’occuper de ses enfants sans se fĂ©miniser ?
Dispenser des soins de maternage force-t-il à perdre ou à mettre de cÎté sa virilité ? Ne
pourrait-on pas envisager un rapport aux enfants, et particuliĂšrement aux nourrissons,
hors de tout aspect fĂ©minin ? Et qu’est-ce qu’un comportement fĂ©minin s’il peut ĂȘtre
réalisé par la majorité des hommes ?
   La virilitĂ© se prĂ©sente « comme un ensemble de comportements, d’interdits, de non-
dits, de valeurs, d’attitudes, de discours stĂ©rĂ©otypiques, etc., qui s’articulent en de
véritables systÚmes idéologiques, centrés sur le courage et la force » (Dejours, Ch. Le
masculin entre sexualité et société, in Welzer-Lang, 2000).
   Le terme viril n’a a priori ni connotation positive, ni nĂ©gative. Le seul antonyme
proposé par le Dictionnaire Robert est « efféminé », qui est connoté péjorativement, et
ne s’adresse d’ailleurs qu’aux hommes ! De plus, les attributs virils sont l’activitĂ©,
l’énergie, le courage, la fermetĂ©, la rĂ©solution (Dictionnaire Larousse, 1998 ;
Dictionnaire Robert, 1999), alors que les qualités associées au caractÚre efféminé sont la
mollesse, l’absence d’énergie ou de virilitĂ© (Dictionnaire Robert, 1999).


   Cette dichotomie stĂ©rĂ©otypĂ©e propre Ă  la pensĂ©e occidentale attribue Ă  l’homme
l’activitĂ© et Ă  la femme la mollesse
 Nulle part dans ces dictionnaires il n’est fait
mention d’une Ă©ventuelle composante masculine chez la femme, et, rĂ©ciproquement,
d’une composante fĂ©minine chez l’homme.


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   Au contraire, la séparation semble assez hermétique. Une telle conception est
pourtant présente dans la philosophie taoïste, trÚs répandue en Asie, comme on peut le
constater par la représentation devenue relativement populaire du yin et du yang. Cette
image symbolise en rĂ©alitĂ© la prĂ©sence et l’intrication des contraires en toute chose.
         Le masculin, yang, est Ă©galement synonyme d’activitĂ©, de mouvement
         centrifuge alors que le féminin, yin, est synonyme de passivité et de
mouvement centripÚte. Néanmoins, ces caractÚres sont présents en chacun de nous.


   En revanche, nous pouvons frĂ©quemment entendre parler d’une probable
fĂ©minisation de l’homme en gĂ©nĂ©ral, et du pĂšre en particulier. Cette tendance est jugĂ©e
alternativement, et bien souvent sans arguments solides, soit comme un net progrĂšs sur
le plan de la paternité, donc pour famille et le développement des enfants, soit comme
redoutablement pathogĂšne et Ă  l’origine de bien des maux de la sociĂ©tĂ© contemporaine,
tels que la violence et la délinquance juvéniles, mais aussi la déresponsabilisation des
jeunes professionnels, la crise de l’engagement, etc.
   En ce qui concerne le dĂ©veloppement de l’enfant, une assez large majoritĂ© d’auteurs
préconise la présence physique de deux parents hétérosexuels auprÚs des enfants. « Un
enfant, en grandissant, a besoin d’un modĂšle de conduite fĂ©minine et d’un modĂšle de
conduite masculine (Dodson, 2002) ».


   Il est difficile, nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment et
rationnellement le masculin et le féminin au-delà de la simple différence physique et
« en l’absence de dĂ©finition culturelle de la diffĂ©rence entre le masculin et le fĂ©minin »
(Castelain-Meunier, 1997).
   De maniĂšre parfois confuse, on attribue Ă  l’homme une part fĂ©minine dans son
attitude ou son comportement. Yvonne Knibiehler (1987) affirme d’ailleurs, au sujet de
cette part fĂ©minine cachĂ©e en l’homme, qu’elle « s’exprime dĂ©sormais davantage » mais
que « les enfants ne semblent pas en souffrir ». Un accouchement qui se déroule dans
des conditions eutociques est un événement intense physiquement et psychiquement,
proposant des conditions favorables Ă  l’expression et Ă  la libĂ©ration de sentiments et
d’émotions positives (v. chapitre 2.2. L’accouchement, p. 39).
   Ces manifestations ostensibles de la sensibilitĂ© du pĂšre Ă©taient jusqu’alors rĂ©frĂ©nĂ©es
parce qu'indĂ©centes pour un homme alors qu’elles peuvent ĂȘtre aujourd’hui
revendiquées comme une valeur ajoutée à la virilité.

                                                                                    19
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   Un certain excÚs de féminisation a cependant été observé pendant un temps par le
personnel des maternités :


           « Les équipes de périnatalité se montrent plus attentives aux émois
         du pÚre en évitant cet excÚs de féminisation qui est venu un temps
         contrebalancer l’image de l’homme fort et tout-puissant, pour
         parvenir semble-t-il à une position médiane (Marciano, 2003). »


   Les hommes Ă  notre Ă©poque ont dĂ©sormais le droit de s’exprimer en utilisant un
registre plus émotionnel, plus affectif. Mais malgré cet indéniable progrÚs, les sages-
femmes et les obstĂ©triciens sont-ils aussi Ă  l’aise avec un homme qui pleure qu’avec une
femme qui pleure ? L’égalitĂ© parfaite sur ce plan n’est Ă©videmment pas encore atteinte.
Le sera-t-elle un jour ? Cela est-il souhaitable ?
   Au sujet des enfants, Yvonne Knibiehler (1987) se demande en premier lieu si c’est
bien « en tant que mĂąle que le pĂšre est utile Ă  l’enfant » ou bien si ce ne serait pas
uniquement « en tant qu’ĂȘtre humain diffĂ©rent de la mĂšre ». Nonobstant cette
incertitude, l’enfant, lui, ne semble pas trop s’en soucier ni trop en souffrir, et « il sait
que son pĂšre est un homme et sa mĂšre une femme
 ». MĂȘme si cela semble Ă©vident Ă 
nos yeux, nous ne savons pas ici sur quoi repose cette affirmation et si elle est — ou si
elle pourrait ĂȘtre — confirmĂ©e par une quelconque Ă©tude expĂ©rimentale.


   Certains cliniciens affirment que la virilité du pÚre est davantage un obstacle dans
l’exercice de sa paternitĂ©, un frein qui l’empĂȘcherait d’en profiter pleinement :


           « Le pÚre peut, comme la mÚre, établir une véritable relation
         symbiotique avec son bébé, à condition de savoir mettre en sommeil
         sa masculinité traditionnelle.
           « Nous savons aussi qu’à la naissance de son enfant les premiĂšres
         relations qu’il a eues avec sa mĂšre sont rĂ©activĂ©es. La qualitĂ© de son
         intimitĂ© avec son bĂ©bĂ© sera d’autant meilleure qu’il se laissera
         dépasser par sa féminité primaire (Lefort M.-C. et Discour A., op. cit.,
         in Marciano, 2003). »



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   Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©e, Fitzhugh Dodson (2002) soutient que « beaucoup de
pĂšres s’écartent des jeunes enfants parce que, au fond d’eux-mĂȘmes, ils pensent qu’il
n’est pas viril de tenir un bĂ©bĂ© dans ses bras. »


   Dans ces conditions, nous constatons que les auteurs font effectivement Ă©tat d’une
part masculine et d’une part fĂ©minine en l’homme, et que ce serait la part fĂ©minine qui
lui permettrait d’accĂ©der Ă  son enfant lorsque c’est encore un nourrisson. De maniĂšre
aussi consensuelle que tacite, le rapport au nouveau-né est ici placé sous le signe de la
fĂ©minitĂ© et reste sous l’hĂ©gĂ©monie maternelle.


   D’une part, nous tenons Ă  signaler que ces affirmations ne semblent guĂšre Ă©tayĂ©es
par des observations objectives et que leur validité est par conséquent contestable.
D’autre part, GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) souligne qu’« il ne nous semble pas
qu’ĂȘtre homme ou ĂȘtre femme, appartenir au sexe masculin ou au sexe fĂ©minin,
diffĂ©rencie profondĂ©ment l’expĂ©rience du devenir-pĂšre de celle du devenir-mĂšre ».




   1.3. ASPECTS PHYLOGENETIQUES : DE LA CELLULE A
         L’HOMME



       1.3.1. La transmission des gĂšnes

   D’aprĂšs ce que nous dit la biologie aujourd’hui, la perpĂ©tuation de la vie sur Terre
ne s’est effectuĂ©e que grĂące Ă  la transmission, d’une gĂ©nĂ©ration Ă  une autre, des gĂšnes
inscrits sur les molĂ©cules d’ADN par le truchement de la reproduction. Ce groupe de
molécules est effectivement indispensable à la bonne structuration des cellules de
l’organisme issu de la reproduction.
   Nous en connaissons l’importance et nous savons que certaines espĂšces vĂ©gĂ©tales ou
animales ont mis au point des stratégies particuliÚrement astucieuses, complexes et
coĂ»teuses en Ă©nergie pour s’assurer une fidĂšle transmission desdites molĂ©cules. Elles
constituent le patrimoine de l’espùce, la trace de toutes les adaptations qu’elle a su
mettre en place pour rĂ©pondre aux alĂ©as plus ou moins menaçants de l’environnement.

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    Le psychanalyste Bernard This affirme que lorsque la fécondation a eu
lieu, « l’individu porteur des gĂšnes peut disparaĂźtre ; il a transmis le "germen" que son
corps vĂ©hiculait. En tant que "gĂ©niteur", il n’est plus nĂ©cessaire, sa tĂąche est
accomplie. » (This, 1980). Cela est vrai pour les organismes qui ne nécessitent pas
d’éducation, ni mĂȘme d’élevage.
    Il en est ainsi des protozoaires, des bactĂ©ries, etc., mais cela s’applique assez peu
aux mammifùres, et encore moins à l’homme. Cette remarque ne tient pas compte de
l’évolution possible de l’organisme issu de la reproduction ni du dĂ©sir spĂ©cifique Ă  l’ĂȘtre
humain de transmettre sa culture et ses biens.



          1.3.2. Les mammifĂšres

    Les mammifĂšres doivent leur nom au fait que la femelle porte des mamelles, c'est-Ă -
dire que tous les petits mammifÚres sont entiÚrement dépendants de leur mÚre pendant
le temps de l’allaitement. Le mĂąle s’occupe gĂ©nĂ©ralement d’assurer la protection de la
femelle contre d’éventuels prĂ©dateurs ainsi que de lui rapporter de la nourriture.
    Bernard This fait Ă©galement remarquer que le mĂąle intervient le plus souvent dans
un second temps auprùs des petits et de leur prise en charge. Il peut notamment s’en
occuper lorsque l’allaitement est terminĂ©, ou bien encore pendant celui-ci, en dehors des
tétées.


             « Pour la plupart des zoologues, tout se passe en effet comme si
           l’instinct paternel n’existait pas, ne pouvait pas, ne devait pas exister
           – alors que la conduite de beaucoup d’animaux prouverait plutît le
           contraire, notamment chez les Primates (This, 1980). »


    L’étude des gorilles rĂ©vĂšle l’importance du mĂąle auprĂšs des petits. Bernard This
rapporte les conclusions d’une observation rĂ©alisĂ©e sur des gorilles en captivitĂ©. Les
femelles Ă©levĂ©es en captivitĂ© sans mĂąle semblent ne plus savoir s’occuper
convenablement de leurs petits : elles les frappent, les nourrissent de maniĂšre
inappropriĂ©e, etc. Lorsqu’on introduit un mĂąle Ă  leurs cĂŽtĂ©s, elles se montrent alors



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davantage capables d’élever les petits (This, 1980). D’autre part, il note que « le
"paternage" est une activité importante de la vie des gorilles », notamment par le jeu.


   Pour Didier Dumas (1999), ce qui « diffĂ©rencie la sexualitĂ© de l’homme de celle des
autres mammifĂšres est d’ĂȘtre langagiĂšre » et cette diffĂ©rence est capitale. La nier peut
ĂȘtre pathogĂšne. L’enfant est autant le produit de l’acte sexuel qu’un objet de dĂ©sir, un
« projet ». Il insiste sur cet aspect nodal de la conception de l’enfant en affirmant
qu’« un enfant n’est pas seulement le produit des deux cellules qui se sont rencontrĂ©es
dans le corps de sa mĂšre » mais qu’« il est tout d’abord celui des paroles, des dĂ©sirs et
des fantasmes qui ont permis à ces deux cellules de se rencontrer » (Dumas, 1999).


   Un autre point de vue nous est apporté par GeneviÚve Delaisi de Parseval (1981) qui
cite Th. Benedek : « Au regard de la procrĂ©ation, l’homme et la femme, le pĂšre et la
mÚre, ont un fonctionnement identique ». Ceci nous montre à quel point les théories
divergent en ce qui concerne la spécificité de la reproduction humaine par rapport à la
reproduction animale, d’autant plus que ses thĂ©ories sont Ă©chafaudĂ©es le plus souvent
sur des observations cliniques et non sur des mesures objectives issues d’un protocole
expérimental.


   En observant les mammifĂšres, nous apercevons quelques attitudes parentales
proches de celles que nous constatons chez les humains. Mais gardons-nous de tout
anthropomorphisme, et n’oublions pas que la famille telle que nous la connaissons n’a
rien d’universel. Au contraire, « la famille humaine est par essence artificielle »
(Delaisi de Parseval, 1981).




   1.4. L’APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE : LES PERES
         D’AILLEURS


   AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© l’aspect animal de la paternitĂ©, nous maintenant poursuivre selon
un autre axe : quid de la paternité chez les peuples non industrialisés ? Comment se
comportent les pÚres sur les autres continents ? Comme nous le précise Françoise



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Hurstel (1996), « chez nous, il y a un pÚre. Et quand il y en a plusieurs on se demande
[
] quel est le vrai ».



       1.4.1. D’autres modĂšles de paternitĂ©

   La paternitĂ©, telle qu’elle est dĂ©crite dans les dĂ©finitions que nous avons citĂ©es
(v. chapitre 1.1. Quelques définitions, p. 15), est propre à notre civilisation occidentale.
Nous pensons pouvoir dĂ©gager des lois universelles Ă  son sujet, certains vont jusqu’à
parler d’instinct de paternitĂ©, alors que le pĂšre se comporte de façon tout Ă  fait originale
dans certains peuples. Il existe en effet de multiples façons pour le pĂšre d’ĂȘtre en
relation avec ses enfants, avec la mĂšre de ceux-ci, avec ses propres parents, avec la
société en général.
   Dans Totem et tabou (1965), Freud relÚve cet exemple : « un homme appelle pÚre
non seulement celui qui l’a engendrĂ©, mais aussi tout homme qui, d’aprĂšs les coutumes
de la tribu, aurait pu épouser sa mÚre et devenir son pÚre. »
   « Dans d’autres sociĂ©tĂ©s, c’est le pĂšre lĂ©gal qui Ă©duque et aime les enfants d’une
femme avec laquelle il vit, mĂȘme s’il sait qu’il n’a pas participĂ© Ă  la procrĂ©ation. »
(Delaisi de Parseval, 1981). Il existe des sociĂ©tĂ©s matrilinĂ©aires oĂč la filiation se fait par
la mĂšre et non par le pĂšre. On imagine mal Ă  quel point une simple diffĂ©rence d’état
civil peut modifier l’organisation de la famille tout entiĂšre, et par consĂ©quent, celle de la
sociĂ©tĂ©. Parfois, les filiations peuvent ĂȘtre croisĂ©es : les filles sont Ă©duquĂ©es par le pĂšre,
alors que les fils sont Ă©duquĂ©s par la mĂšre, l’éducation inscrivant l’enfant dans une
lignée spécifique. Les générations se suivent donc de maniÚre exclusivement
hétérosexuelle.
   Sigmund Freud (1965) nous fait remarquer qu’il « est Ă©tonnant que mĂȘme ces
problĂšmes relatifs Ă  la vie psychique des peuples puissent ĂȘtre rĂ©solus, en partant d’un
seul point concret ; celui de l’attitude Ă  l’égard du pĂšre ». Effectivement, dans toutes les
sociétés et à toutes les époques, le rapport au pÚre est absolument déterminent pour
comprendre l’organisation sociale et « la vie psychique » du peuple. Freud observe que
cette attitude est en rĂ©alitĂ© articulĂ©e autour de l’interdit de l’inceste, interdit d’oĂč a
dĂ©coulĂ© une autre rĂšgle : l’exogamie. C’est ce que formule Christine Castelain-Meunier
dans La paternitĂ© (1997) : « DĂ©finir et identifier le lien paternel autour de l’interdit de
l’inceste a permis d’organiser la reproduction de l’espĂšce. »


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   Il existe cependant des sociétés qui tiennent compte du besoin de paternité de ceux
qui ne peuvent pas avoir d’enfants du fait de leur ñge, de leur situation sociale ou
familiale, « ce qui montre une fois de plus que la paternité ne rime pas forcément ni
avec couple, ni avec fertilité, ni avec jeunesse, composantes pratiquement considérées,
dans nos sociétés, comme des conditions sine qua non de son existence » (Delaisi de
Parseval, 1981).



       1.4.2. La couvade

   Rappelons la définition de la couvade, telle que nous la trouvons depuis trÚs peu de
temps dans nos dictionnaires : « Couvade : Ethnol. Coutume rencontrée dans certaines
sociĂ©tĂ©s oĂč, aprĂšs l’accouchement, c’est le pĂšre qui tient le rĂŽle de la mĂšre. »
(Dictionnaire Larousse, 1998).
   Avec plus de précision, GeneviÚve Delaisi de Parseval (1981) apporte la différence
suivante : la couvade dite « rituelle » est un « ensemble de comportements prescrits
(obligations et interdits) du pĂšre, associĂ©s Ă  la naissance d’un enfant » alors que la
couvade dite « psychosomatique » est l’ensemble des « phĂ©nomĂšnes psychosomatiques
associés à la paternité ». On a observé en effet que le pÚre, dans certains peuples,
occupait une place privilĂ©giĂ©e autour de la grossesse et aprĂšs l’accouchement. Il lui
arrive alors d’imiter les douleurs de la parturiente, de s’allonger et de recevoir les
doléances des autres membres du village.
   Les troubles relatifs à la grossesse de la conjointe sont de plus en plus fréquemment
rapportĂ©s par les cliniciens qui ont l’occasion de recevoir des futurs pĂšres. Ils sont de
plusieurs ordres, certains imitant ostensiblement la déformation du corps de la mÚre,
d’autres, plus discrets ou plus symboliques : troubles digestifs, douleurs abdominales,
problĂšmes de transit, lombalgie, troubles dentaires, prise de poids sont les plus courants.
On rapporte Ă©galement des cas de dĂ©compensation psychotique ou d’épisodes
psychotiques aigus contemporains de la paternité.
   À propos de ce type de couvade, Françoise Hurstel (1996) affirme qu’elles sont
« une maniÚre de réaliser imaginairement la deuxiÚme partie du chemin qui mÚne de
l’annonce de la paternitĂ©, Ă  l’élaboration d’ĂȘtre pĂšre », alors que pour Jacqueline Kelen
(1986), il s’agirait d’un « dĂ©sir de parturition », « plus ou moins refoulĂ© Ă  l’ñge adulte ».
Le sens de ces manifestations se situeraient entre une sympathie pour la mÚre et un désir


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de l’imiter, voire de la remplacer complĂštement, c'est-Ă -dire de l’éliminer. Le pĂšre,
n’ayant « toujours pas le droit de montrer sa sensibilitĂ©, ses Ă©motions » (Kelen, 1986),
en est réduit à cette somatisation plus ou moins histrionique.
   Au sein des peuples pratiquant la couvade rituelle, le sens des symptîmes n’est
cachĂ© pour personne, pas mĂȘme pour le pĂšre (ou le futur pĂšre) qui semble parfois tout Ă 
fait conscient de la façon dont il imite la mÚre. En revanche, dans notre société, « les
pĂšres en "couvade" n’ont en gĂ©nĂ©ral aucune idĂ©e du motif possible de leurs symptĂŽmes,
gommant (consciemment) tout lien avec la grossesse de leur épouse », ce qui ne serait
que la consĂ©quence d’un « dĂ©ni de la paternitĂ© dans la culture occidentale
contemporaine » (Delaisi de Parseval, 1981). Pour Didier Dumas (1999), cette situation
est plus préoccupante encore :


           « Notre société semble ignorer que devenir pÚre est un acte mental
         impliquant obligatoirement l’homme dans son statut affectif et
         pensant. Les peuples pratiquant la couvade considĂšrent au contraire
         que la paternitĂ© est un Ă©tat qui ne peut ĂȘtre affrontĂ© sans prĂ©paration
         ni précautions. »


   Le pĂšre n’est pas accompagnĂ© pour vivre cette importante transition, il n’existe
aucun rituel d’intĂ©gration, aucun certificat de paternité  C’est justement pour combler
ce vide que le livret de paternité est remis depuis peu aux nouveaux pÚres.




   1.5. L’APPROCHE HISTORIQUE : LES PERES D’AUTREFOIS

   Avant de pouvoir relever et apprĂ©cier les spĂ©cificitĂ©s des pĂšres d’aujourd’hui, ainsi
que les éventuels changements dans leurs pratiques ou dans les représentations, un bref
parcours de l’histoire de la paternitĂ©, de l’AntiquitĂ© Ă  nos jours, nous permettra de les
situer plus prĂ©cisĂ©ment par rapport Ă  nos ancĂȘtres. Effectivement, il est nĂ©cessaire de
comparer les pĂšres contemporains avec leurs lointains parents afin de mieux estimer le
chemin parcouru de ce qu’ils Ă©taient Ă  ce qu’ils sont devenus.
   Comment a évolué la relation entre époux ? Et la relation du pÚre à ses enfants ?
Qu’en est-il du rapport du pĂšre Ă  la communautĂ© ou Ă  la sociĂ©tĂ© ? Quelle Ă©tait l’étendue


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de son autorité ? Au cours de cette partie, nous nous intéresserons en particulier à
l’image du bon pĂšre, au pĂšre idĂ©al tel qu’il pouvait ĂȘtre perçu aux diffĂ©rentes Ă©poques
de l’histoire.


    Il est important de noter que les informations que nous pouvons recueillir
aujourd’hui au sujet des pĂšres de l’antiquitĂ© ne concernent que ceux appartenant Ă  une
classe relativement aisée, voire les familles exclusivement nobles. Sur les familles plus
pauvres et parfois sur la famille moyenne, il ne nous reste que trĂšs peu d’élĂ©ments
tangibles.
    Il n’y a jamais eu un modĂšle unique de paternitĂ©, il a toujours variĂ© en fonction de la
classe sociale mais Ă©galement en fonction de multiples facteurs. Comme le souligne
Castelain-Meunier (1997) : « Il y a toujours eu [
] une pluralitĂ© de pĂšres ». Nous
verrons néanmoins que cette diversité a évolué à travers les ùges, en fonction de la
richesse économique, de la politique, du droit de la famille et plus récemment, des
avancĂ©es en matiĂšre d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation.



        1.5.1. Le pĂšre Ă  l’antiquitĂ©

    Le pater familias est le chef de famille. C’est lui la seule et unique autoritĂ© de la
famille. Il dĂ©cide de tout, sans l’intervention de l’État. Il s’occupe de l’éducation de ses
fils, lorsqu’ils ont dĂ©jĂ  un certain Ăąge. C’est lui qui est responsable de « transmettre le
savoir au fils » (Castelain-Meunier, 1997). Le culte des anciens ne survit que parce que
le pÚre se charge de le révéler à sa descendance.
    Ce sont Ă©galement les pĂšres qui arrangent les mariages des leurs enfants. Ces
derniers n’ont pas le droit de contester ses dĂ©cisions, et son autoritĂ© est soutenue par la
collectivitĂ© comme garante de l’ordre et de la perpĂ©tuation des valeurs constitutives du
groupe.
    Il peut décider à tout moment, et sans avoir à argumenter plus avant, de déshériter
un de ses enfants, de le faire emprisonner, voire de le tuer. « Le Pater est celui qui
donne la vie et la mort. » (Mulliez, J. in Delumeau et Roche, 2000).
    Cette toute-puissance que rien ne semble réellement entraver, la potestas (du latin,
puissance) n’est transmise au fils qu’à la mort du pùre. Ainsi, si ce dernier, s’il est
grand-pĂšre, a autoritĂ© sur son fils mariĂ©, la femme et les enfants de son fils. Ce n’est que


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lorsqu’il meurt que le fils peut (enfin !) profiter de ce pouvoir et assumer cette
responsabilité.


    En revanche, à cette époque, « la paternité biologique importe peu, seule la volonté
de reconnaissance de l’enfant par le pĂšre compte » (Castelain-Meunier, 1997).
Autrement dit, « [les] Romains ne voulaient croire qu’à une paternitĂ© adoptive »
(Delaisi de Parseval, 1981). En effet, la paternitĂ© ne pouvant ĂȘtre prouvĂ©e de façon
formelle et ne reposant que sur la fidĂ©litĂ© de la femme, les enfants nĂ©s d’un autre pĂšre
peuvent ĂȘtre adoptĂ©s par le pĂšre comme les siens propres, de mĂȘme que les enfants qu’il
a conçus peuvent ĂȘtre adoptĂ©s par une autre famille. Dans toutes ces dĂ©cisions, le pĂšre
ne tient aucun compte de la parole de la mĂšre.
   Ainsi, seule la volontĂ© de l’homme fait le pĂšre, et celui-ci est seul Ă  dĂ©cider. Les
liens unissant l’enfant à la mùre ne semblent guùre reconnus comme primordiaux et ne
sont par conséquent pas pris en compte.



       1.5.2. Le pùre au Moyen-Âge

   Au Moyen Âge, la sociĂ©tĂ© est quasi exclusivement communautaire. Le bien-ĂȘtre de
l’individu cĂšde la prioritĂ© Ă  l’équilibre du groupe et la pĂ©rennisation de ses valeurs.
D’autre part, hormis quelques riches familles à l’abri du besoin, la vie est en
permanence menacée par les guerres ou les famines. Une grande partie de la population
vit dans une telle précarité que la survie du groupe, notamment par la protection des
enfants, devient la seule fin souhaitĂ©e par chacun. D’un point de vue Ă©conomique, la
famille constitue une unité de production (Hurstel, 1996).
   Le pÚre reste, et de loin, le seul référent juridique de la famille. Il doit répondre de
ses enfants, mais aussi de sa femme. En revanche, la potestas a été sérieusement
entamĂ©e : « le pĂšre n’a plus Ă  cette Ă©poque-lĂ , comme au temps des Romains, le droit de
vie et de mort sur ses enfants » (Castelain-Meunier, 1997). DÚs lors, le pÚre est limité
dans l’exercice de son autoritĂ©. En l’occurrence, ce n’est pas encore le psychologue ou
l’assistante sociale qui interviennent auprĂšs des familles, mais c’est « le juge
ecclĂ©siastique [qui] s’introduit peu Ă  peu dans la vie privĂ©e. » (Castelain-Meunier,
1997). La religion confirme donc au pĂšre sa position de chef de famille incontestable en



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faisant de la famille le modĂšle unique, et en mĂȘme temps restreint son pouvoir en
contrĂŽlant ses abus.
    Pour Françoise Hurstel (1996), on assiste alors Ă  « la lente mainmise de l’Église
catholique sur les pratiques matrimoniales ». En conséquence, « le pÚre est devenu
"celui que le mariage dĂ©signe" ». Ainsi, l’Église est l’institution qui cautionne les
valeurs de la famille, qui lĂ©gitime la filiation par l’intermĂ©diaire du mariage. En outre,
les Ă©poux ne s’unissent par le mariage religieux pas tant par amour, que pour fonder un
foyer, avoir des enfants Ă  qui transmettre les biens et le savoir hĂ©ritĂ©s des ancĂȘtres. Le
fait que le mariage soit nĂ©cessairement fĂ©cond a pour consĂ©quence qu’il « ne peut se
concevoir sans enfant. » (Castelain-Meunier, 1997). La paternité est garantie
uniquement par la virginité de la femme au moment du mariage.
    La domination de l’homme sur la femme n’est pas rĂ©ellement remise en cause,
d’autant plus que « la complĂ©mentaritĂ© biologique interprĂ©tĂ©e dans le sens de la
subordination de la femme Ă  l’homme est sublimĂ©e dans l’acte d’engendrement »
(Castelain-Meunier, 2002).
    L’homme, pour ĂȘtre un bon pĂšre de famille, est alors nĂ©cessairement courageux,
pour pouvoir assurer la protection des siens ; instruit, pour enseigner Ă  ses enfants le
sens des valeurs qu’il leur transmet ; pieux et respectueux des rĂšgles dictĂ©es par le
clergĂ© : « la gĂ©nĂ©rositĂ© le caractĂ©rise dans son amour d’autrui, ainsi que sa certitude de
faire le bien », il « contrĂŽle ses Ă©motions et il doit ĂȘtre doux » (Castelain-Meunier,
1997). L’idĂ©al du pĂšre autoritaire et distant est progressivement supplantĂ© par l’image
d’un pĂšre plus proche et plus soucieux de la bonne croissance de sa progĂ©niture.
Cependant, le pĂšre de cette Ă©poque ne s’intĂ©resse rĂ©ellement Ă  son enfant qu’à partir de
l’ñge de raison, c'est-à-dire sept ans.



        1.5.3. Le pĂšre Ă  l’époque moderne

    De nombreux changements vont Ă©branler l’autoritĂ© paternelle. Sans disparaĂźtre
totalement pour autant, elle en sera néanmoins sérieusement limitée. « Pourtant, le
pouvoir du pùre, comparativement à celui de la femme, n’en demeure pas moins trùs
fort d’un point de vue institutionnel, juridique, social et culturel » (Castelain-Meunier,
2002). Le public se sépare de plus en plus du privé, on différencie la production de la
reproduction. L’éducation des fils est sous la responsabilitĂ© du pĂšre, tandis que la mĂšre


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s’occupe de celle des filles. Les fils reçoivent l’enseignement des « valeurs de la sociĂ©tĂ©
industrielle » alors que les filles héritent de la mÚre « son infériorité » et « son savoir-
faire ménager » (Castelain-Meunier, 2002). Le pÚre est alors décrit selon des
« caractĂ©ristiques de force, sĂ©vĂ©ritĂ©, richesse et culture
 » (Hurstel, 1996). Le pĂšre
idĂ©al fait davantage figure d’exemple pour l’enfant devenant adulte que la mĂšre idĂ©ale.
Jusqu’à la fin du XIXe siĂšcle, la question de la fĂ©minisation de l’homme s’occupant de
ses enfants ne se pose pas.
    Avant la RĂ©volution, le pĂšre connaĂźt l’« Ăąge d’or » de la paternitĂ©, pendant lequel
son pouvoir rappelle ceux du pater familias. Mais cette fois-ci, son autorité paraßt
excessive, inquiĂ©tante, contestable. L’EncyclopĂ©die de 1755 rapporte que lorsque
l’éducation de l’enfant est finie, l’autoritĂ© du pĂšre s’arrĂȘte, ce qui fait Ă©galement de
l’autoritĂ© un moyen d’éducation au profit des enfants Le pĂšre est Ă©coutĂ© pour ses
conseils et respecté, mais ses fils et lui deviennent égaux en droit. De plus, les fils
bĂ©nĂ©ficient de la libertĂ© de l’administration de leurs biens dans le but de favoriser le
développement économique.
    Les hommes et les femmes sont considérés trÚs différemment par les textes de loi.
En ce qui concerne l’adultĂšre, par exemple, un important dĂ©sĂ©quilibre au sujet de la
peine encourue les sĂ©pare : l’homme fautif devra s’acquitter d’une simple amende, alors
que la femme risquera la maison de correction. « Corollairement, le droit des enfants,
celui des femmes, épouses et mÚres sont constitués exclusivement de devoirs et
d’obligations » ; la femme « est entiĂšrement "assujettie", dans le mariage, au mari »
(Hurstel, 1996). En revanche, cette Ă©poque connaĂźt la disparition de l’exhĂ©rĂ©dation et la
fin du droit d’aĂźnesse, ce qui impose une rĂ©partition plus homogĂšne parmi les diffĂ©rents
héritiers, et ce, quelle que soit leur position dans la fratrie.
    Françoise Hurstel (1996) fait remarquer à propos de Guyot (1780) que celui-ci
trouve « normal que le pÚre ait un droit de "correction paternelle" ». Rappelons que,
mĂȘme si la vie du fils n’est plus lĂ©galement entre les mains du pĂšre, ce droit de
correction peut toutefois correspondre Ă  un emprisonnement. Dans la mĂȘme lignĂ©e, le
projet Jacqueminot du Code civil en 1804, propose un retour en arriĂšre et remet en
avant la nĂ©cessitĂ© du pĂšre Ă  disposer d’une totale autoritĂ© afin de mieux diriger les
membres de sa famille. En contrepartie, le pĂšre est tenu de pourvoir aux besoins de la
famille. DĂšs lors, lorsque ceux-ci ne sont pas satisfaits, le pĂšre peut ĂȘtre jugĂ© et puni.
Avec l’industrialisation, le modĂšle de paternitĂ© Ă©volue vers des idĂ©aux de rĂ©ussite
professionnelle, d’ascension sociale, d’ambition concernant l’influence ou le pouvoir.

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       1.5.4. Le pĂšre Ă  l’époque contemporaine

   AprĂšs la RĂ©volution, un grand pan de l’institutionnalisation du mariage tombe : le
mariage religieux n’est plus obligatoire, ce qui est le premier grand mouvement dans la
tendance à la sécularisation de la famille.
   Sur un autre versant, le débat fait rage pour connaßtre le fondement du mariage. Est-
il naturel ou bien est-ce un simple contrat social ? Ce débat est crucial pour le statut de
la paternitĂ©. En effet, si le mariage est naturel, la paternitĂ© l’est Ă©galement, et le divorce
est impossible. Dans le cas contraire, le divorce est envisageable. Bonaparte prend le
parti de faire du mariage un contrat civil en 1791. Par la suite, le divorce sera supprimé
en 1816, puis de nouveau autorisé en 1884 (Théry, 1994).


   Toujours dans le mĂȘme mouvement de diminution de l’autoritĂ© du pĂšre sur ses
enfants, le 28 août 1792, une nouvelle loi postule que « les majeurs ne seront plus
soumis Ă  la puissance paternelle, elle ne s’étendra que sur la personne des mineurs »
(Castelain-Meunier, 1997). On assiste ainsi à une « prise de distance par rapport à la
morale religieuse » et à un mouvement de plus en plus déterminé « vers la société civile
laïque » (Castelain-Meunier, 1997).
   Les institutions publiques s’immiscent progressivement au sein du foyer dans un but
de prophylaxie Ă©ducative. On entend alors parler de « l’intĂ©rĂȘt de l’enfant ». Par
consĂ©quent, le 30 octobre 1935, on assiste Ă  l’abolition de la « correction paternelle ».
En 1945, les femmes acquiĂšrent leur premier droit civique, le droit de vote. Elles
obtiennent ainsi la reconnaissance de leur identité, distincte de celle de leur famille ou
de leur mari. Par la suite, « les mÚres deviennent les interlocutrices privilégiées de
l’État, pour la question des enfants » (Castelain-Meunier, 1997).
   Dans le prolongement de la loi de 1889 sur la déchéance des pÚres indignes, les
deux psychiatres Luccioni et Sutter (1957) évoquent pour la premiÚre fois la « carence
paternelle » et la « carence d’autoritĂ© ». Pour y remĂ©dier, ils proposent de « rĂ©intĂ©grer le
pÚre à sa place ».


   Mais l’évĂ©nement majeur est, pour beaucoup, l’arrivĂ©e de la pilule contraceptive
dans les foyers. Cette importance déterminante est soulignée par GeneviÚve Delaisi de
Parseval (1981) : la « révolution contraceptive » a eu pour conséquence de « réinvestir
le pÚre ». Il faisait des enfants « à sa femme », il les fait maintenant « avec sa

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compagne ». Ce nouveau contrÎle des naissances bouleverse la conception de la
famille : les enfants ne sont plus le fruit du hasard, de la fatalité mais bien plutÎt choisis,
attendus et dĂ©sirĂ©s. Cette situation permet au pĂšre de s’impliquer dans le projet de
l’agrandissement de la famille.
    Autour de la deuxiÚme guerre mondiale, un bon pÚre est « un chef, assumant
l’autoritĂ© sur femme et enfants, cultivĂ©, gĂ©nĂ©reux, jusqu’à l’abnĂ©gation, ayant un sens
moral et religieux » (Hurstel, 1996). On constate que le pÚre est encore, et ce depuis
l’AntiquitĂ©, le responsable de la transmission des valeurs, de la pratique de la religion
ou du culte, et, bien entendu, le dĂ©tenteur de l’autoritĂ©. À ce sujet, Françoise Hurstel
(1996) constate qu’un demi-siĂšcle plus tard, ce modĂšle de pĂšre tout-puissant s’écroule.
Le modÚle unique de paternité disparaßt pour laisser place à une multitude de modÚles
différents. Le modÚle de la mÚre, lui, ne semble pas fondamentalement ébranlé en
comparaison de ce qu’il Ă©tait au siĂšcle prĂ©cĂ©dent. « La paternitĂ© Ă©tait, il y a encore une
trentaine d’annĂ©es, vĂ©cue et perçue en France comme une unitĂ© fonctionnelle insĂ©cable
et placĂ©e sous l’égide d’une institution stable, le mariage. Elle ne cesse de se morceler
sous nos yeux en ses constituants les plus intimes » (Hurstel, 1996).


    Alors que depuis des siĂšcles la sociĂ©tĂ© est centrĂ©e sur l’intĂ©rĂȘt de la communautĂ©,
sur la survie de la culture, des valeurs et des traditions du groupe, l’individu se
démarque de plus en plus, revendique une place indépendante de celle des différents
groupes auxquels il appartient et, en particulier, indépendante de la famille. Pour
François de Singly (1993), c’est l’émergence du souci de « chacun pour soi ». La
famille a alors un nouvel objectif, une nouvelle mission : elle consiste à « produire de
l’identitaire » (Castelain-Meunier, 1997).
    Dans les années 60, le mouvement féministe critique sévÚrement le modÚle de la
femme au foyer (Singly, 1993). Les mÚres sont idéalisées sur le plan du savoir-faire
avec les enfants. L’instinct maternel suffit à faire de la mùre la seule personne capable
de penser l’enfant, de connaütre ses besoins et ses limites. On en vient à poser
explicitement la question de la nature du rĂŽle du pĂšre (Hurstel, 1996).
    La disparition de la puissance paternelle s’accompagne du partage de l’autoritĂ© entre
les deux parents dĂšs 1970. Cette loi est dĂ©terminante dans l’évolution de la paternitĂ© en
France. DĂšs lors, le rapport entre les conjoints est Ă©quilibrĂ© et l’intĂ©rĂȘt de l’enfant est
placé directement sous la responsabilité des parents. Les membres de la famille
contemporaine communiquent selon un « type de relations oĂč le respect de la parole de

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l’autre prime sur l’exercice d’un pouvoir » (Hurstel, 1996). Le paterfamilias laisse sa
place Ă  deux partenaires engagĂ©s auprĂšs de l’enfant.
   Le phénomÚne de la « dévalorisation de la dépendance intergénérationnelle »
(Singly, 1993) est peut-ĂȘtre Ă  l’origine d’une « diffĂ©renciation importante en l’espace de
deux générations » (Hurstel, 1996).
   Le pĂšre est perçu comme s’efforçant de concilier famille et travail ainsi que de crĂ©er
de nouvelles relations avec ses enfants. Ces relations plus sensuelles sont initiées par la
possibilitĂ© pour le pĂšre d’avoir accĂšs Ă  de nouvelles perceptions du bĂ©bĂ© : l’haptonomie
et l’échographie (et plus tard, l’échographie 3-D).


   Le sentiment de paternitĂ© s’exprime aujourd’hui davantage en terme de
responsabilitĂ©, d’engagement, de partage du quotidien, de fiertĂ©. Ces changements nous
amĂšnent Ă  penser que la paternitĂ© n’est ni universelle, ni immuable.


           « Ces mises en cause mettent au jour le fait que la paternité, comme
         la maternitĂ© d’ailleurs, ne sont pas des Ă©tats naturellement donnĂ©s aux
         hommes et aux femmes, et par-lĂ , immuables, mais des statuts, des
         rÎles, des comportements qui évoluent au gré des transformations de
         la société (Modak et Palazzo, 2002). »


   En effet, le pĂšre n’a pas toujours eu le mĂȘme rĂŽle familial ni le mĂȘme statut social.
Son autoritĂ© a Ă©tĂ© considĂ©rablement restreinte au cours des siĂšcles et en mĂȘme temps
s’est dĂ©veloppĂ© chez lui le sentiment qu’il Ă©tait responsable du bien-ĂȘtre et du devenir
de l’enfant.



       1.5.5. L’avenir des pùres

   Il y a plus de vingt ans maintenant, GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) faisait des
prédictions sur les pratiques des pÚres :




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           « Entre le pĂšre d’il y a vingt ans qui, "dans les grandes
         circonstances", changeait son bébé ou donnait le "biberon de minuit",
         et le pùre de l’an deux mille (petit garçon de cinq ans maintenant) qui,
         institutionnellement, « couvera », il y a loin
 Pas tant que ça,
         cependant : l’idĂ©ologie de la spĂ©cialisation sexuelle aura changĂ©,
         c’est tout. »


   Il serait audacieux de tracer, mĂȘme dans ses grandes lignes, le portrait du pĂšre du
prochain siĂšcle. L’évolution qu’il a suivie depuis plusieurs siĂšcles, et plus
particuliÚrement au cours de deux générations, nous fait comprendre que la paternité est
influencée par un trÚs grand nombre de variables :


      un instinct probablement hérité des animaux, notamment des primates ;
      un cadre politique et juridique délimitant les droits et des devoirs par
      l’intermĂ©diaire desquels elle peut s’exprimer ;
      un contexte économique conditionnant la charge de travail et la présence du pÚre
      à la maison, mais aussi la quantité et la qualité des activités de loisirs partagées
      avec les enfants ;
      des représentations sociales qui évoluent en fonction des pratiques mais
      également en fonction des images véhiculées par les médias ;
      des progrĂšs de l’aide mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation qui mettent Ă  la disposition des
      couples stériles ou porteurs de maladies graves toute une palette de techniques
      permettant malgrĂ© tout d’avoir des enfants.


   En revanche, nous pouvons nous interroger sur la question du devenir du pĂšre Ă  la
prochaine génération. Yvonne Knibiehler (1987) laisse apercevoir un avenir sombre
pour l’autonomie de la famille, entre « utopie » et « totalitarisme », oĂč l’État prendrait
intĂ©gralement en charge l’élevage des enfants afin de rĂ©soudre les difficultĂ©s Ă©ducatives
des parents dépassés par leur tùche.
   Ne faudrait-il pas, dans cette perspective interventionniste de l’État, envisager
d’éventuelles formations qui seraient proposĂ©es aux futurs parents, ou mĂȘme
imposées dans certains cas (parents sortis de prison, anciens toxicomanes, 
) ? On
risque incontestablement d’aller vers une certaine prophylaxie Ă©ducative (« le
totalitarisme ») mais cela permettrait, en revanche, de favoriser l’accĂšs aux progrĂšs

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rĂ©cents de la pĂ©dagogie et de proposer d’autres modĂšles aux parents que les modĂšles de
ceux qui les ont Ă©duquĂ©s (« l’utopie »).


    Jean Le Camus (2000) note Ă  ce sujet qu’il faudrait Ă  l’avenir « expliquer
l’importance du trio familial Ă  tous les Ăąges de la vie », « appliquer une politique
familiale qui favorise un meilleur partage » et « inventer une politique économique et
sociale qui favorise l’exercice de la coparentalitĂ© ». Il souligne l’absence de continuitĂ©
dans la prise en charge des enfants par le pÚre, donc une responsabilité partielle, la vraie
responsable restant la mĂšre.
    En ce qui concerne la mùre, il faudrait qu’elle aussi ait du temps pour jouer avec les
enfants. En se tournant vers l’avenir, il affirme avec vĂ©hĂ©mence qu’une page doit
rĂ©solument ĂȘtre tournĂ©e.


            « À l’aube du XXIe siĂšcle, il ne paraĂźt plus possible de soutenir que
         la fonction du pĂšre n’est lĂ©gitimĂ©e que par le bon vouloir de la mĂšre,
         que cette fonction peut ĂȘtre indiffĂ©remment remplie par un homme ou
         par une femme, qu’elle n’a de prise qu’à partir de l’ñge de 18 mois ou
         Ă  partir du moment oĂč l’enfant est entrĂ© dans le stade Ɠdipien, qu’elle
         se rĂ©duit Ă  l’introduction et Ă  la mise en application de la Loi – autant
         d’affirmations convenues qu’on rĂ©pĂšte Ă  longueur d’ouvrage, sans
         mĂȘme se donner la peine de les soumettre Ă  l’épreuve de l’expĂ©rience
         clinique (Le Camus, 2000). »


    En constatant les conséquences dramatiques du silence ou du manque de
communication de la part du pÚre, Guy Corneau (1989) signale que « la tùche des
nouveaux hommes est de briser les générations de silence masculin ».
    Quoi qu’il en soit, la tendance actuelle laisse pressentir que les enfants
d’aujourd’hui devenus pĂšres seront encore plus prĂ©sents, la rĂ©duction progressive du
temps de travail le leur permettant. Les mĂšres seront probablement de plus en plus
dĂ©lestĂ©es de leurs charges domestiques. Si les lois sur l’égalitĂ© des salaires permettent
aux femmes d’obtenir des revenus supĂ©rieurs Ă  ceux de leurs conjoints, la dĂ©cision de
rester au foyer pour élever les enfants sera moins univoque. Il semble néanmoins
improbable qu’un Ă©quilibre soit atteint sur ce point en si peu de temps, si tant est qu’il
soit atteint un jour.

                                                                                     35
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    1.6. CONCLUSION

    Nous avons abordĂ© les difficultĂ©s de poser clairement les limites d’une dĂ©finition du
pÚre et de la paternité. Il rÚgne également un certain flou autour des définitions du
masculin et du féminin, dÚs lors que ces attributs ne sont pas réservés respectivement
aux hommes ou aux femmes. L’évolution familiale et l’AMP ont contribuĂ© Ă  une remise
en question de ces dĂ©finitions. Il est apparu qu’il existait un profond dĂ©sĂ©quilibre entre
le maternel et le paternel, jusque dans des ouvrages de rĂ©fĂ©rences et mĂȘme en dehors
des aspects physiques périnatals.
    Les observations de primates ont montré que le pÚre avait un rÎle bien plus
important que de simplement fournir la moitié du génome à la mÚre. Il prend
frĂ©quemment en charge les petits Ă  partir d’un certain Ăąge et soutient la mĂšre.
    Avec l’approche anthropologique, la paternitĂ© s’est prĂ©sentĂ©e d’une maniĂšre
originale et nous a fait relativiser les composantes d’un Ă©ventuel instinct paternel.
    Le pĂšre Ă©tait dotĂ© d’une autoritĂ© quasi illimitĂ©e sur sa descendance, mais il a Ă©tĂ©
progressivement limitĂ© dans son exercice. L’État intervient de plus en plus au sein de la
famille, tentant d’empĂȘcher le pĂšre de nuire Ă  l’intĂ©rĂȘt de l’enfant. Aujourd’hui
l’autoritĂ© paternelle a Ă©tĂ© remplacĂ©e par la responsabilitĂ© parentale, par un ensemble de
devoirs des parents Ă  l’égard de l’enfant.
    Fort de tous ces éléments, le pÚre est loin de perdre de son importance pour la
famille et pour ses enfants mais il apparaßt en partie conditionné par le contexte culturel
et social, dĂ©terminĂ© par le lieu et l’époque. Le modĂšle dominant est fluctuant et la
paternité, comme la famille, ne reçoit pas de définition unique qui puisse prétendre à
l’universalitĂ©.




                                                                                        36
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2. NOUVELLES FAMILLES ET NOUVEAUX PÈRES


   Maintenant que nous avons montrĂ© l’aspect culturel de la paternitĂ©, nous allons
prĂ©ciser son environnement aujourd’hui. Les bases de la famille sont Ă©branlĂ©es, mais
certaines pratiques sont également en mutation : nous nous intéresserons en particulier à
la participation du pĂšre Ă  l’accouchement, Ă  la nouvelle relation qui semble s’établir
entre le pÚre et son bébé et aux conséquences éventuelles de la perte de pouvoir des
pĂšres.




   2.1. LA FAMILLE DU XXIE SIECLE

   Comme nous l’avons vu au cours du chapitre prĂ©cĂ©dent, « la famille n’est plus
centrée sur le pÚre » mais la société reste à « domination masculine » (Castelain-
Meunier, 2002). Le cadre juridique de la famille a considérablement évolué avec les
diverses Ă©volutions sociales et Ă©conomiques, mais aussi technologiques et politiques.
Nous traiterons Ă  part (bien qu’ils puissent ĂȘtre liĂ©s) deux des Ă©lĂ©ments qui ont
particuliÚrement influencé cette évolution : le mouvement des femmes de 1970 et la fin
du modĂšle dominant de la famille.



         2.1.1. Le mouvement des femmes

   En 1970, ce mouvement social a radicalement modifié la perception de la place de la
femme dans la sociĂ©tĂ©. Force est de constater que l’équilibre en terme de rĂ©munĂ©ration
n’est toujours pas atteint aujourd’hui. Cependant, l’augmentation du temps de travail
des femmes a eu une conséquence directe : la réduction du temps de présence des
femmes au foyer ! Par conséquent, lorsque ledit foyer inclut un ou plusieurs enfants, ces
derniers seront confiés à un adulte ou à une institution extérieurs au foyer.
   Le mode de garde qui reste le plus « familial » consiste à faire garder les enfants par
leurs grands-parents. Mais pour un trùs grand nombre d’enfants dont les deux parents


                                                                                   37
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travaillent, c’est une nourrice ou une assistante maternelle à domicile, la crùche, la
halte-garderie, etc. qui les accueillera. La diversité des modes de garde et la pénurie de
personnel ou d’infrastructures pour accueillir les « clients » toujours plus nombreux
atteste de maniĂšre flagrante de la disparition progressive du modĂšle dominant de la
femme au foyer.
   Jean Le Camus (2000) fait remarquer à ce sujet que « le taux de féminisation des
mĂ©tiers de la petite enfance est de l’ordre de 98 ou 99% » et que « lorsque l’enfant n’est
pas élevé au domicile par sa mÚre, il est confié presque toujours à des personnes de sexe
féminin ».


   Les études réalisées auprÚs des familles relÚvent toutes le phénomÚne de la « double
journée » de la femme, dans des proportions plus ou moins grandes. « Les femmes
travaillent mais les mùres sont encore celles qui s’occupent des enfants (Hurstel,
1996) ». Et ce sont encore elles qui passent le plus de temps aux tùches domestiques.
   Pour Jean Le Camus (2000) et Christine Castelain-Meunier (1997), la famille est
aujourd’hui un lieu de construction identitaire oĂč l’on privilĂ©gie le dĂ©veloppement
individuel de chacun des membres qui la constitue. En effet, les parents sont toujours
plus soucieux de l’épanouissement des leurs enfants leur proposent pour cela des
activités sélectionnées.



       2.1.2. Les nouveaux modĂšles familiaux

   L’augmentation du travail des femmes a eu de trĂšs nombreuses consĂ©quences. En
vingt ans à peine, « la proportion des femmes en ùge de travailler et qui se trouvent
effectivement sur le marchĂ© du travail n’a cessĂ© d’augmenter » (Le Camus, 2000). Elle
est passĂ©e de 30 % en 1960 Ă  41,7 % en 1980, pour atteindre prĂšs de 50 % aujourd’hui.
En revanche, « le temps partiel touche plus les femmes que les hommes (29,5 % des
actives contre 5,3 % des actifs en 1998) » (Le Camus, 2000). D’autre part, elles sont
largement minoritaires dans les postes de direction en ne représentant que « 30 % des
cadres et 10 % des dirigeants » (Le Camus, 2000).
   Les enfants doivent par consĂ©quent ĂȘtre gardĂ©s soit au domicile, soit Ă  l’extĂ©rieur :
15 % d’entre eux sont gardĂ©s au domicile par une assistante maternelle agrĂ©Ă©e.



                                                                                   38
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Précisons que les enfants de moins de 6 ans « sont gardés par la mÚre dans la moitié des
cas » (Le Camus, 2000).
   Un aspect intéressant est la corrélation observée entre le travail des femmes et le
nombre d’enfants. Effectivement, « entre 25 et 49 ans, neuf femmes sur dix n’ayant pas
d’enfant Ă  charge travaillent » alors que cette proportion diminue Ă  « deux sur trois »
quand elles ont deux enfants, et « une sur deux parmi celles qui ont trois enfants » (Le
Camus, 2000).
   En ce qui concerne la rĂ©partition des tĂąches mĂ©nagĂšres, l’évaluation s’effectue
toujours par questionnaire et non par observation en situation réelle. De ce fait, un
phénomÚne important de désirabilité sociale biaise tous les résultats obtenus. On peut
toutefois constater que « la présence des pÚres auprÚs des enfants a nettement augmenté
depuis les annĂ©es 1960, et mĂȘme depuis les annĂ©es 1980 » (Le Camus, 2000).


   Mais un point qui nous semble plus grave est que, aprÚs une éventuelle séparation
des parents, « sur l’ensemble des enfants vivant avec leur mĂšre, 30 % ne voient plus du
tout leur pÚre » (Villeneuve-Gokalp, 1999, citée par Le Camus, 2000) et « en 1994, plus
des pÚres ne voient plus du tout leurs enfants aprÚs une séparation » (Théry, 1998).
NĂ©anmoins, le modĂšle familial dominant est encore celui que nous connaissons puisque
« la trÚs grande majorité des enfants vivent avec leurs deux parents », soit 83 % des
enfants mineurs (Villeneuve-Gokalp, 1998, citée par Théry, 1998).


   Le taux de divortialité est passé de 22,5 % en 1960 à 38,3 % en 1996 (Théry, 1998).
Cette importante augmentation a des rĂ©percussions sur l’organisation de la famille et sur
le devenir des membres qui la composent. François de Singly (1993) se pose alors la
question suivante : « Est-ce l’absence du pĂšre ou la chute sociale qui provoque
d’éventuels dommages ? »




   2.2. L’ACCOUCHEMENT

   Le vocabulaire relatif à cette expérience ne concerne que la mÚre. Comme le fait
remarquer Dider Dumas (1999), « il n’existe, en français, aucun terme pour nommer
l’état de celui qui attend un enfant ». Cet Ă©tat de fait est certainement Ă  mettre en rapport


                                                                                      39
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avec l’absence de prise en compte des phĂ©nomĂšnes de couvade par la plupart des
cliniciens et par l’ensemble de nos dictionnaires (v. chapitre 1.4.2. La couvade, p. 25).
   L’accouchement est vĂ©cu de maniĂšre trĂšs diffĂ©rente en fonction de la culture du
peuple en gĂ©nĂ©ral et de celle de la famille en particulier. Il peut notamment ĂȘtre
présenté, selon les cultures, « tantÎt comme un moment exclusivement maternel, tantÎt
comme exclusivement paternel (le pĂšre ayant alors le rĂŽle symbolique le plus
important), tantÎt enfin comme exclusivement social » (Delaisi de Parseval, 1981).



         2.2.1. L’évolution de l’accouchement


            2.2.1.1. L’accouchement au cours de l’histoire

   L’expĂ©rience de l’accouchement n’a pas toujours Ă©tĂ© ce qu’elle est aujourd’hui. Non
seulement les pĂšres mais tous les hommes en gĂ©nĂ©ral y Ă©taient interdits, Ă  l’exception du
mĂ©decin qui Ă©tait rĂ©quisitionnĂ© en cas d’urgence pour la mĂšre ou pour l’enfant.
« L’accouchement fut, pendant des siĂšcles, l’affaire des femmes (This, 1980). » Les
hommes étaient ainsi totalement exclus de la venue au monde de leur progéniture, à
l’exception de la naissance des enfants de la reine, pour lesquels la certitude de la lignĂ©e
devait ĂȘtre cautionnĂ©e par la prĂ©sence de tĂ©moins oculaires. Certains pĂšres commencent
alors Ă  imiter cette atteinte Ă  la pudeur de la mĂšre, raisonnant autour du risque d’ĂȘtre
trompé dans la lignée.


   Au XVIe siĂšcle, certains hommes commencent Ă  s’intĂ©resser scientifiquement Ă  la
naissance. Il ne s’agit au dĂ©but que de mĂ©decins ou de chirurgiens, arguant que le
progrÚs de la science méritait que cet interdit séculaire fût transgressé (Kelen, 1986).
   Il n’a pas fallu attendre Freud et la psychanalyse pour comprendre la forte
connotation sexuelle de l’accouchement. C’est d’ailleurs tout à fait conscient de la
situation dĂ©licate dans laquelle se trouve l’accoucheur que « Mauriceau, Ă  la fin du
XVIIe siĂšcle, recommande au mĂ©decin qui pratique l’accouchement d’avoir l’air plutĂŽt
sale et nĂ©gligĂ©, peu avenant, afin de na pas provoquer la jalousie du mari
 » (Kelen,
1986).




                                                                                     40
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   Les arguments pour éloigner les pÚres de cette scÚne ont évolué au cours des siÚcles,
mais sont toujours restĂ©s virulents. Ce n’est que rĂ©cemment que les pĂšres, dans un
mouvement compensatoire excessif de la part des équipes médicales, ont été parfois
contraints à y assister. Certains se sont alors retrouvés à une place à laquelle rien ne les
y avait préparés et qui les débordait affectivement.
   Par la suite, les mĂ©decins s’accaparent ce domaine Ă  tel point que la mĂšre qui
voudrait se passer de lui fait figure d’irresponsable. Cette mĂ©dicalisation a eu Ă©galement
un autre effet : « l’accoucheur a souvent Ă©cartĂ© le pĂšre, traitĂ© comme un "gĂȘneur" »
(This, 1980).


            2.2.1.2. L’accouchement aujourd’hui

   En France, les femmes accouchent maintenant presque systématiquement à
l’hĂŽpital. L’argument majeur est le risque de complications ou d’infection. « C’est donc
seulement depuis une vingtaine d’annĂ©es qu’on en est venu Ă  concevoir la prĂ©sence du
pĂšre comme non dangereuse [
], puis comme bĂ©nĂ©fique. (Le Camus, 2000) ». Les
cours de prĂ©paration Ă  l’accouchement proposĂ©s quasi systĂ©matiquement par les
maternités des hÎpitaux et des cliniques, en évoquant avec exhaustivité les dangers de
l’accouchement, en ont fait un Ă©vĂ©nement particuliĂšrement anxiogĂšne face auquel tous
les moyens doivent impĂ©rativement ĂȘtre mis en Ɠuvre.


   Le pĂšre a fait partie de ces moyens, tantĂŽt favorable, donc forcĂ© d’assister Ă 
l’accouchement, tantĂŽt dĂ©favorable, donc banni de la salle de travail, pour atteindre
aujourd’hui une position plus Ă©quilibrĂ©e et laissant davantage la libertĂ© au pĂšre
 et Ă  la
mÚre. Sur un plan plus technique, on observe également que « les femmes soutenues par
leur compagnon [feraient] moins usage d’analgĂ©siques et [vivraient] l’accouchement
comme une expérience plus "positive" que les femmes sans compagnon » (Le Camus,
2000).


   Les pĂšres, de leur cĂŽtĂ©, manifestent un intĂ©rĂȘt grandissant pour la grossesse et pour
l’accouchement. Ils se documentent, s’investissent davantage dans les diverses
démarches       médicales    (échographies,      visites   médicales,     préparation     à
l’accouchement
).



                                                                                     41
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              « On peut dire dans l’ensemble et de façon objective que les
            différentes équipes des maternités ont noté combien les pÚres sont
            ostensiblement plus présents aux différentes étapes de la grossesse.
            Leur participation à l’accouchement est plus assidue et plus
            fréquente, leur implication plus importante. (Audier L., Blancho A.,
            Callamand P., Malavialle L. et PĂ©rez F. La place des pĂšres en
            maternitĂ© : Ă  propos d’une enquĂȘte : quelques rĂ©flexions, in Marciano,
            2003). »


    Les contraintes professionnelles sont fréquemment citées comme argument pour ne
pas avoir davantage soutenu ou accompagné la future parturiente. Certains en sont
sincĂšrement contrariĂ©s ou frustrĂ©s. D’autre, en revanche, y trouvent peut-ĂȘtre tout
simplement un prétexte pour ne pas assister à ce qui ne les concerne pas ou ce qui les
effraie.
    La dĂ©cision d’assister Ă  l’accouchement vient en gĂ©nĂ©ral spontanĂ©ment aux jeunes
pÚres. Cette décision est rarement contestée par la conjointe, désireuse de partager
l’intensitĂ© attendue de cet Ă©vĂ©nement avec le pĂšre.


    Face Ă  ces changements, Jacqueline Kelen (1986) laisse entendre que cette
apparente rĂ©volution « ne serait en fait qu’un phĂ©nomĂšne artificiel et culturel et signerait
[
] le retour du patriarcat et de certains schémas conventionnels visant à conforter
l’ordre social, moral et familial, et Ă  assurer la prĂ©dominance masculine en tout ». Au
contraire, la prĂ©sence des pĂšres Ă  l’accouchement est, pour Edwige Antier, pĂ©diatre, un
« progrÚs considérable » (Antier, 2001). Elle suggÚre la possibilité pour le pÚre de
passer la nuit auprĂšs de son bĂ©bĂ© et de sa conjointe. Elle regrette mĂȘme le manque de
reconnaissance de l’utilitĂ© du pĂšre de la part du personnel des maternitĂ©s. Sa prĂ©sence
est parfois simplement nĂ©gligĂ©e, mais il arrive qu’elle soit contestĂ©e.



           2.2.2. Une étape dans la paternité

    D’un cĂŽtĂ©, le pĂšre s’en trouve le plus souvent rĂ©duit Ă  tenir passivement la main de
sa conjointe, d’oĂč peut naĂźtre un sentiment d’inutilitĂ© ou de mise Ă  l’écart. De l’autre, on
constate que les pÚres laissent de plus en plus percevoir leurs émotions et décrivent cet


                                                                                     42
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instant comme un Ă©merveillement, une grande joie, une expĂ©rience unique qu’ils ne
rateraient, semble-t-il, pour rien au monde. Précisons cependant que « la naissance du
pĂšre prĂ©cĂšde la naissance de l’enfant et [que] la paternalisation est un processus de
réorganisation identitaire » (Le Camus, 2000). Cette réorganisation est appelée
« rĂ©ciprocitĂ© identificatoire » par Didier Dumas (2000). Il affirme Ă©galement que c’est
grĂące Ă  elle « que nous comprenons l’enfant, en retrouvant celui que nous Ă©tions Ă  son
ùge ».


   La curiosité et le soutien de la mÚre sont les éléments le plus souvent invoqués en
terme de motivation des pĂšres pour assister Ă  l’accouchement. Mais de la curiositĂ© au
voyeurisme, il n’y a parfois qu’un pas, que le refoulement empĂȘche de franchir
consciemment (Kelen, 1986). Malgré cette forte motivation, une certaine frustration
peut naütre de l’impuissance du pùre face aux souffrances de la mùre. D’une maniùre
générale, on constate que « le pÚre prend la place qui lui est laissée par sa compagne ou
son épouse » (Audier L. et al., in Marciano, 2003).


   Pour nombre d’auteurs, cet Ă©vĂ©nement marque une Ă©tape dĂ©terminante dans
l’expĂ©rience nouvelle de la paternitĂ©. Jean Le Camus (2000) souligne ainsi l’influence
de la prĂ©sence du pĂšre Ă  l’accouchement : « le devenir-pĂšre a plus de chances de
s’opĂ©rer dans des conditions favorables s’il est l’expression d’un travail psychologique
commence dÚs le début » (Le Camus, 2000).


   On constate que ce que Jacqueline Kelen (1986) appelle le « sentiment de
paternité » est souvent plus progressif que le sentiment que peut éprouver la mÚre pour
sa progéniture. Il ne bénéficie pas de tous les aspects physiques de la grossesse, de la
naissance ou de l’allaitement. Aussi la paternitĂ© est-elle davantage mentalisĂ©e que la
maternitĂ©, ce qu’Edwige Antier (2001) rĂ©sume ainsi : « Le sentiment paternel est
rĂ©flĂ©chi, conscient, Ă  l’inverse de l’instinct maternel ».
   Pour cette raison, « les échographistes et les gynécologues sont de plus en plus
nombreux à admettre que le compagnon de la mÚre (géniteur ou non) doit si possible
ĂȘtre prĂ©sent » (Le Camus, 2000). Leur participation leur permet de se faire une idĂ©e plus
concrĂšte de ce que la mĂšre peut vivre et d’activer l’élaboration psychique autour du
futur enfant.



                                                                                  43
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   Cette Ă©laboration psychique peut nĂ©anmoins passer par des phases oĂč vont dominer
des manifestations affectives qui le dĂ©passent. Tout d’abord surprises, les Ă©quipes
médicales des maternités finissent maintenant par accepter « plus volontiers dans les
salles d’accouchement l’expression de ces Ă©motions » (Audier L. et al., in Marciano,
2003).
   Pour le pĂšre, l’accouchement est Ă©galement un creuset propice Ă  la rĂ©activation de
nombreux conflits :
         « conflits vis-Ă -vis de l’épouse-mĂšre (ou future mĂšre),
         « conflits vis-Ă -vis de l’enfant Ă  naĂźtre ou nĂ©,
         « conflits vis-à-vis des parents du pÚre,
         « conflits vis-Ă -vis de l’accoucheur,
         « reviviscence de conflits vis-Ă -vis de soi-mĂȘme » (Delaisi de Parseval, 1981).


   Ces affects plus ou moins extériorisés peuvent avoir un aspect trÚs positif pour le
nouveau pĂšre car ils « donnent Ă  leur rapport avec l’enfant et la mĂšre l’humanitĂ©
indispensable pour rĂ©ussir l’accĂšs Ă  la parentalitĂ© » (Audier L. et al., in Marciano,
2003).
   À ce moment-lĂ , le pĂšre, par un mĂ©canisme d’identification inconscient, rĂ©gresse
partiellement Ă  un stade trĂšs archaĂŻque, plus prĂ©cisĂ©ment celui du nouveau-nĂ©. À ce
sujet, Didier Dumas (1999) explique que « le bébé nous attendrit et nous touche, car il
rĂ©actualise l’époque oĂč nous Ă©tions aussi fragiles et dĂ©munis que lui, et nous le
comprenons en retrouvant l’enfant que nous avons Ă©tĂ© ». Ainsi, c’est grĂące Ă  cette
identification précoce que le pÚre et le bébé pourront se comprendre et communiquer.




   2.3. LE PERE ET LE NOUVEAU-NE


         2.3.1. La répartition des tùches domestiques et parentales

   Ces modifications importantes de la famille ont indéniablement eu des répercussions
sur la répartition entre conjoints des tùches domestiques. Les études à ce sujet semblent




                                                                                     44
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montrer qu’aujourd’hui l’évolution n’est pas aussi consĂ©quente que les efforts rĂ©alisĂ©s
pour tendre vers la parité pourraient le laisser penser.


   « Au début du XIXe siÚcle encore, les tùches du pÚre et de la mÚre étaient nettement
dĂ©finies (Kelen, 1986) ». Dans ce contexte, l’éducation des enfants Ă©tait trĂšs
diffĂ©renciĂ©e en fonction du sexe de l’enfant. En revanche, aujourd’hui, l’incidence de la
variable sexe (des parents et des enfants) est moins accentuĂ©e qu’à l’époque, oĂč les rĂŽles
parentaux étaient bien plus différenciés (Le Camus, 2000).


   Cette inégalité dans la répartition des tùches se traduit principalement par un temps
passé aux activités domestiques encore nettement plus important pour les femmes que
pour les hommes. Une Ă©tude de l’INSEE, citĂ©e par Edwige Antier (2001) rapporte que
« 80% des tùches domestiques sont assumées par des femmes ». Rapportée en heures,
cette répartition du travail domestique correspondrait en 2001 à 2 h 21 pour les hommes
et 4 h 20 pour les femmes, alors qu’en 1986 ces valeurs Ă©taient de 2 h 11 pour les
hommes, et 4 h 40 pour les femmes. D’oĂč l’on peut d’ores et dĂ©jĂ  dĂ©duire
qu’aujourd’hui les femmes effectuent 80% du travail domestique en seulement 65% du
temps total allouĂ© par le couple Ă  ces tĂąches. Ces rĂ©sultats ne sont cohĂ©rents que si l’on
considĂšre que les femmes travaillent sensiblement plus vite que les hommes.


   D’autre part, l’activitĂ© professionnelle des femmes augmentant encore, elles sont de
plus en plus confrontĂ©es Ă  ce que l’on appelle la « double journĂ©e » qui consiste Ă  un
temps de travail professionnel suivi d’un temps de travail domestique, alors que
l’homme, lui, ne cumule pas ces deux temps et ne se consacre activement qu’à son
activité professionnelle.
   AprÚs la naissance et la fin du congé de maternité, ce sont beaucoup plus souvent les
femmes qui rĂ©duisent leur temps de travail, recherchant des temps partiels, ou s’arrĂȘtant
tout simplement pour se consacrer aux enfants et Ă  la maison. Selon un rapport du
CNRS citĂ© par Edwige Antier (2001), l’homme consacrerait 12 h 41 par semaine Ă  ses
enfants, contre 25 h 37 pour la femme, soit un peu plus de double.


   Il existe également un décalage qualitatif entre les pÚres et les mÚres en ce qui
concerne le type de tùches assumées :



                                                                                   45
- GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et Psychothérapie -




           « Les activités qui sont socialement valorisées (certains soins, les
         jeux avec l’enfant) deviennent progressivement l’apanage des pùres,
         sous prĂ©texte d’égalitĂ©, alors que les activitĂ©s socialement
         dévalorisées (les activités de services indispensables, tels les repas, le
         nettoyage) restent le devoir des mÚres (Modak et Palazzo, 2002). »


   Les pùres semblent avoir davantage le choix des tñches qu’ils accomplissent, celles
qu’ils ne rĂ©alisent pas, par prĂ©fĂ©rence ou bien par manque de temps, Ă©tant prises en
charge par la mÚre. Jacqueline Kelen (1986) dénonce fermement cette attitude des pÚres
pour qui, d’aprĂšs elle, « le bĂ©bĂ© serait un nouveau jouet, ou un gadget » et qui ne s’en
occupe que quand cela lui « fait plaisir ». Au contraire, Edwige Antier (2001) propose le
partage des tùches suivant : « pendant les premiers mois du bébé, le pÚre dégage la mÚre
du travail domestique pour lui permettre de se concentrer sur les besoins du bébé » puis
il « lui consacre des moments libĂ©rant la mĂšre des demandes permanentes de l’enfant ».
Pour étayer ses propos, elle cite un sondage CSA paru dans un numéro du magazine
Famili en 2000 qui a estimé que 92% des pÚres interrogés changeaient les couches.


   Enfin, Donald Winnicott (1979) explique ce déséquilibre par un « sens naturel des
responsabilitĂ©s » chez les mĂšres, une implication « particuliĂšre » Ă  l’égard de l’enfant. Il
arrive d'ailleurs parfois que le pĂšre soit « incapable de tirer du plaisir du rĂŽle qu’il doit
jouer et incapable de partager avec la mĂšre la grande responsabilitĂ© qu’un bĂ©bĂ©
reprĂ©sente toujours pour quelqu’un ». De fait, il s’exclut alors rapidement de la dyade
mĂšre-enfant.



       2.3.2. Les compétences paternelles

   La naissance d’un enfant, et en particulier celle du premier, est la source de
nombreux conflits inconscients pour le pĂšre (v. chapitre 2.2.2. Une Ă©tape dans la
paternitĂ©, p. 42). Elle est Ă©galement Ă  l’origine de nombreuses angoisses qui ont le plus
souvent l’enfant comme objet, le pùre ne se sentant pas toujours à la hauteur de la tñche
qui l’attend. Donald Winnicott (1979) doute « qu’une mĂšre croie rĂ©ellement et tout Ă 
fait à son enfant dÚs le début » et « cela vaut aussi pour le pÚre car il souffre autant que
la mÚre de douter de sa capacité à créer un enfant sain et normal ». Il remarque aussi


                                                                                      46
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Pere Satisfaction Memoire Psycho Dir Castealain Meunier +++

  • 1. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - ÉCOLE DE PSYCHOLOGUES PRATICIENS UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE PARIS 23, rue du Montparnasse 75 006 PARIS MÉMOIRE-THÈSE DE RECHERCHE en vue de l’obtention du DIPLÔME DE PSYCHOLOGUE TITRE : LE SENTIMENT DE SATISFACTION DES NOUVEAUX PÈRES DANS L’EXERCICE DE LEUR PATERNITÉ Comparaison entre deux gĂ©nĂ©rations de pĂšres EffectuĂ© sous la direction du professeur Castelain-Meunier Par : Christophe PÉNICAUT Promotion : 2003 Option : Psychopathologie Date de naissance : 23 mai 1977 Lieu de naissance : Clamart Classification informatique : Famille – Sociologie – Grossesse Jury de soutenance : Mme Castelain-Meunier – M. Bidoire – M. Sos Mention Assez Bien Paris, le 24 septembre.
  • 2. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - REMERCIEMENTS Je tiens Ă  remercier tout particuliĂšrement Madame Castelain-Meunier pour ses conseils Ă©clairĂ©s et son Ă©coute stimulante, ma femme pour ses commentaires et sa patience, mon fils pour m’avoir rendu pĂšre et pour avoir fait naĂźtre en moi l’envie d’entreprendre cette recherche. 2
  • 3. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - SOMMAIRE SOMMAIRE........................................................................................... 3 INTRODUCTION.................................................................................. 4 1. ORIGINE DE LA DÉMARCHE...................................................... 5 2. EXPOSÉ DE LA PROBLÉMATIQUE ........................................... 8 3. OBJECTIFS DE RECHERCHE..................................................... 10 PARTIE THÉORIQUE....................................................................... 12 1. LA PATERNITÉ : INSTINCT OU CULTURE ?.......................... 14 2. NOUVELLES FAMILLES ET NOUVEAUX PÈRES ................. 37 3. À QUOI SERT UN PÈRE ? APPROCHES SOCIOLOGIQUE ET PSYCHANALYTIQUE .......................................................................... 53 4. CONCLUSION .............................................................................. 79 PARTIE PRATIQUE .......................................................................... 81 1. MÉTHODOLOGIE ........................................................................ 82 2. RÉSULTATS.................................................................................. 96 3. CONCLUSION ............................................................................ 105 BIBLIOGRAPHIE............................................................................. 114 INDEX D’AUTEURS ........................................................................ 120 INDEX THÉMATIQUE.................................................................... 122 TABLE DES MATIÈRES ................................................................. 125 ANNEXES........................................................................................... 129 1. DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES ..................................... 130 3
  • 4. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - INTRODUCTION 4
  • 5. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 1. ORIGINE DE LA DÉMARCHE Au cours de ma formation, j’ai Ă©tĂ© sensibilisĂ© Ă  la psychologie gĂ©nĂ©tique, et, dans ce domaine, Ă  l’importance des relations prĂ©coces des parents avec le nouveau-nĂ©, et mĂȘme avec le fƓtus. Dans de nombreux ouvrages qui m’ont Ă©tĂ© recommandĂ©s, la mĂšre y est dĂ©crite Ă  la fois comme Ă©tant la figure d’attachement primaire, le premier objet total, dans une fusion exclusive avec le nouveau-nĂ©, etc. Le pĂšre, face Ă  cette cohorte d’attributs exclusivement maternels, reste apparemment plus ou moins exclu de cette fusion des premiers temps de la vie du petit d’homme. Lorsque j’ai moi-mĂȘme eu l’occasion de vivre l’expĂ©rience de la paternitĂ©, il m’est naturellement venu un grand nombre de questions Ă  l’esprit. J’ai constatĂ© trĂšs rapidement qu’il existait une rĂ©elle dissymĂ©trie entre le pĂšre et la mĂšre non seulement dans la littĂ©rature, et plus particuliĂšrement la littĂ©rature psychanalytique, mais Ă©galement dans les ouvrages de vulgarisation destinĂ©s aux jeunes parents. De maniĂšre presque univoque, on attribue Ă  la mĂšre un rĂŽle quasi omnipotent dans le dĂ©veloppement du jeune enfant alors que ne revient au pĂšre qu’un rĂŽle de protection et de sauvegarde de l’intĂ©gritĂ© de la relation mĂšre-enfant, jusqu’à ce qu’il revendique Ă  nouveau le privilĂšge de l’intimitĂ© de la mĂšre, et impose Ă  l’enfant, Ă  cette occasion, la loi de l’interdit de l’inceste. Afin de prĂ©ciser mon opinion sur le sujet de la paternitĂ©, je me suis documentĂ© Ă  travers les Ă©crits de Christine Castelain-Meunier, Jean Le Camus, GeneviĂšve Delaisi de Parseval, Didier Dumas, Guy Corneau, Françoise Hurstel, Jacqueline Kelen, Aldo Naouri
 Sociologues, psychologues, psychanalystes, pĂ©diatres mais aussi ethnologues, Ă©thologues et historiens m’ont apportĂ© des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse tangibles. Ces lectures m’ont permis de constater que certaines de mes interrogations Ă©taient fondĂ©es, d'autant plus que les dĂ©bats autour de la paternitĂ© battaient leur plein, notamment entre les sociologues d’un cĂŽtĂ© et les psychanalystes de l’autre. Les thĂšmes dĂ©battus sont variĂ©s, mais leurs conclusions dĂ©terminantes. Évolue-t-on vers une meilleure paternitĂ©, plus engagĂ©e et plus concernĂ©e par l’enfant, ou avance-t-on au 5
  • 6. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - contraire vers un Ă©tat dangereux de dĂ©mission du pĂšre ? L’évolution des pĂšres est-elle Ă  l’origine d’évolutions sociales Ă  plus grande Ă©chelle ? Les pathologies propres Ă  la paternitĂ© sont peu connues des praticiens : Ă  en croire le dictionnaire, la couvade serait encore absente de nos sociĂ©tĂ©s : « Couvade : Ethnol. Coutume rencontrĂ©e dans certaines sociĂ©tĂ©s oĂč, aprĂšs l’accouchement, c’est le pĂšre qui tient le rĂŽle de la mĂšre. » (Dictionnaire Larousse, 1998). Or, comme nous le verrons plus loin, non seulement elle peut survenir aprĂšs la naissance, mais aussi Ă  diffĂ©rents moments au cours de la grossesse (v. chapitre 1.4.2. La couvade, p. 25). De plus, la rĂ©fĂ©rence Ă  l’ethnologie semble exclure la possibilitĂ© de son occurrence dans nos contrĂ©es industrialisĂ©es et renvoyer cette manifestation originale Ă  l’autre bout de la planĂšte. Pour gĂ©nĂ©raliser, GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) affirme que « la paternitĂ© semble bien ĂȘtre, en effet, terra incognita dans le champ d’étude couvert par les sciences humaines ». En ce qui concerne le domaine de la clinique, dans la quasi-totalitĂ© des Ă©crits de psychanalyse d’il y a Ă  peine trente ou quarante ans, le pĂšre est Ă©cartĂ© de la fusion originelle Ă  laquelle, Ă  condition que la mĂšre l’y autorise, il aura accĂšs par la suite. Aussi, comme le soulignent Marie-Christine Lefort et Anne Discour : « Les conditions Ă©conomiques, sociales et culturelles, depuis les annĂ©es trente, ont orientĂ© les Ă©tudes psychologiques de l’enfant jeune vers une focalisation sur la relation mĂšre-enfant (voir Freud sur les principes de l’étayage, et Bowlby sur le besoin vital d’attachement). Le pĂšre n’est que personnage annexe, primitivement accessoire, qui n’interviendra qu’à partir de la phase Ɠdipienne dans les thĂ©ories psychanalytiques (Lefort M.-C. et Discour A., La place du pĂšre durant les trois premiers jours aprĂšs la naissance de l’enfant prĂ©maturĂ©, in Marciano, 2003). » Bien entendu, je n’envisage pas un instant de contester l’ensemble de ces thĂ©ories, mĂȘme si d’aucuns plus audacieux, et surtout plus expĂ©rimentĂ©s, s’y sont essayĂ©s, donnant au pĂšre une place fondamentale auprĂšs de l’enfant dĂšs les premiers jours, avant sa naissance et mĂȘme avant sa conception (par exemple Dumas, 1999 et 2000 ; Le Camus, 1999 et 2000 ; Corneau, 1989). Les modĂšles de base ne sont certainement pas Ă  remettre en cause. 6
  • 7. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - En revanche, il me semble que le pĂšre est parfois exagĂ©rĂ©ment cantonnĂ© dans son rĂŽle d’autoritĂ©, de protecteur, d’unique reprĂ©sentant de la Loi, de garant de la transmission des valeurs
 alors que nous constatons que, plus que les mentalitĂ©s, les pratiques elles-mĂȘmes changent, et notamment la relation du pĂšre Ă  l’enfant, jeune et moins jeune, ainsi que sa relation Ă  la mĂšre. 7
  • 8. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 2. EXPOSÉ DE LA PROBLÉMATIQUE Il est vrai que la reprĂ©sentation traditionnelle de la famille a Ă©tĂ© battue en brĂšche depuis la fin des annĂ©es 60, soit depuis plus d’une gĂ©nĂ©ration. Effectivement, des configurations familiales avant exceptionnelles ou nĂ©gligĂ©es par les journalistes prennent le devant de la scĂšne mĂ©diatique. La famille est devenue l’objet de nombreuses rĂ©flexions, d’études dĂ©mographiques et sociologiques. Elle s’est partiellement dĂ©sinstitutionnalisĂ©e et son modĂšle s’est largement diversifiĂ©. Les mĂ©dias, notamment les magazines spĂ©cialisĂ©s affirment que de nombreux points ont Ă©voluĂ©, en particulier sur le plan de la paternitĂ©. La plupart d’entre eux n’ont pas de rĂ©el Ă©tayage expĂ©rimental et s’inspire davantage d’observations courantes, mais tous alimentent l’image du « nouveau pĂšre ». Nous en citerons quelques-uns, sans prĂ©tendre en dresser une liste exhaustive, tirĂ©s de lectures spĂ©cialisĂ©es, de sites Internet, de magazines ou journaux traitant de la paternitĂ© ou bien d’observations personnelles : Le pĂšre est plus attentif pendant la grossesse, il s’instruit et se documente au sujet de cet Ă©vĂ©nement ; Le pĂšre est plus prĂ©sent au domicile, il participe plus aux soins du nourrisson ; Le pĂšre souhaite prendre part Ă  l’éducation de ses enfants de maniĂšre plus concrĂšte, en Ă©tant plus prĂ©sent, en partageant des activitĂ©s avec eux ; L’autoritĂ© est davantage rĂ©partie entre les conjoints ; La relation que le pĂšre d’aujourd’hui souhaite avoir avec ses enfants correspond de moins en moins Ă  une relation autoritaire mais davantage Ă  une relation de coaching ; La famille concurrence davantage le travail dans les prioritĂ©s du pĂšre. 8
  • 9. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Nous nous sommes interrogĂ©s sur la nature et les modalitĂ©s de la transmission de la paternitĂ©, de la transmission de ses reprĂ©sentations et de l’image du pĂšre idĂ©al chez les pĂšres eux-mĂȘmes. On constate aujourd’hui que les pĂšres ont sensiblement modifiĂ© leur attitude et leurs comportements en ce qui concerne les enfants, mais Ă©galement en ce qui concerne la mĂšre. La rĂ©alitĂ© de cette Ă©volution a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e Ă  plusieurs reprises dĂ©jĂ 1, aussi nous ne nous y attarderons pas. En revanche, nous allons tenter d’apporter davantage de lumiĂšre sur un autre point. Les pĂšres tentent toujours de se conformer, plus ou moins consciemment, Ă  un certain modĂšle de paternitĂ©. Ce modĂšle, cette reprĂ©sentation du pĂšre idĂ©al, est constituĂ©e, pour la majeure partie, de ce que le pĂšre, enfant, a perçu du rĂŽle de son propre pĂšre. Elle est trĂšs certainement nuancĂ©e ou complĂ©tĂ©e par les substituts parentaux qui ont pu intervenir Ă  diffĂ©rents moments de la vie du jeune garçon. 1 En particulier : CASTELAIN-MEUNIER, C. (1997). La paternitĂ©. Paris : PUF, coll. Que sais-je ?. – CASTELAIN-MEUNIER, C. (2002). La place des hommes et les mĂ©tamorphoses de la famille. Paris : PUF. – HURSTEL, F. (1996). La dĂ©chirure paternelle. Paris : PUF. – KELEN, J. (1986). Les nouveaux pĂšres. Paris : Flammarion. – MODAK, M. et PALAZZO, C. (2002). Les pĂšres se mettent en quatre ! ResponsabilitĂ©s quotidiennes et modĂšles de paternitĂ©. Lausanne : Cahiers de l’EESP. – SINGLY (de), F. (1993). Sociologie de la famille contemporaine. Paris : Nathan. 9
  • 10. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 3. OBJECTIFS DE RECHERCHE Partant de ces observations et de ces constatations, je me suis posĂ© les questions suivantes : Dans quelle mesure cet idĂ©al a-t-il Ă©voluĂ© depuis la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente ? Son Ă©volution suit-elle l’évolution manifeste de la paternitĂ© ? Comment a pu varier l’écart entre la reprĂ©sentation du pĂšre idĂ©al et la perception du pĂšre rĂ©el ? Cet Ă©cart a-t-il Ă©voluĂ© depuis la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente ? A-t-il Ă©voluĂ© en fonction de la perception de la rĂ©alitĂ© de la paternitĂ© ? Comment se constitue la reprĂ©sentation du pĂšre idĂ©al Ă  l’échelle individuelle ? Quelle est la part de reproduction inconsciente et d’innovation consciente par rapport aux comportements et Ă  l’attitude perçus chez son propre pĂšre ? Comment l’évolution de la reprĂ©sentation sociale du bon pĂšre influence-t-elle les jeunes pĂšres aujourd’hui ? Les pĂšres de la nouvelle gĂ©nĂ©ration innovent-ils davantage par rapport Ă  leur pĂšre que ceux-ci n’innovaient par rapport Ă  leur propre pĂšre ? Comment cette Ă©volution de la paternitĂ© est-elle perçue par les pĂšres eux- mĂȘmes ? En sont-ils satisfaits ? Peut-on prĂ©voir une Ă©volution future de la paternitĂ© au regard de ce que nous pouvons constater aujourd’hui ? Suite Ă  ces interrogations, j’ai choisi d’étudier un aspect de ce problĂšme qui ne me semble pas avoir Ă©tĂ© traitĂ© jusque lĂ . Quelle est l’évolution du sentiment de satisfaction du pĂšre dans l’exercice de sa paternitĂ© ? Les pĂšres sont-ils satisfaits de l’évolution dont ils sont Ă  la fois acteurs et spectateurs ? 10
  • 11. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Pour tenter de rĂ©pondre Ă  ces questions, je formulerais l’hypothĂšse que le sentiment de satisfaction personnelle n’a pas rĂ©ellement diminuĂ© avec le changement des modĂšles de paternitĂ© entre la gĂ©nĂ©ration des grands-pĂšres d’aujourd’hui et la gĂ©nĂ©ration de leurs fils devenus pĂšres. Partant du principe que les reprĂ©sentations sont indissociables des pratiques et qu’elles interagissent pour Ă©voluer ensemble, il me semble que l’écart perçu entre le pĂšre rĂ©el et le pĂšre idĂ©al ne s’est ni agrandi ni resserrĂ©, la satisfaction restant donc sensiblement inchangĂ©e. 11
  • 12. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - PARTIE THÉORIQUE 12
  • 13. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Avant de mettre Ă  l’épreuve l’hypothĂšse de travail que nous avons formulĂ©e, nous avons parcouru un grand nombre de sources traitant de la paternitĂ© sous ses divers aspects. Cette partie en propose une synthĂšse organisĂ©e qui permettra d’inscrire notre recherche dans un contexte actualisĂ© et Ă©clairĂ© par des Ă©crits rĂ©cents. Cette Ă©tude bibliographique a Ă©tĂ© effectuĂ©e avec un Ɠil critique et un objectif prĂ©cis : exposer les principales recherches et les thĂ©ories existantes et dĂ©terminer leurs apports et leurs limites. Dans une premiĂšre partie, nous aborderons la paternitĂ© sous un aspect descriptif gĂ©nĂ©ral. Nous tenterons d’apporter les Ă©lĂ©ments de rĂ©flexion nĂ©cessaires pour mieux discerner l’aspect culturel et l’aspect universel de ce statut. Pour cela nous tĂącherons de rĂ©flĂ©chir aux dĂ©finitions de la paternitĂ© et de la masculinitĂ©, puis nous Ă©tudierons la paternitĂ© selon les deux axes temporel et spatial : en remontant dans le temps et en voyageant sur d’autres continents. Nous exposerons ensuite les changements de la famille contemporaine qui ont retenus notre attention soit par leur ampleur soit par leur importance pour le pĂšre, changements qui semblent converger avec l’émergence d’une nouvelle relation du pĂšre Ă  l’enfant. Enfin nous rapporterons les thĂ©ories ou les points de vue marquants au sujet du rĂŽle et de la fonction du pĂšre au sein de la famille, auprĂšs de ses enfants et auprĂšs de leur mĂšre, mais aussi en ce qui concerne la spĂ©cificitĂ© de son rĂŽle par rapport Ă  celui de la mĂšre, en montrant que les modĂšles de paternitĂ© ont sensiblement Ă©voluĂ©. 13
  • 14. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 1. LA PATERNITÉ : INSTINCT OU CULTURE ? Le pĂšre n’est pas nĂ©cessairement celui que l’enfant appelle « Papa ». Les spĂ©cialistes ne s’entendent pas toujours sur les limites et les implications de sa dĂ©finition. Pourtant, quoi de plus commun qu’un pĂšre ? Nous avons tous intuitivement une idĂ©e de ce qu’il est, mais lorsque nous sommes confrontĂ©s Ă  l’actualitĂ© de la famille et Ă  la complexitĂ© des situations qu’elle recouvre, nous commençons Ă  douter de son Ă©vidence et de son universalitĂ©. Ceux qui tentent d’apporter de la lumiĂšre sur cette dĂ©finition sont ceux qui l’étudient ou ceux qui travaillent avec lui : ce sont les sociologues, les psychologues, les psychanalystes, les juristes ou les mĂ©decins. Mais leur vision du pĂšre n’est pas uniforme, loin s’en faut. Qui est le pĂšre ? Quand devient-on pĂšre ? Peut-on avoir plusieurs pĂšres ? Quelle que soit la maniĂšre de formuler la question, les cas qui faisaient figure d’exception aux gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes sont aujourd’hui lĂ©gion : l’augmentation du nombre de divorces, la gĂ©nĂ©ralisation du concubinage, la « recomposition » des familles qui en fait souvent des familles monoparentales, la gĂ©nĂ©ralisation des mĂ©thodes contraceptives et les diverses techniques d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation (AMP)1 – avec la fĂ©condation in vitro et transplantation d’embryon (FIVETE), l’insĂ©mination artificielle avec le sperme du conjoint (IAC) ou avec celui d’un donneur anonyme (IAD) – se gĂ©nĂ©ralisent dans toutes les couches de la population française. L’ensemble de ces Ă©volutions relativement rĂ©centes nous invite Ă  rĂ©flĂ©chir aux limites de la dĂ©finition courante du pĂšre. 1 Anciennement ProcrĂ©ation MĂ©dicalement AssistĂ©e (PMA). 14
  • 15. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 1.1. QUELQUES DEFINITIONS En Ă©tudiant attentivement les dĂ©finitions de diffĂ©rents dictionnaires, nous pouvons y dĂ©celer certaines lacunes au sujet du pĂšre et de la paternitĂ©. En effet, sa position de gĂ©niteur est explicite, la responsabilitĂ© de sa progĂ©niture est plus ambiguĂ«, alors que les cas de paternitĂ© plus complexes, comme celle qui est issue de l’AMP, pourtant envisagĂ©e dans le cadre de la loi, sont pour ainsi dire absentes de ces ouvrages de rĂ©fĂ©rence. Ainsi le dictionnaire Le Robert 1 (1999) nous propose la dĂ©finition suivante : « PĂšre : Homme qui a engendrĂ©, qui a donnĂ© naissance Ă  un ou plusieurs enfants [
]. Par analogie, celui qui se comporte comme un pĂšre, est considĂ©rĂ© comme un pĂšre (nourricier, adoptif, spirituel). » Le Petit Larousse IllustrĂ© (1998) reprend, presque dans les mĂȘmes termes cette partie de la dĂ©finition, mais y ajoute Ă©galement : « Homme ayant autoritĂ© reconnue pour Ă©lever un, des enfants au sein de la cellule familiale, qu’il les ait ou non engendrĂ©s. Homme qui agit en pĂšre, qui manifeste des sentiments paternels. » Les comportements en question qui permettraient d’ĂȘtre inclus dans la dĂ©finition du pĂšre, d’ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un pĂšre, ne sont pas prĂ©cisĂ©s davantage
 ce qui ne nous renseigne pas vraiment sur ce qu’il peut ĂȘtre, en dehors du gĂ©niteur. D’autre part, s’il est possible d’ĂȘtre pĂšre en se comportant comme un pĂšre, cela souligne une diffĂ©rence entre deux sortes de pĂšre : le « vrai » et celui qui fait comme si. Enfin peut ĂȘtre pĂšre celui qui « agit en pĂšre ». Mais que fait-il exactement ? S’occupe-t-il de l’enfant ? L’éduque-t-il ? En ce qui concerne la grossesse et la mise au monde des enfants, aucun terme n’existe pour dĂ©signer ce qu’il se passe du cĂŽtĂ© du pĂšre. Cet aspect n’apparaĂźt qu’à la dĂ©finition de la maternitĂ© : « [
] Fait de mettre un enfant au monde » (Dictionnaire Larousse, 1998). L’arrivĂ©e des enfants ne constitue apparemment pas un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant de la dĂ©finition de la paternitĂ©. 15
  • 16. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Poursuivons la rĂ©flexion. Au verbe « engendrer », nous trouvons la dĂ©finition suivante : « Se dit de l’homme qui produit un enfant (v. procrĂ©er) ». Le verbe « produire » trouve ici une signification particuliĂšre. Mais il apparaĂźt assez clairement que la dĂ©finition du pĂšre est ici rĂ©duite Ă  sa seule fonction de gĂ©niteur, au « fournisseur de petite graine ». Le mot maternage n’a son Ă©quivalent en Anglais que vers 1940 et n’est apparu qu’en 1953 en Français. Il est dĂ©fini ainsi dans le Dictionnaire de psychologie : « L’ensemble des comportements par lesquels la mĂšre ou la personne qui en tient lieu apporte ou tente d’apporter au nourrisson les soins maternels et, plus gĂ©nĂ©ralement, tout ce qui est indispensable Ă  sa survie et Ă  son dĂ©veloppement physique et psychique : amour, stimulations, maintien, maniement, bain de paroles, etc. (Doron et Parot, 1998). » On peut entendre par ces lignes que d’autres personnes que la mĂšre peuvent assurer le maternage auprĂšs de l’enfant. Cependant, il n’est pas prĂ©cisĂ© ici qui peut « tenir lieu » de mĂšre, d’oĂč l’on peut dĂ©duire que la personne dispensatrice de maternage importe peu pour qualifier celui-ci. De plus, il ne s’agit que de « comportements ». En aucun cas, par consĂ©quent, le maternage ne pourrait ĂȘtre prodiguĂ© par une personne interposĂ©e, par une reprĂ©sentation ou par une image intrapsychique mais uniquement par celui ou celle qui est aux cĂŽtĂ©s de l’enfant. Plus loin dans le mĂȘme dictionnaire, Ă  la dĂ©finition de maternel (Doron et Parot, 1998), on peut lire : « Ensemble de soins assurĂ©s par la mĂšre Ă  sa progĂ©niture. [
] la femelle [
] assure la plus lourde part du fardeau parental. [
] le comportement maternel dans l’espĂšce humaine s’inscrit dans la continuitĂ© des formes et des fonctions qu’on lui connaĂźt chez les animaux, particuliĂšrement chez lez mammifĂšres et, plus directement, modulĂ© par les diverses traditions culturelles. » 16
  • 17. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Il est reconnu que la mĂšre est nettement plus impliquĂ©e que le pĂšre pour s’occuper de ses petits. Parce que la dĂ©finition intĂšgre nos origines animales, ce « comportement maternel » possĂšde une composante instinctuelle. Toutefois, cette composante est « modulĂ©e » par la culture. On voit ici toute la difficultĂ© de statuer sur cette notion abstraite, Ă  la fois indispensable Ă  tous les mammifĂšres afin d’assurer une descendance aux adultes, mais Ă©galement spĂ©cifique Ă  l’espĂšce humaine en raison de la complexitĂ© des processus psychiques en jeu. Les soins ne sont pas Ă©numĂ©rĂ©s mais ils nous paraissent plus familiers que les comportements du pĂšre Ă©voquĂ©s ci-dessus. Le cas oĂč la mĂšre disparaĂźt et oĂč le pĂšre, ou un autre adulte, assume seul la responsabilitĂ© de sa progĂ©niture n’est pas Ă©voquĂ©. On peut nĂ©anmoins supposer que si celui-ci prodigue ces soins Ă  ses enfants, on dira de son comportement qu’il est « maternel ». Alors qu’on peut se demander quand les comportements d’une mĂšre assumant seule la responsabilitĂ© de ses enfants pourraient ĂȘtre qualifiĂ©s de « paternels », Ă  compter qu’ils puissent l’ĂȘtre. La dimension symbolique de la paternitĂ© est explicite dans la dĂ©finition suivante, Ă©galement tirĂ©e du Dictionnaire de psychologie, (Doron et Parot, 1998) : « PaternitĂ© : Dans une structure de parentĂ©, la place du pĂšre ne recouvre pas sa fonction de gĂ©niteur, elle est marquĂ©e symboliquement par sa reconnaissance en tant que dĂ©tenteur de la puissance phallique, transmetteur du nom, en position de mĂ©diation et de sĂ©paration du couple mĂšre/enfant. La relation pĂšre/enfant s’instaure sous le signe de l’altĂ©ritĂ©. Pour J. Lacan, le pĂšre est le reprĂ©sentant de la loi. » De nombreux auteurs font la diffĂ©rence entre diverses paternitĂ©s, tantĂŽt complĂ©mentaires, tantĂŽt en contradiction ou en conflit les unes avec les autres. Tout d’abord, et le plus souvent citĂ©, c’est le pĂšre biologique, le gĂ©niteur, celui qui transmet son gĂ©nome. Le pĂšre lĂ©gal est celui qui donne son nom Ă  sa descendance, qui inscrit ses enfants dans une gĂ©nĂ©alogie, une lignĂ©e. Cette paternitĂ© est garantie par le mariage dans les 17
  • 18. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - sociĂ©tĂ©s patrilinĂ©aires. Le pĂšre Ă©ducatif ou affectif est celui qui s’attache aux enfants, assure leur Ă©ducation, les inscrit dans la sociĂ©tĂ©. Le pĂšre symbolique, cher Ă  la psychanalyse, est celui qui dit « Non », c’est le sĂ©parateur, le reprĂ©sentant de la Loi. Cependant, tous les auteurs ne s’accordent pas parfaitement sur ces catĂ©gories et nous proposons celles-ci hors de toute affinitĂ© thĂ©orique particuliĂšre. Notons sur ce point que « la paternitĂ© biologique ne coĂŻncide pas obligatoirement avec la paternitĂ© sociale ou Ă©ducative » (Delaisi de Parseval, 1981). 1.2. L’HOMME ET LE MASCULIN L’étude des dĂ©finitions du pĂšre et de la paternitĂ© est Ă  croiser avec celles de la masculinitĂ© et de la virilitĂ©. Le pĂšre peut-il s’occuper de ses enfants sans se fĂ©miniser ? Dispenser des soins de maternage force-t-il Ă  perdre ou Ă  mettre de cĂŽtĂ© sa virilitĂ© ? Ne pourrait-on pas envisager un rapport aux enfants, et particuliĂšrement aux nourrissons, hors de tout aspect fĂ©minin ? Et qu’est-ce qu’un comportement fĂ©minin s’il peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© par la majoritĂ© des hommes ? La virilitĂ© se prĂ©sente « comme un ensemble de comportements, d’interdits, de non- dits, de valeurs, d’attitudes, de discours stĂ©rĂ©otypiques, etc., qui s’articulent en de vĂ©ritables systĂšmes idĂ©ologiques, centrĂ©s sur le courage et la force » (Dejours, Ch. Le masculin entre sexualitĂ© et sociĂ©tĂ©, in Welzer-Lang, 2000). Le terme viril n’a a priori ni connotation positive, ni nĂ©gative. Le seul antonyme proposĂ© par le Dictionnaire Robert est « effĂ©minĂ© », qui est connotĂ© pĂ©jorativement, et ne s’adresse d’ailleurs qu’aux hommes ! De plus, les attributs virils sont l’activitĂ©, l’énergie, le courage, la fermetĂ©, la rĂ©solution (Dictionnaire Larousse, 1998 ; Dictionnaire Robert, 1999), alors que les qualitĂ©s associĂ©es au caractĂšre effĂ©minĂ© sont la mollesse, l’absence d’énergie ou de virilitĂ© (Dictionnaire Robert, 1999). Cette dichotomie stĂ©rĂ©otypĂ©e propre Ă  la pensĂ©e occidentale attribue Ă  l’homme l’activitĂ© et Ă  la femme la mollesse
 Nulle part dans ces dictionnaires il n’est fait mention d’une Ă©ventuelle composante masculine chez la femme, et, rĂ©ciproquement, d’une composante fĂ©minine chez l’homme. 18
  • 19. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Au contraire, la sĂ©paration semble assez hermĂ©tique. Une telle conception est pourtant prĂ©sente dans la philosophie taoĂŻste, trĂšs rĂ©pandue en Asie, comme on peut le constater par la reprĂ©sentation devenue relativement populaire du yin et du yang. Cette image symbolise en rĂ©alitĂ© la prĂ©sence et l’intrication des contraires en toute chose. Le masculin, yang, est Ă©galement synonyme d’activitĂ©, de mouvement centrifuge alors que le fĂ©minin, yin, est synonyme de passivitĂ© et de mouvement centripĂšte. NĂ©anmoins, ces caractĂšres sont prĂ©sents en chacun de nous. En revanche, nous pouvons frĂ©quemment entendre parler d’une probable fĂ©minisation de l’homme en gĂ©nĂ©ral, et du pĂšre en particulier. Cette tendance est jugĂ©e alternativement, et bien souvent sans arguments solides, soit comme un net progrĂšs sur le plan de la paternitĂ©, donc pour famille et le dĂ©veloppement des enfants, soit comme redoutablement pathogĂšne et Ă  l’origine de bien des maux de la sociĂ©tĂ© contemporaine, tels que la violence et la dĂ©linquance juvĂ©niles, mais aussi la dĂ©responsabilisation des jeunes professionnels, la crise de l’engagement, etc. En ce qui concerne le dĂ©veloppement de l’enfant, une assez large majoritĂ© d’auteurs prĂ©conise la prĂ©sence physique de deux parents hĂ©tĂ©rosexuels auprĂšs des enfants. « Un enfant, en grandissant, a besoin d’un modĂšle de conduite fĂ©minine et d’un modĂšle de conduite masculine (Dodson, 2002) ». Il est difficile, nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment et rationnellement le masculin et le fĂ©minin au-delĂ  de la simple diffĂ©rence physique et « en l’absence de dĂ©finition culturelle de la diffĂ©rence entre le masculin et le fĂ©minin » (Castelain-Meunier, 1997). De maniĂšre parfois confuse, on attribue Ă  l’homme une part fĂ©minine dans son attitude ou son comportement. Yvonne Knibiehler (1987) affirme d’ailleurs, au sujet de cette part fĂ©minine cachĂ©e en l’homme, qu’elle « s’exprime dĂ©sormais davantage » mais que « les enfants ne semblent pas en souffrir ». Un accouchement qui se dĂ©roule dans des conditions eutociques est un Ă©vĂ©nement intense physiquement et psychiquement, proposant des conditions favorables Ă  l’expression et Ă  la libĂ©ration de sentiments et d’émotions positives (v. chapitre 2.2. L’accouchement, p. 39). Ces manifestations ostensibles de la sensibilitĂ© du pĂšre Ă©taient jusqu’alors rĂ©frĂ©nĂ©es parce qu'indĂ©centes pour un homme alors qu’elles peuvent ĂȘtre aujourd’hui revendiquĂ©es comme une valeur ajoutĂ©e Ă  la virilitĂ©. 19
  • 20. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Un certain excĂšs de fĂ©minisation a cependant Ă©tĂ© observĂ© pendant un temps par le personnel des maternitĂ©s : « Les Ă©quipes de pĂ©rinatalitĂ© se montrent plus attentives aux Ă©mois du pĂšre en Ă©vitant cet excĂšs de fĂ©minisation qui est venu un temps contrebalancer l’image de l’homme fort et tout-puissant, pour parvenir semble-t-il Ă  une position mĂ©diane (Marciano, 2003). » Les hommes Ă  notre Ă©poque ont dĂ©sormais le droit de s’exprimer en utilisant un registre plus Ă©motionnel, plus affectif. Mais malgrĂ© cet indĂ©niable progrĂšs, les sages- femmes et les obstĂ©triciens sont-ils aussi Ă  l’aise avec un homme qui pleure qu’avec une femme qui pleure ? L’égalitĂ© parfaite sur ce plan n’est Ă©videmment pas encore atteinte. Le sera-t-elle un jour ? Cela est-il souhaitable ? Au sujet des enfants, Yvonne Knibiehler (1987) se demande en premier lieu si c’est bien « en tant que mĂąle que le pĂšre est utile Ă  l’enfant » ou bien si ce ne serait pas uniquement « en tant qu’ĂȘtre humain diffĂ©rent de la mĂšre ». Nonobstant cette incertitude, l’enfant, lui, ne semble pas trop s’en soucier ni trop en souffrir, et « il sait que son pĂšre est un homme et sa mĂšre une femme
 ». MĂȘme si cela semble Ă©vident Ă  nos yeux, nous ne savons pas ici sur quoi repose cette affirmation et si elle est — ou si elle pourrait ĂȘtre — confirmĂ©e par une quelconque Ă©tude expĂ©rimentale. Certains cliniciens affirment que la virilitĂ© du pĂšre est davantage un obstacle dans l’exercice de sa paternitĂ©, un frein qui l’empĂȘcherait d’en profiter pleinement : « Le pĂšre peut, comme la mĂšre, Ă©tablir une vĂ©ritable relation symbiotique avec son bĂ©bĂ©, Ă  condition de savoir mettre en sommeil sa masculinitĂ© traditionnelle. « Nous savons aussi qu’à la naissance de son enfant les premiĂšres relations qu’il a eues avec sa mĂšre sont rĂ©activĂ©es. La qualitĂ© de son intimitĂ© avec son bĂ©bĂ© sera d’autant meilleure qu’il se laissera dĂ©passer par sa fĂ©minitĂ© primaire (Lefort M.-C. et Discour A., op. cit., in Marciano, 2003). » 20
  • 21. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©e, Fitzhugh Dodson (2002) soutient que « beaucoup de pĂšres s’écartent des jeunes enfants parce que, au fond d’eux-mĂȘmes, ils pensent qu’il n’est pas viril de tenir un bĂ©bĂ© dans ses bras. » Dans ces conditions, nous constatons que les auteurs font effectivement Ă©tat d’une part masculine et d’une part fĂ©minine en l’homme, et que ce serait la part fĂ©minine qui lui permettrait d’accĂ©der Ă  son enfant lorsque c’est encore un nourrisson. De maniĂšre aussi consensuelle que tacite, le rapport au nouveau-nĂ© est ici placĂ© sous le signe de la fĂ©minitĂ© et reste sous l’hĂ©gĂ©monie maternelle. D’une part, nous tenons Ă  signaler que ces affirmations ne semblent guĂšre Ă©tayĂ©es par des observations objectives et que leur validitĂ© est par consĂ©quent contestable. D’autre part, GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) souligne qu’« il ne nous semble pas qu’ĂȘtre homme ou ĂȘtre femme, appartenir au sexe masculin ou au sexe fĂ©minin, diffĂ©rencie profondĂ©ment l’expĂ©rience du devenir-pĂšre de celle du devenir-mĂšre ». 1.3. ASPECTS PHYLOGENETIQUES : DE LA CELLULE A L’HOMME 1.3.1. La transmission des gĂšnes D’aprĂšs ce que nous dit la biologie aujourd’hui, la perpĂ©tuation de la vie sur Terre ne s’est effectuĂ©e que grĂące Ă  la transmission, d’une gĂ©nĂ©ration Ă  une autre, des gĂšnes inscrits sur les molĂ©cules d’ADN par le truchement de la reproduction. Ce groupe de molĂ©cules est effectivement indispensable Ă  la bonne structuration des cellules de l’organisme issu de la reproduction. Nous en connaissons l’importance et nous savons que certaines espĂšces vĂ©gĂ©tales ou animales ont mis au point des stratĂ©gies particuliĂšrement astucieuses, complexes et coĂ»teuses en Ă©nergie pour s’assurer une fidĂšle transmission desdites molĂ©cules. Elles constituent le patrimoine de l’espĂšce, la trace de toutes les adaptations qu’elle a su mettre en place pour rĂ©pondre aux alĂ©as plus ou moins menaçants de l’environnement. 21
  • 22. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Le psychanalyste Bernard This affirme que lorsque la fĂ©condation a eu lieu, « l’individu porteur des gĂšnes peut disparaĂźtre ; il a transmis le "germen" que son corps vĂ©hiculait. En tant que "gĂ©niteur", il n’est plus nĂ©cessaire, sa tĂąche est accomplie. » (This, 1980). Cela est vrai pour les organismes qui ne nĂ©cessitent pas d’éducation, ni mĂȘme d’élevage. Il en est ainsi des protozoaires, des bactĂ©ries, etc., mais cela s’applique assez peu aux mammifĂšres, et encore moins Ă  l’homme. Cette remarque ne tient pas compte de l’évolution possible de l’organisme issu de la reproduction ni du dĂ©sir spĂ©cifique Ă  l’ĂȘtre humain de transmettre sa culture et ses biens. 1.3.2. Les mammifĂšres Les mammifĂšres doivent leur nom au fait que la femelle porte des mamelles, c'est-Ă - dire que tous les petits mammifĂšres sont entiĂšrement dĂ©pendants de leur mĂšre pendant le temps de l’allaitement. Le mĂąle s’occupe gĂ©nĂ©ralement d’assurer la protection de la femelle contre d’éventuels prĂ©dateurs ainsi que de lui rapporter de la nourriture. Bernard This fait Ă©galement remarquer que le mĂąle intervient le plus souvent dans un second temps auprĂšs des petits et de leur prise en charge. Il peut notamment s’en occuper lorsque l’allaitement est terminĂ©, ou bien encore pendant celui-ci, en dehors des tĂ©tĂ©es. « Pour la plupart des zoologues, tout se passe en effet comme si l’instinct paternel n’existait pas, ne pouvait pas, ne devait pas exister – alors que la conduite de beaucoup d’animaux prouverait plutĂŽt le contraire, notamment chez les Primates (This, 1980). » L’étude des gorilles rĂ©vĂšle l’importance du mĂąle auprĂšs des petits. Bernard This rapporte les conclusions d’une observation rĂ©alisĂ©e sur des gorilles en captivitĂ©. Les femelles Ă©levĂ©es en captivitĂ© sans mĂąle semblent ne plus savoir s’occuper convenablement de leurs petits : elles les frappent, les nourrissent de maniĂšre inappropriĂ©e, etc. Lorsqu’on introduit un mĂąle Ă  leurs cĂŽtĂ©s, elles se montrent alors 22
  • 23. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - davantage capables d’élever les petits (This, 1980). D’autre part, il note que « le "paternage" est une activitĂ© importante de la vie des gorilles », notamment par le jeu. Pour Didier Dumas (1999), ce qui « diffĂ©rencie la sexualitĂ© de l’homme de celle des autres mammifĂšres est d’ĂȘtre langagiĂšre » et cette diffĂ©rence est capitale. La nier peut ĂȘtre pathogĂšne. L’enfant est autant le produit de l’acte sexuel qu’un objet de dĂ©sir, un « projet ». Il insiste sur cet aspect nodal de la conception de l’enfant en affirmant qu’« un enfant n’est pas seulement le produit des deux cellules qui se sont rencontrĂ©es dans le corps de sa mĂšre » mais qu’« il est tout d’abord celui des paroles, des dĂ©sirs et des fantasmes qui ont permis Ă  ces deux cellules de se rencontrer » (Dumas, 1999). Un autre point de vue nous est apportĂ© par GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) qui cite Th. Benedek : « Au regard de la procrĂ©ation, l’homme et la femme, le pĂšre et la mĂšre, ont un fonctionnement identique ». Ceci nous montre Ă  quel point les thĂ©ories divergent en ce qui concerne la spĂ©cificitĂ© de la reproduction humaine par rapport Ă  la reproduction animale, d’autant plus que ses thĂ©ories sont Ă©chafaudĂ©es le plus souvent sur des observations cliniques et non sur des mesures objectives issues d’un protocole expĂ©rimental. En observant les mammifĂšres, nous apercevons quelques attitudes parentales proches de celles que nous constatons chez les humains. Mais gardons-nous de tout anthropomorphisme, et n’oublions pas que la famille telle que nous la connaissons n’a rien d’universel. Au contraire, « la famille humaine est par essence artificielle » (Delaisi de Parseval, 1981). 1.4. L’APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE : LES PERES D’AILLEURS AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© l’aspect animal de la paternitĂ©, nous maintenant poursuivre selon un autre axe : quid de la paternitĂ© chez les peuples non industrialisĂ©s ? Comment se comportent les pĂšres sur les autres continents ? Comme nous le prĂ©cise Françoise 23
  • 24. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Hurstel (1996), « chez nous, il y a un pĂšre. Et quand il y en a plusieurs on se demande [
] quel est le vrai ». 1.4.1. D’autres modĂšles de paternitĂ© La paternitĂ©, telle qu’elle est dĂ©crite dans les dĂ©finitions que nous avons citĂ©es (v. chapitre 1.1. Quelques dĂ©finitions, p. 15), est propre Ă  notre civilisation occidentale. Nous pensons pouvoir dĂ©gager des lois universelles Ă  son sujet, certains vont jusqu’à parler d’instinct de paternitĂ©, alors que le pĂšre se comporte de façon tout Ă  fait originale dans certains peuples. Il existe en effet de multiples façons pour le pĂšre d’ĂȘtre en relation avec ses enfants, avec la mĂšre de ceux-ci, avec ses propres parents, avec la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral. Dans Totem et tabou (1965), Freud relĂšve cet exemple : « un homme appelle pĂšre non seulement celui qui l’a engendrĂ©, mais aussi tout homme qui, d’aprĂšs les coutumes de la tribu, aurait pu Ă©pouser sa mĂšre et devenir son pĂšre. » « Dans d’autres sociĂ©tĂ©s, c’est le pĂšre lĂ©gal qui Ă©duque et aime les enfants d’une femme avec laquelle il vit, mĂȘme s’il sait qu’il n’a pas participĂ© Ă  la procrĂ©ation. » (Delaisi de Parseval, 1981). Il existe des sociĂ©tĂ©s matrilinĂ©aires oĂč la filiation se fait par la mĂšre et non par le pĂšre. On imagine mal Ă  quel point une simple diffĂ©rence d’état civil peut modifier l’organisation de la famille tout entiĂšre, et par consĂ©quent, celle de la sociĂ©tĂ©. Parfois, les filiations peuvent ĂȘtre croisĂ©es : les filles sont Ă©duquĂ©es par le pĂšre, alors que les fils sont Ă©duquĂ©s par la mĂšre, l’éducation inscrivant l’enfant dans une lignĂ©e spĂ©cifique. Les gĂ©nĂ©rations se suivent donc de maniĂšre exclusivement hĂ©tĂ©rosexuelle. Sigmund Freud (1965) nous fait remarquer qu’il « est Ă©tonnant que mĂȘme ces problĂšmes relatifs Ă  la vie psychique des peuples puissent ĂȘtre rĂ©solus, en partant d’un seul point concret ; celui de l’attitude Ă  l’égard du pĂšre ». Effectivement, dans toutes les sociĂ©tĂ©s et Ă  toutes les Ă©poques, le rapport au pĂšre est absolument dĂ©terminent pour comprendre l’organisation sociale et « la vie psychique » du peuple. Freud observe que cette attitude est en rĂ©alitĂ© articulĂ©e autour de l’interdit de l’inceste, interdit d’oĂč a dĂ©coulĂ© une autre rĂšgle : l’exogamie. C’est ce que formule Christine Castelain-Meunier dans La paternitĂ© (1997) : « DĂ©finir et identifier le lien paternel autour de l’interdit de l’inceste a permis d’organiser la reproduction de l’espĂšce. » 24
  • 25. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Il existe cependant des sociĂ©tĂ©s qui tiennent compte du besoin de paternitĂ© de ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfants du fait de leur Ăąge, de leur situation sociale ou familiale, « ce qui montre une fois de plus que la paternitĂ© ne rime pas forcĂ©ment ni avec couple, ni avec fertilitĂ©, ni avec jeunesse, composantes pratiquement considĂ©rĂ©es, dans nos sociĂ©tĂ©s, comme des conditions sine qua non de son existence » (Delaisi de Parseval, 1981). 1.4.2. La couvade Rappelons la dĂ©finition de la couvade, telle que nous la trouvons depuis trĂšs peu de temps dans nos dictionnaires : « Couvade : Ethnol. Coutume rencontrĂ©e dans certaines sociĂ©tĂ©s oĂč, aprĂšs l’accouchement, c’est le pĂšre qui tient le rĂŽle de la mĂšre. » (Dictionnaire Larousse, 1998). Avec plus de prĂ©cision, GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) apporte la diffĂ©rence suivante : la couvade dite « rituelle » est un « ensemble de comportements prescrits (obligations et interdits) du pĂšre, associĂ©s Ă  la naissance d’un enfant » alors que la couvade dite « psychosomatique » est l’ensemble des « phĂ©nomĂšnes psychosomatiques associĂ©s Ă  la paternitĂ© ». On a observĂ© en effet que le pĂšre, dans certains peuples, occupait une place privilĂ©giĂ©e autour de la grossesse et aprĂšs l’accouchement. Il lui arrive alors d’imiter les douleurs de la parturiente, de s’allonger et de recevoir les dolĂ©ances des autres membres du village. Les troubles relatifs Ă  la grossesse de la conjointe sont de plus en plus frĂ©quemment rapportĂ©s par les cliniciens qui ont l’occasion de recevoir des futurs pĂšres. Ils sont de plusieurs ordres, certains imitant ostensiblement la dĂ©formation du corps de la mĂšre, d’autres, plus discrets ou plus symboliques : troubles digestifs, douleurs abdominales, problĂšmes de transit, lombalgie, troubles dentaires, prise de poids sont les plus courants. On rapporte Ă©galement des cas de dĂ©compensation psychotique ou d’épisodes psychotiques aigus contemporains de la paternitĂ©. À propos de ce type de couvade, Françoise Hurstel (1996) affirme qu’elles sont « une maniĂšre de rĂ©aliser imaginairement la deuxiĂšme partie du chemin qui mĂšne de l’annonce de la paternitĂ©, Ă  l’élaboration d’ĂȘtre pĂšre », alors que pour Jacqueline Kelen (1986), il s’agirait d’un « dĂ©sir de parturition », « plus ou moins refoulĂ© Ă  l’ñge adulte ». Le sens de ces manifestations se situeraient entre une sympathie pour la mĂšre et un dĂ©sir 25
  • 26. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - de l’imiter, voire de la remplacer complĂštement, c'est-Ă -dire de l’éliminer. Le pĂšre, n’ayant « toujours pas le droit de montrer sa sensibilitĂ©, ses Ă©motions » (Kelen, 1986), en est rĂ©duit Ă  cette somatisation plus ou moins histrionique. Au sein des peuples pratiquant la couvade rituelle, le sens des symptĂŽmes n’est cachĂ© pour personne, pas mĂȘme pour le pĂšre (ou le futur pĂšre) qui semble parfois tout Ă  fait conscient de la façon dont il imite la mĂšre. En revanche, dans notre sociĂ©tĂ©, « les pĂšres en "couvade" n’ont en gĂ©nĂ©ral aucune idĂ©e du motif possible de leurs symptĂŽmes, gommant (consciemment) tout lien avec la grossesse de leur Ă©pouse », ce qui ne serait que la consĂ©quence d’un « dĂ©ni de la paternitĂ© dans la culture occidentale contemporaine » (Delaisi de Parseval, 1981). Pour Didier Dumas (1999), cette situation est plus prĂ©occupante encore : « Notre sociĂ©tĂ© semble ignorer que devenir pĂšre est un acte mental impliquant obligatoirement l’homme dans son statut affectif et pensant. Les peuples pratiquant la couvade considĂšrent au contraire que la paternitĂ© est un Ă©tat qui ne peut ĂȘtre affrontĂ© sans prĂ©paration ni prĂ©cautions. » Le pĂšre n’est pas accompagnĂ© pour vivre cette importante transition, il n’existe aucun rituel d’intĂ©gration, aucun certificat de paternité  C’est justement pour combler ce vide que le livret de paternitĂ© est remis depuis peu aux nouveaux pĂšres. 1.5. L’APPROCHE HISTORIQUE : LES PERES D’AUTREFOIS Avant de pouvoir relever et apprĂ©cier les spĂ©cificitĂ©s des pĂšres d’aujourd’hui, ainsi que les Ă©ventuels changements dans leurs pratiques ou dans les reprĂ©sentations, un bref parcours de l’histoire de la paternitĂ©, de l’AntiquitĂ© Ă  nos jours, nous permettra de les situer plus prĂ©cisĂ©ment par rapport Ă  nos ancĂȘtres. Effectivement, il est nĂ©cessaire de comparer les pĂšres contemporains avec leurs lointains parents afin de mieux estimer le chemin parcouru de ce qu’ils Ă©taient Ă  ce qu’ils sont devenus. Comment a Ă©voluĂ© la relation entre Ă©poux ? Et la relation du pĂšre Ă  ses enfants ? Qu’en est-il du rapport du pĂšre Ă  la communautĂ© ou Ă  la sociĂ©tĂ© ? Quelle Ă©tait l’étendue 26
  • 27. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - de son autoritĂ© ? Au cours de cette partie, nous nous intĂ©resserons en particulier Ă  l’image du bon pĂšre, au pĂšre idĂ©al tel qu’il pouvait ĂȘtre perçu aux diffĂ©rentes Ă©poques de l’histoire. Il est important de noter que les informations que nous pouvons recueillir aujourd’hui au sujet des pĂšres de l’antiquitĂ© ne concernent que ceux appartenant Ă  une classe relativement aisĂ©e, voire les familles exclusivement nobles. Sur les familles plus pauvres et parfois sur la famille moyenne, il ne nous reste que trĂšs peu d’élĂ©ments tangibles. Il n’y a jamais eu un modĂšle unique de paternitĂ©, il a toujours variĂ© en fonction de la classe sociale mais Ă©galement en fonction de multiples facteurs. Comme le souligne Castelain-Meunier (1997) : « Il y a toujours eu [
] une pluralitĂ© de pĂšres ». Nous verrons nĂ©anmoins que cette diversitĂ© a Ă©voluĂ© Ă  travers les Ăąges, en fonction de la richesse Ă©conomique, de la politique, du droit de la famille et plus rĂ©cemment, des avancĂ©es en matiĂšre d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation. 1.5.1. Le pĂšre Ă  l’antiquitĂ© Le pater familias est le chef de famille. C’est lui la seule et unique autoritĂ© de la famille. Il dĂ©cide de tout, sans l’intervention de l’État. Il s’occupe de l’éducation de ses fils, lorsqu’ils ont dĂ©jĂ  un certain Ăąge. C’est lui qui est responsable de « transmettre le savoir au fils » (Castelain-Meunier, 1997). Le culte des anciens ne survit que parce que le pĂšre se charge de le rĂ©vĂ©ler Ă  sa descendance. Ce sont Ă©galement les pĂšres qui arrangent les mariages des leurs enfants. Ces derniers n’ont pas le droit de contester ses dĂ©cisions, et son autoritĂ© est soutenue par la collectivitĂ© comme garante de l’ordre et de la perpĂ©tuation des valeurs constitutives du groupe. Il peut dĂ©cider Ă  tout moment, et sans avoir Ă  argumenter plus avant, de dĂ©shĂ©riter un de ses enfants, de le faire emprisonner, voire de le tuer. « Le Pater est celui qui donne la vie et la mort. » (Mulliez, J. in Delumeau et Roche, 2000). Cette toute-puissance que rien ne semble rĂ©ellement entraver, la potestas (du latin, puissance) n’est transmise au fils qu’à la mort du pĂšre. Ainsi, si ce dernier, s’il est grand-pĂšre, a autoritĂ© sur son fils mariĂ©, la femme et les enfants de son fils. Ce n’est que 27
  • 28. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - lorsqu’il meurt que le fils peut (enfin !) profiter de ce pouvoir et assumer cette responsabilitĂ©. En revanche, Ă  cette Ă©poque, « la paternitĂ© biologique importe peu, seule la volontĂ© de reconnaissance de l’enfant par le pĂšre compte » (Castelain-Meunier, 1997). Autrement dit, « [les] Romains ne voulaient croire qu’à une paternitĂ© adoptive » (Delaisi de Parseval, 1981). En effet, la paternitĂ© ne pouvant ĂȘtre prouvĂ©e de façon formelle et ne reposant que sur la fidĂ©litĂ© de la femme, les enfants nĂ©s d’un autre pĂšre peuvent ĂȘtre adoptĂ©s par le pĂšre comme les siens propres, de mĂȘme que les enfants qu’il a conçus peuvent ĂȘtre adoptĂ©s par une autre famille. Dans toutes ces dĂ©cisions, le pĂšre ne tient aucun compte de la parole de la mĂšre. Ainsi, seule la volontĂ© de l’homme fait le pĂšre, et celui-ci est seul Ă  dĂ©cider. Les liens unissant l’enfant Ă  la mĂšre ne semblent guĂšre reconnus comme primordiaux et ne sont par consĂ©quent pas pris en compte. 1.5.2. Le pĂšre au Moyen-Âge Au Moyen Âge, la sociĂ©tĂ© est quasi exclusivement communautaire. Le bien-ĂȘtre de l’individu cĂšde la prioritĂ© Ă  l’équilibre du groupe et la pĂ©rennisation de ses valeurs. D’autre part, hormis quelques riches familles Ă  l’abri du besoin, la vie est en permanence menacĂ©e par les guerres ou les famines. Une grande partie de la population vit dans une telle prĂ©caritĂ© que la survie du groupe, notamment par la protection des enfants, devient la seule fin souhaitĂ©e par chacun. D’un point de vue Ă©conomique, la famille constitue une unitĂ© de production (Hurstel, 1996). Le pĂšre reste, et de loin, le seul rĂ©fĂ©rent juridique de la famille. Il doit rĂ©pondre de ses enfants, mais aussi de sa femme. En revanche, la potestas a Ă©tĂ© sĂ©rieusement entamĂ©e : « le pĂšre n’a plus Ă  cette Ă©poque-lĂ , comme au temps des Romains, le droit de vie et de mort sur ses enfants » (Castelain-Meunier, 1997). DĂšs lors, le pĂšre est limitĂ© dans l’exercice de son autoritĂ©. En l’occurrence, ce n’est pas encore le psychologue ou l’assistante sociale qui interviennent auprĂšs des familles, mais c’est « le juge ecclĂ©siastique [qui] s’introduit peu Ă  peu dans la vie privĂ©e. » (Castelain-Meunier, 1997). La religion confirme donc au pĂšre sa position de chef de famille incontestable en 28
  • 29. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - faisant de la famille le modĂšle unique, et en mĂȘme temps restreint son pouvoir en contrĂŽlant ses abus. Pour Françoise Hurstel (1996), on assiste alors Ă  « la lente mainmise de l’Église catholique sur les pratiques matrimoniales ». En consĂ©quence, « le pĂšre est devenu "celui que le mariage dĂ©signe" ». Ainsi, l’Église est l’institution qui cautionne les valeurs de la famille, qui lĂ©gitime la filiation par l’intermĂ©diaire du mariage. En outre, les Ă©poux ne s’unissent par le mariage religieux pas tant par amour, que pour fonder un foyer, avoir des enfants Ă  qui transmettre les biens et le savoir hĂ©ritĂ©s des ancĂȘtres. Le fait que le mariage soit nĂ©cessairement fĂ©cond a pour consĂ©quence qu’il « ne peut se concevoir sans enfant. » (Castelain-Meunier, 1997). La paternitĂ© est garantie uniquement par la virginitĂ© de la femme au moment du mariage. La domination de l’homme sur la femme n’est pas rĂ©ellement remise en cause, d’autant plus que « la complĂ©mentaritĂ© biologique interprĂ©tĂ©e dans le sens de la subordination de la femme Ă  l’homme est sublimĂ©e dans l’acte d’engendrement » (Castelain-Meunier, 2002). L’homme, pour ĂȘtre un bon pĂšre de famille, est alors nĂ©cessairement courageux, pour pouvoir assurer la protection des siens ; instruit, pour enseigner Ă  ses enfants le sens des valeurs qu’il leur transmet ; pieux et respectueux des rĂšgles dictĂ©es par le clergĂ© : « la gĂ©nĂ©rositĂ© le caractĂ©rise dans son amour d’autrui, ainsi que sa certitude de faire le bien », il « contrĂŽle ses Ă©motions et il doit ĂȘtre doux » (Castelain-Meunier, 1997). L’idĂ©al du pĂšre autoritaire et distant est progressivement supplantĂ© par l’image d’un pĂšre plus proche et plus soucieux de la bonne croissance de sa progĂ©niture. Cependant, le pĂšre de cette Ă©poque ne s’intĂ©resse rĂ©ellement Ă  son enfant qu’à partir de l’ñge de raison, c'est-Ă -dire sept ans. 1.5.3. Le pĂšre Ă  l’époque moderne De nombreux changements vont Ă©branler l’autoritĂ© paternelle. Sans disparaĂźtre totalement pour autant, elle en sera nĂ©anmoins sĂ©rieusement limitĂ©e. « Pourtant, le pouvoir du pĂšre, comparativement Ă  celui de la femme, n’en demeure pas moins trĂšs fort d’un point de vue institutionnel, juridique, social et culturel » (Castelain-Meunier, 2002). Le public se sĂ©pare de plus en plus du privĂ©, on diffĂ©rencie la production de la reproduction. L’éducation des fils est sous la responsabilitĂ© du pĂšre, tandis que la mĂšre 29
  • 30. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - s’occupe de celle des filles. Les fils reçoivent l’enseignement des « valeurs de la sociĂ©tĂ© industrielle » alors que les filles hĂ©ritent de la mĂšre « son infĂ©rioritĂ© » et « son savoir- faire mĂ©nager » (Castelain-Meunier, 2002). Le pĂšre est alors dĂ©crit selon des « caractĂ©ristiques de force, sĂ©vĂ©ritĂ©, richesse et culture
 » (Hurstel, 1996). Le pĂšre idĂ©al fait davantage figure d’exemple pour l’enfant devenant adulte que la mĂšre idĂ©ale. Jusqu’à la fin du XIXe siĂšcle, la question de la fĂ©minisation de l’homme s’occupant de ses enfants ne se pose pas. Avant la RĂ©volution, le pĂšre connaĂźt l’« Ăąge d’or » de la paternitĂ©, pendant lequel son pouvoir rappelle ceux du pater familias. Mais cette fois-ci, son autoritĂ© paraĂźt excessive, inquiĂ©tante, contestable. L’EncyclopĂ©die de 1755 rapporte que lorsque l’éducation de l’enfant est finie, l’autoritĂ© du pĂšre s’arrĂȘte, ce qui fait Ă©galement de l’autoritĂ© un moyen d’éducation au profit des enfants Le pĂšre est Ă©coutĂ© pour ses conseils et respectĂ©, mais ses fils et lui deviennent Ă©gaux en droit. De plus, les fils bĂ©nĂ©ficient de la libertĂ© de l’administration de leurs biens dans le but de favoriser le dĂ©veloppement Ă©conomique. Les hommes et les femmes sont considĂ©rĂ©s trĂšs diffĂ©remment par les textes de loi. En ce qui concerne l’adultĂšre, par exemple, un important dĂ©sĂ©quilibre au sujet de la peine encourue les sĂ©pare : l’homme fautif devra s’acquitter d’une simple amende, alors que la femme risquera la maison de correction. « Corollairement, le droit des enfants, celui des femmes, Ă©pouses et mĂšres sont constituĂ©s exclusivement de devoirs et d’obligations » ; la femme « est entiĂšrement "assujettie", dans le mariage, au mari » (Hurstel, 1996). En revanche, cette Ă©poque connaĂźt la disparition de l’exhĂ©rĂ©dation et la fin du droit d’aĂźnesse, ce qui impose une rĂ©partition plus homogĂšne parmi les diffĂ©rents hĂ©ritiers, et ce, quelle que soit leur position dans la fratrie. Françoise Hurstel (1996) fait remarquer Ă  propos de Guyot (1780) que celui-ci trouve « normal que le pĂšre ait un droit de "correction paternelle" ». Rappelons que, mĂȘme si la vie du fils n’est plus lĂ©galement entre les mains du pĂšre, ce droit de correction peut toutefois correspondre Ă  un emprisonnement. Dans la mĂȘme lignĂ©e, le projet Jacqueminot du Code civil en 1804, propose un retour en arriĂšre et remet en avant la nĂ©cessitĂ© du pĂšre Ă  disposer d’une totale autoritĂ© afin de mieux diriger les membres de sa famille. En contrepartie, le pĂšre est tenu de pourvoir aux besoins de la famille. DĂšs lors, lorsque ceux-ci ne sont pas satisfaits, le pĂšre peut ĂȘtre jugĂ© et puni. Avec l’industrialisation, le modĂšle de paternitĂ© Ă©volue vers des idĂ©aux de rĂ©ussite professionnelle, d’ascension sociale, d’ambition concernant l’influence ou le pouvoir. 30
  • 31. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 1.5.4. Le pĂšre Ă  l’époque contemporaine AprĂšs la RĂ©volution, un grand pan de l’institutionnalisation du mariage tombe : le mariage religieux n’est plus obligatoire, ce qui est le premier grand mouvement dans la tendance Ă  la sĂ©cularisation de la famille. Sur un autre versant, le dĂ©bat fait rage pour connaĂźtre le fondement du mariage. Est- il naturel ou bien est-ce un simple contrat social ? Ce dĂ©bat est crucial pour le statut de la paternitĂ©. En effet, si le mariage est naturel, la paternitĂ© l’est Ă©galement, et le divorce est impossible. Dans le cas contraire, le divorce est envisageable. Bonaparte prend le parti de faire du mariage un contrat civil en 1791. Par la suite, le divorce sera supprimĂ© en 1816, puis de nouveau autorisĂ© en 1884 (ThĂ©ry, 1994). Toujours dans le mĂȘme mouvement de diminution de l’autoritĂ© du pĂšre sur ses enfants, le 28 aoĂ»t 1792, une nouvelle loi postule que « les majeurs ne seront plus soumis Ă  la puissance paternelle, elle ne s’étendra que sur la personne des mineurs » (Castelain-Meunier, 1997). On assiste ainsi Ă  une « prise de distance par rapport Ă  la morale religieuse » et Ă  un mouvement de plus en plus dĂ©terminĂ© « vers la sociĂ©tĂ© civile laĂŻque » (Castelain-Meunier, 1997). Les institutions publiques s’immiscent progressivement au sein du foyer dans un but de prophylaxie Ă©ducative. On entend alors parler de « l’intĂ©rĂȘt de l’enfant ». Par consĂ©quent, le 30 octobre 1935, on assiste Ă  l’abolition de la « correction paternelle ». En 1945, les femmes acquiĂšrent leur premier droit civique, le droit de vote. Elles obtiennent ainsi la reconnaissance de leur identitĂ©, distincte de celle de leur famille ou de leur mari. Par la suite, « les mĂšres deviennent les interlocutrices privilĂ©giĂ©es de l’État, pour la question des enfants » (Castelain-Meunier, 1997). Dans le prolongement de la loi de 1889 sur la dĂ©chĂ©ance des pĂšres indignes, les deux psychiatres Luccioni et Sutter (1957) Ă©voquent pour la premiĂšre fois la « carence paternelle » et la « carence d’autoritĂ© ». Pour y remĂ©dier, ils proposent de « rĂ©intĂ©grer le pĂšre Ă  sa place ». Mais l’évĂ©nement majeur est, pour beaucoup, l’arrivĂ©e de la pilule contraceptive dans les foyers. Cette importance dĂ©terminante est soulignĂ©e par GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) : la « rĂ©volution contraceptive » a eu pour consĂ©quence de « rĂ©investir le pĂšre ». Il faisait des enfants « Ă  sa femme », il les fait maintenant « avec sa 31
  • 32. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - compagne ». Ce nouveau contrĂŽle des naissances bouleverse la conception de la famille : les enfants ne sont plus le fruit du hasard, de la fatalitĂ© mais bien plutĂŽt choisis, attendus et dĂ©sirĂ©s. Cette situation permet au pĂšre de s’impliquer dans le projet de l’agrandissement de la famille. Autour de la deuxiĂšme guerre mondiale, un bon pĂšre est « un chef, assumant l’autoritĂ© sur femme et enfants, cultivĂ©, gĂ©nĂ©reux, jusqu’à l’abnĂ©gation, ayant un sens moral et religieux » (Hurstel, 1996). On constate que le pĂšre est encore, et ce depuis l’AntiquitĂ©, le responsable de la transmission des valeurs, de la pratique de la religion ou du culte, et, bien entendu, le dĂ©tenteur de l’autoritĂ©. À ce sujet, Françoise Hurstel (1996) constate qu’un demi-siĂšcle plus tard, ce modĂšle de pĂšre tout-puissant s’écroule. Le modĂšle unique de paternitĂ© disparaĂźt pour laisser place Ă  une multitude de modĂšles diffĂ©rents. Le modĂšle de la mĂšre, lui, ne semble pas fondamentalement Ă©branlĂ© en comparaison de ce qu’il Ă©tait au siĂšcle prĂ©cĂ©dent. « La paternitĂ© Ă©tait, il y a encore une trentaine d’annĂ©es, vĂ©cue et perçue en France comme une unitĂ© fonctionnelle insĂ©cable et placĂ©e sous l’égide d’une institution stable, le mariage. Elle ne cesse de se morceler sous nos yeux en ses constituants les plus intimes » (Hurstel, 1996). Alors que depuis des siĂšcles la sociĂ©tĂ© est centrĂ©e sur l’intĂ©rĂȘt de la communautĂ©, sur la survie de la culture, des valeurs et des traditions du groupe, l’individu se dĂ©marque de plus en plus, revendique une place indĂ©pendante de celle des diffĂ©rents groupes auxquels il appartient et, en particulier, indĂ©pendante de la famille. Pour François de Singly (1993), c’est l’émergence du souci de « chacun pour soi ». La famille a alors un nouvel objectif, une nouvelle mission : elle consiste Ă  « produire de l’identitaire » (Castelain-Meunier, 1997). Dans les annĂ©es 60, le mouvement fĂ©ministe critique sĂ©vĂšrement le modĂšle de la femme au foyer (Singly, 1993). Les mĂšres sont idĂ©alisĂ©es sur le plan du savoir-faire avec les enfants. L’instinct maternel suffit Ă  faire de la mĂšre la seule personne capable de penser l’enfant, de connaĂźtre ses besoins et ses limites. On en vient Ă  poser explicitement la question de la nature du rĂŽle du pĂšre (Hurstel, 1996). La disparition de la puissance paternelle s’accompagne du partage de l’autoritĂ© entre les deux parents dĂšs 1970. Cette loi est dĂ©terminante dans l’évolution de la paternitĂ© en France. DĂšs lors, le rapport entre les conjoints est Ă©quilibrĂ© et l’intĂ©rĂȘt de l’enfant est placĂ© directement sous la responsabilitĂ© des parents. Les membres de la famille contemporaine communiquent selon un « type de relations oĂč le respect de la parole de 32
  • 33. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - l’autre prime sur l’exercice d’un pouvoir » (Hurstel, 1996). Le paterfamilias laisse sa place Ă  deux partenaires engagĂ©s auprĂšs de l’enfant. Le phĂ©nomĂšne de la « dĂ©valorisation de la dĂ©pendance intergĂ©nĂ©rationnelle » (Singly, 1993) est peut-ĂȘtre Ă  l’origine d’une « diffĂ©renciation importante en l’espace de deux gĂ©nĂ©rations » (Hurstel, 1996). Le pĂšre est perçu comme s’efforçant de concilier famille et travail ainsi que de crĂ©er de nouvelles relations avec ses enfants. Ces relations plus sensuelles sont initiĂ©es par la possibilitĂ© pour le pĂšre d’avoir accĂšs Ă  de nouvelles perceptions du bĂ©bĂ© : l’haptonomie et l’échographie (et plus tard, l’échographie 3-D). Le sentiment de paternitĂ© s’exprime aujourd’hui davantage en terme de responsabilitĂ©, d’engagement, de partage du quotidien, de fiertĂ©. Ces changements nous amĂšnent Ă  penser que la paternitĂ© n’est ni universelle, ni immuable. « Ces mises en cause mettent au jour le fait que la paternitĂ©, comme la maternitĂ© d’ailleurs, ne sont pas des Ă©tats naturellement donnĂ©s aux hommes et aux femmes, et par-lĂ , immuables, mais des statuts, des rĂŽles, des comportements qui Ă©voluent au grĂ© des transformations de la sociĂ©tĂ© (Modak et Palazzo, 2002). » En effet, le pĂšre n’a pas toujours eu le mĂȘme rĂŽle familial ni le mĂȘme statut social. Son autoritĂ© a Ă©tĂ© considĂ©rablement restreinte au cours des siĂšcles et en mĂȘme temps s’est dĂ©veloppĂ© chez lui le sentiment qu’il Ă©tait responsable du bien-ĂȘtre et du devenir de l’enfant. 1.5.5. L’avenir des pĂšres Il y a plus de vingt ans maintenant, GeneviĂšve Delaisi de Parseval (1981) faisait des prĂ©dictions sur les pratiques des pĂšres : 33
  • 34. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - « Entre le pĂšre d’il y a vingt ans qui, "dans les grandes circonstances", changeait son bĂ©bĂ© ou donnait le "biberon de minuit", et le pĂšre de l’an deux mille (petit garçon de cinq ans maintenant) qui, institutionnellement, « couvera », il y a loin
 Pas tant que ça, cependant : l’idĂ©ologie de la spĂ©cialisation sexuelle aura changĂ©, c’est tout. » Il serait audacieux de tracer, mĂȘme dans ses grandes lignes, le portrait du pĂšre du prochain siĂšcle. L’évolution qu’il a suivie depuis plusieurs siĂšcles, et plus particuliĂšrement au cours de deux gĂ©nĂ©rations, nous fait comprendre que la paternitĂ© est influencĂ©e par un trĂšs grand nombre de variables : un instinct probablement hĂ©ritĂ© des animaux, notamment des primates ; un cadre politique et juridique dĂ©limitant les droits et des devoirs par l’intermĂ©diaire desquels elle peut s’exprimer ; un contexte Ă©conomique conditionnant la charge de travail et la prĂ©sence du pĂšre Ă  la maison, mais aussi la quantitĂ© et la qualitĂ© des activitĂ©s de loisirs partagĂ©es avec les enfants ; des reprĂ©sentations sociales qui Ă©voluent en fonction des pratiques mais Ă©galement en fonction des images vĂ©hiculĂ©es par les mĂ©dias ; des progrĂšs de l’aide mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation qui mettent Ă  la disposition des couples stĂ©riles ou porteurs de maladies graves toute une palette de techniques permettant malgrĂ© tout d’avoir des enfants. En revanche, nous pouvons nous interroger sur la question du devenir du pĂšre Ă  la prochaine gĂ©nĂ©ration. Yvonne Knibiehler (1987) laisse apercevoir un avenir sombre pour l’autonomie de la famille, entre « utopie » et « totalitarisme », oĂč l’État prendrait intĂ©gralement en charge l’élevage des enfants afin de rĂ©soudre les difficultĂ©s Ă©ducatives des parents dĂ©passĂ©s par leur tĂąche. Ne faudrait-il pas, dans cette perspective interventionniste de l’État, envisager d’éventuelles formations qui seraient proposĂ©es aux futurs parents, ou mĂȘme imposĂ©es dans certains cas (parents sortis de prison, anciens toxicomanes, 
) ? On risque incontestablement d’aller vers une certaine prophylaxie Ă©ducative (« le totalitarisme ») mais cela permettrait, en revanche, de favoriser l’accĂšs aux progrĂšs 34
  • 35. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - rĂ©cents de la pĂ©dagogie et de proposer d’autres modĂšles aux parents que les modĂšles de ceux qui les ont Ă©duquĂ©s (« l’utopie »). Jean Le Camus (2000) note Ă  ce sujet qu’il faudrait Ă  l’avenir « expliquer l’importance du trio familial Ă  tous les Ăąges de la vie », « appliquer une politique familiale qui favorise un meilleur partage » et « inventer une politique Ă©conomique et sociale qui favorise l’exercice de la coparentalitĂ© ». Il souligne l’absence de continuitĂ© dans la prise en charge des enfants par le pĂšre, donc une responsabilitĂ© partielle, la vraie responsable restant la mĂšre. En ce qui concerne la mĂšre, il faudrait qu’elle aussi ait du temps pour jouer avec les enfants. En se tournant vers l’avenir, il affirme avec vĂ©hĂ©mence qu’une page doit rĂ©solument ĂȘtre tournĂ©e. « À l’aube du XXIe siĂšcle, il ne paraĂźt plus possible de soutenir que la fonction du pĂšre n’est lĂ©gitimĂ©e que par le bon vouloir de la mĂšre, que cette fonction peut ĂȘtre indiffĂ©remment remplie par un homme ou par une femme, qu’elle n’a de prise qu’à partir de l’ñge de 18 mois ou Ă  partir du moment oĂč l’enfant est entrĂ© dans le stade Ɠdipien, qu’elle se rĂ©duit Ă  l’introduction et Ă  la mise en application de la Loi – autant d’affirmations convenues qu’on rĂ©pĂšte Ă  longueur d’ouvrage, sans mĂȘme se donner la peine de les soumettre Ă  l’épreuve de l’expĂ©rience clinique (Le Camus, 2000). » En constatant les consĂ©quences dramatiques du silence ou du manque de communication de la part du pĂšre, Guy Corneau (1989) signale que « la tĂąche des nouveaux hommes est de briser les gĂ©nĂ©rations de silence masculin ». Quoi qu’il en soit, la tendance actuelle laisse pressentir que les enfants d’aujourd’hui devenus pĂšres seront encore plus prĂ©sents, la rĂ©duction progressive du temps de travail le leur permettant. Les mĂšres seront probablement de plus en plus dĂ©lestĂ©es de leurs charges domestiques. Si les lois sur l’égalitĂ© des salaires permettent aux femmes d’obtenir des revenus supĂ©rieurs Ă  ceux de leurs conjoints, la dĂ©cision de rester au foyer pour Ă©lever les enfants sera moins univoque. Il semble nĂ©anmoins improbable qu’un Ă©quilibre soit atteint sur ce point en si peu de temps, si tant est qu’il soit atteint un jour. 35
  • 36. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 1.6. CONCLUSION Nous avons abordĂ© les difficultĂ©s de poser clairement les limites d’une dĂ©finition du pĂšre et de la paternitĂ©. Il rĂšgne Ă©galement un certain flou autour des dĂ©finitions du masculin et du fĂ©minin, dĂšs lors que ces attributs ne sont pas rĂ©servĂ©s respectivement aux hommes ou aux femmes. L’évolution familiale et l’AMP ont contribuĂ© Ă  une remise en question de ces dĂ©finitions. Il est apparu qu’il existait un profond dĂ©sĂ©quilibre entre le maternel et le paternel, jusque dans des ouvrages de rĂ©fĂ©rences et mĂȘme en dehors des aspects physiques pĂ©rinatals. Les observations de primates ont montrĂ© que le pĂšre avait un rĂŽle bien plus important que de simplement fournir la moitiĂ© du gĂ©nome Ă  la mĂšre. Il prend frĂ©quemment en charge les petits Ă  partir d’un certain Ăąge et soutient la mĂšre. Avec l’approche anthropologique, la paternitĂ© s’est prĂ©sentĂ©e d’une maniĂšre originale et nous a fait relativiser les composantes d’un Ă©ventuel instinct paternel. Le pĂšre Ă©tait dotĂ© d’une autoritĂ© quasi illimitĂ©e sur sa descendance, mais il a Ă©tĂ© progressivement limitĂ© dans son exercice. L’État intervient de plus en plus au sein de la famille, tentant d’empĂȘcher le pĂšre de nuire Ă  l’intĂ©rĂȘt de l’enfant. Aujourd’hui l’autoritĂ© paternelle a Ă©tĂ© remplacĂ©e par la responsabilitĂ© parentale, par un ensemble de devoirs des parents Ă  l’égard de l’enfant. Fort de tous ces Ă©lĂ©ments, le pĂšre est loin de perdre de son importance pour la famille et pour ses enfants mais il apparaĂźt en partie conditionnĂ© par le contexte culturel et social, dĂ©terminĂ© par le lieu et l’époque. Le modĂšle dominant est fluctuant et la paternitĂ©, comme la famille, ne reçoit pas de dĂ©finition unique qui puisse prĂ©tendre Ă  l’universalitĂ©. 36
  • 37. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - 2. NOUVELLES FAMILLES ET NOUVEAUX PÈRES Maintenant que nous avons montrĂ© l’aspect culturel de la paternitĂ©, nous allons prĂ©ciser son environnement aujourd’hui. Les bases de la famille sont Ă©branlĂ©es, mais certaines pratiques sont Ă©galement en mutation : nous nous intĂ©resserons en particulier Ă  la participation du pĂšre Ă  l’accouchement, Ă  la nouvelle relation qui semble s’établir entre le pĂšre et son bĂ©bĂ© et aux consĂ©quences Ă©ventuelles de la perte de pouvoir des pĂšres. 2.1. LA FAMILLE DU XXIE SIECLE Comme nous l’avons vu au cours du chapitre prĂ©cĂ©dent, « la famille n’est plus centrĂ©e sur le pĂšre » mais la sociĂ©tĂ© reste Ă  « domination masculine » (Castelain- Meunier, 2002). Le cadre juridique de la famille a considĂ©rablement Ă©voluĂ© avec les diverses Ă©volutions sociales et Ă©conomiques, mais aussi technologiques et politiques. Nous traiterons Ă  part (bien qu’ils puissent ĂȘtre liĂ©s) deux des Ă©lĂ©ments qui ont particuliĂšrement influencĂ© cette Ă©volution : le mouvement des femmes de 1970 et la fin du modĂšle dominant de la famille. 2.1.1. Le mouvement des femmes En 1970, ce mouvement social a radicalement modifiĂ© la perception de la place de la femme dans la sociĂ©tĂ©. Force est de constater que l’équilibre en terme de rĂ©munĂ©ration n’est toujours pas atteint aujourd’hui. Cependant, l’augmentation du temps de travail des femmes a eu une consĂ©quence directe : la rĂ©duction du temps de prĂ©sence des femmes au foyer ! Par consĂ©quent, lorsque ledit foyer inclut un ou plusieurs enfants, ces derniers seront confiĂ©s Ă  un adulte ou Ă  une institution extĂ©rieurs au foyer. Le mode de garde qui reste le plus « familial » consiste Ă  faire garder les enfants par leurs grands-parents. Mais pour un trĂšs grand nombre d’enfants dont les deux parents 37
  • 38. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - travaillent, c’est une nourrice ou une assistante maternelle Ă  domicile, la crĂšche, la halte-garderie, etc. qui les accueillera. La diversitĂ© des modes de garde et la pĂ©nurie de personnel ou d’infrastructures pour accueillir les « clients » toujours plus nombreux atteste de maniĂšre flagrante de la disparition progressive du modĂšle dominant de la femme au foyer. Jean Le Camus (2000) fait remarquer Ă  ce sujet que « le taux de fĂ©minisation des mĂ©tiers de la petite enfance est de l’ordre de 98 ou 99% » et que « lorsque l’enfant n’est pas Ă©levĂ© au domicile par sa mĂšre, il est confiĂ© presque toujours Ă  des personnes de sexe fĂ©minin ». Les Ă©tudes rĂ©alisĂ©es auprĂšs des familles relĂšvent toutes le phĂ©nomĂšne de la « double journĂ©e » de la femme, dans des proportions plus ou moins grandes. « Les femmes travaillent mais les mĂšres sont encore celles qui s’occupent des enfants (Hurstel, 1996) ». Et ce sont encore elles qui passent le plus de temps aux tĂąches domestiques. Pour Jean Le Camus (2000) et Christine Castelain-Meunier (1997), la famille est aujourd’hui un lieu de construction identitaire oĂč l’on privilĂ©gie le dĂ©veloppement individuel de chacun des membres qui la constitue. En effet, les parents sont toujours plus soucieux de l’épanouissement des leurs enfants leur proposent pour cela des activitĂ©s sĂ©lectionnĂ©es. 2.1.2. Les nouveaux modĂšles familiaux L’augmentation du travail des femmes a eu de trĂšs nombreuses consĂ©quences. En vingt ans Ă  peine, « la proportion des femmes en Ăąge de travailler et qui se trouvent effectivement sur le marchĂ© du travail n’a cessĂ© d’augmenter » (Le Camus, 2000). Elle est passĂ©e de 30 % en 1960 Ă  41,7 % en 1980, pour atteindre prĂšs de 50 % aujourd’hui. En revanche, « le temps partiel touche plus les femmes que les hommes (29,5 % des actives contre 5,3 % des actifs en 1998) » (Le Camus, 2000). D’autre part, elles sont largement minoritaires dans les postes de direction en ne reprĂ©sentant que « 30 % des cadres et 10 % des dirigeants » (Le Camus, 2000). Les enfants doivent par consĂ©quent ĂȘtre gardĂ©s soit au domicile, soit Ă  l’extĂ©rieur : 15 % d’entre eux sont gardĂ©s au domicile par une assistante maternelle agrĂ©Ă©e. 38
  • 39. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - PrĂ©cisons que les enfants de moins de 6 ans « sont gardĂ©s par la mĂšre dans la moitiĂ© des cas » (Le Camus, 2000). Un aspect intĂ©ressant est la corrĂ©lation observĂ©e entre le travail des femmes et le nombre d’enfants. Effectivement, « entre 25 et 49 ans, neuf femmes sur dix n’ayant pas d’enfant Ă  charge travaillent » alors que cette proportion diminue Ă  « deux sur trois » quand elles ont deux enfants, et « une sur deux parmi celles qui ont trois enfants » (Le Camus, 2000). En ce qui concerne la rĂ©partition des tĂąches mĂ©nagĂšres, l’évaluation s’effectue toujours par questionnaire et non par observation en situation rĂ©elle. De ce fait, un phĂ©nomĂšne important de dĂ©sirabilitĂ© sociale biaise tous les rĂ©sultats obtenus. On peut toutefois constater que « la prĂ©sence des pĂšres auprĂšs des enfants a nettement augmentĂ© depuis les annĂ©es 1960, et mĂȘme depuis les annĂ©es 1980 » (Le Camus, 2000). Mais un point qui nous semble plus grave est que, aprĂšs une Ă©ventuelle sĂ©paration des parents, « sur l’ensemble des enfants vivant avec leur mĂšre, 30 % ne voient plus du tout leur pĂšre » (Villeneuve-Gokalp, 1999, citĂ©e par Le Camus, 2000) et « en 1994, plus des pĂšres ne voient plus du tout leurs enfants aprĂšs une sĂ©paration » (ThĂ©ry, 1998). NĂ©anmoins, le modĂšle familial dominant est encore celui que nous connaissons puisque « la trĂšs grande majoritĂ© des enfants vivent avec leurs deux parents », soit 83 % des enfants mineurs (Villeneuve-Gokalp, 1998, citĂ©e par ThĂ©ry, 1998). Le taux de divortialitĂ© est passĂ© de 22,5 % en 1960 Ă  38,3 % en 1996 (ThĂ©ry, 1998). Cette importante augmentation a des rĂ©percussions sur l’organisation de la famille et sur le devenir des membres qui la composent. François de Singly (1993) se pose alors la question suivante : « Est-ce l’absence du pĂšre ou la chute sociale qui provoque d’éventuels dommages ? » 2.2. L’ACCOUCHEMENT Le vocabulaire relatif Ă  cette expĂ©rience ne concerne que la mĂšre. Comme le fait remarquer Dider Dumas (1999), « il n’existe, en français, aucun terme pour nommer l’état de celui qui attend un enfant ». Cet Ă©tat de fait est certainement Ă  mettre en rapport 39
  • 40. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - avec l’absence de prise en compte des phĂ©nomĂšnes de couvade par la plupart des cliniciens et par l’ensemble de nos dictionnaires (v. chapitre 1.4.2. La couvade, p. 25). L’accouchement est vĂ©cu de maniĂšre trĂšs diffĂ©rente en fonction de la culture du peuple en gĂ©nĂ©ral et de celle de la famille en particulier. Il peut notamment ĂȘtre prĂ©sentĂ©, selon les cultures, « tantĂŽt comme un moment exclusivement maternel, tantĂŽt comme exclusivement paternel (le pĂšre ayant alors le rĂŽle symbolique le plus important), tantĂŽt enfin comme exclusivement social » (Delaisi de Parseval, 1981). 2.2.1. L’évolution de l’accouchement 2.2.1.1. L’accouchement au cours de l’histoire L’expĂ©rience de l’accouchement n’a pas toujours Ă©tĂ© ce qu’elle est aujourd’hui. Non seulement les pĂšres mais tous les hommes en gĂ©nĂ©ral y Ă©taient interdits, Ă  l’exception du mĂ©decin qui Ă©tait rĂ©quisitionnĂ© en cas d’urgence pour la mĂšre ou pour l’enfant. « L’accouchement fut, pendant des siĂšcles, l’affaire des femmes (This, 1980). » Les hommes Ă©taient ainsi totalement exclus de la venue au monde de leur progĂ©niture, Ă  l’exception de la naissance des enfants de la reine, pour lesquels la certitude de la lignĂ©e devait ĂȘtre cautionnĂ©e par la prĂ©sence de tĂ©moins oculaires. Certains pĂšres commencent alors Ă  imiter cette atteinte Ă  la pudeur de la mĂšre, raisonnant autour du risque d’ĂȘtre trompĂ© dans la lignĂ©e. Au XVIe siĂšcle, certains hommes commencent Ă  s’intĂ©resser scientifiquement Ă  la naissance. Il ne s’agit au dĂ©but que de mĂ©decins ou de chirurgiens, arguant que le progrĂšs de la science mĂ©ritait que cet interdit sĂ©culaire fĂ»t transgressĂ© (Kelen, 1986). Il n’a pas fallu attendre Freud et la psychanalyse pour comprendre la forte connotation sexuelle de l’accouchement. C’est d’ailleurs tout Ă  fait conscient de la situation dĂ©licate dans laquelle se trouve l’accoucheur que « Mauriceau, Ă  la fin du XVIIe siĂšcle, recommande au mĂ©decin qui pratique l’accouchement d’avoir l’air plutĂŽt sale et nĂ©gligĂ©, peu avenant, afin de na pas provoquer la jalousie du mari
 » (Kelen, 1986). 40
  • 41. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Les arguments pour Ă©loigner les pĂšres de cette scĂšne ont Ă©voluĂ© au cours des siĂšcles, mais sont toujours restĂ©s virulents. Ce n’est que rĂ©cemment que les pĂšres, dans un mouvement compensatoire excessif de la part des Ă©quipes mĂ©dicales, ont Ă©tĂ© parfois contraints Ă  y assister. Certains se sont alors retrouvĂ©s Ă  une place Ă  laquelle rien ne les y avait prĂ©parĂ©s et qui les dĂ©bordait affectivement. Par la suite, les mĂ©decins s’accaparent ce domaine Ă  tel point que la mĂšre qui voudrait se passer de lui fait figure d’irresponsable. Cette mĂ©dicalisation a eu Ă©galement un autre effet : « l’accoucheur a souvent Ă©cartĂ© le pĂšre, traitĂ© comme un "gĂȘneur" » (This, 1980). 2.2.1.2. L’accouchement aujourd’hui En France, les femmes accouchent maintenant presque systĂ©matiquement Ă  l’hĂŽpital. L’argument majeur est le risque de complications ou d’infection. « C’est donc seulement depuis une vingtaine d’annĂ©es qu’on en est venu Ă  concevoir la prĂ©sence du pĂšre comme non dangereuse [
], puis comme bĂ©nĂ©fique. (Le Camus, 2000) ». Les cours de prĂ©paration Ă  l’accouchement proposĂ©s quasi systĂ©matiquement par les maternitĂ©s des hĂŽpitaux et des cliniques, en Ă©voquant avec exhaustivitĂ© les dangers de l’accouchement, en ont fait un Ă©vĂ©nement particuliĂšrement anxiogĂšne face auquel tous les moyens doivent impĂ©rativement ĂȘtre mis en Ɠuvre. Le pĂšre a fait partie de ces moyens, tantĂŽt favorable, donc forcĂ© d’assister Ă  l’accouchement, tantĂŽt dĂ©favorable, donc banni de la salle de travail, pour atteindre aujourd’hui une position plus Ă©quilibrĂ©e et laissant davantage la libertĂ© au pĂšre
 et Ă  la mĂšre. Sur un plan plus technique, on observe Ă©galement que « les femmes soutenues par leur compagnon [feraient] moins usage d’analgĂ©siques et [vivraient] l’accouchement comme une expĂ©rience plus "positive" que les femmes sans compagnon » (Le Camus, 2000). Les pĂšres, de leur cĂŽtĂ©, manifestent un intĂ©rĂȘt grandissant pour la grossesse et pour l’accouchement. Ils se documentent, s’investissent davantage dans les diverses dĂ©marches mĂ©dicales (Ă©chographies, visites mĂ©dicales, prĂ©paration Ă  l’accouchement
). 41
  • 42. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - « On peut dire dans l’ensemble et de façon objective que les diffĂ©rentes Ă©quipes des maternitĂ©s ont notĂ© combien les pĂšres sont ostensiblement plus prĂ©sents aux diffĂ©rentes Ă©tapes de la grossesse. Leur participation Ă  l’accouchement est plus assidue et plus frĂ©quente, leur implication plus importante. (Audier L., Blancho A., Callamand P., Malavialle L. et PĂ©rez F. La place des pĂšres en maternitĂ© : Ă  propos d’une enquĂȘte : quelques rĂ©flexions, in Marciano, 2003). » Les contraintes professionnelles sont frĂ©quemment citĂ©es comme argument pour ne pas avoir davantage soutenu ou accompagnĂ© la future parturiente. Certains en sont sincĂšrement contrariĂ©s ou frustrĂ©s. D’autre, en revanche, y trouvent peut-ĂȘtre tout simplement un prĂ©texte pour ne pas assister Ă  ce qui ne les concerne pas ou ce qui les effraie. La dĂ©cision d’assister Ă  l’accouchement vient en gĂ©nĂ©ral spontanĂ©ment aux jeunes pĂšres. Cette dĂ©cision est rarement contestĂ©e par la conjointe, dĂ©sireuse de partager l’intensitĂ© attendue de cet Ă©vĂ©nement avec le pĂšre. Face Ă  ces changements, Jacqueline Kelen (1986) laisse entendre que cette apparente rĂ©volution « ne serait en fait qu’un phĂ©nomĂšne artificiel et culturel et signerait [
] le retour du patriarcat et de certains schĂ©mas conventionnels visant Ă  conforter l’ordre social, moral et familial, et Ă  assurer la prĂ©dominance masculine en tout ». Au contraire, la prĂ©sence des pĂšres Ă  l’accouchement est, pour Edwige Antier, pĂ©diatre, un « progrĂšs considĂ©rable » (Antier, 2001). Elle suggĂšre la possibilitĂ© pour le pĂšre de passer la nuit auprĂšs de son bĂ©bĂ© et de sa conjointe. Elle regrette mĂȘme le manque de reconnaissance de l’utilitĂ© du pĂšre de la part du personnel des maternitĂ©s. Sa prĂ©sence est parfois simplement nĂ©gligĂ©e, mais il arrive qu’elle soit contestĂ©e. 2.2.2. Une Ă©tape dans la paternitĂ© D’un cĂŽtĂ©, le pĂšre s’en trouve le plus souvent rĂ©duit Ă  tenir passivement la main de sa conjointe, d’oĂč peut naĂźtre un sentiment d’inutilitĂ© ou de mise Ă  l’écart. De l’autre, on constate que les pĂšres laissent de plus en plus percevoir leurs Ă©motions et dĂ©crivent cet 42
  • 43. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - instant comme un Ă©merveillement, une grande joie, une expĂ©rience unique qu’ils ne rateraient, semble-t-il, pour rien au monde. PrĂ©cisons cependant que « la naissance du pĂšre prĂ©cĂšde la naissance de l’enfant et [que] la paternalisation est un processus de rĂ©organisation identitaire » (Le Camus, 2000). Cette rĂ©organisation est appelĂ©e « rĂ©ciprocitĂ© identificatoire » par Didier Dumas (2000). Il affirme Ă©galement que c’est grĂące Ă  elle « que nous comprenons l’enfant, en retrouvant celui que nous Ă©tions Ă  son Ăąge ». La curiositĂ© et le soutien de la mĂšre sont les Ă©lĂ©ments le plus souvent invoquĂ©s en terme de motivation des pĂšres pour assister Ă  l’accouchement. Mais de la curiositĂ© au voyeurisme, il n’y a parfois qu’un pas, que le refoulement empĂȘche de franchir consciemment (Kelen, 1986). MalgrĂ© cette forte motivation, une certaine frustration peut naĂźtre de l’impuissance du pĂšre face aux souffrances de la mĂšre. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on constate que « le pĂšre prend la place qui lui est laissĂ©e par sa compagne ou son Ă©pouse » (Audier L. et al., in Marciano, 2003). Pour nombre d’auteurs, cet Ă©vĂ©nement marque une Ă©tape dĂ©terminante dans l’expĂ©rience nouvelle de la paternitĂ©. Jean Le Camus (2000) souligne ainsi l’influence de la prĂ©sence du pĂšre Ă  l’accouchement : « le devenir-pĂšre a plus de chances de s’opĂ©rer dans des conditions favorables s’il est l’expression d’un travail psychologique commence dĂšs le dĂ©but » (Le Camus, 2000). On constate que ce que Jacqueline Kelen (1986) appelle le « sentiment de paternitĂ© » est souvent plus progressif que le sentiment que peut Ă©prouver la mĂšre pour sa progĂ©niture. Il ne bĂ©nĂ©ficie pas de tous les aspects physiques de la grossesse, de la naissance ou de l’allaitement. Aussi la paternitĂ© est-elle davantage mentalisĂ©e que la maternitĂ©, ce qu’Edwige Antier (2001) rĂ©sume ainsi : « Le sentiment paternel est rĂ©flĂ©chi, conscient, Ă  l’inverse de l’instinct maternel ». Pour cette raison, « les Ă©chographistes et les gynĂ©cologues sont de plus en plus nombreux Ă  admettre que le compagnon de la mĂšre (gĂ©niteur ou non) doit si possible ĂȘtre prĂ©sent » (Le Camus, 2000). Leur participation leur permet de se faire une idĂ©e plus concrĂšte de ce que la mĂšre peut vivre et d’activer l’élaboration psychique autour du futur enfant. 43
  • 44. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - Cette Ă©laboration psychique peut nĂ©anmoins passer par des phases oĂč vont dominer des manifestations affectives qui le dĂ©passent. Tout d’abord surprises, les Ă©quipes mĂ©dicales des maternitĂ©s finissent maintenant par accepter « plus volontiers dans les salles d’accouchement l’expression de ces Ă©motions » (Audier L. et al., in Marciano, 2003). Pour le pĂšre, l’accouchement est Ă©galement un creuset propice Ă  la rĂ©activation de nombreux conflits : « conflits vis-Ă -vis de l’épouse-mĂšre (ou future mĂšre), « conflits vis-Ă -vis de l’enfant Ă  naĂźtre ou nĂ©, « conflits vis-Ă -vis des parents du pĂšre, « conflits vis-Ă -vis de l’accoucheur, « reviviscence de conflits vis-Ă -vis de soi-mĂȘme » (Delaisi de Parseval, 1981). Ces affects plus ou moins extĂ©riorisĂ©s peuvent avoir un aspect trĂšs positif pour le nouveau pĂšre car ils « donnent Ă  leur rapport avec l’enfant et la mĂšre l’humanitĂ© indispensable pour rĂ©ussir l’accĂšs Ă  la parentalitĂ© » (Audier L. et al., in Marciano, 2003). À ce moment-lĂ , le pĂšre, par un mĂ©canisme d’identification inconscient, rĂ©gresse partiellement Ă  un stade trĂšs archaĂŻque, plus prĂ©cisĂ©ment celui du nouveau-nĂ©. À ce sujet, Didier Dumas (1999) explique que « le bĂ©bĂ© nous attendrit et nous touche, car il rĂ©actualise l’époque oĂč nous Ă©tions aussi fragiles et dĂ©munis que lui, et nous le comprenons en retrouvant l’enfant que nous avons Ă©tĂ© ». Ainsi, c’est grĂące Ă  cette identification prĂ©coce que le pĂšre et le bĂ©bĂ© pourront se comprendre et communiquer. 2.3. LE PERE ET LE NOUVEAU-NE 2.3.1. La rĂ©partition des tĂąches domestiques et parentales Ces modifications importantes de la famille ont indĂ©niablement eu des rĂ©percussions sur la rĂ©partition entre conjoints des tĂąches domestiques. Les Ă©tudes Ă  ce sujet semblent 44
  • 45. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - montrer qu’aujourd’hui l’évolution n’est pas aussi consĂ©quente que les efforts rĂ©alisĂ©s pour tendre vers la paritĂ© pourraient le laisser penser. « Au dĂ©but du XIXe siĂšcle encore, les tĂąches du pĂšre et de la mĂšre Ă©taient nettement dĂ©finies (Kelen, 1986) ». Dans ce contexte, l’éducation des enfants Ă©tait trĂšs diffĂ©renciĂ©e en fonction du sexe de l’enfant. En revanche, aujourd’hui, l’incidence de la variable sexe (des parents et des enfants) est moins accentuĂ©e qu’à l’époque, oĂč les rĂŽles parentaux Ă©taient bien plus diffĂ©renciĂ©s (Le Camus, 2000). Cette inĂ©galitĂ© dans la rĂ©partition des tĂąches se traduit principalement par un temps passĂ© aux activitĂ©s domestiques encore nettement plus important pour les femmes que pour les hommes. Une Ă©tude de l’INSEE, citĂ©e par Edwige Antier (2001) rapporte que « 80% des tĂąches domestiques sont assumĂ©es par des femmes ». RapportĂ©e en heures, cette rĂ©partition du travail domestique correspondrait en 2001 Ă  2 h 21 pour les hommes et 4 h 20 pour les femmes, alors qu’en 1986 ces valeurs Ă©taient de 2 h 11 pour les hommes, et 4 h 40 pour les femmes. D’oĂč l’on peut d’ores et dĂ©jĂ  dĂ©duire qu’aujourd’hui les femmes effectuent 80% du travail domestique en seulement 65% du temps total allouĂ© par le couple Ă  ces tĂąches. Ces rĂ©sultats ne sont cohĂ©rents que si l’on considĂšre que les femmes travaillent sensiblement plus vite que les hommes. D’autre part, l’activitĂ© professionnelle des femmes augmentant encore, elles sont de plus en plus confrontĂ©es Ă  ce que l’on appelle la « double journĂ©e » qui consiste Ă  un temps de travail professionnel suivi d’un temps de travail domestique, alors que l’homme, lui, ne cumule pas ces deux temps et ne se consacre activement qu’à son activitĂ© professionnelle. AprĂšs la naissance et la fin du congĂ© de maternitĂ©, ce sont beaucoup plus souvent les femmes qui rĂ©duisent leur temps de travail, recherchant des temps partiels, ou s’arrĂȘtant tout simplement pour se consacrer aux enfants et Ă  la maison. Selon un rapport du CNRS citĂ© par Edwige Antier (2001), l’homme consacrerait 12 h 41 par semaine Ă  ses enfants, contre 25 h 37 pour la femme, soit un peu plus de double. Il existe Ă©galement un dĂ©calage qualitatif entre les pĂšres et les mĂšres en ce qui concerne le type de tĂąches assumĂ©es : 45
  • 46. - GEOPSY.COM - Psychologie interculturelle et PsychothĂ©rapie - « Les activitĂ©s qui sont socialement valorisĂ©es (certains soins, les jeux avec l’enfant) deviennent progressivement l’apanage des pĂšres, sous prĂ©texte d’égalitĂ©, alors que les activitĂ©s socialement dĂ©valorisĂ©es (les activitĂ©s de services indispensables, tels les repas, le nettoyage) restent le devoir des mĂšres (Modak et Palazzo, 2002). » Les pĂšres semblent avoir davantage le choix des tĂąches qu’ils accomplissent, celles qu’ils ne rĂ©alisent pas, par prĂ©fĂ©rence ou bien par manque de temps, Ă©tant prises en charge par la mĂšre. Jacqueline Kelen (1986) dĂ©nonce fermement cette attitude des pĂšres pour qui, d’aprĂšs elle, « le bĂ©bĂ© serait un nouveau jouet, ou un gadget » et qui ne s’en occupe que quand cela lui « fait plaisir ». Au contraire, Edwige Antier (2001) propose le partage des tĂąches suivant : « pendant les premiers mois du bĂ©bĂ©, le pĂšre dĂ©gage la mĂšre du travail domestique pour lui permettre de se concentrer sur les besoins du bĂ©bĂ© » puis il « lui consacre des moments libĂ©rant la mĂšre des demandes permanentes de l’enfant ». Pour Ă©tayer ses propos, elle cite un sondage CSA paru dans un numĂ©ro du magazine Famili en 2000 qui a estimĂ© que 92% des pĂšres interrogĂ©s changeaient les couches. Enfin, Donald Winnicott (1979) explique ce dĂ©sĂ©quilibre par un « sens naturel des responsabilitĂ©s » chez les mĂšres, une implication « particuliĂšre » Ă  l’égard de l’enfant. Il arrive d'ailleurs parfois que le pĂšre soit « incapable de tirer du plaisir du rĂŽle qu’il doit jouer et incapable de partager avec la mĂšre la grande responsabilitĂ© qu’un bĂ©bĂ© reprĂ©sente toujours pour quelqu’un ». De fait, il s’exclut alors rapidement de la dyade mĂšre-enfant. 2.3.2. Les compĂ©tences paternelles La naissance d’un enfant, et en particulier celle du premier, est la source de nombreux conflits inconscients pour le pĂšre (v. chapitre 2.2.2. Une Ă©tape dans la paternitĂ©, p. 42). Elle est Ă©galement Ă  l’origine de nombreuses angoisses qui ont le plus souvent l’enfant comme objet, le pĂšre ne se sentant pas toujours Ă  la hauteur de la tĂąche qui l’attend. Donald Winnicott (1979) doute « qu’une mĂšre croie rĂ©ellement et tout Ă  fait Ă  son enfant dĂšs le dĂ©but » et « cela vaut aussi pour le pĂšre car il souffre autant que la mĂšre de douter de sa capacitĂ© Ă  crĂ©er un enfant sain et normal ». Il remarque aussi 46