Les commissaires aux comptes se cachent-ils pour mourir
1. Les commissaires aux comptes se cachent-ils
pour mourir ?
16/03/2018
L'IGF (inspection générale des finances) remet en question la présence
obligatoire du commissaire aux comptes dans les petites sociétés.
Hubert Tondeur livre son point de vue sur cette actualité (*).
Il nous faut prendre les choses telles qu’elles sont et non comme on les imagine : voilà
ce qu’il faudrait retenir de ce rapport de l’Inspection des finances, tel qu’il a fuité depuis
deux jours. N’avons-nous pas des enseignements à en tirer ?
Notre économie a conduit au développement de deux activités, celle de produire les
comptes, attribuée à l’expert-comptable, et celle de les contrôler, dévolue au
commissaire. A chacun l’Etat a attribué une zone d’activité, « réglementée ». A l’un, la
prérogative de la tenue des comptes, à l’autre celle de leur certification Au premier,
2. une mission contractuelle, la sécurisation de la base fiscale et sociale. Au second, une
mission légale d’opinion qui permet pour des structures ne recourant pas à des
professionnels libéraux (et même si elles font appel à lui, comme le souligne l’IGF) de
sécuriser base fiscale et sociale, avec en complément deux missions supplétives, l’une
sur la prévention des difficultés des entreprises, l’autre relative à la révélation des faits
délictueux.
Ces deux missions — faire et regarder faire — naturellement indépendantes l’une de
l’autre, sont en grandes parties réalisées par le même corps professionnel dont le socle
de formation est identique, le diplôme d’expertise comptable permettant de devenir
commissaire aux comptes (car la porte reste étroite, qui permet à un ingénieur ou un
diplômé en droit de « court circuiter » le Dec par le Cafcac).
Aujourd’hui après avoir contribué à la dématérialisation de la transmission des données
fiscales et sociales et des paiements afférents, l’expert-comptable est confronté à la
digitalisation de l’économie entrainant jusqu’à présent une érosion de son chiffre
d’affaires et de sa marge traditionnelle.
La profession doit se réinventer, car au-delà du digital c’est l’aspect même de la
prérogative d’exercice qui est mise à mal par les analyses européennes, considérant
que le monopole constitue un frein à l’arrivée de nouveaux entrants et donc in fine à la
baisse des prix qui devrait en résulter et donc profiter au consommateur.
Quant aux commissaires aux comptes, pourtant choyés par les dispositions
européennes, ils sont visés par le rapport commandé par le ministre de l’économie (et
non par celui de la justice) qui met en doute leur utilité dans les PE au regard des seuils
européens fixés peu avant par la directive comptable (les fameux 8 millions de chiffre
d’affaires, 4 en bilan et 50 effectifs, en-deçà desquels l’entreprise est encore « petite »).
En proposant d’aligner les seuils français sur le niveau européen, ce sont plus du tiers
des mandats qui disparaitraient sous la ligne de flottaison (au bout d’une période de six
ans, en sifflet) conduisant à une économie de plus de 600 millions d’euros pour les PME,
soit une lourde perte pour nos cabinets, bientôt obligés de se séparer de personnels.
Sans parler de la perte en capital.
Cette situation est très mal vécue par les professionnels du chiffre qui avaient été les
interlocuteurs des pouvoirs publics pour la mise en place de réformes fiscales, sociales
et de sécurisation financière. Rappelons l’émergence de la DSN, des déclarations
Tracfin, du rapatriement des avoirs à l’étranger (« cazeneuve ») et maintenant du
prélèvement à la source. Sans parler des contraintes imposées par la création du H3C
aux professionnels de l’audit.
Aussi bénéfique pour les TPE que pourrait être à l’avenir l’absence d’honoraires du
commissaires aux comptes, il est important de rappeler que ce dernier au-delà des
obligations comptables avait un regard sur l’organisation générale, la sécurité
financière, le contrôle interne, les éventuelles dérives que pouvaient avoir certains
3. chefs d’entreprise, et un rôle majeur dans la prévention des difficultés par la procédure
d’alerte.
Malheureusement, aucune étude sérieuse ni aucune compilation de données n’ont été
menées sur l’utilité du commissaire aux comptes dans le cadre de ses multiples
obligations. En tant que professionnels nous ne pouvons que regretter que la
Compagnie n’ait jamais entamé ce travail. Espérons que l’Ordre le fera pour enrayer sa
propre déréglementation.
A vrai dire, le rapport de l’IGF semble avoir un seul objectif, soufflé par Bercy, celui de
justifier le passage aux seuils européens et rayer d’un trait de plume le commissaire
dans les petites PME (les rédacteurs ne se hasardent pas sur le terrain des
associations), en oubliant que la fenêtre de tir de l’auditeur collait aux objectifs de
sécurisation financière et fiscale de l’Etat.
Comment faire face à cette perte de mandats, à la baisse de notre activité ?
Posons-nous la question préalable, cela est-il faisable ? A l’heure actuelle aucun pays
européen n’a une législation aussi contraignante en la matière. Or aucun pays
européen n’a autant de commissaires avec individuellement aussi peu de mandats. Une
profonde mutation des cabinets sera en revanche nécessaire pour envisager l’avenir
sous de meilleurs auspices.
Il faut donc que les professionnels se réinventent, qu’ils imaginent la profession de
demain. Parmi d’autres, les pistes suivantes sont très certainement à étudier :
1. Regrouper la gestion des deux institutions pour moins peser sur les contributions des
professionnels, afin de rendre un service plus efficace à chacun d’entre-nous ;
2. Rattacher les deux professions sous la tutelle de Bercy ;
3. Faire de l’expert-comptable le vrai tiers de confiance reconnu (supprimons l’examen
périodique de sincérité, les majorations de 25 % et les OGA) ;
4. Instituer dans l’esprit du chef d’entreprise l’expert-comptable en vrai partenaire apte
à le conseiller ;
5. Faire sauter les verrous relatifs aux sociétés interprofessionnelles pour les
commissaires aux comptes afin de permettre à chacun de poursuivre ce volet de sa
vocation dans des structures adaptées aux attentes du marché.
Pour cela, je suggère qu’immédiatement les instances professionnelles puissent
réfléchir autour des axes suivants :
1. Utiliser les fonds dormants des instances professionnelles pour faire prendre
conscience à l’ensemble des experts-comptables et des commissaires aux comptes
qu’ils sont à la croisée des chemins et que le monde de demain ne sera plus le monde
d’aujourd’hui et encore moins celui d’hier ;
4. 2. Utiliser les institutions pour sensibiliser l’écosytème des professionnels de la
comptabilité et de l’audit à l’ensemble de leurs compétences ;
3. Lancer une campagne de formation (gratuite) des professionnels — et de leurs
collaborateurs — sur les axes relatifs à la métamorphose des cabinets (outils,
management, axes de développement) ;
4. Réformer profondément la formation des experts-comptables, dès le stage, pour y
introduire management, RH, marketing, communication, conseils… ;
5. Casser les cagnottes pour promouvoir l’intérêt de recourir à un audit de façon
volontaire ou renforcer le rôle des experts-comptables au travers de leur capacité à
produire des attestations ;
6. Développer des start-up satellites de la profession, qui accompagneront la
digitalisation des cabinets, plutôt que de voir l’activité ubérisée par tous ceux qui
s’affranchissent du joug normatif.
7. Proposer le concours aux collectivités et aux établissements publics des experts-
comptables et des commissaires aux comptes pour les missions qui sortiraient du
périmètre de l’Etat dans le cadre CAP 22 visant à alléger les missions de l’Etat à la fois
en termes comptables et d’audit.
Alors les conclusions du rapport de l’IGF pourront être prises par le bon côté des
choses : «permettre à la PE de mieux utiliser ses disponibilités» face à la
complémentarité des deux approches, celle de l’expert-comptable et celle du
commissaire, sur une base contractuelle ; faire de l’attente d’audit «un indicateur de la
maturité atteinte par l’entreprise dans la structuration de sa gestion des risques» (page
23 du rapport) ; poursuivre la réflexion de notre profession sur la voie d’une
« application proportionnée des normes » (page 24).
Un mal pour un bien ?
(*) Hubert Tondeur est expert-comptable, commissaire aux comptes, professeur des
Universités au Cnam et président du conseil régional de l’Ordre des experts-comptables
du Nord-Pas-de-Calais. Les propos tenus dans la rubrique Chronique sont rédigés sous
la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction.
Hubert Tondeur
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