Apres plus que 50 ans de l’indépendance le Maroc souffre toujours de
plusieurs problèmes qui handicapent son développement. Sur le plan
politique le processus de décentralisation n’a pas abouti à réaliser ces
objectifs, on a toujours des régions politiquement faibles et pauvres en
compétences et en moyens financiers. Parlant du côté économique, le
Maroc est en bas du classement mondial du développement humain. La
situation sociale du pays connait à son tour des problèmes de disparité, de
chômage et de pauvreté.
Ajoutant à cela les mutations profondes que connait le pays, à savoir :
l’ouverture économique, la mondialisation, les nouveaux partenariats
internationaux, l’intégration maghrébine et le défi de développement
économique et social.
Conscient de ces obstacles majeurs au développement et de la nouvelle
dimension des régions comme locomotive du développement économique
du pays, sa majesté le Roi Mohammed VI a lancé le processus de la
régionalisation avancée, à travers la création de la Commission
Consultative de la Régionalisation le 03 Janviers 2010.
La commission est chargée d’élaborer un modèle de régionalisation
avancée qui peut être appliquée au contexte marocain. L’objectif est de
promouvoir un certain nombre de chantiers à savoir : la démocratie
participative, le développement économique et social des régions, la
modernisation des structures de l’Etat, la gouvernance territoriale…
La commission consultative de la régionalisation se base dans son travail
sur les orientations royales et adopte une approche participative qui
implique tous les acteurs dans le débat sur le sujet. Le fruit du travail de la
CCR est un rapport sous forme de propositions touchant les divers aspects
de la régionalisation.
La nouvelle constitution de 2011 viens pour faire du projet de
régionalisation avancée une priorité nationale, À la lecture de la nouvelle
Constitution, on peut relever que «l’organisation territoriale du Royaume
est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée».
Une nouvelle institution constitutionnelle vient pour renforcer les efforts
déployés dans le sens de la régionalisation avancée. Il s’agit du conseil
économique, social et environnemental mandaté par sa majesté lors de son
dernier discours à l’occasion de la fête de la marche verte, pour concevoir
un modèle de développement régionale pour les zones du sud. Ce qui
pourra servir comme une modèle pilote à la mise en place de la
régionalisation à l’échelle nationale.
Menant une première réflexion sur le sujet, plusieurs questions viennent à
la tête : Quelles mesures institutionnelles et réglementaires à prendre pour
accompagner le projet de la régionalisation ? Comment l’Etat va accorder
plus de pouvoirs et de ressources à la région et jouer en même temps le
rôle d’unificateur et de régulateur ? Quelles compétence politiques,
financières, juridiques à attribuer aux régions ?
Le projet de la régionalisation avancée repose sur un certain nombre de fils
directeurs qu’il faut garder à l’esprit en passant à la pratique. La
régionalisation avancée ne pourra jamais réussir sans la promotion de la
démocratie ; une démocratie participative impliquant tous les citoyens dans
la gestion de leurs affaires et dans le choix commun d’un futur pour leurs
pays.
Le but principal de toute politique de régionalisation avancée est le
développement économique et social des régions et par conséquent de tout
le pays. Il s’agit d’un développement intégré, intersectoriel, durable et qui
touche tous les aspects économiques, sociale, culturels et
environnementale. C’est aussi un développement local qui met en jeu la
mobilisation des ressources locales et l’esprit d’initiative et de
collaboration des acteurs locaux.
Quand on conçoit un modèle de régionalisation avancé pour le Maroc, il
faut garder à l’esprit la particularité de l’Etat et de la nation marocaine, sa
richesse et sa diversité populaire, géographique, culturelle et historique.
Comme il sera judicieux de mettre l’accent sur la spécificité du système
politique marocain, la monarchie au Maroc était toujours un garant de
l’unité du pays et de la stabilité politique. D’ailleurs l’institution royale
adhère au projet de la modernisation et du développement du pays étant la
première à initier le projet de la régionalisation avancée dans le pays.
Enfin, la réussite du chantier de la régionalisation avancée nécessitera une
approche graduelle et évolutive, pour bien maitriser l’évolution et assurer
sa durabilité dans le temps. Une approche du choc pourra probablement
avoir des résultats inattendus.
Je peux dire qu’il y a deux aspects de la régionalisation : un aspect
politique/institutionnel et un autre économique/sociale.
L’aspect institutionnel et politique de la régionalisation avancée :
Le but ultime de La régionalisation avancée est le renforcement des
prérogatives des instances locales afin de leurs permettre une large
autonomie de décision, Le fait qui impose l’organisation des rapports entre
l’Etat et les régions. En d’autres termes, la régionalisation doit instaurer un
équilibre institutionnel entre l’administration centrale et les conseils
locaux, et ce dans le cadre d’une répartition efficace des prérogatives au
niveau de la décision, de l’exécution et du contrôle.
Cet équilibre recherché doit s’inscrire, d’une part, dans un processus de
renforcement du rôle stratégique et d’orientation de l’Etat centrale.
L’autorité centrale gère tout ce qui a trait à la défense nationale, les
relations étrangères, les affaires islamiques, la justice, la politique
monétaire…bref tout ce qui reflète la souveraineté de l’Etat.
De l’autre part, il faut renforcer les pouvoirs de la région et de l’outiller de
tous les moyens nécessaires lui permettant de devenir l’un des acteurs
principaux de la conception et de l’exécution des politiques publiques au
niveau territorial. Afin de bien jouer ces nouveaux rôles au niveau du
développement local, la région doit être doté de réels pouvoirs de décision
politique, ainsi que des moyens humains, financiers et techniques
suffisants.
Le rapport de la CCR, donne beaucoup de précisions concernant
l’organisation institutionnelle entre le local et le central dans le cadre du
projet de la régionalisation avancée. Il précise que la relation entre l’Etat et
la région est une relation de partenariat, de régulation et non plus de tutelle.
Il souligne aussi l’importance de la concertation entre les deux parties à
propos de l’élaboration des politiques publiques au niveau national comme
au niveau régional. L’Etat élabore la vision globale et les orientations
stratégiques on laissant aux collectivités locales la liberté de décider, dans
le cadre de ces orientations, les politiques de développement économique
et social adaptées au territoire.
Dans le même sens, et afin de réussir la nouvelle vision de la relation
Etat/Région, le Maroc doit avancer dans les chantiers de la décentralisation
et de la déconcentration.
La décentralisation implique de donner de larges prérogative aux conseils
locaux, préfectorales et régionales en matière de décisions politiques, de
choix stratégiques et de politiques financiers. C’est le moment de mettre
fin au contrôle du ministère de l’intérieure, maintenant l’autorité dois
passer des mains des gouverneurs et Walis aux mains des élus locaux.
Comme il s’agit d’un processus difficile et long, ça nécessitera la
collaboration de tous les acteurs. On remarque également une réticence de
transférer le pouvoir du centre aux instances locales, et ce à cause d’une
mentalité sécuritaire qui pense que le contrôle implique de garder tous les
pouvoirs entre les mains de l’Etat centrale.
Quant à la déconcentration, il doit être renforcé pour donner une forte
impulsion à l’action de l’Etat au niveau territoriale. Attendre la décision de
l’administration centrale pour agir localement provoque la longueur et la
complexité des procédures administratives. D’ailleurs ce sont les autorités
locales qui comprennent mieux les réalités du territoire, et dont mieux
placées pour agir sur le plan local. A cet effet, une commission
interministérielle a été constituée pour préparer une charte nationale de la
déconcentration avec comme objectif la mise en place d’un système de
gouvernance efficace, basé sur une approche territoriale, dans le cadre d’un
transfert des compétences du centrale vers les services déconcentrés, et en
rupture avec la pratique du centralisme figé.
Cette charte doit également prévoir les réformes institutionnelles
nécessaires pour articuler les pouvoirs des walis et gouverneurs et les
adapter au contexte de la régionalisation avancée, pour leur permettre
d’assurer une coordination effective des services déconcentrés de l’Etat et
assurer la cohérence des actions menées au niveau des territoires par les
différents acteurs.
La démocratie locale reste un élément essentiel qui conditionne la réussite
du projet de la régionalisation avancée. la promotion de la démocratie
locale peut se faire à travers l’organisation d’élections honnêtes et la lutte
contre toutes les formes de corruption. Il s’agit de consolider une
démocratie participative qui intègre tous les acteurs locaux. Intégrer le
citoyen dans la vie politique locale implique aussi la restitution de la
confiance perdue à propos de l’efficacité des institutions locales. Le
citoyen doit croire à la participation politique comme étant la seule façon
lui permettant de participer à la prise de décisions et aux choix stratégiques
concernant son territoire. L’instauration de la démocratie nécessite de plus
la réforme du système électorale, car le système actuel constitue un
obstacle à la formation de majorités fortes dans les conseils locaux. Encore,
il faut renforcer les institutions de contrôle au niveau régional comme les
cours régionaux des comptes.
A ce propos le modèle de la régionalisation avancée détaillé dans rapport
de la CCR contient plusieurs propositions à savoir : encourager l’initiative
et la créativité des citoyens, favoriser un environnement de démocratie
participative, lier la responsabilité à la reddition des comptes, garantir la
parité entre les hommes et femmes en matière de participation politique…
La combinaison de ces éléments nécessite une gestion moderne du
territoire, on parle donc de bonne gouvernance locale. Dans ce contexte le
rapport de la CCR propose plusieurs instruments de mangement et de
gouvernance au niveau régional :
- La création d’une agence d’exécution de projets, qui se chargera de
l’accompagnement technique des projets.
- La modernisation des structures institutionnelles locales et la mise à
niveau des collectivités territoriales, Surtout en matière de ressources
humaines.
- Adoption d’une approche managériale moderne basée sur la planification,
la programmation, la fixation des objectifs et la transparence.
- Les régions doivent avoir accès à toute information nécessaire à
l’exercice de leurs compétences.
La concrétisation de toutes ces dispositions doit faire l’objet d’une loi
organique qui est en cours de préparation par le gouvernement et qui va
déterminer les différents mécanismes institutionnels et légales nécessaires
à la mise en place du chantier de la régionalisation avancée.
La régionalisation avancée et le développement économique, social et
environnemental :
La régionalisation avancée est d’abord et avant tout un remède au sous-
développement. C’est une nouvelle structure modernisée de l’Etat ayant
comme objectif majeur la consolidation du développement intégré de
toutes les régions du pays.
La région devra être capable de créer la richesse on se basant sur ces
propres ressources, l’identification et la mobilisation créative des
ressources et compétences locales sera la mission principale des élus. Cela
fait appel aux valeurs d’innovation, de créativité et de vision développées
dans un cadre de partenariat et de coopération de tous les acteurs sociaux.
Le modèle du développement proposé par le projet de la régionalisation
avancée insiste sur l’implication de tous les citoyens dans la concrétisation
de leur développement local.
Le développement dont nous parle doit être forcément un développement
cohérent et équitable. L’Etat doit veiller sur l’équité de la répartition des
ressources et sur l’élimination des disparités, et ce à travers un découpage
efficient et à travers les relations de partenariats et de solidarité entre les
différentes régions du pays.
Le monde rural doit constituer une priorité dans les projets de
développement local, car il connait des niveaux de pauvreté et de précarité
très élevés.
Pour arriver au développement escompté, la région aura besoin de plus de
ressources et d’une indépendance concernant l’élaboration de ces plans de
développement locale. D’ailleurs il faut donner aux régions de larges
prérogatives concernant la politique fiscale au niveau local. La raison pour
laquelle, le rapport de la CCR a donné plusieurs recommandations dans ce
sens :
Faciliter l’accès des régions au financement et la création des fonds
d’investissement et des fonds de solidarités pour les régions défavorisés.
Le transfert et le partage de ressources entre le centre et le locale, mais
également le transfert des ressources inter régions afin de réduire les écarts
de richesse et les inégalités entre les collectivités territoriales.
Une relation de contrats-programmes et de partenariat entre l’Etat et les
collectivités locales, traduite par une concertation dans l’élaboration des
politiques de développement au niveau national et régional.
Le renforcement du place su secteur privé à travers la simplification des
procédures et les incitations fiscales.
Doter les régions d’un vrai système d’information régionale, l’information
est devenu une matière première indispensable pour tout projet de
développement.
La préservation des ressources et de l’environnement reste aussi parmi les
priorités du projet de la régionalisation avancée. En fait, le développement
est un acte durable dans le temps, qui répond en même temps aux besoins
actuels comme aux besoins de générations futures. Il s’agit dès maintenant
d’avoir une vision stratégique commune concernant la préservation des
ressources et de l’équilibre écologique. Le Maroc connait une
surexploitation des forets et un vrai danger de désertification. Quant à la
réserve en eaux, le pays a passé d’une situation de déficit à une situation de
rareté.
Cette situation alarmante implique l’adoption des mesures urgentes pour
une utilisation optimale des ressources en vue de leurs durabilité et une
protection de l’environnement et de de l’équilibre écologique. Il faut
s’inscrire dans une démarche de développement durable pour trouver une
équation entre la préservation des ressources naturelles et les exigences du
développement humain.
Le découpage régional et la régionalisation avancée :
Le découpage actuel des régions au Maroc se dévoile comme un obstacle
au développement avec des caractéristiques de disparité et d’incohérence.
Le constat qui pose sérieusement la nécessité d’adopter une nouvelle
structure géographique régionale.
Le découpage régionale doit répondre aux défis multiples du territoire
nationale, à savoir : le développement locale intégré, l’ouverture et la
compétitivité économique, la croissance urbaine, l’éradication de la
pauvreté, l’utilisation optimale des ressources et la modernisation des
structures institutionnelles.
Pour arriver au meilleur découpage régional pour le Maroc, la CCR a
défini dans son rapport sur la régionalisation un certain nombre de
principes qui doivent être respectés :
- l’homogénéité : ce sont les caractères relatifs au milieu naturel, physique
et humain qui identifient la région homogène ;
- Assurer les conditions nécessaires pour les bassins de vie ;
- l’accumulation et de la continuité des acquis des découpages
administratifs ;
- l’efficience : améliorer l’action publique au niveau régionale ;
- l’accessibilité et de proximité ;
- Une meilleure représentativité des différents types d’espaces qui
composent le territoire marocain ;
- La cohérence entre les zones riches et les zones pauvres et la mise en
place du principe de solidarité ;
La CCR préconise de découper le Maroc en 12 régions à la place des 16.
Le découpage administratif qu'elle a proposé a tenu compte en priorité de
l'équilibre entre les régions. Les régions selon le rapport de la CCR sont :
Tanger-Tétouan, Orientale-Rif, Fès-Meknès, Rabat-Salé-Kenitra, Beni
Mellal-Khénifra, Casablanca-Settat, Marrakech-Safi, Darâa-Tafillalet,
Souss-Massa, Goulmim-Ouadnoun, Laâyoune-Sakia Al Hamra, Dakhla-
Oued Eddahab.
Le Maroc semble avoir toutes les potentiels nécessaires pour la réussite du
chantier de la régionalisation avancée sauf que l’existence de quelques
obstacles peut retarder ce processus stratégique.
Tout d’abord, le secteur de la justice au Maroc souffre de plusieurs
handicaps. Tout le monde connait la vitalité de la justice dans tous les
systèmes démocratiques. L’indépendance de l’autorité judiciaire constitue
la garantie de la suprématie de la loi et de l’égalité des chances.
Malheureusement ce secteur au Maroc souffre de plusieurs problèmes à
savoir la dépendance sur l’exécutif ou bien sur le palais royale, la
corruption, en plus des problèmes d’organisation et de manque de
ressources humaines. La nouvelle constitution et les discours royales
insistent toujours sur l’importance de la réforme de la justice, mais ça reste
des paroles qui ne sont pas traduites en réalité.
D’ailleurs, la réforme du système politique au Maroc est indispensable, à
mon sens, pour aller loin dans le projet de la régionalisation avancée. La
démocratie consiste d’une part à élire des représentants de la population sur
la base de leurs programmes politiques et économiques, et d’une autre part
à lier la responsabilité à la reddition des comptes, c’est pourquoi il faut
laisser le champ des politiques publiques au gouvernement qui est élu par
le peuple qui va le juger par la suite. L’institution royale doit cesser
d’intervenir dans la mise en place et le suivi de l’exécution des
programmes de développement, le Roi se déplace aux régions les plus
lointaines pour inaugurer des petits projets, je me demande quel espace
d’action on laisse pour le gouvernement et pour l’initiative des acteurs
locaux ? Le champ d’intervention du Roi doit se limiter à la représentation
de l’Etat et à la gestion des affaires religieuses et militaires, elle assure
aussi le rôle de régulateur et d’arbitre entre les différentes institutions en
cas de conflit. La nouvelle constitution a renforcé les autorités du président
du gouvernement mais ce n’est qu’un pas dans un long parcours.
Dans un autre volet, le Maroc souffre de l’insuffisance des ressources
humaines dans tous les domaines. Il y a une vrai crise d’élite, qu’il s’agit
d’élite politique, économique ou scientifique. La présence des compétences
humaines dans les divers domaines est indispensable pour la réussite du
projet de la régionalisation avancée et du développement du pays en
général.
La nécessité de la réforme du système de l’éducation marocain est devenue
urgente plus que jamais. L’investissement dans la recherche scientifique,
l’éducation et la formation reste le seul refuge du Maroc pour doter le pays
des compétences humaines nécessaire à son développement.