1. ACTUALITÉS LA POLÉMIQUE
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a semaine dernière, le footballeur grec Giorgos
Katidis s’était cru malin en célébrant son but
victorieux par un salut nazi. Banni à vie de
l’équipe nationale par sa fédération, il avait,
pensait-on, touché le fond de la bêtise. Mais
lorsque pour se défendre, le joueur de 20 ans
avouait qu’il ignorait la signification de ce geste,
il réussissait l’exploit de creuser encore.
Et ternissait davantage le blason de sa
corporation dans l’opinion. Parce que
oui, les joueurs de foot ont une réputation qui leur colle
aux crampons: celle d’être indubitablement cons...
DES FOOTBALLEURS
CONS COMME LEURS PIEDS
Le salut nazi d’un footballeur grec est venu enrichir l’infinie collection des
boulettes de la corporation. Au point qu’on ne peut s’empêcher de se poser
la question: les footballeurs sont-ils (vraiment) intrinsèquement cons?
GRAMMAIRE: 1 - FOOTEUX: 0
Pour s’en convaincre, tout le monde a en tête les inter-
views d’avant- ou d’après-match de ces footeux, où les
fautes de grammaire succèdent aux propos clé sur porte
d’une vacuité sans nom (notre préférée: “on prend les
matchs les uns après les autres”). “Ils n’ont rien à dire,
assène Stéphane Pauwels, consultant foot sur RTL. Ils
sont formatés par les clubs, avec une phrase-clé: “L’impor-
tant, c’est l’équipe”. Alors que tout le monde sait que les
joueurs ne pensent qu’à une chose: leur gueule.” Sans
jamais remettre en cause la tactique de l’équipe, ils se
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Le 7 octobre,
Jonathan Legear
entrait dans
un magasin
avec sa Porsche.
Un sommet de sa
bêtise présumée?
S
S
contentent donc de relater laconiquement les faits de jeu.
À leur décharge, confessons que si leurs réponses sont
sans intérêt, c’est parfois parce que les questions des
journalistes - “Alors, Bidule, content de la victoire?” - le
sont tout autant. “Les joueurs interviewés dans le men-
suel français So Foot ont l’air plus intelligents que dans
Foot Magazine, remarque ainsi Marc Delire, monsieur foot
chez Belgacom TV. Il faut donc se poser la question: n’est-
ce pas le journaliste qui est plus ou moins con?” Ou qui
réécrit plus ou moins les réponses? Un ravalement de
façade aussi courant qu’indispensable, et qui a parfois
lieu aussi en télé. “On sait que la maîtrise du conditionnel
n’est pas leur point fort. Du coup, il m’est arrivé à de nom-
breuses reprises de leur faire recommencer l’interview,
avoue Marc Delire. Je leur conseille: “Bon, à la place de
dire “si j’aurais”, dis plutôt “si j’avais”, sinon tu vas passer
pour un con!” Si le gars est vexé, tant pis pour lui. Mais
la plupart du temps, il me remercie.”
CULTURE: 2 - FOOTEUX: 0
Malgré cette élégance, beaucoup d’approximations de
langage passent la rampe et nourrissent largement la
caricature du footeux bêta. Il s’agit cependant de relati-
viser. D’abord en rappelant que la parfaite maîtrise du
subjonctif imparfait n’a jamais été un gage d’intelligence.
Ensuite en défiant quiconque de tenir un discours perti-
nent, après avoir été soumis à un effort extrême pendant
90 minutes. Enfin plus prosaïquement, parce que “leur
métier, c’est de taper dans une balle et de battre l’adver-
saire, rappelle Marc Delire. On ne leur demande pas
d’avoir une culture générale étoffée. Prenons Marouane
Fellaini, il a le cœur sur la main. Son investissement dans
Cap 48, ce n’est pas du pipeau. Mais c’est sûr que si tu
lui demandes son avis sur la montée de la N-VA, je ne
suis même pas sûr qu’il sache ce que c’est, la N-VA…
Par contre, il connaît certainement le back gauche de
West Bromwich. C’est tout ce qu’on lui demande”.
Malgré tout, on peut se demander pourquoi, tant sur le
plan de la culture générale que de la qualité d’expression,
le rugbyman, le basketteur ou le tennisman tirent mieux
leur épingle du jeu que le footeux. Selon Marc Delire, c’est
dans le caractère “populaire” (dans les deux sens du
terme) du football que réside l’explication: “C’est le sport
le plus pratiqué au monde. Forcément, dans le tas, il y a
plus de chances de tomber sur des gars moins subtils”.
ÉCOLE: 3 - FOOTEUX: 0
Le football exige par ailleurs de ses jeunes pousses
qu’elles se consacrent très tôt et uniquement à la pratique
de leur discipline, contrairement aux autres sports, dont
l’amateurisme permet de conjuguer vie sportive et profes-
sionnelle. Or, des études sociologiques montrent que plus
l’âge du recrutement dans les centres de formation est
bas, plus nombreux sont les joueurs issus de milieux
modestes, fils d’ouvriers ou d’employés. Dans un terreau
socioculturel moins favorable, la tentation - déjà grande - de
stopper précocement ses études est encore plus pré-
gnante. “Ma chance, c’est que mon père ait insisté pour
que je continue mes études… sans jamais être venu me
voir au football”, confie l’ancien international sénégalais
Khalilou Fadiga, reconverti aujourd’hui en brillant consul-
tant pour la RTBF. “Soutenir son enfant, ça ne veut pas dire
venir crier n’importe quoi au bord du terrain, avance Chris-
tophe Dessy, directeur de l’école de jeunes du Standard
de Liège. L’environnement familial est primordial… Parce
qu’au risque de choquer, on constate que de plus en plus
de familles prostituent leur enfant.”
FRIC: 4 - FOOTEUX: 0
L’argent. Il fait en effet beaucoup tourner la tête des
joueurs comme de leur entourage. “Ils gagnent beaucoup
trop d’argent, trop vite. Ils n’ont plus la notion du coût ê
“QU’UN
JOUEUR NE
RÉFLÉCHISSE
PAS, CELA
ARRANGE
BEAUCOUP
DE MONDE.”
“DANS LE SPORT LE
PLUS PRATIQUÉ AU
MONDE, IL Y A PLUS
DE CHANCES DE TOM-
BER SUR DES GARS
MOINS SUBTILS…”
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3. ACTUALITÉS CONS COMME LEURS PIEDS
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de la vie ou du prix d’un pain coupé”, estime Stéphane
Pauwels. Cette perte de repères, l’académie du Standard
tente de lutter contre, en interdisant par exemple les
chaussures de couleur à l’entraînement à ses apprentis
footballeurs. “Elles peuvent coûter jusqu’à 250 euros…
Ce n’est plus une paire de chaussures, c’est un objet de
valeur. Or, c’est précisément tout ce qui est accessoire qui
trompe le public”, explique lucidement Christophe Dessy.
Un étalement de richesse bling-bling bien présent chez les
aînés, entre voitures de sport, fringues hors de prix et
bimbos soupçonnées de chasser leurs contrats à sept
chiffres. Et qui achève de leur construire une image super-
ficielle. Khalilou Fadiga ironise avec humour sur le cliché
qu’il juge teinté d’un peu de frustration: “Je crois que
beaucoup signeraient pour être cons, s’ils pouvaient ga-
gner autant d’argent…”
Un son de cloche partagé, à quelques mots près, par
Marc Delire, qui développe: “Les footballeurs sont les ar-
chétypes de la société de consommation à la con. Ils
devraient être irréprochables en tout point, au prétexte
qu’ils gagnent des fortunes. On place la barre trop haut.
Ils n’ont pas une valeur d’exemple plus grande que vous
et moi”. Dans ce monde irréel, il est d’autant plus difficile
pour eux de se montrer exemplaires en toutes circons-
tances qu’ils sont projetés très jeunes dans la sphère
médiatique. Avec le développement du web et des ré-
seaux sociaux, leurs actes (donc leurs bêtises) sont de
plus en plus épiés. Et montés en épingle. Lorsque Jona-
than Legear crashe sa Porsche dans une station-service
(avant de prendre la fuite et de… revenir 10 minutes plus
tard récupérer son sac dans le coffre), la vidéo fait l’ouver-
ture du JT, et le tour du web. “Le footballeur est tellement
médiatisé qu’à la moindre incartade, tout le monde est
mis dans le même sac”, déplore Khalilou Fadiga.
PRESSION SOCIALE: 5 - FOOTEUX: 0
Un sac donc il est d’ailleurs difficile de s’extirper pour les
joueurs qui s’illustrent, au contraire, par leur verve, leur
franc-parler ou leur discernement. L’ex-joueur français
Benjamin Nicaise, passé par Mons et le Standard, et qui
réunit ces trois qualités, déclarait il y a quelques se-
maines: “Il y a des dirigeants qui souhaitent que les
joueurs ne réfléchissent pas. Cela arrange beaucoup de
monde”. Sans aller jusque-là, le joueur montois Thomas
Chatelle, passé par Anderlecht et Genk, et consultant
pour RTL admet aussi avoir “senti certains entraîneurs un
peu sur la défensive, par rapport à mon comportement,
plus raisonné. Peut-être parce qu’on préfère quelqu’un qui
exécute sans trop remettre en question”… Un décalage
qu’il a, dans une certaine mesure, également ressenti
avec ses coéquipiers: ”Ça n’a pas été facile tous les
jours. Je ne me suis pas toujours senti à l’aise dans ce
milieu. Lors des mises au vert, par exemple, la plupart
jouaient à la PlayStation. Moi, je n’étais pas dans ce trip-
là et je me sentais parfois un peu seul…”
L’ÉGALISATION
DE L’INTELLIGENCE PRATIQUE
Finalement, on peut se demander si le microcosme du
ballon rond cherche vraiment à adouber des joueurs qui
cogitent… “Réfléchir n’est pas toujours un atout quand
on pratique le sport de haut niveau…, assène Thomas
Chatelle. Moi, j’ai dû faire un travail sur moi-même pour
arrêter de tout analyser sur un terrain et jouer plus ins-
tinctivement.” Un avis que nuance le formateur Chistophe
Dessy: “Un garçon avec une tête bien faite va certaine-
ment se montrer plus performant sur le plan tactique, sur
le plan conflictuel ou dans la gestion de ses émotions”.
Mieux, des chercheurs suédois se sont penchés sur la
bien nommée “intelligence de jeu”, cette capacité à “lire
le jeu”, prendre les bonnes décisions et être au bon en-
droit au bon moment. Et, surprise, il s’avère que les
footballeurs d’élite ont des capacités cognitives bien supé-
rieures au reste de la population! Leur créativité, leur ca-
pacité à mener plusieurs tâches de fond et leur flexibilité
leur permettraient de s’adapter à des situations inédites,
comme une nouvelle tactique de l’adversaire en cours de
match. Les chercheurs ont même pu établir une corréla-
tion entre les performances intellectuelles et le nombre
de buts marqués ou de passes décisives. D’ailleurs, ce
n’est pas un hasard si nos Diables Rouges semblent
n’avoir jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. Stéphane
Pauwels en tête, nos interlocuteurs sont unanimes: “Avec
Kompany, Courtois, Hazard, Mertens, Vermaelen… on a la
chance d’avoir des leaders qui en ont dans le citron”. La
preuve ultime?
hPierre Scheurette (st.)
JONATHAN LEGEAR,
notre champion national
Au panthéon des bourdes, “Zonathan” fait l’unanimité: il y a bien
sûr eu son retentissant accident de Porsche, mais notre préférée
reste son tatouage mal orthographié: “Vini (au lieu de Veni), vidi,
vici”. Du grand art.
FRANCK RIBÉRY, l’incompris
Au-delà de l’affaire Zahia, c’est en conférence de presse qu’on le
préfère: “On est des joueurs qu’on va vite avec le ballon” (sic), “C’est
beau ce stade Vélodrome qui est toujours plein à domicile comme à
l’extérieur” (re-sic), “On dirait c’était comme si que y avait rien
changé hier” (re-re-sic). Et on en oublie.
MARIO BALOTELLI, la tête brûlée
En bref, l’Italien a déjà: explosé des feux d’artifice dans sa salle
de bains, lancé des fléchettes en direction de jeunes joueurs
parce qu’il s’ennuyait, été surpris avec son iPad sur le banc de
touche pendant un match… Ah oui, il a aussi déclaré: “Je pense
être plus intelligent que la moyenne, mais ça ne m’intéresse pas de
le démontrer”. Ah, c’est donc ça.
ILS ONT LA TÊTE PRÈS DU POTEAU
ê
“KOMPANY,
COURTOIS,
HAZARD,
VERMAELEN…
ON A LA
CHANCE
D’AVOIR DES
LEADERS QUI
EN ONT DANS
LE CITRON.”
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