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La trajectoire raisonnée du « petit astre » :
L’intimité intériorisée dans La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier
Marielle Lapeyrouse
FREN 4003 – Jensen
le 9 mai 2013
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
1 
En adaptant à l’écran la Princesse de Montpensier de Madame de Lafayette (1662), le
cinéaste Bertrand Tavernier et le scénariste Jean Cosmos ont profité d’une grande marge de
manœuvre dans l’identité et le développement des personnages de l’histoire. La narration de la
nouvelle – dans laquelle il y a très peu de dialogue – passe très vite d’un événement à l’autre. La
princesse, « tourmentée par ses parents d’épouser » le prince de Montpensier, accepte assez vite
« par sa vertu » ce mariage malgré son inclination pour le duc de Guise.1
Les rapports
s’établissent par un discours indirect, ayant presque l’air d’un compte-rendu, comme dans cette
phrase qui résume le développement du rapport entre la princesse et le comte de Chabannes :
Le comte ayant l’esprit fort doux et agréable, gagna bientôt l’esprit de la princesse de Montpensier, et en
peu de temps elle n’eut pas moins de confiance pour lui qu’en avoit le prince son mari. Chabannes de son
côté regardoit avec admiration tant de beauté, d’esprit et de vertu qui paroissoient en cette jeune princesse ;
et, se servant de l’amitié qu’elle lui témoignoit pour lui inspirer des sentiments d’une vertue extraordinaire
et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde la plus
achevée 2
Voici résumé l’établissement de leur amitié et de l’apprentissage de la princesse. Leur rapport
établi, Lafayette se concentre plutôt sur la souffrance de Chabannes due à la confiance de Marie,
qui lui « reparla, quand l’occasion en fit naître le discours, de l’inclination qu’elle avoit eue pour
le duc de Guise ».3
En raison du style minime et distant de la nouvelle et le manque de développement du
rapport entre Marie et Chabannes, il a fallu que le scénario et l’interprétation des acteurs
développent le caractère des personnages, y compris l’intrigue. En dehors de la tâche
d’augmenter le contenu de la nouvelle, cependant, l’adaptation du texte en film a impliqué des
changements fondamentaux de la dynamique de l’intimité, particulièrement entre Marie et
Chabannes, qui passent beaucoup de temps ensemble. Ne pouvant pas tirer grande chose de la
                                                        
1
Lafayette 12.
2
Lafayette 12.
3
Lafayette 16.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
2 
nouvelle, les acteurs ont réinterprété leurs rôles.4
Lambert Wilson, qui interprète le comte de
Chabannes, exprime une volonté « d’émouvoir le spectateur en faisant le pari de rester dans la
réserve et la retenue, et de faire de Chabannes un personnage intériorisé et un peu austère ».5
Ce
« pari » s’effectue à deux niveaux : d’une part, comme l’explique Wilson, dans son jeu en tant
qu’acteur et d’autre part chez Chabannes même dans son comportement auprès de Marie. De
même, les autres personnages se transforment par l’adaptation cinématographique d’une façon
qui ennoblit le rapport entre Marie et Chabannes. Ainsi, la réécriture de l’intrigue et la
réinterprétation des personnages créent une intimité intériorisée où un rapport intellectuel entre
maître et élève s’est mis en valeur aux dépens d’un rapport sensuel.
 LE TRANSFORMATION DE CHABANNES EN PRECEPTEUR HUMANISTE
Avant d’atteindre cette nouvelle intimité qui se distingue de celle du roman, il a fallu
évidemment transformer surtout le personnage de Chabannes. Les changements les plus
fondamentaux à la réalisation de ce but semblent être : 1) le transfert de Guise à Chabannes de
l’acte d’écrire à Marie et 2) le choix de profiter du contexte philosophique de l’époque en
transformant Chabannes en humaniste. D’abord, en faisant de Chabannes un savant qui enseigne
à Marie à écrire et qui finit par lui écrire une lettre dont les mots se réverbèrent au cours des
dernières scènes du film, Tavernier et Cosmos épargnent à cet homme amoureux l’humiliation et
le supplice qu’il souffre dans le roman en tant qu’entremetteur pitoyable qui se fait « avaler à
longs traits tout le poison imaginable » en écoutant la princesse lire les lettres d’amour entre elle
et Guise, et qui ne peut que se consoler « un peu dans la pensée que cette princesse feroit quelque
réflexion sur ce qu’il faisoit pour elle, et qu’elle lui en témoigneroit de la reconnoissance ».6
                                                        
4
Studiocanal 9-19.
5
Studiocanal 11.
6
Lafayette 62.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
3 
Les implications du transfert que font Tavernier et Cosmos de l’écriture de lettres – et de
tout un thème des matières de l’esprit – peuvent mieux se comprendre à la lumière d’un
personnage pareil, à savoir Cyrano de Bergerac. Il s’agit d’un héros qui établit une intimité
purement verbale avec celle qu’il aime, à la différence de son bel homologue, Christian, dont la
beauté physique sur laquelle se base leur rapport s’avère d’importance secondaire aux yeux de
Roxanne, voire complètement négligeable. Dans son étude sur le thème de la nourriture et la
faim dans la pièce de Rostand, Jean Bourgeois affirme, « toute la pièce repose sur le dualisme
généralisé du corps et de l’esprit », soulignant deux « symbioses » parallèles : celle de
Ragueneau avec ses poètes affamés et celle de Cyrano avec Christian, qui font le troc de l’esprit
pour la beauté. 7
Pour Bourgeois, il s’agit au fond de la procuration et de la sublimation : « le
déplacement de la pulsion sexuelle vers un but non sexuel en investissant des objets socialement
valorisés », à savoir l’écriture des lettres de l’amour.8
De plus, Bourgeois remarque, « la
privation de nourriture est une métaphore de la frustration amoureuse [. . .] ceux qui mangent
n’aiment pas, ceux qui aiment ne mangent pas ».9
Bref, Cyrano se trouve contraint à créer une
intimité avec Roxanne par des moyens indirects – de se contenter de la « procuration » par
Christian, un bel homme par rapport à la laideur physique de Cyrano. Pourtant, si l’intimité entre
Roxanne et Christian se base sur les mots de Cyrano, il semble que l’intermédiaire soit Christian
plutôt que Cyrano. Dans la mesure où l’écriture crée l’intimité – et on voit à la fin que ce sont les
mots qui comptent pour Roxanne – Cyrano atteint une intimité parfaite : « Elle baise les mots
que j’ait dits tout à l’heure ! »10
L’essentiel en ce qui concerne le personnage de Chabannes est
que, en lui octroyant le rôle d’écrivain aux dépens de Guise, les scénaristes du film munissent
                                                        
7
Bourgeois 90.
8
Ibid 90, n.17 et 91, n.21.
9
Ibid. 86-87.
10
Rostand III.x.1539 (p. 174)
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
4 
Chabannes d’un outil puissant qui lui permet d’établir une intimité complète et légitime qui n’a
rien à voir avec la procuration ou la sublimation.
En plus d’une marque d’intimité entre Marie et Chabannes, l’écriture devient un moyen
d’expression pour Marie dans le film. Mélanie Thierry, en parlant de son rôle, affirme que Marie
a « besoin d’avoir accès à la culture et de se sentir exister », et qu’elle « n’est jamais dans le
calcul » dans son désir d’apprendre l’écriture.11
Voilà pourquoi, à la différence de la nouvelle,
Chabannes peut dire au prince – qui craint que Marie reçoive des lettres de Guise – le regardant
dans les yeux, « aucune lettre, vraiment ».12
Si Marie écrit dans le film pour « se sentir exister »,
Chabannes l’aide à s’affirmer en tant qu’individu. On voit dans la scène où Marie exprime à
Chabannes son envie d’écrire qu’il s’agit de Marie elle-même et non pas d’une envie de
communiquer avec Guise. Pendant qu’elle récite des textes en latin, elle arrête la leçon,
visiblement agacée :
CHABANNES : […] il s’agit d’un adjectif singulier. Reprenez.
MARIE : Non. Je sais le latin.
CHABANNES : Peu. Et mal.
MARIE : Assez. Et assez bien. [Ici Chabannes quitte le plan, et la caméra recentre sur Marie, le mettant en
plan rapproché. La musique du film recommence pendant ce rapprochement.] Je veux écrire. Si je sais
écrire votre latin, je le lirai mieux. En écrivant on a le temps d’apprendre ce qu’on écrit, de le comprendre.
CHABANNES : L’écriture exige du temps.
MARIE : Je n’en ai que trop. [Elle sourit]
CHABANNES : Bon et bien…demain.
MARIE : Non, maintenant, s’il vous plaît.
CHABANNES : [La caméra encore fixe sur le visage de Marie, qui continue à sourire] Bien. 13
La scène suivante, pendant laquelle la musique du film continue, commence par un plan de
Marie à son écritoire, complètement absorbée par son écriture. Chabannes, également absorbé
par ses études, s’arrête pourtant pour jeter un coup d’œil sur son élève. Il ne dit rien, demeurant
à sa place, mais il est évidemment saisi par cette image de Marie, tellement prise par l’écriture.
                                                        
11
Studiocanal 9-10.
12
La Princesse de Montpensier 1h05.
13
La Princesse de Montpensier 0h36-0h37.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
5 
Le dos à peine tourné, Chabannes ne peut pas s’empêcher de jeter encore un coup d’œil sur elle,
et il sourit – tout cela sans jamais parler ni quitter sa place. Comme toujours, Chabannes guide
Marie depuis une distance respectueuse, lui permettant de puiser dans son propre esprit, un esprit
que Chabannes considère déjà suffisant pour apprendre.14
Plus qu’un corps tiré par des forces
extérieurs comme la passion charnelle ou la pression sociale, Marie se replie sur elle-même,
retrouvant peu à peu le centre de son être.
Quant au caractère de Chabannes, Tavernier et Cosmos l’ont reconstruit autour d’une
stabilité enracinée dans l’éthique humaniste. En effet, Tavernier dit que sa « préoccupation
première » en adoptant le texte était de
Retrouver, avec Jean Cosmos, en les replaçant dans le contexte du XVIème siècle, les racines des
sentiments, des passions de la nouvelle [. . .] on a pensé, pour Chabannes, aux figures humanistes que l’on
trouve chez Rabelais ou Agrippa d’Aubigné – à ces professeurs qui sont à la fois des guerriers, des
mathématiciens et des philosophes
15
Ce qui importe au rapport entre Chabannes et Marie est l’idée humaniste que l’homme est libre
d’agir sur sa propre destinée. Alors que Marie demande à Chabannes s’il croit à l’influence des
étoiles sur leurs destins, il exprime, sans « certitude ni pour ni contre », l’hypothèse que les astres
fournissent un modèle aux hommes plutôt que d’être la force derrière leurs actions :
CHABANNES : Je pense après tant de grands esprits qui se sont appliqués à comprendre leur mécanique
céleste - - donc divine - - que les astres nous donnent un prodigieux exemple sur lequel régler notre société,
asservis à des routes immuables, respectueux de la hiérarchie universelle qui maintient le faible dans
l’orbite du fort, sans jamais l’écraser. Il nous enseigne . . .
MARIE : La résignation ?
CHABANNES : Non pas la résignation, la simple obéissance aux lois d’équilibre et de modestie sans lesquels
d'effroyables collisions se produiraient, entrainant d’effroyables malheurs16
Il faut remarquer aussi la différenciation entre la résignation et la « simple obéissance » des
« petits astres ». D’abord sur l’influence – malgré elle – de la leçon de sa mère, Marie se trouve
contrainte à se soumettre. Le conseil de sa mère, à la différence de ceux de Chabannes, ne
                                                        
14
La Princesse de Montpensier 0h36 : « Vous avez déjà tout l’esprit qu’il faut pour apprendre ».
15
Studiocanal 4-5.
16
La Princesse de Montpensier 0h38-0h39.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
6 
provoque aucune réponse de Marie ; il s’agit d’un monologue, alors que Chabannes engage le
dialogue.
Le dialogue sur les astres et tant d’autres au cours du film soulignent le rapport maître-
élève, un type de rapport qui est tout à fait particulier à l’adaptation cinématographique de
l’histoire. Ce rapport d’enseignement manifeste en soi un principe fondamental à l’idée
humaniste, exprimé par Érasme, que « On ne naît pas homme, on le devient ».17
Il s’agit d’une
formation accessible à tous, y compris les femmes, et ainsi Chabannes et Marie peuvent établir
un rapport platonique sans ambiguïté. Chabannes fournit à Marie l’exemple de l’humanité posée,
passée déjà par ce processus de « devenir », un exemple qu’elle adopte à la fin à sa propre
manière. L’acteur Lambert Wilson, en décrivant son rôle, exprime parfaitement cette idée de
devenir homme : « Chabannes est un homme qui s’économise parce qu’il a tout vu. Et c’est
parce qu’il a été en contacte avec l’horreur et la barbarie de la guerre qu’il s’en retire » .18
Tout
en parallèle avec son maître, Marie finit par « se retirer » de l’amour après en avoir subi ses
horreurs.
Finalement, il est à noter que l’idée de devenir homme signale un ennoblissement, de la
part de Tavernier et Cosmos, d’un obstacle à l’intimité de la nouvelle de Lafayette, à savoir la
différence d’âge entre Chabannes et la princesse. Dans la nouvelle la princesse cite, avec « une
tranquillité et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs auxquelles [Chabannes] s’étoit
attendu [. . .] en peu de mots la différence de leurs qualités et de leur âge ».19
Dans le film, par
contre, cette distance alimente le rapport maître-élève où le maître, humaniste de surcroît, ayant
                                                        
17
Musée de la maison d’Érasme d’Anderlecht 5, traduction du diction célèbre du de Pueris d’Érasme : «Homines
non nascuntur sed finguntur ».
18
Studiocanal 11.
19
Lafayette 15.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
7 
affranchi les folies de la jeunesse, se trouve en mesure de guider sa jeune élève. Chabannes
l’exprime par l’emploi de plusieurs termes dans sa lettre à Marie :
Princesse, très chère Marie, enfant [. . .] Ayant eu le bonheur de vous examiner tant d'heures, qui connaîtrait
mieux que moi votre dure innocence? [. . .] vous m'avez apporté l'émerveillement de la jeunesse, la vôtre et
la mienne, tardivement resurgie. Où que je sois, vous m’accompagnerez. Adieu Marie, chère enfant…20
Ce sont les mots d’un philosophe qui examine sa jeune élève -- tout comme il examinerait les
étoiles -- pour mieux la guider et qui, en ce faisant, redécouvre les sentiments de ce chapitre de la
vie, y compris l’amour : « Je croyais que l’âge m’avait affranchi des tracas de l’émotion
amoureuse »21
. On va voir comment ce réveil d’émotions amoureuses crée un défi particulier à
leur rapport ainsi qu’une occasion de le fortifier et d’enrichir l’apprentissage de Marie.
 L’APPRENTISSAGE DE MARIE: LA FOI, L’AMOUR, ET L’INDIVIDU
L’Humanisme fait partie aussi, plus généralement, d’un intérêt à la foi religieuse, un sujet
peu approfondi dans la nouvelle. Pour les personnages du film, la foi remplit un rôle parallèle à
la guerre dans le texte de Lafayette, ce qui commence par annoncer un lien net entre l’amour et
la guerre : « Pendant que la guerre civil déchiroit la France [. . .] l’amour ne laissoit pas de
trouver sa place parmi tant de désordres, et d’en causer beaucoup dans son empire ».22
Le film,
par contre, s’amorce par un carton qui fournit le contexte historique uniquement, décrivant la
reprise de la guerre en termes de sa « soudaineté d’un feu de broussailles mal éteint ». Il n’y a
aucune allusion à l’amour, mais plutôt l’image du feu qui se prête bien à la nature des
personnages qui provoquent, de par leurs impulsions sans raison, « d’effroyables malheurs ». Le
duc de Guise, pour répondre au duc d’Anjou, qui le caractérise -- à la différence de Chabannes,
« homme de sentiment » -- comme « homme d’impulsion », affirme « Je ne raisonne pas, je
                                                        
20
La Princesse de Montpensier 2h14.
21
La Princesse de Montpensier 0h48.
22
Lafayette 1.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
8 
ressens. Je reste fidele aux mouvements de ma foi et de mon cœur, qui ne m’a jamais trompé ».23
Guise est un guerrier qui « excelle dans les deux tueries » de la chasse et la guerre et qui ose dire
à Marie même qu’elle n’était qu’une « biche entourée du brame». 24
Les mouvements de sa foi et
de son cœur : il s’agit donc bien de l’impulsion, des forces qui gèrent Guise sans qu’il les met en
question ou les résiste.
Cette façon de voir Marie se distingue nettement de celle de Chabannes, qui voit chez
Marie – comme tout autre homme -- la capacité à raisonner et à choisir la bonne voie. On assiste
à une transformation, même si incomplète, en comparant deux scènes importantes du film. Au
début, encore sous la tutelle de son père, Marie a tout à fait l’air d’une « biche entourée » dans la
scène où elle cherche à comprendre ce qui se passe entre son père, les Guise, et les Montpensier.
Il faut remarquer le va-et-vient de son regard, ce qui se situe entre des plans de chaque côté du
pont. Vers la fin du film, par contre, quand Marie écoute l’ultimatum de son mari, il y a un
sentiment de conscience, c’est-à-dire du poids d’une réflexion en train de se former. Marie
caresse le verrou de la porte, hésitant toujours entre son mari et son amant, et pour un moment on
pense qu’elle va peut être ouvrir la porte à son mari. On retourne à la case départ : au contraire
de la scène du pont au début, où Marie se trouve suspendue entre les deux meutes d’hommes, ici
c’est elle qui pèse les deux destins, suspendant les deux hommes au moment de sa décision.
Même si elle agit contraire aux conseils de la lettre Chabannes, on assiste au développement de
la conscience de cette élève en train de devenir quelque chose, peut être que ce l’on peut appeler
l’individu.
Contrairement à l’introduction de la nouvelle, l’amour ne s’exprime qu’au cours du film,
plus particulièrement au cours de l’apprentissage de Marie et au fur et à mesure que le rapport
                                                        
23
La Princesse de Montpensier 1h13.
24
La Princesse de Montpensier 1h11 et 2h12.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
9 
entre maître et élève se développe. Tout comme le sujet de la guerre et des caractères des
personnages, l’amour se définit à la lumière de la question de la foi. Dans la scène qui suit le
partage du sanglier tué par un paysan des terres de Montpensier, par exemple, le dialogue entre
Marie et Chabannes déroule d’un seul coup le fil qui lie la guerre, la foi, et l’amour.
MARIE : Je ne sais rien de ce que j’ai à faire. Mes devoirs, la vie, cette guerre, par exemple. J’en ignore la
raison.
CHABANNES : Les motifs religieux, bien sûr [. . .]
MARIE : [. . .] et la présence réelle c’est quoi ? Vraiment quoi ça ? Ça veut vraiment dire quoi ?
CHABANNES : [. . .] C’est un article de foi.
MARIE : Et la foi ?
CHABANNES : Saint Paul la définit parfaitement [. . .] la foi est le moyen de posséder déjà ce que l’on
espère, et de connaître des réalités que l’on ne voit pas
MARIE : Au fond, c'est un peu ce qu'on pourrait dire de l'amour.25
Ce lien entre la foi et l’amour est essentiel, puisqu’il souligne le noyau apparemment si pur et
immatériel des deux. Dans les deux cas, il s’agit de l’impulsion contre la raison, d’une adhérence
aveugle qui empêche qu’on devienne individu ou, pour emprunter le terme d’Érasme, qu’on
devienne homme. Paradoxalement, « la foi » et « l’amour » inspirent souvent le désir, la jalousie
et la haine que l’attachement au monde matériel entraine sous forme de guerre et de rivalité.
Malgré les leçons de Chabannes, Marie cherche constamment à comprendre les défis et
les leçons de sa vie en termes de l’amour, ou au moins par rapport à « l’inclination » qu’elle avait
pour Guise, dont elle se croit guérie. L’envie de Marie de parler de son inclination pour Guise
marque une réinterprétation intéressante de l’intrigue de la nouvelle. D’une part, dans la
nouvelle, Chabannes confesse son amour par une « envie » pareille à celle de Marie en ce qui
concerne son inclination pour Guise : « L’amour fit en lui ce qu’il fait en tous les autres, il lui
donna l’envie de parler ».26
D’autre part, dans la nouvelle, la confiance entre la princesse et
Chabannes – c’est-à-dire tout le discours de la princesse sur Guise -- se décrit comme un
« poison » pour Chabannes, dont les marques, « qui avoient été si cheres au comte, lui devinrent
                                                        
25
La Princesse de Montpensier 0h53-0h54.
26
Lafayette 14-15.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
10 
insupportables ».27
Dans le film, la confiance, quoiqu’il s’agisse de l’amour pour Guise et non
pas pour Chabannes, marque l’intimité que Marie accorde à son précepteur qu’elle ne peut pas
accorder à son mari.
De plus, dans sa préoccupation avec ses sentiments d’autrefois, Marie démontre une
certaine naïveté dans sa connaissance de soi et de Chabannes. Dans la scène où Marie
accompagne Chabannes à cueillir l’ache, elle le gêne en insistant à savoir encore plus sur une
femme de son passé. Chabannes tente à maintenir un dialogue strictement instructif, mais elle ne
manque pas l’occasion de parler de sa passion pour Guise :
MARIE : [. . .] maintenant, oui, j’en suis curieuse. Il me semble que nous sommes suffisamment amis. Cette
femme que vous cachez, c’était votre femme ? [Chabannes la regarde, puis continue vers l’ache] Je ne peux
plus vous suivre.
CHABANNES : Ah, voilà, je l’ai trouvé. Ce sont des aches. A-C-H-E [...] le céleri sauvage. Donc je les mets
à bouillir…
MARIE : Je n’aurais pas honte de parler d’une personne pour qui j’aurais éprouvé un sentiment.
CHABANNES : Mais qui vous dites…
MARIE : J’ai subi l’épreuve, et j’en suis guérie […] le prince a été le remède. […] Celui auquel je pense
[…] ressemblait à Henri de Guise.28
Marie cherche à aider – ou même instruire – Chabannes de par son expérience et sa soi-disant
guérison tout en étant aveugle à son attachement latent à Guise. Loin d’un remède, le prince n’est
qu’une distraction, et Guise n’a qu’a réapparaître devant elle pour la déstabiliser.
La préoccupation avec cette « épreuve » aboutit dans sa décision de s’en retirer:
« Comme François de Chabannes s’était retiré de la guerre, je me suis retirée de l’amour ».29
Ces
mots suggèrent qu’il s’agit, dans l’amour comme dans la guerre, d’une participation volontaire
où l’on peut « se retirer » à son gré plutôt que d’une alliance incassable ou d’une passion à quoi
on ne peut pas renoncer. C’est-à-dire que l’on se croit libre de choisir, et la Princesse, à l’instar
de l’ancien guerrier Chabannes -- qui, en plus, « prend la liberté » d’aimer Marie -- choisit de ne
                                                        
27
Lafayette 17.
28
La Princesse de Montpensier 0h42.
29
La Princesse de Montpensier 2h16.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
11 
plus participer.30
À la différence de son sort dans la nouvelle, Marie survit à la perte de son mari,
de son amant et du comte de Chabannes. Mais la différence ne s’y arrête pas ; la manière dont
ces pertes s’expriment démontre l’impact de Chabannes, que Tavernier décrit d’ailleurs comme
« l’épine dorsale du récit ».31
La nouvelle se termine par la voix d’un narrateur omniscient :
Elle ne peut résister à la douleur d’avoir perdu l’estime de son mari, le cœur de son amant, et le plus parfait
ami qui fut jamais : elle mourut en peu de jours dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du
monde, et qui en eût été sans doute la plus heureuse si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses
actions.32
Le film, par contre, se termine par deux voix-off : c’est-à-dire à la première personne et du point
de vue de deux personnages différents. D’abord, la voix de Chabannes, mort par les suites du
massacre de Saint-Barthélemy, se parsème au cours des dernières scènes en lisant sa lettre à
Marie. La lettre maintient l’allusion aux trois rapports - - mari, amant, et ami - - de la narration
de la nouvelle tout en transformant le ton et les implications :
Le bonheur est une éventualité peu probable dans cette dure aventure que la vie pour une âme aussi fière
que la vôtre. Permettez-moi de reparaître de temps à autre dans votre souvenir [. . .] et ayant perdu l’estime
de votre mari, et le cœur de votre amant, au moins vous restera la parfaite amitié de François, Comte de
Chabannes 33
De plus, les mots de Chabannes ne se limitent pas au voix-off de Chabannes même. Sa lettre se
partage, se prêtant aux autres personnages où il le faut. Le prince, la livrant à Marie, récite des
extraits pertinents de cette lettre qu’il a « lue, relue, apprise »34
. Marie, résolue à aller à Blois
pour empêcher le mariage de Guise avec Madame de Clèves, part avec colère, suivie par son
mari, qui commence à citer les conseils de la lettre de Chabannes :
PHILIPPE : « S’il advenait, comme je redoute, que vous soyez un jour reprise par la passion que vous
inspirait Monsieur de Guise, sachez que rien ne vous assure de la continuité de sa propre passion. [Marie
s’arrête ici, dans la cage d’escalier, devant une inscription qui dit « VERTU POUR GUIDE ». Après un
moment, elle continue à monter l’escalier, toujours suivie par Philippe, qui continue la citation] Les gens de
                                                        
30
La Princesse de Montpensier 2h00, en commençant sa lettre: “Si je prends aujourd’hui la liberté de vous écrire,
comme j’ai pris celle de vous aimer”.
31
Studiocanal 5.
32
Lafayette 87.
33
La Princesse de Montpensier 2h14.
34
La Princesse de Montpensier 2h07.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
12 
sa nature ont l’éclat, le charme, l’audace, mais ni la profondeur ni la durée »35
Le fait que Marie -- en écoutant ces conseils de son précepteur et ami – s’arrête devant
l’inscription « vertu pour guide » souligne la même sorte de réflexion individuelle qu’on voit
dans la scène immédiatement après cette lecture, quand elle caresse le verrou de la porte, pesant
son mari contre son amant. Le choix est à Marie seule, mais c’est évident que les conseils de
Chabannes – qui l’a guidée jusqu’ici et qui l’a aidée à se développer en tant qu’individu -- lui
importent. Puis, se rendant compte que Guise est résolu à se marier avec Madame de Clèves,
Marie récite à Guise ce que Chabannes avait écrit à son propos:
GUISE : […] Vous ignorez certaines choses. Ce mariage me sauve. Sans lui, Anjou…
MARIE : Dans ce cas tout est dit. N’allez pas plus loin dans l’abaissement. Monsieur de Chabannes a bien
prophétisé.
GUISE : Chabannes ?
MARIE : Il m’a écrit. « Sachez que rien ne vous assure de la continuité des sentiments de Monsieur de
Guise. Si se présente une occasion plus favorable à ses intérêts » - - et il me semble que c’est bien le cas
aujourd’hui ! - - « vous le verrez tourner la tête ailleurs ». Adieu, mon cousin. Ne la faites pas attendre. 36
Chabannes participe donc, en quelque sorte, au dernier rendez-vous entre Marie et Guise, et y
profite d’une intimité qui survit à l’intimité charnelle entre les jeunes amants.
Tout à fait à la fin du film, on écoute un voix-off de Marie qui narre les détails de son
destin, soulignant le parallèle entre maître et élève :
Comme François de Chabannes s’était retiré de la guerre, je me suis retirée de l’amour. La vie ne serait plus
pour moi que la succession des jours, et je souhaitais qu’elle fût brève, puisque la secrète folie de la passion
m’était devenue étrangère37
Marie se comprend en termes de l’expérience de Chabannes, et quoiqu’elle souhaite une courte
vie après tant de pertes, elle vit encore à la fin du film. Il lui reste du temps pour saisir la leçon de
son précepteur, et il semble que c’est justement ce à quoi Chabannes s’attendait. C’est-à-dire que
Chabannes, en écrivant à cette « chère enfant » envisageait pour Marie une maturité sans mari et
sans amant, mais toujours avec le souvenir d’une parfaite amitié. La solitude n’est pas
                                                        
35
La Princesse de Montpensier 2h08
36
La Princesse de Montpensier 2h12-2h13.
37
La Princesse de Montpensier 2h16.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
13 
destructrice, mais plutôt un aspect inhérent au caractère de Marie qu’elle doit accepter et
méditer: « Vous poursuivez seule le voyage de la vie, comme un pèlerin dans les ténèbres ».38
A
la fin du film cette « âme fière » n’a pas fini le deuil de ses pertes, mais elle a encore du temps
pour se replier sur elle-même afin de renaître, ou devenir elle-même, désormais indépendante de
« la secrète folie de la passion ».
 LA RETENUE AMBIGUE ET « L’ESPACE QU’IL FAUT »
S’il y a un dualisme du corps et de l’esprit dans le film, il existe plutôt chez Marie que
chez Chabannes, et ce dualisme s’intensifie auprès du duc d’Anjou qui, de par son rang et son
éducation, semble aussi écartelé que Marie, malgré ses efforts à lui pour la dissimulation. Alors
que Chabannes s’est retiré de la guerre et ne participe plus à la lutte où il se battait autrefois,
Marie et Anjou participent toujours à une lutte intérieure. Pour Marie, il s’agit de la résignation
aux structures patriarcales de l’époque, pour Anjou, de « museler » ses passions.39
Tant qu’ils
restent tiraillés entre deux côtés – à savoir la retenue et la passion charnelle – ils n’ont qu’à
attendre la victoire d’un côté ou l’autre. Marie se croit « guérie » de sa passion pour Guise, mais
dès qu’il « resurgit devant » elle, il est évident que ce n’était que l’absence de Guise qui a
provisoirement permis une trêve à la lutte. Anjou, de sa part, tente à gérer la lutte intérieure en
frôlant les bornes de sa passion tout en maintenant la retenue qu’il faut du frère du roi. Pour
Marie, cependant, cette ambiguïté ne sert qu’à déstabiliser un équilibre déjà précaire. Dans la
scène du bal du roi, par exemple, Anjou, se rendant compte de la futilité de poursuivre Marie,
décide tout simplement de la rendre à son mari sous prétexte qu’il s’intéresse à l’intérêt de
Marie. Quant à Marie, cependant, cette soi-disant bonne action est tragique. Tandis qu’Anjou se
                                                        
38
La Princesse de Montpensier 2h14.
39
La Princesse de Montpensier 1h30.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
14 
retire facilement de son jeu ambigu, Marie souffre un coup terrible à sa réputation et au rapport
déjà tendu avec son mari.
Pour ce qui est de l’ambiguïté, il vaut reprendre la discussion de la jeunesse
« tardivement resurgie » en Chabannes. Chabannes se caractérise d’habitude par une stabilité
intérieure ; il est content dans la réserve. En revanche, la scène où il confesse son amour pour
Marie témoigne d’un moment de désordre dans son rapport avec elle. D’abord, Chabannes
commente chez Marie une « indifférence à l’espace qu’il faut de l’élève au maître ».40
N’osant
pas regarder Marie, il continue son explication :
CHABANNES : Tout ce bonheur quotidien…je pense m’a aveuglé. J’aurais dû fuir. Je croyais que l’âge
m’avait affranchi des tracas de l’émotion amoureuse
MARIE : Vous êtes en train de me dire…
CHABANNES : Ce que je dis madame. Je vous aime. [Il quitte le plan, qui descend un peu pour mettre Marie
en face d’une seule fleur.]
MARIE [l’air gênée, au bord des larmes, les lèvres tremblant] : Vous oubliez il me semble très vite les
leçons que vous donnez. L’équilibre du monde n’est-il pas garanti par la modestie des petits astres qui
savent rester là où les place l’hiérarchie du ciel ? [Elle pause un moment, puis elle reprend son sourire] J’ai
déjà oublié vos paroles […] Nous n’y reviendrons jamais 41
Contraire à la réaction de la princesse dans la nouvelle, Marie semble touchée de la confession
de Chabannes. Ceci s’exprime d’abord dans son visage et puis dans les mots qu’elle choisit. Il ne
s’agit pas, comme dans la nouvelle, d’une « froideur » de la part de Marie, mais plutôt d’une
gêne et, en cherchant à la confronter, d’une importante allusion au dialogue qui passe entre
maître et élève. Marie retrouve sa stabilité en rappelant, à lui et à elle même, la leçon des petits
astres, ce modèle « d’équilibre et de modestie ». En ressaisissant cette leçon, elle se calme et
sourit.
Il est aussi à noter, enfin, encore un aspect visuel de cet échange. Immédiatement après
les mots « Je vous aime », Chabannes se retire du plan, c’est-à-dire de la vue des spectateurs. Il
n’ose pas regarder Marie en les disant, et c’est comme s’il ne pouvait pas souffrir le regard du
                                                        
40
La Princesse de Montpensier 0h48.
41
La Princesse de Montpensier 0h48-0h49.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
15 
spectateur. On voit donc ici un exemple du « pari de rester dans la réserve et la retenue » que fait
cet acteur en interprétant son rôle, non seulement auprès Marie mais auprès du spectateur.
CONCLUSION
Pour résumer la nature du personnage de Chabannes et sa manière de s’impliquer dans la
vie des autres, il suffit de rappeler les mots de l’aubergiste qui accueille Chabannes après sa fuite
du château de Montpensier : « Il ne dérange personne. Il passe tout le temps à son écritoire ».42
Depuis son écritoire, Chabannes fixe les mots qui structurent les dernières scènes : les deux voix-
off de Chabannes, les commentaires du prince sur la lettre, le dernier échange entre Marie et
Guise et, enfin, les réflexions du voix-off de Marie. Ainsi, ses mots se divisent et se répètent au
spectateur, parfois dans la voix de Chabannes et autrefois dans la voix d’un autre. Il s’agit non
seulement de l’intimité qui se produise entre Marie et Chabannes, mais de l’exemple que
Chabannes donne, de même que « les astres nous donnent un prodigieux exemple sur lequel
régler notre société », à la société humaine, capable de structurer une intimité respectueuse aux
limites, de « petits astres asservis ».
                                                        
42
La Princesse de Montpensier 1h59.
La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse
 
16 
Ouvrages cités
Bourgeois, Jean. « La nourriture et la faim dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand ». Revue
d'histoire littéraire de la France 110 (2010/1) : 83-92.
Lafayette, Madame de. La Princesse de Montpensier. Paris : Renouard, 1804. Print.
La Princesse de Montpensier. Dir. Bertrand Tavernier. MPI Home Video, 2011. DVD.
Musée de la maison d’Érasme. « Érasme pédagogue ». Rédactrice Kathleen Leys. 1997/8. PDF.
Rostand, Edmond. Cyrano de Bergerac. Paris : Librairie Générale Française, 2010.
Studiocanal et Moteur ! Sélection officielle compétition : Festival de Cannes (Dossier de presse).
Studiocanal, 2010. PDF.

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La trajectoire du « petit astre » 

  • 1.     La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier Marielle Lapeyrouse FREN 4003 – Jensen le 9 mai 2013
  • 2. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   1  En adaptant à l’écran la Princesse de Montpensier de Madame de Lafayette (1662), le cinéaste Bertrand Tavernier et le scénariste Jean Cosmos ont profité d’une grande marge de manœuvre dans l’identité et le développement des personnages de l’histoire. La narration de la nouvelle – dans laquelle il y a très peu de dialogue – passe très vite d’un événement à l’autre. La princesse, « tourmentée par ses parents d’épouser » le prince de Montpensier, accepte assez vite « par sa vertu » ce mariage malgré son inclination pour le duc de Guise.1 Les rapports s’établissent par un discours indirect, ayant presque l’air d’un compte-rendu, comme dans cette phrase qui résume le développement du rapport entre la princesse et le comte de Chabannes : Le comte ayant l’esprit fort doux et agréable, gagna bientôt l’esprit de la princesse de Montpensier, et en peu de temps elle n’eut pas moins de confiance pour lui qu’en avoit le prince son mari. Chabannes de son côté regardoit avec admiration tant de beauté, d’esprit et de vertu qui paroissoient en cette jeune princesse ; et, se servant de l’amitié qu’elle lui témoignoit pour lui inspirer des sentiments d’une vertue extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde la plus achevée 2 Voici résumé l’établissement de leur amitié et de l’apprentissage de la princesse. Leur rapport établi, Lafayette se concentre plutôt sur la souffrance de Chabannes due à la confiance de Marie, qui lui « reparla, quand l’occasion en fit naître le discours, de l’inclination qu’elle avoit eue pour le duc de Guise ».3 En raison du style minime et distant de la nouvelle et le manque de développement du rapport entre Marie et Chabannes, il a fallu que le scénario et l’interprétation des acteurs développent le caractère des personnages, y compris l’intrigue. En dehors de la tâche d’augmenter le contenu de la nouvelle, cependant, l’adaptation du texte en film a impliqué des changements fondamentaux de la dynamique de l’intimité, particulièrement entre Marie et Chabannes, qui passent beaucoup de temps ensemble. Ne pouvant pas tirer grande chose de la                                                          1 Lafayette 12. 2 Lafayette 12. 3 Lafayette 16.
  • 3. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   2  nouvelle, les acteurs ont réinterprété leurs rôles.4 Lambert Wilson, qui interprète le comte de Chabannes, exprime une volonté « d’émouvoir le spectateur en faisant le pari de rester dans la réserve et la retenue, et de faire de Chabannes un personnage intériorisé et un peu austère ».5 Ce « pari » s’effectue à deux niveaux : d’une part, comme l’explique Wilson, dans son jeu en tant qu’acteur et d’autre part chez Chabannes même dans son comportement auprès de Marie. De même, les autres personnages se transforment par l’adaptation cinématographique d’une façon qui ennoblit le rapport entre Marie et Chabannes. Ainsi, la réécriture de l’intrigue et la réinterprétation des personnages créent une intimité intériorisée où un rapport intellectuel entre maître et élève s’est mis en valeur aux dépens d’un rapport sensuel.  LE TRANSFORMATION DE CHABANNES EN PRECEPTEUR HUMANISTE Avant d’atteindre cette nouvelle intimité qui se distingue de celle du roman, il a fallu évidemment transformer surtout le personnage de Chabannes. Les changements les plus fondamentaux à la réalisation de ce but semblent être : 1) le transfert de Guise à Chabannes de l’acte d’écrire à Marie et 2) le choix de profiter du contexte philosophique de l’époque en transformant Chabannes en humaniste. D’abord, en faisant de Chabannes un savant qui enseigne à Marie à écrire et qui finit par lui écrire une lettre dont les mots se réverbèrent au cours des dernières scènes du film, Tavernier et Cosmos épargnent à cet homme amoureux l’humiliation et le supplice qu’il souffre dans le roman en tant qu’entremetteur pitoyable qui se fait « avaler à longs traits tout le poison imaginable » en écoutant la princesse lire les lettres d’amour entre elle et Guise, et qui ne peut que se consoler « un peu dans la pensée que cette princesse feroit quelque réflexion sur ce qu’il faisoit pour elle, et qu’elle lui en témoigneroit de la reconnoissance ».6                                                          4 Studiocanal 9-19. 5 Studiocanal 11. 6 Lafayette 62.
  • 4. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   3  Les implications du transfert que font Tavernier et Cosmos de l’écriture de lettres – et de tout un thème des matières de l’esprit – peuvent mieux se comprendre à la lumière d’un personnage pareil, à savoir Cyrano de Bergerac. Il s’agit d’un héros qui établit une intimité purement verbale avec celle qu’il aime, à la différence de son bel homologue, Christian, dont la beauté physique sur laquelle se base leur rapport s’avère d’importance secondaire aux yeux de Roxanne, voire complètement négligeable. Dans son étude sur le thème de la nourriture et la faim dans la pièce de Rostand, Jean Bourgeois affirme, « toute la pièce repose sur le dualisme généralisé du corps et de l’esprit », soulignant deux « symbioses » parallèles : celle de Ragueneau avec ses poètes affamés et celle de Cyrano avec Christian, qui font le troc de l’esprit pour la beauté. 7 Pour Bourgeois, il s’agit au fond de la procuration et de la sublimation : « le déplacement de la pulsion sexuelle vers un but non sexuel en investissant des objets socialement valorisés », à savoir l’écriture des lettres de l’amour.8 De plus, Bourgeois remarque, « la privation de nourriture est une métaphore de la frustration amoureuse [. . .] ceux qui mangent n’aiment pas, ceux qui aiment ne mangent pas ».9 Bref, Cyrano se trouve contraint à créer une intimité avec Roxanne par des moyens indirects – de se contenter de la « procuration » par Christian, un bel homme par rapport à la laideur physique de Cyrano. Pourtant, si l’intimité entre Roxanne et Christian se base sur les mots de Cyrano, il semble que l’intermédiaire soit Christian plutôt que Cyrano. Dans la mesure où l’écriture crée l’intimité – et on voit à la fin que ce sont les mots qui comptent pour Roxanne – Cyrano atteint une intimité parfaite : « Elle baise les mots que j’ait dits tout à l’heure ! »10 L’essentiel en ce qui concerne le personnage de Chabannes est que, en lui octroyant le rôle d’écrivain aux dépens de Guise, les scénaristes du film munissent                                                          7 Bourgeois 90. 8 Ibid 90, n.17 et 91, n.21. 9 Ibid. 86-87. 10 Rostand III.x.1539 (p. 174)
  • 5. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   4  Chabannes d’un outil puissant qui lui permet d’établir une intimité complète et légitime qui n’a rien à voir avec la procuration ou la sublimation. En plus d’une marque d’intimité entre Marie et Chabannes, l’écriture devient un moyen d’expression pour Marie dans le film. Mélanie Thierry, en parlant de son rôle, affirme que Marie a « besoin d’avoir accès à la culture et de se sentir exister », et qu’elle « n’est jamais dans le calcul » dans son désir d’apprendre l’écriture.11 Voilà pourquoi, à la différence de la nouvelle, Chabannes peut dire au prince – qui craint que Marie reçoive des lettres de Guise – le regardant dans les yeux, « aucune lettre, vraiment ».12 Si Marie écrit dans le film pour « se sentir exister », Chabannes l’aide à s’affirmer en tant qu’individu. On voit dans la scène où Marie exprime à Chabannes son envie d’écrire qu’il s’agit de Marie elle-même et non pas d’une envie de communiquer avec Guise. Pendant qu’elle récite des textes en latin, elle arrête la leçon, visiblement agacée : CHABANNES : […] il s’agit d’un adjectif singulier. Reprenez. MARIE : Non. Je sais le latin. CHABANNES : Peu. Et mal. MARIE : Assez. Et assez bien. [Ici Chabannes quitte le plan, et la caméra recentre sur Marie, le mettant en plan rapproché. La musique du film recommence pendant ce rapprochement.] Je veux écrire. Si je sais écrire votre latin, je le lirai mieux. En écrivant on a le temps d’apprendre ce qu’on écrit, de le comprendre. CHABANNES : L’écriture exige du temps. MARIE : Je n’en ai que trop. [Elle sourit] CHABANNES : Bon et bien…demain. MARIE : Non, maintenant, s’il vous plaît. CHABANNES : [La caméra encore fixe sur le visage de Marie, qui continue à sourire] Bien. 13 La scène suivante, pendant laquelle la musique du film continue, commence par un plan de Marie à son écritoire, complètement absorbée par son écriture. Chabannes, également absorbé par ses études, s’arrête pourtant pour jeter un coup d’œil sur son élève. Il ne dit rien, demeurant à sa place, mais il est évidemment saisi par cette image de Marie, tellement prise par l’écriture.                                                          11 Studiocanal 9-10. 12 La Princesse de Montpensier 1h05. 13 La Princesse de Montpensier 0h36-0h37.
  • 6. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   5  Le dos à peine tourné, Chabannes ne peut pas s’empêcher de jeter encore un coup d’œil sur elle, et il sourit – tout cela sans jamais parler ni quitter sa place. Comme toujours, Chabannes guide Marie depuis une distance respectueuse, lui permettant de puiser dans son propre esprit, un esprit que Chabannes considère déjà suffisant pour apprendre.14 Plus qu’un corps tiré par des forces extérieurs comme la passion charnelle ou la pression sociale, Marie se replie sur elle-même, retrouvant peu à peu le centre de son être. Quant au caractère de Chabannes, Tavernier et Cosmos l’ont reconstruit autour d’une stabilité enracinée dans l’éthique humaniste. En effet, Tavernier dit que sa « préoccupation première » en adoptant le texte était de Retrouver, avec Jean Cosmos, en les replaçant dans le contexte du XVIème siècle, les racines des sentiments, des passions de la nouvelle [. . .] on a pensé, pour Chabannes, aux figures humanistes que l’on trouve chez Rabelais ou Agrippa d’Aubigné – à ces professeurs qui sont à la fois des guerriers, des mathématiciens et des philosophes 15 Ce qui importe au rapport entre Chabannes et Marie est l’idée humaniste que l’homme est libre d’agir sur sa propre destinée. Alors que Marie demande à Chabannes s’il croit à l’influence des étoiles sur leurs destins, il exprime, sans « certitude ni pour ni contre », l’hypothèse que les astres fournissent un modèle aux hommes plutôt que d’être la force derrière leurs actions : CHABANNES : Je pense après tant de grands esprits qui se sont appliqués à comprendre leur mécanique céleste - - donc divine - - que les astres nous donnent un prodigieux exemple sur lequel régler notre société, asservis à des routes immuables, respectueux de la hiérarchie universelle qui maintient le faible dans l’orbite du fort, sans jamais l’écraser. Il nous enseigne . . . MARIE : La résignation ? CHABANNES : Non pas la résignation, la simple obéissance aux lois d’équilibre et de modestie sans lesquels d'effroyables collisions se produiraient, entrainant d’effroyables malheurs16 Il faut remarquer aussi la différenciation entre la résignation et la « simple obéissance » des « petits astres ». D’abord sur l’influence – malgré elle – de la leçon de sa mère, Marie se trouve contrainte à se soumettre. Le conseil de sa mère, à la différence de ceux de Chabannes, ne                                                          14 La Princesse de Montpensier 0h36 : « Vous avez déjà tout l’esprit qu’il faut pour apprendre ». 15 Studiocanal 4-5. 16 La Princesse de Montpensier 0h38-0h39.
  • 7. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   6  provoque aucune réponse de Marie ; il s’agit d’un monologue, alors que Chabannes engage le dialogue. Le dialogue sur les astres et tant d’autres au cours du film soulignent le rapport maître- élève, un type de rapport qui est tout à fait particulier à l’adaptation cinématographique de l’histoire. Ce rapport d’enseignement manifeste en soi un principe fondamental à l’idée humaniste, exprimé par Érasme, que « On ne naît pas homme, on le devient ».17 Il s’agit d’une formation accessible à tous, y compris les femmes, et ainsi Chabannes et Marie peuvent établir un rapport platonique sans ambiguïté. Chabannes fournit à Marie l’exemple de l’humanité posée, passée déjà par ce processus de « devenir », un exemple qu’elle adopte à la fin à sa propre manière. L’acteur Lambert Wilson, en décrivant son rôle, exprime parfaitement cette idée de devenir homme : « Chabannes est un homme qui s’économise parce qu’il a tout vu. Et c’est parce qu’il a été en contacte avec l’horreur et la barbarie de la guerre qu’il s’en retire » .18 Tout en parallèle avec son maître, Marie finit par « se retirer » de l’amour après en avoir subi ses horreurs. Finalement, il est à noter que l’idée de devenir homme signale un ennoblissement, de la part de Tavernier et Cosmos, d’un obstacle à l’intimité de la nouvelle de Lafayette, à savoir la différence d’âge entre Chabannes et la princesse. Dans la nouvelle la princesse cite, avec « une tranquillité et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs auxquelles [Chabannes] s’étoit attendu [. . .] en peu de mots la différence de leurs qualités et de leur âge ».19 Dans le film, par contre, cette distance alimente le rapport maître-élève où le maître, humaniste de surcroît, ayant                                                          17 Musée de la maison d’Érasme d’Anderlecht 5, traduction du diction célèbre du de Pueris d’Érasme : «Homines non nascuntur sed finguntur ». 18 Studiocanal 11. 19 Lafayette 15.
  • 8. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   7  affranchi les folies de la jeunesse, se trouve en mesure de guider sa jeune élève. Chabannes l’exprime par l’emploi de plusieurs termes dans sa lettre à Marie : Princesse, très chère Marie, enfant [. . .] Ayant eu le bonheur de vous examiner tant d'heures, qui connaîtrait mieux que moi votre dure innocence? [. . .] vous m'avez apporté l'émerveillement de la jeunesse, la vôtre et la mienne, tardivement resurgie. Où que je sois, vous m’accompagnerez. Adieu Marie, chère enfant…20 Ce sont les mots d’un philosophe qui examine sa jeune élève -- tout comme il examinerait les étoiles -- pour mieux la guider et qui, en ce faisant, redécouvre les sentiments de ce chapitre de la vie, y compris l’amour : « Je croyais que l’âge m’avait affranchi des tracas de l’émotion amoureuse »21 . On va voir comment ce réveil d’émotions amoureuses crée un défi particulier à leur rapport ainsi qu’une occasion de le fortifier et d’enrichir l’apprentissage de Marie.  L’APPRENTISSAGE DE MARIE: LA FOI, L’AMOUR, ET L’INDIVIDU L’Humanisme fait partie aussi, plus généralement, d’un intérêt à la foi religieuse, un sujet peu approfondi dans la nouvelle. Pour les personnages du film, la foi remplit un rôle parallèle à la guerre dans le texte de Lafayette, ce qui commence par annoncer un lien net entre l’amour et la guerre : « Pendant que la guerre civil déchiroit la France [. . .] l’amour ne laissoit pas de trouver sa place parmi tant de désordres, et d’en causer beaucoup dans son empire ».22 Le film, par contre, s’amorce par un carton qui fournit le contexte historique uniquement, décrivant la reprise de la guerre en termes de sa « soudaineté d’un feu de broussailles mal éteint ». Il n’y a aucune allusion à l’amour, mais plutôt l’image du feu qui se prête bien à la nature des personnages qui provoquent, de par leurs impulsions sans raison, « d’effroyables malheurs ». Le duc de Guise, pour répondre au duc d’Anjou, qui le caractérise -- à la différence de Chabannes, « homme de sentiment » -- comme « homme d’impulsion », affirme « Je ne raisonne pas, je                                                          20 La Princesse de Montpensier 2h14. 21 La Princesse de Montpensier 0h48. 22 Lafayette 1.
  • 9. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   8  ressens. Je reste fidele aux mouvements de ma foi et de mon cœur, qui ne m’a jamais trompé ».23 Guise est un guerrier qui « excelle dans les deux tueries » de la chasse et la guerre et qui ose dire à Marie même qu’elle n’était qu’une « biche entourée du brame». 24 Les mouvements de sa foi et de son cœur : il s’agit donc bien de l’impulsion, des forces qui gèrent Guise sans qu’il les met en question ou les résiste. Cette façon de voir Marie se distingue nettement de celle de Chabannes, qui voit chez Marie – comme tout autre homme -- la capacité à raisonner et à choisir la bonne voie. On assiste à une transformation, même si incomplète, en comparant deux scènes importantes du film. Au début, encore sous la tutelle de son père, Marie a tout à fait l’air d’une « biche entourée » dans la scène où elle cherche à comprendre ce qui se passe entre son père, les Guise, et les Montpensier. Il faut remarquer le va-et-vient de son regard, ce qui se situe entre des plans de chaque côté du pont. Vers la fin du film, par contre, quand Marie écoute l’ultimatum de son mari, il y a un sentiment de conscience, c’est-à-dire du poids d’une réflexion en train de se former. Marie caresse le verrou de la porte, hésitant toujours entre son mari et son amant, et pour un moment on pense qu’elle va peut être ouvrir la porte à son mari. On retourne à la case départ : au contraire de la scène du pont au début, où Marie se trouve suspendue entre les deux meutes d’hommes, ici c’est elle qui pèse les deux destins, suspendant les deux hommes au moment de sa décision. Même si elle agit contraire aux conseils de la lettre Chabannes, on assiste au développement de la conscience de cette élève en train de devenir quelque chose, peut être que ce l’on peut appeler l’individu. Contrairement à l’introduction de la nouvelle, l’amour ne s’exprime qu’au cours du film, plus particulièrement au cours de l’apprentissage de Marie et au fur et à mesure que le rapport                                                          23 La Princesse de Montpensier 1h13. 24 La Princesse de Montpensier 1h11 et 2h12.
  • 10. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   9  entre maître et élève se développe. Tout comme le sujet de la guerre et des caractères des personnages, l’amour se définit à la lumière de la question de la foi. Dans la scène qui suit le partage du sanglier tué par un paysan des terres de Montpensier, par exemple, le dialogue entre Marie et Chabannes déroule d’un seul coup le fil qui lie la guerre, la foi, et l’amour. MARIE : Je ne sais rien de ce que j’ai à faire. Mes devoirs, la vie, cette guerre, par exemple. J’en ignore la raison. CHABANNES : Les motifs religieux, bien sûr [. . .] MARIE : [. . .] et la présence réelle c’est quoi ? Vraiment quoi ça ? Ça veut vraiment dire quoi ? CHABANNES : [. . .] C’est un article de foi. MARIE : Et la foi ? CHABANNES : Saint Paul la définit parfaitement [. . .] la foi est le moyen de posséder déjà ce que l’on espère, et de connaître des réalités que l’on ne voit pas MARIE : Au fond, c'est un peu ce qu'on pourrait dire de l'amour.25 Ce lien entre la foi et l’amour est essentiel, puisqu’il souligne le noyau apparemment si pur et immatériel des deux. Dans les deux cas, il s’agit de l’impulsion contre la raison, d’une adhérence aveugle qui empêche qu’on devienne individu ou, pour emprunter le terme d’Érasme, qu’on devienne homme. Paradoxalement, « la foi » et « l’amour » inspirent souvent le désir, la jalousie et la haine que l’attachement au monde matériel entraine sous forme de guerre et de rivalité. Malgré les leçons de Chabannes, Marie cherche constamment à comprendre les défis et les leçons de sa vie en termes de l’amour, ou au moins par rapport à « l’inclination » qu’elle avait pour Guise, dont elle se croit guérie. L’envie de Marie de parler de son inclination pour Guise marque une réinterprétation intéressante de l’intrigue de la nouvelle. D’une part, dans la nouvelle, Chabannes confesse son amour par une « envie » pareille à celle de Marie en ce qui concerne son inclination pour Guise : « L’amour fit en lui ce qu’il fait en tous les autres, il lui donna l’envie de parler ».26 D’autre part, dans la nouvelle, la confiance entre la princesse et Chabannes – c’est-à-dire tout le discours de la princesse sur Guise -- se décrit comme un « poison » pour Chabannes, dont les marques, « qui avoient été si cheres au comte, lui devinrent                                                          25 La Princesse de Montpensier 0h53-0h54. 26 Lafayette 14-15.
  • 11. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   10  insupportables ».27 Dans le film, la confiance, quoiqu’il s’agisse de l’amour pour Guise et non pas pour Chabannes, marque l’intimité que Marie accorde à son précepteur qu’elle ne peut pas accorder à son mari. De plus, dans sa préoccupation avec ses sentiments d’autrefois, Marie démontre une certaine naïveté dans sa connaissance de soi et de Chabannes. Dans la scène où Marie accompagne Chabannes à cueillir l’ache, elle le gêne en insistant à savoir encore plus sur une femme de son passé. Chabannes tente à maintenir un dialogue strictement instructif, mais elle ne manque pas l’occasion de parler de sa passion pour Guise : MARIE : [. . .] maintenant, oui, j’en suis curieuse. Il me semble que nous sommes suffisamment amis. Cette femme que vous cachez, c’était votre femme ? [Chabannes la regarde, puis continue vers l’ache] Je ne peux plus vous suivre. CHABANNES : Ah, voilà, je l’ai trouvé. Ce sont des aches. A-C-H-E [...] le céleri sauvage. Donc je les mets à bouillir… MARIE : Je n’aurais pas honte de parler d’une personne pour qui j’aurais éprouvé un sentiment. CHABANNES : Mais qui vous dites… MARIE : J’ai subi l’épreuve, et j’en suis guérie […] le prince a été le remède. […] Celui auquel je pense […] ressemblait à Henri de Guise.28 Marie cherche à aider – ou même instruire – Chabannes de par son expérience et sa soi-disant guérison tout en étant aveugle à son attachement latent à Guise. Loin d’un remède, le prince n’est qu’une distraction, et Guise n’a qu’a réapparaître devant elle pour la déstabiliser. La préoccupation avec cette « épreuve » aboutit dans sa décision de s’en retirer: « Comme François de Chabannes s’était retiré de la guerre, je me suis retirée de l’amour ».29 Ces mots suggèrent qu’il s’agit, dans l’amour comme dans la guerre, d’une participation volontaire où l’on peut « se retirer » à son gré plutôt que d’une alliance incassable ou d’une passion à quoi on ne peut pas renoncer. C’est-à-dire que l’on se croit libre de choisir, et la Princesse, à l’instar de l’ancien guerrier Chabannes -- qui, en plus, « prend la liberté » d’aimer Marie -- choisit de ne                                                          27 Lafayette 17. 28 La Princesse de Montpensier 0h42. 29 La Princesse de Montpensier 2h16.
  • 12. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   11  plus participer.30 À la différence de son sort dans la nouvelle, Marie survit à la perte de son mari, de son amant et du comte de Chabannes. Mais la différence ne s’y arrête pas ; la manière dont ces pertes s’expriment démontre l’impact de Chabannes, que Tavernier décrit d’ailleurs comme « l’épine dorsale du récit ».31 La nouvelle se termine par la voix d’un narrateur omniscient : Elle ne peut résister à la douleur d’avoir perdu l’estime de son mari, le cœur de son amant, et le plus parfait ami qui fut jamais : elle mourut en peu de jours dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui en eût été sans doute la plus heureuse si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions.32 Le film, par contre, se termine par deux voix-off : c’est-à-dire à la première personne et du point de vue de deux personnages différents. D’abord, la voix de Chabannes, mort par les suites du massacre de Saint-Barthélemy, se parsème au cours des dernières scènes en lisant sa lettre à Marie. La lettre maintient l’allusion aux trois rapports - - mari, amant, et ami - - de la narration de la nouvelle tout en transformant le ton et les implications : Le bonheur est une éventualité peu probable dans cette dure aventure que la vie pour une âme aussi fière que la vôtre. Permettez-moi de reparaître de temps à autre dans votre souvenir [. . .] et ayant perdu l’estime de votre mari, et le cœur de votre amant, au moins vous restera la parfaite amitié de François, Comte de Chabannes 33 De plus, les mots de Chabannes ne se limitent pas au voix-off de Chabannes même. Sa lettre se partage, se prêtant aux autres personnages où il le faut. Le prince, la livrant à Marie, récite des extraits pertinents de cette lettre qu’il a « lue, relue, apprise »34 . Marie, résolue à aller à Blois pour empêcher le mariage de Guise avec Madame de Clèves, part avec colère, suivie par son mari, qui commence à citer les conseils de la lettre de Chabannes : PHILIPPE : « S’il advenait, comme je redoute, que vous soyez un jour reprise par la passion que vous inspirait Monsieur de Guise, sachez que rien ne vous assure de la continuité de sa propre passion. [Marie s’arrête ici, dans la cage d’escalier, devant une inscription qui dit « VERTU POUR GUIDE ». Après un moment, elle continue à monter l’escalier, toujours suivie par Philippe, qui continue la citation] Les gens de                                                          30 La Princesse de Montpensier 2h00, en commençant sa lettre: “Si je prends aujourd’hui la liberté de vous écrire, comme j’ai pris celle de vous aimer”. 31 Studiocanal 5. 32 Lafayette 87. 33 La Princesse de Montpensier 2h14. 34 La Princesse de Montpensier 2h07.
  • 13. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   12  sa nature ont l’éclat, le charme, l’audace, mais ni la profondeur ni la durée »35 Le fait que Marie -- en écoutant ces conseils de son précepteur et ami – s’arrête devant l’inscription « vertu pour guide » souligne la même sorte de réflexion individuelle qu’on voit dans la scène immédiatement après cette lecture, quand elle caresse le verrou de la porte, pesant son mari contre son amant. Le choix est à Marie seule, mais c’est évident que les conseils de Chabannes – qui l’a guidée jusqu’ici et qui l’a aidée à se développer en tant qu’individu -- lui importent. Puis, se rendant compte que Guise est résolu à se marier avec Madame de Clèves, Marie récite à Guise ce que Chabannes avait écrit à son propos: GUISE : […] Vous ignorez certaines choses. Ce mariage me sauve. Sans lui, Anjou… MARIE : Dans ce cas tout est dit. N’allez pas plus loin dans l’abaissement. Monsieur de Chabannes a bien prophétisé. GUISE : Chabannes ? MARIE : Il m’a écrit. « Sachez que rien ne vous assure de la continuité des sentiments de Monsieur de Guise. Si se présente une occasion plus favorable à ses intérêts » - - et il me semble que c’est bien le cas aujourd’hui ! - - « vous le verrez tourner la tête ailleurs ». Adieu, mon cousin. Ne la faites pas attendre. 36 Chabannes participe donc, en quelque sorte, au dernier rendez-vous entre Marie et Guise, et y profite d’une intimité qui survit à l’intimité charnelle entre les jeunes amants. Tout à fait à la fin du film, on écoute un voix-off de Marie qui narre les détails de son destin, soulignant le parallèle entre maître et élève : Comme François de Chabannes s’était retiré de la guerre, je me suis retirée de l’amour. La vie ne serait plus pour moi que la succession des jours, et je souhaitais qu’elle fût brève, puisque la secrète folie de la passion m’était devenue étrangère37 Marie se comprend en termes de l’expérience de Chabannes, et quoiqu’elle souhaite une courte vie après tant de pertes, elle vit encore à la fin du film. Il lui reste du temps pour saisir la leçon de son précepteur, et il semble que c’est justement ce à quoi Chabannes s’attendait. C’est-à-dire que Chabannes, en écrivant à cette « chère enfant » envisageait pour Marie une maturité sans mari et sans amant, mais toujours avec le souvenir d’une parfaite amitié. La solitude n’est pas                                                          35 La Princesse de Montpensier 2h08 36 La Princesse de Montpensier 2h12-2h13. 37 La Princesse de Montpensier 2h16.
  • 14. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   13  destructrice, mais plutôt un aspect inhérent au caractère de Marie qu’elle doit accepter et méditer: « Vous poursuivez seule le voyage de la vie, comme un pèlerin dans les ténèbres ».38 A la fin du film cette « âme fière » n’a pas fini le deuil de ses pertes, mais elle a encore du temps pour se replier sur elle-même afin de renaître, ou devenir elle-même, désormais indépendante de « la secrète folie de la passion ».  LA RETENUE AMBIGUE ET « L’ESPACE QU’IL FAUT » S’il y a un dualisme du corps et de l’esprit dans le film, il existe plutôt chez Marie que chez Chabannes, et ce dualisme s’intensifie auprès du duc d’Anjou qui, de par son rang et son éducation, semble aussi écartelé que Marie, malgré ses efforts à lui pour la dissimulation. Alors que Chabannes s’est retiré de la guerre et ne participe plus à la lutte où il se battait autrefois, Marie et Anjou participent toujours à une lutte intérieure. Pour Marie, il s’agit de la résignation aux structures patriarcales de l’époque, pour Anjou, de « museler » ses passions.39 Tant qu’ils restent tiraillés entre deux côtés – à savoir la retenue et la passion charnelle – ils n’ont qu’à attendre la victoire d’un côté ou l’autre. Marie se croit « guérie » de sa passion pour Guise, mais dès qu’il « resurgit devant » elle, il est évident que ce n’était que l’absence de Guise qui a provisoirement permis une trêve à la lutte. Anjou, de sa part, tente à gérer la lutte intérieure en frôlant les bornes de sa passion tout en maintenant la retenue qu’il faut du frère du roi. Pour Marie, cependant, cette ambiguïté ne sert qu’à déstabiliser un équilibre déjà précaire. Dans la scène du bal du roi, par exemple, Anjou, se rendant compte de la futilité de poursuivre Marie, décide tout simplement de la rendre à son mari sous prétexte qu’il s’intéresse à l’intérêt de Marie. Quant à Marie, cependant, cette soi-disant bonne action est tragique. Tandis qu’Anjou se                                                          38 La Princesse de Montpensier 2h14. 39 La Princesse de Montpensier 1h30.
  • 15. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   14  retire facilement de son jeu ambigu, Marie souffre un coup terrible à sa réputation et au rapport déjà tendu avec son mari. Pour ce qui est de l’ambiguïté, il vaut reprendre la discussion de la jeunesse « tardivement resurgie » en Chabannes. Chabannes se caractérise d’habitude par une stabilité intérieure ; il est content dans la réserve. En revanche, la scène où il confesse son amour pour Marie témoigne d’un moment de désordre dans son rapport avec elle. D’abord, Chabannes commente chez Marie une « indifférence à l’espace qu’il faut de l’élève au maître ».40 N’osant pas regarder Marie, il continue son explication : CHABANNES : Tout ce bonheur quotidien…je pense m’a aveuglé. J’aurais dû fuir. Je croyais que l’âge m’avait affranchi des tracas de l’émotion amoureuse MARIE : Vous êtes en train de me dire… CHABANNES : Ce que je dis madame. Je vous aime. [Il quitte le plan, qui descend un peu pour mettre Marie en face d’une seule fleur.] MARIE [l’air gênée, au bord des larmes, les lèvres tremblant] : Vous oubliez il me semble très vite les leçons que vous donnez. L’équilibre du monde n’est-il pas garanti par la modestie des petits astres qui savent rester là où les place l’hiérarchie du ciel ? [Elle pause un moment, puis elle reprend son sourire] J’ai déjà oublié vos paroles […] Nous n’y reviendrons jamais 41 Contraire à la réaction de la princesse dans la nouvelle, Marie semble touchée de la confession de Chabannes. Ceci s’exprime d’abord dans son visage et puis dans les mots qu’elle choisit. Il ne s’agit pas, comme dans la nouvelle, d’une « froideur » de la part de Marie, mais plutôt d’une gêne et, en cherchant à la confronter, d’une importante allusion au dialogue qui passe entre maître et élève. Marie retrouve sa stabilité en rappelant, à lui et à elle même, la leçon des petits astres, ce modèle « d’équilibre et de modestie ». En ressaisissant cette leçon, elle se calme et sourit. Il est aussi à noter, enfin, encore un aspect visuel de cet échange. Immédiatement après les mots « Je vous aime », Chabannes se retire du plan, c’est-à-dire de la vue des spectateurs. Il n’ose pas regarder Marie en les disant, et c’est comme s’il ne pouvait pas souffrir le regard du                                                          40 La Princesse de Montpensier 0h48. 41 La Princesse de Montpensier 0h48-0h49.
  • 16. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   15  spectateur. On voit donc ici un exemple du « pari de rester dans la réserve et la retenue » que fait cet acteur en interprétant son rôle, non seulement auprès Marie mais auprès du spectateur. CONCLUSION Pour résumer la nature du personnage de Chabannes et sa manière de s’impliquer dans la vie des autres, il suffit de rappeler les mots de l’aubergiste qui accueille Chabannes après sa fuite du château de Montpensier : « Il ne dérange personne. Il passe tout le temps à son écritoire ».42 Depuis son écritoire, Chabannes fixe les mots qui structurent les dernières scènes : les deux voix- off de Chabannes, les commentaires du prince sur la lettre, le dernier échange entre Marie et Guise et, enfin, les réflexions du voix-off de Marie. Ainsi, ses mots se divisent et se répètent au spectateur, parfois dans la voix de Chabannes et autrefois dans la voix d’un autre. Il s’agit non seulement de l’intimité qui se produise entre Marie et Chabannes, mais de l’exemple que Chabannes donne, de même que « les astres nous donnent un prodigieux exemple sur lequel régler notre société », à la société humaine, capable de structurer une intimité respectueuse aux limites, de « petits astres asservis ».                                                          42 La Princesse de Montpensier 1h59.
  • 17. La trajectoire raisonnée du « petit astre » : L’intimité intériorisée dans la Princesse de Montpensier de Bernard Tavernier Lapeyrouse   16  Ouvrages cités Bourgeois, Jean. « La nourriture et la faim dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand ». Revue d'histoire littéraire de la France 110 (2010/1) : 83-92. Lafayette, Madame de. La Princesse de Montpensier. Paris : Renouard, 1804. Print. La Princesse de Montpensier. Dir. Bertrand Tavernier. MPI Home Video, 2011. DVD. Musée de la maison d’Érasme. « Érasme pédagogue ». Rédactrice Kathleen Leys. 1997/8. PDF. Rostand, Edmond. Cyrano de Bergerac. Paris : Librairie Générale Française, 2010. Studiocanal et Moteur ! Sélection officielle compétition : Festival de Cannes (Dossier de presse). Studiocanal, 2010. PDF.