Conférence débat en école d'ingénieur, à Liège, Belgique, le 8 décembre 2016 -- une présentation simple mais percussive des idées que j'essaie de clarifier et de défendre
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présentations
je suis un philosophe, je pose des questions
je parle à des ingénieurs, donc j'élabore des réponses
sur les questions, je privilégie qu'elles soient authentiques
elles se posent réellement, et il n'y a pas de "kit idéologique" avec des
réponses toutes prêtes
pas de "langue de bois"
sur les réponses, je privilégie qu'elles soient opérationnelles et
robustes
elles ne produisent pas seulement de la satisfaction intellectuelle mais des
changements dans le monde réel
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pourquoi faut-il une philosophie et une éthique de la technologie ?
parce que la technosphère et l'infosphère sont un monde
radicalement nouveau
dans lequel nos repères culturels et surtout éthiques ne fonctionnent
pas bien
voler un pain / pirater un épisode de Game of Thrones
une disruption technologique (matérielle et immatérielle)
→ des disruptions sociales et sociétales
par ex. les menaces sur l'emploi à cause de la robotisation des
postes de travail
par ex. les moyens de surveillance avancée
→ des disruptions culturelles, éthiques :
des remises en question qui nous sont imposées
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pourquoi faut-il une philosophie et une éthique de la technologie ?
il faut pouvoir justifier les choix, dans une démocratie
≠ les imposer, de manière autoritaire ou paternaliste
ex : les vaccins
→ accumuler du ressentiment contre les "élites", les "technocrates"
ex : l'industrie nucléaire
pouvoir effectuer ses propres choix
dans ses responsabilités professionnelles
ex : le Dieselgate
dans sa vie personnelle
citoyen-consommateur, citoyenneté numérique, etc.
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pourquoi faut-il une philosophie et une éthique de la technologie ?
la technologie est
puissante
ce qu'elle fait aujourd'hui, on ne pouvait même pas l'imaginer
IHDE Don, Technology and the lifeworld: from garden to earth, Indiana UP, 1990.
pervasive (se diffusant partout)
elle n'est pas un extraordinaire manié par les pouvoirs, elle est un
ordinaire manié par tous
PUECH Michel, The ethics of ordinary technology, Routledge, 2016.
opaque
elle fonctionne de plus en plus en "boîtes noires"
demander aux étudiants de philosophie pourquoi lorsqu'on appuie sur ce
bouton il y a de la lumière dans la pièce
se demander ce qui se passe quand on lance une requête sur Google
PASQUALE Frank, The black box society: the secret algorithms that control money
and information, Harvard UP, 2015.
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pourquoi tant de technophobie dans les médias et dans les sciences humaines ?
technophobie : voir d'abord dans une nouvelle technologie son
potentiel de menace, risque, perte, domination, inégalités...
technophilie : voir d'abord dans une nouvelle technologie son
potentiel d'usage, service, gain, bien-être, facilitation...
pourquoi tant de technophobie chez ceux qui réfléchissent ?
à cause d'une confusion anthropologique de base : l'opposition entre
"humain" et "technique"
évidence contraire : l'humain est naturellement technicien, depuis le
néolithique (le feu, la parole, l'agriculture)
il existe des techniques déshumanisantes, mais LA technique en tant
que telle est LE principal facteur de l'humanisation
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pourquoi tant de technophobie dans les médias et dans les sciences humaines ?
autres facteurs d'explication
parce que les sciences humaines et sociales tournent encore
souvent avec "le logiciel des années 1970"
"il y a un complot capitaliste et on ne peut rien faire tant qu'on reste dans
une économie de marché"
à cause de l'ambivalence du service et du contrôle
origine cybernétique des technologies contemporaines : le contrôle
diffusion et pervasivité des technologies numériques : le service
mais ambiguïté très fréquente, volontaire ou pas, entre les deux :
1) on nous propose comme un service ce qui est en réalité un contrôle
typique dans le S.I. de son lieu de travail...
2) nous voulons le service sans comprendre qu'il demande l'acceptation d'un
contrôle potentiel
"je veux que Google Maps puisse toujours me dire où je suis mais que... lui il ne le
sache pas"
possible via une blockchain ... ?
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que serait une éthique technophile ?
constructive
ne pas laisser toute la place à la "critique sociale"
inventer des "humanités numériques" qui puissent même s'intégrer
aux "sciences de l'ingénieur"
pluraliste
intégrer les pensées non-nord-occidentales pour parvenir à des
systèmes de valeur adaptés au global
soutenable
dans tous les domaines et dans tous les sens du terme :
écologique, social, économique
recentrée sur la "construction de soi" et sur l'"ordinaire'"
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que serait une éthique technophile ?
gestion des disruptions sociales et éthiques ?
étude de cas : les pertes d'emploi dues à la robotisation
cas classique : le Guichet Automatique de Banque, ATM, distributeur de
billets
question : le travail de l'humain qui accomplissait cette tâche était-il un travail
réellement humain ?
en théorie mais surtout en pratique ?
réponse "non" – suggérée par le fait qu'il a pu être automatisé
une variante éthique des théorèmes de Church et de Turing ?
transposable au cas des caisses de supermarché en self-service avec
lecteurs de code barre
transposition au cas du robot effectuant la toilette intime des personnes
dépendantes
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que serait une éthique technophile ?
éventail de solutions
remettre en question les travaux effectués par des humains mais qui
ne sont pas "humains"
→ il est possible/légitime que des non-humains les accomplissent
question subsidiaire si vous êtes contre le robot de toilette intime des
personnes dépendantes : voulez-vous exercer ce métier ?
mettre en place des substitutions non-suppressives
→ l'usager a le choix entre un interlocuteur humain et une interface
non-humaine (banque, supermarché, toilette intime)
inventer un fonctionnement économique dans lequel ces options sont
économiquement rentables globalement (= soutenables)
→ on utilise cette rentabilité pour des emplois humains non
substituables (santé, éducation, art, etc.)
et/ou pour créer un revenu universel inconditionnel
...
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pourquoi se recentrer sur la "construction de soi" et l'"ordinaire" ?
la construction de soi : ce que nous avons oublié dans notre
culture nord-occidentale
culture nord-occidentale qui repose sur le pouvoir et les techniques
de pouvoir
→ distinguer trois sortes de pouvoir :
1) le pouvoir sur les choses : la technologie
trouver une technologie pour résoudre le problème
2) le pouvoir sur les autres : la domination, la politique
trouver à qui se soumettre pour résoudre le problème
3) le pouvoir sur soi : l'éthique, la sagesse
agir soi-même sur soi-même pour traiter le problème
nous privilégions (1) et (2), nous négligeons (3)
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pourquoi se recentrer sur la "construction de soi" et l'"ordinaire" ?
l'importance éthique de l'ordinaire
dans l'humanisation et dans la vie réelle
travaux de psychologie/neurologie sur les apprentissages initiaux du
langage, des comportements relationnels, et des valeurs
par des micro-actions ordinaires
nous ne vivons pas dans la sphère des médias (et donc des
politiciens)
le vrai pouvoir est dans nos actions et non-actions quotidiennes
la carte de (non-)paiement a plus de pouvoir que le bulletin de vote
(…)
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pourquoi se recentrer sur la "construction de soi" et l'"ordinaire" ?
solution sur service/contrôle :
exiger la transparence minimale (≠ opacité systématique) qui permet
de prendre conscience des termes de l'échange (trade off) :
quel service contre quel contrôle ? quel contrôle contre quel service ?
→ se réapproprier la décision
par exemple "oui" à Google Maps et "non" à Facebook
le primat de l'usage
"empowerment" du "user-end" par rapport au "designer-end"...
la bascule entre une ancienne culture technologique, celle du
contrôle, et une nouvelle culture technologique, celle du service
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pourquoi se recentrer sur la "construction de soi" et l'"ordinaire" ?
mais il faut dans un premier temps disposer de la technologie et de
sa puissance (de contrôle), pour ensuite l'orienter vers le service
application à la pédagogie idéale dans une école d'ingénieurs :
1) faire des ingénieur-e-s
2) les dés-ingénieuriser
+ une option qui devient de plus en plus importante : féminiser
car il y a un gradient de "genre" dans l'alternative service/contrôle
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bilan constructif et soutenable
des partis pris et convictions :
notre monde va mal et c'est en partie dû au fait que nous n'affrontons pas
les vraies questions de valeurs et de projets
nous en sommes distraits par des bulles médiatiques, politiciennes, publicitaires
nous avons les ressources humaines et intellectuelles pour le faire et une
technoéthique constructive est un projet qui répond à ce besoin
mais au niveau de la prise en charge de chaque individu par lui-même, pas au
niveau d'une idéologie salvatrice
l'innovation intellectuelle suggérée est le recentrage sur la construction
ordinaire de soi
dans la technosphère et dans l'infosphère
l'étape suivante (déjà accessible) est la constitution de collectifs
collaboratifs (non-institutionnels, post-politiques)
elle commence tout de suite par la discussion avec vous de ces analyses et
hypothèses...