1. Des animations intergénérationnelles au cœur de la Petite Bibliothèque Ronde
Intergenerational actions at the core of the Petite Bibliothèque Ronde
Caroline SIMON, La Petite Bibliothèque Ronde, France
Résumé :
Dans un monde où les technologies numériques prennent tous les jours plus de place dans la
vie de chacun, où les enfants ont mille et une choses à faire, où des cultures s’entremêlent
comme jamais auparavant, la bibliothèque jeunesse est un outil de cohésion sociale
déterminant. Dotée de nouveaux supports, elle peut jouer un rôle précieux dans la sauvegarde
ou la création de liens entre les générations.
La bibliothèque associative jeunesse La Petite Bibliothèque Ronde est au cœur de ces enjeux
sociétaux et multiplie les actions en faveur des échanges culturels entre les générations, au
sein. Ses animations, en direction des enfants comme des parents, utilisent tous les medias
possibles, du papier au numérique en passant par l'oralité. A la base de toute expérience
intergénérationnelle se trouve l'envie de provoquer des rencontres, de tisser des liens, de
combler - autant que faire se peut - les fossés entre ces générations pour qu'elles se
nourrissent de leurs richesses mutuelles.
Abstract:
In a world where digital technologies takes up more and more space in our life, and where
children have always something to do and cultures are intermingled as never before,
children’s libraries are a decisive tool to social cohesion. By modernizing usual medias and
introducing new ones, children’s libraries play a vital role in both maintaining existing links
between generations and in creating new ones. La Petite Bibliothèque Ronde is at the core of
social stakes. This associative children’s library offers multiple actions for cultural exchanges
between generations. These actions dedicated to children and parents use a range of different
medium: paper, digital technologies storytelling and other forms of oral communication. As
all intergenerational experiences are driven by the desire to meet, create links and fill in the
gaps between them, the actions at La Petite Bibliothèque Ronde facilitate generations to
mutually benefit from each others.
Mots Clef :
bibliothèque jeunesse / animations intergénérationnelles / transmission / numérique /
médiation
Key words :
children library / intergenerational actions / transmission / digital / mediation
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2. Depuis sa création en 1965, la bibliothèque des enfants de Clamart a toujours été
particulièrement attentive à l’aspect intergénérationnel de ses actions de médiation. A l’aube
des années 80, les bibliothécaires sortent des murs de la bibliothèque avec le meilleur du
fonds, et proposent des livres en extérieur.
La Petite Bibliothèque Ronde est située dans un environnement urbain, aux portes de
Paris. Le quartier est riche d'une grande diversité culturelle. Il est majoritairement habité par
des familles issues des classes moyennes ou en grandes difficultés.
Parce qu'une bibliothèque jeunesse s'adresse forcément à toute la famille, à toutes les
générations, c'est de manière naturelle que la Petite Bibliothèque Ronde et l'association
Accueil Relais Parents Enfants (ARPE), qui a une mission d'action sociale et de soutien à la
parentalité, se sont réunies. Le groupe formé par ces femmes du quartier jeunes et moins
jeunes, s'est appelé Autour du puits parce qu’elles ont tout de suite vu, dans ce groupe réuni
dans une bibliothèque ronde, une similitude avec ces groupes qui se forment autour des puits
pour discuter, échanger des histoires. A l'image des soirées de veillée, ce groupe s'est toujours
réuni dans le but d'échanger : des histoires, des comptines, des jeux de doigt, puis des recettes
qui renferment à elles seules des histoires millénaires…
La Petite Bibliothèque Ronde organise à chaque période de vacances scolaires, des
ateliers d’échanges de pratiques. Ils sont l’occasion d’une transmission concrète des parents
aux enfants. Des ateliers de pâtisserie sont régulièrement organisés, où chacun est invité à
mettre la main à la pâte ! L’occasion est ainsi donnée à deux générations de se retrouver
autour de pratiques ancestrales et fédératrices.
Ces ateliers font suite à trois années de partenariat avec l’association ARPE. Trois
années au cours desquelles la bibliothèque a eu à cœur de fidéliser un public qui n’avaient pas
l’habitude de fréquenter les bibliothèques. Ces femmes, accueillies sur un terrain qu’elles
connaissent, celui de la cuisine, ont pu franchir le seuil d’une bibliothèque. Certaines habitent
en face de la bibliothèque depuis près de 15 ans. Elles pensaient que ce lieu n’était pas pour
elles. Une fois ce pas symbolique franchi, notre mission a consisté à montrer aux femmes,
mamans et assistantes maternelles, la pertinence de la création du lien entre le bébé et le livre,
mais aussi avec elles-mêmes.
Ces séances de cuisine sont aussi un moment de partage entre femmes de plusieurs
générations. Si les mamans de jeunes enfants sont les premières visées par cette action, nous
avons vu, petit à petit le groupe s'élargir à leurs sœurs, belles-sœurs, cousines, et à leurs
propres mères. L'une d'elle nous dira un jour, en parlant d'une culture qu'elle perd peu à peu :
« la cuisine, c'est ce qui se perd en dernier ». Gageons que les histoires survivent aussi…
Depuis les débuts de l’humanité, et dans tous les endroits du monde, une tradition
orale a accompagné les destinées humaines. L’écrit, arrivé beaucoup plus tard, l'a ancré - et
encré- pour que le temps enrichisse ces récits sans perdre les traces originales. La mise en
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3. valeur de ces récits oraux est, dans notre société, parfaitement marginale. Quand elle a lieu,
rarement hors des bibliothèques, c’est avec l’intervention de conteur professionnel à qui on
demande de faire un spectacle. Les scènes ouvertes sont plus rares.
C’est dans une optique d’échange et d’ouverture que la Petite Bibliothèque Ronde
organise, plusieurs fois par an, un rendez-vous désormais attendu : une séance de contes
multilingues où chacun est invité à raconter dans une langue qui n'est pas forcément le
français. Toutes les personnes présentes à ce moment là sont mises à contribution, des enfants
aux grands-parents. On peut alors y entendre des comptines d’anglais apprises à l’école, des
berceuses en arabe, des contes en breton, bambara, italien… Celles et ceux qui ne connaissent
que le français apprennent pour l’occasion une comptine dans une autre langue. Les
bibliothécaires mettent à contribution grands-parents et amis pour préparer cet événement.
Réunis en cercle, les participants lisent, racontent, chantent,… C’est un moment de partage et
d’échange où les plus âgés osent parfois raconter dans leur langue maternelle, une langue
qu’ils n’ont pas toujours transmise à leur famille.
Le « musiconte » est aussi une animation propice aux mélanges des générations. La
bibliothèque offre ainsi à son public une alternance de contes et d’airs de musique. Cette
année, le thème de l’Allemagne était à l’honneur avec des contes de Grimm. Des morceaux de
musique classique ponctuaient ces moments.
Nous offrons nos locaux à l'association L’association l’Aventure en Musique, ainsi des
flûtistes répètent chaque samedi et nous ont fait l'honneur d’un petit concert, florilège de
compositeurs allemands. De nombreuses familles étaient présentes. Deux ou trois générations
étaient là : des plus jeunes babillant sur les genoux des mamans aux grands-parents battant la
mesure du pied. Ce fut un grand moment festif, se terminant par une grande ronde de Noël
dans la plus grande salle de la bibliothèque.
Une attention particulière est mise dans l’organisation de ces événements. Les
bibliothécaires sont aussi le relais de pratiques liées à la parentalité. Une expérience, menée
avec des assistantes sociales de la Caisse d’Allocations Familiales de Clamart. Il s'agit de
sensibiliser des parents à l’importance du livre et du racontage chez les jeunes enfants. Ainsi
on partage des lectures de romans, d’albums ou de pièces de théâtre, des extraits de chansons
aux textes forts, des extraits de films. A l’occasion de la représentation de la pièce « Cet
enfant » de Joël Pommerat, une lecture « préparatoire » a été organisée à la bibliothèque afin
de donner un aperçu du texte. De nombreuses femmes nous ont avoué qu’elles ne seraient
jamais venues à la représentation sans ce travail en amont. En effet, le théâtre souffre encore
parfois de trop de méconnaissance. Le théâtre, comme les bibliothèques, les cinémas ou les
musées, sont trop souvent des espaces qui intimident. Le seuil est un obstacle à franchir, elle
doit être une porte sur un monde d’imaginaire infini.
Les parents ainsi sensibilisés sont les meilleurs ambassadeurs de ces espaces auprès de
leurs enfants.
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4. La bibliothèque a toujours été perçue comme un lieu du savoir et de la connaissance,
elle est aussi un lieu de vie. C'est un lieu où l'enfance peut se vivre pleinement. C'est aussi un
lieu qui connait l'immense joie de la rencontre. C'est dans cet esprit que la Petite Bibliothèque
Ronde organise, plusieurs fois par an, la rencontre des enfants avec un adulte qui vient leur
parler de son métier, par le truchement d'une séance de question-réponse la plus informelle
possible.
La Petite Bibliothèque Ronde est implantée dans un quartier populaire où la vie est
difficile. On constate que les enfants que nous côtoyons ont peu d'ambition concernant leur
avenir. Les métiers qu'ils envisagent de pratiquer sont bien terre à terre. Pas de rêve de
cosmonaute ni d'archéologue : du haut de leur huit ans, les enfants évoquent de vendeuse, de
maçon ou d’huissier. Alors on s'est mis à rêver pour eux, parce qu'à huit ans, on a le droit, et
probablement le devoir, de rêver !
Une costumière de l'Opéra de Paris est venue avec ses costumes, les exposant dans la
bibliothèque, invitant les enfants à toucher les tissus, les matières, les coutures. Puis un
pompier a passé la porte de la bibliothèque avec ses maquettes d'immeuble, y mettant le feu
pour montrer l'évacuation des fumées. Une traductrice (et bibliothécaire jeunesse !) a expliqué
aux très nombreux enfants bilingues la chance extraordinaire de leur double culture. Un
illusionniste est venu expliquer les contraintes de son métier, ses voyages autour du monde, et
le bonheur des rencontres au gré de ses tournées. Les professionnels y trouvent un intérêt tout
particulier en transmettant ce qui est leur quotidien. Les enfants sont intéressés, leurs parents
ne le sont pas moins et ils restent discuter avec l'intervenant bien après la séance de questions.
Le caractère intergénérationnel et familial de ces rencontres en fait, à chaque fois, un moment
exceptionnel.
A l'opposé de ces rencontres, il est souvent considéré que les pratiques autour des
supports numériques sont des pratiques essentiellement individuelles. Elles seraient à la fois
néfaste au développement social de l’enfant et réducteur de son imaginaire.
Nous nous efforçons, au quotidien, de démontrer qu’il n’en est rien : c’est en effet
méconnaître l’univers très riche et varié de ces technologies informatiques. En dehors de
l’usage de logiciel de traitement de texte ou de recherche, les bibliothèques sont le plus
souvent réfractaires à un usage de jeu, exception faite des sections jeunesse. Étrange
exception qui sous-entendrait qu’une fois passé un âge certain, l’individu n’est plus le
bienvenu dans ces univers ludiques et créatifs. Comment alors envisager d’un faire un outil
central d’animations intergénérationnelles ?
Si l’on peut jouer dans certaines médiathèques en groupe via des installations
d’ordinateurs en réseaux, c'est toujours et uniquement dans les sections jeunesse. On voit
aussi se développer l'organisation de jeux en réseau entre bibliothèque, via Internet, mais
toujours à l'intérieur d'une même classe d'âge. Ces usages, bien que pratiqué en groupe,
s’effectuent sur des machines différentes. Il est important qu'un travail entre les générations
puisse se faire aussi simplement que possible.
Comment faire pour que l'utilisation des supports numériques ne participe pas au
creusement de ce fossé entre les enfants et surtout entre les générations. En effet, si l'usage
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terrain de jeu des seuls enfants. Les jeux vidéo et leurs consoles restent trop souvent un
domaine où les enfants et les adolescents dictent les achats. Les parents, faute de connaissance
suffisante en la matière, n'ont pas leur mot à dire.
A la Petite Bibliothèque Ronde, nous organisons, pour des groupes de mamans du
quartier, une initiation, non seulement à l'usage d'Internet et des traitements de texte, bien
utile pour la rédaction d'un CV et la consultation d'une boîte mail, mais aussi aux jeux vidéo
sur console.
Cette action de sensibilisation au-delà des clivages générationnels passe aussi par
l’organisation de tournois de jeux vidéo sur grand écran, à la vue de tous. Dans ces tournois
les enfants, parents (et bibliothécaires !), se retrouvent pour un moment ludique et convivial.
C'est aussi un des rares moments où l'enfant peut se retrouver dans la position de transmetteur
d'un savoir, position valorisante s'il en est.
Les tablettes tactiles, dernières nées dans l'univers des bibliothèques pour enfants
fleurissent en France, un peu partout, sont des outils qui offrent une grande flexibilité d'usage.
Leur facilité d'utilisation en fait un support utilisable à tout âge. Il n'est pas rare de voir à la
Petite Bibliothèque Ronde une maman, avec un bébé sur les genoux et un iPad dans les
mains : certaines applications sont en effet particulièrement adaptées aux plus petits, et le
fonctionnement tactile de la tablette en font un outil intuitif et interactif par excellence. Il est
également possible de projeter le contenu de ce petit écran tactile sur un grand écran, offrant
la possibilité d'interagir, dans l'application choisie, sous les yeux de tous.
C'est grâce à ces fonctionnalités que des bibliothécaires ont inventés des « heures du
conte » numériques et interactives. Un enfant s'empare de la tablette et peut agir pour
poursuivre l'histoire grâce à la manipulation de l'écran. Là encore, les familles sont présentes
en nombre et les parents n'hésitent pas à donner leur avis sur la suite à donner à l'histoire et les
options à choisir. Comme une « histoire dont vous êtes de héros », mais là il ne s'agit pas d'un
héros solitaire. Le héros qui bénéficie à la fois de l'expérience des adultes et de l'impulsivité
des plus petits.
Il reste ici à évoquer le lien intergénérationnel puissant qui se tisse entre les enfants
qui fréquentent la bibliothèque et les bibliothécaires. Ni amis, ni famille, ces adultes
bienveillants ne se positionnent pas dans un rôle d'enseignant, mais dans une position de
partage. Ce lien est essentiel à la sauvegarde de cette humanité qui est le moteur d'une
bibliothèque jeunesse vivante aujourd'hui.
Ces enfants sont enrichis par tous ces liens avec des adultes, ils découvrent la richesse
de parcours de vie très différents et cela ne peut que leur donner envie de grandir. Les
bibliothèques jeunesse ont un rôle à jouer dans cette construction humaine.
Biographie
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6. Caroline Simon est bibliothécaire jeunesse. Elle a étudié les sciences de l’information en
France et en Angleterre. Elle travaille pour la Petite Bibliothèque Ronde (bibliothèque
associative jeunesse) depuis quatre ans et en a pris récemment la direction. Cette structure
accueil des enfants de 0 à 12 ans et a pour vocation la recherche dans le domaine de la
médiation culturelle, notamment autour des supports numériques.
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