2. BIOGRAPHIE
Maupassant est né à Fécamp (Normandie) en août 1850. Il est élevé par sa
mère, passionnée de littérature et amie de Flaubert. Celle-ci l’encourage et
lui sert de guide dans ses lectures.
C’est Gustave Flaubert qui aide Maupassant à devenir écrivain en lui
donnant des conseils. Par l’intermédiaire de celui-ci, Maupassant rencontre
les grands écrivains de l’époque : Zola, Huysmans, Daudet et les frères
Goncourt.
Après le succès de Boule-de-Suif (1880) et de La Maison Tellier (publié en
1881), Maupassant abandonne son emploi dans un ministère et se
consacre entièrement à l’écriture. Dès lors, il publie des recueils de
nouvelles, des romans et des articles dans les journaux, et cela sans
renoncer à ses passions qui sont la chasse, le canotage et les femmes. Il
voyage aussi en Corse, en Italie et en Afrique du Nord sur son voilier « Le
Bel-Ami ».
Mais peu à peu, Maupassant éprouve un sentiment de malaise et est
victime d’hallucinations (au début de l’année 1891). Il tente de se suicider
et est interné dans la maison de santé du Docteur Blanche. Il y meurt en
juillet 1893.
3. ŒUVRES PRINCIPALES
L’œuvre de Maupassant est abondante et variée. En prose ou en vers, elle se
compose d'articles, de pièces de théâtre, de récits courts, de romans, de récits de
voyage sans compter la correspondance privée.
Romans Récits de voyage
•Une vie (1883) •Au soleil (1884)
•Bel-Ami (1885) •Sur l’eau (1888)
•Pierre et Jean (1887) •La Vie errante (1890)
•Mont-Oriol (1887)
•Notre cœur (1889)
•Fort comme la mort (1889)
4. BEL-AMI
Résumé
Bel-Ami a pour cadre un monde parisien trépidant dans lequel le
héros, arriviste et séducteur, veut se frayer un chemin.
Véritable « homme à femmes », changeant et inconstant dans le domaine de
l’amour comme dans celui des idées, Georges Duroy se sert de son corps et
des femmes pour s’élever, d’où le surnom de Bel-Ami, que Laurine, fillette de
Clotilde de Marelle, l’une de ses maîtresses, lui a donné. À travers le
personnage, l’auteur nous fait découvrir le milieu du journalisme et de la Haute
Banque, sur fond de scandales politico-financiers.
Toute l’ascension de « Bel-Ami » se passe à Paris. Au départ, celui-ci est un
jeune provincial pauvre qui y monte pour faire fortune. Après avoir été un petit
employé des chemins de fer, il fait la rencontre de Madeleine Forestier, de
Clotilde de Marelle, qui seront ses maîtresses dans tout le livre, de Monsieur
Walter, le patron du journal La Vie française, et de sa femme. Ces personnages
auront une importance majeure dans sa future évolution.
5. BEL-AMI – 1re partie
Chapitre I : Premiers succès sur le boulevard
Georges Duroy est un ancien sous-officier qui a gardé de son métier
l'arrogance, une soif, un désir violent de réussir à Paris, quels qu'en soient les
moyens.
La chance aidant, il rencontre Charles Forestier, un ami de régiment, rédacteur
politique à La Vie Française. Ce journaliste arrivé - encore que malade - lui
conseille de suivre sa propre voie car c'est par la presse, la grande, qu'on arrive
à Paris. Forestier invite alors Duroy à dîner pour le lendemain : il rencontrera
le Patron, M. Walter, ainsi que des journalistes et des femmes.
Chemin faisant, les deux compères arrivent aux portes des Folies-Bergères : on
va assister - gratuitement - au spectacle. À la sortie, une fille, Rachel, remarque
la prestance de Duroy et l'entraîne. Forestier, en connaisseur, constate : " Dis
donc, mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succès auprès des femmes ? Il
faut soigner ça. Ça peut te mener loin ” (P. 45).
6. Chapitre II: diner important
Pénétré de sa valeur, tout à sa joie d'une première réussite,
Duroy, qui a soigné sa tenue de soirée, se présente chez Forestier. Passées les
premières timidités devant le patron de La Vie Française, il s'enhardit et
raconte à sa manière la situation économique de l'Algérie et ses souvenirs
d'Afrique.
L'évidente facilité du conteur appelle la curiosité autour d'un sujet mal connu.
Et d'abord celle de trois femmes - Mme Forestier, Mme de Marelle, son amie,
et Mme Walter, la femme du Patron - “ qui avaient les Yeux fixés sur lui ”. Une
bonne soirée: trois femmes - sans compter la petite Laurine, fille de Mme de
Marelle - l'admirent, et le Patron lui donne rendez-vous pour le lendemain,
non sans lui avoir commandé “ une petite série fantaisiste sur l'Algérie ” (p.
56).
7. Chapitre III : Une collaboration réussie
• Duroy est rentré chez lui - une triste chambre dans un immeuble crasseux -
et commence l'article promis. L'inspiration se fait attendre ; il rêve au pays
natal, aux vieux parents normands qui “avaient voulu faire de leur fils un
monsieur ” (P. 66-67) : il ne les décevra pas. Mais la plume le trahit et il
doit se rendre auprès de Forestier pour lui expliquer ses difficultés.
Toujours compréhensif, l'ami le pousse à rencontrer sa femme, elle-même
journaliste de talent, experte en l'art d'écrire des chroniques.
• Madame Forestier, énigmatique et sûre d'elle-même, écoute son récit
algérien et montre à Duroy, médusé, comment on s'y prend pour offrir au
public un papier qui l'intéresse. Très amicale, elle engage l'homme à rendre
visite à Mme de Marelle cependant qu'arrive le comte de Vaudrec, “ le
meilleur et le plus intime de nos amis ” (p. 77), précise-t-elle. Duroy, gêné,
s'efface.
• À La Vie Française où il se rend plus tard, il s'étonne de trouver des femmes
parmi les journalistes - une nouveauté dans la presse moderne - et
commence à découvrir que tout est fait pour le paraître, pour l'apparence,
pour le masque. Forestier le fait pénétrer dans le bureau de Walter qui
confirme l'engagement de son nouveau collaborateur et lui demande de
continuer sa série d'articles sur l'Algérie.
8. Chapitre IV - Une Facile Conquête
Duroy ne progresse pas assez vite à son gré. Il se souvient alors du conseil de Mme
Forestier: “ Allez donc voir [Mme de Marelle] un de ces jours ” (p. 77). Cette visite lui
procure une alliée: la fille de la maison, la petite Laurine. À son tour, la mère se laisse
séduire par le beau sous-officier et l'invite à un dîner “ intime ” avec les Forestier. Ce
dîner commence dans la bonne humeur mais s'achève trop vite: Forestier, malade,
doit rentrer.
Georges Duroy raccompagne Mme de Marelle, lui fait une cour pressante à laquelle
elle répond favorablement: “ Il en tenait une, enfin, une femme mariée! une femme
du monde! du vrai monde! du monde parisien ! Comme ça avait été facile et
inattendu ! ” (p. 116-117). Alors les rendez-vous se succèdent: chez Mme de Marelle
où Laurine, sa fille, baptise le jeune homme du nom de Bel-Ami; dans le triste
appartement de Bel-Ami, une garçonnière louée par l'obligeante maîtresse. Il devient
habituel d'oublier la présence d'un mari et de s'encanailler dans les bistrots, “ dans
tous les endroits louches où s'amuse le peuple ” (p. 129). À ce jeu, les maigres
ressources de Duroy fondent à vue d'oeil et Clotilde de Marelle, quia perçu la gêne de
son amant, glisse dans ses vêtements pièce après pièce. Il doit accepter, en grognant,
ces générosités nécessaires et obéir à tous les caprices de la femme. Mais il se trouve
que l'un de ces caprices amène les amants aux Folies-Bergère où Rachel entreprend de
se faire reconnaître par Duroy. Gêné, l'homme se sauve sous les quolibets de la fille.
9. Chapitre V : Vers d'autres amours
Duroy a vite retrouvé son aplomb et déclare à Mme Forestier son amour naissant. Très grande dame,
elle écarte l'intrus au nom d'une conception très moderne de la passion : toute passion est
dangereuse et “je cesse, avec les gens qui m'aiment d'amour ou qui le prétendent, toute relation
intime ” (p. 147). Madame Forestier engage Duroy à rendre visite à Mme Walter, la femme du patron,
une femme utile, avec une réputation sans tache.
Le journaliste fait son chemin. Les leçons de Mme de Marelle et celles de ses amis reporters ont porté
leurs fruits. L'homme qui se présente chez Mme Walter a acquis l'aisance et le délié.
Devant un cercle féminin très choisi, il produit forte impression en ridiculisant ces messieurs de
l'Académie: la semaine suivante, il est nommé chef des Échos, ces Échos qui sont “ la moelle du
journal ”, la somme des petits entrefilets aguicheurs et trompeurs où chaque lecteur doit trouver son
intérêt. Un intérêt qui peut être politique ou culturel, professionnel ou social, quand “ il faut penser à
tout et à tous ” (p. 155).
Le journaliste va montrer là toutes ses qualités de ruse, d'astuce, de souplesse et de flair pour réussir
dans la fonction. Et comme une bonne nouvelle peut cacher d'autres bonnes nouvelles, il est invité à
dîner chez les Walter, reçoit un salaire de Crésus et songe à ses parents normands et au pays natal.
Le dîner - en présence de tous les rédacteurs du journal est somptueux. Duroy fait plus ample
connaissance avec les deux filles Walter, Suzanne en particulier. Il revoit Mme de Marelle : c'est la
réconciliation. Le vieux poète Norbert de Varenne, étrange figure de raté pessimiste, l'accompagne
sur le chemin du retour en lui administrant un véritable sermon sur la mort.
L'homme s'arrache à ce pessimisme durement révélé à la pensée de sa rencontre du lendemain avec
Mme de Marelle.
Forestier, de plus en plus malade, doit partir pour Cannes et son soleil. Bel-Ami rappelle à sa femme
qu'elle peut compter sur son dévouement, en toute occasion.
10. Chapitre VI: Un incident de parcours
Charles Forestier est loin, Duroy signe ses premiers articles politiques mais il
doit faire face à l'humeur belliqueuse d'un reporter de La Plume qui le prend
rudement à partie tout en égratignant le journal. Un échange de
communiqués insultants n'arrange rien : un seul recours, le duel. Bel-Ami
possède quelques qualités d'apparence et beaucoup de savoir-faire et
d'ambition, mais bien peu de courage physique.
Le choix des armes l'inquiète, puis l'angoisse, le terrorise. On se battra au
pistolet. Malgré une formation accélérée, il se sent au bord de toutes les
lâchetés.
La chance aidant, les balles épargnent les deux hommes. L'honneur de La Vie
Française est intact et Bel-Ami reçoit les chaudes félicitations du Patron et les
tendresses renouvelées de Mme de Marelle: on s'installe dans la garçonnière
du bonheur.
11. Chapitre VII : La mort de Forestier
Duroy et Clotilde consacrent leur entente quasi familiale - M. de Marelle,
toujours absent, ne compte pas - quand arrivent de mauvaises nouvelles de
Cannes : Charles se meurt et sa femme demande l'aide promise par l'ami.
À Cannes, c'est l'heure difficile d'une longue et crispante agonie. La maladie
n'en finit pas de jouer avec les dernières forces du malade. Bientôt, il faudra
veiller le mort et ne pas se laisser prendre aux ultimes angoisses du hideux
spectacle. C'est le moment que choisit Bel-Ami, profitant des circonstances qui
lui sont favorables, pour redire à Madeleine Forestier son amour et son espoir
d'un mariage. Sans écarter le projet, la brillante journaliste en fixe les limites :
“ Le mariage pour moi n'est pas une chaîne, mais une association Mais il
faudrait aussi que cet homme s'engageât à voir en moi une égale, une alliée ”
(p. 224-225).
Conscient des progrès réalisés, Duroy se montre compréhensif : il saura
attendre.
12.
13. BOULE DE SUIF
Résumé
L'histoire se déroule pendant la guerre de 1870, en plein hiver et débute par le repli des troupes
françaises et l'envahissement de Rouen par les prussiens. C'est à bord d'une diligence tirée par
six chevaux que l'héroïne, baptisée par l'auteur "Boule de suif" et neuf autres personnes
s'enfuient vers Dieppe. Il y a là un couple de commerçants, deux couples de la bourgeoisie et de
la noblesse, deux religieuses, un démocrate, et Boule de suif, une femme galante, dont la
présence soulève la méfiance, l’indignation ou la curiosité.
• Le voyage s’annonce difficile, le froid est vif. La neige ralentit la progression de la diligence.
Les voyageurs ont faim. Seule, Boule de Suif a pensé à emporter des provisions qu’elle
partage volontiers avec ses compagnons de voyage. Ceux-ci n’hésitent pas alors à oublier
provisoirement leurs préjugés pour bénéficier de la générosité de la passagère.
• Le soir, la diligence s’arrête pour une étape à l’auberge de Tôtes. Celle-ci est occupée par les
Prussiens. L’officier prussien interdit à la diligence de repartir tant que Boule de suif n’a pas
accepté ses avances. Avant le souper elle est appelée à le rejoindre mais refuse.
Bonapartiste, elle n’accepte pas de coucher avec l'ennemi.
• Les passagers restent bloqués la journée à l'auberge et réalisent que l'officier prussien ne les
laissera partir que lorsque Boule de suif se sera offerte à lui. Chacun y va alors de son
argument pour convaincre la jeune femme d’accepter de se sacrifier.
• Elle passe la nuit avec l'officier et ils partent au petit matin.
• Tous se sont fait préparer des petits plats sauf Boule de Suif qui n'a pas eu le temps.
• Quand arrive l’heure du repas, les voyageurs se régalent mais personne ne partagera son
repas avec Boule de Suif. Elle n’aura droit qu’au mépris de la part de cette microsociété bien
pensante, qu’elle a nourrie puis libérée.
14. BOULE DE SUIF - Extraits
BOULE DE SUIF - Extraits
Tout à coup, Loiseau, la face anxieuse et levant les bras, hurla: "Silence!" Tout le monde se tut,
surpris, presque effrayé déjà. Alors il tendit l'oreille en faisant "Chut!" des deux mains, leva les
yeux vers le plafond, écouta de nouveau, et reprit, de sa voix naturelle:
"Rassurez-vous, tout va bien."
On hésitait à comprendre, mais bientôt un sourire passa. Au bout d'un quart d'heure il
recommença la même farce, la renouvela souvent dans la soirée; et il faisait semblant
d'interpeller quelqu'un à l'étage au-dessus, en lui donnant des conseils à double sens puisés
dans son esprit de commis voyageur. Par moments il prenait un air triste pour soupirer: "Pauvre
fille!" ou bien il murmurait entre ses dents d'un air rageur : "Gueux de Prussien, va!"
Quelquefois, au moment où l'on n'y songeait plus, il poussait, d'une voix vibrante, plusieurs:
"Assez! assez!" et ajoutait, comme se parlant à lui-même: "Pourvu que nous la revoyions; qu'il
ne l'en fasse pas mourir, le misérable!"
Bien que ces plaisanteries fussent d'un goût déplorable, elles amusaient et ne blessaient
personne, car l'indignation dépend des milieux comme le reste, et l'atmosphère qui s'était peu à
peu créée autour d'eux était chargée de pensées grivoises.
Au dessert, les femmes elles-mêmes firent des allusions spirituelles et discrètes. Les regards
luisaient; on avait bu beaucoup. Le comte, qui conservait, même en ses écarts, sa grande
apparence de gravité, trouva une comparaison fort goûtée sur la fin des hivernages au pôle et la
joie des naufragés qui voient s'ouvrir une route vers le sud. Loiseau, lancé, se leva, un verre de
champagne à la main: "Je bois à notre délivrance!" Tout le monde fut debout : on l'acclamait.
Les deux bonnes sœurs, elles-mêmes, sollicitées par ces dames, consentirent à tremper leurs
lèvres dans ce vin mousseux dont elles n'avaient jamais goûté. Elles déclarèrent que cela
ressemblait à la limonade gazeuse, mais que c'était plus fin cependant.
15. BOULE DE SUIF - Extraits
Loiseau résuma la situation.
"C'est malheureux de ne pas avoir de piano parce qu'on pourrait pincer un quadrille."
Cornudet n'avait pas dit un mot, pas fait un geste; il paraissait même plongé dans des pensées
très graves, et tirait parfois, d'un geste furieux, sa grande barbe qu'il semblait vouloir allonger
encore. Enfin, vers minuit, comme on allait se séparer, Loiseau qui titubait, lui tapa soudain sur
le ventre et lui dit en bredouillant:
"Vous n'êtes pas farce, vous, ce soir; vous ne dites rien, citoyen?" Mais Cornudet releva
brusquement la tête, et, parcourant la société d'un regard luisant et terrible:
"Je vous dis à tous que vous venez de faire une infamie!" Il se leva, gagna la porte, répéta
encore une fois: "Une infamie!" et disparut.
Cela jeta un froid d'abord. Loiseau, interloqué, restait bête; mais il reprit son aplomb, puis,
tout à coup, se tordit en répétant: "Ils sont trop verts mon vieux, ils sont trop verts." Comme
on ne comprenait pas, il raconta les "mystères du corridor". Alors il y eut une reprise de gaieté
formidable. Ces dames s'amusaient comme des folles. Le comte et M. Carré-Lamadon pleuraient
à force de rire. Ils ne pouvaient croire.
"Comment! vous êtes sûr! Il voulait...
- Je vous dis que je l'ai vu.
- Et, elle a refusé...
- Parce que le Prussien était dans la chambre à côté.
- Pas possible?
- Je vous le jure."
16. BOULE DE SUIF - Extraits
Le comte étouffait. L'industriel se comprimait le ventre à deux mains. Loiseau continuait:
"Et, vous comprenez, ce soir, il ne la trouve pas drôle, mais pas du tout.«
Et tous les trois repartaient, malades, essoufflés, toussant.
On se sépara là-dessus. Mais Mme Loiseau, qui « était de la nature des orties », fit
remarquer à son mari, au moment où ils se couchaient, que "cette chipie" de petite Carré-
Lamadon avait ri jaune toute la soirée: "Tu sais, les femmes, quand ça en tient pour
l'uniforme, qu'il soit français ou bien prussien, ça leur est, ma foi, bien égal. Si ce n'est
pas une pitié, Seigneur Dieu!"
Et toute la nuit, dans l'obscurité du corridor coururent comme des frémissements, des
bruits légers, à peine sensibles, pareils à des souffles, des effleurements de pieds nus,
d'imperceptibles craquements. Et l'on ne dormit que très tard, assurément, car des filets de
lumière glissèrent longtemps sous les portes. Le champagne a de ces effets-là; il trouble,
dit-on, le sommeil.
Le lendemain, un clair soleil d'hiver rendait la neige éblouissante. La diligence, attelée
enfin, attendait devant la porte, tandis qu'une armée de pigeons blancs, rengorgés dans
leurs plumes épaisses, avec un œil rose, taché, au milieu, d'un point noir, se promenaient
gravement entre les jambes des six chevaux, et cherchaient leur vie dans le crottin fumant
qu'ils éparpillaient.
Le cocher, enveloppé dans sa peau de mouton, grillait une pipe sur le siège, et tous les
voyageurs radieux faisaient rapidement empaqueter des provisions pour le reste du
voyage.
On n'attendait plus que Boule de suif. Elle parut.
17. BOULE DE SUIF - Extraits
• Elle semblait un peu troublée, honteuse, et elle s'avança timidement vers
ses compagnons, qui, tous, d'un même mouvement, se détournèrent
comme s'ils ne l'avaient pas aperçue. Le comte prit avec dignité le bras de
sa femme et l'éloigna de ce contact impur.
• La grosse fille s'arrêta, stupéfaite; alors, ramassant tout son courage, elle
aborda la femme du manufacturier d'un "bonjour, Madame" humblement
murmuré. L'autre fit de la tête seule un petit salut impertinent qu'elle
accompagna d'un regard de vertu outragée. Tout le monde semblait affairé,
et l'on se tenait loin d'elle comme si elle eût apporté une infection dans ses
jupes. Puis on se précipita vers la voiture où elle arriva seule, la dernière, et
reprit en silence la place qu'elle avait occupée pendant la première partie
de la route.
• On semblait ne pas la voir, ne pas la connaître; mais Mme Loiseau, la
considérant de loin avec indignation, dit à mi-voix à son mari:
"Heureusement que je ne suis pas à côté d'elle."
• La lourde voiture s'ébranla, et le voyage recommença.
18. BOULE DE SUIF - Extraits
Personne ne la regardait, ne songeait à elle. Elle se sentait noyée dans le
mépris de ces gredins honnêtes qui l'avaient sacrifiée d'abord, rejetée ensuite,
comme une chose malpropre et inutile. Alors elle songea à son grand panier
tout plein de bonnes choses qu'ils avaient goulûment dévorées, à ses deux
poulets luisants de gelée, à ses pâtés, à ses poires, à ses quatre bouteilles de
bordeaux; et sa fureur tombant soudain, comme une corde trop tendue qui
casse, elle se sentit prête à pleurer. Elle fit des efforts terribles, se raidit, avala
ses sanglots comme les enfants; mais les pleurs montaient, luisaient au bord
de ses paupières, et bientôt deux grosses larmes, se détachant des yeux,
roulèrent lentement sur ses joues. D'autres les suivirent plus rapides coulant
comme les gouttes d'eau qui filtrent d'une roche, et tombant régulièrement
sur la courbe rebondie de sa poitrine. Elle restait droite, le regard fixe, la face
rigide et pâle, espérant qu'on ne la verrait pas.
Mais la comtesse s'en aperçut et prévint son mari d'un signe. Il haussa les
épaules comme pour dire: "Que voulez-vous? ce n'est pas ma faute." Mme
Loiseau eut un rire muet de triomphe, et murmura: "Elle pleure sa honte."