Faciliter la participation non experte à un processus de design en contexte de transition : un dispositif de simulation ludique pour anticiper des interactions humaines lors d’un partage d’énergie entre voisins
Communication dans le cadre de ma thèse de doctorat pour le colloque Intersection du design 2021: prendre soin par le design.
https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/88/600/642/c
Observatoire citoyen de la donnée dans le quartier Marx Dormoy La Chapelle (P...
Semelhante a Faciliter la participation non experte à un processus de design en contexte de transition : un dispositif de simulation ludique pour anticiper des interactions humaines lors d’un partage d’énergie entre voisins
Semelhante a Faciliter la participation non experte à un processus de design en contexte de transition : un dispositif de simulation ludique pour anticiper des interactions humaines lors d’un partage d’énergie entre voisins (20)
Faciliter la participation non experte à un processus de design en contexte de transition : un dispositif de simulation ludique pour anticiper des interactions humaines lors d’un partage d’énergie entre voisins
1. Communication pour le colloque Intersection du design 2021 : prendre soin par le design.
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Faciliter la participation non experte à un processus de design en contexte de
transition : un dispositif de simulation ludique pour anticiper des interactions
humaines lors d’un partage d’énergie entre voisins
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Zoé Bonnardot (EDF R&D), Elise PRIEUR (Chef de projet designer, EDF R&D), Yvon HARADJI (EDF R&D)
Contact : bonnardot.z@gmail.com
Cette communication présente une proposition de méthode pour l’accompagnement à la conception de
service en milieu industriel lors de transitions sociotechniques complexes. Développée dans le cadre d’une
recherche de doctorat en design informée par l’ergonomie, cette approche interroge les nouvelles relations
individuelles et collectives à l’énergie dans un contexte de transition énergétique.
L’humain et ses interactions avec son environnement (technique ou social) sont au cœur des préoccupations
du design comme de l’ergonomie (Norman & Draper, 1986). Nous nous inscrivons dans une démarche de
design pour l’innovation sociale (Manzini, 2015) et d’ergonomie de l’activité incarnée (Theureau, 2002).
Désormais communément admis que l’homme est un acteur majeur du réchauffement climatique (GIEC, 2019),
de nouvelles préoccupations sont aujourd’hui à l’œuvre dans le monde du design comme le lien entre le design
et l’anthropocène (Monnin & Allard, 2020). De nombreux chercheurs et praticiens soulèvent le besoin de
penser et de concevoir des outils et méthodes pour un design plus soutenable en contexte de transition
(Gazi̇ulusoy & Erdoğan Oztekin, 2018; Irwin, 2018; Manzini, 2007). En ce sens, Arturo Escobar propose un
« design centré-planète » (Escobar, 2018, p.34) où l’attention n’est pas portée uniquement sur l’humain, mais
est tourné de la même manière vers l’ensemble des éléments liés à l’objet de conception (matériaux, chaines
de production, impact social, comportements induits, etc.) ; et Victor Petit propose de passer d’un design de
l’environnement - où l’environnement est perçu comme extérieur au sujet- à un design du milieu - où
l’environnement est perçu à la fois comme extérieur et intérieur au sujet (Petit, 2015). De fait, notre attention
ne peut plus porter uniquement sur l’humain, mais doit porter sur le couplage humain / environnement. En
tant que designer d’innovations sociales notre objectif est que l’humain ne soit pas seulement une partie du
problème, mais également une partie de la solution (Manzini, 2007). Le Transition Design (Irwin, 2018) courant
émergent de pratique, d’étude et de recherche propose d’envisager le design comme une discipline
d’accompagnement d’un monde en transition en s’appuyant sur des méthodologies empruntées aux sciences
humaines et sociales autant qu’aux domaines de la prospective. À travers la mobilisation conjointe de
connaissances en design et en ergonomie, nous proposons une méthode de recueil de données d’expérience
dans une situation aujourd’hui non observable, dans une perspective d’accompagnement à la conception de
service pour la transition énergétique en contexte industriel.
Cette méthode est éprouvée à travers un cas d’étude : celui du partage d’énergie renouvelable d’origine
photovoltaïque entre voisins. En effet, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte
adoptée en France a pour objectif de « donner aux citoyens, aux entreprises, aux territoires et à l’état le
pouvoir d’agir ensemble » (Légifrance, 2015). Cette loi s’accompagne d’un décret dit « d’autoconsommation
collective », qui permet aux producteurs de revendre leur surplus de production directement à d’autres
particuliers, dans un rayon de deux kilomètres. Dès lors, entreprises et collectivités sont amenées à imaginer
des services pour l’accompagnement de ce partage d’électricité locale à venir. De nombreuses études
anticipent les effets de la transition énergétique sur le plan technique ou économique à travers une approche
par scénarios (GIEC, 2019; négaWatt, 2017; The shift project, 2019), mais très peu s’intéressent à la volonté des
citoyens de s’engager dans ce type de système ni à l’expérience de vie qu’il engendre. Autrement dit, les
projections qui mènent à décider ce type de lois et mettre en place ce type de systèmes complexes sont très
peu centrées sur les besoins humains et la réception d’un public non expert. Pourtant, la mise en place d’un
système de partage d’énergies renouvelables à l’échelle locale entraînera potentiellement : une
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décentralisation de la gestion (et donc une responsabilisation des acteurs locaux), une production d’énergie
intermittente et une dépendance nouvelle aux conditions météorologiques (et donc un besoin d’adaptation
des habitudes de consommations), ainsi qu’une diversification des acteurs impliqués dans le système
énergétique local (rendant sa lecture plus complexe). Or, l’électricité est aujourd’hui un service invisible pour
une majorité de Français et ne se matérialise qu’à travers sa facturation. Dans ce contexte, nous étudions ici la
possibilité d’accompagner une démarche de conception de services pour anticiper les usages à venir de cette
nouvelle organisation sociotechnique complexe.
Nous cherchons ici à permettre à un public non expert d’exprimer aujourd’hui et maintenant des
retours d’expérience dans la situation de demain. Pour cela, nous proposons de réunir des méthodes issues du
design d’innovation social (Manzini, 2015) ; du design participatif et ludique (Brandt, Binder, & Sanders, 2012;
Brandt, Messeter, & Binder, 2008; Brandt & Messeter, 2004) ; du design de la transition (Irwin, 2018; Lockton &
Candy, 2018) ; et de l’ergonomie de l’activité (Barcellini, Belleghem, & Daniellou, 2013; Van Belleghem, 2018).
En particulier, le design et l’ergonomie ont pour point commun la capacité de mise en situation d’acteurs dans
une réalité projetée : le design à travers la notion de futurs expérientiels (Candy & Dunagan, 2017) c’est-à-dire
par la réalisation d’objets (ou d’environnements) fictifs dont on peut faire l’expérience dans le présent; et
l’ergonomie par la simulation d’une activité future (Van Belleghem, 2018). Ainsi, notre travail de recherche
propose une approche en trois temps : 1) la conception par un groupe d’expert de l’énergie et de l’activité
humaine, de situations futures considérées comme probables (Amara, 1981) ; 2) le design d’une simulation
ludique pour immerger un public non expert dans les situations que nous avons conçu (Van Belleghem, 2018)
et 3) la conception d’un entretien resituant (Cahour, Salembier, & Zouinar, 2016) avec les participants à la
simulation pour récolter leur point de vue sur l’expérience vécue. En résulte un atelier participatif qui a été
expérimenté lors de la Biennale du Design de Saint-Étienne 2019 dont le thème était « Me, you, nous – créons
un terrain d’entente».
La Situation Future Probable (SFP) que nous avons conçue pour notre cas d’étude est celle du partage
d’énergie d’origine photovoltaïque entre voisins, dont le système sociotechnique a été défini par l’équipe
d’experts. Elle se situe à l’échelle d’un quartier et met en œuvre plusieurs protagonistes dont l’investissement
de départ est inégal : certains citoyens produisent de l’électricité renouvelable d’origine photovoltaïque tandis
que d’autres sont en capacité de la stocker. Dans le même temps, certains citoyens n’investissent dans aucune
technologie, mais peuvent tout de même, comme leurs voisins, bénéficier de l’énergie produite localement.
Cette situation constitue le socle de l’exercice de simulation.
Figure 1 - Représentation de la situation future probable, produite dans le cadre d’une expérimentation lors de la Biennale
du design 2019. Crédit image : Zoé Bonnardot, 2019.
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Nous avons ensuite conçu un dispositif de simulation ludique qui prend la forme d’un atelier participatif et
s’inspire des mécanismes des jeux de plateaux (voir Figure 2). L’utilisation du format « jeu de plateau » nous
permet d’accompagner la simulation via un « maître du jeu », de cadrer l’expérience à travers des règles
définies, d’immerger les participants dans un univers projeté et de favoriser la participation naturelle de
chacun des acteurs ainsi que leurs interactions. Ainsi, la simulation vient mettre en œuvre la SFP proposée : les
participants sont immergés dans un quartier imaginaire où ils sont tous voisins, et où chacun endosse un rôle
(producteur, stockeur ou consommateur). Tous se voient attribuer une cagnotte de jetons d’or (la monnaie
locale) relative à leur investissement dans une technologie de production ou de stockage. La simulation
s’appuie sur les consommations électriques réelles des participants sur la journée de la veille, et se déroule en
quatre tours qui correspondent à quatre tranches horaires de la journée. À chaque tour, les joueurs doivent
pouvoir satisfaire leur besoin en électricité, soit en achetant de l’électricité en provenance du réseau centralisé,
soit en consommant de l’électricité produite localement par l’un des voisins. Utilisé comme un support de
verbalisation, l’atelier doit permettre de simuler des interactions réalistes entre les différents participants. Pour
cela une règle de jeu à volontairement été omise et doit être collectivement définie par les joueurs :
l’électricité en provenance du réseau centralisé vaut un jeton d’or, mais rien n’indique la valeur de l’électricité
produite localement. C’est aux participants de trouver un terrain d’entente pour le bon fonctionnement de la
situation. En ce sens, nous considérons que c’est eux qui conçoivent collectivement un scénario possible de
mise en œuvre (ou non) de la situation future probable proposée par le groupe d’experts. Nous proposons ici
une méthode qui va à rebours des pratiques habituelles de prospectives dans le domaine de l’énergie. Conçu
comme un objet intermédiaire de conception, il permet d’observer les processus de prises de décisions
individuelles, les formes d’organisation collective ainsi que les besoins et difficultés générés par ce nouvel
environnement.
Figure 2 - Un groupe de participant et animateurs lors d’une session de simulation menée à la Biennale du design de Saint-
Étienne 2019. Photographie : Élise Prieur, 2019 (gauche) / Zoé Bonnardot, 2020 (droite).
Enfin, l’atelier et clôt par une séance d’entretiens resituant qui permet de confronter les participants à leur
choix en cours de simulation, de revenir sur des interactions particulièrement intéressantes, fructueuses ou
conflictuelle. Les participants sont invités à s’exprimer individuellement et collectivement sur leur volonté,
capacité et modalités d’engagement dans la situation qu’ils viennent de vivre. Le but, à travers ce travail
d’entretien, est de mieux comprendre l’appréhension de cette nouvelle organisation sociotechnique par ses
utilisateurs, et son impact potentiel sur leur comportement individuel et collectif.
Ainsi, cet atelier de simulation nous a permis de mettre en lumière différents éléments particulièrement
pertinents dans le cadre d’une conception de service comme : la volonté naturelle pour les participants de se
constituer en collectif et de favoriser une répartition équitable de l’investissement, de la production et de la
consommation ; le besoin de médiation pour éviter de générer des conflits entre voisins ; ainsi que le fort
besoin de confiance à la fois entre les participants (que chacun consomme de manière raisonnable et respecte
les règles établies), dans l’outil de production (quel cycle de vie pour une batterie, quels matériaux), et dans les
règles de partages définies (prix de l’électricité, répartition de la production, ect.). En ce sens, le dispositif de
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simulation nous permet d’anticiper d’éventuels conflits et difficultés et nous permet de favoriser la conception
de services qui prennent soin des interactions entre voisins. D’autre part, en invitant un public non expert à
manipuler l’énergie dans une situation sociotechnique complexe, le dispositif de simulation est un outil
pédagogique qui dés-opacifie une situation complexe et donne le pouvoir à ses utilisateurs de formuler des
opinions argumentées sur la situation proposée.
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